La commission a procédé à l'audition de Mme Francine Mariani-Ducray, directrice des musées de France au ministère de la culture et de la communication, et M. Henri Loyrette, président-directeur de l'Etablissement public du Musée du Louvre.
a rappelé que la politique menée par les musées nationaux en matière de coopération et d'échanges internationaux avait fait l'objet récemment d'une confrontation de points de vue par voie de presse.
La commission a souhaité rencontrer successivement les principaux protagonistes de ce débat pour mieux connaître leurs arguments. La présente audition devrait ainsi permettre d'entendre le point de vue du ministère de la culture et celui du musée du Louvre sur la politique que doit conduire l'Etat en ce domaine.
a résumé les grands traits de ce que l'on pouvait connaître de la coopération envisagée avec l'émirat d'Abou Dhabi, compte tenu du fait que ce projet était encore en cours de négociation.
Elle a indiqué que les autorités émiriennes souhaitaient constituer, dans une « Ile des musées », un musée, disposant à terme de collections propres et ayant pour vocation de rendre compte de l'histoire des arts et des civilisations dans toutes les parties du monde.
Elle a ajouté que ces autorités ont choisi d'adresser à la France une demande de coopération globale pour les aider dans la réalisation de ce qui s'apparente à un musée national de type universel.
Elle a ensuite décrit les différentes composantes de ce projet global de coopération :
- l'élaboration rapide, en moins d'un an, d'un projet scientifique et culturel d'autant plus ambitieux que les autorités d'Abou Dhabi, après avoir évoqué dans un premier temps la création d'un musée « classique », se sont finalement fixées pour objectif la création d'un musée universel ;
- une mission de conseil portant sur la constitution progressive d'une collection propre au musée par voie d'acquisitions réalisées dans le respect de nos exigences déontologiques, de façon à garantir tant la qualité des oeuvres recherchées que la parfaite licéité des sources ;
- un appui à l'élaboration des structures tant administratives que scientifiques des musées, notamment en matière de recrutement, de formation et de sélection des conservateurs, dans la perspective d'une ouverture du musée en 2012 ;
- sans aller jusqu'à une véritable assistance à la maîtrise d'ouvrage, du moins une mission de conseil assez poussée pour la conception du bâtiment, déjà confiée par les autorités d'Abou Dhabi à l'architecte Jean Nouvel ;
- un partenariat muséal comportant deux axes principaux : l'élaboration et la production d'expositions temporaires pendant une durée de 15 ans après l'ouverture du musée ; des prêts d'oeuvres d'une importance décroissante sur dix ans pour alimenter les galeries permanentes ;
- enfin, ce qui constitue un geste politique : l'autorisation d'utiliser l'emblème du Louvre pendant 20 ans.
a estimé que ce projet ambitieux, d'autant plus intéressant qu'il se réclamait d'une exigence de qualité à la française, demeurait cependant à l'échelle de ce que nous pouvons faire sans affaiblir nos collections, à condition toutefois de faire appel à l'ensemble des musées nationaux, d'où l'idée de constituer une agence qui serait l'émanation des différents établissements publics nationaux intéressés, de la réunion des musées nationaux et de l'Etat lui-même.
Elle a relativisé l'importance des prêts envisagés, qui pourraient porter sur quelques centaines d'oeuvres chaque année au regard des quelque 10.000 oeuvres qui font chaque année l'objet d'un prêt.
Elle a jugé que de nombreux musées relevant des collectivités territoriales pourraient en effet trouver un intérêt culturel à participer à cette coopération, qui s'accompagnera, en outre, de contreparties financières non négligeables.
Elle a précisé que les contreparties financières actuellement en discussion devraient, en tout état de cause, comporter :
- une contrepartie globale correspondant à l'usage du nom du Louvre ;
- une rémunération des services rendus au titre des activités de conseil ;
- une contrepartie correspondant au montage des expositions temporaires ;
- enfin, une contrepartie globale pour la mobilisation des prêts d'oeuvres destinés aux galeries permanentes, prêts dont la durée variera de six mois à deux ans en fonction des oeuvres.
a estimé que le projet de coopération soulevait une question à laquelle réfléchissent aujourd'hui tous les grands musées du monde, et plus particulièrement ceux qui sont des musées dits « universels ».
Estimant que le débat actuel confinait parfois au fantasme, il s'est interrogé sur son objet véritable. Evoquant les critiques portant sur la fourniture d'expositions, il a rappelé que l'organisation d'expositions « mécénées » était une pratique courante et bien admise depuis plusieurs années déjà, distincte des locations d'oeuvres individualisées que pratiquent seuls quelques musées américains.
Abordant ensuite les critiques qui portent sur le rôle en quelque sorte diplomatique du Louvre, il a estimé que celui-ci se rattachait à sa vocation première, issue d'un mouvement de pensée né au siècle des Lumières, consacré par la Révolution, puis par l'Empire : celui d'un musée à vocation universaliste, qui doit à la fois assurer la conservation des oeuvres d'art et les mettre au service de l'ensemble de la Nation. C'est à cette vocation nationale qu'il a rattaché la politique de prêt d'oeuvres en direction des musées nationaux en régions, et le projet d'ouverture du Louvre à Lens.
