La commission examine le rapport de M. Daniel Reiner, rapporteur, et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 416 (2012-2013) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg pour le développement de la coopération et de l'entraide administrative en matière de sécurité sociale.
La France et le Luxembourg sont liés, en matière de sécurité sociale, par plusieurs textes. Tout d'abord, le règlement 883/2004/CE du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ainsi que son règlement d'application en matière de coopération administrative dans le champ de la sécurité sociale. Ensuite, un accord bilatéral de sécurité sociale, depuis 2008, visant à compléter les dispositions communautaires, en particulier en matière de prestations et de recouvrement des cotisations et trop-versés. Néanmoins, les autorités des deux pays ont souhaité développer encore plus cette coopération, répondant ainsi à une faiblesse du dispositif qui nécessite une coopération renforcée et directe entre les organismes de sécurité sociale eux-mêmes des deux États.
Ainsi, la France et le Luxembourg ont conclu un accord par échange de lettres, en avril et juin 2011, visant à moderniser leur coopération bilatérale en matière de sécurité sociale. C'est cet accord qui est aujourd'hui soumis à l'approbation du Sénat.
Les relations franco-luxembourgeoises sont excellentes, et la coopération, en particulier transfrontalière, est très développée. En termes d'échanges humains, le nombre de ressortissants français au Luxembourg est en progression constante, pour s'établir à 35 200 en 2013. A l'inverse, on dénombre un millier de Luxembourgeois établis en France, et plus de 75 000 travailleurs frontaliers. Au total, ce sont plus de 100 000 Lorrains qui travaillent à l'étranger.
Les flux financiers qui découlent de ces échanges humains sont donc, eux aussi, à un niveau très élevé. Ainsi, en 2011, les remboursements français de soins de santé effectués au Luxembourg s'élevaient à 2 millions d'euros, et à 114 millions d'euros dans l'autre sens, pour payer les prestations réalisées en France.
L'objectif affiché de cet accord est de lutter efficacement contre les fraudes en matière de sécurité sociale en permettant une coopération accrue entre les autorités compétentes des deux pays. Cette coopération est encouragée par Bruxelles, qui invite les États membres à prendre les mesures et adopter les procédures nécessaires en vue d'améliorer la coopération dans les domaines visés grâce aux modalités pratiques de coopération et d'entraide administrative.
Ainsi, cet accord pose les principes de la coopération en matière de sécurité sociale dans 3 secteurs :
- Le premier est la coopération en matière de prestations : il s'agit de permettre à l'une des parties de vérifier auprès de l'autre, en cas d'incertitude, si une personne peut bénéficier de l'affiliation à un régime de protection sociale ou de l'octroi d'une prestation. Outre les conditions d'éligibilité et de résidence, cela peut prendre la forme d'une appréciation des ressources dont la personne est susceptible de bénéficier sur son territoire, notamment dans le cas d'une prestation soumise à condition de ressources. Également, une partie peut vérifier que la personne n'est pas bénéficiaire de prestations dont le cumul avec une autre prestation versée par la partie contractante serait interdit. En fonction des informations obtenues, une partie est en droit de refuser, suspendre ou supprimer une prestation.
- Le deuxième est la coopération en matière d'assujettissement, notamment en cas de détachement de travailleurs : est prévu le contrôle par les autorités compétentes des conditions de détachement, afin de pouvoir déterminer la législation applicable. Les conditions devant être respectées sont celles de l'affiliation à la législation du pays d'envoi préalablement au détachement, de la justification par l'entreprise d'envoi d'une activité réelle, et du maintien du lien de subordination. Si les autorités compétentes s'aperçoivent qu'une attestation de détachement a été établie à tort, elles doivent en informer leurs interlocuteurs dans l'autre État, qui doivent alors, dans un délai d'un mois, se prononcer sur le maintien ou le retrait de l'attestation en question. Les autorités compétentes en charge du recouvrement peuvent interroger celles de l'autre Partie afin de vérifier que les cotisations ou contributions sont effectivement dues. Enfin, est prévue une transmission annuelle des fichiers des statistiques de détachement sur le territoire de l'autre Partie.
- Le troisième est la coopération en matière de contrôles : le soutien aux actions de contrôle est érigé en principe. Afin de permettre au mieux la réalisation des contrôles, des agents peuvent être échangés afin d'appuyer des opérations sur le territoire de l'autre Partie. Dans ce cas, ils ont uniquement le statut d'observateur. Enfin, en cas d'arrêt de travail, une Partie contractante peut demander à l'autre Partie de procéder aux mesures de contrôles prévues par la législation. Ces mesures doivent être mises en oeuvre sans délai et le résultat transmis aux autorités à l'origine de la demande. De même, un médecin peut être mandaté afin d'effectuer une visite de contrôle au domicile du salarié.
Les fraudes aux prestations sociales sont un problème et il convient d'encourager toute mesure permettant de les résoudre. Toutes branches de la sécurité sociale confondues, le montant des fraudes détectées (hors assurance-chômage) en France est estimé à 457 millions en 2010, dont 156 millions pour l'assurance maladie.
Il est difficile d'apprécier le montant des erreurs ou fraudes aux prestations sociales entre la France et le Luxembourg, mais il est probablement assez marginal, il s'agit donc d'un accord de clarification et non de sanction qui s'inscrit dans le prolongement des dispositions communautaires en la matière, et de l'accord de sécurité sociale précédemment conclu avec le Luxembourg en les complétant.
La Chambre des députés du Grand-Duché de Luxembourg a adopté le 30 janvier 2013 le projet de loi, et la loi portant approbation de l'Accord a été promulguée le 26 février 2013. C'est pourquoi je vous recommande d'adopter cet accord qui pourrait faire l'objet d'un examen selon la forme simplifiée en séance publique le 29 mai.
Les échanges humains sont très importants et sont présents entre tous les pays transfrontaliers. Par exemple, on dénombre des travailleurs allemands, assez peu nombreux, mais en revanche beaucoup de Français travaillent en Allemagne, dans les usines automobiles notamment, alors même qu'on a une industrie automobile en Lorraine : Smart, Renault, les moteurs Peugeot. Pourtant on ne trouve pas de mécaniciens en Lorraine, ils préfèrent travailler en Allemagne où ils sont payés 20 % de plus.
Des Lorrains travaillent aussi en Belgique, en particulier dans la zone autour de Liège. A l'inverse, on dénombre peu de Belges travaillant en France, par contre de nombreux Belges travaillent en Belgique et habitent en France !
Enfin, Belges, Luxembourgeois et Allemands viennent faire leurs courses en Lorraine, où les prix dans les grandes surfaces sont moins élevés.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
La commission examine le rapport de M. André Dulait, rapporteur, et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 417 (2012-2013) autorisant la ratification de l'accord-cadre global de partenariat et de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Indonésie, d'autre part.
Mes chers collègues, le projet de loi soumis à votre examen demande l'approbation d'un accord-cadre global de partenariat et de coopération signé le 9 novembre 2009 entre, d'une part, l'Union européenne et ses Etats membres et, d'autre part, la République d'Indonésie.
Cet accord-cadre se substitue à l'accord CEE-Association des Nations d'Asie du Sud-est ou ANASE qui comprend l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande signé en juin 1980 et qui portait sur la coopération dans les domaines commercial, économique et du développement.
L'accord-cadre conclu en 2009 étend de façon significative les secteurs de coopération entre l'Union et l'Indonésie.
De l'avis de votre rapporteur, la ratification de cet accord cadre ne soulève aucune difficulté.
En complément des indications fournies dans l'exposé des motifs du projet de loi et de l'étude d'impact, et pour que votre information soit parfaite, je souhaite très rapidement porter à votre connaissance les éléments suivants concernant, d'une part, la genèse de l'accord et, d'autre part, son contenu.
