La commission procède à l'audition, suivie d'un vote, de M. Guillaume Pepy, candidat désigné aux fonctions de président de la SNCF, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Conformément à l'article 13 de la Constitution, nous auditionnons aujourd'hui M. Guillaume Pepy, candidat à sa propre succession à la présidence de la SNCF. Cette audition est ouverte au public et à la presse, et sera suivie par un vote à bulletin secret.
Nous avons déjà reçu plusieurs fois M. Pepy. Nous sommes très intéressés par ce qu'il pourra nous dire du bilan de son précédent mandat, ainsi que de la manière dont il voit l'avenir de la SNCF.
Monsieur Pepy, comment envisagez-vous la réforme du secteur ferroviaire, et la préparation de l'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire européen, prévue pour 2019 ? Comment comptez-vous améliorer la rentabilité de l'entreprise ? C'est indispensable pour résorber la dette ferroviaire, qui s'accroît de plus d'un milliard d'euros par an et avoisine au total, si l'on additionne la SNCF et RFF, les quarante milliards. Allez-vous revoir le périmètre de l'entreprise ? Celle-ci rassemble des activités très diverses, au sein de près de neuf cents filiales. Quelle sera la suite de la convention entre l'État et la SNCF sur les trains d'équilibre du territoire ? Elle arrive à son terme à la fin de l'année. Comment voyez-vous l'évolution des relations entre la SNCF et les régions ? Où en sont vos projets de régionalisation de l'organisation de l'entreprise ? Comment comptez-vous redresser l'activité de fret de la SNCF ? Notre compétence sur l'aménagement du territoire nous rend très sensibles à ce sujet. Quid de la mise en place d'un cadre social harmonisé, dans l'optique du regroupement probable de la SNCF Infra et de RFF ? Quelle sera votre stratégie de développement international ?
J'ai eu la chance et l'honneur de venir à plusieurs reprises m'exprimer devant des commissions de votre Haute Assemblée. C'est un honneur aussi, et une responsabilité particulière, que de se voir proposer la direction de l'une des premières entreprises publiques nationales. La SNCF tire la moitié de son chiffre d'affaires du service public contractualisé avec les régions, l'État, les agglomérations, ou les communes, ce qui la lie directement aux décisions politiques ; j'accorde donc une grande importance au lien avec les élus, les collectivités, les autorités organisatrices.
Par son chiffre d'affaires de 34 milliards d'euros, la SNCF est la dix-septième ou dix-huitième entreprise française. C'est la deuxième entreprise mondiale de services de mobilité, après la Deutsche Bahn. Elle emploie 250 000 personnes, dont 150 000 cheminots. Elle réalise les trois quarts de son activité en France. Sa marge opérationnelle est d'environ 9,5 % - il lui faudrait 11 % pour être vraiment à l'aise, nous devons donc progresser. Cette année, son résultat a été de 700 millions d'euros : pour la cinquième année consécutive elle a versé un dividende à l'État, de 200 millions d'euros, et a distribué 364 euros de dividende salarial à chacun des 150 000 cheminots. Elle a investi 13 milliards d'euros au cours de ces cinq dernières années - grâce au plan de modernisation du réseau, grâce aux régions et à l'achat de nouveaux trains - alors que bien des entreprises réduisent leurs investissements en temps de crise. En 2013, le montant des investissements atteindra un sommet, à 2,5 milliards d'euros.
Nos trois métiers principaux sont le fret et la logistique, le transport de voyageurs, la gestion des réseaux.
Le fret et la logistique représentent neuf milliards d'euros de chiffre d'affaires. Il s'agit - c'est la mission qui m'avait été confiée pour mon premier mandat - de créer un champion français de la logistique internationalement reconnu, au service des industriels français : Geodis se classe désormais en quatrième position en Europe, après trois entreprises allemandes. Deux crises importantes de volume, en 2009 et en 2012, ont fait baisser sa rentabilité, qui est insuffisante. Nous devons donc améliorer le résultat opérationnel. Geodis réalise par exemple un milliard d'euros de chiffre d'affaires avec l'industrie automobile française et européenne, dont il est en quelque sorte le bras armé.
