Commission des affaires économiques

Réunion du 16 avril 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • débit
  • foyers
  • ka-sat
  • satellitaire
  • satellite

La réunion

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La commission procède à l'audition de M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Nous recevons M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat, suite à notre série d'auditions sur la « feuille de route » du Gouvernement sur le numérique. Vous allez nous expliquer les performances de votre satellite KA-SAT. Nous voudrions savoir dans quelle mesure la solution satellitaire peut constituer un complément par rapport aux solutions terrestres comme le cuivre et la fibre.

Debut de section - Permalien
Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat

Merci de nous donner l'occasion de vous expliquer comment la solution satellitaire est une arme formidable contre la fracture numérique. J'organiserai mon propos en deux axes : je vous donnerai tout d'abord des informations sur Eutelsat, puis je vous montrerai comment Eutelsat et ses satellites peuvent permettre de connecter des Français qui n'ont pas accès aujourd'hui au haut débit.

Eutelsat constitue le troisième opérateur mondial de satellites. Nous sommes client des constructeurs de satellites et des sociétés de lancement. Nous sommes fournisseurs des distributeurs de chaînes de télévision et des fournisseurs d'accès à Internet. Les usagers finaux sont donc les clients de nos clients. Nous avons 4 400 chaînes de télévision sur nos satellites. L'activité des opérateurs dans le secteur spatial est caractérisée par une grande diversité : les services vidéo représentent 68,6% de notre activité, les services de données à valeur ajoutée 19,4 % et les services multi-usages 12,1 %.

Eutelsat est une belle histoire d'économie mixte. Dans les années 1960, les États-Unis ont constitué une coalition avec tous les pays du monde hors bloc soviétique. Ils ont créé une organisation internationale, Intelsat, dans le but d'utiliser les satellites pour les télécommunications. Une dizaine d'années plus tard, les pays européens ont décidé de créer leur propre structure, Eutelsat, organisation intergouvernementale regroupant tous les pays européens à l'Ouest du « rideau de fer ». Quand ce dernier est tombé, les autres États européens ont rejoint Eutelsat. Nous sommes donc d'abord une organisation européenne. Dans les années 1990, les États ont transmis la propriété d'Eutelsat aux opérateurs de télécommunications comme France Telecom ou British Telecom, qui étaient donc à la fois clients et actionnaires. En 2001, il y a eu une crise assez violente de l'Internet et des marchés financiers : Eutelsat a été vendue par ses actionnaires à des sociétés comme Eurazeo, Goldman Sachs... Il est ainsi passé en très peu de temps du capitalisme le plus étatique au capitalisme le moins étatique. En 2005, ses actionnaires ont porté Eutelsat en Bourse et en 2006, deux grands actionnaires sont entrés au capital : l'un Espagnol, Abertis Telecom, et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) via son fonds d'infrastructure. Quand le Fonds stratégique d'investissement (FSI) a été mis en place, nous avons été apportés en dot.

Notre structure capitalistique est aujourd'hui la suivante : le premier actionnaire est le FSI avec 26 %, le deuxième est le fonds souverain chinois - qui est entré au capital quand les Espagnols ont vendu une partie de leurs participations - qui détient 7 %, Abertis a conservé 5 %, et tout le reste est en Bourse.

Eutelsat dispose d'une flotte de 30 satellites qui assure 75 % de la couverture mondiale. Nos satellites sont appelés géostationnaires, ils sont à 35 550 kilomètres au-dessus de la Terre. A cette hauteur, un satellite couvre un tiers du globe. Nous ne couvrons cependant pas l'Amérique du nord, car c'est un marché encombré. Les possibilités de croissance les plus intéressantes concernent les pays émergents. Le dernier né de notre flotte est un satellite acquis l'année dernière à la compagnie General Electric, qui couvre l'Asie orientale et le Pacifique jusqu'à la Californie.

Notre métier est très capitalistique. Un programme satellitaire coûte en moyenne 250 millions d'euros, avec le satellite lui-même, le lanceur, l'assurance et les coûts. Notre satellite KA-SAT a coûté 350 millions d'euros.

