La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Dominique Moyen, ancien directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).
Après que M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, eut retracé sa carrière, M. Dominique Moyen a effectué quelques rappels sur le statut et la mission de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Dépendant de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), il est dirigé par un conseil d'administration paritaire, représentant les employeurs et les salariés et est financé, à 95 %, par une dotation du Fonds national de prévention de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il mène des recherches et études dans le champ des risques professionnels, conduit des actions de formation, publie des revues et brochures et répond aux questions qui lui sont adressées par les professionnels. Il a estimé que la composition de son conseil d'administration et ses modalités de financement garantissaient son indépendance.
Puis M. Dominique Moyen a évoqué le comité permanent amiante et la part qu'il avait prise à sa création (CPA) : à l'issue d'une réunion, organisée au ministère du travail, rassemblant des représentants des industriels de l'amiante et des syndicalistes, il a suggéré que ces échanges puissent se poursuivre au sein d'une structure de concertation informelle, moins lourde à gérer que le Conseil supérieur de prévention des risques professionnels, normalement compétent. Cette proposition a été suivie d'effet et le Comité a ensuite réuni, pendant une quinzaine d'années, des représentants de l'ensemble des acteurs concernés. Il a ajouté que le CPA avait soutenu la politique de réduction des valeurs limites d'exposition, et avait été attentif à la prévention des risques pour la santé induits par le flocage. Ce dernier point l'a amené à distinguer trois catégories parmi les populations concernées par l'amiante : les ouvriers ayant travaillé dans des usines de traitement de l'amiante, tout d'abord ; les salariés exposés à l'amiante lors d'opérations de flocage et de déflocage, ensuite ; le grand public, enfin.
a indiqué que la question centrale était, selon lui, de comprendre pourquoi l'on n'avait pas interdit plus tôt l'utilisation de l'amiante dans notre pays. A ce sujet, il a noté que la France avait longtemps suivi une politique de réduction des risques liés à l'utilisation de l'amiante, dont l'instrument privilégié fut la fixation de valeurs limites d'exposition, reposant sur l'idée que l'organisme humain pouvait supporter une exposition à de faibles doses d'amiante sans conséquence nuisible pour la santé. Des interrogations sur le bien-fondé de cette politique sont apparues lorsque de premières études ont révélé que le mésothéliome pouvait survenir même après une exposition à de très faibles doses d'amiante. M. Dominique Moyen a jugé que la décision d'interdire l'amiante était intervenue tardivement après que ce constat a été établi. Il a ajouté que si l'INRS avait développé des capacités techniques dans le domaine de la mesure de l'exposition à l'amiante, il disposait d'une faible expertise sur ses conséquences physiologiques et biologiques.
s'est interrogé sur l'existence d'un éventuel « lobby » des industriels de l'amiante et de son influence, notamment au sein du CPA.
est convenu que les industriels du secteur n'avaient pas milité pour l'interdiction de l'amiante et qu'ils avaient défendu leur point de vue, tant au sein du CPA que dans les milieux scientifiques, ou au sein du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels.
a estimé qu'il y avait eu une certaine pression des industriels, qui arguaient qu'il n'y avait pas de produit de substitution satisfaisant à l'amiante, ou que l'amiante sauvait plus de vies qu'elle n'en mettait en péril, en raison de son rôle dans la prévention des incendies.
s'est élevé contre la mise en cause dont il a été l'objet de la part de certains journalistes, qui l'ont présenté soit comme une personne naïve, soit comme une personne malintentionnée. Il a rappelé que le CPA avait été à l'initiative d'une vaste campagne d'évaluation de l'exposition à l'amiante dans les usines.
a souhaité obtenir des précisions sur l'évolution des connaissances relatives aux risques induits par l'exposition à de très faibles doses d'amiante.
