Serge Larcher, président. - Mes chers collègues, M. Jean-Étienne Antoinette va nous présenter une étude réalisée par le service de législation comparée sur les ressources minérales profondes. Cette étude nourrira notre réflexion sur les enjeux des zones économiques exclusives.
Je vous ai d'ores et déjà présenté, le 16 janvier dernier, en compagnie de mon collègue Georges Patient, le résultat de la première partie de nos travaux concernant les fonds marins. Elle concernait le régime juridique de l'exploration et de l'exploitation pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental.
Désireux de ne pas nous limiter à une approche « atlantique » de cette problématique, nous avons demandé aux services du Sénat de réaliser une seconde étude de législation comparée sur le régime applicable à l'extraction des produits minéraux tirés des fonds marins. Cette étude concerne le régime de recherche des ressources minérales profondes : les nodules polymétalliques, les encroûtements et les sulfures hydrothermaux que l'on trouve, entre autres, dans certaines zones du Pacifique. Elle tend à nous donner, elle aussi, des éléments de comparaison utiles dans la perspective de la réforme du code minier que M. Tuot a évoquée devant la commission du développement durable, en décembre dernier.
L'étude examine le régime applicable à l'exploration et à l'exploitation de ces ressources minérales dans six États extra-européens : le Brésil, les États-Unis, les Îles Cook, les Îles Fidji, la Nouvelle-Zélande et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Hormis les États-Unis, tous sont membres de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
Je vous présenterai successivement :
- tout d'abord quelques éléments de contexte ;
- puis le régime applicable dans les diverses parties des océans ;
- avant d'aborder l'état d'avancement de l'exploration des ressources minières sous-marines ;
- et enfin de vous présenter les conclusions que cette étude nous permet de tirer.
Pour introduire le contexte, je vous rappellerai tout d'abord les définitions des minéraux auxquels nous nous intéressons.
Les nodules polymétalliques sont connus dans tous les océans sous toutes les latitudes à partir de fonds de 4 000 mètres, dans des zones caractérisées par une faible sédimentation. Ils se composent surtout d'hydroxyde de manganèse et de fer.
Les sulfures hydrothermaux sont, quant à eux, le produit de la circulation d'eau de mer dans la croûte océanique sous l'effet de forts gradients thermiques. On les trouve sur toutes les structures sous-marines d'origine volcanique. Ils se caractérisent par de forts enrichissements en métaux de base. Comme nous l'a indiqué l'IFREMER lors de son audition devant notre délégation, leur inventaire reste très incomplet.
Les encroûtements d'oxydes ferromanganèsifères ont été répertoriés dans tous les océans dans des environnements où la combinaison de courants et de faibles taux de sédimentation a empêché le dépôt de sédiments pendant des millions d'années. Ils varient de quelques centimètres à 25 centimètres d'épaisseur et couvrent des surfaces de plusieurs kilomètres carrés. Ils sont constitués d'oxydes de fer et de manganèse. Ils sont riches en cobalt et souvent fortement concentrés en platine.
Je désignerai désormais dans le cours de mon exposé, par commodité, les trois types de minéraux sous le nom commun de « nodules et autres substances ».
Comme j'aurai l'occasion de le dire à plusieurs reprises, le droit de l'exploration des nodules et autres substances est un droit « à l'état naissant ».
La rareté des législations spécifiquement applicables aux substances minières sous-marines résulte, en premier lieu, de l'état lacunaire des connaissances relatives à l'étendue et à la nature du domaine exploitable.
En effet, si les ressources en nodules polymétalliques disponibles - les plus prometteuses - de la zone de Clarion-Clipperton polarisent l'attention de plusieurs explorateurs, la cartographie des sulfures hydrothermaux et celle des encroûtements semble encore très incomplète. De même les techniques d'exploitation industrielle de ces minéraux ne sont-elles pas, au moins pour le moment, opérationnelles. Le droit peine à régir un objet dont les contours concrets ne sont pas clairement identifiés.
Certes, plusieurs États estiment qu'existent, dans leur législation, des normes qui sont appropriées pour régir tant les activités dans la ZEE et sur le plateau continental que celles des entreprises qu'ils pourraient patronner ou patronnent d'ores et déjà dans la « Zone » internationale placée sous la sauvegarde de l'AIFM.
J'observe cependant que nombre de ces législations ne sont pas spécifiquement consacrées à ces activités apparues récemment ou à des substances découvertes après leur entrée en vigueur.
Faute de pouvoir s'appuyer sur des compétences techniques pour lever tout doute sur ce point, la note qui nous a été remise s'attache à présenter l'« état d'avancement » des réformes législatives et réglementaires survenues dans plusieurs des États qui sont dotés de ressources potentielles ou qui manifestent un intérêt pour les recherches en la matière.
Il s'avère en effet que si la législation des États étudiés est loin d'être complète, un mouvement commun se dessine : de plus en plus de pays se préoccupent du sort de ces minéraux.
J'en viens à présent à un bref panorama des régimes applicables aux diverses parties des océans. Je distinguerai ici :
- tout d'abord le régime général qui concerne la Zone économique exclusive, la ZEE et plateau continental ;
- ensuite, la « Zone », soumise à l'AIFM, dont le siège est en Jamaïque ;
- et enfin le régime français.
S'agissant de la ZEE et du plateau continental, la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, conclue le 10 décembre 1982 à Montego Bay, reconnaît aux États côtiers la faculté d'exercer des droits souverains sur la ZEE, d'une part, et sur le plateau continental, d'autre part.
La ZEE est, selon les articles 55 à 57 de la convention, « une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci » qui ne s'étend pas au-delà des 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée l'étendue de la mer territoriale. L'État côtier y a « des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol [...] ».
Aux termes de la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République, la ZEE française s'étend jusqu'à 188 milles marins au-delà de la limite des eaux territoriales, elle-même fixée à 12 milles marins, soit 22,224 kilomètres à compter des lignes de base. La France y exerce des droits souverains en ce qui concerne l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, du fond de la mer, de son sous-sol et des eaux surjacentes.
