Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds

Réunion du 15 janvier 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PPP
  • complexité
  • ecomouv
  • loyer
  • taxe

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous auditionnons deux universitaires spécialistes du partenariat public-privé (PPP) : M. François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence et M. Frédéric Marty, économiste, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice - Sophia Antipolis. Messieurs, merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous rappeliez les conditions du recours au PPP, en particulier pour le recouvrement d'une taxe, et la manière dont un tel partenariat est géré dans le temps.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Lichère et Frédéric Marty prêtent serment.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Merci pour votre accueil. Ma connaissance de ce dossier se fonde exclusivement sur des données publiques : je n'ai été impliqué dans aucune de ses phases.

Quelles sont les conditions du recours au contrat de PPP ? Il s'agit d'une dérogation au droit commun de la commande publique, qui interdit le paiement différé et la dissociation entre maître d'oeuvre et entrepreneur. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 26 juin 2003, a limité son utilisation au cas dans lequel un motif d'intérêt général, tel que l'urgence ou la complexité, la rend indispensable. En 2008, le législateur a ajouté une troisième condition : l'efficience ou le bilan favorable.

Sommes-nous dans un tel cas ? Les documents dont j'ai eu connaissance, y compris l'avis de la mission d'appui aux PPP (Mapp), ne laissent aucun doute : le caractère novateur des techniques, notamment satellitaires, mises en oeuvre nous place dans des conditions de complexité correspondant aux termes de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat. Mais la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003 a aussi posé une condition négative : un PPP ne doit pas déléguer une mission de souveraineté. Concernant ce contrat, la question aurait mérité d'être posée au Conseil constitutionnel.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

En effet, en décembre 2007, il s'est prononcé sur la constitutionnalité du dispositif, mais sans faire mention de cette réserve formulée par le Conseil constitutionnel, se contentant d'évaluer les modalités du contrôle par l'État de son cocontractant. L'avis de la Mapp fait état de comparaisons entre des procédés contractuels et il valide le choix de l'État. Il envisage deux possibilités : PPP ou marché public global, de même périmètre que le PPP retenu, comprenant l'exploitation du système. Pourtant, il aurait été possible de passer un marché public pour la mise en place du système puis de confier à une régie son exploitation. L'hypothèse d'une délégation de service public a été écartée au motif qu'aucune rémunération n'aurait été possible. Elle aurait pourtant pu être calculée en fonction des taxes perçues.

Les modalités de passation du contrat ont été minutieusement analysées par le Conseil d'État, qui cependant intervenait dans le cadre d'un référé précontractuel et ne menait donc pas un contrôle exhaustif. Le raisonnement se tient, même si je formule une réserve sur la question de l'impartialité des conseils privés de l'État.

Ce contrat est exceptionnel à plusieurs titres. D'abord, il a été autorisé par le législateur, en loi de finances. Il se situe dans le cadre d'un contrat de partenariat de service, ce qui n'est pas fréquent mais qui est juridiquement possible. La formule de PPP retenue est-elle adaptée à la gestion d'un service de recouvrement de taxes ? Ni plus ni moins que la formule d'un marché public global. La vraie question est le choix de l'externalisation du recouvrement, plus que la formule choisie pour mettre en oeuvre cette externalisation. Est-il pertinent pour l'État de déléguer ce recouvrement ? Certes, un préfinancement était nécessaire, mais l'État ne pouvait-il pas faire l'avance ?

Quelles sont les conséquences, pour chaque partie, de la suspension du contrat ? L'entreprise Écomouv' a-t-elle des moyens de pression sur l'État ? La situation est inédite. En droit, la suspension de contrat n'existe pas. Il y a simplement une décision de l'État de ne pas exécuter ses obligations contractuelles, qui n'annule pas la situation contractuelle elle-même. En droit privé, il existe l'exception d'inexécution : si une partie n'exécute pas ses obligations, l'autre n'est plus tenue aux siennes. Mais le législateur lui-même a qualifié ce contrat de contrat administratif : en cas d'inexécution de ses obligations par une partie, l'autre n'est pas dégagée des siennes. Écomouv' peut donc tout à fait engager une action en responsabilité de l'État pour le préjudice lié à la suspension de l'exécution de ses obligations contractuelles. Une action en reprise des relations contractuelles serait également envisageable ; ce serait une première car elle n'est admise à ce jour qu'en cas de résiliation du contrat par une personne publique, sous réserve qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose pas. Ici, il s'agit de suspension des relations contractuelles.

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

économiste, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice. - Pas plus que M. Lichère, je n'ai eu accès au contrat lui-même. Je me fonderai donc moi aussi sur des données publiques. Il est indubitable que c'est la complexité de l'opération qui explique le recours au PPP : il s'agit d'une mission globale, sur un service innovant, qui requiert la mise en place d'un protocole d'interface, une interopérabilité, la minimisation du taux de fraude... Il n'est pas certain que les services de l'État auraient été en mesure de produire un cahier des charges détaillé.

Quelques problèmes subsistent. Il s'agit d'un contrat dérogatoire, le Conseil constitutionnel exige donc un examen des voies alternatives. Or, la seule voie alternative qui a été examinée est une mission globale, et non une succession de contrats. Nous ne pouvons donc pas savoir si la dissociation des phases de conception, construction et exploitation aurait présenté un intérêt pour l'État. Ce contrat porte, ce qui est possible mais assez rare pour un PPP, sur un service, qui est de surcroît un service technologique complexe, innovant et évolutif. Rares sont les contrats de PPP portant sur ce type de service : l'opération RDIP-Air (réseaux de desserte Internet Protocol des bases de l'armée de l'Air) pour la DGA, la vidéo-protection pour la préfecture de police de Paris... D'un point de vue économique, le choix contraint d'une maturité courte est problématique. Pour de tels montants d'investissement, une maturité plus longue aurait été logique et aurait fait diminuer les loyers. Mais plus la technologie est évolutive, plus il est risqué de contracter sur le long terme : un contrat technologique dure rarement plus de dix ou quinze ans, avec des loyers assez élevés, donc. Si l'on avait passé un contrat sur une plus longue durée, la somme actualisée des loyers à verser aurait été plus importante, car les frais financiers auraient été plus importants. Le mécanisme des clauses d'indexation aurait aussi accru le niveau des loyers d'exploitation. Dans un contrat court, les loyers sont plus élevés. Il y a toujours un arbitrage à opérer.

La question de la mise en concurrence par le marché public doit être traitée en prenant en considération le nombre d'entreprises susceptibles de répondre à l'appel d'offre : moins elles sont nombreuses, moins il faut espérer une minimisation du coût d'acquisition. En l'espèce, la complexité du service était telle que peu d'entreprises pouvaient répondre.

