Depuis la constitution de la mission d'information, nous nous sommes déjà retrouvés autour de neuf auditions en séance plénière et de onze auditions du rapporteur, qui sont ouvertes à l'ensemble des membres de la mission. Cette semaine nous avons encore devant nous quatre auditions plénières, ce qui démontre la densité de nos travaux. Après avoir entendu les différents points de vue, un consensus semble s'établir sur les sujets à traiter, la relation entre les élus et les citoyens ainsi que celle avec les salariés et les employeurs. Reste à définir les outils.
Je vous rappelle également que, comme cela avait été acté dès notre réunion constitutive, la mission d'information a ouvert un espace participatif sur le site internet du Sénat, permettant à chaque citoyen ou représentant d'un organisme de venir déposer une contribution sur le sujet de son choix. La date limite d'envoi des contributions est fixée au 31 mars prochain. Pour la suite des travaux, nous nous retrouverons pour des séances d'auditions sur une ou deux journées au cours des prochaines semaines.
Trois déplacements sont par ailleurs prévus ; tout d'abord le 7 mars, sur un chantier du Grand Paris Express. Je laisserai le rapporteur présenter plus en détail ce déplacement, ainsi que les deux autres qui auront lieu au cours du mois de mars. Nous prévoirons également un moment pour un échange de vues sur les orientations de travail du rapporteur, l'objectif restant un examen du rapport à la mi-mai.
Effectivement, nous avons jusqu'à présent concentré notre regard sur la représentation démocratique, ainsi que sur l'articulation entre la démocratie représentative et la démocratie participative avec plusieurs questions : sous quelle forme ? Comment éviter les inconvénients de la démocratie participative ? Comment utiliser les outils numériques ? Il faut trouver le bon équilibre entre ces formes complémentaires. On a vu aussi les risques lors l'élection américaine et dans notre pays avec les « fake news ».
Par ailleurs, nous avons commencé à aborder, plus spécifiquement, la question de l'amélioration de certaines procédures mises en oeuvre, pour faire aboutir plus aisément des décisions publiques, sous deux angles d'analyse particuliers : celui des grands projets d'infrastructures et d'équipements et celui du « paritarisme de décision ».
Nous aurons ainsi trois auditions cet après-midi : tout d'abord, celle avec les représentants d'associations d'élus locaux sur le principe participatif et les infrastructures ; puis l'audition de la Commission nationale du débat public (CNDP) à l'occasion de laquelle pourra être abordée l'articulation entre la concertation, telle qu'issue des ordonnances du 3 août 2016, et les autres formes de participation ; enfin, les commissaires enquêteurs concernant la procédure de l'enquête publique, pour comprendre comment la rendre plus efficace et éviter la cristallisation de l'opposition.
Outre les auditions, comme le Président l'a indiqué, nous prévoyons trois déplacements plus ou moins éloignés. Le premier en France concerne le Grand Paris Express le 7 mars, avec un volet portant sur la future gare « Fort d'Issy Vanves Clamart ». Il s'agira de voir comment les dérogations permises pour cette opération sont utilisées, au-delà des outils de droit commun. Comment le Grand Paris gère-t-il ces chantiers hors normes ? Cela peut-il être une source d'inspiration ?
Un déplacement entre les 14 et 16 mars est également prévu en Isère, en Haute-Savoie et en Suisse, dans le canton de Genève, pour y étudier les dispositifs participatifs et les procédures concrètement appliquées à certains grands projets d'infrastructures et d'équipements.
Enfin, le Danemark semblerait être l'un des pays les plus aboutis sur les outils participatifs, notamment avec des jurys citoyens. Sa forte culture syndicale rend également intéressante la pratique de la démocratie paritaire. Nous nous y rendrons fin mars.
Nous poursuivons avec l'audition des principales associations représentant les élus locaux et les collectivités territoriales que je remercie de leur venue. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une diffusion en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.
Mesdames, messieurs, la mission d'information s'interroge principalement sur les blocages permettant d'expliquer les difficultés à prendre des décisions publiques qui ne soient pas remises en cause ou fortement contestées, y compris lorsqu'elles sont déjà très engagées.
La mission s'intéresse ainsi aux possibilités pour les pouvoirs publics de produire des réformes, par exemple dans le domaine du droit du travail, ou de mener des projets structurants pour notre pays, comme un équipement public de grande envergure, une ligne ferroviaire ou un aéroport, en recherchant quelles pourraient être les voies d'amélioration.
Par là-même, la mission d'information s'interroge sur les moyens permettant de renforcer le lien de confiance entre les élus, représentants légitimes pour prendre les décisions, et les citoyens.
Cette audition pourrait ainsi s'orienter autour de deux grands axes. Premièrement, quelle est votre analyse sur les procédures mises en oeuvre dans le cadre des grands projets d'infrastructures et d'équipements ? Sont-elles efficaces ? Comment pourraient-elles être améliorées, à la fois pour garantir une décision légitime et éviter les blocages ?
Deuxièmement, constatez-vous un réel besoin exprimé par les citoyens pour participer davantage à la prise de décision publique, au-delà des dispositifs les plus anciens, comme les conseils de quartiers ? Quels dispositifs particulièrement efficaces vos collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale ont-ils éventuellement développés ? Qu'est-ce qui fonctionne le mieux sur le terrain ?
Compte tenu du temps dont nous disposons, il est important que chacun respecte un temps de parole raisonnable afin que tout le monde puisse s'exprimer et présenter sa position.
Je vous invite donc à la concision dans vos propos liminaires afin de laisser du temps pour les questions du rapporteur et des autres sénateurs.
En ma qualité de vice-président d'un conseil régional, je suis en charge de la démocratie, des initiatives citoyennes, du développement rural, de la coopération et de l'égalité. Je passerai vite sur la description d'une situation qui vous a été présentée lors de vos précédentes auditions : nous connaissons une crise et une mutation démocratiques. Nous avons à la fois une crise de légitimité, des questionnements forts qui nous sont posés mais aussi un foisonnement d'initiatives dans nos territoires, l'avènement des civic techs et la mobilisation des citoyens.