Les articles 76 et 77 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, dite « convention de Montego Bay », précisent que le plateau continental d'un État côtier comprend : « les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu'au rebord externe de la marge continentale ou jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure ». L'État côtier y exerce « des droits souverains [...] aux fins de son exploration et de l'exploitation de ses ressources naturelles » qui sont « exclusifs » au sens que, si l'État côtier n'explore pas le plateau continental ou n'en exploite pas les ressources naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités sans son consentement exprès.
Ce qui ne relève pas de la juridiction nationale relève donc de l'AIFM.
Le deuxième régime applicable aux océans est celui de la « Zone » soumise à l'AIFM. En vertu des articles 1, 139 et 153 de la convention de Montego Bay, les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale constituent la « Zone ». Celle-ci couvre au moins la moitié des fonds marins de la planète, soit 260 millions de kilomètres carrés. Les activités qui s'y déroulent sont organisées, menées et contrôlées par l'AIFM, pour le compte de l'humanité tout entière.
Ces activités sont actuellement mises en oeuvre, en association avec cette autorité, par les États eux-mêmes ou par les entreprises qu'ils « patronnent », dans le respect des deux règlements adoptés par l'AIFM sur la prospection et l'exploration dans la « Zone » des nodules polymétalliques, d'une part, et des sulfures polymétalliques, d'autre part. En vertu de ces textes, la prospection ne confère au prospecteur aucun droit sur les ressources.
Les articles 2 et 3 de l'Annexe III de la même convention précisent que l'exploration et l'exploitation de la Zone ne sont effectuées que lorsque le prospecteur s'est engagé par écrit à respecter la convention dans des secteurs spécifiés par des plans de travail approuvés par l'Autorité.
Les États qui patronnent des activités d'exploration sont en outre tenus de prendre les « mesures raisonnablement appropriées » afin d'assurer le « respect effectif » des obligations qui résultent de la convention sur le droit de la mer par les cocontractants qu'ils patronnent dans l'activité d'exploration et d'exploitation de la Zone, soit au-delà des eaux qui sont soumises à leur juridiction, sauf à voir leur responsabilité engagée du fait des dommages qui peuvent survenir.
La Commission juridique de l'AIFM a, du reste, proposé l'établissement d'une législation-type pour aider les États parrainant des activités à honorer leurs obligations. Puis le Conseil de l'Autorité a décidé de faire réaliser un rapport sur les lois, règlements et dispositions administratives concernant les activités dans la Zone adoptés par les « États patronnant ». Selon ce rapport, publié au printemps 2012, dix États avaient, à cette époque, communiqué des renseignements concernant leurs législations respectives.
J'en viens enfin à la législation nationale.
Le régime applicable à l'exploration et à l'exploitation des substances minières sous-marines résulte, pour ce qui concerne la France, de divers textes.
Aux termes de l'article L.123-2 du code minier, la recherche de l'ensemble des substances minérales ou fossiles contenues dans le sous-sol du plateau continental ou dans le fond de la mer et le sous-sol de la ZEE, ou existant à leur surface, est soumise au régime applicable aux substances de mine.
Le statut, fixé par une loi organique, des collectivités d'outre-mer (COM) qui sont régies par l'article 74 de la Constitution, peut prévoir que l'adoption d'un tel régime relève de leur compétence. À titre d'exemple, la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, portant statut d'autonomie de la Polynésie française, prévoit que cette COM « réglemente et exerce le droit d'exploration et le droit d'exploitation des ressources naturelles biologiques et non biologiques du sol, du sous-sol et des eaux surjacentes de la mer territoriale et de la ZEE dans le respect des engagements internationaux ».
En application de l'article L. 671-1 du code minier national, la compétence en matière d'exploration et d'exploitation des matières premières stratégiques ne relève toutefois pas de la Polynésie française.
Je vais maintenant aborder l'état d'avancement de l'exploration des ressources minières sous-marines. Les entités qui cherchent à prospecter des nodules et d'autres substances minières sous-marines peuvent recevoir des permis d'exploration ou d'exploitation :
- soit des États côtiers sur leur ZEE ou de leur plateau continental ;
- soit de l'AIFM dans la « Zone » internationale, au-delà du plateau continental.
En matière d'exploration, on retiendra que plusieurs États ont attribué des permis concernant des zones sous-marines. Je ne citerai que l'exemple des Fidji qui, en décembre 2011, avaient délivré 17 permis et celui de la France qui a, quant à elle, délivré le 20 juillet 2010 une autorisation de prospection préalable de substances minérales ou fossiles dans les fonds marins de la ZEE des îles de Wallis et Futuna à l'Institut français de recherche pour l'exploration de la mer (IFREMER) et aux sociétés de la Compagnie française de mines et métaux, ERAMET et BRGM SA, pour deux ans.
En matière d'exploitation, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a délivré, en janvier 2011, un permis d'exploitation dénommé « Solwara 1 » à la société Nautilus Minerals Inc. pour une zone située à 1 600 mètres de profondeur, dans la mer de Bismarck, laquelle contient des gisements de sulfures massifs riches en cuivre et en or. C'est une première.
Quant à l'AIFM, elle a, d'ores et déjà, conclu des contrats avec des partenaires qui explorent des surfaces situées dans la « Zone ». Le contractant y a le droit exclusif d'explorer un secteur dont la superficie initiale peut atteindre 150 000 kilomètres carrés. Huit ans après la signature du contrat, la moitié de ce secteur doit être restituée. Six de ces secteurs d'exploration sont situés dans le sud du Pacifique central et au sud-est d'Hawaï et le septième au milieu de l'océan Indien. Ces contrats ont été conclus avec :
- le Gouvernement indien (2002) ;
- l'IFREMER et l'Association française pour l'étude de la recherche des nodules (2001) ;
- une société japonaise (2001) ;
- une entreprise publique russe (2001) ;
- l'Association chinoise de recherche-développement concernant les ressources minérales des fonds marins (2001) ;
- un consortium formé par la Bulgarie, Cuba, la Fédération de Russie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie (2001) ;
- le Gouvernement de la République de Corée (2001) ;
- et l'Institut fédéral des géosciences d'Allemagne (2006).