En France, peu de PPP portent sur ce type de service de haute technologie, mais ils ont été plus nombreux au Royaume-Uni, surtout au cours des dix dernières années, où des private finance initiatives ont porté sur la fabrication des passeports ou l'informatisation des tribunaux... Chaque fois, les résultats ont été plutôt négatifs : économies budgétaires faibles, retards et, dans certains cas, échecs. Ce n'est pas parce qu'une administration ne sait pas faire qu'une entreprise le saura automatiquement mieux. Les rapports faits par l'office d'évaluation des choix technologiques du Parlement ou par le Trésor britannique recommandent donc des contrats de court terme relativement flexibles. La capacité de la personne publique à évaluer les offres est déterminante, ainsi que son aptitude à accompagner le contrat en surveillant le prestataire et, à terme, en remettant le contrat en concurrence ou en internalisant la gestion.

Un PPP est-il adapté à un service de recouvrement des taxes ? Cela rappelle les fermes générales sous l'Ancien Régime... Mais la situation est différente. Les revenus de la société gestionnaire ne sont pas liés aux taxes perçues mais à la disponibilité du système, à sa performance et à la qualité du service. Ainsi, plus le produit de la taxe est élevé, moins la part relative du coût de gestion l'est. Il existe des PPP pour des fonctions-support de missions régaliennes, dans la défense ou la vidéo-protection.

La gestion dans le temps du PPP pose le problème de l'évolution de la définition du service attendu par la personne publique. Les technologies évoluent aussi, et peuvent être dépassées. La personne publique doit pouvoir gérer les différends et prendre en compte les interdépendances. Les paiements doivent commencer lors de la mise à disposition des actifs.

Comment apprécier la rémunération du consortium privé ? Le coût de collecte semble important, puisqu'il représente 20 % du montant de la taxe. En Allemagne, il est de 15 % environ - mais il atteint 40 % en République Tchèque. En principe, le coût de collecte d'une taxe est compris entre 5 % et 10 % : généralement le coût d'opportunité des fonds publics est estimé à 20 %, mais ce chiffre comprend aussi les effets de distorsion et d'éviction de l'impôt. Pourquoi avons-nous un taux supérieur au taux allemand ? La technologie est différente : le système allemand ne satisfait pas l'exigence européenne d'interopérabilité. L'assiette n'est pas la même : les Allemands taxent essentiellement 13 000 kilomètres d'autoroutes, puisqu'elles sont pour la plupart gratuites. En France, le réseau non concédé taxable est plus étendu, 5 000 kilomètres de routes départementales et 10 000 kilomètres de routes nationales, sur lesquelles le trafic de poids lourds est moindre : l'assiette de la taxe est donc plus faible, ce qui renchérit le coût de collecte. Il est donc difficile de dire si le taux de 20 % est excessif, mais il est normal qu'il soit supérieur à ce qu'il est en Allemagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Était-ce le bon choix pour l'État que d'externaliser ce recouvrement ? Plus l'assiette diminue, plus le coût de recouvrement augmente. Or, les études d'impact ont montré qu'il y aurait un report de trafic vers les autoroutes concédées. L'État ne pouvait pas l'ignorer ! La complexité, alléguée pour justifier le choix du recours au privé, en est au contraire la conséquence : nul ne sait comment les agents d'Écomouv' recevront l'agrément pour effectuer le recouvrement et constater les infractions. Le préfet a compétence sur un département, mais les camions se déplacent sur tout le territoire, et le siège de leur entreprise est à l'étranger... C'est un véritable imbroglio ! Comment les douanes ou la gendarmerie pourront-elles arrêter les camions qui n'auront pas le dispositif embarqué ? Qui se mettra en travers de la route ? Ces modalités sont celles qui permettront le moins de limiter la fraude, il me semble.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Pour comparer les taux de 20 % et de 15 %, ne faudrait-il pas les ramener aux kilomètres parcourus ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

En effet, la rémunération du consortium privé n'est pas calculée en fonction de l'assiette. Plus celle-ci sera étroite, plus le coût de gestion relatif sera important. Mais cette fiscalité se veut incitative : elle vise à favoriser le report modal, même si elle a aussi pour vocation de financer les infrastructures de transport. Plus on élargira l'assiette, plus les coûts de collecte augmenteront en valeur absolue mais pourront se réduire en valeur relative. En fait, la taxe fonctionne par une technologie satellitaire, les portiques ne sont pas indispensables en eux-mêmes, ils sont implantés pour détecter la fraude et ainsi limiter les distorsions de concurrence. C'est cela qui est onéreux.

Quelles étaient les alternatives pour instaurer une fiscalité écologique ? Une augmentation de la TIPP ? Elle aurait engendré des distorsions : les camions étrangers peuvent traverser la France sans faire le plein. Il est vrai que le contrat de partenariat induit une complexité propre. Mais l'administration n'avait peut-être pas la capacité de déployer aussi rapidement un tel réseau. Avait-elle réellement le choix ?

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Le choix d'un PPP pour recouvrer une taxe induit, en lui-même, de la complexité. Nous avons interrogé Écomouv' sur sa rémunération. Ses dirigeants nous ont indiqué que leur loyer comprenait une première partie fixe, ferme, non révisable et non indexée, de 96 millions d'euros par an, qui correspond à l'investissement ; une deuxième partie, fixe également, correspondant à la maintenance, de 47 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 8 millions d'euros par an pour les travaux de gros entretien ; et, ce qui est plus étonnant, une partie variable de 64 millions d'euros, qui sera ajustée en fonction de la montée du trafic. Or, on annonce que celui-ci va diminuer. Je ne comprends pas cette disposition.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Tout dépend du contenu du contrat. Il aurait été beaucoup plus incitatif de prévoir une délégation de service public, avec une rémunération corrélée au montant de la taxe perçue : si sa rémunération est globalement fixe, quel est l'intérêt du cocontractant à lutter contre la fraude ? Sans doute des clauses garantissent-elles qu'Écomouv' s'y attellera ; mais la garantie aurait été totale si la rémunération y avait été liée. Même si le PPP induit une complexité, la situation de départ était juridiquement complexe. Le dialogue compétitif était nécessaire, mais je rappelle qu'il peut aussi bien être organisé dans le cadre d'une procédure de marché public.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Je recommande à mes collègues la lecture de l'avis de la Mapp. Je cite : « le choix par le partenaire public de la meilleure option ne pourra être opéré qu'à l'issue du dialogue compétitif ».

