Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission organise, en commun avec la commission du développement durable, deux tables rondes sur le thème de la biomasse, l'une sur les conditions de la réalisation du potentiel de la biomasse-énergie en France, l'autre sur le biogaz et la méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz.
Nous sommes réunis ce matin pour parler d'une question qui concerne aussi bien nos deux commissions des affaires économiques et du développement durable que le groupe d'études de l'énergie. Si on parle beaucoup d'économie circulaire en ce moment, les nouvelles énergies sont elles aussi un éternel retour à des sources d'énergie anciennes : énergie du vent, énergie de l'eau et énergie du bois qui est bien la première des énergies utilisées par l'homme. Au-delà du bois de chauffage dans les logements individuels, qui en constitue encore aujourd'hui l'utilisation principale, c'est de manière plus générale de biomasse-énergie que nous parlerons : il s'agit, dans tous les cas, de produire de l'énergie à partir des matières organiques, mais selon des procédés chimiques et techniques variés.
Les deux tables rondes seront consacrées aux deux principales voies de transformation de la biomasse en énergie.
L'énergie peut être produite par la voie sèche de la transformation thermochimique : c'est le cas en particulier de la combustion des matières organiques. La chaleur produite est utilisée pour elle-même ou pour générer de l'électricité. C'est le sujet de la première table ronde.
La mobilisation de la ressource bois est à cet égard essentielle pour atteindre l'objectif d'intégration de 20 % d'énergies renouvelables dans la production totale d'énergie de l'Union européenne en 2020. Or, sous ses différentes formes, le bois est une ressource abondante en France. La production de granulés demeure pourtant très inférieure à celle de la Suède ou de l'Allemagne. La France, paradoxalement, connaît un déficit de la balance commerciale de la filière bois dans son ensemble, d'un montant de 6,1 milliards d'euros en 2012, alors qu'elle exporte des grumes et des matières premières.
Les intervenants pourront nous indiquer comment mieux développer la filière afin de faire mieux correspondre l'offre et la demande locales, mais aussi comment arbitrer entre les différents usages du bois, car la conversion en énergie devrait concerner en priorité ses parties les moins nobles.
La taille des centrales est également un enjeu fort, notamment pour les administrations qui utilisent ce critère pour différencier les régimes d'aide. Une grande centrale à biomasse peut avoir une efficacité économique plus grande et parvient plus facilement à réduire ses émissions de particules fines. À l'inverse, de petites centrales peuvent être installées plus près des zones de collecte du bois, comme des lieux de consommation de la chaleur ou de l'électricité produits. Elles constituent également un vivier d'emplois.
Les biomasses humides sont exploitées par la voie de la méthanisation. Si ce procédé naturel est pratiqué depuis longtemps par les ruminants et se produit également dans les tourbières, il est aujourd'hui mis en oeuvre pour valoriser les déchets de la vie urbaine ou de l'agriculture. Il produit un gaz à haute valeur calorifique et riche en méthane. C'est le thème de la deuxième table ronde.
Ce biogaz peut être utilisé comme le gaz naturel, injecté dans les réseaux, brûlé en chaudière pour produire de la chaleur ou de l'électricité, voire employé sous forme de biocarburant dans les transports.
La méthanisation est, avec l'électricité photovoltaïque, l'un des rares moyens de production d'énergie qui peut exploiter des ressources urbaines, en l'occurrence les déchets. Elle trouve donc une place privilégiée dans les réseaux de chaleur.
Elle peut aussi constituer une source de revenus d'appoint pour les agriculteurs. Je serai intéressé à cet égard par le point de vue des intervenants sur les pratiques allemandes. Dans le cadre d'une mission que nous avons menée l'an dernier dans ce pays, j'ai eu l'occasion de visiter une installation de 1 900 vaches, largement robotisée, qui produisait du lait, certes, mais aussi, voire surtout, du biogaz transformé en électricité, et ce avec des subventions de la politique agricole commune. Les exploitations agricoles ont-elles vocation à devenir des centrales électriques ?
Le temps étant limité, nous avons choisi de ne pas traiter de la troisième branche de développement de la biomasse-énergie, qui est constituée par les biocarburants. Il s'agit en effet d'un sujet en soi, largement présent dans le débat public. C'est un débat technique, environnemental - et même linguistique sur les termes de biocarburant et agrocarburant.
La deuxième table ronde sera présidée par Raymond Vall, président de la commission du développement durable.
Mais je laisse à présent la parole à Ladislas Poniatowski, qui a eu l'idée de l'organisation de cette matinée et qui va présider la première table ronde en sa qualité de co-président du groupe d'études de l'énergie.
Je remercie les présidents Daniel Raoul et Raymond Vall d'avoir donné leur accord pour l'organisation de cette table ronde, qui répond à une demande forte de nombreux sénateurs en raison du potentiel méconnu de la biomasse et de son impact territorial.
La première table ronde concerne les conditions de la réalisation du potentiel de la biomasse-énergie en France. Quatre intervenants vont nous permettre de faire un état des lieux de la filière biomasse-énergie et de ses enjeux au niveau national. Le Grenelle de l'environnement avait fixé des objectifs ambitieux de production d'énergie à partir de la biomasse pour 2020 : 7 400 tonnes-équivalent pétrole de biomasse énergie en dehors des logements individuels, 1 440 tonnes-équivalent pétrole pour l'électricité.
Dans les deux cas, la structuration de la filière était conçue comme une condition de réussite et plusieurs outils ont été mis en place : fonds chaleur et appels d'offres gérés par l'Ademe pour la chaleur, tarif d'achat et appels d'offres gérés par la Commission de régulation de l'énergie pour l'électricité.
Il reste beaucoup de chemin à parcourir. En 2012, nous n'avons produit que 491 tonnes-équivalent pétrole pour l'électricité, et la part de bois-énergie utilisée en dehors des ménages demeure très minoritaire.
Dans un secteur dont le développement dépend des réglementations et des mécanismes de soutien, Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, pourra nous indiquer, je l'espère, où en est la réflexion du ministère concernant la place à donner à la biomasse-énergie et à ses priorités.
François Habègre, directeur général France chez Dalkia, apportera la vision d'un grand acteur de l'industrie et des services sur les perspectives de développement des différentes filières.
Nous savons toutefois que l'un des problèmes essentiels pour le développement de la biomasse-énergie, c'est la mobilisation de la ressource elle-même. C'est pourquoi Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois, nous expliquera ce qui peut être fait à ce niveau parmi les exploitants et les industriels du bois.
Enfin Cyril le Picard, président de l'Union de la Coopération forestière française mais aussi président de la commission France Biomasse du Syndicat des énergies renouvelables, aura une double qualification pour nous donner des pistes sur la dynamisation de la production de bois-énergie.
Après ces interventions, je donnerai la parole à l'une de nos collègues, Bernadette Bourzai, sénatrice de la Corrèze. Très active sur ces questions, elle pourrait nous indiquer de manière concrète les enjeux qui se posent pour la mise en place sur un territoire de solutions de biomasse-énergie et sur leur financement.
Je vous remercie d'organiser cette table ronde sur la biomasse. En effet, lorsqu'on parle de transition énergétique, on évoque très souvent les énergies renouvelables comme le photovoltaïque, alors même que sur les 20 millions de tonnes équivalent pétrole de renouvelables à mettre en place pour l'année 2020, la moitié est de la biomasse sous une forme ou une autre. Pour un pays comme la France, la biomasse est donc absolument essentielle dans la transition énergétique. Le meilleur outil mis en place ces dernières années est clairement le fonds chaleur. Il est très efficace, financièrement et en termes de développement des capacités. Il est pourtant méconnu.
Concernant les objectifs de 2020 en matière d'énergies renouvelables, la France était un peu en retard en 2011 par rapport à la trajectoire. En 2012, nous étions toujours très légèrement en retard. Il faut manipuler ces chiffres avec prudence, surtout en matière d'hydroélectricité et de biomasse, énergies qui sont très dépendantes des conditions climatiques.
En production de chaleur, le principal outil est le fonds chaleur. Il faut développer et abonder ce fonds. D'autres dispositifs existent, d'une ampleur moindre. Le crédit d'impôt s'adresse aux particuliers, pour tout ce qui est poêles à bois notamment. Existent aussi les certificats d'économie d'énergie et l'éco-prêt vert à taux zéro.
En électricité, nous avons fait le choix d'un dispositif mixte composé de tarifs d'achat et d'appels d'offres. L'appel d'offres est réservé aux très grandes installations. C'est le bon outil pour permettre aux pouvoirs publics d'arbitrer, de piloter, de gérer les conflits d'usages et de prioriser les projets en fonction de la ressource. Pour les plus petites installations, de moins de 12 MW, il existe un tarif d'achat. C'est un système de guichet ouvert qui implique un pilotage moins direct des projets.
En coûts cumulés sur la période 2009-2013, près de deux milliards d'euros ont été mobilisés via le fonds chaleur. Ce sont pour l'essentiel des primes à l'investissement. Le crédit d'impôt développement durable a représenté un milliard d'euros pour 2012, avec une part de biomasse de l'ordre de 200 millions d'euros. Et l'éco-prêt à taux zéro représente quelques dizaines de millions d'euros. Pour la production d'électricité, l'habitude a été prise de compter en millions d'euros par an. Cette approche est biaisée dans la mesure où, lors de la signature d'un contrat de cogénération pour biomasse, un engagement est pris sur quinze à vingt ans. En totalité d'engagement, avec 200 millions d'euros sur vingt ans, on atteint la somme de quatre milliards. Il est important de conserver à l'esprit qu'en euros ramenés à la tonne équivalent pétrole, la chaleur reste de très loin plus efficace que la cogénération.