Le conseil de l'AIFM a également approuvé :
- en juillet 2011, des plans de travail pour l'exploration de la Zone parrainés par Nauru, d'une part, et Tonga, d'autre part ;
- en juillet 2012, des plans de travail présentés par diverses entités, dont l'IFREMER.
Les dates que je viens de citer montrent bien que plusieurs États se préoccupent dès à présent du sort de ces ressources.
J'observe du reste que le Brésil et la Nouvelle Zélande y ont consacré des développements spécifiques dans les rapports établis pour préparer la modification de leur législation minière.
Mais, me direz-vous, quelles conclusions tirer de l'étude des législations que j'ai évoquées ?
L'analyse des six législations précitées permet de constater :
- en premier lieu que les nodules, encroûtements et sulfures hydrothermaux demeurent des objets juridiques assez mal identifiés : si parmi les législations étudiées celles des États-Unis dans les fonds marins hors plateau continental et des Îles Cook dans leur ZEE font explicitement référence aux « nodules polymétalliques », la prospection et l'exploitation de ces éléments ne sont pas encore bien appréhendées par les autres droits en vigueur, alors même que l'exploitation des ressources minérales de la ZEE et du plateau continental semble devenir une préoccupation de plus en plus partagée.
- en second lieu qu'il existe un paradoxe : on ressent le besoin de règles en matière d'exploitation minière sous-marine, mais on rencontre des difficultés pour concevoir ces normes. L'analyse des six législations permet de constater que le besoin de règles en matière de prospection et d'exploitation minières sous-marines se fait sentir.
De son côté, l'AIFM travaille à faire mieux prendre en compte le principe de responsabilité des États en la matière, pour ce qui concerne la « Zone ». Cette démarche a une incidence indirecte, elle exerce un « effet d'entraînement » sur les législations nationales des États. Plusieurs de ces États ont, en effet, entamé un processus de réflexion à l'instar des Fidji et de la Nouvelle-Zélande. Les Îles Cook font, sous cet angle, figure d'exception en ayant d'ores et déjà modifié leur législation dans la perspective d'une intensification des recherches sous-marines de minéraux solides.
Deux des États considérés, le Brésil et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, estiment que la législation minière en vigueur permet de faire face aux besoins qui sont, du reste, encore mal connus : si les recherches semblent progresser sur la localisation des gisements de ressources minérales, une inconnue demeure quant à leur réelle « exploitabilité ».
On ne connaît aujourd'hui ni les méthodes industrielles d'extraction, ni la rentabilité réelle de la production compte tenu des fluctuations du cours des matières premières. Cette question, soulignée par les autorités néozélandaises en 2005 dans le document qu'elles ont consacré à la gestion des effets environnementaux des activités offshore dans la ZEE, est d'autant plus importante que le recours à une méthode d'extraction plutôt qu'à une autre pourrait avoir des effets plus ou moins importants sur le milieu environnant :
- le respect de l'environnement est une préoccupation partagée : toutes les législations étudiées accordent une place importante à l'environnement dont on constate que des défenseurs s'avèrent hostiles à l'exploitation minière en eaux profondes ;
- enfin, on constate qu'il existe un réel besoin de coopération internationale, y compris pour l'élaboration des législations nationales, afin d'éviter que ne se constituent des vides juridiques et que ne prévale le « moins disant législatif ». Les initiatives repérées montrent l'intérêt d'une telle coopération internationale. J'en veux pour preuve l'action de l'AIFM et de celles d'organisations régionales du Pacifique dont la préoccupation semble être de définir des règles communes qui éviteraient toute forme de « moins disant législatif ».
Pour conclure mon propos, je vous dirai, mes chers collègues, qu'il m'apparaît souhaitable que ce dossier soit évoqué au cours de la préparation de la réforme du code minier qui nous sera présentée dans quelques mois.
Je suis très heureux d'entendre parler des nodules polymétalliques, ce qui me rappelle mon jeune temps d'élu quand je faisais partie de la conférence internationale pour le droit de la mer à l'ONU de 1978 à 1981. J'étais, à l'époque, surpris d'apprendre que ces nodules en eau profonde constituaient une perspective intéressante pour l'avenir. On y vient peut-être. J'ai plusieurs questions : dans les zones économiques, c'est l'État riverain qui autorise les recherches et éventuellement l'exploitation. Mais dans la Zone internationale, qui est habilité à donner les autorisations ? Dans les années 1980, en vertu de la philosophie onusienne, le produit des ressources exploitées dans les eaux internationales profondes était destiné à financer les pays en voie de développement. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Enfin, quel est l'intérêt d'inscrire ces ressources dans le droit minier ? Celui-ci concerne en effet l'exploitation des ressources terrestres. Dans quelles conditions se font les autorisations de recherche du pétrole en mer ?
S'agissant de l'état des recherches, je me souviens que dans les années 2005, des travaux sur l'extraction des ressources en haute mer m'avaient été présentés par l'IFREMER, notamment sur les recherches concernant les nodules. À la faveur de l'extraction des granulats en bordure de côte, nous avions eu accès à certains dossiers des chercheurs. Les travaux en eau profonde existaient donc à l'époque. A-t-on évolué depuis ?
Je rappelle qu'il convient de distinguer la mer territoriale, la zone exclusive économique, puis, au-delà, le plateau continental.
Mais les conséquences environnementales dans chacune de ces zones ne sont pas prises en compte par les scientifiques. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez présenté votre étude en corrélation avec la réforme du code minier ; faites-vous partie du groupe de travail coordonné par M. Thierry Tuot sur cette réforme ?