Le transport ferroviaire de marchandises représente deux milliards d'euros. L'ouverture à la concurrence, en 2007, en a bouleversé l'environnement. Faute d'avoir été correctement préparée, la concurrence ne s'exerce pas dans des conditions équitables. Dix-neuf opérateurs se partagent le marché. Pour nous, la part du fret a décru au cours des dernières années. Notre objectif est donc de relancer cette activité, ce qui réclame des infrastructures dédiées, des conditions de concurrence loyales, un cadre social harmonisé, ainsi que des efforts pour améliorer l'organisation et la réactivité de la SNCF. Il est vrai que la satisfaction des clients de Fret SNCF a augmenté de dix points au cours des deux dernières années, mais nous partions de loin.
Le transport de voyageurs bénéficie du fait que le train occupe une place très importante dans la vie des Français : pour l'utilisation du train, la France occupe la troisième place, après le Japon et la Suisse. La modernisation du train est donc une priorité absolue. Les priorités de la SNCF ont beaucoup changé ces dernières années, en passant notamment du TGV au train du quotidien, c'est-à-dire à ce service qu'utilisent chaque jour près de quatre millions de Français pour aller à l'école, au collège, au travail... En Île-de-France, nous modernisons le RER, et dans les régions, les TER, grâce à un effort considérable de sept milliards d'euros consenti par les conseils régionaux pour l'achat de matériel neuf. Nous sommes fiers d'avoir réussi, avec nos collègues de RFF, le grand basculement des horaires qui a eu lieu l'an dernier et cette année. Le défi actuel est de gérer le gigantesque montant de travaux désormais engagés sur le territoire. Nous avons proposé au gouvernement de prolonger d'un an la convention sur les trains d'équilibre du territoire signée il y a deux ans, afin de réfléchir à leur avenir. Ces trains sont importants car ils desservent la plupart des villes moyennes.
Après un rapport remarqué de Fabienne Keller et le vote de la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF) en 2009, nous avons créé une activité « gares » bien identifiable. Nous voulons que les gares soient multimodales et qu'elles deviennent de nouveaux centres-villes, en place des « délaissés ferroviaires » qu'elles sont parfois.
Le réseau ferroviaire français, avec 34 000 kilomètres de voies, est le deuxième d'Europe après l'allemand. Il était en très mauvais état, sa modernisation est en cours. Mille chantiers sont actuellement lancés sur le réseau, et mille kilomètres de voies classiques seront entièrement rénovés cette année - il y a dix ans le rythme annuel était trois fois moindre.
Les effectifs sont stabilisés grâce à la dynamique de notre activité. En 2013 nous sommes le troisième recruteur de France, avec plus de dix mille postes à pourvoir. Nous mettons l'accent sur les zones urbaines sensibles, qui représentent 15% des recrutements, sur les emplois d'avenir et sur l'ensemble des populations les plus fragiles pour l'accès à l'emploi. La loi sur le service minimum, votée il y a quelques années, n'est plus contestée à l'intérieur de l'entreprise. Elle a fixé un point d'équilibre entre le droit de grève et le droit au transport. Le dialogue social aboutit à des accords, signés parfois à l'unanimité : ce fut le cas de quatre d'entre eux cette année, et le niveau de grèves est en 2012 à son point le plus bas depuis dix ans.
Nous nous réjouissons de la prise de conscience que l'industrie ferroviaire française, les exploitants et l'ingénierie sont un des points forts de notre pays. La France se classe parmi les meilleurs dans cette industrie, après les Japonais et les Allemands. Le ferroviaire français est attendu sur de nombreux projets à l'étranger : trains régionaux, tramways, métros, trains à grande vitesse... La SNCF a repris un rôle de chef d'équipe du ferroviaire français en Europe et dans le monde : nous avons choisi de « chasser en meute » avec nos partenaires industriels français, car la concurrence est rude et les concurrents, nombreux, Japonais, Coréens, Chinois, Allemands, Espagnols... Vendre les savoir-faire français me semble être une partie importante de notre mission.
Je ne peux cependant me targuer d'avoir réussi sur tout. La situation du fret, par exemple, est à l'évidence insatisfaisante, même si la qualité de service a progressé. Nous n'avons pas réussi à réunir les conditions nécessaires au développement du fret ferroviaire français pour le moment. L'information des voyageurs reste aussi l'un de nos points faibles. Nous devons nous mettre au niveau de réactivité et de rapidité rendu possible par les outils modernes de télécommunication. Notre but est que les voyageurs soient, au jour le jour, aussi bien renseignés sur le trafic ferroviaire que sur le temps qu'il va faire ! La situation en Île-de-France, enfin, est insatisfaisante. Notre pays a tardé à prendre les bonnes décisions. Heureusement, le Premier ministre a fait des annonces récemment sur le Grand Paris. Nous devrons redoubler d'efforts pour que les transports publics en Île-de-France soient comparables à ce qu'ils sont dans les régions : actuellement, c'est malheureusement dans la région capitale qu'on est le moins bien transporté !