Quels sont les enjeux devant nous ? L'enjeu économique d'optimisation de la dépense publique vaut pour le fonds chaleur, aujourd'hui adossé à du crédit budgétaire, et donc concerné par la contrainte de maîtrise de la dépense. Cet enjeu vaut aussi pour les dépenses de contribution au service public de l'électricité (CSPE), payées par le consommateur d'électricité et en croissance régulière depuis plusieurs années. Nous avons un devoir collectif de mettre dans la CSPE les dépenses les plus efficaces.
Le deuxième enjeu concerne les conflits d'usages. Il faut éviter de créer des tensions sur la ressource en bois. De ce point de vue, l'accès à la ressource et la structuration de la filière sont essentiels. Nous avons probablement commis une erreur il y a quelques années en pensant que la seule filière énergie suffirait à faire sortir la matière des forêts. À l'occasion des grands appels d'offres, nous nous attendions à ce que les énergéticiens essaient de structurer l'amont de la filière, comme les papetiers l'avaient fait en leur temps. Ils y ont contribué en créant des plateformes de regroupement, en investissant auprès des forestiers mais cela ne suffit pas. Seuls les usages nobles feront sortir le bois. Il faut donc avoir un développement énergétique cohérent avec les usages dans le meuble et dans le bâtiment, usages à plus grande valeur ajoutée. Nous tenons à la hiérarchie des usages, qui va du bois d'oeuvre au bois énergie sous forme de chaleur, prioritairement sur l'électricité en cogénération, et excluant tout usage électrique pur. Il y a toutefois eu au moins une exception célèbre avec le dossier de Gardanne. L'électrique pur ne représente que 35 % d'efficacité énergétique. C'est un désastre en termes d'utilisation de la ressource. Lorsqu'on fait de l'électricité, il faut faire de la cogénération.
Je ne pense pas que le cas allemand puisse être totalement un modèle, tant pour la biomasse que pour le biogaz. Le système allemand verse des niveaux de subventions extrêmement élevés, dont on peut s'interroger sur la soutenabilité. Une bonne partie de la campagne électorale qui vient d'avoir lieu portait sur la soutenabilité économique de l'Energiewende, le tournant énergétique. L'une des premières tâches du nouveau gouvernement sera de réformer les dispositifs de soutien. Je rappelle que là où nous avons une CSPE de l'ordre de 13 euros du MWh, les Allemands sont déjà à 50 euros, et passeront à 70 euros dans quelques semaines.
Deuxième raison pour laquelle, à mon sens, le système allemand ne peut être dupliqué : l'impact des choix effectués en matière de biomasse sur le monde agricole. Ils ont développé, vous y avez fait allusion monsieur le Président, des cultures purement énergétiques. Cela contribue à subventionner l'agriculture allemande, c'est indéniable, mais crée des distorsions, dommageables en particulier pour l'agriculture biologique. Cela fait également monter les prix du foncier.
Quels sont nos objectifs principaux ? La priorité est la chaleur. Il nous faut viser un doublement du fonds chaleur pour atteindre l'objectif 2020. Pour l'électricité, le bilan est plus complexe. Nous sommes assez réservés sur l'usage électrique en cogénération. Nous avons lancé un certain nombre de grands appels d'offres. Il nous faut maintenant digérer ces projets.
La taille des installations doit être adaptée au territoire. C'est un débat très ancien que nous avons avec certains professionnels et avec le ministère de l'agriculture. On ne peut pas remplir le territoire de très grandes installations électriques, sachant qu'on privilégie la chaleur. Pour autant, les petites installations posent des questions d'efficacité économique, d'efficacité énergétique, et de pollution de l'air. Or, comme vous le savez, nous avons déjà des contentieux très lourds sur la qualité de l'air. Je crois qu'il faut regarder toute ouverture vers les petites installations avec beaucoup de prudence. Elles peuvent donner l'impression de bien s'intégrer dans le territoire, mais elles conduisent aussi à des ponctions non pilotées et non coordonnées sur la ressource.
M. François Habègre, votre groupe gère huit cents réseaux de chaleur dans le monde. Compte tenu de votre expérience, quelles sont selon vous les filières les plus prometteuses en termes de biomasse pour la production d'énergie ? Peut-on espérer faire appel en priorité aux ressources locales plutôt que de transporter des granulés sur de longues distances ?
Dalkia est un opérateur international sur l'efficacité et l'économie d'énergie à l'échelle des territoires au travers de réseaux de chaleur, d'activités sur les utilités industrielles et d'activités de services d'efficacité énergétique pour le bâtiment. Notre implication sur la biomasse concerne ces trois métiers principaux. Entre 2008 et 2013, nous avons multiplié par cinq notre intervention en France dans le domaine de la biomasse. En 2008, nous brûlions 270 000 tonnes de bois ; en 2013 nous en brûlons un peu plus de 1,5 million. C'est un effort tout à fait considérable, effectué principalement dans le domaine du chauffage, à plus de 80 %, et à 20 % dans le domaine de l'électricité. L'ensemble de ces installations représente 428 MW thermiques sur le territoire français.
Pour vous donner un exemple concret, nous développons aujourd'hui le réseau de chaleur du Grand Dijon, avec un réseau dont l'importance est multipliée par plus de trois par l'installation d'une chaufferie biomasse d'une puissance de 30 MW. Cela va permettre de chauffer de façon rationnelle, économique et écologique plus de 20 000 logements supplémentaires. Pour ces usagers, l'intérêt est d'avoir une énergie très largement déconnectée du prix des énergies fossiles. Les 50 000 tonnes de bois que nous allons brûler sur le réseau de Dijon proviennent essentiellement de sous-produits de la forêt bourguignonne à proximité immédiate, avec une génération d'emploi local aussi bien dans le monde forestier que dans la logistique et les installations de production.
Historiquement, nous avons commencé par utiliser les filières des produits connexes de scieries et du bois de recyclage. Nos premières chaufferies étaient également en Bourgogne, à Autun. Nous avons valorisé les écorces issues des scieries voisines avec des partenaires scieurs qui étaient également nos partenaires investisseurs. Nous avons ensuite développé un certain nombre de projets avec des industriels, en utilisant des sous-produits de leurs industries, par exemple de l'industrie agroalimentaire dans les malteries et les distilleries. Nous récupérons la partie de leurs déchets qui a encore une valeur énergétique pour les brûler dans des chaudières adaptées, après avoir réalisé des expérimentations dans notre laboratoire de recherche pour nous assurer des impacts, notamment sur l'atmosphère, de ces solutions techniques.
L'approvisionnement de nos grandes unités énergétiques repose aujourd'hui principalement sur la plaquette forestière. Nous avons essayé d'autres solutions, y compris de faire nos propres plantations pour avoir une idée des conditions économiques et environnementales requises pour faire des plantations dédiées au bois énergie. Nous n'avons pas trouvé le modèle pertinent : il n'y a pas pour nous de rationalité économique à poursuivre ce type de schéma. Nous restons donc bien sur un schéma d'intégration complète avec la filière amont de la forêt. Il y a des progrès à faire pour atteindre l'optimum technique et économique. Le bois, pour être compétitif, ne doit pas présenter de ruptures de charges dans sa chaîne. Les grandes chaudières mises en place notamment avec les projets CRE nous ont permis de créer des plateformes à proximité immédiate de nos grosses opérations. Ces plateformes nous donnent l'assurance de la continuité du service de cette installation et des installations avoisinantes. Le fait que les grands appels d'offres aient été nécessaires pour structurer la filière et garantir une sécurité y compris pour les plus petites installations est une réalité.
Nous utilisons encore les produits connexes de scieries. Une production de 2 m3 de bois d'oeuvre génère 1 m3 de sous-produits de bois sous la forme de sciures, d'écorces et de chutes. Il est donc très important de travailler sur l'amont de la filière pour permettre d'utiliser le bois d'oeuvre, le bois industrie et le bois énergie qui n'est qu'un des éléments d'appoint de l'industrie principale du bois d'oeuvre. Il n'y a pas de chaîne pertinente spécifique au bois énergie. Nous avons également dans nos filières d'approvisionnement le bois de récupération, notamment le bois d'emballage. Il est important de sortir le bois d'emballage du statut de déchet pour en faire un vrai produit. Nous sommes naturellement très attentifs à la qualité en amont de ce bois d'emballage pour qu'il n'y ait pas de colles ou d'adjuvants qui perturbent à la fois le fonctionnement de nos équipements et l'environnement.
Je voulais souligner que je suis en parfait accord sur la nécessité absolue de développer le fonds chaleur. C'est de loin le procédé le plus efficace. Si on ne double pas le fonds chaleur, nous ne tiendrons pas les objectifs pour 2020. Sur la partie électricité, je pense qu'il n'y aura plus de grands appels d'offres de la CRE. En revanche, si on veut développer à la marge l'électricité cogénérée sur des petites installations, il faudra prévoir des tarifs d'obligation d'achat adaptés.