En réponse à mon collègue Charles Revet, la Zone internationale est soumise à l'autorité de l'AIFM, qui délivre des autorisations d'exploration, mais ne délivre pas d'autorisations d'exploitation. Se pose alors la question de la prévisibilité pour sécuriser les investisseurs, qui a été évoquée par le groupe de travail de M. Tuot. Il est évident que ces derniers seront incités à engager des explorations seulement s'ils ont la perspective de possibilités d'exploitation. On distingue, en effet, deux phases dans la livraison des permis : une première phase d'exploration, mais qui n'engage pas la seconde phase d'exploitation.
Concernant l'état des connaissances en haute mer, il demeure modeste, comme l'a souligné l'IFREMER, ce qui n'incite pas les investisseurs à s'engager.
Nos collègues MM. Georges Patient et Richard Tuheiava nous représentent au sein du groupe de travail de M. Thierry Tuot, dont je ne connais pas le calendrier exact. Ses travaux, qui ont pris du retard, pourraient être présentés fin 2013.
Je rappelle que même dans la zone économique exclusive, la souveraineté de l'État côtier n'est pas totale.
Nous devons aussi nous pencher sur les conséquences sur l'environnement, et les anticiper.
D'où l'intérêt du code minier. Le cas de la Guyane en est une illustration : il faut des normes environnementales.
Il ressort en effet des auditions sur la réforme du code minier, que certains des enjeux de cette réforme consistent justement à se mettre en phase avec les normes environnementales et de tenir compte des impacts sur l'environnement, ainsi qu'à prévoir la participation du public dans le processus.
Qui aura les connaissances techniques nécessaires au sein du groupe de travail de M. Tuot ?
Il y a différents collèges, dont un composé de spécialistes. Le code minier est un outil très technique. L'un des objectifs de la réforme est aussi de le rendre plus compréhensible.
Nous passons maintenant à l'examen de la proposition de résolution européenne sur le renouvellement du régime fiscal applicable au rhum traditionnel des DOM.
Gillot, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, les rhums traditionnels des DOM bénéficient d'un régime fiscal propre leur permettant d'accéder au marché national et garantissant ainsi la survie d'une filière canne-sucre-rhum dans ces territoires. Le maintien de cette filière revêt une importance fondamentale pour ces territoires aux économies peu diversifiées et qui connaissent des taux de chômage record et en progression constante. Cette aide fiscale, autorisée par plusieurs décisions du Conseil et de la Commission européenne, vient à échéance le 31 décembre 2013, soit dans moins d'un an.
Or, les discussions avec la Commission européenne pour le renouvellement de ce régime n'ont pu s'ouvrir, du fait d'un différend entre les autorités communautaires et françaises sur l'application du dispositif en 2012 et 2013. C'est pourquoi notre délégation a souhaité se saisir de ce dossier important pour les économies ultramarines et m'a nommé, avec Gérard César, rapporteur.
Comme vous le savez, nous avons mené plusieurs auditions devant la délégation, qui nous ont permis d'entendre des dirigeants de distilleries indépendantes et des représentants de la filière, du ministère de l'agriculture, du ministère de l'économie et des finances, ainsi que des représentants de la Délégation générale à l'Outre-mer, de l'ODEADOM et d'Eurodom. Nous avons également eu le plaisir de recevoir le ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel.
À l'issue de ces travaux, nous vous soumettons cette proposition de résolution européenne qui vise à faire valoir auprès des autorités européennes l'impérieuse nécessité de renouveler le régime fiscal pour la période 2014-2020 et à souligner l'urgence de ce renouvellement du fait de la proximité de l'échéance.
Tout d'abord, la filière canne-sucre-rhum revêt une importance considérable pour les DOM. La surface agricole utile consacrée à la culture de la canne en témoigne. En effet, tous DOM confondus, la surface cannière occupe 40 000 ha, soit 34 % de la SAU. Cette part est encore supérieure en Guadeloupe (43 %) et à La Réunion (57 %).
La surface cannière connaît toutefois depuis quelques années une légère diminution, avec une baisse de 2,86 % entre 2006 et 2011, qui reste néanmoins inférieure à celle de la SAU totale (- 3,06 %), montrant ainsi que la culture cannière résiste bien à la pression foncière.
Malgré ce léger retrait de la surface cannière, la production de canne est, pour sa part, en augmentation (+ 1,5 % sur cinq ans), ce qui traduit une hausse des rendements.
Au total, on comptait, en 2011, plus de 8 000 exploitations cultivant de la canne, réparties essentiellement en Guadeloupe (4 300 environ) et à La Réunion (près de 3 500). Outre la production sucrière, ces exploitations fournissent la matière première aux distilleries pour la fabrication du rhum.
S'agissant de la production de rhum, on distingue le « rhum agricole », produit par fermentation alcoolique et distillation du jus de la canne, du « rhum de sucrerie », produit à partir de la mélasse, résidu du raffinage du sucre.
La part relative de chaque type de production varie d'un territoire à l'autre : La Réunion produit quasi exclusivement du rhum de sucrerie quand la Martinique produit très majoritairement, à 83 %, du rhum agricole. La situation est plus équilibrée en Guadeloupe, avec près de 45 % de rhum agricole. Enfin, la Guyane ne produit que du rhum agricole. Le nombre de distilleries pour l'ensemble des DOM s'élève à 24 : 12 en Guadeloupe, 8 en Martinique, 3 à La Réunion et 1 en Guyane.
Il s'agit d'un secteur productif dynamique où le rhum joue un rôle moteur. En témoigne la production, pour l'ensemble des DOM qui connaît une progression importante, avec une augmentation en hectolitres d'alcool pur (HAP) de 17,8 % entre 2006 et 2011.
Il faut en outre souligner une spécificité de cette filière dans les DOM par rapport à d'autres pays : son intégration. Celle-ci découle de la définition communautaire du rhum traditionnel qui exige qu'il soit exclusivement produit à partir de matières premières locales.