Nous sommes dans une société communicationnelle qui permet à chacun de s'exprimer et de mobiliser cette information tandis que l'économie est collaborative. Il est urgent de regarder cette crise et ces mutations démocratiques.
Les régions ont longtemps été des collectivités territoriales stratèges. Désormais, elles ont davantage de compétences connectées au territoire et aux citoyens, du fait des dernières évolutions législatives, que ce soit en matière d'économie, d'emploi, de mobilité, de transports, d'alimentation, de santé, etc. Quelle relation établir avec les citoyens dans la construction des politiques publiques ? Dans la région Centre-Val de Loire, ces questions sont d'autant plus fortes que, lors des dernières élections régionales, les résultats ont montré trois blocs représentant un tiers des voix, sans vainqueur, ni vaincu.
Dans les dispositifs de démocratie participative, souvent les politiques publiques sont mises au débat mais rarement la question de la démocratie elle-même est posée au citoyen. Nous avons fait ce choix complexe et expérimental d'ouvrir ce débat avec les citoyens. Plutôt que de démocratie représentative ou participative, nous préférons évoquer la démocratie permanente, en hommage à la formule du professeur Pierre Rosanvallon, pour dépasser l'opposition entre les deux formes de démocratie et la question de la parcelle de pouvoir laissée aux citoyens dans la démocratie participative.
Comment la démocratie vit-elle, entre deux échéances électorales, tout le temps et partout ? Comment est-elle inclusive et ne se limite-t-elle pas au cercle des « TLM » - « toujours les mêmes » ?
Nous avons lancé une démarche expérimentale et dense depuis un an, consistant en des « tournées citoyennes » d'une semaine pour aller à la rencontre sincère et réelle des citoyens : ceux qui innovent, ceux qui pratiquent, ceux qui inventent la démocratie de demain, mais aussi ceux qui contestent, ceux qu'on ne voit pas habituellement, dans certains quartiers comme dans les communes rurales. Ces « tournées citoyennes » dans chaque bassin de vie prennent du temps et me conduisent même à dormir chez l'habitant. Elles permettent notamment des échanges appréciés par les gens, dans l'intimité, sur la question démocratique. Elles produisent une « matière brute » transmise à des panels de citoyens choisis par tirage au sort dans chaque territoire, pour formuler ensuite des propositions qui prendront la forme de délibérations en faveur du progrès démocratique dans la région Centre-Val de Loire.
Davantage que les dispositifs eux-mêmes, l'engagement de la collectivité territoriale dans le processus de participation doit être sincère pour que ce dernier soit efficace. Ce « contrat de participation » est fondamental, sans quoi le sentiment d'inutilité pour les citoyens voue tous les dispositifs à l'échec. L'un des éléments de ce contrat est de soumettre à l'assemblée, en fin de processus, une délibération avec des propositions.
Nous manquons de recul mais une première « tournée citoyenne », voici quinze jours, a permis de retrouver des sujets, que l'on pouvait sans doute imaginer nous-mêmes mais qui prennent une autre dimension dès lors qu'ils sont portés directement par des citoyens. Il s'agit de l'éducation à la citoyenneté tout au long de la vie - comment faire vivre la démocratie avec l'éducation populaire, en renforçant l'accès à la connaissance et la capacité à participer ? -, ou de la posture, de l'attitude et du positionnement des élus. Ces derniers sont attendus sur cette question majeure pour retrouver de la proximité avec les citoyens de manière permanente, y compris hors des périodes de campagne électorale. Les élus doivent également se présenter comme une « chambre d'écho » et pas simplement comme des décideurs frappés d'un « coup de magie » du seul fait de l'élection. C'est ainsi reconnaître cette crise démocratique et tenter de la résoudre avec les citoyens.
Cela demande de déployer de l'énergie et de recourir à des acteurs comme le collectif « Démocratie ouverte », dont l'audition par votre mission serait utile. Ces acteurs nous accompagnent pour poser la question démocratique et tester des dispositifs afin d'aboutir à une délibération votée par notre assemblée et faire vivre le progrès démocratique en région.
Première surprise : cette question intéresse beaucoup nos concitoyens, le cercle s'élargit progressivement. Mes collègues conseillers régionaux, étonnés ou méfiants au départ vis-à-vis de cette expérience, retrouvent un certain plaisir dans cette nouvelle démarche de proximité, non pour expliquer mais pour poser des questions, ce qui est, à l'échelle de la région, prometteur.
L'articulation entre la démocratie représentative et la démocratie participative n'est pas spécifique aux fonctions que j'exerce en tant qu'adjointe au maire d'Orléans et vice-présidente du conseil départemental du Loiret en charge des politiques sociales, même si nous développons les comités des usagers. La démocratie participative doit être repensée en profondeur dans une société marquée par des mutations économiques et sociales, l'amélioration de la formation des citoyens, la révolution numérique et l'empilement des réformes législatives. Dans son rapport de mars 2016 intitulé « Une nouvelle ambition territoriale pour la France en Europe », Claudy Lebreton rappelle que 74 % des Français estiment que les idées doivent venir des citoyens pour aider les élus à agir et décider. Ces derniers veulent participer aux décisions, être davantage consultés et prendre part à l'élaboration des projets locaux.
La démocratie participative s'est développée pour combler l'écart qui existe entre la conduite des projets et les attentes des citoyens. Mais les procédures de participation du public aux projets locaux, qui demandent beaucoup de temps et d'énergie, déçoivent parfois nos concitoyens en raison d'une mauvaise présentation, d'un manque de méthode ou d'une mise en oeuvre défaillante. Il est également difficile d'insérer ces procédures dans l'action publique locale tandis que leur pérennité n'est pas garantie.