Je vois trois enjeux principaux pour les cinq prochaines années. La réussite de la réforme ferroviaire, d'abord. Cette réforme fut lancée par des Assises initiées par Nathalie Kosciusko-Morizet et des États généraux organisés par Jacques Auxiette, avant d'être reprise par le Gouvernement ; le ministre, Frédéric Cuvillier, a confié une mission d'expertise à Jean-Louis Bianco. C'est ma responsabilité que de réussir à mettre en oeuvre la réforme que vous adopterez, en améliorant la qualité de service, en faisant mieux pour moins cher, en développant, en somme, un service public exemplaire et susceptible d'être exporté. Il est trop tôt pour préciser davantage le contenu de cette réforme, mais elle exigera de la SNCF une capacité à se remettre en cause pour devenir plus compétitive, plus efficace et plus réactive, bref pour franchir une étape de modernisation.
Deuxième enjeu : poursuivre notre développement dans une période marquée par une croissance faible, en saisissant des opportunités. Nous devrons baisser nos coûts pour pouvoir baisser nos prix : la SNCF est propriété collective, elle doit proposer des prix acceptables par toute la population. Nous avons commencé à travailler sur deux plans de performance. En matière industrielle, il s'agit de mieux utiliser nos trains et nos équipements, ce qui pourrait nous faire gagner jusqu'à deux milliards d'euros d'efficacité industrielle dans les quatre ou cinq prochaines années. En décentralisant les responsabilités et la capacité d'initiative, en réduisant le poids de l'administration centrale, nous comptons pouvoir réduire de 700 millions d'euros nos frais de fonctionnement. Notre activité internationale, qui représente aujourd'hui un quart de notre chiffre d'affaires, doit tendre vers un tiers d'ici cinq ans. Nous avons accompagné les autorités françaises au Brésil ; nous sommes allés en Inde, en Russie ; nous irons prochainement en Chine, au Maroc... Tous les pays émergents souhaitent se doter de transports publics de qualité pour faire face à la saturation, à l'asphyxie, aux problèmes d'aménagement du territoire. La SNCF a un rôle à jouer au sein de l'équipe France pour répondre à cette attente. Nous devons conserver notre place parmi les meilleurs pays capables d'organiser du transport public sûr, efficace et ouvert à tous.
Le projet stratégique, enfin, est en cours d'élaboration, et sera débattu dans l'entreprise et avec les élus dans les quatre ou cinq prochains mois, afin qu'il ne soit pas imposé par le haut, mais construit à partir des attentes et des exigences de nos parties prenantes.
Si nous voulons augmenter le nombre d'usagers du train, il faut convaincre les automobilistes. Nous devons donc proposer une alternative crédible, c'est-à-dire offrir des combinaisons de modes de transport, aussi flexibles et personnalisées que peut l'être l'utilisation d'une automobile. Dans le domaine du fret ferroviaire, nous allons nous appuyer sur le multimodal : il s'agit de prendre les marchandises dans les ports, de développer des autoroutes ferroviaires, avec des trains longs qui traversent l'Europe pour aller jusqu'en Asie, tout en proposant du transport de fret de proximité, bref d'être polyvalents. Bien sûr, il y a une zone de pertinence : pour du transport de marchandises pondéreuses sur cinquante kilomètres, par exemple, la route est reine. Mais nous devons atteindre tous les marchés accessibles au fret ferroviaire en Europe. L'ouverture à la concurrence du trafic voyageurs aura lieu en 2018 ou 2019. Pour être à la hauteur, il nous faudra être beaucoup plus compétitifs, disposer d'un cadre social modernisé, avoir mis l'ensemble de nos produits en situation de résister à la concurrence des autres opérateurs européens.