Dans le droit fil de la notion de « République des lettres » créée au XVIIIe siècle et de celle de « part sacrée » évoquée par Chaptal, il a estimé que le Louvre ne devait pas renier la dimension universelle de sa vocation qui le conduit déjà à prêter des oeuvres à des musées étrangers et à tisser des partenariats précieux, par exemple en matière d'archéologie, notamment avec des pays des Proche et Moyen-Orient.
Il a jugé nécessaire de combattre toute tentation de repli et de diversifier les partenariats avec des institutions étrangères, en acceptant de mettre à leur disposition nos compétences et nos collections.
Un débat a suivi ces exposés.
a rappelé que celle-ci préparait actuellement un rapport consacré aux relations qui unissent l'Etat à quelques grands établissements publics culturels, dont le musée du Louvre, avec le souci de vérifier, notamment, dans quelle mesure ces établissements, qui constituent en quelque sorte la « force de frappe » du ministère de la culture, s'inscrivaient bien dans le cadre des politiques définies par l'Etat, ou si leur action tendait à s'en affranchir au gré des personnalités qui les dirigent.
Il a estimé que, dans le cas présent, l'épreuve avait eu le mérite de montrer que le Louvre et le ministère de la culture étaient bien sur une ligne identique.
Tout en estimant qu'il conviendrait d'examiner avec attention le contenu des accords, il a jugé très positif un projet qui permet à la France d'exporter son savoir-faire et d'étendre le rayonnement du Louvre. Confiant dans la qualité des négociateurs, il s'est déclaré favorable à un projet qui ne devrait pas « dépeupler » les collections des musées nationaux.
a estimé que le débat actuel soulevait la question de savoir dans quelle mesure la France avait encore l'ambition de son rayonnement culturel. Il a jugé très positif que l'on fasse aujourd'hui appel à nos compétences pour réaliser un lieu culturel de toute première importance, considérant que c'était une chance pour notre pays d'être présent dans cette région du monde. Tout en soulignant que la polémique actuelle avait eu le mérite de permettre de mieux cerner la nature et l'importance du projet, sans pour autant lui inspirer, a priori, d'inquiétude majeure, il a demandé cependant davantage d'assurances sur le fait que les prêts envisagés ne porteraient pas atteinte à l'attractivité des collections présentes dans les musées français. Il a regretté le tabou qui frappe les questions d'argent, dès lors qu'on parle de culture, car cette attitude a contribué à retarder l'émergence en France d'une politique du mécénat ayant vocation, non à se substituer à l'Etat, mais à compléter les efforts qu'il consent. Il a donc invité les autorités françaises à persévérer dans la conduite d'un projet qui constitue une chance et un enjeu important en termes de recettes comme de rayonnement culturel.
Déplorant le ton inhabituel pris, dès l'origine, par le débat public, M. Ivan Renar a regretté que le ministère de la culture n'ait pas, sur ce sujet sensible, pris les devant pour organiser un débat de fond devant le Parlement. Il a rappelé que les projets de création du Louvre à Lens ou du musée Georges Pompidou à Metz avaient également suscité des critiques qui témoignaient de la nécessité d'un vrai débat. Tout en jugeant indispensable de se montrer vigilant à l'égard de tout risque de marchandisation de la culture, il a insisté sur l'intérêt de rappeler l'influence de l'esprit des Lumières dans la vocation du musée du Louvre. Il s'est interrogé sur le malaise que pouvaient rencontrer les conservateurs face aux métamorphoses des conditions d'exercice de leur métier. Enfin, faisant part de la fierté que lui avaient d'abord inspirée les projets avec Atlanta et Abou Dhabi, qui lui paraissaient de nature à humaniser la mondialisation et à contribuer au rayonnement de la France, il a indiqué que le débat avait fait évoluer sa réflexion et a souhaité qu'une issue positive soit trouvée à la crise actuelle grâce à la fixation de règles claires.
a estimé qu'il convenait de dépasser une querelle, d'origine, sans doute, en partie confraternelle, pour tirer de la discussion actuelle un ensemble de règles de conduite.
a regretté qu'il ait fallu attendre le déclenchement de cette polémique pour que ces projets de coopération fassent l'objet d'un débat public. Il a jugé indispensable, dans le contexte actuel, que la France ne paraisse pas se rallier, par suivisme, aux pratiques marchandes de quelques grands musées américains, comme le musée Guggenheim, qui n'ont ni la même nature ni la même vocation que nos musées nationaux. Il a donc souhaité que les autorités françaises élaborent une charte de référence permettant de distinguer les pratiques admises de celles qui ne doivent pas l'être, en s'appuyant sur les règles internationales en vigueur, et notamment les conventions de l'UNESCO que notre pays a d'ailleurs largement inspirées.