L'Union européenne a souhaité, dans les années 1990, inscrire sa relation avec les Etats tiers dans un cadre global et engager la négociation d'accords portant à la fois sur les domaines politique, économique et sectoriel. C'est pourquoi elle a proposé, en 2004, aux six Etats membres fondateurs de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (Brunei, Malaisie, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Singapour) de conclure des accords de ce type. L'Union européenne et ces six Etats n'étaient alors liés que par un accord de coopération interrégional (CE-ANASE), très général, conclu en 1980.
Des négociations ont été engagées avec les Etats les plus intéressés par cette démarche. Elles ont été lancées en 2005 avec l'Indonésie et conclues en 2007.
L'accord n'a cependant été signé que deux ans plus tard, les relations entre l'Union européenne et l'Indonésie ayant été affectées, entre 2007 et 2009, par l'interdiction d'exploitation dans l'espace aérien européen de toutes les compagnies aériennes indonésiennes, décision prise après la survenue de plusieurs accidents d'aéronefs en Indonésie.
L'accord a été signé fin 2009 après que l'Union européenne eut partiellement levé cette interdiction.
L'accord dont nous sommes saisis est le premier accord de ce type conclu en Asie. Depuis lors, l'Union européenne a signé des accords avec la Corée du Sud en 2010, avec le Vietnam en 2012, les Philippines en 2012 et la Mongolie en 2012 également.
Des négociations ont été engagées avec la Chine, le sultanat du Brunei, la Malaisie, la Thaïlande, Singapour, l'Afghanistan, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon.
Ces textes comportent, pour l'essentiel, des dispositions similaires : lutte contre la prolifération des armes de destruction massive ; lutte contre la criminalité et le terrorisme transnationaux ; coopération dans les instances régionales et internationales ; développement du commerce et des investissements ; coopération sur les secteurs d'intérêt commun (tourisme, fiscalité, douanes, politique macro-économique, politique industrielle, société de l'information, science et technologies, énergie, transports, éducation, culture, environnement, ressources naturelles, agriculture, pêche, santé, sécurité alimentaire, statistiques, protection des données à caractère personnel, modernisation de l'administration publique) ; coopération sur les questions de migrations et de trafic d'êtres humains ; dans le domaine des droits de l'Homme et de la justice ; promotion des liens entre les peuples. Aucun des accords évoqués précédemment n'est à ce stade entré en vigueur.
Si l'accord-cadre n'est pas encore entré en vigueur, il a déjà permis de renforcer les relations entre l'Union européenne et l'Indonésie dans plusieurs domaines : mise en place d'un dialogue annuel portant sur les droits de l'Homme, échanges en matière de lutte contre le terrorisme, notamment.
Les relations entre l'Union et l'Indonésie ont vocation à se développer selon les axes définis dans l'accord. Plusieurs secteurs de coopération prioritaires ont cependant été identifiés : commerce et investissement, environnement, éducation.
En décembre 2009, le président indonésien et le président de la Commission européenne ont décidé de mettre en place un groupe conjoint chargé d'examiner les moyens d'accroître le commerce et les investissements entre l'UE et l'Indonésie.
En mai 2011, le groupe s'est prononcé en faveur de la négociation d'un accord de libre-échange. Aucune décision n'a été prise à ce stade. Ces hésitations sont notamment liées aux débats internes à l'Indonésie sur l'impact pour le pays de l'association de libre-échange entre la Chine et l'ANASE, entré en vigueur en 2010.
En conclusion, le projet soumis à votre approbation sert les intérêts de l'Union européenne en général et de notre pays en particulier.
Je vous recommande donc de l'adopter et de procéder à son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
La commission examine le rapport de M. André Vallini, rapporteur, et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 419 (2012-2013) autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme.
Mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre examen demande l'approbation d'une convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme. Cette convention a été ouverte à la signature le 16 mai 2005 et signée par la France, le 23 mars 2011 à Strasbourg.
Elle vise à compléter la précédente convention du Conseil de l'Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, sur le volet spécifique du financement du terrorisme.
Je souhaiterais compléter les éléments contenus dans l'exposé des motifs du projet de loi et l'étude d'impact annexée par quelques éléments d'information que j'ai obtenus auprès des services concernés. Ces éléments concernent essentiellement le dispositif actuel de lutte contre le blanchiment en matière de terrorisme.
Le dispositif national de lutte contre le financement du terrorisme s'appuie sur le dispositif préventif déjà prévu pour la lutte contre le blanchiment. Il est complété par un volet répressif plus spécifique.
Le dispositif préventif de lutte contre le financement du terrorisme était à l'origine limité au secteur bancaire. Il a été progressivement étendu à d'autres acteurs économiques et s'articule autour de deux grands types d'obligations : les obligations de vigilance et les obligations déclaratives.
Vous trouverez dans mon rapport écrit la liste des professions auxquelles s'appliquent les obligations de déclaration en vertu de l'article L 561-2 du code monétaire et financier. Retenez simplement que cette liste est très étendue et que sont concernés tous les intermédiaires susceptibles de concourir à la réalisation d'une transaction financière qu'elle qu'en soit la forme. Toutefois, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les avocats, les avoués près les cours d'appel, les notaires, les huissiers de justice, les administrateurs et mandataires judiciaires et les commissaires-priseurs judiciaires ne sont soumis aux obligations de déclaration que dans des cas précis et selon des modalités spécifiques.
Première série d'obligation : tous les professionnels concernés sont tenus, avant l'entrée en relation d'affaires ou avant d'assister leur client dans la préparation ou la réalisation d'une opération, de procéder à son identification sur la base de tout document écrit probant. A défaut d'obtention de ces données, le professionnel doit renoncer. C'est ce que l'on appelle les obligations de vigilance.
La vigilance doit rester constante tout au long de la relation d'affaires mais elle peut être modulée en fonction du risque attaché au client, au produit ou à l'opération. Certaines opérations doivent toutefois faire l'objet d'un examen renforcé lorsqu'il s'agit d'une opération complexe ou portant sur un montant inhabituellement élevé ou qui paraît dépourvue de justification économique ou d'objet licite.
Par ailleurs, le dispositif actuel prévoit des obligations déclaratives, qui sont de trois types distincts :
a) l'obligation déclarative aux douanes des sommes, titres et valeurs d'un montant égal ou supérieur à 10 000 euros transportés par une personne physique, vers ou en provenance d'un autre Etat ;
b) la déclaration de certitude au procureur de la République : qui s'applique à tous les professionnels - autres que ceux visés à l'article L 561-2 du CMF qui, dans l'exercice de leur profession, « réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des mouvements de capitaux » ; ces professionnels sont tenus de déclarer au procureur de la République les sommes et les opérations s'y rapportant qu'ils savent participer au financement du terrorisme ;
c) la déclaration de soupçons à TRACFIN : les professionnels mentionnés sur la liste de l'article L 561-2 sont tenus de déclarer à la cellule de renseignement nationale TRACFIN les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme.
S'agissant du dispositif répressif spécifique au financement du terrorisme, je rappellerais que le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte, est considéré comme un acte de terrorisme. Le financement du terrorisme est puni de dix ans d'emprisonnement et de 225 000 euros d'amende.
Les infractions dites « terroristes », dont le financement du terrorisme, obéissent à un régime procédural particulier concernant la garde à vue, les techniques spéciales d'enquêtes et la prescription allongée à 30 ans pour les crimes et à 20 ans pour les délits.
Troisièmement, pour ce qui est des moyens mis en oeuvre et des résultats obtenus, selon les indications qui m'ont été fournies, il ne serait pas possible de quantifier le nombre de personnes impliquées dans le dispositif préventif de lutte contre le financement du terrorisme, qu'il s'agisse des professionnels assujettis ou des membres des administrations concernées (Ministère des Finances, l'Autorité de contrôle prudentiel ou TRACFIN).
Du point de vue judiciaire, la section anti-terroriste du parquet de Paris, service à compétence nationale, compte actuellement sept magistrats du parquet, auxquels s'ajoutent cinq fonctionnaires de greffe. Par ailleurs, huit magistrats instructeurs spécialisés ont été nommés, assistés de leur greffier. Un juge d'application des peines est également spécialisé dans le terrorisme.