Nous ne pourrons accélérer la modernisation de la SNCF sans la confiance des salariés. La réforme que vous adopterez dans quelques mois sera un élément clé pour donner cette confiance, et cette perspective dont les salariés ont besoin. Le rail concerne environ un million de personnes, si l'on compte les familles, les ayant-droits et les retraités. La SNCF doit également se décentraliser, baisser en quelque sorte son centre de gravité. Louis Gallois disait de la SNCF que c'était « l'armée, plus la discipline ». Cette époque où tout remontait à la tête de l'entreprise est révolue, le mouvement est engagé pour rapprocher la décision des élus et des clients. Nous devons, enfin, développer la co-construction : nos projets doivent être ouverts et non plus prétendre être optimaux d'emblée. C'est un grand changement culturel, qui nous fait passer d'un point de vue d'ingénieur à une attitude de proposition, visant à susciter le débat.
Je porte au fond le projet d'une SNCF des connexions : il s'agit de connecter les différents modes de transport autour du ferroviaire. Tout en restant modeste, la SNCF a vocation à être un opérateur, un expert et un architecte des systèmes de mobilité dans notre pays.
Malgré la crise, qui a fortement affecté le secteur ferroviaire, les résultats de la SNCF sont satisfaisants : 34 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est-à-dire 40 % de plus qu'en 2008, sans que cette hausse soit entièrement due à l'intégration des comptes de la filiale Keolis. Le résultat de 700 millions d'euros, qui vous permet de verser des dividendes à l'État, se passe de commentaires. La dette devrait baisser d'un milliard d'euros cette année, nous le confirmez-vous ? Cette réussite de la SNCF est à mettre à votre actif, mais ne doit pas nous dissimuler la situation inquiétante du système ferroviaire français et les perspectives incertaines pour la SNCF.
Le système ferroviaire a une dette, portée par RFF, de 32 milliards d'euros, qui croît mécaniquement chaque année de 1,4 milliard d'euros. La séparation entre RFF et la SNCF a été cause de lourdeurs, de redondances, d'une grande complexité et sans doute d'une majoration du coût de la gestion des infrastructures. Il convient de réussir la réforme ferroviaire en créant le gestionnaire d'infrastructure unifié, qui sera rattaché à la SNCF et regroupera RFF, la direction des circulations ferroviaires et SNCF Infra. C'est la mission qui vous a été confiée par le ministre des transports, elle est essentielle mais aussi délicate, car elle ne devra pas contrarier les dispositions du quatrième paquet ferroviaire de l'Union européenne, qui est en cours d'examen.
Le choix du TGV à bas prix, l'Ouigo, est une réponse à l'érosion du profit de l'activité TGV ; iDbus me semble répondre à la même logique pour le transport routier de voyageurs. Avez-vous d'autres projets de même nature pour conquérir de nouveaux clients ?
Dans la perspective de l'ouverture à la concurrence - dont je ne suis nullement partisan ! - comment parvenir à un cadre social harmonisé, sans lequel la concurrence sera déloyale ? Ne faisons pas comme pour le fret ! Il convient de traiter les questions d'organisation et de règlement du travail, sans toucher au statut - tâche délicate.
Le quatrième paquet ferroviaire, en l'état, prévoit l'open access, c'est-à-dire la possibilité pour tout opérateur de proposer ses services sur les lignes rentables exclusivement, sans se soucier des lignes non rentables. Système du grand-père, de la franchise, soit ; mais pas d'open access ! Etes-vous prêt, comme nous le sommes, à vous mobiliser pour obtenir qu'il soit définitivement écarté ?
La SNCF doit soutenir fortement l'industrie ferroviaire nationale, comme le font ses homologues européens, dans le respect des règles de la concurrence. Pour remplacer les rames tractées constituées de voitures Corail anciennes, elle devrait s'intéresser au nouveau matériel à un ou deux niveaux fabriqué en France par deux constructeurs, ce qui ajouterait des commandes à celles passées par les régions pour les TER, qui n'ont pas encore atteint un niveau élevé. Quant au matériel à grande vitesse, à la tranche complémentaire de trente unités de matériel à deux niveaux, s'ajouterait la commande, à partir de 2017, d'un futur matériel à deux niveaux de plus grande capacité. N'oublions pas, toutefois, le matériel à un niveau, faute de quoi l'industrie française ne pourrait plus proposer ce type de matériel à l'étranger : cela serait regrettable car la grande majorité des trains commandés dans le monde sont à un niveau. Le matériel à grande vitesse français a une capacité légèrement moindre que celle de son équivalent allemand, mais il est très en avance pour d'autres paramètres - légèreté, stabilité, rigidité, résistance à l'avancement, confort - qu'il est parfaitement possible de prendre en compte dans un appel d'offres.
Pour relever ces défis, vous avez toute ma confiance.