M. Nicolas Douzain-Didier, la Fédération nationale du bois comprend aussi bien des exploitants que des scieurs et des industriels. Comment la biomasse-énergie s'inscrit-elle dans les différents usages du bois et quels sont les freins à la mobilisation de la ressource ?
La Fédération nationale du bois ou FNB comprend quatre-vingts organisations à la fois nationales ou régionales. Cela va des pépiniéristes aux exploitants forestiers, en passant par les scieurs, les industriels du bois, le bois emballage et les producteurs de granulés. L'énergie est aujourd'hui présente dans trois des sources de bois énergie : la forêt, l'industrie du bois et le recyclage, en particulier avec les bois d'emballage.
Quand on compare le bois à d'autres biens industriels, on constate que le secteur a un potentiel de croissance important. Un rapport rendu la semaine dernière par l'Union européenne indique que la filière forêt-bois représente 7 % du PIB de l'Union et trois millions et demi d'emplois. Ce secteur est un vrai relais de croissance. Tous les secteurs industriels n'ont pas ce type de perspective ou d'ambition.
L'économie de la forêt et des produits forestiers est certes dictée par les marchés, aujourd'hui mondialisés, mais aussi et de façon très forte par les politiques publiques. L'Office national des forêts, notre opérateur public national, commercialise 40 % des bois. Le prix d'un sciage est encore à 65 % du prix de la grume. Les questions de biodiversité, de bois énergie, de transition énergétique sont importantes et la profession ne peut guider seule sa politique industrielle. Nous formulons le voeu d'une synchronisation des politiques publiques et industrielles.
Depuis le 12 septembre, date à laquelle notre filière a été identifiée comme filière d'avenir, nous avons l'espoir que ce voeu a été entendu. Les objectifs politiques en matière de bois énergie n'ont pas été fixés par la profession. Nous n'avons pas vraiment été partie prenante. Il convient aujourd'hui de revenir autour de la table et de reformater nos objectifs aux horizons 2020 et 2030 de façon concertée et sur l'ensemble de la filière. La priorité pour nous est la constitution d'un fonds de mobilisation forestier. La politique menée par l'ADEME avec le fonds chaleur a produit des effets extrêmement positifs, mais il faut rester synchronisé entre l'offre et la demande de bois. Moins de cinq millions de mètres-cubes de bois ont été mobilisés l'an dernier sur le territoire national. La météo n'est pas en cause. Il y a donc une certaine urgence à constituer ce fonds de mobilisation, que nous quantifions à environ 100 millions d'euros, pour réaliser des aménagements concrets avec les territoires, notamment créer des routes forestières afin de capter des bois aujourd'hui inaccessibles. Pour nous, le risque sous-jacent, et Gardanne l'illustre bien, c'est que lorsque les ambitions ne sont pas à la mesure de nos moyens, on crée un aspirateur d'importation de bois énergie.
L'industrie du bois va au-delà de la valeur ajoutée qu'elle peut dégager. Chaque mètre-cube collecté en forêt génère du bois énergie forestier, mais aussi des connexes et du bois énergie dit industriel, ce qui permet une combinaison positive. Toutes les mesures qui vont dans le sens de l'amélioration de la compétitivité de notre industrie du bois amélioreront également la disponibilité en bois énergie.
Concernant le fonds chaleur, le taux d'aide accordé quand on monte une installation in situ est plus faible que si on le fait dans une autre industrie. Le taux de rachat de l'électricité quand on monte une micro-cogénération dans une scierie est juste en-dessous du seuil de rentabilité. Il s'agit là de sujets concrets de gains de compétitivité par rapport à des outils de politique industrielle dont disposent tous nos concurrents des autres pays européens, que ce soit en Suède, en Autriche, ou en Allemagne. Si nous ne sommes pas attentifs à la politique d'aide mise en oeuvre dans les pays voisins, nous risquons la fuite de matière. C'est ce qui se passe pour le bois de recyclage où nous n'avons pas su monter collectivement cette filière de valorisation et où la moitié du bois part en Italie, en Belgique ou en Allemagne.
Nous avons bien compris vos messages et demandes de partenariat ; sachez que certains parlementaires ici présents défendent vos positions et sont intervenus sur la constitution d'un fonds de mobilisation...
Monsieur Cyril Le Picard, vous avez la « double casquette » de représentant syndical et de représentant des coopératives forestières ; quelle est votre vision de la structuration et de la dynamisation de la filière bois-énergie ?
Merci de m'accueillir, je représente en effet deux structures différentes. Les membres de l'UCFF, qui défend les intérêts des forestiers privés, emploient 1 000 salariés et réalisent 350 millions d'euros de chiffre d'affaires. L'UCFF accompagne les propriétaires forestiers dans la gestion de leurs parcelles, y compris - et surtout, en ce moment - pour ce qui est des petites surfaces.
France Biomasse Énergie, qui est la branche « biomasse » du Syndicat des énergies renouvelables, représente les filières chauffage bois, cogénération biomasse, biogaz, biocarburants et déchets. Nous ne participerons pas à la table ronde relative au biogaz, mais nous avons préparé un plan de relance biogaz, sujet d'importance également.
La biomasse représente aujourd'hui 65 % des énergies renouvelables, et le bois-énergie 46 %, ce qui en fait la première de ces sources d'énergie alternatives. Il faut donc faire prendre conscience aux propriétaires forestiers qu'elle constitue une industrie à part entière, et une source potentielle de revenus. Il convient, dans ce cadre, de mettre en place des chaînes d'approvisionnement à proximité des lieux d'utilisation, en recourant aux organisations de producteurs, telles que les coopératives.
Les propriétaires forestiers ne doivent pas se sentir seuls. Or, il y a un grand morcellement des surfaces : 3,2 millions d'entre eux détiennent moins d'un hectare de forêt. Il faut absolument les inciter au rassemblement. Nous avons mis en place des structures à cet effet.
Le client doit être écouté avec attention ; nous avons des efforts à faire à cet égard, au niveau de la structuration de l'amont.
S'agissant de la dynamisation du marché, il nous faut mettre au point un plan de coupe du bois d'oeuvre, ce qui permet en outre d'éviter les conflits d'usages. Le chantier « biomasse » est en effet un vrai chantier forestier.
Le propriétaire forestier a une approche patrimoniale de son bien ; il doit devenir désormais producteur de bois de façon plus soutenue. Il faut également le faire participer à la gestion durable de la forêt, ce qui passe par des coupes d'arbres.
Il convient de dynamiser l'aval de la filière. Je me réjouis à cet égard que nous soyons désormais répertoriés dans cette catégorie de la chaîne de valeur.
La loi d'avenir « forêt-bois » devrait être débattue au Parlement en début d'année prochaine. Nous avons participé activement, auprès du ministre, à sa préparation, notamment sur l'approvisionnement et la coupe en forêt. La fiscalité forestière doit être pérennisée pour soutenir la coupe, la replantation et l'approvisionnement. À défaut, l'avenir de la filière sera obscurci. Or, un certain nombre d'incitations fiscales seront supprimées au 31 décembre de cette année. Des échanges récents que j'ai eus avec le ministère en charge de l'agriculture, il est toutefois ressorti que la loi de finances rectificative serait ouverte sur la continuation du dispositif « DEFI travaux ».
Le rôle d'un propriétaire forestier n'est pas seulement de couper, mais aussi de replanter. Une pédagogie adaptée doit être entreprise à son égard. Je reste globalement très optimiste pour l'avenir de la filière.
Je crains que les dispositions législatives sur la forêt ne soient noyées dans la future loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, ce qui ne servirait pas vos intérêts. Bernadette Bourzai, chère collègue, pouvez-vous à présent nous parler de l'expérience que vous avez menée au niveau local ?
Élue maire en 2000, j'ai porté depuis 2001 un réseau de chaleur de biomasse forestière. Il consiste en deux chaudières de plus de 6 MW au total, qui alimentent un réseau de 4,2 km desservant bâtiments publics et logements. Il a bénéficié de l'adhésion d'industriels, qui consomment durant l'été l'énergie dont les particuliers sont alors moins demandeurs. Ce réseau a commencé à fonctionner sous forme de délégation de service public en 2005, alors que le baril de pétrole oscillait entre 30 et 35 euros. Le recours à ce mécanisme juridique se justifiait par la lourdeur des investissements, que la commune, endettée, ne pouvait prendre en charge, ainsi que par la difficulté pour celle-ci à bénéficier de l'ingénierie nécessaires à sa mise en régie. Quatre sociétés ont concouru à l'appel d'offres. Celle qui l'a emporté a conçu, réalisé et fait fonctionner le réseau. La délégation lui a été concédée pour une durée de 24 ans, à l'issue desquels le réseau reviendra à la commune.
Le financement de ce projet n'a pas posé de problème, du fait des concours de l'Etat, de l'Agence pour le développement et la maîtrise de l'énergie (Ademe), de la région, du département et de l'Union européenne. La commune n'a ainsi supporté que le cinquième des frais d'étude préalable. En revanche, nous avons été confrontés à un conflit d'usages lié aux premiers appels d'offres de la Commission de régulation de l'électricité (CRE), lancés pour produire de l'électricité sans cogénération, et non de la chaleur. Cette procédure a désorganisé le marché de l'approvisionnement, tant dans les quantités délivrées qu'au niveau des prix. À cet égard, le projet de Gardanne m'apparaît comme une totale aberration sur laquelle il faudrait revenir.