Conscients des enjeux, des initiatives nouvelles se développent dans les départements, à travers l'organisation d'assises ou encore de consultations numériques. Alors que l'assemblée du conseil départemental du Loiret dont je suis membre a été renouvelée pour plus de la moitié en 2015 et l'exécutif pour les trois quarts, nous avons lancé des réflexions sur l'avenir de notre département dans les quarante prochaines années, organisé des consultations citoyennes et des ateliers de démocratie participative, ainsi que des rencontres avec des responsables politiques, tandis que des étudiants animent des consultations numériques et des cafés-débats. Nous avons également organisé les « Assises de la solidarité » et les « États généraux de la ruralité », auxquels de très nombreuses personnes ont participé avec enthousiasme. Le bilan est positif, les propositions sont nombreuses : à nous maintenant de les analyser.
Je salue la création de votre mission d'information, qui permettra d'identifier les blocages dans les décisions publiques portant sur des grands projets structurants et interroge le système pyramidal de décision qui caractérise notre pays. Les changements législatifs permanents paralysent l'action publique et entraînent une perte de confiance des citoyens à l'égard du législateur, mais aussi, dans une moindre mesure, des élus locaux. C'est par le développement de la démocratie participative, par l'adhésion du plus grand nombre aux règles élaborées que l'on restaurera la confiance des citoyens. J'ai la conviction que le département, échelon de proximité, est le bon niveau pour articuler démocratie représentative et participation du public.
Les intercommunalités, dont le nombre est passé de plus de 2 000 en 2016 à 1 266 en 2017, vont prendre une place croissante dans les années à venir, qu'il s'agisse des métropoles, des communautés urbaines, des communautés d'agglomération ou encore des communautés de communes. Toutes ces structures ont vu leurs compétences renforcées, même si elles ne bénéficient pas d'une clause de compétence générale.
Le débat sur la citoyenneté se pose au niveau intercommunal. Les organes de gouvernance des intercommunalités ne sont pas élus au premier degré. Le « fléchage » des élus intercommunaux au niveau des communes est un progrès réel. Je regrette que, lors des élections municipales, on ne se penche pas davantage sur le programme communautaire car le budget des intercommunalités est bien plus important que celui des communes, comme je le constate sur mon territoire. Le débat démocratique commence là : quelle est la légitimité des personnes élues au deuxième degré dans les organes de gouvernance des intercommunalités pour gérer des budgets de plus en plus importants ?
À mes yeux, il n'est pas normal que des personnes élues n'aient pas pu siéger dans des intercommunalités compte tenu de leur renouvellement : ce problème de fond constitue un déni démocratique et devra être réglé d'ici les prochaines élections. La réduction de la proportion du nombre de femmes dans les intercommunalités, déjà perceptible en 2014, est un autre sujet de préoccupation du point de vue de la représentation. Le troisième défi auquel nous sommes confrontés est de développer de nouvelles formes de débats démocratiques citoyens, pour tenir compte du renforcement des missions des intercommunalités. Nous devons changer de paradigme, en particulier pour les conseils de développement dans les intercommunalités dépassant vingt mille habitants - actuellement sous-estimés -, en privilégiant les expérimentations et la contractualisation. Si l'on ne souhaite plus administrer au sens étroit du terme, on doit davantage associer à la décision publique les corps intermédiaires, au premier rang desquels les associations. Au niveau intercommunal, le monde associatif est fondamental.
Plus globalement, il convient de définir une méthode pour associer les citoyens aux décisions des élus locaux, sans oublier les « publics invisibles » qui ne participent pas nécessairement. L'enjeu essentiel est de faire participer cette partie de la population. Organiser une concertation au sujet de l'installation d'un incinérateur en zone urbaine ne pose pas de difficulté particulière tandis que celle pour la réorganisation d'un plan d'eau au même endroit pourrait se révéler bien plus complexe. Il faut ainsi s'accorder sur les méthodes des dispositifs participatifs et les publics visés. Dans tous les cas, si l'on ne veut pas créer de déception chez nos concitoyens, les élus doivent clarifier leurs démarches en amont et s'y tenir.
S'agissant du rôle de l'État, le contrôle de légalité ne doit pas être négligé. Si l'on réalise une bonne concertation avec le public mais que le projet se heurte finalement à des obstacles juridiques, on décevra immanquablement tout le monde. Les intercommunalités doivent donc travailler en bonne intelligence avec l'État, les régions, les départements et les communes pour éviter ce genre de situations.
Député-maire de Bar-le-Duc, je me suis spécialisé depuis une quinzaine d'années sur la participation citoyenne. Je préside en effet le think tank « Décider ensemble » dont l'objectif est de développer la culture de la « décision partagée » en France. Son conseil scientifique rassemble des sociologues et des personnalités qualifiées, tandis que les fédérations des élus locaux, les organisations patronales et les associations environnementales sont présentes à son conseil d'administration.
En quinze ans, les mentalités ont beaucoup évolué : les élus qui refusaient par principe la concertation, au nom de la légitimité exclusive que leur conférait l'élection au suffrage universel, sont désormais très minoritaires.
Les collectivités territoriales de taille importante ont su se structurer pour répondre aux attentes des citoyens, en créant des services et des procédures spécifiques, tandis que les élus dans les petites communes sont, par définition, proches de leurs administrés. En revanche, les collectivités de taille moyenne ont plus de difficultés pour développer la participation des citoyens. J'ai pu notamment le constater il y a un mois à Bordeaux à l'occasion des « Rencontres de la participation », manifestation organisée par notre association et qui a rassemblé plus de cinq cents personnes, essentiellement des collaborateurs dans les collectivités territoriales. Les participants souhaitent que ce genre de rencontres se multiplient afin d'échanger sur leurs pratiques.
Au niveau national, la concertation est satisfaisante, notamment en raison de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 qui s'applique au volet environnemental des projets. L'ordonnance « Richard » du 3 août 2016 vient compléter la législation en renforçant les procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement. Cette ordonnance prévoit des concertations plus en amont et vise également les petits projets. Ne modifions pas dans l'immédiat ces nouvelles règles, qui pourront ensuite être évaluées et ajustées si nécessaire.
