La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Charles Guené.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Cette séance est la première de celles qui, en application de la décision de la conférence des présidents, se dérouleront désormais le jeudi après-midi en alternance avec les séances de questions d’actualité.
L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct par Public Sénat, ainsi que par la chaîne France 3, que je tiens à remercier, au nom du président du Sénat, pour le nouveau créneau horaire qu’elle nous réserve.
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre pays, parmi les travailleurs qui occupent un emploi à temps partiel – un sur cinq en métropole, davantage encore en outre-mer –, 70 % sont des femmes.
Disons-le tout net : dans la plupart des cas, le temps partiel est subi ! La preuve en est que 60 % des salariées à temps partiel, c’est-à-dire environ 2 200 000 d’entre elles, déclarent souhaiter une augmentation de leur temps de travail. Et l’on peut supposer que, sur les 40 % restants, nombre de femmes s’autocensurent en quelque sorte, considérant qu’elles ont de toute façon peu de chances d’accéder à un temps plein ou que les frais de garde des enfants amputeraient le gain qu’elles tireraient de ce changement.
Ces moyennes cachent de gros écarts. C’est ainsi que les femmes non diplômées, les employées et les femmes étrangères subissent plus souvent que les autres le temps partiel et que le pic de la proportion des femmes à temps partiel se situe entre 35 et 44 ans.
Selon une communication du Conseil économique et social publiée en 2008 et intitulée « Les femmes face au travail à temps partiel », les secteurs d’activité les plus touchés par le temps partiel féminin sont les services aux entreprises et aux personnes, le nettoyage, la distribution, le commerce et l’hôtellerie-restauration, mais aussi les collectivités territoriales.
Pour ce qui est des salaires, 50 % des femmes occupant un emploi à temps partiel percevraient moins de 800 euros. Or l’ensemble des droits sociaux, la retraite et les indemnités journalières, dont le congé maternité, sont calculés sur cette base.
Selon des données publiées par l’INSEE en 2009, 33 % des foyers monoparentaux, soit 1, 6 million de foyers, essentiellement composés de femmes avec au moins un enfant, disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Parmi elles, on compte beaucoup de femmes actives mais au salaire très bas et/ou subissant un temps partiel contraint, morcelé et, bien sûr, peu rémunéré.
Dès lors, on comprend comment il est possible que les femmes, particulièrement celles qui assument seules les charges de leurs enfants, forment la catégorie la plus pauvre de notre pays.
Ces données sont connues. Il nous faut maintenant apporter des changements concrets, avec l’aide des différents ministères concernés par ces questions, dont celui des droits des femmes.
Madame la ministre, comment comptez-vous vous atteler à ce chantier transversal, dont les résultats sont très attendus par une grande partie de la population, qui travaille mais qui ne s’en sort pas ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier Mme Meunier d’avoir mis le doigt sur le problème du temps partiel subi, dont elle a rappelé qu’il touchait plus particulièrement les femmes.
Bien qu’il soit absolument crucial lorsqu’on s’intéresse à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et aux moyens de combattre les disparités, qui demeurent toujours aussi importantes dans notre pays, ce problème a longtemps été laissé de côté ; il fait partie des angles morts des politiques publiques.
Ainsi, on ne s’est pas suffisamment préoccupé de la surreprésentation des femmes dans certaines filières d’activité où la précarité est forte. De même, on n’a pas suffisamment considéré que le temps partiel, synonyme de rémunération partielle et de cotisations partielles pour la retraite, est une forme de triple peine dès lors qu’il est subi.
Aujourd’hui, la moitié de l’écart moyen de rémunération entre les hommes et les femmes – soit une différence de 14 % – résulte d’un recours au temps partiel plus fréquent pour les femmes.
La situation des femmes à temps partiel, déjà très précaire, n’a cessé de se dégrader au cours des dernières années. Il faut savoir qu’au début des années 1980 seulement 1 500 000 femmes étaient embauchées à temps partiel et que, trente ans plus tard, elles sont plus de deux fois plus nombreuses : 3, 7 millions, soit un tiers des femmes salariées !
Il est toujours intéressant d’examiner la manière dont les pays qui nous entourent se sont emparés de cette problématique, et je crois qu’il existe une spécificité française liée à la répartition inégale des tâches domestiques entre les hommes et les femmes. J’aurai tout à l’heure l’occasion de revenir sur ce point, qui mérite toute notre attention.
Lors de la grande Conférence sociale de juillet dernier, nous avons décidé que les partenaires sociaux pourraient négocier sur la question du temps partiel. Ils ont commencé à le faire dès le 21 septembre et se sont engagés à nous remettre leurs conclusions avant le 8 mars 2013. Cette négociation doit porter principalement sur trois points.
Il s’agit d’abord de mieux protéger les femmes qui travaillent à temps partiel, en particulier celles qui, parce qu’elles ont un très petit temps partiel, n’ont pas accès à un certain nombre de droits sociaux comme les indemnités journalières.
Il convient aussi de sanctionner les entreprises qui recourent de manière abusive au temps partiel – car nous savons que des abus existent.
Enfin, il faut favoriser davantage qu’on ne le fait aujourd’hui le passage du temps partiel au temps complet, ce pour quoi un certain nombre de dispositions législatives pourront être prises.
M. Roland Courteau acquiesce.
Sachez que, sans attendre les conclusions des partenaires sociaux, nous organiserons, le 19 novembre prochain, une « conférence de progrès » sur le temps partiel ; elle permettra d’examiner la question du temps partiel dans plusieurs branches professionnelles et d’y apporter de premières réponses.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Je vous remercie, madame la ministre, des éléments de réponse que vous m’avez donnés.
Il serait effectivement intéressant, vous y avez fait allusion, de ne pas considérer seulement la situation française, mais d’étudier aussi ce qui se fait à cet égard dans d’autres pays européens.
Cela me fournit l’occasion de saluer le soutien que vous avez apporté, au nom de la France, au projet de directive européenne soutenu par Mme Viviane Reding et qui vise à renforcer la présence des femmes dans les conseils d’administration des entreprises.
Je vois dans cette position publique un engagement pour le changement auquel aspirent nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens !
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vois que nous partageons certaines préoccupations.
Oui, le temps partiel a un genre : il est féminin.
Or le temps partiel est un paramètre clé des inégalités salariales et professionnelles. En particulier, il explique un peu plus d’un tiers de l’écart d’environ 27 % qui existe entre les salaires des femmes et ceux des hommes.