Quelques chiffres : nous sommes une société « moyenne » avec un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros sur le dernier exercice. Nous exerçons un métier très capitalistique puisque nous investissons environ 600 millions d'euros par an, soit la moitié de notre chiffre d'affaires. Beaucoup d'entreprises plus importantes investissent beaucoup moins. Notre carnet de commandes représente 4,7 années de chiffre d'affaires. Notre niveau d'endettement n'est pas négligeable mais reste raisonnable. Nous sommes très internationaux : nous comptons, au siège de la rue Balard, 30 nationalités parmi nos 780 collaborateurs.

Je ne peux pas manquer l'occasion de souligner qu'Eutelsat est un excellent citoyen européen. Sur les vingt dernières années, nous avons commandé 27 de nos 30 satellites à des constructeurs européens et Arianespace a lancé plus de la moitié de nos satellites. Notre grand concurrent européen, SES, qui est luxembourgeois, a commandé 8 satellites sur 40 à des constructeurs européens et moins de la moitié ont été lancés par Arianespace.

Nous sommes un contribuable très taxé par rapport à nos deux plus gros concurrents, qui sont tous les deux luxembourgeois, à savoir SES et Intelsat. Nous reversons 35 % de nos profits à l'État, soit trois fois plus que nos concurrents qui exercent le même métier et sont situés à 300 kilomètres.

J'en viens au haut débit. Les données de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) montrent que 300 000 foyers environ n'ont aucun accès, soit 0,9 % de la population. 10,7 % des foyers, soit près de 4 millions de foyers correspondant à près de 12 millions de français, ont un accès de moins de 2 Mbit/s.

Une nouvelle génération de satellites est apparue récemment : les satellites à haute capacité. Ils sont profondément différents des satellites de la génération antérieure, qui avaient une capacité de 2 Gbit/s. KA-SAT a une capacité 45 fois supérieure. Retenons donc que les autres satellites avaient un ou deux grands faisceaux, alors que KA-SAT a 82 faisceaux, chacun pouvant être réutilisé. Beaucoup de gens ne connaissent pas la solution satellitaire. Parmi ceux qui la connaissent, beaucoup ont un souvenir mitigé des satellites de la génération précédente.

Notre satellite KA-SAT a été lancé en décembre 2010. Il est opérationnel depuis juillet 2011 pour seize années. Construit par Astrium, il est basé sur dix stations terrestres en Europe. Il couvre toute l'Europe, l'Afrique du nord et les Pays du Golfe. Pour ce qui est de la France, ce satellite peut couvrir près de 300 000 foyers, soit 1 million de personnes. Par rapport aux satellites de la génération précédente, le débit descendant est, dans l'entrée de gamme, six fois plus important et le débit montant a été multiplié par vingt. Le volume mensuel est passé en bas de gamme à 1,2 Go à 10 Go. En haut de gamme, il est désormais illimité. Malgré cette amélioration du service, le tarif d'abonnement n'a pas changé en entrée de gamme et il a diminué en haut de gamme.

L'un des avantages supplémentaires de la solution satellitaire est qu'elle permet aussi le triple play. Elle connaît cependant des limites. La première est la latence : comme il faut passer par un satellite situé très haut, il y a un petit moment entre la pression sur le bouton et le résultat. Pour les amateurs de jeux en ligne, la solution satellitaire n'est donc pas optimale. La deuxième limite est la capacité de couverture : elle est limitée en nombre de foyers. Notre satellite ne peut en couvrir que 300 000 en France.

Nous ne prétendons pas être une alternative à la fibre. Nous sommes un complément à la fibre et nous sommes une meilleure solution que le Wimax.

Debut de section - Permalien
Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat

Il faut se rappeler, Monsieur le Président, que quand le Wimax s'est développé, la solution satellitaire était beaucoup moins bonne qu'aujourd'hui ! Elle s'est nettement améliorée depuis.

Le Wimax, c'est 2 à 4 Mbit/s, tandis que la solution satellitaire, c'est de 6 à 20 Mbit/s. Le Wimax ne peut pas proposer de triple play.