Je voudrais toutefois apporter deux bémols à la législation actuelle. Tout d'abord, la période qui s'écoule entre la validation d'un projet et sa réalisation atteint parfois dix à quinze ans, voire davantage. Comme on le voit pour l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et la liaison ferroviaire Lyon-Turin, un projet peut être amené à évoluer pendant cette période en raison de l'existence de nouvelles infrastructures ou d'autres projets. Il faut donc raccourcir les délais pour éviter les controverses. Ensuite, si la concertation est très bonne sur le volet environnemental des projets, tel n'est pas le cas pour les autres volets, notamment en matière d'urbanisme. C'est pourquoi je plaide pour une convergence des mécanismes de concertation en cette matière.
Je souhaiterais également une meilleure diffusion et coordination des pratiques et des méthodes de concertation. Les exemples étrangers peuvent être riches d'enseignement : ainsi, l'Office de concertation publique de Montréal favorise les débats publics en confiant leur animation à des personnes indépendantes. Enfin, en raison du développement de l'open data, nous devons réfléchir à la portée de la notion de transparence et des informations qui sont mises en ligne, en prenant en compte les contraintes des collectivités territoriales de petite taille.
Je me félicite de la création de votre mission dont la réflexion est bienvenue.
Je tiens à remercier les intervenants pour leurs propos. Nous travaillons tous dans la même direction et cherchons à répondre à la perte de confiance que nous constatons envers les élus.
Je souhaiterais approfondir le thème de l'expérimentation dans les politiques publiques : l'expérimentation constitue-t-elle un assouplissement permettant de mieux répondre aux besoins des citoyens ? Ne crée-t-elle pas des régimes juridiques hétérogènes entre les collectivités territoriales ?
Nous sommes favorables aux expérimentations si leurs conditions de mise en oeuvre sont suffisamment claires : qu'expérimente-t-on ? Comment évalue-t-on les résultats de l'expérimentation ? Quelles sont ses impacts sur la décision finale ?
Certaines expérimentations perdent en crédibilité car elles sont généralisées avant d'avoir été évaluées. Par ailleurs, elles restent souvent confidentielles ; nous devons nous interroger sur les procédures de publicité à mettre en oeuvre lors des expérimentations.
Il s'agit aussi d'un problème de culture administrative et politique. Comment faire émerger une culture de la participation au sein de l'administration ? Je me souviens d'un courriel d'un agent public qui m'écrivait que, pour des raisons déontologiques, il n'était pas habilité à s'adresser aux citoyens et que ce rôle revenait uniquement aux élus.
Juridiquement, tout ce qui n'est pas interdit est possible et peut donc faire l'objet d'expérimentations lorsque c'est nouveau. Toutefois, nous sommes confrontés au blocage de nos administrations et des services de l'État qui n'aiment pas ce qui sort du cadre.
À titre d'exemple, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (« loi NOTRe ») du 7 août 2015 rend obligatoire la création d'un conseil de développement dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants. Des intercommunalités avaient créé des conseils de développement avant cette loi. Aujourd'hui, elles doivent refonder ces conseils d'un point de vue formel, alors qu'ils fonctionnaient déjà, pour respecter strictement le droit en vigueur...
Nous devons donner plus de liberté à nos territoires. N'oublions pas que l'innovation vient des territoires ! L'équité, ce n'est pas l'égalité, on doit laisser la possibilité de faire différemment.
Enfin, je suis d'accord avec M. Charles Fournier : la culture administrative ne facilite pas la mise en place d'expérimentations.
Concernant les procédures de conception et de réalisation des infrastructures et grands équipements publics, quel est votre avis sur l'autorisation environnementale unique prévue par l'ordonnance du 26 janvier 2017 ?
L'enquête publique est une procédure très encadrée. Présente-t-elle un intérêt en pratique ou participe-t-elle à la cristallisation des positions ?
De même, que pensez-vous des procédures de concertation préalable et de débat public ?
Pour revenir sur les expérimentations, nous y sommes favorables car elles ouvrent de nouvelles opportunités à nos territoires. Il faut toutefois veiller à l'utilité concrète des procédures mises en oeuvre et éviter d'ajouter des « couches » supplémentaires.
En ce qui concerne les infrastructures, nous soutenons l'unification des démarches administratives et appelons à éviter les « nids à contentieux » qui allongent inutilement les procédures.
L'enquête publique se déroule en fin de procédure, à l'inverse de la concertation préalable qui interroge non pas les modalités de mise en oeuvre du projet mais ses objectifs.
Pourrions-nous nous passer d'une enquête publique lorsqu'une large concertation a été menée en amont ?
Le commissaire-enquêteur remplit un rôle de « tiers » entre la maîtrise d'ouvrage et le public, ce qui me semble très utile dans un contexte de défiance envers l'investissement public. Ce « tiers » produit un discours différent de celui du maître d'ouvrage et traduit la pensée des personnes consultées, notamment sur les sujets les plus techniques. L'enquête publique permet ainsi de nourrir la réflexion collective et de vulgariser les sujets abordés.
Interrogeons-nous toutefois sur les personnes qui participent aux enquêtes publiques : comment inciter tous les citoyens à intervenir et pas uniquement ceux qui sont directement intéressés par le projet ou les minorités agissantes ?
L'Allemagne a créé une agence fédérale de l'expérimentation, qui dispose d'un budget propre et collecte les résultats des expérimentations menées. En France, nous menons des expérimentations en catimini et nous n'en tenons jamais compte.
L'enquête publique permet d'informer les citoyens sur leurs droits individuels. Il me semble difficile de la supprimer. La procédure a été modernisée : les commissaires-enquêteurs ont désormais recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, et peuvent transmettre davantage d'informations à l'ensemble des citoyens.
Pendant trop longtemps, certains ont considéré que le débat public prenait trop de temps ; ils le voyaient comme un mal nécessaire et avaient déjà élaboré leur projet d'infrastructure avant de le soumettre à la consultation publique. Ils ne se souciaient guère des résultats du débat public. À l'inverse, il paraît aujourd'hui indispensable de respecter le point de vue exprimé par l'opinion publique et de prendre en compte les avis émis pendant le débat.
Le débat public a été renforcé avec les ordonnances du 3 août 2016.