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Il s'agit du choix technologique. Le choix du type de contrat est fait en amont.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Il aurait été possible d'imaginer un contrat de partenariat pour l'entretien du système mais non son exploitation. L'intérêt du PPP, c'est le préfinancement privé. Je considère, avec de nombreux autres, qu'un PPP ne saurait confier à un gestionnaire privé un service public - tout au plus une mission de support. Surtout, je ne comprends pas pourquoi la Mapp a validé la comparaison entre deux options seulement, alors qu'il y en avait au moins quatre.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Déléguer un service public sous forme de PPP vous paraît-il logique pour une période limitée à onze ans et demi ? Certes, l'investissement initial est important. Mais l'obsolescence prévisible du matériel après dix ans n'aurait-elle pas dû conduire à prévoir des clauses spécifiques de mutabilité, comme on dit dans le bâtiment ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

L'hypothèse implicite a été que seul le concepteur du système peut l'exploiter - on parle de « technologie propriétaire ». Il faudrait tester cette hypothèse. Dans certains cas, cela fait sens, notamment dans l'immobilier. Dans dix ans, la technologie déployée par Écomouv' sera obsolète. Comme l'est aujourd'hui le système allemand, lancé en 2005. Quelle garantie a la puissance publique que les installations qui lui seront alors transférées ne seront pas inutilisables ? L'exploitation pourra-t-elle éventuellement être transférée à un autre contractant ? Cela pose la question de la compétence de la personne publique et de la qualité de ses conseils privés.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Pouvez-vous revenir sur les temps successifs du contrat ? Aujourd'hui, il a été signé et n'est pas suspendu. Il s'exerce donc, en dépit de la décision de reporter l'entrée en vigueur de l'écotaxe. La mise à disposition est un moment clé, qui emporte des conséquences majeures. Pourquoi le partenaire privé n'accélère-t-il pas sa demande de mise à disposition ? Cela doit vouloir dire qu'il n'est pas prêt, et qu'il cherche à camoufler des retards et à s'épargner ainsi des pénalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

C'est possible : la philanthropie du privé, je n'y crois pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Si la société Écomouv' est prête, elle doit demander la mise à disposition, qui n'a rien à voir avec la mise en service, laquelle sera faite par l'État. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Quelle est votre analyse sur le report modal ? Les rentrées financières sont estimées à 1,2 milliard d'euros par an. S'il y a moins de trafic, la rentabilité sera moindre. Mais le report modal, c'est le but ! Si la rentabilité était nulle, cela signifierait que le système fonctionne. Les collectivités territoriales le souhaitent, quand bien même les sommes dont elles doivent être attributaires en seraient diminuées : 5 000 camions de moins sur un itinéraire coûteux à entretenir, cela représente des économies considérables ! Ne nous arrêtons pas au fait que le coût de gestion au kilomètre serait plus élevé.

Tant qu'un PPP n'est pas signé, rien n'est joué !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

On a le sentiment que puisque la procédure est engagée, que le dialogue compétitif est lancé, il faut aller au bout. C'est faux : il est possible de ne pas signer.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

C'est plus rare pour un PPP, mais c'est possible. Par ailleurs, j'aimerais connaître votre estimation du coût global.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Bien sûr, le report modal est souhaité. Mais nous allons payer fort cher une entreprise pour mettre en place un dispositif qui entraînera ce report au profit d'autres entreprises privées, les sociétés concessionnaires d'autoroute. Il faut prendre en compte les conséquences.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je connais bien ce problème : toutes les routes nationales, dans mon département, sont devenues départementales, et elles supportent un gros trafic de camions car elles sont gratuites. Elles seront équipées par le système Écomouv' : les camions devraient donc se rabattre sur les autoroutes. Tant mieux ! Cela profitera bien à d'autres entreprises privées, mais ce n'est pas le problème des collectivités territoriales !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Ne refaisons pas le débat sur l'écotaxe : le Parlement y a largement participé, et nous étions tous d'accord pour faire assumer par les utilisateurs (transporteurs) le coût de l'entretien des infrastructures. Lorsqu'ils empruntent des routes nationales ou départementales, il faut donc le leur faire payer, comme c'est le cas sur les autoroutes. Dans des régions frontalières comme la mienne, nous souhaitons que les camions qui transportent des cochons de Bretagne en Allemagne pour l'abattage, puis d'Allemagne en Italie pour la transformation en charcuterie fine, avant de les rapporter dans nos supermarchés, ne passent pas forcément par nos routes, par exemple pour aller d'Allemagne vers l'Italie. Certes, si le système est efficace, il rapportera moins à l'État et davantage aux sociétés privées. Mais l'objectif est de faire financer le coût des infrastructures par les transporteurs y compris étrangers, pour relocaliser certaines activités. C'est l'enjeu principal, que les bonnets rouges n'ont pas vu !

Le cadre juridique pose un seul problème, il me semble : la perception. L'État était-il fondé à faire appel à ce type de contrat ? Ce n'est qu'une fois le cadre juridique connu que l'on peut établir si une régie directe, par exemple, serait plus appropriée.

J'ignore si Écomouv' diffère la mise à disposition pour masquer son impréparation, mais il semble que l'on cherche des torts au partenariat public-privé, depuis l'annonce de la suspension du contrat, pour des raisons qui lui sont tout à fait étrangères.

À combien s'élève le préjudice d' Écomouv' que l'État aurait à réparer en cas de report de l'exécution du contrat ? Le juge peut-il contraindre l'État à remplir ses obligations ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Les travaux antérieurs de la commission des finances répondent en partie à ces questions.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Le cas de figure dont nous discutons est inédit. Les suspensions de contrat sont rares. Le prestataire privé n'est fondé à invoquer un préjudice qu'à partir du moment où il s'acquitte de ses propres obligations.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

En effet. En d'autres termes, il a tout intérêt à demander à l'État de prendre ses responsabilités. S'il ne le fait pas, il ne pourra pas s'abriter derrière la suspension puisqu'il reste tenu de remplir ses obligations.

Il existe cependant une responsabilité contractuelle de l'État : s'il n'exécute pas ses obligations contractuelles et si son partenaire prouve qu'il remplit les siennes, il y a faute contractuelle. La question qui se pose est de savoir à partir de quand court le préjudice.

Le critère de la complexité exigé par les contrats de partenariat est en l'espèce rempli. La réponse est moins nette s'agissant de la réserve de souveraineté, car le recouvrement de l'impôt fait l'objet d'un partage de tâches, les douanes étant par exemple compétentes en matière de recouvrement forcé. Le législateur a certes autorisé l'État à déléguer la mission de recouvrement de l'impôt, mais il n'a pas précisé si cela pouvait se faire au moyen d'un contrat de partenariat. Selon moi, il ne le peut pas, mais l'on peut en débattre.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

J'avais compris différemment le critère de souveraineté. Au Royaume-Uni, on considère qu'il est porté atteinte à la souveraineté de l'État lorsque le prestataire manque à ses obligations - en matière de transport militaire par exemple. En l'espèce, je ne vois pas que la délégation du recouvrement de l'impôt porte atteinte à la souveraineté de l'État.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

La question est : l'Etat peut-il recourir à un PPP pour une mission de souveraineté ? Le Conseil constitutionnel pose des critères et une réserve de souveraineté. En l'espèce, a-t-on délégué une mission de souveraineté ? Compte tenu du fait que les douanes sont compétentes pour le recouvrement forcé, j'incline à penser que non, mais la question demeure posée.