Ainsi, l'aide fiscale portant sur le rhum profite à l'ensemble de la filière et la fragilisation de son activité la plus porteuse risquerait de la mettre en péril dans sa globalité.
L'importance économique de cette filière s'illustre dans la place qu'elle occupe dans la balance commerciale de ces territoires. Les échanges des DOM sont largement déficitaires : le déficit global est supérieur à 10 milliards d'euros avec un taux de couverture restreint, de seulement 6 % à La Réunion et de 11 % à la Martinique. Si l'on considère les seules exportations, elles s'élevaient, en 2010, à environ 830 millions d'euros dans les trois départements où la production de rhum est la plus significative, à savoir la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion.
La filière canne-sucre-rhum représente pour sa part un chiffre d'affaires de 250 millions d'euros pour les quatre départements. Elle contribue donc de façon significative à limiter le déséquilibre de la balance commerciale. L'impact local en termes d'emplois est considérable : on peut estimer que dans les trois départements précités, les plus concernés par la production et la transformation de la canne, cette filière est pourvoyeuse d'environ 40 000 emplois, dont 22 000 emplois directs. Ces chiffres sont cités par la Commission européenne elle-même dans sa décision du 27 juin 2007.
La filière canne-sucre-rhum joue également un rôle substantiel en matière de préservation de l'environnement.
Tout d'abord, la culture de la canne prévient l'érosion des sols dans des territoires souvent accidentés et soumis à des phénomènes climatiques extrêmes ; cette culture est en outre économe en eau car elle ne nécessite pas d'irrigation systématique.
Par ailleurs, la mélasse et la paille peuvent être utilisés comme fertilisants, et contribuer ainsi au maintien de la qualité agronomique des sols, ou pour l'alimentation du bétail, ce qui réduit la nécessité d'importer des aliments, importations génératrices d'émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, la filière participe à l'indépendance énergétique de ces territoires et à la lutte contre le changement climatique, grâce à la bagasse. Ce résidu fibreux résultant de l'exploitation de la canne est utilisé comme source d'énergie par combustion pour produire de l'électricité dans les sucreries et distilleries, à La Réunion et en Guadeloupe.
Ainsi, à travers un dispositif fiscal consacré au rhum, c'est bien l'ensemble de la filière canne-sucre-rhum qui est touchée, et au-delà de la filière, l'ensemble de l'économie et de l'environnement de ces territoires.
La Commission européenne partage d'ailleurs ce jugement : elle considérait ainsi dans sa décision précitée que « la fiscalité préférentielle bénéficie aux différents acteurs de la filière canne-sucre-rhum » et assure « le maintien de la culture cannière, la pérennisation des emplois qui lui sont liés, et contribue à l'aménagement du territoire des régions d'outre-mer ».
J'en viens au deuxième point de mon exposé : le dynamisme du marché du rhum profite avant tout aux pays tiers et ACP. Les rhums des DOM sont confrontés à une concurrence toujours plus importante. Une part prépondérante de la production de rhum des DOM est consommée sur place ou exportée d'un DOM à l'autre, notamment des Antilles vers la Guyane. Mais environ le quart de la production est exporté vers le marché communautaire, dont 70 % vers le marché métropolitain.
Sur ces marchés, les rhums des DOM doivent affronter la concurrence de groupes internationaux comme le groupe Bacardi, qui possède notamment la marque de rhum éponyme, ou le groupe français Pernod-Ricard, qui commercialise la marque Havana Club. Ces rhums bon marché et de bien moindre qualité bénéficient d'une politique commerciale agressive de captation de marché qui tend à façonner les modes de consommation.
Ces dernières années, on a également observé la montée en puissance sur le marché communautaire des rhums des pays tiers (Cuba, Venezuela, Brésil, États-Unis, Mexique) et des pays ACP (Barbade, Guyana, Trinité et Tobago, Jamaïque, République dominicaine).
Il faut noter que les accords commerciaux conclus par l'Union européenne avec les pays d'Amérique centrale ou d'Amérique latine aggravent cette concurrence. Ainsi, le groupe Diageo, premier groupe de spiritueux au niveau mondial, a-t-il récemment investi au Guatemala pour profiter de cette libéralisation.
Face à cette concurrence, les rhums des DOM doivent supporter des contraintes qu'ignorent leurs concurrents. Le règlement du Conseil du 15 janvier 2008 définit les boissons spiritueuses dans l'Union Européenne, et en particulier le rhum et le rhum traditionnel des DOM. Celui-ci doit tout d'abord, comme cela a été dit précédemment, être produit uniquement à partir de produits alcooligènes originaires du lieu de production considéré.
Les distilleries des DOM ne peuvent donc pas profiter du coût plus faible de la canne ou de la mélasse sur d'autres marchés ; bien au contraire, ce coût inférieur sur ces marchés renchérit comparativement le rhum des DOM.
À l'inverse, le groupe Bacardi, qui produit exclusivement du rhum issu de mélasse, fait varier son approvisionnement en fonction des cours mondiaux. De même l'implantation de la production varie selon les opportunités fiscales ou en fonction des possibilités offertes de percevoir des subventions. Ainsi, le groupe Pernod-Ricard est-il implanté à Cuba où il bénéficie d'aides et de coûts de production moins élevés, tandis que les États-Unis n'hésitent pas à subventionner massivement les producteurs de rhum : on estime à 263 millions de dollars par an les aides accordées aux Îles Vierges et à Porto Rico.
Au total, le prix de la canne payé par une distillerie des DOM peut être six fois supérieur à celui payé par son homologue brésilien. À ce surcoût de la matière première, s'ajoutent les surcoûts induits par les normes environnementales et sociales ou par la différence du niveau des salaires, ceux-ci n'étant évidemment pas les mêmes dans les DOM et dans les pays tiers. Enfin, s'ajoutent encore des surcoûts liés au transport, au prix de l'énergie ou aux intrants.