Une question d'actualité sur la sécurité : sans vouloir généraliser, il ne faudrait pas que la psychose s'installe, que personne n'ose plus prendre le train le soir. Quid de la surveillance générale et des mesures de protection envisageables ? Que pensez-vous de la décision, prise par certaines régions, de supprimer la présence des contrôleurs dans les trains ?
Quel est l'avenir du TGV, au-delà des lignes existantes ? Bien sûr, cela dépend de la volonté de construire des infrastructures, donc de RFF et du Gouvernement. Mais pour cela il faut qu'il y ait des clients potentiels. D'un point de vue commercial, comment voyez-vous le développement de lignes transversales ?
En Suisse, il n'y a pas de concurrence, mais une transparence totale. Les chemins de fer y sont les plus performants d'Europe, pour les usagers comme pour les pouvoirs publics. Qu'en pensez-vous ?
J'ai siégé deux ans au conseil d'administration de la SNCF, où j'ai beaucoup apprécié votre compétence, votre expérience, mais aussi votre considération pour l'ensemble des parties prenantes ainsi que votre pragmatisme.
Merci pour cet exposé exhaustif. Vous avez parlé de la satisfaction des clients, dont les médias parlent volontiers quand elle est faible... Je m'intéresse quant à moi à la satisfaction de vos employés. Nous savons que des progrès énormes ont été faits en quelques décennies dans la prise en compte de la souffrance physique au travail. Mais qu'en est-il de la souffrance morale ? C'est un sujet très important : certes, vous ne faites pas partie des organisations qui ont le plus de problèmes. Pourtant, depuis quatre ans, vingt-deux suicides ont eu lieu chez vous sur le lieu de travail - le dernier en janvier dernier. Les nouvelles orientations de l'organisation et de la gestion des ressources humaines, parfaitement nécessaires, entraînent du stress et de nombreux problèmes. Si le personnel n'est pas satisfait, c'est l'organisation qui est en danger. Quels sont vos objectifs ? Quelle politique allez-vous mettre en place ? Vous avez indiqué que le nombre de jours de grève était au plus bas : est-ce un bon indicateur de la satisfaction au travail des employés ?
Votre bilan est bon, vos perspectives sont séduisantes : je ne doute pas que la représentation nationale récompensera celui-là et adoptera celles-ci. Vous n'avez jamais hésité à faire preuve de transparence en venant à plusieurs reprises devant nous, ce qui a été très apprécié. Vous avez cité trois points faibles : j'espère que vous pourrez progresser sur chacun. Vous avez indiqué que les conditions de concurrence sur le fret ne sont pas loyales : pouvez-vous préciser ? A propos de l'amélioration des trains de la vie quotidienne, vous nous aviez indiqué, il y a bientôt un an, avoir ciblé une quinzaine de lignes. Qu'avez-vous fait et quels sont vos résultats ? Je ne constate pas, pour l'instant, d'amélioration sur Le Mans-Chartres-Paris.
Je salue votre parcours et celui de la SNCF. Vous êtes le mieux placé pour la garder sur de bons rails : il n'y a d'ailleurs guère de suspens... Nous connaissons votre talent pour exposer la situation et votre stratégie, mais nous vous attendons davantage sur les résultats. La satisfaction des voyageurs reste un enjeu insuffisamment pris en compte. Des efforts sont faits, mais nous aimerions mieux percevoir les étapes charnières de la progression envisagée, peut-être à travers des engagements chiffrés. Le Premier ministre a fait des annonces sur l'Île-de-France, mais certaines questions restent ouvertes. Une clarification s'amorce entre le syndicat des transports d'Île-de-France et la société du Grand Paris. La SNCF est transporteur, pas nécessairement décisionnaire, mais elle peut faire des propositions : lesquelles feriez-vous pour nous sortir de ce capharnaüm ? Ce qui s'est passé pour le fret montre bien la nécessité d'accroître l'efficacité globale.
Sur le statut, il faut être prudent. Mais que peut-on faire ? Pouvez-vous nous fournir quelques données financières ? La question de la dette est toujours effleurée, comment l'aborder ? C'est un sujet majeur. Quelle leçon tirez-vous des intempéries de la semaine dernière ?