Vous trouverez dans mon rapport écrit des statistiques précises concernant les infractions punies depuis 2005.
Retenons simplement qu'en 2011 on relevait 165 infractions de blanchiment simple, 76 infractions de blanchiment aggravé, 20 infractions de blanchiment douanier, soit un total de 216 infractions pour blanchiment, auxquelles il faut ajouter 6 infractions de blanchiment liées au terrorisme.
J'en viens maintenant à la genèse de l'accord.
Dix ans après l'entrée en vigueur de la convention de 1990, la nécessité s'est fait sentir d'actualiser dans un texte le rôle et le fonctionnement des cellules de renseignement financier dans le domaine spécifique de la lutte contre le terrorisme afin de tirer profit de l'expérience acquise, afin de prendre en compte les modifications de l'environnement normatif.
C'est la raison pour laquelle la convention de 2005 fait référence dans son préambule à la convention des Nations unies pour la répression du financement du terrorisme signée le 9 décembre 1999 qui traite notamment des mesures d'inopposabilité du secret bancaire et encadre l'entraide judiciaire et l'extradition. Elle reprend neuf recommandations spéciales du Groupe d'Action Financière (GAFI) adoptées fin 2001 et en 2004 sur le financement du terrorisme, avec notamment, la déclaration des transactions financières suspectes pouvant être liées au terrorisme et la coopération internationale, au sens large, incluant aussi bien l'entraide judiciaire que l'échange de renseignements et l'assistance dans le cadre de procédures pénales, civiles ou administratives. Ainsi, elle traite de façon approfondie du volet préventif du financement du terrorisme en intégrant tout à la fois des mesures pour dépister, rechercher, identifier, geler, saisir et confisquer les biens d'origine licite ou illicite utilisés ou destinés à être utilisés de quelque façon que ce soit, en tout ou en partie, pour le financement du terrorisme, mais également les produits de cette infraction, et de la coopération à ces fins, de la manière la plus large possible, qu'elle soit judiciaire ou administrative.
La convention se réfère également à la résolution 1373 pour la prévention et la répression du financement des actes terroristes adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 28 septembre 2001 pour ce qui concerne, notamment, l'interdiction du financement du terrorisme et le gel des avoirs.
La convention tient compte également des nouvelles techniques d'investigation qui ont pu être adoptées dans d'autres enceintes internationales, telles que celles prévues dans le cadre du Protocole de l'Union européenne du 16 octobre 2001 à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale.
Elle répond au constat que la rapidité de l'accès aux renseignements financiers ou aux renseignements relatifs aux actifs détenus par les organisations criminelles, y compris les groupes terroristes, est essentielle au succès des mesures préventives et répressives et, en dernière analyse, vise à déstabiliser les activités de ces organisations. Elle prévoit, en outre, un mécanisme destiné à garantir une application correcte de ses dispositions par les Parties.
Ces précisions étant apportées, j'irai beaucoup plus vite concernant le dispositif proprement dit de la convention soumise à notre examen.
La ratification de la convention s'inscrit pleinement dans le processus logique d'intégration de ce texte dans le corpus juridique national, suite à la signature du texte par la France, le 23 mars 2011.
Je vous renvoie pour cette partie de l'analyse à mon rapport écrit dont il faut retenir simplement que la convention contient quelques spécificités comme par exemple en matière de déclaration de soupçons des avocats et avoués. L'article 13 de la convention étend l'obligation de déclaration de soupçons aux avocats et aux avoués et prévoit que les professionnels assujettis à cette obligation ne peuvent divulguer, en particulier à leur client, le fait qu'ils ont procédé à une déclaration de soupçons. Au demeurant notre droit national est déjà conforme sur ce point à la convention depuis la transposition d'une directive européenne de 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Enfin, s'agissant de l'état des signatures et des ratifications, notons qu'à ce jour trente-trois Etats membres du Conseil de l'Europe, sur l'ensemble des quarante-sept Etats parties et une organisation ont signé la convention. Vingt-deux Etats l'ont ratifiée. L'Union européenne a signé la convention le 2 avril 2009, mais ne l'a pas ratifiée. La France est le dernier des trente-trois Etats à avoir signé la convention, le 23 mars 2011.
En conclusion, je dirai que le projet de loi soumis à notre approbation oeuvre dans l'intérêt national et renforce la coopération européenne dans la lutte contre le financement du terrorisme. Je vous recommande donc de l'adopter et de procéder à son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
La commission auditionne M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale.
Je suis heureux de vous retrouver, alors que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a été remis au Président de la République, et approuvé par lui, et que s'engagent, dans un calendrier relativement contraint, les travaux de la loi de programmation militaire. Le Livre blanc est désormais en votre possession, et je veux saluer autant la contribution toujours pertinente et souvent décisive des parlementaires qui furent membres de la commission, que l'attention vigilante avec laquelle vous avez, plus largement, suivi l'ensemble des travaux.
Le Président de la République présentera prochainement sa vision d'ensemble de l'avenir de la politique de défense. Aujourd'hui, avant d'engager la discussion et de répondre à vos questions, je voudrais simplement vous présenter quelques remarques sur la situation de la défense en 2013, sur la réponse que ce Livre blanc apporte aux difficultés que nous traversons, sur le nouveau modèle d'armée en lui-même, enfin, sur la prochaine étape, qui est celle de la Loi de programmation militaire (LPM), avec six chantiers qui se distinguent.
Permettez-moi d'abord de revenir avec vous sur quelques traits de la situation actuelle de notre défense, parce que c'est aussi cette situation qui a justifié la démarche du Livre blanc et qui fonde une partie des orientations qu'il retient.
Premier constat, nous avons un outil de défense qui marche. Dans les années récentes, la Libye l'avait illustré, malgré quelques limites, et l'opération SERVAL au Mali fait une nouvelle fois la démonstration de l'excellence et en particulier de l'efficacité de nos soldats et de nos armées. Mais celles-ci, et c'est un constat parallèle que nous devons reconnaître, se trouvent prises dans une contradiction entre, d'une part, la crise de nos finances publiques, qui vient aggraver l'insuffisante soutenabilité budgétaire du projet de 2008, et, d'autre part, un certain nombre de bouleversements d'ordre géopolitique et géostratégique, qui commandent, eux, de ne pas baisser la garde.
En prenant mes fonctions, j'ai trouvé un ministère dans une situation financière critique. De cette situation, les exemples abondent et vous les connaissez mieux que d'autres : en juillet 2012, la Cour des comptes a relevé un écart d'au moins 3 milliards d'euros entre les prévisions et les réalisations, avec le risque que cet écart ne s'accroisse de façon vertigineuse du fait des perspectives de nos finances publiques ; aujourd'hui, le report de charges du ministère s'élève à plus de 3 milliards ; chacun sait, par ailleurs, que les annuités d'investissement prévues par le modèle 2008 étaient devenues irréalistes, parce que de 40% supérieures aux capacités de financement réelles.
Le modèle d'armée prévu par le Livre blanc de 2008 puis la loi de programmation 2009-2014, peut-être trop optimiste en son principe, était clairement devenu inatteignable avec les crises successives intervenues dès l'été 2008. Au plan financier, mais aussi au plan opérationnel, je me réfère ici notamment, aux avertissements énoncés par le chef d'état-major des armées, l'amiral Guillaud, début 2011, observant que les contrats opérationnels prévus étaient déjà, en pratique, inaccessibles aux armées.
Même constat sur le plan de l'organisation. Quel ministère a connu plus de réformes depuis 1997 ? Certaines de ces réformes ont été appliquées de façon trop brutale. Je pense notamment aux illustrations résultant de la RGPP, avec la mise en place des bases de défense, ou bien évidemment au système de paiement des soldes, à Louvois.