Par ailleurs, pour des raisons culturelles et historiques, les rhums des DOM se caractérisent par un degré d'alcool plus élevé : 60 % de la production est à 40 °, un quart est à 50 ° et même 13 % à 55 °. D'autre part, les rhums des DOM sont pour plus de moitié commercialisés en bouteilles d'un litre, le reste étant commercialisé dans des bouteilles de 70 centilitres.
À l'inverse, les produits des pays tiers sont essentiellement des rhums à 37,5 °, commercialisés en bouteilles de 70 centilitres. Or, ces différences ne sont pas anodines dans la mesure où la fiscalité sur les alcools - que ce soit le droit d'accise ou la vignette de sécurité sociale - porte sur le volume d'alcool pur contenu par chaque bouteille.
Ainsi, une bouteille de rhum d'un litre à 50 ° comportera environ deux fois plus d'alcool pur qu'une bouteille de rhum de 70 centilitres à 37,5 °. Cette différence sur le prix d'une bouteille rend plus difficile le référencement en rayon des rhums des DOM par la grande distribution : c'est le surcoût lié à « l'accès au marché ».
Si l'on s'intéresse maintenant au marché du rhum, on observe que celui-ci est en expansion. Au niveau communautaire, les ventes de rhum ont ainsi augmenté de 2,3 % entre 2006 et 2011. Sur le marché français, le rhum (hors punch) occupe une place encore limitée : 7 % des spiritueux contre 40 % pour les whiskies ou 30 % pour les anisés. Mais il connaît une évolution particulièrement dynamique : + 9,8 % par an en moyenne sur les 10 dernières années.
Cependant, du fait des surcoûts présentés précédemment, les rhums des DOM ne profitent pas à plein de ce dynamisme. Ainsi, leur part de marché communautaire régresse : elle est passée de plus de la moitié en 1986 à près d'un tiers en 1996 et un quart en 2011.
Sur le marché français, entre 2008 et 2011, les rhums des DOM ont connu une progression de 9 %, quand elle était de près de 39 % pour les rhums des pays tiers ou ACP. Et encore, cette différence de progression est-elle probablement sous-estimée dans la mesure où ces chiffres portent uniquement sur les ventes en grande surface ; en effet, les rhums de marques disposent d'une grande puissance marketing et sont largement consommés dans les bars ou les discothèques, souvent sous forme de cocktails comme le mojito.
Enfin, j'en viens au troisième point, conséquence des deux premiers : le dispositif d'aide revisité en 2012 doit désormais être renouvelé pour l'après 2013.
C'est afin de compenser ces surcoûts et de maintenir l'accès du rhum des DOM au marché hexagonal qu'a été mis en place un régime fiscal dérogatoire pour le rhum traditionnel produit dans les DOM, à travers un droit d'accise sur les alcools inférieur pour ce produit à celui applicable aux autres alcools.
Cette aide repose juridiquement sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoit, dans la mesure où « la situation économique et sociale structurelle » des régions ultrapériphériques « est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles », la possibilité d'arrêter des mesures spécifiques à ces régions portant, en particulier, sur la politique fiscale et les aides d'État, « en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires ».
Le régime dérogatoire est encadré par une décision du Conseil du 9 octobre 2007, complétée par une nouvelle décision du Conseil du 19 décembre 2011, et par une décision de la Commission européenne du 27 juin 2007, au titre des aides d'État.
Ces décisions prévoient notamment que :
- le taux d'accise ne peut être inférieur de plus de 50 % à celui pratiqué sur les autres alcools,
- qu'il s'applique uniquement au rhum traditionnel défini au plan communautaire,
- et dans la limite d'un contingent s'élevant, en 2011, après plusieurs augmentations, à 120 000 HAP.
La dernière augmentation de volume consentie par la Commission européenne pour 2011 n'est cependant entrée en vigueur que tardivement, fin 2011, ce qui a empêché les producteurs d'en bénéficier effectivement.
Le montant de l'aide initialement notifié à la Commission, en 2007, s'élevait à 66,4 millions d'euros. En 2011, avec un taux d'accise de 1 514 euros par HAP applicable au rhum des pays tiers et un taux réduit de 859 euros applicable au rhum des DOM, le différentiel de taxation s'élevait à 42 % et le montant de l'aide à 78,6 millions d'euros.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, complétée par la première loi de finances rectificative pour 2012, ont modifié la fiscalité applicable au rhum des DOM.
Les montants des droits d'accise ont été relevés, de sorte que le différentiel est passé de 655 euros à 757 euros par HAP. Parallèlement, la vignette de sécurité sociale, précédemment assise sur le litre volume, a été augmentée et assise sur la quantité d'alcool pur, comme le droit d'accise. C'est important. Elle a également fait l'objet d'un plafonnement à 40 % du droit d'accise, ce plafonnement ne s'appliquant, dans les faits, qu'aux rhums traditionnels des DOM.
Ainsi, le différentiel total de fiscalité (droit d'accise et vignette de sécurité sociale) a été porté au total à 111,4 millions d'euros en 2012.
Cette nouvelle fiscalité a :
- augmenté le montant de l'aide sur le droit d'accise au-delà de la limite de 20 % de taux d'accroissement fixée par la réglementation européenne sur les aides d'État. Était donc nécessaire une nouvelle notification ;
- créé une nouvelle aide d'État du fait du plafonnement de la vignette de sécurité sociale, sans notification préalable, ce qui rend la mesure « illégale » au regard des règles de la concurrence de la Commission européenne. Nous avons des arguments pour expliquer cette absence de notification qui aurait dû intervenir en début d'année 2012, et qui n'a été envoyée que le 7 août 2012 à la Commission.
Mais cette dernière remet en cause le montant de l'augmentation de l'aide depuis 2011, qui lui semble excessif. La DG concurrence analyse ainsi la possibilité d'inscrire l'aide au registre des aides illégales.