J'ai écouté votre bilan et vos projets me conviennent. Les perspectives que vous avez tracées m'incitent à vous apporter tout mon soutien. Cette grande maison qu'est la SNCF a aujourd'hui belle allure. Beaucoup de questions se posent, toutefois. Quelles perspectives envisagez-vous, dans le cadre de la nouvelle gouvernance, pour réduire la dette ? Quelles relations avez-vous avec la Deutsche Bahn ? Les neuf milliards d'euros de chiffre d'affaires dont vous avez parlé pour le fret comprennent-ils le fret de Geodis et des autres sociétés de transport de la SNCF ? C'est le point qui nous intéresse le plus : il n'y a pas beaucoup de moyens pour mettre en oeuvre un fret ferroviaire utile en France. Seulement 8 % ou 9 % des marchandises sont transportées par le rail, alors que nos concitoyens n'acceptent plus les poids lourds sur les routes. Comment résoudre le problème de la faible convergence du cadre social en Europe ? Je le redis, vous avez toute ma confiance.
Rien n'est résolu pour la LGV Atlantique. Comment les gares de Tours, Poitiers et Angoulême seront-elles desservies à partir de 2017 ?
Monsieur Pepy, malgré toute la considération que je vous porte, je ne crois pas à l'homme providentiel. Le succès passe par les synergies de groupe. Et je peux témoigner, dans ma région de Languedoc-Roussillon, de la qualité de vos équipes. C'est une chance pour l'entreprise, pour notre pays. Globalement, même s'il y a çà et là des choses à redire, le service rendu au public se situe à un très haut niveau, il ne peut plus progresser qu'à la marge.
Deux secteurs sont toutefois à améliorer significativement, à commencer par le fret. Faute de volonté de la part de l'État et de la SNCF, il périclite depuis des années. Tout reste à faire pour l'adapter à la nouvelle donne européenne. Quelles perspectives ? Quel calendrier ? Questions cruciales car le fret constitue une garantie pour l'avenir de la SNCF.
Deuxième point, la gouvernance. J'ai connu une SNCF dotée d'une administration centrale et de directions spécialisées, l'une sur le matériel, l'autre sur la maintenance et la traction. Désormais, le groupe, éclaté entre des filiales comme RFF ou Gares et connexions, fait entendre vingt-cinq sons de cloches différents. Pour gagner le combat contre la concurrence - et la SNCF ne doit pas craindre la concurrence - toutes ces structures doivent parler d'une seule voix.
Fils d'un ingénieur qui a participé à l'aventure du TGV et qui a passé sa vie à vendre nos métros et nos trains dans le monde, je me réjouis de vos propos sur le savoir-faire ferroviaire français.
Inutile que je vous décrive les difficultés qu'éprouve la SNCF en Île-de-France à relier Paris à sa lointaine banlieue, en particulier depuis la gare Saint-Lazare ; vous les connaissez. A quand la Tangentielle Ouest entre Cergy-Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines et Versailles ? La société du Grand Paris parle de 2027-2030, il y a de quoi désespérer...
Maire de Conflans-Sainte-Honorine, la capitale française de la batellerie, je défends l'interconnexion du rail et de la route, mais aussi du rail et du fluvial. Or la presse locale évoque la relance d'un projet qui aboutirait à faire rouler des trains de marchandises du Havre vers Argenteuil à travers l'agglomération de Conflans en pleine nuit. Si ce projet était avéré, attendez-vous à des résistances extrêmement violentes : les Conflanais refuseront cette nuisance qui s'ajoutera à celles provoquées par les transports aérien et routier.
Je suis souvent amenée, comme les autres élus, à répondre aux interpellations de mes administrés sur certains dysfonctionnements de la SNCF. La semaine dernière, les gens n'ont pas compris pourquoi, à cause du principe de la séparation des métiers que la SNCF a retenu il y a quelques années, ils ont dû, bloqués dans une gare, attendre plusieurs heures dans la nuit et le froid sur un quai enneigé. L'employé présent, chargé des aiguillages, a refusé de prendre la responsabilité d'ouvrir la salle des pas perdus : c'est aussi cela, la séparation des métiers ! Dans certaines occasions, introduire un peu de souplesse et de fluidité dans la doctrine de la séparation des métiers ne ferait pas de mal, qu'en pensez-vous ?
Il n'est pas de questions anecdotiques, toutes sont révélatrices. L'interpellation de Mme Rossignol souligne combien cloisonner la gestion des infrastructures et le transport des voyageurs peut aboutir à des situations effectivement aberrantes et inexplicables. Le nouveau président de RFF et moi-même sommes fermement déterminés à unifier le système ferroviaire, dans le respect des règles européennes encore en cours d'élaboration à Bruxelles - les Parlements européen et français auront leur rôle à jouer. Cela dit, une nouvelle loi n'est pas nécessaire pour combattre les comportements trop rigides, tels que ceux exposés par Mme Rossignol.