Le temps partiel n’est pas seulement un angle mort : il s’est considérablement développé au cours des vingt dernières années sous l’impulsion de politiques qui l’ont rendu attractif pour les employeurs.
Le temps partiel a été favorisé par des abattements de cotisations sociales et par le fait qu’il permettait davantage de flexibilité dans la gestion de la main-d’œuvre.
Souvent présenté comme un moyen d’assurer une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, le temps partiel, dans la réalité, est bien plus souvent subi que choisi : avec ses horaires morcelés, ses délais de prévenance très courts et son régime de coupures, il ne facilite pas l’articulation entre les différents temps de vie.
S’appliquant en outre à des emplois peu qualifiés et, par conséquent, mal rémunérés, il vient gonfler des cohortes de travailleuses pauvres.
Pour toutes ces raisons, l’encadrement du travail à temps partiel doit être revu.
Dans cette perspective, plusieurs pistes ont été proposées à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes au cours des auditions qu’elle mène cette année sur le thème : « Femmes et travail ».
Il s’agit notamment de prévoir des majorations salariales pour l’ensemble des heures complémentaires accomplies, de réviser le niveau des exonérations sociales, de modifier les conditions de réversibilité du temps partiel vers le temps plein, de renforcer l’accès à la formation et aux droits sociaux et d’améliorer l’encadrement de la durée des intervalles entre les prises de poste ou des délais de prévenance.
La négociation collective peut, sur certains de ces points, apporter des améliorations significatives ; mais d’autres appellent une révision du cadre législatif.
Madame la ministre, pouvez-vous nous présenter de manière plus détaillée la feuille de route du Gouvernement sur ce sujet, qui intéresse un très grand nombre de nos compatriotes parmi les plus touchées par la précarité et la pauvreté ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Madame Gonthier-Maurin, je crois que ce n’est pas un hasard si Mme Meunier et vous-même m’avez toutes deux interrogée sur le temps partiel : vous avez l’une et l’autre conscience que c’est aujourd’hui l’une des principales causes de la précarité des femmes dans la vie économique.
Cette situation est particulièrement difficile à vivre pour les femmes qui sont, de surcroît, à la tête d’une famille monoparentale. On observe en effet que les deux phénomènes sont souvent liés.
Ceux qui cherchent à minimiser le problème du temps partiel soutiennent qu’il est souvent choisi, notamment parce qu’il permettrait une meilleure articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, c'est-à-dire en fait pour pouvoir s’occuper du foyer.
C’est pourquoi il faut souligner avec force, comme vous l’avez très justement fait, mesdames les sénatrices, que le temps partiel empêche au contraire très souvent les femmes d’avoir une vie personnelle et familiale. En effet, le temps partiel s’accompagne d’horaires atypiques et imprévisibles, qui sont pour ces femmes, cause de complications et même de souffrance. Du fait du temps partiel, loin de mieux concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle, elles se trouvent encore plus tiraillées entre ces deux temps de vie.
Comme vous, madame Gonthier-Maurin, je pense qu’il est nécessaire de sanctionner les entreprises qui commettent des abus. Il est vrai que, ces dernières décennies, on a beaucoup laissé les entreprises recourir au temps partiel, en leur accordant à ce titre un certain nombre d’avantages.
En particulier, le statut des heures complémentaires soulève une vraie difficulté. Il faudra le revaloriser pour faire en sorte que ces heures soient considérées un peu comme les heures supplémentaires pour un temps plein. C’est l’un des sujets sur lesquels les partenaires sociaux travaillent dans les conditions que j’ai indiquées tout à l’heure.
La question d’une meilleure prévisibilité et d’une plus grande amplitude des horaires se pose également, de même que celle d’un nombre minimal d’heures de travail. Ce plancher devra sans doute être déterminé branche par branche, parce qu’il est impossible d’appliquer la même solution à des situations différentes. Mais il n’est plus admissible que des personnes soient employées à des temps si réduits qu’elles n’ont pas accès à certains droits sociaux.
Si nous avons invité les partenaires sociaux à négocier sur la question du temps partiel, entendons-nous bien, cela ne signifie pas que l’État se décharge de ses responsabilités. En effet, le même principe qui s’applique dans les autres dossiers soumis à la négociation s’appliquera aussi dans celui-là, qui est fondamental à nos yeux : si les partenaires sociaux ne parviennent pas à se mettre d’accord, l’État prendra ses responsabilités.
C’est la raison pour laquelle j’ai dit tout à l’heure, sans avoir le temps d’être plus précise, que nous allions organiser, le 19 novembre prochain, une conférence de progrès sur le temps partiel. Ce sera un moment important, qui permettra d’examiner, dans toutes les branches concernées, les pratiques des entreprises qui recourent fortement au temps partiel.
Mais il s’agira aussi de se pencher sur les pratiques des donneurs d’ordre. En effet, si des horaires atypiques existent dans une branche comme la propreté, par exemple, c’est aussi parce que les donneurs d’ordre, qui sont parfois des collectivités territoriales ou l’État lui-même, réclament que les agents de propreté travaillent très tôt le matin, avant l’ouverture des bureaux !
Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Annie David manifestent leur approbation.
Mettre un terme à ces situations relève donc autant de la responsabilité de l’employeur que de celle du donneur d’ordre.
Merci, madame la ministre, de votre réponse.
Je crois que le développement du travail à temps partiel a effectivement été un facteur de précarisation généralisée dans le monde du travail et que les femmes en ont été les premières victimes.
Vous avez eu grandement raison de souligner que, si les partenaires sociaux ont des prérogatives et que la négociation est nécessaire, l’État a un rôle fondamental à jouer. En effet, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est une règle inscrite dans la Constitution ; il appartient donc au législateur que nous sommes d’en garantir l’application.
Je considère aussi que le développement continu du temps partiel devrait nous conduire à envisager que, pour les grandes entreprises coupables d’abus, les charges patronales soient équivalentes pour les temps partiels et les temps pleins. §
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons, l’écart moyen de salaires entre les femmes et les hommes stagne depuis le milieu des années 1990. À niveau égal de compétence, de diplôme et de responsabilité, il se maintient au pourcentage très élevé, et inadmissible, de 27 %, en moyenne. On sait également que les femmes représentent 83 % des emplois à temps partiel et occupent 60 % des postes en contrat à durée déterminée.