Je souhaite rappeler les progrès colossaux faits depuis dix ans en passant du bas débit au haut débit. La fixation sur le très haut débit est parfois un leurre. Quand on avait le bas débit à 56 Kbit/s, il fallait 25 minutes pour recevoir un mail avec 10 photos. Quand on est passé au haut débit à 512 Kbit/s, on est passé à 2 minutes 30. Quand on est au haut débit à 10 Mbit/s, il ne faut plus aujourd'hui que 8 secondes. Si on passe à 100 Mbit/s, on passe de 10 secondes à 1 seconde. Le progrès est déjà d'avoir 10 Mbit/s ! Les progrès sont encore plus spectaculaires si on analyse les délais sur le téléchargement d'un album de musique.

Il faut constater l'échec des objectifs fixés au niveau européen concernant le haut débit pour tous en 2013. Au 1er juillet 2012, 95,7 % de la population de l'Union européenne était couverte par les réseaux Internet haut débit, mais 9,1 millions de foyers, principalement dans les zones rurales, demeuraient inéligibles à Internet haut débit. Le taux de couverture des zones rurales demeure limité à 80 % environ et près de 80 % des abonnés DSL ont accès à des offres inférieures à 2 Mbit/s par seconde. Or l'Agenda numérique européen, défini en 2010, prévoyait que le haut débit serait disponible pour tous en 2013.

Je terminerai en soulignant que quatre verrous doivent être levés afin de favoriser l'appropriation de la solution satellitaire :

- sa notoriété doit être améliorée : beaucoup de personnes ne connaissent pas cette solution. Nous menons des actions à destination des maires et des écoles ;

- l'aide aux particuliers doit être utilisée efficacement : l'annonce faite par Mme Fleur Pellerin au Sénat, le 2 avril dernier, selon laquelle un budget est prévu pour 300 000 accès Internet via les technologies satellitaires, doit être traduite dans les faits ;

- la gouvernance locale doit être clarifiée : les rôles respectifs du département et de la région sont complexes et certains élus nous disent qu'ils ne peuvent pas agir pour cette raison ;

- le réseau de distribution doit être soutenu : nos distributeurs sont soit des grandes entreprises pour qui le satellite n'est qu'un sujet parmi d'autres, soit des petites entreprises. La parole des sénateurs est très écoutée par les entreprises.

En conclusion, l'aménagement numérique peut faire un saut majeur, et sans attendre, si le satellite est effectivement inclus comme solution de vrai haut débit à côté de la fibre optique. Les satellites de haute capacité sont des technologies très performantes et les gens l'ignorent trop souvent. Les collectivités locales vont jouer un rôle directeur pour en faire une priorité. Enfin, le satellite n'est pas une solution palliative mais un complément, notamment à la fibre en zone rurale.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

La mise en service du satellite KA-SAT a en effet amélioré les débits mais la capacité demeure limitée : il ne peut donc constituer qu'un complément. Envisagez-vous de lancer un satellite plus puissant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

J'ai le sentiment que le temps de latence est une limite pour des usages tels que le jeu : ne peut-on rien améliorer à ce niveau ? S'agissant de la gouvernance, les élus disposent d'outils et de schémas qui leur permettent d'agir d'ores et déjà s'ils le veulent. Le satellite est une solution indispensable à la couverture totale du territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Le très haut débit n'est peut-être pas indispensable aujourd'hui, mais il faut anticiper l'évolution des usages : c'est un enjeu à terme en matière d'industrie et de services. Les limites de KA-SAT ayant été évoquées, échangez-vous avec le Gouvernement sur la possibilité de développer un nouveau satellite ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Vous êtes un bon vendeur pour la solution satellitaire, mais la capacité de 300 000 foyers desservis est très limitée : comment aller plus loin ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

La notoriété du satellite a été entachée par les débuts difficiles de Nordnet. Il est vrai que les collectivités se sont fortement engagées pour développer le câble et le Wimax : il peut être difficile pour les élus de dire qu'ils auraient pu avoir une offre plus intéressante en attendant un peu. Les 300 000 foyers mentionnés seront-ils desservis selon un ordre de priorité ? Les opérateurs jouent-ils le jeu ou votre offre gêne-t-elle les opérateurs du câble ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