Quel est, selon vous, le niveau de collectivités territoriales le plus pertinent pour organiser une expérimentation ?
MM. Charles Fournier, Loïc Cauret, Bertrand Pancher et Alexandre Touzet. - Tous !
Pensez-vous utile que la mission d'information propose, par exemple en annexe de son rapport, un manuel de la concertation pour aider les élus dans leurs démarches et préciser les avantages et inconvénients de chaque procédure ?
Oui. Il serait également souhaitable de rappeler le droit en vigueur.
Il convient, en effet, de rappeler le cadre législatif de la concertation et de préciser les différents cas de figure envisageables.
Pourquoi est-il de plus en plus difficile de réaliser de grands équipements ? Quelle est la place du droit ? Permet-il l'aboutissement des projets ou donne-t-il une prime à l'attaquant en lui offrant de nombreuses voies de recours ?
Ces questions se posent parce que les citoyens sont de plus en plus « éveillés » d'un point de vue politique. Ce n'est d'ailleurs pas un problème : au contraire, le dialogue avec les citoyens favorise l'émergence de l'intérêt général.
Il manque aujourd'hui des outils de contre-expertise des projets d'équipement, surtout au niveau local. Nous avons également besoin de davantage de médiations.
Je siège au sein de la Commission nationale du débat public. Cet instrument me semble fort intéressant dès lors qu'il permet de s'interroger sur l'opportunité du projet. À titre d'exemple, le débat public relatif à la ligne à grande vitesse « Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon » se contentait, fin 2011, de proposer quatre options alternatives, sans possibilité de s'exprimer sur l'opportunité de cette nouvelle ligne. Ce type d'instrument devrait être mis en oeuvre au niveau territorial.
Je ne constate pas tant de recours multiples contre les projets d'infrastructure. Les projets bien préparés fonctionnent sans que les questions de droit soient au coeur du processus !
La société française se judiciarise, c'est un fait. Élue départementale chargée des affaires sociales, je constate une augmentation des recours en cette matière.
Je retiens toutefois de mon expérience personnelle que le droit n'empêche pas un projet d'aboutir lorsque ce dernier est bien construit et qu'il apparaît justifié aux yeux des élus, même si les procédures juridiques peuvent prendre du temps.
Par exemple, dans le Loiret, nous souhaitons construire un pont traversant la Loire. Nous, les élus, nous pensons que ce projet aboutira car il a été correctement préparé.
Les intervenants nous ont fait part de leurs expériences mais je trouve que, globalement, les présentations sont restées très théoriques. Je serais demandeur de plus d'exemples pratiques, notamment sur la mise en oeuvre d'investissements, de services ou de réglementations nouvelles, qui ont été mis à l'épreuve par cette « démocratie permanente ». Comment les concertations se sont-elles déroulées ? Quel est le profil des participants ? Les projets initiaux ont-ils été modifiés à la suite des concertations ?
Pouvez-vous également donner l'exemple d'échecs, ceux-ci étant extrêmement formateurs ? En tant qu'élu local, je veille à faire connaître les causes de mes échecs à mes collègues pour qu'ils ne fassent pas les mêmes erreurs que moi.
Sur le fond, la démocratie participative a-t-elle désarmé les oppositions de principe sur les projets d'infrastructure ? Très souvent, il y a les citoyens qui essaient, en toute bonne foi, de comprendre les enjeux des projets et ceux qui s'y opposent par principe. Ce noyau dur d'opposants est constitué, pour reprendre les mots d'un intervenant, de « minorités agissantes » qui utilisent toutes les voies de recours disponibles. Lorsque tous les recours sont rejetés, ils menacent de s'installer illégalement sur les lieux. Ces situations ont tendance à se multiplier. Je pense par exemple au projet du grand contournement ouest de Strasbourg. Les outils de concertation, modernisés par les ordonnances d'août 2016, permettent-ils de régler ce type de problèmes ?
Je tiens à remercier les associations d'élus locaux pour leur participation à cette audition.
Je regrette qu'il n'existe pas de solution miracle pour dépasser les blocages. Aujourd'hui, les élus doivent s'attacher à légitimer leurs décisions, au niveau local comme en niveau national.
Qu'attendez-vous, en tant qu'élus, de la démocratie participative ? Cette dernière a été conçue comme un moyen pour les citoyens d'intervenir dans la décision publique. Mais comment peuvent-ils se former un avis ? Certains citoyens ont une opinion sur tout, d'autres s'opposeront à tous les projets. Certains savent s'exprimer en public, d'autres non. Que ce soit pour la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, d'un port ou d'un immeuble, les élus proposent un projet car un diagnostic préalable a été établi. Comment transmettre ce diagnostic au public et lui expliquer les éléments justifiant la mise en oeuvre de ce projet ? Comment établir un diagnostic partagé ?
Je suis persuadée que l'élu a la légitimité nécessaire pour lancer les projets mais qu'il doit expliquer ses décisions au public.
Élue du Havre en charge des affaires sociales, je souhaiterais davantage d'exemples de concertation en cette matière.
Aujourd'hui, la concertation est souvent imposée, notamment dans la politique de la ville. Nous devons réunir, dans les conseils citoyens, des gens tirés au sort et qui, souvent, ne sont pas impliqués dans la chose publique, ce qui me semble inefficace. Pourtant, ces conseils citoyens ont fait l'objet de pratiques expérimentales. Elles ont pu être généralisées mais cela ne fonctionne pas. Pourquoi ?
Beaucoup d'expérimentations sont menées au niveau local mais elles sont trop rarement évaluées.
Quelles sont les conditions de réussite d'une consultation publique ? Comment renouveler notre espace démocratique en le rendant plus efficace et plus contributif ?
Je prendrai l'exemple de la mise en place de la redevance incitative d'enlèvement des ordures ménagères qui a été, dans mon territoire, un échec sur le plan de la communication et de la concertation, puis une réussite. Nous avons réussi à dépasser les blocages, les élus ayant toujours soutenu le projet et le maître d'ouvrage. Nous avons été invectivés lors des réunions publiques mais nous avons surmonté les intérêts individuels. Comme nous nous y étions engagés, nous avons évalué le dispositif deux ans après sa mise en oeuvre : et là, 95 % des personnes interrogées y étaient favorables.