La procédure de passation elle-même peut faire l'objet d'un débat. Le Conseil d'État a fait preuve de souplesse en ne tirant aucune conséquence du fait que le conseil privé de l'État conseillait concomitamment Autostrade sur un contrat analogue en Pologne. Une jurisprudence plus stricte eût été envisageable. D'une manière générale, il faut poursuivre les réflexions engagées par le rapport Sauvé sur les conflits d'intérêts.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Il faut reconnaître que le conseil de l'État était un très grand cabinet d'avocats.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Je parle du bureau d'études, le cabinet Rapp.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

L'État délègue bien aux entreprises la perception de la TVA.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

D'autres taxes sont déléguées aux acteurs privés.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Les conflits d'intérêts sont inévitables dans les gros cabinets, bien que les avocats travaillent indépendamment les uns des autres. Nous lirons l'arrêt du Conseil d'État avec intérêt.

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

Par hypothèse, la mise en place d'une fiscalité incitative, en modifiant les comportements, vise l'attrition même des recettes fiscales créées. En l'occurrence, cela pose problème puisque le produit de la taxe poids lourds finance les infrastructures de transport.

Dans un contrat de partenariat, au contraire d'une délégation de service public, les loyers rémunèrent non le service lui-même, mais la mise à disposition des équipements qui concourent à le fournir. Le prestataire serait alors payé, que la taxe soit collectée ou non. En l'espèce, le prestataire n'a pas mis ses équipements à disposition. Dans le cadre d'un contrat financé sous forme de projet, c'est-à-dire avec très peu de capitaux propres...

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

et un recours massif à la dette - 90 % en moyenne -, c'est inexplicable. En effet, le prestataire s'endette dès le début des travaux, et ne peut alors compter que sur ses recettes d'exploitation pour faire face au service de sa dette : il n'a aucun intérêt à retarder la mise à disposition de son infrastructure.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Au 1er juillet 2013, Écomouv' n'était pas prêt. La mise à disposition a été reportée deux fois : d'abord au 1er octobre 2013, puis au 1er janvier 2014. Lors de la dernière audition, nous avons appris que seuls 190 000 camions sur 800 000 étaient équipés.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Ce n'est pas entièrement de leur faute.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Certes, mais tout le monde semble avoir intérêt à différer cette mise à disposition ; or, je ne suis pas certaine que ce soit bon pour l'État. Les responsabilités sont sans doute partagées : il faut déterminer la part de chacun au 1er janvier 2014, date à laquelle les dernières dispositions du contrat sont applicables.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Fichet

Certains artisans se voient facturer l'écotaxe par leurs livreurs depuis le 1er octobre dernier. Ils sont plus nombreux qu'on le croit. Comment est-ce possible ?

Après plusieurs reports, le dispositif de l'écotaxe risque d'être remanié. Quelles modifications le contrat devrait-il subir, et avec quel impact financier ? Quel coût aurait pour l'État un arrêt définitif du contrat originel ?

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Difficile de vous répondre sans connaître les clauses du contrat. La doctrine d'accès aux documents administratifs est assez restrictive, le secret industriel et commercial est invoqué pour justifier des refus. La responsabilité de l'État pourra être engagée à compter du 1er janvier 2014, sous réserve que le cocontractant ait fait les diligences nécessaires.

Les exigences des livreurs que vous citez me surprennent, elles ne semblent pas légales. La loi autorisant la répercussion de l'écotaxe par les prestataires de transport a fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Reste qu'il faut d'abord acquitter la taxe...

Le Conseil constitutionnel a admis par une décision du 28 décembre 1990 que des personnes privées recouvrent l'impôt (il s'agissait en l'espèce de la CSG), sous réserve qu'elles soient strictement contrôlées par l'État. Elles remplissent alors une mission de service public.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Les personnes privées recouvrant l'impôt, par exemple les commerçants qui reversent la TVA à l'État, ne sont pas rémunérées. Il en va différemment pour l'écotaxe.

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

Un contrat est une obligation de faire ou de payer. En cas d'inexécution, le cocontractant peut être indemnisé des sommes auxquelles il aurait pu prétendre si le contrat avait été exécuté, soit de la valeur actuelle nette des flux de ressources qu'il aurait perçues. Le dédit doit être spécifié dans le contrat.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Dix-huit mois étaient prévus pour faire. La date du 1er janvier 2014 est capitale : c'est celle choisie par l'État pour la mise en service, qui succède à la mise à disposition. Or, ces dix-huit mois sont passés. Nous interrogerons l'État mais, en toute hypothèse cette question du retard dans la mise en service est capitale.

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

L'État peut également invoquer les compensations budgétaires qu'il va devoir débloquer au bénéfice de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Le coût externe du contrat n'est pas négligeable.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Pouvez-vous revenir en détail sur la procédure de dialogue compétitif ?

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Le dialogue compétitif est une procédure spécifique introduite par la directive de 2004 pour ce type de contrats. Elle vise à allier flexibilité et transparence. On ne définit plus un cahier des charges mais un programme fonctionnel qui dresse la liste des objectifs à atteindre. Le dialogue compétitif doit faire émerger les moyens de les réaliser. Ici, c'est la demande qui s'adapte à l'offre, en fonction des possibilités techniques qui émergent au cours de la procédure, alors que dans le marché public, les offres doivent répondre à une demande figée dès l'origine. L'ajustement se fait en cours de dialogue. Il conduit à faire évoluer y compris le programme fonctionnel d'origine que l'on appelle parfois cahier des charges. C'est le principe même de cette procédure.

La difficulté consiste à garantir la transparence du dialogue et l'égalité entre les candidats. La charte du dialogue compétitif, établie en 2007 par la Mapp et les associations d'élus locaux, recommande la traçabilité du dialogue : l'État doit consigner l'ensemble des questions posées par l'Etat aux candidats et les réponses apportées. La confidentialité impose en principe que les propositions d'une entreprise ne soient communiquées à d'autres qu'avec l'accord de la première.

Le tribunal administratif avait identifié trois motifs susceptibles d'entacher d'irrégularité la procédure de dialogue compétitif : le fait que l'entreprise candidate retenue ne soit finalement pas l'entreprise signataire, un changement juridique étant intervenu entre temps, ce qui ne me choque pas par principe ; l'imprécision du critère de crédibilité, laissant trop de marge à l'État pour apprécier les candidatures ; et la méconnaissance de l'objectif d'impartialité. Ce sont les trois motifs d'annulation. Le Conseil d'État, statuant en référé précontractuel, a rejeté la demande en annulation qui était notamment fondée sur le fait que la demande par l'État, en cours de dialogue compétitif, d'un nouveau démonstrateur aurait avantagé le candidat retenu. Le Conseil a estimé que la rupture d'égalité n'était pas manifeste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Quelle est la force obligatoire des préconisations de traçabilité du dialogue compétitif ? Ces informations sont-elles communiquées a posteriori, ou tous les candidats sont-ils informés en temps réel des ajustements du programme fonctionnel ?