J'ajoute, au plan financier, un effet de ciseau qui menace pour certaines de nos capacités militaires : la combinaison de la pression à la réduction de la dépense publique, qui pèse inéluctablement sur le budget de l'Etat, et de la hausse tendancielle du coût des équipements et de l'activité militaire, liée à l'arrivée de nouveaux matériels technologiquement en pointe, ou, à l'inverse, à l'entretien coûteux de ceux qui vieillissent ... Desserrer cet étau pour préserver un outil performant, essentiel à notre souveraineté et notre sécurité, est aussi l'une des missions que je me suis fixées.
Cet ensemble de difficultés internes, redoutables, - qui ici le nierait ? -, justifiait à lui seul une remise à plat. Mais, au-delà, il fallait donc tirer les conséquences des bouleversements économiques mais aussi géopolitiques et géostratégiques intervenus depuis 2008.
D'un côté, les crises économiques et financières, qui ont constitué une donne nouvelle et imprévue pour notre défense alors qu'elles touchent par leur ampleur le coeur même de la souveraineté des Etats, avec une pression de la dette publique qui atteint des niveaux inconnus jusque-là. Une pression qui a d'ailleurs conduit la quasi-totalité des grands Etats occidentaux à réduire leurs dépenses militaires, y compris les Etats-Unis et tous les pays européens, à l'exception de la Pologne, parfois dans des proportions très importantes.
De l'autre, des évolutions géopolitiques et stratégiques majeures, que nous avons plusieurs fois évoquées et que je rappelle simplement : modification de la politique étrangère américaine, avec la fin des guerres en Irak et en Afghanistan, et le rééquilibrage vers l'Asie ; mais aussi révolutions arabes, qui ont fait naître des espoirs, mais qui, aujourd'hui, font redouter des situations d'instabilité grave, comme on le constate chaque jour en Syrie ou en Libye ; ou encore nouveaux développements du terrorisme international, en particulier au Sahel.
De ces évolutions, et plus largement de l'ensemble des risques et des menaces qui pèsent sur notre environnement, le Livre blanc de 2013 présente une vision clarifiée et renouvelée qui est l'un de ses apports, en distinguant trois catégories de dangers : les menaces de la force, les risques de la faiblesse, et l'impact de la mondialisation. Je les rappelle simplement ici.
Les menaces dites de la force recouvrent les possibilités de résurgence de conflits entre Etats pouvant toucher notre pays et la sécurité de l'Europe, la prolifération nucléaire, balistique ou chimique, ou encore le développement des capacités informatiques offensives de certaines puissances.
Les risques de la faiblesse, quant à eux, rassemblent les conséquences négatives pour la stabilité et la sécurité internationale de la défaillance de certains Etats à exercer les fonctions de base de la souveraineté, favorisant ainsi le terrorisme, les trafics ou les atteintes à nos voies d'approvisionnement par exemple.
La mondialisation, enfin, intensifie la puissance d'un certain nombre de menaces : prolifération; terrorisme d'inspiration djihadiste ; attaques dans le cyberespace ; ou encore agressions dans l'espace extra-atmosphérique.
Voilà, en peu de mots, le point de départ du Livre blanc : un outil de défense qui fait la preuve de son efficacité, mais qui se trouve fragilisé par des tensions budgétaires et organisationnelles croissantes, dans un contexte plus général qui commande de ne pas baisser la garde.
La résolution du dilemme entre ces deux impératifs de souveraineté que sont la pérennisation de notre outil de défense et le rétablissement de nos comptes publics a donc été la question de fond de ces derniers mois. En approuvant le Livre blanc, le Président de la République a décidé de répondre à cette question d'une manière forte et crédible, en prenant quatre grandes orientations.
Premièrement, le maintien dans le temps de l'effort consacré par la Nation à sa défense, en dépit de la contrainte financière considérable qui s'exerce globalement sur le budget de l'Etat. Le modèle d'armée que nous portons pour la période qui nous sépare de 2025 garde ainsi un haut niveau d'ambition, fondé sur la mobilisation d'un total de 364 milliards d'euros. Pour ce qui est de la Loi de programmation militaire, le Président de la république a arrêté un montant de 179,2 milliards en euros constants pour 2014-2019. Notre entrée en programmation est fixée à 31,4 milliards, soit le même niveau qu'en 2012 et 2013, et je peux affirmer ici que ce montant restera le même en 2015 et en 2016 ; il nous appartiendra de préserver cette stabilité financière. Cette stabilité même exigera des efforts importants, mais la France restera le deuxième budget militaire de l'Union européenne. Elle consacrera à sa défense, en moyenne, 1,76% du PIB, en normes OTAN avec pensions, d'ici 2020. Je tiens également à l'inclusion dans la LPM d'une « clause de revoyure » à mi-parcours vers 2016, permettant d'augmenter le budget de la défense si les circonstances économiques s'améliorent. Au sein de ce montant de 179,2 milliards d'euros, les recettes exceptionnelles représentent un montant de 5,9 milliards d'euros, soit environ 1 milliard d'euros par an, ce qui représente un montant relativement modeste au regard de l'enveloppe globale mais néanmoins important pour la défense. Ces ressources exceptionnelles, provenant notamment de la vente des fréquences hertziennes, ont été au rendez-vous en 2012 et en 2013 et seront inscrites dans la loi, mais il faudra naturellement être vigilant sur leur réalisation.
Deuxièmement, l'adoption d'un modèle d'armées efficient, reposant sur une stratégie militaire renouvelée. Je vais bien évidemment m'y arrêter un instant.
Ce Livre blanc dessine une stratégie générale caractérisée par une articulation nouvelle de trois missions fondamentales : la protection de la France et des Français, la dissuasion nucléaire, l'intervention extérieure.
C'est une définition, je crois, simple et claire de nos priorités. Le caractère premier de la protection du territoire et de la population, le rôle de la dissuasion et son articulation avec les deux autres grandes missions, enfin l'importance et la dimension de profondeur stratégique qu'apporte la capacité d'intervention extérieure sont décrits de façon cohérente avec les risques à venir et le spectre des missions qui attendent nos forces armées.
Pour assurer ces trois missions, nous avons retenu quatre principes aboutissant à définir les contrats opérationnels et le modèle d'armée qui découlent de cette stratégie: l'autonomie stratégique, la cohérence avec les engagements les plus probables, la différenciation des forces, enfin la mutualisation des moyens.
Le principe d'autonomie stratégique vient en premier. Il s'agit pour la France de disposer à tout moment de sa liberté d'appréciation, de décision et d'action, d'être en mesure de prendre l'initiative d'opérations tout en pouvant y entraîner certains de nos partenaires, enfin de pouvoir peser dans les coalitions où elle déciderait de s'engager, de manière conforme à ses objectifs politiques propres.
Le deuxième principe est celui de la cohérence du modèle avec la diversité des missions dans lesquelles la France est susceptible d'engager ses armées. La gamme des missions est, certes, large, depuis la protection du territoire jusqu'aux opérations majeures de coercition, en passant par toute l'éventail de la gestion des crises. Les assumer toutes est plus que jamais indispensable. Certains jugent cette ambition exagérée : je n'ai vu pour ma part dans les travaux de la commission aucune recommandation qui permît de renoncer à l'une ou à l'autre de ces hypothèses d'engagement ! A l'heure des « surprises stratégiques », cela m'eût semblé au demeurant imprudent.
La différenciation est le troisième principe. Il consiste à équiper et entraîner prioritairement les différentes forces en fonction des exigences propres à leur mission. La différenciation se traduira notamment par l'existence de moyens lourds, médians et légers au sein de chaque armée. Il s'agit aussi d'appliquer un principe de réalité, en ne finançant les capacités les plus onéreuses que là où elles sont indispensables. Je préfère des armées bien équipées, renseignées et entraînées, avec des matériels adaptés, à une course aux merveilles technologiques vite hors d'atteinte et placées en partie sous cocon.
Pour vous donner un exemple concret, il est certes préférable de faire appel au Rafale pour une intervention militaire extérieure, telle que la Libye, mais pas forcément pour la surveillance du territoire national.