Afin de vider ce contentieux potentiel, le Gouvernement français a transmis à la Commission européenne, le 18 février 2013, une proposition, qui prévoit :
- le déplafonnement de la vignette de sécurité sociale ;
- la modification du taux d'accise de façon à ce que le différentiel soit porté au maximum autorisé par la décision du Conseil, c'est-à-dire 50 % ;
- un mécanisme spécifique pour les petites distilleries, c'est-à-dire celles produisant moins de 2 000 HAP, qui seraient les plus touchées par la nouvelle vignette du fait du haut degré alcoolique de leur production.
Avec un tel dispositif, le montant global de l'aide serait ramené à 103 millions d'euros. La hausse par rapport à 2011 s'explique par l'augmentation des coûts de production (+ 9,5 millions d'euros), du coût d'accès au marché (+ 6,4 millions d'euros) et par la mise en place du dispositif relatif aux petites distilleries (+ 1,3 millions d'euros).
Il faut également y ajouter 7,4 millions d'euros pour tenir compte du fonctionnement de la vignette de sécurité sociale avant 2012 : en effet, jusqu'en 2011, celle-ci portait sur le volume de boisson et non sur le volume d'alcool pur, ce qui représentait, de fait, un avantage comparatif pour les rhums des DOM.
Cette proposition vise à résoudre le différend avec la Commission pour la période courant depuis le 1er janvier 2012.
Nous estimons, avec mon collègue Gérard César, que ce dispositif est particulièrement équilibré. En effet, il est de nature à continuer à assurer la survie de la filière canne-sucre-rhum des DOM en prenant en compte ses spécificités sur la base de l'article 349 du TFUE, tout en répondant aux préoccupations de respect du principe de libre concurrence émanant de la Commission européenne. Il devrait donc préfigurer, à notre sens, le régime fiscal applicable au rhum des DOM à compter du 1er janvier 2014. Telle est notre proposition.
Enfin, nous soulignons l'urgence à faire aboutir la procédure afin de donner la visibilité économique indispensable aux entreprises de la filière, dont nous rappelons encore une fois le rôle majeur pour la vitalité économique et donc l'emploi, le maillage des territoires ainsi que la préservation de l'environnement.
Je vous remercie de votre attention au terme de cet exposé quelque peu technique !
Le ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel, a évoqué devant notre délégation ses interventions auprès de la Commission européenne sur ce sujet. Ses propositions ont-elles des chances d'aboutir ? Les spécificités qu'il avance peuvent-elles être prises en compte dans la négociation ? Les arguments du ministre peuvent-ils emporter un résultat positif, compte tenu de l'impact économique crucial de cette filière pour les DOM ?
Gillot, rapporteur. - À ce stade, le ministre nous dit que les négociations pourraient aboutir favorablement si nous faisons baisser l'aide de 111 à 103 millions d'euros. L'article 349 du TFUE joue en notre faveur. Si nous n'obtenons pas ces aides, nous risquons d'avoir des difficultés compte tenu des accords passés avec les pays ACP et les pays de la zone. Si nous voulons sauver non seulement le rhum, mais aussi toute la filière canne-sucre-rhum, la représentation nationale doit unir ses forces à celles du gouvernement et montrer l'intérêt de notre proposition de résolution européenne.
Le risque contentieux avec la Commission européenne freine les négociations...
Quelle est la différence entre le rhum de mélasse et le rhum agricole ? Bacardi a une réputation de rhum de qualité alors qu'il produit du rhum de mélasse ! Quelles sont les différences de coût et de positionnement sur le marché entre un rhum de mélasse et un rhum de distillation ?
Gillot, rapporteur. - Le rhum agricole vient du jus de canne alors que la mélasse est un résidu. La qualité et le goût ne sont donc pas du tout les mêmes ! Le rhum issu de la mélasse est moins fort en alcool, et a un coût de production moindre ; il est donc plus facilement consommé. Alors que seul le rhum agricole est du vrai rhum !
Il est clair que le rhum agricole est de bien meilleure qualité. Mais les DOM n'auraient-ils pas intérêt, pour conquérir des parts de marché européen, à produire du rhum moins fort en alcool ?
Le rhum industriel, sous-produit du sucre et bon marché, est souvent vendu par des sociétés américaines, alors que le rhum des Antilles est un rhum traditionnel estampillé AOC, à au moins 43 ° et régi par des normes. Or, on constate une progression du marché du rhum industriel en Europe, ce rhum de qualité inférieure entrant dans la consommation de nombreux cocktails comme le mojito. Mais les producteurs de rhum martiniquais et guadeloupéens font des efforts de promotion de leur rhum agricole. Les rhums Dillon et Clément, notamment, font l'objet de campagnes publicitaires d'affichage à Paris. Cependant, le rhum AOC ne peut pas descendre en-dessous de 37 ° sauf à perdre sa norme AOC, et à perdre beaucoup en qualité. Alors que le rhum industriel importé arrive dans des containers et on y ajoute de l'eau pour abaisser le degré d'alcool ! À cet égard, je constate et déplore qu'un groupe français, Pernod Ricard, soit le cheval de Troie du rhum cubain notamment, Havana, puisqu'il le commercialise sur le territoire français.
Pour résumer, nous nous battons à armes inégales. Et il est difficile de faire valoir la qualité !
Ces questions sont très importantes. On peut supposer que les négociations aboutiront prochainement ; mais demeure le dossier de la commercialisation... Pourrait-on réfléchir à d'autres produits, d'autres débouchés, et aux moyens de valoriser davantage notre rhum ? S'il est plus cher, c'est parce qu'il est de meilleure qualité : il faut que cette qualité soit davantage reconnue !
Les Martiniquais et Guadeloupéens savent qu'ils ne peuvent pas produire au même coût que les Américains. Ils font des efforts : ils diversifient les produits, mettent sur le marché des rhums à moindre teneur en alcool, modifient la capacité des bouteilles en vendant aussi des bouteilles à 70 centilitres, comme les Américains.