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Distinguons modification du programme fonctionnel et précisions. Une modification substantielle, comme le changement d'un dispositif satellitaire en un dispositif de portiques par exemple, doit être portée par le pouvoir adjudicateur à la connaissance de tous les candidats. De fait, un programme fonctionnel est à l'origine assez général. L'État assure ensuite l'égalité entre entreprises pour faire prospérer les propositions.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Une proposition n'a aucune chance de prospérer si l'État ne la communique pas aux autres candidats. C'est bien l'Etat qui décide d'informer ou non tous les candidats, il conserve la main sur la procédure.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Dans la première version du code des marchés publics, la personne publique établissait un cahier des charges à l'issue du dialogue compétitif. Cette disposition, susceptible de favoriser le pillage commercial, ou cherry picking, a été abandonnée. Le pouvoir adjudicateur compare désormais des propositions hétérogènes entre elles - pour franchir un estuaire, par exemple, un pont et un tunnel - et demeure garant de l'égalité entre les candidats. Le juge du référé précontractuel contrôle le respect de la procédure, mais est incompétent sur le choix de la solution technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Seriez-vous surpris que le calcul du coût global du contrat ne se limite pas à la lettre de celui-ci, mais prenne en compte les évolutions modales et les effets d'une fiscalité incitative ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

Non, il est légitime de combiner les deux analyses : celles du coût du contrat - la value for money comme disent les Anglo-saxons -, et celle de l'efficacité de la politique publique portée par l'écotaxe.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Dans une délégation de service public, le délégataire supporte une partie du risque de l'opération. Ici, la loi impose-t-elle au prestataire de prendre en charge certains risques ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

Les risques résident dans l'allongement du délai avant la mise à disposition des équipements, qui retarde d'autant le paiement du cocontractant. Il y a un manque à gagner. De plus, la rémunération différée ne rembourse pas l'investissement réalisé. Les surcoûts en construction ou en exploitation sont entièrement à sa charge.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Une délégation de service public suppose un risque d'exploitation du service lui-même. Les sociétés d'autoroutes, par exemple, sont financées par les redevances des usagers. Si le trafic diminue, les rentrées sont plus faibles. Dans le cas d'un contrat de partenariat, le cocontractant n'est pas exposé au risque d'exploitation à proprement parler, mais il supporte tous les autres : géologiques, archéologiques, grèves...

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Au 1er janvier 2014, Ecomouv' n'était pas prêt. Ce retard ne doit pas entraîner, avant cette date, l'augmentation des loyers versés par l'État, ni l'allongement de la durée du contrat.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Il reste à apprécier les responsabilités de chaque acteur dans ce retard. Dans ce type de contentieux, chacun les reporte évidemment sur l'autre.

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

Il faut regarder attentivement les clauses du contrat. Dans certains contrats, les paiements commencent dès la phase de construction, et non au démarrage de l'exploitation, ce qui n'incite guère le prestataire à livrer l'équipement dans des délais satisfaisants. Mais procéder ainsi réduit le besoin de financement du prestataire, donc les loyers versés par l'État.

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Cette hypothèse est rare. En général, la rémunération n'intervient qu'à compter de la mise en service. Dans un récent colloque à l'ENA - auquel vous participiez, madame la présidente, ainsi que M. Sueur -, il était révélé que le taux de livraison dans les délais des ouvrages publics était de 51 % dans la maîtrise d'ouvrage publique classique, contre 89 % pour les private finance initiatives britanniques.

Debut de section - Permalien
Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice

Prudence cependant, le National audit office - la Cour des comptes britannique - établit ces chiffres essentiellement à partir de projets immobiliers. Dans le domaine des services de haute technologie, les contrats de partenariat sont moins performants.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

L'État et Écomouv' ont intérêt à se mettre d'accord, nous l'avons compris. Mais si un nouveau retard est constaté après le 1er janvier 2014, quels sont les moyens de recours à la disposition des citoyens pour contester l'accord amiable ?

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

En vertu de la jurisprudence administrative, les citoyens ont un intérêt à agir, en qualité de contribuable local, contre les décisions des collectivités territoriales entraînant un surcoût pour les finances publiques, mais pas contre celles de l'État en qualité de contribuable national. C'est malheureux, car c'est un instrument très efficace.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Dans le cas de collectivités territoriales, seule la délibération de l'assemblée locale est attaquable, n'est-ce pas ?

Debut de section - Permalien
François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence

Toute décision entraînant des dépenses publiques : celle de suspendre un contrat rentrerait dans cette catégorie. Le Conseil d'État a même récemment admis qu'une décision entraînant de moindres recettes était attaquable sur ce fondement.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

L'État a donc les mains libres pour signer un accord à l'amiable avec Écomouv'.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Personne ne semble, en effet, disposé à s'engager dans un contentieux. Nous vous remercions.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous accueillons maintenant M. Romaric LAZERGES, avocat au Barreau de Paris et maître de conférences à Sciences Po, où il anime un séminaire sur les PPP. C'est donc à un juriste praticien que nous demanderons, sans trahir le secret professionnel, de nous éclairer sur la manière dont se passe concrètement un PPP et de nous présenter les avantages et les risques que cette formule présente pour l'État.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romaric LAZERGES prête serment.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Je tiens à apporter d'abord deux précisions. Je n'ai pas été partie prenante au projet Écotaxe ; mon propos sera donc prudent et général. Je suis par ailleurs associé dans le cabinet Allen & Overy, responsable du département droit public, dans lequel j'ai une activité contentieuse et transactionnelle. En matière de contrats publics, j'interviens dans le cadre de grandes délégations de service public (DSP) ou de contrats de partenariat. Au sens étroit, les PPP ont presque dix ans. Je suis intervenu depuis le début de cette épopée en étant conseil du ministère de la justice pour les prisons, de Voies navigables de France (VNF) pour le canal Seine-Nord, pour le moment à l'arrêt, mais aussi d'opérateurs privés, que ce soit de groupements titulaires de contrats ou de banques finançant ces contrats. Chaque acteur - personne publique, consortium, institutions financières telles que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou les banques - se fait en effet assister par un ou plusieurs cabinets. Nous avons ainsi assisté Vinci pour la DSP consacrée au TGV Tours-Bordeaux - le plus gros projet de ce genre, d'un montant de sept à huit milliards d'euros - ou d'autres acteurs, par exemple pour des stades, des hôpitaux, ainsi que les banques pour le Global System for Mobile communications - Railways (GSM-R).

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Vous êtes donc le spécialiste des PPP dont nous avons besoin.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Je suis un spécialiste ... pas le seul. J'ai compris que vos interrogations portent sur quatre champs : les critères justifiant le recours aux PPP ; les conditions de passation et, le cas échéant, le rôle de conseil ; le coût ; enfin, les conditions d'exécution du contrat, sur lesquelles je serai prudent, n'ayant pas plus d'éléments sur l'écotaxe que ce que j'ai pu en lire dans la presse.