La dette de la SNCF s'est réduite d'un milliard d'euros en 2012 ; la question porte davantage sur celle de RFF et, à l'avenir, sur celle du système ferroviaire unifié. Sans trahir les intentions du Gouvernement, je peux affirmer que la stabilisation sera une étape indispensable avant la diminution. Nous ferons, avec RFF, des propositions de performance au Gouvernement pour neutraliser la progression de la dette. Cela suppose toutefois que la commission présidée par M. Philippe Duron sur le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, présente un projet raisonnable sur les LGV. Nous ne pourrons pas à la fois rattraper le retard en Île-de-France, moderniser le réseau classique et développer les LGV. Mais ces choix ne relèvent pas de la SNCF, ils appartiennent au Gouvernement et au Parlement.
Le cadre social harmonisé, sur lequel MM. Teston et Capo-Canellas m'ont interrogé, est une question clé. La coexistence de deux régimes différents, pour les mêmes métiers, exercés au même moment, sur un même réseau, n'est pas tenable. De deux choses l'une : soit l'entreprise s'aligne sur les coûts du privé et vend à perte, soit elle reflète la réalité de ses coûts et perd des marchés, mettant son avenir en péril. D'où l'importance de négocier un pacte social rénové pour le XXIe siècle. J'ai dit aux organisations de cheminots que la France compte six cents conventions collectives et que, bonne nouvelle, le transport ferroviaire lui en donnerait une six-cent-unième. Dans six cents cas, les négociations ont abouti, pourquoi pas une fois de plus ? Les discussions seront compliquées et longues mais se traduiront par des règles applicables à tous. Les syndicats ont parfaitement conscience qu'il y va de l'avenir de l'entreprise.
Grâce à l'enveloppe de 400 millions d'euros pour le renouvellement du matériel, annoncée par le Gouvernement, nous engagerons la modernisation des trains d'équilibre du territoire et le remplacement d'un millier de rames Corail par des rames modernes. Cela prendra des années mais le mouvement est engagé. Sur les grandes lignes, celle des Volcans reliant Paris à Clermont-Ferrand et celle du Capitole reliant Paris à Toulouse via Orléans et Limoges, je propose, à défaut de LGV, de faire rouler des TGV sur les lignes classiques, pour y améliorer le service et le confort des voyageurs.
Monsieur Grignon, la sécurité est une de nos priorités. Les incidents qui ont eu lieu à Grigny le week-end dernier relèvent de la police nationale. La SNCF n'a pas à se substituer aux forces de l'ordre ni à la justice. En revanche, elle met tout en oeuvre pour la prévention des actes délictueux : affectation de 2 500 cheminots à la Surveillance Générale, achèvement du plan de vidéo-protection décidé il y a quatre ans, soit 25 000 caméras réparties entre trains et gares. Nous développons également l'accueil-embarquement, qui inclut la vérification des billets. Concernant la grande vitesse, il est question d'inaugurer quatre lignes entre 2017 et 2018. Au-delà, la priorité absolue sera d'entretenir et d'améliorer le réseau existant, les lignes saturées ou insuffisamment robustes. La transparence avancera avec la présentation de comptes par ligne, je m'y suis engagé auprès des présidents de région ; un rapport du délégataire, à l'instar de la pratique dans les services urbains ; enfin, un tableau de bord mensuel grâce auquel les élus apprécieront facilement les coûts et les bénéfices des services qu'ils développent.
Madame Masson-Maret, les risques psychosociaux représentent un sujet extrêmement sensible en temps de crise, nous le prenons très au sérieux. Nous le traitons par la formation de nos managers, la conclusion d'accords avec les organisations du personnel ; et nous avons la chance d'avoir une médecine du travail en interne qui intervient auprès des salariés. Éviter un passage à l'acte qui rejaillirait sur tout le corps social, voilà ma préoccupation quotidienne.