Dans la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, la question du traitement de la parentalité dans le contexte professionnel est centrale. En effet, si seulement 6 % des hommes vivent un changement dans leur situation professionnelle lors de l’arrivée d’un enfant, c’est le cas pour près de 40 % des femmes ! Par conséquent, il faudrait inciter les hommes à investir la sphère privée, afin que les femmes puissent davantage s’impliquer dans la sphère publique et professionnelle.
Les ajustements entre travail et vie familiale incombent majoritairement aux femmes et cela influe sur leur parcours professionnel. Ainsi, la discontinuité des carrières des femmes s’explique notamment par le fait qu’elles assument 80 % des tâches domestiques, ce qui représente, sur une année, dix-neuf semaines de travail en plus !
Pour aider leurs salariés à mieux articuler vie professionnelle et vie familiale, plusieurs types de mesures sont essentiellement mis en œuvre par les entreprises : prestations en nature, avantages financiers, parfois, et quelques mesures d’assouplissement des horaires.
Madame la ministre, comment comptez-vous encourager les entreprises à mieux prendre en charge la parentalité ? Que pensez-vous, en particulier, de la proposition contenue dans un rapport de l’inspection générale des affaires sociales et consistant à réformer le congé de maternité, actuellement de seize semaines, pour le découper en un congé de maternité de douze semaines pour la mère, suivi, pour l’accueil de l’enfant, d’un congé de quatre semaines à la fois pour le père et pour la mère, non fractionnable et non transférable entre les deux parents ?
Cela permettrait au père de s’impliquer davantage dans la vie domestique et familiale, et cela instaurerait un véritable partage de la responsabilité parentale.
Madame Archimbaud, je vous remercie de cette question, qui me permet de compléter mon propos de tout à l’heure puisque j’ai précédemment souligné cette spécificité française qui est liée à l’inégale répartition des tâches à la maison.
Depuis que je suis en charge du ministère des droits des femmes, je parle souvent, notamment avec les plus jeunes générations, de ces inégalités persistantes entre les hommes et les femmes, et j’entends souvent cette réponse qui m’amuse beaucoup : « Tu sais, dans mon couple, nous qui sommes trentenaires, nous avons des habitudes très différentes de celles de nos aînés, et il y a une forme d’égalité dans la répartition des tâches. »
Eh bien, j’invite toutes celles et tous ceux qui croient encore à cela à prendre connaissance des études réalisées sur le sujet. Elles démontrent que, comme vous l’avez vous-même souligné, madame Archimbaud, s’il existe une certaine égalité dans la répartition des tâches au début de la formation du couple, la situation change à l’arrivée des enfants, notamment du troisième, et l’on retrouve alors les 80 % des tâches effectuées par les femmes !
Un autre chiffre est intéressant pour illustrer mon propos, c’est celui du taux d’activité des femmes qui ont deux enfants en bas âge, dont un de moins de trois ans : il est de 67 % contre 97 % pour les hommes. C’est tout de même très révélateur !
Au moment de la Conférence sociale, nous avons essayé, avec les partenaires sociaux, de nous mettre d’accord sur ces questions de congés familiaux. Nous sommes parvenus à nous accorder sur trois principes que je vais vous exposer en réponse à vos questions.
Premièrement, il est absolument essentiel de maintenir et de sanctuariser le congé maternité, congé spécifique pour la mère de seize semaines, dont huit obligatoires, comme cela est prévu dans le droit actuel. §
J’en profite pour dire que nous prenons un certain nombre d’initiatives pour relancer la négociation sur la directive européenne relative au congé de maternité qui, vous le savez, est bloquée au niveau communautaire.
À leur retour de congé de maternité, les femmes pourraient aussi être davantage protégées. Dans le droit actuel, elles ne peuvent pas se faire licencier durant les quatre semaines qui suivent leur retour. Sans doute pourrions-nous étendre un peu ce délai, qui me semble trop court.
Deuxième principe important : il faut inciter les hommes à prendre leur congé de paternité plus qu’ils ne le font aujourd’hui. Tous les moyens seront bons. Faut-il aller jusqu’à l’obligation ? C’est une question que nous nous posons sérieusement. En tout cas, il faut les inciter.
Le troisième principe sur lequel nous nous sommes arrêtés concerne le congé parental de longue durée, qui peut aller jusqu’à trois ans. Il soulève des difficultés parce qu’il constitue à certains égards une trappe à inactivité pour les femmes, qui se retrouvent éloignées trop durablement du marché du travail et ont, de ce fait, du mal à y revenir.
Alors, comment faire pour mieux accompagner ces femmes pendant leur congé parental ? Par le biais de formations, notamment ; c’est ce que nous expérimentons dans certaines régions. Comment faire, surtout, pour que les hommes prennent une partie de ce congé parental ? Nous avons demandé aux partenaires d’y réfléchir.
Tous ces sujets sont évidemment en discussion. Ils sont aussi étroitement liés au nombre de places que nous pourrons créer pour l’accueil collectif des jeunes enfants. Cela passe par les crèches, ...
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. ... les crèches d’entreprise ou interentreprises et les assistantes maternelles.
Applaudissements
Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
Compte tenu de la situation que nous connaissons et que vous avez à nouveau décrite, ainsi que des importantes inégalités qui persistent, il faut, selon moi, encourager les dispositifs donnant la même chance aux femmes et aux hommes, car c’est bien une chance de progresser dans sa vie professionnelle tout en ayant une vie familiale équilibrée et la possibilité d’élever ses enfants de manière partagée.
Tel est le sens des propositions qui sont faites, sans toucher aux seize semaines de congé maternité. Il est simplement proposé d’ajouter quinze jours aux onze jours de congé pour les pères, afin que les deux parents aient un mois. Cela permettrait à la fois de faire évoluer les mentalités et d’améliorer la qualité de vie dans les entreprises. Nous aurions toutes et tous à y gagner, tant sur le plan culturel que sur un plan que je qualifierai de structurel.
Je me permets d’inviter tout le monde à respecter son temps de parole aussi scrupuleusement que possible, faute de quoi nos collègues qui doivent intervenir en dernier ne pourront pas bénéficier du temps de retransmission par la télévision.
La parole est maintenant à Mme Françoise Laborde.