Rétrospectivement, ce dossier a donc été une réussite technique et financière, mais un échec sur le plan de la communication. Nous nous sommes concentrés sur des canaux d'information trop classiques, et notamment sur la presse écrite. Des rumeurs ont couru et certains ont voulu refaire la campagne municipale.
Actuellement, nous travaillons sur un centre social intercommunal pour lequel nous nous attachons à recueillir l'avis de la population mais aussi des associations.
Autre exemple de ce qui n'a pas fonctionné, les comités de ligne « transport express régional » (TER) qui nous ont posé des difficultés : ils sont devenus des lieux de catharsis pour les usagers qui rencontrent des problèmes.
Parallèlement, dans notre région, nous avons modifié les horaires des trains régionaux. Des collectifs de citoyens se sont constitués sur cette question, leurs membres devenant de véritables experts du transport ferroviaire. J'avais alors proposé d'organiser des « États généraux du ferroviaire » avec ces organisations qui tendaient à dépasser la défense d'intérêts personnels pour cheminer vers l'intérêt général. Cette proposition n'a pas abouti. Selon moi, on a loupé le coche pour construire ensemble le service des TER ; on a conservé des lieux où on se contente d'exprimer ses désaccords. À mon sens, le régime démocratique nous impose de tenir compte des opposants.
Pour revenir sur les enjeux de la concertation dans les politiques sociales, je prendrai l'exemple de la ville d'Orléans. En 2010, elle a été la première commune du département à concevoir un « contrat local de santé », dont le diagnostic a été établi en concertation avec les professionnels de santé et les différents quartiers de la ville. Ce diagnostic ne comportait aucune préconisation. Une fois le diagnostic établi, nous avons réinterrogé les citoyens pour construire avec eux les axes d'action prioritaires.
De même, le centre communal d'action sociale d'Orléans a institué un conseil consultatif de la petite enfance, qui se réunit une fois par an pour établir un bilan de l'année écoulée et proposer des mesures à prendre.
Le conseil départemental du Loiret, quant à lui, est en train de renouveler son schéma de cohésion sociale qui traite de plusieurs problématiques (autonomie, insertion, jeunesse, etc.). Outre des dispositifs d'information sur Internet, il est prévu d'aller sur le terrain pour recueillir l'avis des citoyens.
La place du droit dépend des niveaux de collectivités territoriales concernées. À titre d'exemple, les recours sont peu fréquents sur les politiques publiques des départements. Ils sont plus nombreux sur les décisions des maires qui touchent directement nos concitoyens. Cela pose deux difficultés : l'allongement des délais, d'une part, dans la mesure où attendre une décision de justice pendant plusieurs années est très pénalisant, notamment pour les acteurs économiques ; la responsabilité des personnes à l'origine des recours, d'autre part, des dispositifs ayant été créés en droit de l'urbanisme contre les recours abusifs mais étant rarement mis en oeuvre. Or, la responsabilité du requérant constitue la contrepartie du principe général du droit (PGD) garantissant le droit au recours.
En tant que maire, j'ai essayé de créer une commune nouvelle en fin d'année dernière. À ce stade, le projet n'a pas abouti car nous avons manqué de temps dans la concertation. Nous avons également manqué d'outils : comment mener une réflexion de concert sur des sujets aussi sensibles ?
À l'inverse, nous avons réussi à élaborer un agenda 21 en concertation avec la population. Nous avons notamment mobilisé les écoles pour que les enfants sensibilisent leurs parents sur la question environnementale.
De manière générale, nous sommes face à une contradiction : les citoyens veulent être associés à la décision publique mais ils n'y participent pas spontanément. Il est nécessaire de solliciter leur intérêt.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous poursuivons les auditions en accueillant M. Christian Leyrit, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, président de la Commission nationale du débat public (CNDP) depuis 2013.
La CNDP est une autorité administrative indépendante créée par la « loi Barnier » du 2 février 1995, qui veille à la participation du public dans le processus d'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement d'intérêt national. Elle dispose de sept équivalents temps plein et son budget annuel s'élève à 2,3 millions d'euros.
Cette audition, qui sera complétée par celle des commissaires enquêteurs en fin d'après-midi, nous permettra notamment de mieux comprendre les dispositifs de participation dont la CNDP a notamment la responsabilité ainsi que les mesures à mettre en oeuvre pour éventuellement les améliorer et surmonter les blocages que nous rencontrons lors de la construction d'infrastructures et d'équipements de grande ampleur.
Cette rencontre est d'autant plus importante que ces dispositifs de participation ont été largement réformés par les ordonnances du 3 août 2016, inspirées du rapport de notre collègue Alain Richard, et dont le projet de loi de ratification n'a pas encore été examiné par le Parlement.
Merci pour votre invitation, c'est un très grand honneur.
Comme vous l'avez rappelé, la CNDP est issue de la « loi Barnier » du 2 février 1995. En signant la convention d'Aarhus en 1998 avec une trentaine d'États, la France était tenue de respecter les engagements prévus et notamment de faire en sorte que « la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options sont encore possibles ». C'est à ce stade, bien en amont de l'enquête publique, qu'intervient la CNDP. La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a ensuite qualifié la CNDP d'autorité administrative indépendante (AAI). La directive européenne du 28 janvier 2003, puis la charte de l'environnement de 2004, qui a acquis une valeur constitutionnelle en 2005, ont conforté le principe de participation du public ; enfin, la « loi Grenelle » du 12 juillet 2010 a étendu les missions de la CNDP. Ce sont donc trois lois successives, prises avec des majorités différentes, qui ont créé et conforté la CNDP. Plus récemment, les ordonnances d'avril et août 2016 ont considérablement développé les missions de la CNDP.
Un sondage datant de 2014 démontre la forte attente des Français envers la participation : plus de 90 % souhaitent être consultés directement avant toute décision publique. C'est le point qui arrive très nettement en tête parmi six propositions pour améliorer le fonctionnement de la démocratie.