La Cour des Comptes, dans son rapport de juillet 2013, a évoqué une filière porteuse, mais victime de son mode de financement. Il est certes nécessaire d'abonder le « fonds chaleur », mais il faut aller plus loin, en instaurant de nouveaux modes de financement, en remplaçant les subventions par des avances remboursables, ainsi qu'en instaurant un fonds de mutualisation entre les réseaux de chaleur.
Quoiqu'insuffisamment valorisée, la biomasse est la première filière française d'énergies renouvelables. Un plan stratégique avait été annoncé par la ministre Delphine Batho pour développer la filière bois-énergie ; où en sommes-nous aujourd'hui ? Sa mise en oeuvre devrait à mon avis satisfaire deux impératifs : d'une part, développer les petites et moyennes installations, et non pas uniquement les plus importantes ; d'autre part, veiller au respect d'un équilibre satisfaisant dans la gestion locale des forêts.
Le bois constitue l'une des principales ressources en matière de biomasse ; il doit être largement utilisé pour parvenir aux objectifs que nous nous sommes fixés à l'horizon 2020. Il importe de s'adapter à la physionomie des ressources forestières région par région. Éviter de construire de trop vastes projets préviendrait la survenance de conflits d'usages. À ce titre, Gardanne est en effet une grossière erreur.
Tous les professionnels se réjouissent du « fonds chaleur », mais regrettent la suppression du fonds forestier national, il y a dix ans. Il faudrait aujourd'hui le rétablir, et le doter d'une centaine de millions d'euros.
Le développement de grosses unités de production déstructure les filières locales, y compris dans d'autres secteurs que celui de l'énergie, et occasionne des pertes de rendement. En Rhône-Alpes par exemple, des installations industrielles sont menacées par de tels méga projets. Il faut s'interroger sur l'opportunité de les arrêter.
Il y a une déperdition d'énergie dans les actions menées en faveur de la forêt ; il faudrait davantage de cohérence.
En Suisse, les propriétaires forestiers doivent confier leurs ressources en bois à des professionnels ; avez-vous des précisions sur ce modèle ?
Il faut se soucier de ces conflits d'usages. J'observe régulièrement que des quantités extrêmement importantes de bois déchiqueté, à l'occasion d'activités d'entretien de voies publiques, sont perdues ; avez-vous réfléchi à ce gâchis ? Les moyens mécanisés d'entretien provoquent de véritables massacres dans nos forêts ! Et la replantation d'arbres est aujourd'hui bien inférieure à ce qu'elle était.
Certes, la loi d'avenir sur l'agriculture intégrera le secteur de la forêt, mais que nous reprocherait-on si ce n'était pas le cas ?
Plusieurs enjeux me semblent aujourd'hui s'imposer. L'amont doit être pris en considération, et nous y sommes très sensibles. Nous avons cependant sur ce point une différence d'approche avec le ministère en charge de l'agriculture - avec lequel nous travaillons par ailleurs étroitement - s'agissant des arbitrages financiers.
Les grandes installations occasionnent certes des difficultés, mais ne sont pas totalement négatives, au vu des préoccupations que nous avons intégrées dans les appels d'offres. Cela a entraîné des éléments perturbateurs, mais les commissions régionales « biomasse » assurent le pilotage. Le taux de chute naturel est très élevé dans ce type de projets ; il faut donc regarder de façon dynamique leur réalisation. Il n'y a pas eu de gros dérapage, sauf pour le quatrième appel d'offres CRE. Des projets uniquement électriques ont été retenus, ce qui ne correspondait pas aux préconisations du ministère de l'énergie et de l'écologie ; nous allons tenter à présent de les gérer au mieux en respectant les engagements qui ont été pris.
Les petites installations sont l'objet d'une quasi « guerre de religion », qui ne mène pas aux bons dosages. Ainsi, leurs tarifs ne sont pas tous bien calés, car ils ont été fixés au gré de discussions interministérielles sous enveloppe. Avant de les réviser toutefois, il nous faut préciser deux points : affirmer clairement la nécessité de les piloter et être vigilant sur la qualité des apports, d'autant que les plus petites ne sont même pas contrôlées ; préciser les financements que l'on souhaite allouer à ces dispositifs.
C'est ici, au Sénat, qu'un amendement de prise en charge des installations plus petites avait été adopté ...
S'agissant du fonds de mobilisation, la loi d'avenir agricole interviendra sans doute trop tard car le débat aura lieu en 2014 et l'application du texte au mieux en 2015, nous faisant perdre ainsi deux ans. Si l'urgence de la mobilisation forestière n'est pas intégrée dans le processus de décision, nous aurons à gérer des conflits d'usages, comme ça a été le cas au début de l'année dans l'Ouest. Les stocks de bois dans la filière sont au plus bas.
Pour ce qui est des financements, d'autres pays ont trouvé des solutions. Le ministère de l'agriculture consacre 7 % de son budget à la forêt, qui représente 440 000 emplois. Si c'est ce dernier facteur qui doit être pris en compte, peut-être faudrait-il revoir les financements à la hausse ?
France Biomasse Énergie a participé à l'élaboration du « plan biomasse », qui sera intégré dans la future loi de programmation sur la transition énergétique, prévue pour 2014.
En ce qui concerne les plantations, il faut être très rigoureux, en y procédant systématiquement dès que l'on coupe du bois. Il faut accompagner cette obligation d'une incitation, afin que le propriétaire forestier y ait un intérêt.
Le fonds forestier, qui constitue une coquille vide, nous inquiète beaucoup.
L'amont et l'aval sont très étroitement liés dans la filière bois : une chaudière à bois est extrêmement sensible à la qualité du bois qui l'alimente.
En effet ; en tant que président du groupe d'études « énergie », je risque d'ailleurs de revenir vers vous à ce sujet, pour aller voir avec nos collègues le fonctionnement de certaines centrales dont les apports en combustibles sont très diversifiés.
Il serait bon également d'inviter le comité interprofessionnel du bois énergie (CIBE) afin de discuter du système d'avance remboursable et du fonds de mutualisation des réseaux ...
Merci à l'ensemble des intervenants, je cède à présent la place au président Raymond Vall pour introduire la deuxième table-ronde, portant sur le biogaz et la méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz.
Cette table-ronde va nous permettre de déterminer le potentiel économique du biogaz et de la méthanisation, autour de trois grandes questions. Que peut apporter la méthanisation pour une exploitation agricole et quels sont les risques de conflit d'usages avec les cultures alimentaires ? Quel est le potentiel du biogaz par rapport aux autres sources de gaz, et les conditions de sa réalisation ? Quel est l'impact du biogaz sur l'organisation des réseaux ?
J'ai été surpris de la présentation très réductrice de la méthanisation en début de réunion, limitée au modèle allemand. Ce dernier, pas plus que le projet de méthanisation des « mille vaches », n'est représentatif de ce qu'est pour nous la méthanisation.
L'enjeu pour l'agriculture n'est pas uniquement celui de l'énergie, mais aussi celui du digestat, et ce à deux égards :
- sa qualité, car les effluents retournant ensuite au sol, les agriculteurs risquent d'être considérés comme responsables en cas de dégradation des terres. Il faut donc contrôler de très près ce qui entre dans la composition du digestat, ce qui requiert d'avoir la maitrise des unités de méthanisation ;
- sa faculté à constituer l'engrais de demain. Les intrants classiques vont voir leurs prix augmenter du fait de la raréfaction de certains minerais et de l'augmentation du prix de l'énergie. Or, leurs composants se retrouvent dans le digestat, qui peut représenter à terme de l'ordre de 75 % des besoins de l'agriculture en fertilisants. Il importe que les agriculteurs restent maîtres de sa valorisation et n'en soient pas dépossédés par de grands groupes, comme pour la commercialisation des produits agricoles.
La méthanisation est un outil de développement d'une agriculture durable. Les méthaniseurs permettent d'utiliser tous les déchets d'exploitation et, lors du retour au sol, de réduire la pression des adventices, d'empêcher la repousse et ainsi d'utiliser moins de produits phytosanitaires. Les besoins de rotation des cultures engendrent des productions dont la partie aérienne n'est parfois pas valorisable d'un point de vue alimentaire ; il peut alors être intéressant pour les agriculteurs, économiquement et environnementalement, d'y recourir pour alimenter leurs méthaniseurs. La méthanisation constitue un outil de compétitivité, notamment pour l'élevage, qui y voit un débouché pour ses effluents ; elle a ainsi permis aux éleveurs allemands d'atténuer l'impact de la crise laitière, à la différence des éleveurs français.
Il n'existe pas un seul, mais une pluralité de types de méthanisations : individuelle ou collective, petite ou grande, faisant appel à différentes méthodes de valorisation et à différents partenaires... Le plus important est qu'une partie essentielle du capital reste aux mains des agriculteurs.
Le développement de la méthanisation passe aujourd'hui par un soutien public à travers des subventions, ce qui permet d'orienter les pratiques et de réguler le marché. La prime à l'efficacité énergétique doit prendre en compte certains éléments de valorisation qui ne le sont pas actuellement. Les soutiens à la méthanisation doivent être harmonisés à l'échelle nationale et régionale.