Madame la ministre, c’est notamment grâce à Yvette Roudy, en 1983, que la bataille législative contre les inégalités professionnelles a été engagée dans notre pays. Vingt-six ans après, nous sommes ravis d’avoir avec vous un ministère de plein exercice.
Toutefois, à ce stade, multiplier les dispositifs législatifs contraignants ou incitatifs n’est sans doute pas le plus urgent. Il faudrait déjà appliquer l’existant !
Les efforts déployés n’ont pas suffi à briser le fameux « plafond de verre », cet ensemble d’obstacles qui empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités professionnelles.
Comment lever les freins qui maintiennent une représentation sociale inégalitaire du rôle des femmes dans notre pays ? Selon Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, « au moment de l’arrivée dans le monde du travail, il est déjà trop tard ». Je partage son diagnostic.
Le concours d’entrée à l’ENA illustre cette discrimination positive en faveur des hommes. Entre 2006 et 2010, 45, 5 % des candidats au concours externe étaient des femmes, alors que, après le grand oral, elles ne formaient plus que 34, 5 % des admis. Une ancienne présidente du jury tente une explication : les garçons sont, dès l’école primaire, plus couramment interrogés et mis en confiance à l’oral que les petites filles, invitées à se tenir discrètement sur la réserve.
Madame la ministre, ce sont bien les stéréotypes qui déterminent la représentation sociale du rôle des femmes. Pour les faire tomber, nous devons les combattre à la source et inculquer à tous les enfants le principe d’égalité entre les filles et les garçons. Le chantier de la refondation de l’école lancé par le ministre de l’éducation nationale est à cet égard une formidable occasion.
Dans cette perspective, deux grands axes doivent être privilégiés : la refonte complète du parcours d’orientation des élèves tout au long de la scolarité et l’introduction d’un module pédagogique spécifique dans le cursus de formation des enseignants.
Aussi, madame la ministre, je vous demande, avec les membres du groupe RDSE, quelles sont les propositions concrètes que vous comptez faire au ministre de l’éducation nationale pour aller dans ce sens.
Madame Laborde, je vous remercie de cette question qui me permet de revenir sur le travail que nous avons d’ores et déjà entrepris avec Vincent Peillon et le ministère de l’éducation nationale.
Bien entendu, je vous rejoins dans votre diagnostic : les choses se mettent en place dès le plus jeune âge. C’est donc bien dès le plus jeune âge qu’il faut agir à la fois sur les mentalités, les stéréotypes, les représentations qui cantonnent les femmes et les hommes, les filles et les garçons, dans des rôles bien spécifiques et souvent inégalitaires.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le fait qu’une fille est une fille et qu’un garçon est un garçon, car il existe évidemment une différence entre les sexes. Mais cette différence d’ordre physiologique ne justifie en rien les inégalités qu’elle engendre encore trop souvent aujourd’hui.
Il n’y a pas de raison, en particulier, d’apprendre dès le plus jeune âge aux petites filles à ne développer que certaines qualités ou à ne rêver que de certaines professions, restreignant ainsi leur panel de perspectives, qui est, de fait, bien plus contraint que celui des hommes. On le constate notamment au moment de l’orientation, lorsque se dessinent les destins professionnels, puis plus tard, puisque la moitié des femmes actives sont finalement concentrées sur seulement douze des quatre-vingt-sept familles professionnelles.
Il est une difficulté que nous devons prendre à bras-le-corps : apprendre l’égalité, cela passe aussi par les enseignants. Mais il n’est pas simple de déconstruire les stéréotypes avec lesquels on vit toute la journée ! Aussi, dans la future loi sur la rénovation de l’école, la formation des enseignants comprendra-t-elle un module de déconstruction des stéréotypes non seulement pour les enseignants, mais aussi pour tous les personnels d’orientation et de direction des établissements scolaires.
Il faut également apprendre l’égalité aux élèves, et cela dès le plus jeune âge. C’est pourquoi j’aime beaucoup l’expérimentation qui a lieu à la crèche Bourdarias de Saint-Ouen, où l’on traite les petits garçons et les petites filles de la même manière, et où on leur apprend à jouer avec les mêmes jeux.
Un peu plus tard, au collège, au lycée, il convient de parler d’éducation à la sexualité, afin de traduire l’égalité dans les faits et pas simplement dans la loi. §
Je vous remercie, madame la ministre. Compte tenu du temps qui m’était imparti, je n’avais pas abordé le problème de la petite enfance. Mais nous sommes d’accord pour dire que le changement des mentalités ne sera possible que si la « bonne éducation » – j’entends par là celle qui permet de lutter contre les stéréotypes de genre – est entreprise dès le départ dans la famille, à la crèche, chez la nourrice et, bien sûr, à l’école maternelle si elle prend ensuite le relais.
Madame la ministre, mes chers collègues, ma question s’inscrit dans les pas de mes prédécesseurs, ou plutôt de mes« prédécesseures », puisque seules des femmes ont posé des questions.
Nous constatons toutes que les inégalités persistent : différences de salaires, emplois plus précaires, accession plus difficile à des postes de responsabilité dans les entreprises et différence dans la répartition des tâches...
On l’a dit précédemment, tout cela repose sur un problème de stéréotypes inculqués dès le plus jeune âge. C’est pourquoi je voudrais revenir sur un sujet qui, vous le savez, me tient à cœur, celui de l’hypersexualisation des enfants.
Ce sujet ne renvoie pas seulement au problème des petites lolitas, où l’on pourrait voir un jeu sans danger. Il renvoie plus lourdement à une question de société. Certes, des problèmes individuels ou psychoaffectifs peuvent se poser. Mais il ne servira à rien de parler, demain, d’égalité salariale si nous ne faisons rien pour combattre ces différents stéréotypes qui se retrouvent non seulement à l’école, mais surtout dans les jeux vidéo, les dessins animés, les clips vidéo et les magazines pour jeunes filles.
Sur ce sujet de l’hypersexualisation, nous avions fait des propositions extrêmement précises qui ont été beaucoup discutées au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Notre objet était d’ailleurs moins l’hypersexualisation que la lutte contre les inégalités qui sont inculquées dès le plus jeune âge.