Cette demande de participation est d'autant plus forte que le modèle politique apparaît en crise. Les trois-quarts de nos compatriotes pensent que la décision est déjà prise lorsqu'un débat public est lancé. Les Français attendent aussi des garanties de neutralité : 89 % souhaitent que les débats publics soient organisés par une autorité indépendante du Gouvernement. Ainsi, y compris pour les collectivités territoriales, la structure qui organise les débats ne doit pas être partie prenante des décisions. S'agissant des experts, 64 % des citoyens pensent qu'ils sont liés aux pouvoirs politiques, 69 % qu'ils sont liés aux lobbies. Selon le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF, 70 % des Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout, soit une augmentation de 22 points par rapport à 2009.
Il y a donc aujourd'hui un problème majeur de confiance et de légitimité des décisions publiques.
Les situations très conflictuelles enregistrées sur de nombreux projets d'aménagement et d'équipement - qui ne sont toutefois pas générales -, amènent aujourd'hui à s'interroger sur nos processus d'élaboration des projets, de consultation des citoyens et de décision.
D'un côté, certains affirment la légitimité de l'État de droit : dès lors que toutes les procédures en vigueur, y compris l'enquête publique, ont été menées, le projet doit être réalisé sans délai. De l'autre, des opposants expriment leur frustration, leur colère de ne pas être entendus par les porteurs de projet. Ces opposants considèrent que des décisions fondées en droit mais prises sans un fondement démocratique suffisant ne sont pas légitimes et doivent être combattues au nom de préoccupations de plus long terme (préservation de l'eau et de la biodiversité, changement climatique...).
Ces deux points de vue antagonistes sont renforcés par la longueur du processus de décision : dix ans, vingt ans s'écoulent entre la conception du projet et sa réalisation. Il arrive donc fréquemment que les besoins évoluent fortement pendant cette période, ce qui peut conduire, in fine, à des réalisations surdimensionnées ou inadaptées.
L'État de droit n'est donc pas suffisant pour légitimer les décisions publiques. À mon sens, la légitimité d'une décision dépend moins de son contenu intrinsèque que des conditions de son élaboration. C'est la transparence, la rigueur, l'impartialité et la loyauté du débat qui fondent cette légitimité.
Mais pour que les citoyens retrouvent la confiance, il faut que le débat ait lieu suffisamment tôt, en amont des décisions, lorsque les choix ne sont pas arrêtés et que d'autres alternatives sont encore possibles. Les citoyens doivent aussi disposer d'éléments pluralistes et d'expertises indépendantes du maître d'ouvrage, que nous développons beaucoup ces derniers temps.
Par ailleurs, dans une décision publique, il y a toujours des « gagnants » et des « perdants ». Le débat public ne conduit que rarement à des consensus, mais il doit permettre d'identifier les « perdants ». Il faut s'assurer que ces derniers reçoivent une compensation et que soient prises en compte des préoccupations de long terme. D'ailleurs, une commission d'enquête du Sénat travaille actuellement sur les compensations en matière de biodiversité.
Enfin, les citoyens doivent être entendus, la devise de la CNDP étant : « Vous donner la parole et la faire entendre ». Le sociologue Michel Callon expliquait à propos du débat public : « Ce qui s'y joue de plus profond, c'est la reconstruction du lien social à partir de l'existence reconnue des minorités ».
Dans notre pays, on a multiplié depuis 20 ans les comités « théodules », mais, en réalité, la consultation directe des citoyens reste peu développée par rapport à d'autres pays. Il faut simplifier les procédures et développer le dialogue direct avec les citoyens.
Beaucoup de responsables politiques et de chefs d'entreprises disent que les procédures de consultation font perdre du temps et retarder les projets. C'est tout le contraire. Combien de projets ont été retardés de 5 ans, 10 ans ou plus parce que l'on n'a pas voulu consacrer quelques mois au dialogue avec les citoyens ? Ce dialogue n'est pas une perte mais un gain de temps. Certains chefs d'entreprises l'ont bien compris - l'un d'entre eux ayant négligé cette dimension sur un grand projet qui est occupé aujourd'hui par des « zadistes » m'a demandé d'organiser un débat public sur des projets de moindre ampleur, qui sont habituellement hors du champ de compétence de la CNDP. D'ailleurs, sans cette dernière, des débats auraient pu difficilement être organisés et des blocages auraient probablement été constatés pour des projets qui se situaient dans la même région.
L'efficacité économique exige des projets qui se réalisent. Pour cela, il faut qu'ils soient plus légitimes. Pour qu'ils soient plus légitimes, il faut plus dialoguer avec les citoyens avant que la décision ne soit prise.
La CNDP développe la culture du débat public pour qu'il devienne naturel de concerter avant de décider. Nous avons fait évoluer les débats que nous organisons. Nous tenons moins de réunions publiques, dans lesquelles la moyenne d'âge est relativement importante et où le profil des participants est plutôt masculin, et de catégories socioprofessionnelles élevées. Nous développons beaucoup les ateliers participatifs, les échanges par petits groupes, les « débats mobiles » dans les gares, les universités, les trains, ou encore les quartiers populaires, comme pour le projet EuropaCity dans le Val-d'Oise.
Parallèlement, nous multiplions les modes d'expression de tous les publics, notamment à travers les réseaux sociaux et les civic techs qui permettent l'implication de la société civile : forums participatifs, outils cartographiques, « jeux sérieux », « outils de réalité augmentée »...