On évoque souvent les conflits d'usages des terres agricoles, entre productions alimentaires et énergétiques. Je pense qu'il faut recadrer le débat sur ce point. En région Lorraine, si l'on mettait 1 % de la surface agricole en culture dédiée pour alimenter à 25 % les méthaniseurs, on réaliserait quatre fois l'objectif fixé pour 2020. On parle bien ici de 1 % des terres agricoles, à comparer aux 30 % de gaspillage des produits alimentaires ...
Les financeurs, auxquels s'adressent les agriculteurs projetant d'exploiter des méthaniseurs, veulent être rassurés sur les garanties d'approvisionnement. Or, les engagements que peuvent donner à cet égard les industriels des déchets ne peuvent excéder trois ans, alors que les prêts sont consentis sur une quinzaine d'années ! Si l'on n'obtient pas de garanties d'approvisionnement à plus long terme, aucun banquier, même public, ne nous suivra dans nos projets. Cela passe pour partie par l'allocation de cultures dédiées, au moins pour amorcer les projets, mais aussi par des pools bancaires, par le « fonds chaleur », par le « fonds déchets » ...
Il nous faudra également travailler sur l'instauration de tarifs différenciés dans le cadre du plan de performance énergétique, revoir les seuils des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et progresser dans la simplification du traitement administratif des dossiers.
La méthanisation constitue, pour le monde agricole, un enjeu allant bien au-delà de la seule production d'énergie.
La part du gaz issu de la méthanisation dans la consommation est pratiquement nulle aujourd'hui. Le principal partenaire sera le monde agricole, mais aussi les gestionnaires de déchets. On peut mélanger les déchets agricoles et urbains ou récupérer du gaz de méthanisation derrière les stations de traitement d'eau potable. Il y a aussi un potentiel dans la filière industrielle. Le principal enjeu, c'est toutefois celui de la méthanisation agricole, qui pourrait représenter 80 % de la méthanisation en 2020 :
- soit le biogaz produit peut être utilisé directement sur place, notamment par une valorisation thermique lorsque cela est possible : dans ce cas, on va prendre contact avec des activités telles que la restauration collective, qui pourraient fournir de la matière première ;
- soit le biogaz est injecté dans les réseaux de gaz existants ou utilisé dans des véhicules qui roulent au gaz naturel : c'est le cas de certaines flottes d'entreprises. L'enjeu, c'est que l'on est parti quasiment de zéro pour atteindre un objectif que nous fixons, à l'horizon 2030, à 10 % de la consommation de gaz.
Toutefois les projets de méthanisation sont difficiles à mener à bien. Il faut les faire accepter par la population et les collectivités territoriales doivent donner l'exemple. Un gros effort de communication institutionnelle permettrait d'accélérer la réalisation des projets.
Le biogaz peut être injecté dans les réseaux après avoir été épuré sous la forme de biométhane. C'est une belle filière qui se met en place : elle utilise des déchets, dont elle permet le retour à la terre, ce qui suscite de grands espoirs dans les collectivités territoriales. Il s'agit aussi de projets fédérateurs, qui réunissent les agriculteurs et les collectivités dans des projets communs.
Bien que les textes sur le biométhane ne soient parus qu'en novembre 2011, nous avons déjà 365 projets enregistrés, et plus de 90 sont enregistrés sur le réseau de transport. Comme ce sont des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), les démarches sont lentes et prennent au moins quatre à cinq ans. Elles créent des emplois non délocalisables, par exemple dans le tri et la valorisation des déchets.
S'agissant des réseaux, ils pourront absorber ce biogaz sans difficulté. Je rappelle que, jusqu'aux années 1960, le système de distribution du gaz était très décentralisé avec la présence de nombreuses usines de production de gaz à travers le territoire. Puis la France a fait le choix du gaz naturel et a mis en place un grand réseau de transport interconnecté et un réseau de distribution. La transition énergétique va nous ramener, avec le biométhane, vers un réseau décentralisé, avec des sites d'injection et de soutirage un peu partout en France. Le réseau existe donc déjà et il peut accueillir la production de biogaz.
C'est une énergie vertueuse dont le potentiel est très important. En mobilisant tout le potentiel technique, on pourrait atteindre une production de 200 téra-wattheures. Si on ajoute la gazéification de la biomasse, voire des technologies à base de micro-algues ou d'hydrogènes, on pourrait même aller jusqu'à une proportion de gaz « vert » de quasiment 100 %.
On a évoqué le « modèle » allemand de la méthanisation, mais je crains que l'utilisation sur place du biogaz n'engendre un modèle d'agriculture non compatible avec les modes d'organisation de l'agriculture en France. S'agissant de l'approvisionnement à partir de produits céréaliers, les cours ont pratiquement doublé sur les marchés mondiaux, ce qui renchérit considérablement les coûts.
C'est dans les Ardennes qu'a été créée la première ferme méthanière. Je souhaiterais savoir s'il y a toujours des risques sanitaires liés à l'utilisation du gaz produit. Je partage l'avis selon lequel les agriculteurs ont tout intérêt à contrôler les installations pour éviter l'arrivée des financiers. Enfin les délais d'autorisation sont beaucoup trop longs : c'est un problème de surabondance des normes et des dossiers à remplir.
Les réseaux de gaz ne touchent pas toutes les communes, tout particulièrement en zone rurale où est produit le biogaz. Comment traitez-vous le problème du raccordement pour l'injection du biogaz ?
Ce débat montre ce que le monde rural peut apporter à l'énergie de notre pays. Nos exploitations sont de petite taille par rapport à d'autres pays. Quel système mettre en place pour les associer dans ce type de projet ? Je me réjouis que le digestat réponde aussi aux besoins d'engrais. Ne faudrait-il pas, dans les chambres d'agriculture, former de vrais professionnels pour monter les dossiers ?
La biomasse est l'une des réponses pour la transition énergétique : il faut 1 850 éoliennes, 13 000 hectares de photovoltaïque ou 360 000 hectares de forêt pour remplacer une tranche nucléaire de 1 100 MW ! Mais il faut aller jusqu'aux réseaux pour injecter le biogaz : êtes-vous prêts à investir ?
Puisqu'on livre du fioul aux particuliers, pourquoi n'irait-on pas chercher le biogaz par camion-citerne chez les agriculteurs qui le produisent ?
Après une étude approfondie sur les conséquences sanitaires de l'injection de biogaz, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a conclu en 2008 à la possibilité d'injecter du biométhane dans les réseaux. La purification utilise d'ailleurs des membranes mises au point par Air Liquide et produites en France.
Y'a-t-il une distorsion de traitement entre le gaz produit dans une décharge et celui qui provient de la méthanisation agricole ?
Non, l'un comme l'autre peuvent être utilisés. On utilise à Lille des déchets urbains, qui font rouler 130 bus de ville. À Forbach, une installation conjugue cogénération et injection de biogaz à partir de déchets urbains provenant de 297 communes pour faire rouler des bus et des véhicules qui, justement, collectent les déchets. À Chaumes-en-Brie, le poste de transport de gaz est même à l'arrêt depuis le 28 août, car 1 500 habitants sur 5 communes sont approvisionnés en biométhane à 100 %, sans que les consommateurs aient vu la différence par rapport au gaz importé.
On pourrait donc espérer éviter le coût de l'inhumation des déchets ? C'est un véritable espoir.
Une partie du coût est payé par les consommateurs de gaz, par l'intermédiaire d'une taxe analogue à la contribution au service public de l'électricité. Par ailleurs, l'Ademe aide les installations avec le fonds déchets.
Dans le cas des déchets, la part de méthane produit n'est pas très importante, sauf si on met en place un tri mécano-biologique (TMB). Il faut un investissement coûteux au départ.
C'est un projet d'économie circulaire ; mais quel institutionnel est au centre pour lancer la démarche ?
C'est à la fois les collectivités, avec des subventions et des avances remboursables, et les agriculteurs, travaillant ensemble.
Les réseaux de distribution de gaz n'atteignent que 9 500 communes sur 36 000. Mais les tarifs nécessitent d'atteindre un volume de 60 m3 par heure. Un agriculteur, s'il ne met pas en place une cogénération, doit se regrouper avec d'autres ; ensemble, ils s'adressent à la collectivité locale, qui apporte ses propres déchets et peut apporter un terrain proche du réseau. Certains modèles de distribution sont aussi à l'étude, en s'inspirant de celui de la bouteille de lait qu'on dépose pleine et qu'on remporte vide.
On parvient ainsi à mettre en place des unités d'injection. Les grosses ou moyennes unités présentent des avantages pour procéder à l'odorisation du gaz et améliorer sa qualité. Une unité concerne typiquement plusieurs milliers d'habitants.
La biomasse et le biogaz, contrairement à d'autres formes d'énergie renouvelable, peuvent être produits dans toutes les régions. Toutefois le biogaz dépend de l'accès au réseau et j'ai constaté que certains projets étaient écartés. La cogénération, elle, implique une réorganisation en profondeur.
L'injection n'est pas le problème le plus difficile. C'est plutôt l'équilibre économique des projets et la constitution des plans d'approvisionnement. Il faut savoir qu'un projet peut coûter plusieurs millions d'euros et on ne peut pas se lancer sans avoir très soigneusement préparé le projet. Une aide est nécessaire.
Je trouve que l'aide au développement du biogaz est plus raisonnable que les tarifs d'achat très élevés qui ont été mis en place pour l'électricité photovoltaïque...