Madame la ministre, j’aimerais savoir si vous comptez reprendre ces différentes propositions, non seulement celles qui viennent d’être évoquées, à savoir la nécessité d’« asexuer » les livres scolaires et l’éducation dans son ensemble, et de permettre une orientation plus équilibrée entre les garçons et les filles, mais peut-être aussi de mettre un terme aux excès que sont les concours de « mini Miss », lesquels n’existent pas au masculin ! §
Madame Jouanno, je sais que la question de l’hypersexualisation des petites filles est un sujet qui vous préoccupe, et à raison. J’ai évidemment pris connaissance du rapport que vous avez remis à Mme Bachelot-Narquin sur cette question. Je vous remercie d’ailleurs de me l’avoir adressé.
Vous dénoncez l’érotisation du corps d’enfants sans repères, lesquels sont amenés à adopter des comportements d’adulte, ce qui est bien évidemment dévastateur au regard de leur développement personnel. Un tel phénomène concerne d’ailleurs aussi bien les petites filles que les petits garçons, il faut le souligner. En effet, certaines exigences pesant sur les garçons – on attend d’eux qu’ils se conforment à un certain nombre de clichés gravitant autour des idées de virilité et de domination – peuvent aussi, parfois, engendrer malaise ou souffrance.
Vous formulez un certain nombre de recommandations qui associent des mesures d’interdiction, d’information et de sensibilisation.
Sachez que nous sommes en train d’expertiser juridiquement la question de l’interdiction. Nous reparlerons donc très prochainement avec vous de ces questions, en particulier des concours de beauté, qui soulèvent un certain nombre de problèmes.
Dans votre rapport, vous insistez surtout, comme nous le faisions à l’instant, sur la nécessité d’une éducation à la sexualité, au sens large du terme. Il s’agit en réalité d’une éducation au respect, à l’égalité des sexes, à la dignité, éducation qui fait cruellement défaut aujourd’hui dans le cadre scolaire, les dispositions de la loi du 9 mai 2001 n’étant pas appliquées en la matière.
Font également cruellement défaut, dans les médias et la publicité, des messages positifs sur ces sujets.
J’ai relevé que les agences de régulation, qu’il s’agisse du Conseil supérieur de l’audiovisuel, de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité ou de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, s’intéressent à une seule dimension, celle de la dignité. Elles n’arrêtent la diffusion d’images que si elles estiment que celles-ci portent atteinte à la dignité des femmes. Il faut désormais qu’elles prennent également en compte les messages sexistes et vecteurs de stéréotypes, comme celui de la domination masculine sur le corps des femmes.
Telles sont donc nos pistes de réflexion, dont nous aurons l’occasion de reparler.
Madame la ministre, vous pouvez vous appuyer sur la charte nationale, élaborée par Roselyne Bachelot-Narquin, pour l’amélioration de l’image des femmes dans les médias, qui visait à faire évoluer l’ensemble des instances de régulation, ce qui n’est pas toujours très simple.
Aujourd’hui, la France n’est pas encore massivement touchée par ce problème d’hypersexualisation, mais il n’existe aucune barrière qui résistera durablement aux stratégies de marketing s’appuyant sur un tel ressort. La Grande-Bretagne a fait de ce sujet une priorité nationale, portée par le Premier ministre lui-même.
Il est de notre responsabilité collective de ne pas enterrer ce sujet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite profiter de cette séance de questions cribles thématiques pour mettre en lumière la faible représentation des femmes dans le secteur culturel, en particulier dans le spectacle vivant.
En 2005, le ministre Renaud Donnedieu de Vabres s’étonnait : « Est-il normal que, sur les trente-huit directeurs de centres dramatiques nationaux et régionaux, on ne compte que trois femmes ? »
Qu’en est-il aujourd’hui ? Je citerai quelques chiffres : 4 % des maisons d’opéra et 9 % des centres dramatiques sont dirigés par des femmes ; celles-ci occupent 18 % des postes de direction de l’administration culturelle et seulement 5 % des directions de concerts. Le talent ou le génie créateur seraient-ils l’apanage des hommes ?
Selon le rapport de Reine Prat publié en 2009 à la demande du ministère de la culture, ces inégalités entraînent, entre autres conséquences, un gâchis de compétences et donnent naissance à des représentations artistiques véhiculant des stéréotypes.
Lorsque j’étais adjointe chargée de la culture à la mairie de Rouen, j’avais personnellement veillé à ce que, à compétences égales, les candidats sélectionnés pour les jurys aux postes de direction de conservatoire à rayonnement régional et du centre dramatique régional soient aussi bien des femmes que des hommes.
Selon moi, il revient à l’État ou aux élus non pas d’intervenir au niveau de l’acte artistique, mais de garantir un égal accès aux fonctions de décision, aux moyens de production et aux réseaux de diffusion.
La résolution du Parlement européen du 10 mars 2009 sur l’égalité de traitement et d’accès entre les hommes et les femmes dans les arts du spectacle invite les États membres « à envisager une première étape réaliste dans la lutte contre les inégalités dans les arts du spectacle, consistant à assurer la présence d’au moins un tiers de personnes du sexe minoritaire dans toutes les branches du secteur. »
Comment pensez-vous, madame la ministre, faire appliquer cette recommandation ?
Par ailleurs, en 2008, un projet d’« assises nationales pour l’égalité dans les arts et la culture » avait été lancé, ainsi qu’une « charte pour l’égalité dans les arts et la culture ». Je pense qu’il serait utile de les mettre en œuvre
Vous le savez, tout le secteur culturel s’est récemment mobilisé sur cette question, et ce n’est pas notre collègue Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, qui me contredira. Il est en effet inadmissible que de telles inégalités persistent
Madame la sénatrice, cette séance de questions cribles thématiques est décidément l’occasion de constater que les stéréotypes et les inégalités sont partout, y compris dans un domaine où l’on ne les attendait pas particulièrement. On aurait pu en effet imaginer la culture comme un secteur plus en phase avec son temps et donc plus égalitaire !
Aux chiffres que vous avez cités et qui sont déjà suffisamment parlants, j’ajouterai néanmoins un élément qui ne laisse de m’étonner : les spectacles mis en scène par des femmes récoltent généralement des subventions moins importantes que ceux qui sont mis en scène par des hommes… Comme si les femmes pouvaient faire des miracles avec moins de moyens !
Le problème que vous évoquez est d’autant plus important que les chiffres n’ont pas évolué. Ainsi, plus de 80 % des directeurs d’institution dans le domaine du spectacle vivant étaient, l’année dernière encore, des hommes.