Le PPP est un outil très décrié dans les médias, presque diabolisé. Il est surtout très mal connu. Ce n'est pas, comme on l'a dit, une privatisation ; c'est un outil de la commande publique parmi les autres que sont les marchés publics ou les DSP. Les PPP se distinguent des marchés publics proprement dits par trois points - même s'ils sont eux-mêmes des marchés publics : la globalité de la mission - encore que certains marchés sont aussi globaux - la durée et surtout l'association entre financement et rémunération - s'opposant ainsi à l'interdiction du paiement différé dans le cadre d'un marché public. Ils se distinguent des DSP par une rémunération non indexée sur le résultat d'exploitation - quoiqu'il puisse exister dans certains PPP des revenus annexes - mais constituée par un loyer fixe sans intéressement. L'idée initiale des PPP était ainsi de créer des contrats globaux tels que des DSP pour les cas où la rémunération liée au résultat était impossible, comme dans le cas des prisons. Sans PPP, il aurait fallu passer plusieurs marchés ; le PPP permet de passer un marché global avec un paiement différé.

Le processus de passation d'un PPP est long et complexe, comme peuvent l'être les procédures de passation de gros marchés publics ou des DSP : pour le TGV Tours-Bordeaux, la procédure a duré de 2007 à 2011. Du côté de la personne publique, il s'agit de ménager plusieurs objectifs : l'efficacité de la procédure - travailler avec les candidats pour que leur réponse réponde le mieux à l'objectif ; l'égalité des candidats, qui implique un certain formalisme ; l'incitation à l'innovation - mais il faut parfois renoncer aux bonnes idées d'un candidat pour respecter l'égalité ; le maintien de la concurrence : pour cela, il faut conserver un cahier des charges unique le plus longtemps possible.

N'étant ni un financier, ni un économiste, je serai très prudent sur le coût ; je ne peux donc pas dire si un contrat est cher ou non en nominal. Ce que j'ai remarqué, c'est que les comparaisons faites n'étaient pas toujours pertinentes, oubliant souvent que le coût d'un PPP n'est pas un simple coût de gestion, mais un coût de remboursement d'un investissement augmenté d'un coût de gestion. Sur l'écotaxe comme sur le dossier du Tribunal de grande instance de Paris ou sur les prisons, cela n'a ainsi aucun sens de comparer un contrat de gestion d'un ouvrage déjà construit et un PPP. Par ailleurs, lorsque l'on compare un dispositif de type PPP et un dispositif de type maîtrise d'ouvrage publique ; et c'est vertueux de le faire ; il faut prendre en compte l'ensemble des coûts pour l'un et l'autre dispositif, y compris des coûts internes à la personne publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de cette complexité qui justifie le recours à un PPP, notamment dans le domaine des services, le recours à cette formule juridique pour des investissements ne faisant pas débat ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

La complexité, cela peut être, pour la personne publique, de préparer un cahier des charges qui soit d'emblée assez précis, notamment dans les domaines technologiques. Mais cette difficulté peut être contournée : on peut choisir de faire plusieurs marchés de maîtrise d'oeuvre avant de lancer la procédure. Le critère principal qui justifie à mes yeux un PPP est le lien entre construction et exploitation. Dans une maîtrise d'ouvrage publique, la personne publique aura la maitrise de la construction, mais elle peut recevoir une livraison conforme et ne se rendre compte de certains problèmes qu'au moment de l'exploitation. Un PPP est de ce point de vue vertueux en reportant totalement le risque de la construction et partiellement le risque d'exploitation sur le partenaire, en exigeant de lui qu'il délivre une installation qui fonctionne sur plusieurs années conformément à des critères de performance. Un autre avantage est de faire baisser le cas échéant le coût financier : dans une maîtrise d'oeuvre publique, la personne publique paie des acomptes au fur et à mesure de la construction alors que, dans un PPP, elle ne paie rien avant la réception de l'ouvrage. Mais le grand avantage, c'est surtout de payer moins en période d'exploitation si ça marche mal.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Dans un PPP, la rémunération n'est pas indexée sur le résultat ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Pas sur le résultat financier, mais sur des indices de performance. Une entreprise construisant un stade en DSP bénéficiera généralement de subventions, mais sera ensuite rémunérée sur l'exploitation, de manière substantielle selon la jurisprudence du Conseil d'État (au moins pour 30 à 40 % de ses revenus). Dans un contrat de partenariat, si elle réalise le stade, elle sera rémunérée en fonction de critères de performance - même si le loyer est parfois diminué par des revenus annexes. Par exemple, dans une prison construite en PPP, à chaque fois qu'une ampoule cassée n'est pas remplacée pendant un certain nombre de jours, la rémunération de l'entreprise sera diminuée, conformément au contrat.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Écoumouv' nous déclare qu'une partie non négligeable de sa rémunération - 64 millions d'euros - est indexée sur la montée en charge du dispositif. Vous nous dites l'inverse : qu'une rémunération peut diminuer mais pas augmenter.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Je ne connais pas le contrat ; ce que j'ai compris, c'est que la rémunération n'est pas liée au montant de recettes que le titulaire collecte.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Dans le cas d'espèce, c'est lié au nombre de taxations. C'est logique.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Dans le cas d'une prison construite en contrat de partenariat, une exploitation non performante entraînera des pénalités prévues au contrat. On parle alors de risque de disponibilité, différent du risque trafic, lié au volume. Le deuxième avantage, observé au Royaume-Uni par des statistiques, et par certains ministères en France, est un respect généralement plus strict des délais de construction. Un titulaire de contrat de partenariat qui ne livre pas à temps se voit en effet soumis à des pénalités de retard de la part de la personne publique, mais aussi, compte tenu du fait que ces projets sont le plus souvent financés à 10 % par les actionnaires et à 90 % par les banques, à des frais financiers considérables, fixés dans le contrat de crédit : dans des projets à plusieurs milliards d'euros, ces frais peuvent s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros par jour. Le troisième avantage est, du point de vue des ministères dépensiers - mais le ministère du budget ne serait pas d'accord sur ce point - de sanctuariser la dépense publique et d'éviter des régulations budgétaires qui touchent les dépenses de fonctionnement, et de garantir ainsi que l'ouvrage soit en meilleur état au terme de quelques décennies d'exploitation. Un autre argument est la planification : le PPP permet de connaître le coût de l'exploitation au cours du temps, ce que ne permet pas la maîtrise d'ouvrage publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je prends l'exemple d'un PPP sur quinze ans prévoyant une construction sur trois ans et une exploitation sur douze ans. Si le titulaire met deux ans de plus à construire, alors, les loyers initialement prévus ne lui seront versés que sur dix ans pour un montant total identique ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Je ne sais pas si c'est le cas, mais les signataires de certains PPP ont été soumis à ce que d'aucuns appelaient la triple peine, un retard entraînant des pénalités, des frais financiers, mais aussi une perte du loyer. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, la situation ayant été considérée comme non acceptable par les différents acteurs. Les contrats prévoient le plus souvent des pénalités comprises entre 5 et 10 % du coût d'investissement, des frais financiers, mais soit la durée d'exploitation est fixe - et le retard prolonge donc la durée du contrat - soit les échéances perdues sont remboursées en une seule fois à la date de mise à disposition de l'ouvrage. Cela assure la « bancabilité » du projet, pour employer une expression peu élégante. Les industriels ont pris des risques qu'ils ne prennent plus.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Oui.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Je les détermine au cas par cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Quels sont les risques pour l'État ? Comment cela se passe-t-il avec les banques ? En quoi consiste la cession de créance ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Dans chaque dossier, il faut procéder à une analyse globale : étudier le risque lié à la complexité du projet, comme pour un bâtiment les risques environnementaux, les risques de recours, les risques techniques ; étudier la capacité des banques à le financer, différente selon les périodes, et naturellement moindre depuis 2008 : elles analyseront l'allocation des risques dans le contrat principal, celui que prend la société de projet et le niveau d'acceptabilité de celui qui peut être transmis aux industriels, prestataires de la société de projet. La société de projet titulaire d'un contrat de partenariat est en effet généralement une « coquille » - ce n'est pas le cas d'Écoumouv' - avec des actionnaires, qui passe des contrats avec un constructeur et des exploitants. Ce qui compte pour les banques, c'est que la société de projet, qui est l'emprunteur, garde un minimum de risque, même s'il reste toujours un risque résiduel, lié à l'obtention du financement. L'industriel, de son côté, fixera un plafond de responsabilité : de 30 % de sa rémunération par exemple pour un constructeur ; dans le pire des scénarios, il ne remboursera pas plus en cas de défauts qui lui seraient imputables. Au cours du dialogue compétitif, la société de projet cherchera donc à baisser le risque dans le contrat de partenariat, pour le rendre acceptable pour elle, pour les industriels et pour les banques.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Les sous-traitants d'Écoumouv' sont devenus ses actionnaires. Cela est-il courant ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Dans tous les contrats de partenariat, la société de projet compte des actionnaires qui sont aussi des prestataires. Un contrat tel que la ligne Tours-Bordeaux a pour titulaire une société de projet qui a pour actionnaires un industriel, un exploitant - dans ce cas, c'est Vinci pour les deux - et des financiers, la CDC ou AXA. Vinci est ainsi à la fois actionnaire, constructeur et exploitant, tandis que AXA et la CDC ne sont qu'actionnaires. Chacun a un intérêt et prend un risque différent.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Dans le contrat écotaxe, c'est donc Thales, SFR, Steria et la SNCF qui ont en théorie pris tous les risques ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Dans le schéma classique, l'industriel prend beaucoup de risques. Mais l'actionnaire prend également des risques : par exemple, il perd sa mise si le contrat est résilié pour faute.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