Le quatrième principe est la mutualisation, qui conditionne aussi la possibilité d'une armée efficiente. Il s'agira, lorsque cela apparaît nécessaire, d'affecter un noyau de capacités polyvalentes et rares à plusieurs missions, d'encourager fortement le partage de certaines capacités entre Européens comme le ravitaillement en vol, ou de mettre les mêmes plateformes techniques à la disposition de plusieurs services de renseignement.
Les contrats opérationnels et le modèle d'armée ont été définis à partir de ces principes.
Troisième grande orientation, la prise en compte résolue de l'impératif industriel. Je n'ai pas besoin de rappeler ici la valeur de notre base industrielle et technologique de défense, à la fois comme condition de notre autonomie stratégique et comme levier fort du redressement productif du pays, avec 4000 entreprises, près de 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires, une capacité d'exportation dynamique et un emploi industriel concernant environ 165 000 personnes.
Pour toutes ces raisons, le Président de la République a décidé le maintien d'un volume significatif de crédits publics pour l'équipement de nos forces à l'horizon 2025. Le Livre blanc lui-même et le dossier que nous avons publié synthétisent déjà les premières conséquences pratiques de ce choix, en termes de programmes. Il appartient maintenant à la loi de programmation d'entrer dans le détail. Nous avons également intégré dans ce modèle une priorité continue, sur toute la période du Livre blanc, en faveur des études amont et de la recherche : elles seront maintenues au niveau atteint en 2013, c'est une orientation, vous le sentez bien, essentielle.
Certes, la modernisation de nos équipements, dont beaucoup sont, je le sais, vieillissants, se fera à un rythme plus lent que ce qui était prévu en 2008. Mais, tant le niveau de ressources choisi que le nouveau modèle d'armée nous permettront d'assurer progressivement le renouvellement de toutes les capacités critiques indispensables à nos armées. Ce cheminement devra respecter les priorités retenues par le Président, en faveur des capacités de dissuasion, de renseignement et de projection de puissance.
Quatrième et dernière orientation, la France doit tirer le meilleur parti, pour sa défense, de la construction européenne et de son insertion au sein d'alliances.
La construction de l'Europe de la défense, à laquelle je consacre beaucoup d'énergie depuis plusieurs mois, est un enjeu fort d'abord pour les opérations, comme on le voit avec le Mali et la mission EUTM. Il l'est aussi pour les capacités à mettre en commun, comme nous entendons le promouvoir dans le domaine du ravitaillement en vol, mais aussi du transport aérien, de l'aéronavale, des drones ou de l'espace. Il l'est en troisième lieu pour le rapprochement de nos industries qui doit impérativement connaître un nouvel élan dans les années à venir. Cette construction, je la veux pragmatique, et non idéologique ; à ce titre, elle se nourrit des relations bilatérales que nous devons plus que jamais développer, je pense notamment à la démarche franco-britannique, initiée par les traités de Lancaster House de novembre 2010, mais aussi à nos relations multiples avec, par exemple, l'Allemagne, l'Italie ou la Pologne. S'agissant du Royaume-Uni, nous privilégions depuis juillet dernier le domaine des drones de combat futurs et celui des drones tactiques, mais aussi l'intégration de nos industries missilières, que nous avons décidé d'accélérer par l'inclusion, toute nouvelle, du missile anti-navire-léger dans notre programmation. Ma conviction est que nous avons tout à gagner de ces interdépendances librement consenties.
Cette recherche d'intérêts partagés entre Européens va de pair avec un engagement plein et, je dois le dire, sans complexe de la France dans les structures militaires de l'Organisation atlantique.
À la suite de la mission confiée à M. Hubert Védrine par le Président de la République, le Livre blanc de 2013 est le premier qui tire toutes les conséquences de cette pleine participation de la France à l'OTAN. Elle entend y jouer un rôle actif, par les responsabilités qu'elle assumera à tous les niveaux du commandement militaire, comme par sa contribution aux opérations, à la planification, à la doctrine, comme enfin par la vision qu'elle entend promouvoir du rôle de cette alliance militaire.
L'ensemble de ces orientations, ajoutées au constat que je rappelais pour commencer, ont conduit à définir un modèle équilibré, adapté à nos besoins de sécurité et au rôle international que la France entend continuer de jouer.
J'en énonce ici les grandes lignes. Sur la base des quatre principes que j'énonçais tout à l'heure (autonomie stratégique, cohérence, différenciation des forces et mutualisation des moyens), le Livre blanc définit d'abord des contrats opérationnels les plus adaptés aux engagements potentiels de nos armées, en distinguant missions permanentes et missions non-permanentes.
Les forces armées devront être aptes à poursuivre en permanence la mission de dissuasion, reposant sur deux composantes, toutes les deux confortées par le programme de simulation. Je rappelle à cet égard que les risques auxquels notre dissuasion permet de parer sont loin d'avoir disparu. La prolifération est un fait. Le développement et la modernisation des arsenaux chez certaines grandes puissances également. Le risque que certains ne soient tentés de s'appuyer sur ce type de capacités pour paralyser, par toutes sortes de chantages, notre liberté de décision et d'action également.
Au sein de la commission du Livre blanc, la place de la dissuasion a parfois été remise en cause, d'une manière partielle parfois, avec l'option de l'abandon de la composante aérienne, voire même de manière totale. Ce n'est pas le choix qui a été fait par le Président de la République qui a réaffirmé le maintien de la dissuasion dans ses deux composantes. Je ne vous cacherai pas que le coût global de la dissuasion devrait augmenter sur la période de la LPM, d'environ 1 %, pour tenir compte de sa modernisation.
La protection permanente du territoire et de la population impliquera des moyens pour la surveillance des approches aériennes et maritimes, mais également pour l'intervention sur le territoire national, à cet égard, le parti que nous avons pris a été de ne pas modifier les contrats définis en 2008.
En ce qui concerne les missions non-permanentes, de stabilisation et de gestion des crises internationales, le Livre blanc présente des distinctions plus précises et nouvelles par rapport au précédent, en distinguant pour la première fois des objectifs qualitatifs et quantitatifs adaptés à chaque type d'intervention de nos armées.
Ainsi les armées devront toujours disposer d'une capacité d'action interarmées en urgence, mobilisant un réservoir de forces d'environ 5 000 hommes, avec les moyens aériens et navals nécessaires, dont 2 300 hommes projetables en sept jours.
Mais elles devront, en outre, pouvoir engager jusqu'à 7 000 hommes au total, relevables, répartis sur trois théâtres extérieurs, en opérations de gestion de crise.
Et, en cas d'opération majeure de guerre ou de coercition, elles pourront engager jusqu'à deux brigades interarmes comprenant environ 15 000 hommes des forces terrestre, 45 avions de combat et un groupe aéronaval avec son accompagnement.
Cette combinaison a été conçue pour sa souplesse et son réalisme face aux engagements les plus vraisemblables dans les années à venir. Elle préserve des possibilités de simultanéité dans la réponse aux crises que seuls peu de pays peuvent se permettre aujourd'hui. Elle autorise aussi, le cas échéant, une remontée en puissance de nos capacités si le besoin se faisait sentir. C'est pourquoi, je me sens très à l'aise pour répondre à ceux, peu nombreux il est vrai, qui nous ont accusé de « déclassement stratégique », qu'avec ce Livre blanc, la France disposera, sans doute plus que d'autres, des moyens adaptés aux besoins de sa sécurité et de son indépendance.