Comment agir ? Tout au long du mois de septembre, j’ai réuni mes collègues ministres au sein de conférences de l’égalité, où nous avons évoqué, politique sectorielle par politique sectorielle, les moyens de mieux favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes.
Avec la ministre de la culture, dont je tiens à souligner l’implication sur ce sujet, nous avons d’ores et déjà établi une feuille de route. Parce qu’il m’est difficile de la rendre entièrement publique aujourd’hui, je vous donnerai simplement un exemple.
Pour relancer une dynamique de rattrapage en termes d’égalité entre les femmes et les hommes, nous souhaitons atteindre sans délai, en allant au-delà des obligations fixées par la loi, le seuil de 50 % de femmes nommées aux postes de direction des établissements publics et au sein des conseils d’administration.
Par ailleurs, qu’il s’agisse des rémunérations, des nominations aux postes de direction, de la programmation ou du niveau des subventions, une exigence d’égalité sera systématiquement prescrite dans les cahiers des charges, les contrats d’objectifs et les conventions avec les institutions culturelles.
Par ce type de mesures, nous voulons créer un véritable choc. §
Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions.
J’ai particulièrement insisté sur la situation dans le spectacle vivant, mais j’aurais pu faire de même pour ce qui est du secteur de l’audiovisuel. À cet égard, nous sommes satisfaits qu’une femme, Marie-Christine Saragosse, ait été nommée à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France. Sous la précédente mandature, nous avions déjà pu nous féliciter de la nomination de Véronique Cayla à la présidence d’Arte.
Pour autant, puisque vous avez évoqué les médias dans votre réponse à Mme Jouanno, j’aurais aimé avoir votre assurance que sera bien maintenue la commission de réflexion sur l’image des femmes dans les médias, présidée par Michèle Reiser et connue notamment pour un rapport fait en son nom par Brigitte Grésy. Cette instance fait un travail extrêmement approfondi en vue de sensibiliser l’ensemble du secteur des médias à ce sujet.
Notre assemblée est elle-même très attentive à cette question. Ainsi, en 2009, lors de l’examen du projet de loi sur la télévision publique, j’avais proposé, en tant que rapporteur, l’introduction en préambule du texte du principe de l’égalité des genres. Nous sommes tous, sur ces travées, très désireux que pareille évolution puisse être mise réellement en œuvre.
Vous ne serez pas étonnée, madame la ministre, que je vous interroge à mon tour sur l’égalité professionnelle, tant il s’agit à mes yeux d’un sujet prioritaire, prégnant et grave.
Aujourd’hui encore, l’inégalité salariale est une réalité : l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes est de 27 %, dont 9 % relèvent de la pure discrimination. Chacun sait à quel point l’embauche, la mobilité, la promotion, les conditions de travail et la formation sont des questions mal résolues, concernant notamment les femmes, dans le monde de l’entreprise. D’où la persistance du « plafond de verre », ou « plancher collant », comme le désignent nos amis canadiens.
Ce phénomène existe malheureusement aussi dans les trois fonctions publiques, où sévissent des inégalités non pas salariales, mais de revenus, dans la mesure où les femmes tendent à occuper des fonctions moins bien rémunérées. Et le constat est dramatiquement le même après plusieurs années : j’avais commis un rapport sur le sujet en 2000 et, depuis, les chiffres semblent n’avoir quasiment pas changé.
Plusieurs collègues l’ont dit avant moi, le sujet doit être traité non seulement dans le monde du travail, mais aussi en amont. J’adhère totalement aux propos tenus par Mme Laborde pour ce qui est de l’éducation nationale. Dans la mesure où les enseignants sont majoritairement des femmes, la question doit être traitée à tous les niveaux, de l’école maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur.
L’articulation des temps de vie mérite également d’être étudiée. Nous avons beaucoup parlé des descendants. N’oublions pas les ascendants, car ce sont aussi les femmes qui s’occupent des aînés, parents ou beaux-parents, grands-parents…
Puisqu’il conviendra, à l’évidence, de réformer le congé parental, attachons-nous au fond : il ne pourra être partagé entre les hommes et les femmes que si nous arrivons, d’abord, à garantir l’égalité salariale. Dès lors que, dans un couple, la différence de revenus atteint 30 %, le choix est vite fait !
Je voudrais évoquer à mon tour l’ensemble des stéréotypes nourris par le monde de la publicité ou des jeux.
Madame la ministre, je vous poserai donc simplement trois questions.
Premièrement, le sujet de la féminisation et de la représentativité des hommes et des femmes est-il traité dans le cadre des négociations sociales ?
Deuxièmement, des mesures, spécifiques ou plus globales, sont-elles prévues pour accompagner les entreprises qui font des efforts substantiels en vue de mettre en œuvre des plans d’égalité ?
Troisièmement, compte tenu du fait que l’inégalité professionnelle est un sujet particulièrement prégnant dans notre société, ne serait-il pas opportun d’envisager une loi-cadre ? L’objectif n’est pas tant de prévoir des mesures législatives sur chaque aspect de la question que de faire prendre conscience à notre pays qu’il s’agit encore et toujours d’une priorité. §
Madame la sénatrice, que puis-je vous apprendre, à vous qui connaissez parfaitement le sujet ?
Sans revenir sur le diagnostic, je m’attacherai à vous préciser les points d’accord que nous avons conclus avec les partenaires sociaux, au terme de la grande Conférence sociale, laquelle a servi à élaborer notre feuille de route.
Oui, dans la liste des faiblesses et des fragilités qui expliquent pourquoi, malgré la dizaine de lois votées en faveur de l’égalité professionnelle, l’écart de rémunération persiste aujourd’hui, il en est une qui peut être imputable aux organisations syndicales. Celles-ci ont en effet tellement de priorités à défendre que l’égalité professionnelle n’est pas forcément toujours en tête de leur « liste de courses ».
Concrètement, au sein des entreprises, les instances représentatives du personnel, les IRP, n’incluent pas forcément ce sujet dans leurs priorités et n’interpellent pas toujours l’inspection du travail pour un contrôle sur place, pourtant prévu dans le cadre du mécanisme légal actuel.
Cela pose la question de la hiérarchisation des priorités et, peut-être aussi, celle de la représentativité de ces IRP, car, là encore, l’équilibre entre les femmes et les hommes n’est pas toujours atteint. C’est un sujet dont discuteront aussi les partenaires sociaux au cours de la négociation que j’évoquais.