a répondu que l'INRS n'avait pas mené d'études sur ce sujet mais qu'il s'appuyait sur les expertises d'organismes extérieurs. En 1998, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Bureau international du travail (BIT) ont reconnu le caractère cancérigène du chrysotile. Auparavant, l'OMS avait recommandé l'abandon de l'amiante et son remplacement par des produits de substitution et avait affirmé l'existence d'un risque de cancer, même en cas d'exposition à de très faibles quantités d'amiante.
a estimé que le but de la mission d'information était d'analyser les conséquences de la contamination par l'amiante, et non de désigner des responsables. Il a estimé que la mission devrait s'attacher, le bilan médical étant établi, à examiner les conditions d'indemnisation des victimes.
a précisé que l'objectif de la mission était de comprendre les mécanismes ayant conduit à ce drame sanitaire, afin d'éviter que de tels événements ne se reproduisent à l'avenir. Il a fait observer que nos moyens d'anticipation et d'investigation dans le domaine des risques sanitaires s'étaient améliorés, ce qui rendait moins probable la répétition d'une telle crise.
a indiqué avoir été mis en cause par certaines victimes au plan pénal. Il est revenu sur la politique d'utilisation contrôlée de l'amiante, pour préciser que l'émergence du principe de précaution conduisait à la recherche du « risque zéro », plutôt qu'à une politique de contrôle du risque.
a considéré que la mission devait s'efforcer de comprendre quelles défaillances dans les processus de décision avaient rendu possible le drame de la contamination par l'amiante, ce qui ne signifie naturellement pas qu'il lui revienne de désigner nommément des coupables. Elle a regretté que les médecins ayant alerté sur les dangers de l'amiante n'aient pas été davantage écoutés par les responsables politiques. Puis elle a invité la mission à s'intéresser aux débats en cours au Canada, pays qui continue d'exploiter l'amiante, et dans lequel les avertissements des journalistes et des scientifiques sur la dangerosité du produit suscitent des réactions violentes, tant de la part des industriels que des élus ou des syndicalistes. Elle a estimé que ces débats pouvaient donner une idée de l'état d'esprit qui prévalait en France à l'époque où l'amiante était un matériau largement employé.
a noté qu'outre le Canada, des pays du Sud de l'Europe et des pays émergents utilisaient encore l'amiante et que la production mondiale d'amiante avait tendance à augmenter depuis quelques années. Concernant l'attention portée aux mises en garde émanant du milieu médical, il a précisé que l'INRS disposait, à l'époque où il en était le directeur général, d'une équipe de six médecins et a assuré que leurs prises de position faisaient l'objet de toute la publicité nécessaire.
Il a ajouté que les produits de substitution à l'amiante, notamment les fibres céramiques réfractaires, étaient loin d'être inoffensifs et que leur utilisation devait donc donner lieu à une grande vigilance.
La mission a enfin procédé à l'audition de M. Gilles Evrard, directeur des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).
Après que M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, eut brièvement présenté son parcours professionnel, M. Gilles Evrard a indiqué avoir pris ses fonctions à la CNAMTS en 1996, au moment où l'utilisation de l'amiante fut interdite. Il a précisé que le service qu'il dirigeait était compétent en matière de prévention des risques professionnels, d'indemnisation des victimes et de financement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Il s'est dit préoccupé par l'augmentation du nombre de maladies professionnelles provoquées par l'amiante et par la hausse des dépenses d'indemnisation qui en résulte. Les dépenses liées à l'amiante représentent désormais, selon les années, de 12 à 15 % des dépenses totales de la branche AT-MP, si l'on prend en compte les versements de la branche aux deux fonds d'indemnisation des victimes.