Le nouveau modèle d'armée qui permettra la génération de telles forces mobilisera, à côté de capacités de commandement, de renseignement, de cyberdéfense, à côté de forces spéciales renforcées, des forces terrestres qui reposeront sur une Force Opérationnelle Terrestre de l'ordre de 66 000 hommes projetables, correspondant à sept brigades interarmes, organisées en brigades lourdes, brigades multi rôles et brigades légères ; des forces navales reposant sur la FOST, avec ses 4 SNLE, des capacités de projection de puissance avec le porte-avions, 6 SNA, 3 bâtiments de projection et de commandement, 15 frégates de premier rang, des moyens plus légers pour la présence en mer et la protection avec 6 frégates de surveillance et une quinzaine de patrouilleurs ; des forces aériennes réparties en 225 avions de chasse - air et marine -, combinant Rafale et Mirage 2000 rénovés, une cinquantaine d'avions de transport tactique, une douzaine d'avions ravitailleurs multi rôles et 12 drones de surveillance de théâtre, ces deux dernières capacités étant attendues depuis trop longtemps, enfin une flottille légère d'avions de surveillance et renseignement.
Ce modèle, je veux le souligner, est adapté à un monde qui ne cesse de changer. Il retient ainsi de nouvelles priorités.
Priorités géostratégiques d'abord, inscrites dans l'environnement de l'Europe, autour de l'Afrique, et jusque dans l'espace de l'Océan Indien. Le continent africain reçoit, c'est vrai, une nouvelle priorité ; il présente aujourd'hui un formidable potentiel de croissance, et en même temps des défis de sécurité majeurs pour la France et l'Europe. Comme l'a indiqué le Président de la République à Dakar en octobre dernier, notre présence militaire en Afrique doit impérativement s'adapter à ces évolutions. Le Livre blanc dessine un autre ensemble géostratégique, avec l'objectif de stabilisation de l'espace situé au voisinage de l'Europe, sur ses marches orientales et méridionales. L'enjeu est que les membres de l'Union européenne puissent partager ainsi une vision commune de leurs intérêts de sécurité. Enfin, notre défense est engagée aujourd'hui au Moyen-Orient, dans le Golfe et sur l'ensemble de l'Océan Indien.
Priorités également données, ou confirmées, à des dimensions relativement récentes de notre défense, en phase avec la notion de sécurité nationale. Je pense à la cyberdéfense, nouveau champ stratégique auquel le Livre blanc accorde une place majeure, à la fois pour identifier l'origine des attaques et pour mettre en place une capacité de défense adaptée, y compris offensive. Je pense au renseignement, confirmé comme l'une des clés de l'autonomie stratégique et de l'efficacité opérationnelle ; à son profit, nous allons amplifier les efforts entrepris, rattraper des retards, mais dans le même temps, nous mettrons l'accent sur la mutualisation des moyens techniques et la nécessité d'un contrôle renforcé des services de renseignement, en particulier par le Parlement, vos représentants dans la commission y ont beaucoup travaillé et je suis partisan de cette évolution, conforme à notre démocratie.
Je pense aussi aux forces spéciales, dont les crises de ces dernières années ont rappelé toute l'importance lorsqu'il faut réagir dans l'urgence, par surprise, dans la profondeur de dispositifs hostiles ou complexes. Prenant acte de leurs qualités, le Livre blanc prévoit ainsi le renforcement de leurs effectifs, de leurs capacités, notamment de commandement et de leurs relations avec les structures interarmées comme avec le renseignement.
Au contraire d'un modèle d'urgence ou bien de pure attente, c'est bien un modèle d'avenir et de long terme, par l'importance qu'il attache au recrutement et à la formation initiale ou par les priorités qu'il porte en termes d'équipements (en vue du renouvellement de nos capacités, y compris dans le domaine de la dissuasion). L'effort de recherche que nous maintiendrons participe de cette même volonté de penser notre défense sur le long terme, de préserver l'avenir et de garantir notre autonomie stratégique.
Je voudrais enfin, avant de laisser sa place à la discussion et aux questions que vous voudrez me poser, vous dire un mot de la prochaine étape, qui est celle de la Loi de Programmation Militaire. À mes yeux, six chantiers la résument, que j'esquisse brièvement.
Premièrement, avant tout, nous devrons nous mobiliser collectivement pour garantir, dans cette période de crise, le niveau de ressources arrêté par le Président de la République. Je le rappelle : 179,2 milliards en euros constants pour 2014-2019, avec une entrée en programmation fixée à 31,4 milliards, soit le même niveau qu'en 2012 et 2013. Parmi les 179,2 milliards d'euros de la future programmation, il faut compter avec 5,9 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires. Il est clair que leur mise en place et leur cadencement à temps, au bénéfice de la défense, est un défi difficile à relever. Il le faudra, et sur ce point, ma détermination est totale : les objectifs de recettes devront être atteints. Pouvions-nous prévoir plus ? Il me semble pour ma part, dès lors que les objectifs que je viens de rappeler sont effectivement tenus, que la voie choisie, certes étroite, est accordée aux besoins du modèle et qu'elle préserve l'essentiel. Aller plus loin risquait de vite apparaître comme irréaliste dans la situation financière que traverse la France. Réduire cette enveloppe conduirait sans aucun doute à devoir définir un autre modèle, inadapté aux ambitions que je viens de décrire et qui rassemblent, je crois, un grand nombre d'entre nous. C'est sur cette ligne que je me bats.
Deuxième chantier, le modèle que nous venons d'évoquer conduit à de nouvelles diminutions d'effectifs, certes inférieures à celles décidées en 2008 mais néanmoins très significatives, portant le total des réductions à réaliser sur la durée de la prochaine programmation à environ 34 000 postes. J'entends que cette diminution affecte le moins possible les unités opérationnelles et porte en majorité tant sur l'environnement et les services que sur les administrations. Elle nécessitera, d'une part des mesures d'accompagnement spécifiques, qui figureront dans la LPM (je pense à la retraite au grade supérieur, à la promotion fonctionnelle, à l'aménagement des statuts), d'autre part le renforcement du dialogue social, avec notamment une amélioration du dispositif de concertation pour les militaires.
Troisièmement, ce modèle demandera, par voie de conséquence, de prolonger le mouvement de restructurations déjà engagé par l'actuelle loi de programmation, c'est le troisième chantier. Nous sommes chacun bien placés pour connaître l'impact que de telles décisions peuvent avoir sur les personnes touchées, sur les territoires, sur les collectivités et bien évidemment sur le ministère. Nous allons les étudier avec le plus grand soin, et une fois les décisions prises, là encore, il faudra les accompagner, en prenant toujours la mesure des situations concrètes. Nous devons préserver au maximum les liens essentiels qui unissent les armées à nos territoires, et leur implication dans la vie locale du pays.
Quatrième chantier, nous devons renouveler notre mode d'acquisition des matériels. Pour ce faire, nous allons travailler avec les industriels de la défense pour coordonner les efforts d'acquisition et de maintien de nos compétences industrielles et technologiques ; nous allons devoir renégocier un certain nombre de grands contrats ; nous allons, enfin, étudier avec pragmatisme les possibilités de partenariat public-privé. Ce travail exigeant commence tout de suite, parallèlement à la préparation de la programmation militaire. Je le suivrai de près et en rendrai compte au Président de la République, qui a personnellement reçu, vous le savez, les responsables des principales entreprises et entend poursuivre le dialogue commencé.
Cinquième chantier, et pas le moindre, nous devrons faire en sorte que les contrats opérationnels et le modèle d'armée qui leur est associé restent robustes et crédibles. Ici, l'enjeu est triple. Il faudra veiller à la bonne mise en oeuvre du principe de différenciation, que j'ai exposé tout à l'heure et qui est fondamental. Il faudra maintenir, au meilleur niveau possible, l'activité opérationnelle et j'ai personnellement engagé un travail particulier avec les armées et la DGA à cette fin. Il faudra enfin mener les réformes nécessaires dans le ministère et dans notre organisation pour que les déflations portent principalement sur le soutien et l'administration, plutôt que sur les forces opérationnelles. C'est je sais la volonté des chefs d'état-major et cela répond à une aspiration de nos soldats.