Vous avez raison, madame la sénatrice, il est important que les dirigeants d’entreprise puissent sentir peser au-dessus de leur tête la menace d’une sanction, si possible effective. Je profite de cette occasion pour dire une nouvelle fois que nous allons modifier le décret d’application de la loi, afin de rendre le dispositif de contrôle du respect des obligations incombant aux entreprises de plus de cinquante salariés beaucoup plus opérant qu’il ne l’est aujourd’hui : les sanctions doivent tomber lorsqu’il le faut.
Avoir un dispositif répressif, c’est important mais, dans le même temps, il faut accompagner les entreprises, en particulier les PME, car l’égalité professionnelle ne se réalise pas si simplement que cela.
Des expérimentations sont menées dans neuf régions. L’une des opérations menées consiste à réunir les quinze plus grandes entreprises les plus exemplaires en matière d’égalité professionnelle pour leur demander de faire un travail spécifique en direction de leurs PME fournisseuses et sous-traitantes : nous souhaitons qu’elles puissent mettre à la disposition de ces dernières à la fois l’expertise et les outils qu’elles-mêmes ont su adopter pour assurer l’égalité en leur sein, dans l'objectif de faire dupliquer leur démarche dans ces PME avec lesquelles elles ont un lien si étroit.
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Puisque nous imposons aux entreprises de produire des rapports de situation comparée dans le domaine de l’égalité professionnelle, nous pourrions demander que les conseils d’administration de l’éducation nationale produisent également des rapports de situation comparée sur l’orientation des filles et des garçons. Je ne demande pas que chaque filière compte autant de filles que de garçons, mais ces rapports permettraient peut-être d’avoir une connaissance précise de la manière dont sont orientés les unes et les autres au cours de leur cursus éducatif.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 12 mars 2012 relative à la précarité dans la fonction publique contient un volet spécifiquement consacré à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Entré en vigueur le 2 mai dernier, ce dispositif prévoit notamment la nomination graduelle, jusqu’à 2018, de 40 % de femmes aux postes dirigeants et supérieurs des trois fonctions publiques – d’État, territoriale et hospitalière –, ainsi que des pénalités financières pouvant atteindre 90 000 euros par poste qui n’aurait pas été attribué, comme il aurait dû l’être, à une femme.
Le 27 juin, un décret a renforcé ce volet législatif en procédant à la nomination auprès de chaque ministre d’un haut fonctionnaire chargé de veiller au bon déroulement du processus paritaire de ces nominations.
Cette mesure, madame la ministre, traduit une volonté comparable à celle du précédent gouvernement : imposer des femmes dans les plus hautes sphères publiques, qui sont aujourd’hui très largement peuplées d’hommes. En effet, les femmes n’occupent que 21, 4 % des postes de direction alors qu’elles représentent 54 % des fonctionnaires.
Mais cette volonté est-elle bien réelle ? Depuis mai 2012, les nominations de hauts fonctionnaires ne vont pas dans ce sens.
Je citerai trois exemples frappants : sur 31 nominations de préfet, on compte 28 hommes et 3 femmes ; sur 6 nominations de recteur d’académie, 4 hommes et 2 femmes ; enfin, au sein de notre réseau diplomatique, une seule femme a été accréditée ambassadeur, contre 8 hommes.
Madame la ministre, vous avez dit votre intention de dresser un premier bilan de ce dispositif à la fin de 2012. Je ne doute pas de votre détermination. Toutefois, au vu de ces premières nominations, je souhaite vous interroger sur ce décalage entre les mesures législatives et réglementaires et la volonté affichée. Comment envisagez-vous de rétablir l’équilibre entre ces nominations, et en avez-vous les moyens ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.
Madame la sénatrice, vous soulevez une question importante. Nous pouvons nous accorder sur un principe simple : l'État ne sera pas fondé à émettre le moindre jugement sur la situation du secteur privé en matière de parité s'il n'est pas lui-même exemplaire.
Pour ma part, et même si je ne suis pas du même bord politique que vous, j'estime que la loi Sauvadet est un très bon texte. Nous nous sommes engagés non seulement à l’appliquer, mais aussi à anticiper le calendrier d’entrée en vigueur des dispositions qu’elle contient. Comme vous l'avez rappelé, cette loi prévoit que, d’ici à 2018, les femmes occuperont 40 % des postes de direction de la fonction publique. Le Premier ministre, qui a souhaité mobiliser l'ensemble du Gouvernement sur ce sujet, a adressé le 23 août dernier une circulaire à l’ensemble de ses ministres dans laquelle il demande que l'État soit exemplaire s’agissant des nominations aux emplois dirigeants et supérieurs et que le seuil minimal fixé par la loi soit atteint avant le terme de la mandature.
Cela signifie que la parité va devoir rapidement progresser. Je ne vous dirai pas que c’est chose facile. J’interviens régulièrement en conseil des ministres sur les nominations pour demander que le mouvement en faveur de la parité s’accélère, mais vous savez aussi bien que moi combien les choses sont rendues compliquées par l'absence de ce fameux vivier. C'est l’argument qu’opposent régulièrement les différentes administrations, et il faut bien convenir qu’il n’est pas dénué de tout fondement. Certes, des coups de pouce ponctuels sont nécessaires pour atteindre les objectifs, mais, en même temps, il faut penser à l'avenir en constituant un vivier de jeunes femmes considérées comme particulièrement prometteuses et faire en sorte qu'elles puissent monter en grade jusqu'au niveau n-1, avant qu’elles n’accèdent à un poste de direction.
Sachez en tout cas, madame la sénatrice, que nous avons décidé d'être très transparents sur ces questions puisqu'un suivi de ces nominations sera réalisé chaque semestre et qu'un bilan annuel sera présenté en conseil des ministres à la fin de chaque année civile, bilan qui sera rendu public sur le site Internet du Gouvernement. Vous pourrez constater que notre volonté n’est pas de faire en sorte qu’il y ait simplement davantage de femmes chefs de bureau, mais bien qu'il y ait davantage de femmes aux postes de cadre dirigeant.
M. Jean-Pierre Sueur applaudit.
Mme la ministre, vous parlez d'un vivier. Faut-il disposer d’un vivier ?
C'est un discours qu'on entend régulièrement en politique et nous, les femmes politiques ici présentes, savons bien que, quel que soit le parti, la réponse est toujours la même : « La parité, oui, mais on ne trouve pas de femmes compétentes ! » Je ne crois pas que ce soit vrai !