a rappelé que la convention d'objectifs et de gestion (COG), récemment signée entre l'État et la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, indiquait que « la vocation de la branche ATMP [était] d'aider les acteurs de la vie économique à éviter les risques liés au travail ». Il s'est demandé si la branche AT-MP avait joué tout son rôle dans la prévention des risques liés à l'amiante et s'est interrogé sur les raisons du retard constaté en matière de protection des salariés, alors que les effets cancérigènes de l'amiante sont connus depuis le début du XXe siècle. Il s'est enquis des moyens dont disposait la branche AT-MP pour mener à bien sa mission de prévention et de détection des risques professionnels et a souhaité obtenir des précisions sur les relations qu'elle entretenait avec l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité).
a répondu que la branche aidait les acteurs de la vie économique à remplir leurs obligations en matière de prévention des risques professionnels, mais que la responsabilité de la sécurité des salariés au travail incombait, en dernier ressort, aux chefs d'entreprise, dans le cadre de la politique générale de prévention définie par l'État. La branche accidents du travail et maladies professionnelles promeut les bonnes pratiques par le biais de recommandations élaborées en partenariat avec les partenaires sociaux. Il a considéré que la branche avait abondamment traité des problèmes posés par l'amiante avant 1996 et a rappelé que, dès 1945, les maladies causées par l'amiante, notamment l'asbestose, figuraient dans le tableau des maladies professionnelles causées par l'amiante.
a souhaité connaître l'avis de M. Gilles Evrard sur les modalités de financement du Fonds de cessation d'activité anticipée des victimes de l'amiante (FCAATA) et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA).
a précisé que les bénéficiaires de l'allocation du FCAATA étaient des salariés ayant travaillé dans des établissements où ils ont été exposés à l'amiante. Ces établissements sont recensés dans des listes établies par arrêté du ministre du travail. Il apparaît que 10 % seulement des personnes titulaires de l'allocation de cessation anticipée d'activité ont développé des pathologies liées à l'amiante. Le FCAATA s'apparente donc plus à un mécanisme de départ en retraite anticipée qu'à un dispositif d'indemnisation des risques professionnels. En conséquence, on peut estimer peu logique que son financement repose principalement sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dont il contribue à dégrader l'équilibre financier. Une contribution spécifique, à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante, a cependant été introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.
La vocation du FIVA est différente, puisqu'il a en charge l'indemnisation des personnes ayant développé des pathologies causées par l'amiante. Le financement de ce Fonds par la branche AT-MP apparaît donc plus logique. On peut cependant se demander pourquoi seul le régime général abonde le Fonds, alors qu'il indemnise des ressortissants de l'ensemble des régimes de sécurité sociale.
a demandé s'il existait une estimation du nombre de salariés encore exposés à l'amiante, puis a évoqué la dangerosité des produits de substitution.
Sur le premier point, M. Gilles Evrard a indiqué ne pas disposer d'estimation fiable. Concernant les produits de substitution à l'amiante, et notamment les fibres céramiques réfractaires, il a souligné que la branche était préoccupée par les risques inhérents à leur utilisation et que l'INRS menait une étude épidémiologique sur ce sujet. Son travail se heurte cependant à certaines difficultés méthodologiques, dans la mesure où il est difficile de composer des cohortes de sujets ayant été exposés aux fibres céramiques réfractaires, mais pas aux fibres d'amiante. La caisse recommande une utilisation aussi limitée que possible de ces fibres.
s'est interrogé sur le jugement qu'il convenait de porter sur le plan « Santé au travail » récemment présenté par le Gouvernement. Il a souhaité savoir dans quelle mesure la branche AT-MP y était associée et si les mesures annoncées paraissaient de nature à éviter la répétition d'un drame sanitaire comme celui de l'amiante. Dans le cas contraire, il a demandé quelles mesures complémentaires devraient être mises en oeuvre.
a jugé que le plan « Santé au travail » était une heureuse initiative, à laquelle le Gouvernement avait pu être incité par la reconnaissance, par la justice administrative, de la responsabilité de l'État dans le dossier de l'amiante. Il a rappelé que le plan prévoyait un renforcement des contrôles et une meilleure évaluation des risques professionnels, mais s'est inquiété de la capacité de l'administration à recruter de nouveaux épidémiologistes pour assumer cette charge de travail supplémentaire, compte tenu du faible nombre de personnes possédant les qualifications requises.