Enfin, c'est le sixième et dernier grand chantier que je voudrais citer, il nous appartient de conjuguer l'ensemble de ces mesures avec une démarche pragmatique de construction de l'Europe de la défense. Elle m'apparaît plus que jamais nécessaire, notamment pour la mutualisation des capacités que j'ai évoquée. Il est de bon ton de stigmatiser ces projets ou, pire, nos partenaires. Je suis pour ma part résolu à aller de l'avant avec ceux de nos partenaires qui le souhaitent et le peuvent. Et nous développerons simultanément notre présence et notre influence dans l'Alliance atlantique, avec un rôle actif, encourageant sa dimension européenne et réaliste dans l'adaptation de ses capacités militaires les plus utiles à la défense commune.
Voilà en quelques mots, forcément incomplets, mais déjà trop longs, ce que je voulais vous dire à l'occasion de la parution du nouveau Livre blanc et, déjà, de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire. La difficulté est bien d'ouvrir les yeux, pour ajuster notre programmation au réel, et refonder la crédibilité de notre démarche, et en même temps affirmer un haut niveau d'ambitions pour que notre outil de défense continue d'être à la hauteur des enjeux sécuritaires comme des responsabilités internationales de la France.
Le combat de l'adaptation et de la pérennisation de nos capacités de défense continue. Je dois dire que j'ai été très heureux de pouvoir compter, ces derniers mois, sur la contribution et le soutien des parlementaires. Plus que jamais, nous en avons besoin.
Je vous remercie de votre attention et me tiens maintenant à votre disposition pour engager la discussion et répondre à vos questions.
Nous avons pris bonne note du fait que les ressources exceptionnelles s'élèveront à 5,9 milliards d'euros et nous serons très attentifs, ici au Sénat, à ce qu'elles atteignent bien ce montant. Nous souhaiterions qu'une garantie puisse s'exercer. Nous avons compris que ces 5,9 milliards d'euros ne pourront pas être réduits en cours d'exercice, ce qui n'est pas le cas des crédits budgétaires qui sont soumis à des annulations ou des régulations fréquentes. Ce sont les parlementaires qui votent les crédits et en contrôlent l'exécution. Nous avons accepté que l'effort de défense ne descende pas en dessous de 1,5 %, mais en cas de retour à meilleure fortune, nous souhaiterions revenir à 2 %.
Sur le pragmatisme comme moyen de faire l'Europe de la défense, j'observerai que c'est déjà notre position. Cette proposition nous convient. Néanmoins, le moment venu, il faudra peut-être donner un grand coup pied dans la fourmilière. L'Europe de la défense doit reposer sur un trépied, constitué par le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. Nous avons, au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, anticipé cette question en 2012, puisque les travaux que nous avons lancés pour le premier semestre portent sur le Mali, le Maghreb, l'Afrique et, précisément, l'Europe de la défense. Nous nous efforcerons de conclure ces travaux d'ici la fin de la session parlementaire.
Je ferai deux séries d'observations. Sur le fond, nous avons le sentiment, concernant la trajectoire financière contenue dans le Livre blanc, que, dans le contexte actuel de redressement de finances publiques, l'arbitrage du Président de la République a permis de sauvegarder l'essentiel, que nous avons fait collectivement de notre mieux et que, finalement, la solution proposées est un moindre mal. Nous serons d'une vigilance extrême sur le respect, chaque année, de la loi de programmation militaire. Nous sommes, en particulier, satisfaits par le fait que les programmes d'études amonts voient leurs crédits budgétaires augmenter. Nous avons toutefois besoin d'un certain nombre de confirmations. Vous avez évoqué le chiffre de cinquante avions de transport militaire, est-ce que cela inclut tous les avions de transport, y compris les petits avions de transport tactique, ou bien cela ne concerne-t-il que les A400M ?
Sur la méthode, nous serons en revanche plus critiques. Mon sentiment est partagé par mon collègue Jacques Gautier. Malgré la satisfaction d'avoir participé à ces travaux intéressants en compagnie de gens de qualité, nous avons ressenti un sentiment de frustration en fin d'exercice. Il faut donc s'efforcer de tirer les enseignements de ce qui s'est passé afin de ne pas recommencer les mêmes erreurs la prochaine fois.
Je partage la teneur des interventions du président Jean-Louis Carrère et de mon collègue Daniel Reiner. Je salue les travaux intellectuels de la Commission du Livre blanc et l'excellente ambiance. Les résultats sont le fruit d'un engagement fort de votre ministère et, en particulier, de Jean-Claude Mallet. L'essentiel a été sauvegardé, mais nous sommes à l'étiage. La trajectoire financière prévoit 179,2 milliards d'euros. Vous vous engagez à ce que le budget de la défense reste étalé à 31,4 milliards d'euros chaque année, en euros courants. Cela suppose de trouver un milliard d'euros de ressources supplémentaires par an. Il faut donc envisager la cession d'une partie du capital des entreprises de défense, et cela n'est pas un mal, car nous avons bien vu dans l'affaire EADS-BAE qu'avec 15 % du capital, les dirigeants français avaient eu moins d'influence que la chancelière allemande avec 0 % du capital. On peut assurer le contrôle de l'Etat sur ces grandes entreprises de défense par des golden share comme le font nos amis britanniques ou américains et plus simplement encore par la seule vertu de la commande publique.
S'agissant des grands programmes d'armement, vous devrez nécessairement procéder à des étalements et à des réductions de cible, dont tout le monde sait parfaitement le caractère néfaste. Sur les A400M, il nous faut des précisions. C'est un contrat négocié par l'OCCAr au nom des Etats, il est juridiquement très contraignant, et nous aurons beaucoup de mal à le renégocier une nouvelle fois.
Je voudrais également appeler votre attention sur le fait que commander des équipements c'est bien, mais commander les pièces de rechange qui vont avec c'est mieux. Par exemple, le cas des hélicoptères Tigre est tout à fait déplorable. Nous avons commandé quarante Tigre dans la version HAP, mais nous n'avons commandé les lots de rechange que pour vingt machines, si bien que, actuellement, les vingt autres sont clouées au sol pour servir de magasin de pièces détachées. C'est inacceptable !
La presse s'est fait l'écho, d'une part, de rapprochements entre l'industriel français Nexter et son homologue allemand Krauss-Maffei-Wegmann, et, d'autre part, d'un rachat de DCNS par Nexter. Dans les deux cas qu'en est-il ?
S'agissant des faiblesses de la Commission du Livre blanc, nous avons travaillé pendant six mois sans données budgétaires. Cela n'est ni satisfaisant, ni cohérent. Comme le dit notre ami Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni en France, il y a deux façons de construire un Livre blanc : se donner les moyens de ses ambitions ou bien réduire ses ambitions à la hauteur de ses moyens. Nous en avons inventé une troisième : ne parler que des ambitions sans considérer les moyens. Cela n'est pas sérieux et cette castration budgétaire a été très mal ressentie par tous les membres de la Commission. J'ajouterai que les ministères ne travaillent pas tous du même pas et que le ministère de l'intérieur a tardé à nous fournir ses engagements opérationnels.
Enfin, nous souhaiterions avoir des garanties sur la bonne fin des programmes et vous seriez évidemment surpris si je ne vous demandais pas où nous en sommes sur le programme de drones MALE.
Sur les 5,9 milliards de ressources exceptionnelles, effectivement, la vigilance s'imposera. Les moyens de mobiliser ces ressources seront très divers, mais je ne suis pas en mesure de vous en dire plus pour l'instant. Soyez assuré qu'il y aura une clause de revoyure en 2016 et que je serai attentif à ce qu'il y ait une garantie budgétaire accordée sur ces ressources, une clause de sauvegarde, ce qui ne soulève guère d'enthousiasme à Bercy.
En réponse à MM. Reiner et Gautier et sur l'état d'apesanteur financière de la Commission, cela est dû au fait que les trajectoires financières n'étaient pas finalisées et que la discussion financière entre le ministère de la défense et celui du budget se poursuivait pendant les travaux de la Commission. Cette discussion a été rude. Nous étions dans un étau et il a fallu que le Président de la République tranche.