J'ai des interrogations générales sur lesquelles je n'attends pas nécessairement de réponse : que pensez-vous des satellites électriques, de la pertinence du projet Ariane 6 et du manque de places en orbite géostationnaire ? Dans le cadre de la présente audition, que répondez-vous aux critiques relatives à la fiabilité de la solution satellitaire ? La réception satellitaire n'a pas une bonne notoriété : dans mon territoire, les citoyens considèrent qu'ils ont droit à la fibre, même si on leur paie l'abonnement KA-SAT.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Quels sont les lanceurs que vous utilisez, mis à part Arianespace ? Je fais observer par ailleurs que bien souvent les collectivités financent l'installation de paraboles en l'absence d'autre solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

En Savoie, l'opérateur TV8 Mont-Blanc propose la desserte aux collectivités : comment se présente-t-il ? Le débit actuel peut-il être amélioré ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Vous avez une capacité de desserte de 300 000 foyers, mais quel est aujourd'hui le nombre de vos abonnés et quels sont vos objectifs ?

Debut de section - Permalien
Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat

Je ne voulais pas dire que le très haut débit n'avait pas d'utilité, mais qu'il faut au moins qu'il y ait d'ores et déjà du haut débit partout.

Les reproches relatifs à la fiabilité concernent la génération précédente de satellite : avec KA-SAT, nous avons des remontées très favorables des particuliers comme des petites et moyennes entreprises (PME). Le temps de latence est inévitable et s'oppose à l'utilisation des jeux, mais les autres usages donnent toute satisfaction. Nous avons un taux de disponibilité de 99,5 %.

On peut progresser en débit avec le satellite existant grâce à une amélioration du logiciel. Pour lancer un autre satellite, il faudrait déjà exploiter pleinement celui dont nous disposons. Or nous n'avons que 15 000 abonnés à l'heure actuelle en France.

Je crois à Ariane 6, mais ce lanceur devra être compétitif sur les coûts. S'agissant des autres lanceurs, nous avons recours aux sociétés russes et chinoises, les lanceurs américains travaillant jusqu'à présent pour le compte du ministère de la défense américain.

Concernant la gouvernance, il est vrai que les élus s'engagent dans certaines régions, tandis que d'autres nous font part de leurs difficultés. Vous pouvez nous y aider.

Les opérateurs jouent le jeu : nous n'identifions pas de conflit d'intérêt parmi eux. L'opérateur TV8 Mont-Blanc / Sat2Way a des moyens limités, mais la solution satellitaire a été testée avec succès au sommet du Mont-Blanc.

En conclusion, le satellite propose désormais une solution de qualité pour 300 000 foyers, soit un million d'utilisateurs potentiels.

La commission procède à l'audition de M. Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC) et secrétaire général de Dailymotion, et de M. Benoît Tabaka, secrétaire général de l'ASIC et directeur des politiques publiques de Google France, sur la compétitivité du secteur de l'économie numérique, la neutralité de l'Internet et la fiscalité numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Nous accueillons maintenant M. Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC). Votre association intervient dans les différends qui vous opposent aux opérateurs de télécommunications, et plus précisément sur la question de la neutralité de l'Internet. Pourrez-vous nous préciser la définition de ce concept fondamental, qui peut avoir un impact économique important. Le dernier conflit sur cette question a opposé Free à Google. C'est à sa suite que la ministre chargée de l'économie numérique a annoncé un projet de loi pouvant consacrer au niveau législatif la neutralité de l'Internet. Par ailleurs, le Conseil national du numérique (CNNum) - que nous auditionnerons demain matin - a rendu en mars un avis sur la question.