Avec les effets d'échelle, les installations sont deux fois moins coûteuses en Allemagne qu'en France. La subvention, par rapport au tarif d'achat, présente l'avantage de mieux s'adapter à l'évolution des techniques et des prix. La difficulté, c'est que les banquiers exigent un approvisionnement garanti sur le long terme, qui est difficile à obtenir.
Sur le plan régional, la méthanisation se développe tout particulièrement dans le Grand Ouest et là où apparaissent des opportunités liées aux collectivités territoriales, à la présence d'industries, de cantines. Toutefois il faut bien, au départ, installer un méthaniseur : c'est le démarrage qui est difficile.
C'est le rôle des collectivités de s'impliquer dans ce système, même si la rentabilité n'est pas immédiate.
La méthanisation, ce n'est pas un modèle unique. Entre cogénération et injection, valorisation sous forme de chaleur, par exemple pour faire du séchage de bois ou même de denrées agricoles de la ferme elle-même : les conséquences peuvent être multiples et aucune exploitation ne doit en être exclue. La méthanisation peut s'adapter aux différents types d'exploitation et à chaque région.
Les chambres d'agricultures sont en train de se structurer. Un travail s'organise entre les coopératives, les chambres d'agriculture et les instituts de recherche.
Enfin, il faut souligner que le tri mécano-biologique présente des problèmes pour le retour au sol de la matière organique.
Nous sommes en pleine économie circulaire. Le gaz produit de la chaleur qui alimente les écoles, les piscines, les maisons de retraite, ainsi que des industries qui ont besoin de capacités de séchage...
Nous mettons ainsi en place une démarche de « territoire à énergie positive ». Les collectivités sont fédératrices, en lien avec les agriculteurs.
- Présidence de M. Raymond Vall, président -
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Jean Jouzel, sur le cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Raymond Vall, président. - Jean Jouzel, qu'on ne présente plus, vient nous présenter le premier volet du cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), achevé il y a quatre jours, et qui a déjà beaucoup fait parler de lui !
Il a été plutôt bien accueilli.
M. Raymond Vall, président. - Ce document confirme le réchauffement de la planète, la montée du niveau des océans, la fonte des glaces et l'augmentation du nombre d'évènements extrêmes, mais va aussi plus loin en proposant plusieurs scénarios, en envisageant pour la première fois un budget carbone ou la géo-ingénierie. Le message qu'il porte s'adresse aux responsables politiques du monde entier. Nous devons le relayer, à la veille de la conférence de Paris de 2015 sur le climat.
Vous êtes très au fait des problèmes du changement climatique. Nous avons adopté ce document à Stockholm vendredi matin. Il a ensuite été présenté à la presse. Pour ma part, je suis allé à Nantes au sommet mondial des maires, car j'estime que les territoires ont un rôle important à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce rapport est clair. Comment a-t-il été élaboré ? C'est le cinquième, après ceux de 1990, 1995, 2001 et 2007. Il s'étendra sur 2013 et 2014, car il mobilise plusieurs groupes de travail : un premier sur les éléments scientifiques, un deuxième sur les impacts, les adaptations et la vulnérabilité, et un troisième sur la lutte contre le réchauffement climatique. Un rapport de synthèse sera publié en octobre prochain. Le rôle du Giec n'est ni de faire de la recherche, ni de formuler des recommandations. Il est de porter un diagnostic tous les six ou sept ans sur l'ensemble des aspects liés au rôle potentiel des activités humaines sur le climat.
Le Giec, présidé par M. Rajendra Pachauri, est placé sous la tutelle du Programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE) et de l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Les représentants des pays sont les vrais détenteurs du pouvoir : ce sont les pays qui approuvent, ou non, le rapport. Chacun des trois groupes de travail a un bureau de huit personnes, qui assume la responsabilité du rapport de son domaine. Je suis membre du bureau du groupe scientifique, et à ce titre vice-président du Giec. Nous avons deux co-présidents : un Suisse, M. Thomas Stocker, et un Chinois, M. Dahe Qin.
La première année, nous déterminons les têtes de chapitres du futur rapport, avec l'aide de la communauté scientifique, avant de faire appel à des auteurs. Ainsi, le cinquième rapport comporte un chapitre dédié au niveau de la mer, alors que les données sur ce point étaient éparpillées dans le quatrième rapport. Nous devons élaborer nos conclusions de manière à ce qu'elles soient utiles aux politiques, sans pour autant formuler de recommandations. On nous a demandé de développer nos prévisions de court terme ainsi que les déclinaisons régionales. Nous avons donc scindé le chapitre sur les projections en deux parties : avant 2050 et après. Le rapport comporte quatorze chapitres, au lieu de onze dans le précédent.
La qualité du rapport du Giec tient notamment au fait que, dans la communauté scientifique, être auteur du Giec est un honneur. Cela ne rapporte rien et prend du temps, mais c'est intéressant du point de vue scientifique. Les candidatures sont donc nombreuses, et transitent par les représentants des gouvernements - en France, il s'agit de Nicolas Bériot, secrétaire général de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc) placé auprès du ministère de l'environnement - ainsi que par des organisations scientifiques internationales, ou sont sollicitées par le bureau. Nous avions 1 000 candidats parmi lesquels nous avons dû choisir 200 auteurs, une douzaine par chapitre. Le premier critère de sélection est la qualité scientifique, mais nous tenons aussi compte de la répartition géographique et veillons à assurer un taux de renouvellement d'environ 60 %. Soixante auteurs sont américains, vingt-cinq anglais, et dix-sept français. Viennent après l'Allemagne, la Chine, l'Australie, le Canada... La communauté française est très active sur tous les domaines couverts - données du passé, observation par satellite, cycle du carbone, projection du climat, aérosols...
Une fois les auteurs choisis, nous tenons quatre séances de travail, espacées de six ou sept mois. La première est l'occasion d'examiner une version zéro du rapport, la seconde donne lieu à une version adressée à qui le souhaite, pour recueillir des commentaires, auxquels les auteurs doivent systématiquement répondre. Pour la troisième séance, des relecteurs non-spécialistes se penchent non pas sur le contenu mais sur les méthodes, l'éthique, la pratique, la fluidité du processus. Enfin, une revue dite gouvernementale a lieu. Bien sûr, les auteurs consacrent beaucoup de temps, pendant deux ou trois ans, à la rédaction du rapport - un millier de pages ! Tous les documents sont disponibles sur Internet. Un résumé technique de cinquante pages est ensuite élaboré, puis, finalement, un résumé pour décideurs d'une vingtaine de pages.
Nous avons tenu compte, à Stockholm, des premiers commentaires des gouvernements. Une cinquantaine de scientifiques participent au processus d'adoption, sous la responsabilité des co-présidents de notre groupe. Le rapport reste la propriété des scientifiques, le représentant d'un pays ne peut pas leur imposer de changer un chiffre : il ne peut réclamer des modifications qu'en se fondant sur les données du rapport principal. Le contenu du rapport n'est donc pas modifié au fond. Par exemple, nous avions indiqué que, pour limiter avec une probabilité de deux tiers le réchauffement à deux degrés par rapport à l'époque préindustrielle, il fallait désormais limiter nos émissions globales à 270 milliards de tonnes de carbone. À la demande des Chinois et des Américains, nous avons donné aussi le chiffre associé à la probabilité d'un demi, et celui associé à la probabilité d'un tiers. Mais il ne s'agit pas de chiffres nouveaux : tous ont été puisés dans le rapport principal. Le processus d'adoption est un moment fort d'appropriation des conclusions par les représentants des gouvernements, qui emportent le rapport avec eux. Dans la préparation et lors des conférences climat, c'est le livre de chevet des négociateurs !
En France, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a organisé lundi matin une réunion des pilotes de la conférence de 2015, en présence des ministres Geneviève Fioraso et Pascal Canfin. J'ai également, lundi après-midi, remis en mains propres notre rapport au président de la République. J'avais participé à un petit-déjeuner en sa présence à l'Elysée en décembre dernier, sur ces questions. Nos hommes politiques sont à l'écoute.
Le réchauffement du système climatique est sans équivoque, et depuis 1950 les changements observés sont sans précédent. L'atmosphère et l'océan se sont réchauffés. L'étendue et le volume des neiges et des glaces ont diminué, et le niveau de la mer s'est élevé. Ce diagnostic est très clair. Bien sûr, ce n'est pas année après année que le climat se réchauffe. L'unité de temps est au moins la décennie. La dernière a été de loin la plus chaude, même si le réchauffement s'est ralenti dernièrement - ce qui ne remet aucunement en cause notre diagnostic. Les indices du réchauffement sont nombreux : l'accumulation de chaleur dans l'océan de surface, sur une épaisseur de 70 mètres ; les variations, dans l'hémisphère nord, de la couverture de neige, qui a diminué en quelques décennies d'au moins trois millions de kilomètres carrés - soit quatre à cinq fois la surface de la France - malgré des fluctuations annuelles ; la diminution de la superficie de la banquise dans l'océan arctique, qui a atteint un minimum en 2007, avec 3,7 millions de kilomètres carrés, et est remontée depuis au-dessus de 5 millions de kilomètres carrés, ce qui ne doit pas masquer une tendance à la décroissance. Mais le plus parlant est sans doute l'élévation du niveau de la mer, résultat de deux phénomènes qui découlent eux-mêmes du changement climatique : la fonte des glaciers et le réchauffement (donc la dilatation) de l'océan. Le rythme actuel est de trois millimètres par an, dont 40 % viennent du Groenland et de l'Antarctique de l'Ouest, 20 % à 30 % des glaciers continentaux, le reste étant dû à l'expansion thermique. Bien sûr, il y a là aussi des fluctuations, dues notamment aux variations du régime des précipitations, à la survenue de phénomènes comme El Niño, etc.