Nous cherchons de nouveaux débouchés, en Chine et au Japon notamment. Le tourisme ouvre aussi le rhum à de nouveaux consommateurs. Sur les marchés français et européen, sans une fiscalité favorable, nous serons en difficulté, même avec une meilleure qualité, compte tenu de la différence de prix avec le rhum industriel.
Je rappelle enfin que la production de rhum n'est pas affectée par les intempéries locales et en particulier les cyclones : la canne se plie en cas de cyclone, et se redresse, sans se casser.
Je propose maintenant au rapporteur de nous lire les considérants de la proposition de résolution européenne.
Gillot, rapporteur. - Considérant, comme le rappelle l'article 349 du TFUE, que « la situation économique et sociale structurelle » des régions ultrapériphériques « est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles »,
Considérant que ce même article 349 souligne la « dépendance économique » de ces régions « vis-à-vis d'un petit nombre de produits »,
Considérant que ledit article prévoit, en conséquence, la possibilité d'arrêter des mesures spécifiques aux régions ultrapériphériques portant, en particulier, sur la politique fiscale et les aides d'État, « en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires »,
Considérant que l'application d'un taux d'accise réduit pour le rhum traditionnel produit dans les départements d'outre-mer (DOM) a été autorisée par les décisions du Conseil et de la Commission européenne susvisées,
Considérant que cette aide d'État à finalité régionale vient à échéance le 31 décembre 2013, soit dans moins d'un an,
Constate que ces territoires sont soumis à une situation économique particulièrement alarmante et connaissent un taux de chômage extrêmement élevé,
Rappelle que la filière canne-sucre-rhum est un des piliers de l'économie des DOM et qu'elle occupe une place prépondérante dans leurs exportations, alors même que leur balance commerciale est largement déficitaire,
Souligne que cette filière génère plusieurs dizaines de milliers d'emplois directs et indirects,
Observe que ladite filière est l'exemple le plus significatif d'activité intégrée dans les DOM, que la production de rhum, indissociable de la production locale de canne et de sucre, en est le véritable moteur et qu'elle joue un rôle essentiel en matière d'aménagement du territoire,
Fait valoir que cette filière contribue également à la préservation de l'environnement, en évitant l'érosion des sols, ainsi qu'à la lutte contre le changement climatique et à l'indépendance énergétique de ces territoires, à travers la production d'électricité à partir de la bagasse et le développement de bioénergies,
Rappelle que cette production traditionnelle contribue à « la diversité et la qualité de la production agricole de l'Union européenne », saluée en ces termes par la Commission dans sa communication susvisée, et, au-delà de la filière, constitue un produit phare de ces territoires en termes d'image et de tourisme, illustrant le patrimoine économique et culturel ultramarin,
Réaffirme que les accords commerciaux conclus par l'Union européenne avec les pays d'Amérique latine et d'Amérique centrale sont une véritable menace pour les DOM, qui s'illustre dans la hausse importante des ventes des rhums des pays tiers entre 2008 et 2011, plus de quatre fois supérieure à celle des rhums des DOM, et précise que les négociations commerciales menées par la Commission européenne avec l'Inde pourraient aggraver encore cette situation,
Souligne les écarts considérables et croissants de coûts de production entre les DOM et les autres pays producteurs, avec un rapport de un à quatre,
Relève que la définition communautaire du rhum traditionnel, gage de la qualité du produit, soumet les producteurs à des obligations particulièrement contraignantes qui creusent ce différentiel de compétitivité,
Note que d'autres pays, à commencer par les États-Unis, subventionnent massivement leur propre filière, le plus souvent à travers des aides directes aux producteurs,
En conséquence :
Considère que l'aide fiscale est indispensable au maintien de l'accès au marché national des rhums des DOM, et, corrélativement, à la survie d'une filière canne-sucre-rhum dans ces territoires,
Observe que la Commission européenne partage ce jugement, considérant dans sa décision susvisée que « la fiscalité préférentielle bénéficie aux différents acteurs de la filière canne-sucre-rhum » et assure « le maintien de la culture cannière, la pérennisation des emplois qui lui sont liés, et contribue à l'aménagement du territoire des régions d'outre-mer »,
Constate que cette aide n'a pas provoqué de distorsion de concurrence au détriment des autres pays producteurs, comme l'attestent la progression importante de leurs parts de marché et le fait qu'aucune entreprise de ces pays ne se soit installée dans les DOM pour bénéficier de l'aide fiscale,
Estime que l'aide fiscale doit permettre de compenser l'ensemble des surcoûts subis par les producteurs de ces territoires, afin de garantir un débouché commercial au rhum des DOM, dans le respect des règles communautaires et notamment de l'article 349 susvisé,
Considère que l'appréciation des caractéristiques et contraintes particulières des DOM doit notamment prendre en compte les coûts majorés des matières premières, de l'énergie, du transport et des intrants, ainsi que ceux résultant du respect des normes environnementales et sociales et de l'évolution de la masse salariale,
Fait valoir qu'à côté des coûts de production, doivent également être pris en compte les surcoûts liés à l'accès au marché, comme le soulignait la Commission européenne dans sa décision susvisée mentionnant que les rhums traditionnels faisaient l'objet « d'un type de conditionnement (degré et contenance) augmentant le prix de vente en valeur absolue »,
Constate que les coûts de production comme les coûts d'accès au marché ont considérablement augmenté depuis 2007,
Préconise le renouvellement à l'identique de la décision du Conseil susvisée, la procédure suivant son cours,
Souligne l'urgence pour la Commission européenne à ouvrir les discussions sur le renouvellement du dispositif d'aide d'État au-delà du 31 décembre 2013,
Souhaite que le régime dérogatoire applicable aux rhums traditionnels des DOM puisse être renouvelé sur la base du dispositif, particulièrement équilibré, présenté par le Gouvernement français à la Commission européenne le 18 février 2013,
Salue la mesure spécifique que ce dispositif propose en faveur des petites distilleries, dans la mesure où celles-ci, particulièrement vulnérables, participent au maillage du territoire et à une production diversifiée et de qualité.