Debut de section - Permalien
Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC)

L'ASIC est une exception française. Il n'existe dans aucun autre pays une telle association regroupant des géants de l'Internet (Facebook, Google, Microsoft, Yahoo...), des modestes champions nationaux (Priceminister, Dailymotion) et quelques start up. Ces acteurs ont choisi de se regrouper suite à la première atteinte à la neutralité de l'Internet en 2007. Un fournisseur d'accès - Neuf Cegetel - avait choisi, parce que ses discussions commerciales d'attribution de bande passante avec un fournisseur de contenus, en l'occurrence Dailymotion, se passaient mal - d'empêcher le visionnage par ses abonnés de vidéos sur le site en question. Pour la première fois, un fournisseur d'accès touchait au principe selon lequel « le fournisseur de tuyau ne doit pas toucher au contenu passant dans ce tuyau ». Dailymotion a mis un pop up informant les utilisateurs qu'il n'était pas responsable de cette situation et les orientant vers la centrale d'appels du fournisseur d'accès. En une heure, la hotline de ce dernier était saturée et en deux heures le service était rétabli.

Les fournisseurs de contenus ont alors créé cette association pour faire de la pédagogie et expliquer le concept de neutralité de l'Internet. Elle a pour but de défendre la neutralité dans sa dimension économique : les fournisseurs de contenus doivent pouvoir choisir le fournisseur de bande passante, le fournisseur d'accès qui propose du peering, le transit ou le content delivery network (CDN). Nous, fournisseurs de services internet, voulons cette liberté de choix de la source d'approvisionnement en bande passante.

L'ASIC a eu la surprise d'être alors convoquée par M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Il avait une définition différente de la neutralité de l'Internet, puisqu'il pensait à la défense du bloggeur tunisien : comment un dissident pouvait-il arriver à se faire entendre par tous sur Internet ? La définition de la neutralité était donc variable d'un acteur à l'autre.

L'ASIC reste cantonnée à la dimension économique, la neutralité de l'Internet se déclinant en trois principes : premièrement, l'opérateur de réseau, quand il met à disposition son réseau, ne doit pas discriminer le contenu par rapport à l'utilisateur du réseau ; deuxièmement, l'opérateur de réseau doit agir en toute transparence auprès des fournisseurs de service ; enfin, il doit informer parfaitement le consommateur.

En 2008, le sujet devient toujours plus important. L'ASIC saisit l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), grâce à l'intervention de Bruno Retailleau, allié indispensable dans la pédagogie à l'égard des autorités de régulation. L'Arcep estimait ce sujet un peu connexe par rapport à son domaine d'intervention. Nous souhaitions cependant que l'autorité se saisisse du dossier pour trouver des solutions en cas de blocage, ce qu'elle a fini par faire. Le sujet a donc atteint aujourd'hui sa pleine maturité : un opérateur de réseau n'oserait pas couper les services d'un opérateur de services, ou il prendrait le risque que l'utilisateur final choisisse un autre fournisseur d'accès.

Vous avez cité l'exemple du conflit entre Free et Youtube, entité appartenant à Google. Les discussions achoppent sur le montant de la prestation, mais aussi, plus généralement, sur la philosophie. Entre les trois modes de fourniture d'accès (peering, transit, CDN), tout vient se mélanger aujourd'hui, les opérateurs intégrant de plus en plus une dimension CDN dans leurs offres commerciales. Il est plus difficile d'estimer, notamment dans le cas du différend entre Free et Youtube, qui n'a pas respecté la logique des négociations commerciales et le principe d'égalité.

L'Arcep a été saisie de ce différent. L'autorité a cependant une énorme difficulté : ses clients naturels sont les opérateurs de télécommunications, qui ont l'obligation de donner des chiffres sur les trafics transitant sur leurs réseaux. L'Arcep n'a pas les mêmes informations sur les fournisseurs de services, surtout quand ils sont basés à l'étranger. Elle va donc devoir arbitrer et enquêter.

Il y a plusieurs semaines, l'Arcep a déclaré - et c'est une très bonne nouvelle - vouloir mettre en place des observatoires de qualité de services. Par cette transparence dans la fourniture d'un service, on arrivera à comparer les différentes activités.