Le « forçage climatique » désigne ce qui est susceptible d'influencer le climat. L'augmentation du taux de gaz carbonique, au premier chef liée à l'utilisation des énergies fossiles mais aussi pour 10 % à la déforestation, est constante. Là où les cycles saisonniers sont marqués, la concentration en CO2 varie au fil de l'année, le pic étant au printemps : en 2012, la barre des 400 parts per million a été dépassée à ce moment-là, mais dans quelques années elle le sera toute l'année. Le rapport dresse l'inventaire méticuleux de tout ce qui peut modifier le climat : méthane, CFC... Les variations de l'activité solaire ont un impact très faible. De plus, au cours des cinquante dernières années, l'activité solaire a plutôt diminué. Le forçage solaire ne peut donc être l'explication...
Lorsque nous disons qu'il faut agir aujourd'hui pour prévenir une catastrophe après 2050, nous sommes peu écoutés. Ce qui intéresse, c'est de savoir si le réchauffement actuel est lié à l'activité humaine. Le débat n'est pas clos. Chaque rapport le reprend. En 1990, on ne savait pas répondre. En 1995, nous estimions à une sur deux la probabilité pour que le réchauffement soit dû aux activités humaines, et le simple fait de le dire a eu un rôle considérable dans la mise sur pied du protocole de Kyoto en 1997. En 2001, la probabilité est passée à deux tiers, et à neuf sur dix en 2007. Notre diagnostic actuel est très clair : il y a plus de 95 % de chances que le réchauffement des cinquante dernières années soit dominé par les activités humaines. Dans les précédents rapports, nous limitions l'appréciation du phénomène à la température moyenne de la planète. Nous l'étendons désormais à d'autres aspects. Nous donnons des chiffres sur les parts possibles des causes naturelles et humaines. Il apparaît que les causes naturelles n'ont pas joué pour plus d'un dixième de degré. Il est plausible que le réchauffement des soixante dernières années soit entièrement dû aux activités humaines.
Pour construire des projections climatiques, nous avons besoin de savoir comment l'effet de serre évoluera. Nous nous sommes donc tournés vers les économistes, qui ont produit différents scénarios plus ou moins émetteurs, que nous avons utilisés. Mais ils n'ont pu nous fournir un scénario qui réponde aux objectifs de restriction des émissions inscrits dans la convention climat. Nous sommes partis de quatre scénarios stabilisant l'effet de serre ; le plus émetteur aboutit à un réchauffement de 4,8 degrés à la fin du siècle. Il faut savoir que 4 degrés en moyenne globale correspondent à 5 degrés sur les continents, et 7 ou 8 degrés dans les régions polaires du Nord. Le scénario le moins émetteur permet de limiter à moins de 2 degrés le réchauffement climatique. Évidemment, si nous atteignons 4 degrés à la fin du siècle, le réchauffement continuera ensuite. Certaines simulations aboutissent à 10 degrés de plus en 2300. Dans les scénarios les plus émetteurs, la glace de mer aura disparu à la fin de l'été en Arctique vers 2050. L'acidification des océans est déjà visible : le pH a diminué d'un dixième d'unité, ce qui correspond à 25 % d'acidité en plus par rapport au début du siècle. Nous risquons de perdre encore deux dixièmes de pH, ce qui aura une grande influence sur la formation de la vie : il deviendra plus difficile pour les crustacés et les coraux de former des coquilles de calcaires.
Les conséquences du changement climatique seront détaillées, y compris par région, dans le second rapport, qui sortira en mars. L'élévation du niveau de la mer dans le scénario le plus élevé pourra atteindre un mètre à la fin du siècle, ou plus vraisemblablement 80 centimètres - nous avons considérablement revu à la hausse ces valeurs par rapport aux conclusions de 2007. Nous avons mieux tenu compte de la contribution du Groenland. Notre groupe n'a pas pour mission de réfléchir aux trajectoires à suivre pour respecter les scénarios, mais nous donnons des chiffres. Pour limiter le réchauffement à 2 degrés, nous ne devons pas émettre plus de 270 milliards de tonnes de CO2 : notre droit à émettre était de 800 milliards de tonnes, et nous en avons déjà émis 530 milliards. Chaque année, nous émettons 10 milliards de tonnes, ce qui nous laisse au plus 27 ans de droits d'émission. Il faut donc que les émissions baissent à partir de 2020, et qu'elles soient divisées par trois avant 2050, pour devenir nulles ou négatives à la fin du siècle.
Ce rapport est important pour notre planète. Certains vous disent catastrophistes, d'autres pensent que vous sous-estimez les effets du réchauffement... La hausse de la température moyenne a ralenti lors de la dernière décennie, ce que les modèles n'avaient pas prévu. Les dernières années ont été plutôt froides et pluvieuses, avec des saisons bien marquées, comme autrefois. Comment interpréter ce phénomène ? Que prévoit le rapport sur ces évolutions ? Que pensent les pays les plus émetteurs de CO2, comme les États-Unis, la Chine, la Russie ou l'Allemagne, de ce rapport ? Dans un monde en compétition, auront-ils pour priorité de travailler sur la diminution de leurs émissions de gaz à effet de serre ? Notre pays et l'Europe feront sans doute plus d'efforts que d'autres : que pesons-nous, par rapport à la Chine, par exemple, qui semble se soucier moins du réchauffement climatique que de la compétition économique mondiale ?
La réalité, c'est que l'émission de gaz à effet de serre conduit au réchauffement. C'est un fait. Les impacts seront analysés par le deuxième groupe. Que va-t-il se passer ? Le réchauffement va repartir. La fin de la civilisation carbone est inéluctable. Il faut arrêter l'addiction aux combustibles fossiles. Les premiers à le faire seront économiquement gagnants, car ne rien faire est catastrophique. L'Agence internationale de l'énergie a un diagnostic plus catastrophiste que le nôtre : elle estime que si nous ne faisons rien avant 2017 nous irons vers un réchauffement compris entre 3,5 et 6 degrés. Elle dit aussi que tout dollar non investi en ce sens dans la prochaine décennie imposera une dépense de quatre dollars dans la décennie suivante. C'est, du strict point de vue économique, une véritable erreur de ne pas lutter contre le réchauffement.
Nous tiendrons une réunion importante à Paris en 2015, et ce davantage grâce à la Chine que grâce aux États-Unis : à Durban, nous n'aurions pas eu d'accord si la Chine n'avait accepté des mesures contraignantes après 2020... Les États-Unis ont été obligés de suivre ! Les Chinois se préparent : ils sont les premiers en solaire, en éolien, et le seront bientôt en nucléaire. Certes, ils sont aussi les premiers en charbon, mais ils ouvrent des centrales beaucoup moins polluantes que celles qu'ils ferment. Les régions les plus développées de Chine commencent à voir leurs émissions diminuer, même si ce n'est pas encore vrai pour l'ensemble du pays. La communauté scientifique chinoise sait parfaitement que le pays sera directement concerné par les conséquences du réchauffement climatique. Elle est très présente dans nos travaux.
L'idée que nous ne devons rien faire car les autres ne feront rien ne me convient pas. La seconde phase du protocole de Kyoto concerne des pays responsables de moins de 15 % des émissions, c'est vrai. Mais aller vers une société sobre en carbone n'est pas une punition, c'est une opportunité. Je me suis d'ailleurs personnellement beaucoup investi dans le débat sur la transition énergétique.
Il n'y a pas de ralentissement. Au cours des quinze dernières années, le réchauffement a été trois fois plus rapide qu'au cours des trente années précédentes. Cependant, la progression n'est pas linéaire. Les modèles prévoient qu'une augmentation continue des gaz à effet de serre conduit à un réchauffement, en revanche, ils ne s'accordent pas sur le calendrier - ils ne savent pas dire quand aura lieu une accélération ou un ralentissement. Mais tous les autres indicateurs sont au rouge : l'élévation du niveau de la mer se poursuit ; la chaleur stockée dans l'océan profond ne cesse de croître. La faiblesse du soleil a pu jouer un rôle lors de la dernière décennie ; mais il y a aussi eu plus de volume de gaz émis par les aérosols.
Quoi qu'il en soit les divergences des modèles sur les variations à court terme ne remettent pas en cause le diagnostic de long terme. L'argument selon lequel le réchauffement s'est ralenti ou arrêté ces dernières années est à écarter : car lorsque le réchauffement s'accélérera à nouveau, il sera trop tard.
Malgré ces analyses, les gens se sentent peu concernés car l'horizon reste lointain. Les besoins des consommateurs sont toujours plus élevés : qui ne souhaite installer sa climatisation, par exemple ? Dès lors, quels moyens préconisez-vous pour inciter les États à mettre en oeuvre les mesures nécessaires, y compris ceux en cours d'industrialisation ?
On quitte le champ du rapport... Il convient d'associer lutte contre le réchauffement climatique et développement. Ainsi le continent africain, dont la démographie est en vive croissance, pourrait se passer des énergies fossiles au profit de l'énergie solaire, éolienne ou encore issue de la biomasse. Tout est là !