En comparaison avec l'ampleur du projet, sans doute, mais pas en valeur absolue.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Il s'agit de moins de 10 %, soit 30 millions d'euros.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Si on prend l'exemple d'un contrat d'un milliard d'euros d'investissement, si 900 millions d'euros sont prêtés par les banques, et 100 millions d'euros fournis par trois actionnaires, chacun des actionnaires peut perdre plus de 30 millions d'euros : c'est colossal !

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Dans un dialogue compétitif, elle doit fournir au moment de l'offre finale une lettre d'engagement dans laquelle elle promet son soutien inconditionnel au projet. Cela nécessite une intervention très précoce de la banque, qui se fait assister d'un conseil technique et d'un conseil juridique propre pour arriver à deux conclusions : financer ou ne pas financer, et à quel prix.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

La plupart des contrats de partenariat ont mis en place un tel système pour faire baisser le coût du contrat pour l'État : le titulaire du contrat est titulaire d'une créance de la personne publique qu'il cède avec l'autorisation de cette dernière aux banques, au maximum à 80 %, la contrepartie pour les banques devenant ainsi partiellement la personne publique au moment de la livraison de l'ouvrage.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Cela ne concerne donc pas seulement Écomouv' et les banques : la puissance publique est impliquée.... Il nous faudra interroger les banques.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

La puissance publique doit signer une acceptation d'engagement qui devient inconditionnelle à partir de la livraison : cette partie du loyer ne peut alors plus être remise en cause.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

La livraison est toujours un acte très puissant ; mais elle ne peut être acceptée que si l'ouvrage a été réalisé conformément au cahier des charges. Une fois la livraison effectuée, il faut bien rembourser l'investissement, à un moment donné.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Non, cela n'a pas d'impact si c'est la personne privée qui est responsable : c'est alors l'industriel ou les actionnaires qui en supporteront le coût. La pénalité est toujours possible à la fois sur la redevance liée à l'exploitation et sur la partie de la redevance liée à la construction qui n'a pas fait l'objet d'une cession de créances acceptée (sur les 20 % restant au moins). De toute manière, tout dépend de la livraison, comme dans une maîtrise d'oeuvre publique où, une fois que vous avez payé, les comptes sont soldés. La cession de créance a fait baisser le coût du financement des projets en points de base de manière très significative, car la signature de l'État est plus forte que celle des groupes industriels, quelle que soit leur taille.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

C'est ce qui est prévu dans le code monétaire et financier.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

C'est variable. C'est souvent 80 % ; en tout cas, ce n'est jamais 20 % : plus la part cédée augmente, plus le coût du financement diminue, puisque le risque potentiel d'exploitation diminue. Le risque subsiste sur au moins 20 % de la rémunération liée à la construction, ainsi que sur la rémunération additionnelle liée à l'exploitation.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

La question est donc de savoir si la livraison a lieu ou non par Écomouv'. J'ai le sentiment que tout le monde s'observe, parce que tout le monde a des reproches à se faire. Nous devons obtenir des éclaircissements. Nous ne connaissons pas le cahier des charges, et ne savons donc pas s'il prévoit des pénalités pour la personne publique si elle retarde la mise en exploitation. C'est peut-être la raison pour laquelle il n'y a pas de date de livraison prévue. Des cas de force majeure sont-ils prévus ? Dernier point, les collectivités territoriales, pénalisées, ont-elles voix au chapitre ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

En l'absence d'éléments factuels, il m'est difficile de répondre. Il faudrait déterminer qui est responsable du retard. Ce type de contrat prévoit souvent des « causes légitimes » qui peuvent être invoquées par la partie privée, impliquant des régimes d'indemnisation. Ces causes peuvent être manifestement imputables à l'État ou imputables à aucune des deux parties, telles qu'une intempérie exceptionnelle. La conséquence en est l'exemption de pénalités de retard ou, dans certains cas, l'obligation pour l'État d'assumer les frais financiers liés au retard. C'est ouvert.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

On ne peut pas parler de suspension du contrat. Ce dernier existe, il devra donc s'appliquer.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

En effet.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Je ne connais pas de précédent.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Pour les entreprises privées et pour les banques, les PPP sont-ils des opportunités ? Se battent-elles pour les obtenir, car la garantie de l'État fait que le risque est relativement modéré ? Ou bien la complexité des montages fait-elle que peu de groupes sont capables de participer à la compétition ? L'État se retrouve alors avec peu d'entreprises capables de répondre et elles bénéficient en conséquence de marges élevées et de risques faibles.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

J'aurais du mal à vous répondre sur les marges.