Il a élevé une mise en garde contre le risque, pour le ministère, de se couper du milieu professionnel de la conservation et des musées.
Enfin, insistant sur le caractère fondamental du projet culturel et scientifique, il a estimé que celui-ci devait faire l'objet d'un accord préalable entre les parties avant de passer aux autres aspects de la négociation, ainsi qu'à la définition du projet architectural. C'est à cette condition impérative qu'il a subordonné son assentiment au projet, dénonçant les risques qu'entrainerait toute volonté de précipiter le bouclage de l'accord.
a estimé que l'audition avait permis de compléter les informations données par le ministère de la culture en réponse à la question orale qu'il lui avait posée lors de la séance du 11 janvier dernier.
Il a souhaité des précisions sur les effets qu'auraient sur le marché de l'art les acquisitions nécessaires à la constitution des collections du musée d'Abou Dhabi, soulignant que ceux-ci pourraient varier selon qu'ils porteront sur des oeuvres du passé ou sur l'art contemporain.
Il a également demandé avec quels pays et suivant quelles modalités s'effectuaient actuellement les échanges avec d'autres musées étrangers, pour la réalisation d'expositions temporaires, et les accords qui réglaient ces questions.
Enfin, il s'est interrogé sur le degré de notoriété des oeuvres qui seraient ainsi prêtées et sur la façon de donner à ce « Louvre » les moyens de ses ambitions, sans affaiblir pour autant l'attrait des collections qui resteront dans les musées français.
a souhaité savoir s'il était toujours possible de trouver sur le marché, en y mettant le prix, des oeuvres en qualité et en quantité suffisantes pour constituer une collection.
a apporté les éléments de réponse suivants :
- pour éviter tout risque de conflit d'intérêts, les conservateurs français fixeront les orientations et la politique d'achat du futur musée d'Abou Dhabi, mais ne participeront pas à la politique d'acquisition des oeuvres ;
- il est toujours possible, aujourd'hui, de constituer une belle collection, comme l'ont montré la création du musée Paul Getty, des collections semi-publiques comme celle du Qatar, et certaines collections privées ; l'arrivée sur le marché de l'art du musée d'Abou Dhabi contribuera certes à accentuer la concurrence, mais ne devrait pas être un obstacle à l'enrichissement des collections de nos musées nationaux, ni provoquer une hémorragie de notre patrimoine national ; c'est dans le domaine de l'archéologie que seront concentrés d'éventuels risques.
a fourni les précisions suivantes :
- le projet de musée d'Abou Dhabi s'inscrit dans une politique globale de l'émirat, qui vient aussi de conclure un accord avec le Salon « Art Paris », peu évoqué par les médias, et d'ouvrir une antenne de la Sorbonne ; cette convergence de projets est le signe positif d'une volonté politique de miser sur le développement culturel ;
- la création d'une fondation consacrée à la politique d'achat doit conjurer tout risque de conflits d'intérêts ;
- la Cour des Comptes a travaillé, au cours des 18 derniers mois, à la rédaction d'un rapport traitant des questions éthiques liées au patrimoine et proposant des solutions s'appuyant sur des éléments du code de déontologie de l'International Council of Museums (ICOM) ; le ministre de la culture a demandé de hâter la publication de ce rapport, dont on a jusqu'à présent très peu parlé ;
- le projet de coopération résulte d'une demande formulée par les autorités émiriennes, et non d'un quelconque démarchage effectué par la France ;
- le ministère de la culture a le souci, d'une façon générale, de ne pas entraver les initiatives prises par les établissements publics, mais comme le projet actuel nécessite l'intervention de plusieurs opérateurs, il est indispensable que l'administration centrale intervienne ;
- la direction des musées s'est efforcée de mettre en oeuvre les recommandations formulées par la commission des affaires culturelles dans son rapport d'information sur les réserves des musées ; à côté d'oeuvres, intéressantes pour le seul spécialiste et qui ne se prêtent pas à une exposition publique, figurent aussi des oeuvres de grande importance qui ne peuvent être exposées en raison de leur état dégradé ;
- les prêts d'oeuvres dans le cadre d'expositions ne font pas l'objet d'accords internationaux, mais s'inscrivent dans une pratique qui s'appuie sur le code de l'ICOM et sur des recommandations consensuelles, qui garantissent la gratuité, des prêts tout en autorisant la prise en compte des frais de gestion et la facturation des frais de dossiers ; ces principes sont repris dans le cadre des travaux de l'Union européenne sur la mobilité des collections publiques ;
- la direction des musées est attachée aux mêmes principes que les conservateurs, dont les compétences reconnues constituent un atout essentiel ; mais il faut aussi admettre que le monde évolue et que les échanges se développent.
a souligné, en conclusion, la tonalité positive des interventions et a souhaité l'élaboration rapide, par le ministère de la culture, d'une charte de bonne conduite qui devra être soumise au Parlement.