Il a ensuite estimé que la principale difficulté, dans l'affaire de l'amiante, était de comprendre pourquoi, alors que les connaissances scientifiques étaient disponibles, la prise de décision avait été si lente.
a demandé si la branche AT-MP disposait d'une évaluation du nombre total de personnes qu'il faudrait indemniser.
a regretté de ne pas avoir d'évaluation précise sur ce point, avant de noter que, dans les pays qui avaient interdit l'amiante avant la France, on observait une diminution du nombre de pathologies constatées, dans un délai de cinq à dix ans après que l'interdiction a été mise en oeuvre. Il s'est déclaré inquiet des conséquences des déflocages effectués sans respecter la réglementation en vigueur.
a demandé s'il était possible d'identifier les entreprises qui exposent ainsi leurs salariés à l'amiante.
a constaté qu'il était très difficile de repérer et de contrôler des artisans qui manipulent l'amiante, sans avoir procédé à une déclaration préalable ni obtenu de certification. Les contrôles effectués avec l'inspection du travail ont montré que, dans les trois quarts des cas, la réglementation n'était pas, ou imparfaitement, respectée.
a fait état d'une évaluation selon laquelle le coût total de l'indemnisation de l'amiante, dans les vingt prochaines années, pourrait atteindre 36 milliards d'euros et a souhaité savoir si elle était vraisemblable.
a jugé cette évaluation plausible, sous réserve que l'on n'observe pas, dans les années à venir, une diminution du nombre de pathologies constatées liées à l'amiante.
a souhaité obtenir des précisions sur les modalités de classement des établissements sur les listes attestant qu'ils ont exposé leurs salariés à l'amiante.
a souligné que l'établissement de ces listes relevait de la responsabilité du ministère en charge du travail et que la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles se contentait d'émettre un avis. La CNAMTS a donné instruction aux caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) de transmettre aux services compétents de l'État les informations dont elles pouvaient disposer.
a observé que, du fait du développement de la sous-traitance, le nombre d'entreprises intervenant sur les chantiers était de plus en plus important et s'est demandé s'il était possible de recenser l'ensemble des salariés concernés.
a confirmé que beaucoup d'entreprises éphémères, ou de taille très réduite, intervenaient sur les chantiers et étaient difficiles à suivre dans la durée. Il a ajouté que la CNAMTS portait une attention particulière aux entreprises dont un ou plusieurs salariés avaient déjà déclaré une maladie professionnelle. Du fait du délai de latence des pathologies causées par l'amiante, les entreprises ayant exposé leurs salariés à ce matériau ont souvent disparu. De plus, le fait qu'un grand nombre de salariés aient travaillé successivement dans plusieurs entreprises rend complexe la détermination des responsabilités de chaque employeur. Lorsque la branche AT-MP se trouve dans l'impossibilité d'imputer la responsabilité d'une maladie professionnelle à un employeur précis, l'indemnisation des victimes relève d'un compte spécial, prévu à cet effet : dans le cas des pathologies causées par l'amiante, une proportion considérable des indemnisations, de l'ordre de 75 %, est rattachée à ce compte.
a rapporté le cas de salariés de l'entreprise Alstom, qui se sont engagés dans de longues procédures, dans le but de faire reconnaître une maladie professionnelle, mais qui souffrent maintenant de discriminations à l'embauche, les employeurs potentiels craignant que, une fois la maladie reconnue, une part de responsabilité ne leur soit attribuée, ce qui aurait des conséquences sur le niveau de leurs cotisations sociales.
a admis que de telles situations étaient régulièrement observées et qu'elles étaient à l'origine de la sous-déclaration des maladies professionnelles, les salariés craignant, selon les cas, de perdre leur emploi ou de souffrir de discrimination à l'embauche.