L'administration compte autant de femmes que d’hommes diplômés de l'enseignement supérieur ; il n'empêche que ce sont des hommes qu'on nomme !
Vous parler de « repérer » les femmes ; mais elles seront « repérées » par qui ? Par les hommes qui exercent déjà les fonctions de direction ? Dans ce domaine, des efforts doivent être faits et il faudrait que la responsabilité de repérer les futures potentialités n’incombe pas aux hommes en fonction. À défaut, en dépit de la bonne volonté des uns et des autres, les choses n’avanceront pas.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quoique ce sujet ait été abordé dans une question précédente, ma question portera sur le rôle de l’école dans les choix d’orientation professionnelle des filles.
En effet, on constate que, si les jeunes filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons jusqu’au baccalauréat, elles sont ensuite moins nombreuses à s’engager dans des filières sélectives, par exemple les classes préparatoires, ou dans des études supérieures scientifiques.
Ainsi, les filles représentent moins de 30 % des effectifs de l’École nationale d’administration et 13, 6 % des élèves de l’École polytechnique. Les formations scientifiques, quant à elles, ne comptent que 25 % de femmes.
Certes, nous constatons que, dès leur plus jeune âge, l’engouement des filles pour certains métiers diffère de celui des garçons, mais de tels chiffres s’expliquent surtout par des facteurs sociaux. Force est d’admettre qu’il existe des modèles, une culture familiale en vertu desquels les jeunes filles s’orientent vers des carrières différentes.
L’école a un rôle important à jouer pour lutter contre ce phénomène. Tout d’abord, les manuels scolaires doivent être un outil de transmission d’une culture de l’égalité, car c’est dès le plus jeune âge qu’il faut combattre les idées reçues. Or, trop souvent, les manuels renforcent les stéréotypes, montrant les femmes uniquement dans la sphère familiale ou cantonnées dans certains métiers.
Il faudrait sensibiliser davantage les enseignants à ces questions au cours de leur formation initiale.
De même, les conseillers d’orientation dans les collèges ou lycées devraient encourager davantage les filles à se renseigner sur les professions considérées traditionnellement comme masculines et sur l’ensemble des filières du supérieur.
C’est à la source que nous combattrons le mieux l’inégalité professionnelle persistant dans notre société. Puisque le Gouvernement a déclaré engager une réforme d’ampleur de l’école, pourriez-vous nous dire, madame la ministre, ce que vous envisagez de faire à ce sujet ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.
Madame Mélot, permettez-moi de revenir d’abord très rapidement sur la question précédente et d’apporter un complément à la réponse que j’y ai faite afin de lever, si nécessaire, tout malentendu sur la notion de vivier.
Moi non plus, madame Procaccia, je n'aime pas qu'on se réfugie derrière cette expression pour ne rien faire. Cette notion de vivier revêt une signification bien précise. Au cours d’une carrière professionnelle, c'est généralement entre 30 et 40 ans que se constituent les viviers de celles et de ceux qui pourront par la suite accéder à des postes de haute responsabilité. Or c'est précisément à cette période de leur vie professionnelle que les femmes, en raison d’événements liés à leur vie familiale, par exemple un congé de maternité ou un congé parental, seront moins présentes que les hommes dans les processus de promotion.
Par conséquent, se poser la question du vivier, c'est notamment envisager de revoir les règles de promotion en fonction des postes. À titre d’illustration, pour devenir préfet, il faut avoir satisfait à telle ou telle exigence, avoir occupé des postes d'encadrement, etc. Toutes ces règles, tous ces processus ne sont-ils pas nuisibles, d’une certaine façon, aux femmes, ne les lèsent-ils pas, dans la mesure où elles ont été sans doute plus absentes que les hommes entre 30 ans et 40 ans ?
J’en viens maintenant à votre question, madame Mélot.
Finalement, lutter contre les stéréotypes en s’appuyant sur l'éducation nationale, c'est sans doute la meilleure façon de parvenir globalement à l’égalité.
J'évoquais tout à l'heure la formation indispensable des enseignants. Beaucoup d'entre vous ont souligné l'inégale répartition des filles et des garçons entre les filières de métiers et, de fait, je n'ai pas assez insisté sur le rôle des personnels d'orientation. On peut se demander non seulement s’il ne règne pas une certaine une forme d'autocensure dans les familles dès lors qu’il est question des perspectives professionnelles des filles, mais également si le discours tenu par les personnels de l'orientation est suffisamment affirmé pour contrecarrer cette autocensure ?
Au-delà de la formation des professionnels et de la formation à l’égalité des enfants, se pose la question de tous ces outils dont disposent ces derniers, notamment les manuels scolaires ou les jeux destinés aux plus jeunes.
Il est clair que les manuels scolaires véhiculent un certain nombre de clichés. Certes, ce n’est pas l'État qui les rédige : leur contenu relève de la responsabilité des éditeurs. Mais Vincent Peillon et moi-même nous sommes engagés dans une démarche vis-à-vis des éditeurs de manuels afin de leur faire prendre conscience des images et des stéréotypes qu'ils confortent et de les inciter à évoluer à cet égard. §
Je vous remercie, madame la ministre, des éléments de réponse que vous m’avez apportés en complément des différentes propositions que vous avez détaillées tout à l’heure.
Il faudra insister sur l'orientation et présenter aux filles tout le panel de possibilités qui s’offrent à elles, y compris les formations auxquelles elles ne penseraient pas spontanément. Il faut surtout leur démontrer qu'elles sont capables d’embrasser toutes sortes de carrières.
Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 octobre 2012, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 631-5 du code de commerce (procédure de redressement judiciaire) (2012-286 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 18 octobre 2012, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution la Cour de cassation avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du II de l’article 6 de la loi n° 2011–1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée (validation législative des rémunérations perçues) (2012–287 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de ces communications.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 23 octobre 2012 de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961, présentée en application de l’article 34–1 de la Constitution par Mme Éliane Assassi et les membres du groupe CRC (n° 311, 2011-2012).
2. Proposition de loi relative aux conditions d’exploitation et d’admission des navires d’assistance portuaire et au cabotage maritime, et à l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes de cabotage, à l’intérieur de la République française, présentée par Mme Isabelle Pasquet et des membres du groupe CRC (n° 483, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Évelyne Didier, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique (n° 49, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 50, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à seize heures.