On ne forcera pas les gens. Faire des recommandations n'est pas le rôle du Giec. Dans notre monde, l'économie domine. Le seul moyen est donc que les énergies renouvelables deviennent compétitives. Malheureusement, l'exploitation des gaz de schiste a enrayé la dynamique de hausse du prix des énergies fossiles. Il est dès lors indispensable de donner au niveau international un prix au carbone. Je sais l'échec des premiers quotas. Mais il faut poursuivre dans cette voie.
Un chapitre du rapport du Giec est cette fois, je m'en félicite, consacré à la mer et à l'évolution des côtes. Les élus des territoires côtiers sont déjà confrontés, et le seront de plus en plus, à l'érosion du littoral et au recul des côtes, au risque de submersion marine, etc. Comment les aider à anticiper ? Il est difficile d'apprécier quelle sera l'amplitude exacte de l'élévation du niveau de la mer en chaque point du littoral, 80 centimètres étant une moyenne.
C'est vrai. Parler de moyenne pour l'élévation du niveau de la mer n'a pas de sens. Selon les endroits la variation sera du simple au double. Ainsi à New York la hausse devrait être de 20 à 30 % supérieure. Le jeu des courants, les tempêtes, la houle, autant de facteurs qui parfois se conjuguent : souvenez-vous de Xynthia. Aussi il est plus pertinent de prendre en compte les valeurs extrêmes. Le rapport du groupe 2 contiendra des données déclinées par région. Lors de l'élaboration du Plan d'adaptation au changement climatique, sous le ministère de Nathalie Kosciusko-Morizet, nous nous étions fixés de réfléchir à la manière dont la France pourrait faire face à une élévation donnée, de un mètre, du niveau de la mer. Mais il est vrai qu'il n'y a pas de document à disposition des élus locaux. Tout reste à faire.
Hormis l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc), petite structure d'une dizaine de personnes, peu d'organismes sont susceptibles de chiffrer le coût de l'inaction face à cette catastrophe programmée.
M. Bériot, son secrétaire général, est d'ailleurs aussi représentant de la France auprès du Giec.
La France est parmi les bons élèves en matière d'émissions de gaz à effet de serre, même s'il nous manque une comptabilisation des émissions dues à nos importations. Nous contribuons aux émissions chinoises !
J'admire la modestie des scientifiques. Il est frappant de constater que ceux qui s'expriment le plus sont ceux qui s'y connaissent le moins. Certains physiciens français, comme François Gervais ou Claude Allègre sont sceptiques sur l'idée du réchauffement climatique. Ils ne sont pourtant pas des spécialistes. Vous ont-ils adressé des communications lors de l'élaboration du rapport ?
Il faut faire de la pédagogie. Pourquoi ne pas organiser des réunions régionales ? En Picardie nous réfléchissons à la possibilité de créer une brèche dans les digues afin d'inonder 1000 hectares de polder dont la protection contre les assauts de la mer est très coûteuse. Mais il y a des habitants sur ce territoire... Rien n'est simple.
Cependant, la sensibilisation progresse, je le constate localement. Nous connaissons bien le phénomène de l'érosion des falaises accrue par l'acidité de l'océan... Les gens sont intéressés dès lors que les enjeux sont précis et concrets.
Le livre de M. Gervais constitue une imposture scientifique. Il se borne à compiler des données collectionnées sur des sites internet hostiles à la thèse du réchauffement climatique. M. Gervais n'a jamais travaillé sur la question ! Mais il faut accepter le débat. Il est normal que les gens s'interrogent. C'est à nous qu'il revient de convaincre, inlassablement, et de réfuter des idées fallacieuses : le constat que « l'hiver dernier a été plus froid » n'invalide pas la tendance de fond. Certains de mes collègues pensent que j'ai tort de me rendre sur le plateau de C dans l'air pour débattre avec M. Gervais. Mais nous devons le faire !
Les sceptiques, il y a encore quelques années, pouvaient arguer que l'on connaissait très mal le fond des océans. Mais un vaste programme d'immersion a été mené depuis cinq ans : notre connaissance des océans a considérablement progressé et confirme les autres données. Il faut communiquer là-dessus !
En effet, grâce aux quelque 6 000 balises Argos installées depuis le début des années 2000, nous avons par exemple constaté que la chaleur s'accumule dans les océans profonds.
Tous les scientifiques ne partagent pas votre avis. Certains nient le phénomène, d'autres à l'inverse considèrent que vous n'allez pas assez loin. Un tiers des Français ne croient pas au réchauffement climatique ; 12 % rejettent l'idée d'une influence de l'homme. Ne croyez-vous pas que votre communication est insuffisante ? Vous ne vous défendez pas ; je ne vous vois jamais attaquer avec force les thèses des pseudo-scientifiques. Pourquoi ne pas organiser une confrontation d'idées, qui serait l'occasion de démonter leurs arguments, leur méthodologie ? Certes, vous allez à la télévision, mais vous n'y êtes pas toujours à votre avantage - il faut dire que les autres sont très forts en communication.
Le réchauffement futur n'intéresse personne. L'enjeu du débat avec les climato-sceptiques concerne le rôle de l'homme. Certains, comme Claude Allègre ou Vincent Courtillot, mettent en avant le rôle du soleil, idée absurde car l'activité solaire a diminué au cours des cinquante dernières années. L'influence du soleil ne compte pas pour plus d'un dixième de degré dans le réchauffement. De même, M. François Gervais n'hésite pas à affirmer qu'il n'y a pas de réchauffement car les bandes de CO2 sont saturées : il suffit de prendre l'exemple de Vénus, avec 500 degrés d'effet de serre, pour se convaincre de l'ineptie de sa thèse !
Certains physiciens tiennent en peu d'estime les climatologues, qu'ils considèrent comme de piètres scientifiques. Parfois ce mépris se retourne contre eux. Ainsi un physicien américain, M. Miller, a voulu réfuter les modèles des climatologues en refaisant lui-même tous les calculs, dans son laboratoire de Berkeley. Il a trouvé les mêmes résultats que nous ! Un an après, il a admis que les activités humaines étaient à l'origine du réchauffement... J'ai toujours accepté le débat, mais il est dur de changer les idées reçues. Il suffit de lire les commentaires des internautes après l'émission C dans l'air... Les médias accordent trop d'importance à certaines affirmations farfelues et infondées.
Ils avaient donné un large écho aux prophéties de Paco Rabanne qui annonçait que la station Mir allait tomber sur terre et qui précisait même où : dans le Gers. Des émissions spéciales furent réalisées sur place le jour annoncé. M. Paco Rabanne n'est pas scientifique et pourtant des gens l'ont cru !
Au centre de carottage de Copenhague, Marcel Deneux et moi avons vu concrètement la trace de l'activité humaine dans les carottes réalisées par les scientifiques dans la calotte glaciaire. Il faudrait réunir nos efforts au plan européen pour communiquer autour d'éléments concrets. Nous ne savons pas suffisamment le faire.
Les élus que nous sommes ont tendance à croire les scientifiques et sont préoccupés par les conséquences du réchauffement. Un groupe de travail sera-t-il consacré à l'eau, enjeu des années à venir ?
Cet aspect sera mieux traité dans le rapport de mars. Des atlas sont déjà disponibles à la fin du rapport. Par exemple, la carte des précipitations montre que le risque de sécheresse concerne particulièrement le bassin méditerranéen. Des cartes régionales sont consultables sur le site du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
Je ne partage pas l'idée que les scientifiques du Giec sont responsables du peu d'écho de leurs thèses dans l'opinion. Celle-ci semble plus ouverte aujourd'hui, mais la traversée du désert pour Jean Jouzel et ses confrères a été longue. Balayons devant notre porte : les décideurs politiques ne voulaient pas les écouter ! Autant il faut saluer le scepticisme comme démarche intellectuelle, autant il faut le dénoncer quand il vire au déni de réalité ! Nous ne pouvons accuser les scientifiques d'un manque de pédagogie quand nous avons écarté leurs démonstrations pendant si longtemps.
La prise de conscience date des années quatre-vingt ; le Giec a été constitué à la fin de cette décennie.
Les éléments scientifiques sont certains. Peut-être sont-ils trop vertigineux ? Malgré tout, les gens sont prêts à s'intéresser au sujet, pour peu qu'on leur donne des pistes et que le monde politique montre l'exemple. Hélas, nous manquons de cohérence. A neuf heures du matin nous voulons limiter le réchauffement, et à dix, autoriser l'exploitation des gaz de schiste, alors qu'elle augmentera mécaniquement les émissions. Des intérêts économiques puissants sont en jeu.
Nous avons naturellement tendance à nous projeter dans un avenir dont nous voudrions déjà tout connaître. Nous nous demandons comment faire pour nous adapter au réchauffement dont nous saurons prévoir l'ampleur. Mauvaise question ! La seule qui vaille est : comment faire pour ne pas avoir à nous adapter ? Nous allons d'ailleurs préparer un rapport sur le coût des politiques publiques en cas de réchauffement climatique : car il est peut-être plus efficace de parler directement au portefeuille.
Le seuil de deux degrés est une notion adoptée par les hommes politiques. Elle témoigne qu'il existe une limite au-delà de laquelle il sera difficile de s'adapter.
Merci. Il nous appartient à tous de faire oeuvre de pédagogie dans nos territoires.