S'agissant des capacités, je ne suis pas en mesure de m'engager aujourd'hui sur les calendriers, ni sur les cibles. Il faut que nous ayons des discussions avec les industriels et ce n'est que lorsque ces discussions auront abouti que l'on y verra plus clair. Il y a une formulation que je ne partage pas, c'est celle d'incohérence. Le Livre blanc dessine un schéma cohérent, et cette cohérence s'activera en le mettant en oeuvre. Il y a une stratégie, il y a des contrats opérationnels pour la mettre en oeuvre et il y a des effectifs et des capacités pour y arriver. En matière d'équipements, il y a des programmes existants qu'il faudra étaler, mais il y a aussi des programmes nouveaux qu'il faudra lancer. C'est un défi que je suis prêt à relever.
Des précisions capacitaires seraient bienvenues d'ici le débat en séance publique le 28 mai prochain, monsieur le ministre.
Il nous faut quelques semaines pour les préparer en liaison avec les industriels. En tout état de cause, elles figureront dans le projet de loi de programmation, qui sera déposé avant la pause de l'été.
Les recettes exceptionnelles sont comme un « fusil à un coup » : lorsqu'elles seront cédées, il faudra trouver d'autres solutions de financement. Pour l'Europe, vous nous parlez d'« Europe de la défense », formulation à laquelle nous souscrivons, et qui me paraît plus pertinente que celle de « défense européenne efficace », termes utilisés dans la préface du Président de la République, et qui ne recouvre pas tout à fait la même réalité.
Quelles sont les premières réactions des militaires face aux perspectives tracées par le Livre blanc ?
Oui, c'est une réalité, les recettes exceptionnelles ne sont par nature pas des financements renouvelables indéfiniment. Nous disposerons toutefois de 5,9 milliards d'euros jusqu'en 2019. Au-delà, il faudra financer les dépenses militaires par une remontée du « socle » des ressources budgétaires. Les ressources exceptionnelles ne peuvent financer que de l'investissement, ce qui est à la fois un avantage et une faiblesse.
J'ai présenté le Livre blanc aux 700 cadres du ministère de la défense, et encore hier aux futurs chefs de corps de l'armée de terre. Beaucoup s'attendaient à pire, même si les contraintes budgétaires ne sont naturellement pas réjouissantes. Les déflations d'effectifs soulèvent des inquiétudes. D'un autre côté, les militaires voient les contractions parfois brutales que subissent les outils de défense de certains de nos voisins européens, je pense en particulier à l'Italie ou à l'Espagne, ou à ce qui se prépare au Royaume-Uni. Je leur dis que notre projet a sa cohérence, et qu'il nous permet d'accomplir nos missions. Ce qu'ils veulent c'est de l'opérationnel et des moyens d'accompagnement tant pour les personnels qui quitteront les forces que pour les territoires qui seraient éventuellement touchés par de nouvelles mesures de restructuration.
Je prends acte du maintien des crédits, du maintien de l'industrie de défense, et donc de nos emplois sur nos territoires. Vous indiquez ne pas vouloir porter atteinte aux recrutements indispensables pour éviter le vieillissement, mais le retour à la vie civile est parfois difficile pour nos militaires qui ont servi en opérations. Il faut être vigilant sur le maintien des recrutements et de la formation.
Je me félicite que l'Afrique figure au centre des préoccupations géostratégiques du Livre blanc. Elle émerge des ténèbres coloniales et avec 2 milliards d'habitants dans 30 ans, et 7 à 8 % de croissance, elle est une part de notre avenir. Serval nous a montré l'importance du pré positionnement : sera-t-il à effectifs constants ? Va-t-on vers un allégement du collier de perles des bases autour de la bande sahélienne ?
Je me réjouis de la nouvelle impulsion donnée par le Livre blanc à la réserve citoyenne, ce qui n'était pas le cas en 2008. Hors sujet, mais dans l'actualité et pour répondre aux nombreuses qui nous sont posées, pouvez-vous nous faire le point sur les déboires du logiciel de paie des militaires (LOUVOIS) ?
Ce Livre blanc est un beau résultat. Je m'inquiète cependant à propos des recettes exceptionnelles sur les cessions d'actifs dans les industries de défense. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'un « golden share » remplace une majorité au capital ou une minorité conséquente, surtout dans un domaine aussi important et convoité.
Le précédent Livre blanc insistait beaucoup sur la convergence « défense-sécurité intérieure » avec l'invention du concept de sécurité nationale. Le nouveau Livre blanc n'aborde pas la question sous l'angle théorique mais considère le concept comme un acquis. Je reste pour ma part sur l'idée de la spécificité de la défense et de la sécurité intérieure.
A-t-on une idée de la répartition entre les différentes armées des réductions d'effectifs et des suppressions d'unités, ce qui risque d'entraîner certaines difficultés en termes d'aménagement du territoire ?
Avec le concept de différenciation, je crains que l'on aille vers une armée à plusieurs vitesses.
Enfin, avec le recentrage sur l'Afrique, envisage-t-on de quitter la base d'Abou Dhabi.
Il est dommage que les Zones économiques exclusives ne soient pas traitées dans le Livre blanc. Elles représentent un potentiel économique, notamment pour l'outre-mer. Ne pourrait-on envisager, au titre des recettes exceptionnelles de la défense, des royalties sur les contrats d'exploitation qui pourraient être contribution aux actions des unités de la Marine nationale pour la sécurisation de ces zones ?
Lorsqu'on aborde la défense européenne, il n'est pas interdit d'aborder les financements par l'Europe de certaines missions, je pense notamment au rôle en haute-mer de la Marine pour assurer la sécurité du commerce international.
Le dispositif d'accompagnement des réductions d'effectifs par le reclassement et l'action des agences de reconversion sera conforté.
L'organisation de notre dispositif en Afrique connaîtra une inflexion significative pour lui donner plus de flexibilité et de réactivité, plutôt que des points de stationnement fixe lourds.
Les réserves sont un volet important du Livre blanc, je suis prêt à revenir devant la commission pour m'exprimer plus longuement sur ce sujet.
S'agissant de LOUVOIS, je rappelle que ce logiciel a été introduit dans les armées de manière précipitée et incohérente. Je n'ai découvert les difficultés qu'en septembre 2012 à l'occasion d'une visite en unité à Varces. La remontée d'information des unités qui aurait pu permettre d'apprécier l'ampleur du problème a été défaillante, notamment parce que les commandants pensaient qu'il s'agissait d'un problème spécifique à leur unité. J'ai pris le problème à bras le corps en mettant en place un numéro vert pour permettre aux militaires de faire part de leurs difficultés, il est toujours en service, en redonnant des moyens financiers aux chefs de corps pour traiter les difficultés dès leur apparition et enfin en lançant des études qui n'ont pas encore abouti pour savoir si le logiciel est réparable et pour rechercher un dispositif alternatif dans le cas contraire. Mon unique objectif est que les militaires ne connaissent aucun préjudice y compris sur le plan fiscal en raison de ces dysfonctionnements.
S'agissant des recettes exceptionnelles, il n'y a pas que les cessions d'actifs d'industries de défense qui peuvent contribuer à atteindre le résultat.
Concernant les suppressions d'unités, la répartition n'est pas arrêtée, ni entre les armées ni au sein de chacune d'elles, ni entre les militaires et les personnels civils, ni la localisation. D'ailleurs il n'est pas certain que nous puissions annoncer les fermetures de sites d'un coup. On estime qu'au niveau de l'armée de terre, cela pourrait représenter l'équivalent d'une brigade sur les huit dont nous disposons actuellement. Il n'est pas envisagé la fermeture de la base d'Abou Dhabi. Outre les déflations d'effectifs, nous regardons aussi les réductions de postes de généraux en administration centrale, cela représente peu en effectifs mais l'effet sur la masse salariale est significatif.
Enfin, s'agissant des zones économiques exclusives, je suis vigilant et notamment sur nos capacités et sur le renouvellement des navires affectés à cette mission dans le cadre de la loi de programmation et au-delà.