L'Arcep est donc garante de cet Internet ouvert, de la neutralité de l'Internet. Au-delà de la dimension économique et de la dimension « bloggeur tunisien », des exemples montrent des atteintes à la neutralité dans sa dimension la plus large. On peut évoquer ainsi Apple choisissant, à partir d'une lecture de ses conditions générales d'utilisation, d'exclure des services de sa boutique d'application ; Free empêchant sur sa box les fournisseurs de services d'offrir de la publicité ; Google et la question de la neutralité des résultats de recherche ... De même, est-ce que la télé connectée est neutre en soi ? Toutes ces questions sont liées à l'enjeu de non discrimination, de transparence et surtout d'information du consommateur.

Au niveau européen, le troisième « paquet télécom », dont le contenu est assez satisfaisant, a été transposé. Est-ce suffisant ? A-t-on besoin d'une loi ? Dans le domaine des nouvelles technologies, il faut légiférer d'une main tremblante. L'Internet a une dimension internationale et ce ne sont pas les acteurs économiques européens qui pourront changer la donne. Nous militons donc pour une approche plus globale, peut-être dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), cadre le plus approprié pour remettre à plat ces notions, sans discrimination. N'oublions pas le dernier maillon de la chaîne : l'utilisateur doit se voir offrir l'information la plus transparente possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

J'ai une question peut-être un peu indiscrète à vous poser : combien cela coûte t-il à une entreprise d'être référencée préférentiellement sur Google ?

Debut de section - Permalien
Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC)

On sort là du débat sur la neutralité de l'Internet ... Google a mis au point des algorithmes de recherche qui n'ont pas nécessairement à être neutres. Ainsi, ils valorisent les recherches les plus fréquentes des internautes, mais également les services internes du groupe. Les autorités de la concurrence en ont été informées, leur décision est aujourd'hui attendue. L'achat de mots-clef soulève en effet des interrogations en matière de transparence, non discrimination, tarification, procédure d'enchères ...

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

La notion de neutralité du Net est à la fois essentielle, car elle conditionne l'ouverture du réseau, et difficile à appréhender. La loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique a précisé le statut et la responsabilité des hébergeurs.

Je suis de votre avis : légiférer sur ce point peut être dangereux. L'Arcep a déjà formulé dix recommandations relativement consensuelles en la matière. Lors de la transposition du troisième « paquet télécoms » en 2011, nous avions donné à l'Autorité compétence pour trancher les différents entre opérateurs et prestataires de service, et fait expressément référence au principe de non discrimination. Faut-il aller plus loin ? Un arbitre est certes nécessaire, mais le régulateur, l'Autorité de la concurrence et le juge y pourvoient déjà.

Les opérateurs doivent pouvoir pratiquer des tarifs différents selon certains critères, tels que l'utilisation de la bande passante, à condition d'être parfaitement transparents et d'informer les utilisateurs. Leur crainte est en effet aujourd'hui d'assister à un engorgement des réseaux, alors que la chaîne de valeur s'est déplacée vers les fournisseurs de contenus. L'ASIC a fait, en ce domaine, des propositions raisonnables.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Dans un secteur évoluant aussi rapidement, il est effectivement difficile de légiférer. L'OMC paraît être un horizon lointain ; il faudrait d'abord régler le différend existant entre l'Europe et les Etats-Unis.

Je suis favorable à une fusion entre l'Arcep et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), car leurs rôles sont extrêmement proches, notamment en ce qui concerne le respect de la neutralité des réseaux.

Debut de section - Permalien
Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC)

Le CSA détient cette compétence de par le caractère national des diffuseurs et la soumission de leur activité à autorisation ; si la ressource qu'ils utilisent n'est pas rare, qu'elle ne donne pas lieu à l'attribution d'une licence ou que les acteurs sont situés à l'étranger, quelle est alors la légitimité de son intervention ?

J'étais vice-président du Conseil national du numérique (CNNum) à sa création. L'ASIC s'est réjouie de l'entendre reconnaître que l'Internet devait être libre, mais a critiqué sa proposition d'intégrer ce principe dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Ce texte traite en effet d'audiovisuel ; en outre, la liberté d'expression est déjà protégée par d'autres dispositions.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je crois que la déclaration de la ministre sur la possibilité de légiférer en ce sens intervenait dans un contexte spécial et visait simplement à mettre fin à une partie de « bras de fer », sans forcément chercher à aller plus loin ...