Le risque n'est pas faible : ces grosses entreprises prennent un risque de construction sur les ouvrages complexes. Elles doivent porter le financement sur des périodes parfois très longues. Par exemple, pour la liaison Tours-Bordeaux, le groupe doit construire 300 km de ligne TGV d'ici 2017 : c'est une réalisation extrêmement complexe, et le risque n'est pas faible.

Les grands groupes ne sont pas spécifiquement attirés par ces contrats : des groupes comme Vinci, Bouygues ou Eiffage sont intéressés par des ouvrages emblématiques et souhaitent garantir le plus longtemps possible un revenu à l'entreprise, mais l'objectif est le même, qu'il s'agisse d'un contrat de partenariat ou d'un gros contrat de construction.

L'intérêt d'un PPP, c'est de figer dans un compte pendant des années un résultat, ce qui est toujours intéressant pour une entreprise. Mais est-ce plus intéressant que de conclure un contrat de maîtrise d'ouvrage public où le risque de construction est beaucoup plus faible ? Je ne le crois pas.

Qui est capable de répondre à ces contrats ? Dans l'univers des BTP, compte tenu du risque, le marché est fermé, mais que l'on passe un contrat d'un milliard d'euros en contrat de partenariat ou en maîtrise d'ouvrage publique, les mêmes répondront. Les entreprises de plus petite taille seront sous-traitantes, quel que soit le contrat conclu.

De fait, ces contrats ne sont pas ouverts à toutes les entreprises, mais la concurrence entre les grands groupes demeure féroce.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

L'intérêt de ces auditions est de nous permettre de juger d'autres PPP, y compris certaines prolongations de partenariats. La rentabilité est souvent calculée sur 10 ans, parfois 8 ans quand les négociations sont serrées. Mais les grands groupes ont figé, tel un principe, un certain taux de rémunération de l'investissement. Ils n'ont pas intérêt à remettre en cause ce qui a été accepté par l'État et à provoquer une concurrence effrénée. Peut-être l'État a-t-il plus de marges de manoeuvre que les 10 % qui ont été actés.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Je puis vous assurer que la compétition est âpre. Je n'ai jamais vu un groupe perdre de bon coeur.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

La constitution de sociétés de projet n'est pas étonnante. Y a-t-il des critères qui président à la création de ces consortiums ? Puisque c'est avec une société de projet, Écomouv', qu'a été signé le PPP, pourquoi les négociations ont-elles commencé avec Autostrade et non pas avec le consortium ? Les banques font peser une part du risque sur l'industriel mais, s'il n'est pas là au moment de la négociation avec l'État, comment peut-on obtenir l'accord des banques ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

L'industriel est là dès le départ. Lors du dialogue compétitif, les membres du groupement, actionnaires et industriels confondus, sont déjà présents. Cela dit, je ne peux pas parler d' Écomouv' : je ne connais pas le dossier.

Le groupement est une notion informe dans une candidature, mais les actionnaires et ceux qui vont réaliser la prestation sont présents. Le groupement serait bien incapable de remettre une offre s'il n'y a pas un dialogue intense avec l'ensemble des prestataires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

La Mapp a comparé deux contrats, un marché public et un PPP : l'un et l'autre intégrés, comprenant la conception, la construction et l'exploitation. Selon vous, compte tenu de la complexité du projet, était-il judicieux de comparer uniquement des contrats intégrés ? N'aurait-il pas été intéressant de comparer des contrats non intégrés ? Pourquoi ne pas avoir comparé quatre projets plutôt que deux ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Dans le code des marchés publics, il n'est pas facile de conclure un marché global. La Mapp a retenu cette hypothèse, malgré des incertitudes au niveau juridique, pour les besoins de l'analyse. C'était sans doute justifié à ses yeux, dans la mesure où, sur ce contrat complexe, il était difficile d'imaginer un processus avec un constructeur et un exploitant séparés, du fait des risques que j'ai déjà évoqués : lier l'exploitation à la construction était logique. L'approche de la Mapp paraît donc justifiée.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Tout à fait. Si l'on parlait d'un contrat bâtimentaire, il aurait été possible de procéder à des comparaisons entre d'un côté un contrat de partenariat et de l'autre plusieurs marchés publics portant sur la construction et sur l'exploitation.

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

J'ai assisté deux grands ministères : à la justice, il y a un établissement public, nommé l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), composé d'ingénieurs des corps de l'Etat et dirigé par un polytechnicien : le niveau des compétences techniques y est extrêmement élevé.

Le ministère des transports dispose du même type d'organisation : j'ai travaillé pour VNF, sous la tutelle vigilante du ministère des transports : les équipes étaient composées de grands professionnels. Dans les contrats que j'ai suivis, je n'ai pas observé de dissymétrie de compétences entre le privé et le public.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

En matière de complexité qui s'apprécie, non pas au regard du dossier lui-même, mais des capacités de la puissance publique à l'assumer, n'aurait-il pas fallu que tous les ministères unissent leurs forces plutôt que de laisser le ministère des transports gérer seul ce contrat ? Ainsi, par exemple, le ministère de la défense aurait pu apporter son expertise.

Doit-on reprocher à l'État d'avoir choisi un PPP au motif que le projet était complexe alors que la mutualisation des moyens des ministères aurait permis de réaliser ce projet ?

Debut de section - Permalien
Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris

Quelle que soit la solution retenue, PPP ou marché public global, il s'agissait de confier à une seule entité l'ensemble de la construction et de l'exploitation de ce marché. Dans les deux cas, le rôle de la personne publique est relativement similaire : contrôle vigilant pour vérifier la bonne exécution du contrat.

Les deux types de contrats diffèrent essentiellement du fait de leur financement. Dans le cas d'Écomouv', l'État a dû estimer que, face à un dispositif d'une extraordinaire complexité, il était judicieux de faire peser le risque sur le partenaire privé en concluant un PPP.

Le ministère de la justice a mené en parallèle des constructions en maîtrise d'ouvrage public et en PPP. Ce choix permettra de disposer dans quelques années d'éléments de comparaison extrêmement intéressants.

La complexité est-elle une condition de recours aux contrats de partenariat ? Je crois qu'elle l'est dans certains cas. L'État doit évaluer les avantages de conclure un marché global.