Monsieur Cornu, l'ouverture à la concurrence, dont les Parlements français et européen fixeront les modalités et les dates, sera bientôt une réalité. A nous de moderniser l'entreprise historique pour l'y préparer. A mon sens, une concurrence loyale passe par des règles communes pour le ferroviaire entre public et privé, entre la France et les autres pays européens. Ce qui nous ramène au problème du cadre social harmonisé - des amplitudes de travail, des jours de repos et des taquets identiques pour tous - et pose la question d'un alignement des régimes fiscaux et sociaux. Un seul exemple : nos taux de cotisations sociales sont de dix points plus élevés que ceux de nos concurrents des pays voisins. Dans ces conditions, comment remporter des appels d'offres ?
Sur une douzaine de lignes sensibles, huit ou neuf sont complètement tirées d'affaire. En revanche, il faut remettre l'ouvrage sur le métier pour les trajets Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Amiens-Boulogne, Paris-Limoges-Toulouse et, à maints égards aussi, Paris-Chartres-Le Mans, sur laquelle le matériel, très ancien, sera renouvelé ; il restera toutefois des progrès à accomplir pour se montrer à la hauteur des attentes.
Monsieur Capo-Canellas, le service rendu aux voyageurs s'améliorera, d'abord, avec l'arrivée de matériels neufs. D'ici la fin de la décennie, la SNCF sera fière d'afficher un taux proche de 100 % de matériels neufs ou rénovés. Les régions, qui ont déjà investi 7 milliards, poursuivront leur effort ; un millier de trains neufs sont en commande. Autre levier : la rénovation des gares avec vingt projets majeurs en cours. Enfin, le plan Perben de rénovation du réseau s'achèvera bientôt. Le ministre nous a demandé de tracer des perspectives pour les années 2015-2020, en ce qui concerne la modernisation de l'existant. Pour l'Île-de-France, mon homologue Pierre Mongin et moi-même, résolus à mettre un terme à la guéguerre stupide entre la RATP et la SNCF, avons progressivement unifié la gestion des grandes lignes communes : nous nous attaquons cette année à la ligne B, restera la ligne A. La réforme ferroviaire comportera une organisation plus intégrée en Ile-de-France, entre voies et trains.
Pour davantage de fret en Europe de l'Ouest, la France doit réserver clairement la route aux courtes distances et le transit européen au rail. L'Autriche, un pays libéral, l'a décidé il y a trente ans ; seuls les camions qui desservent le pays sont autorisés à entrer, les autres doivent prendre le train. Résultat, le fret ferroviaire y détient 38% des parts de marché. Deuxième condition, consacrer une partie de l'investissement au transport de marchandises. Le plan Borloo de 2008, doté de 7 milliards d'euros, se concrétise progressivement avec, par exemple, la réalisation du contournement de l'agglomération lyonnaise par les trains de marchandises. Enfin, nous devrons nous attaquer à une contradiction flagrante entre la dérégulation sociale pour la route, et l'hyper-régulation du ferroviaire. Comment lutter ?
Monsieur Esnol, le fret sur la Tangentielle Ouest ne passera pas par Conflans-Sainte-Honorine ; la décision a été prise il y a une quinzaine d'années, j'ai la conviction qu'on ne reviendra pas dessus. Pour desservir les ports normands du Havre et de Rouen sans emprunter les lignes de voyageurs, nous modernisons et électrifions l'axe Gisors-Serqueux.
Madame Rossignol, la modernisation des trains du grand bassin parisien, desservant l'Oise, l'Eure-et-Loir, la Picardie ou le Centre, est une priorité. Les voyageurs qui empruntent ces itinéraires passent plus de deux heures en train par jour, dans des conditions qui ne sont pas conformes à leurs attentes.
Pour conclure, un mot à Michel Teston. La SNCF saisira ce que je considère comme une chance historique : la construction d'un modèle français qui, tirant les leçons des quinze dernières années, ne s'établira plus selon des normes bureaucratiques ou théoriques définies ailleurs. Je vois dans la réunification du système ferroviaire une marque de confiance envers mon entreprise. En contrepartie, nous devons aux Français d'améliorer notre efficacité économique, notre sens du client et le service public. Il nous faut réaliser un saut de performance. C'est le sens du mandat que j'espère recevoir de vos mains.
Merci d'avoir répondu à toutes nos questions qui témoignent de notre respect et de notre considération pour votre oeuvre à la tête de la SNCF. Personne ne doute de l'issue du vote au Sénat et à l'Assemblée nationale.
Les 250 000 salariés de la SNCF apprécient vos messages d'encouragements et reçoivent toujours positivement vos remarques.
La commission procède au vote sur la candidature de M. Guillaume Pepy, à la présidence de la SNCF.