Dans le cadre du chantier sur la démocratisation du dialogue environnemental lancé après le drame à Sivens en octobre 2014, nous avons fait de nombreuses propositions, dont la plupart ont été retenues dans les ordonnances du 3 août 2016 : la création d'un droit d'initiative citoyenne permettant à 10 000 citoyens de demander l'organisation d'un débat public pour les plus grands projets, mais aussi pour les projets de réforme de politique publique, avec une saisine de 500 000 citoyens ou 60 parlementaires ; l'organisation de débats publics sur les plans et programmes nationaux et pas seulement sur les projets individuels ; la création d'un dispositif de conciliation pour réunir les acteurs, rechercher un compromis et traiter des sujets conflictuels ; la mise en place d'un continuum de la concertation tout au long du processus pour maintenir la confiance ; enfin, la création d'un vivier national de garants de la concertation. Sur ce dernier point, nous avons reçu 515 candidatures ; nous formerons les candidats désormais sélectionnés, tous les maîtres d'ouvrage et responsables de collectivités publiques pourront puiser dans ce vivier.
Une autre ordonnance parue en avril 2016 est relative à la consultation des électeurs sur un projet d'équipement. Ces consultations existent dans plusieurs États : Suisse, Finlande, Land de Baden-Württemberg, etc. La première consultation de ce type a eu lieu le 26 juin 2016 sur le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. La Commission nationale du débat public a été chargée d'élaborer le document d'information à l'attention des citoyens.
Plutôt que de multiplier les sondages, il me semblerait préférable de développer les conférences de citoyens. Il s'agit de réunir une vingtaine de personnes, formées de manière contradictoire, et qui délibèrent ensemble sur une thématique donnée. Très développé en Europe du Nord, ce processus a montré sa pertinence sur plusieurs sujets complexes comme le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) à Bures, qui concerne l'enfouissement des déchets nucléaires, et l'ouverture des données personnelles de santé. Les résultats sont proprement spectaculaires. Dans l'exemple de Cigéo, projet d'une complexité absolument considérable, les responsables de l'autorité de sûreté nucléaire ont insisté sur la pertinence de cette délibération de dix-huit personnes profanes qui ont travaillé sur ce sujet pendant trois week-ends. Nous avons également organisé un débat citoyen sur l'énergie et le climat, en marge de la Cop 21, qui a réuni le même jour des milliers de participants, avec l'organisation de 97 débats dans 76 pays.
Pour conclure, les questions que nous nous posons sur la place du citoyen dans la décision publique se posent dans tous les pays. Nous recevons des organisations internationales comme la Banque mondiale et des délégations étrangères, y compris de Chine, de Russie. Nous intervenons aussi à l'étranger - récemment en Corée du Sud, à Taïwan, en République dominicaine... En décembre 2016, j'ai lancé, dans le cadre du sommet du partenariat pour un gouvernement ouvert qui s'est tenu à Paris, un réseau d'échanges international « Esprit d'Aarhus » qui vise à promouvoir les bonnes pratiques de participation citoyenne et de gestion des conflits au niveau des États et des grandes villes.
Ce qui est en jeu, c'est la mise en oeuvre d'une nouvelle gouvernance publique, fondée non plus sur des rapports de force, mais sur une capacité d'écoute, une « co-construction » de l'intérêt général, seule à même d'améliorer le fonctionnement de la démocratie et de redonner confiance à nos concitoyens.
Selon quels critères décidez-vous d'organiser un débat public ou une consultation préalable ? Vos choix sont-ils contestés ? Quel est le coût moyen d'un débat public et d'une consultation ?
Les critères sont l'intérêt national, les enjeux socio-économiques et l'impact environnemental du projet ; la loi prévoit une saisine obligatoire de la CNDP pour les projets supérieurs à 300 millions d'euros et dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État. Pour les projets entre 150 et 300 millions d'euros, il existe une obligation de publication du projet par le maître d'ouvrage dans la presse avec possibilité de saisine par dix parlementaires - ce qui s'est d'ailleurs produit en 2015 -, une région, un département, un établissement public de coopération intercommunale, une commune, ou encore une association d'intérêt national. Pour les projets de plus de 150 millions d'euros, les ordonnances d'août 2016 ont également introduit le droit d'initiative citoyenne : 10 000 citoyens peuvent saisir la CNDP.
Le collège de la commission est composé de 25 membres. Son indépendance est garantie par son pluralisme puisqu'ils sont nommés par 19 institutions différentes.
Quand un débat public est décidé, nous mobilisons une équipe de 5 à 7 personnes, issues de la société civile, qui préparent et animent le débat. Depuis 2002, 9 recours ont été engagés contre nos décisions, que nous avons tous remportés. Il arrive que nous n'organisions pas de débat public ; dans ce cas, la concertation préalable elle-même est assurée par le maître d'ouvrage, avec la présence d'un garant.
Le coût d'un débat public est très variable. Il était compris entre 800 000 et un million d'euros quand j'ai été nommé à la présidence de la CNDP ; c'est peu quand on rapporte cette somme au coût d'une LGV par exemple, mais cela me paraissait beaucoup pour un débat. J'ai voulu baisser ce coût moyen : aujourd'hui, nous faisons certains débats pour moins de 500 000 euros.
Jusqu'à présent, les maîtres d'ouvrage financent directement le débat. Les ordonnances d'août 2016 créent désormais un fonds de concours alimenté par les maîtres d'ouvrage et géré par la CNDP pour qu'il n'y ait pas ce lien financier direct avec le maître d'ouvrage. Un tel fonds existe déjà pour les commissaires enquêteurs.
- Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente -
Combien de débats publics et de concertations préalables conduisez-vous ?
Nous avons fait l'objet d'environ 200 saisines depuis 2002, avec un peu plus de 80 grands débats publics.
Ce qui revient donc, en moyenne, à six débats publics par an.
Quel est le niveau de participation des citoyens, y compris de ceux qu'en appellent les « invisibles ? Quelle est la proportion de la participation citoyenne ? Quelles sont ensuite les conséquences des débats publics ? Disposez-vous d'un taux de réussite ?
La participation est très variable. Environ 3 000 personnes ont assisté aux réunions publiques relatives au métro de Toulouse. Nous avons également organisé un très grand nombre de rencontres dans les entreprises et obtenu 5 000 réponses à notre questionnaire. Nous avons aussi créé des dispositifs d'information sur Internet : le site a été consulté par plusieurs milliers de visiteurs uniques.
S'agissait-il de personnes que vous avez encouragées à participer ou de personnes déjà motivées, qui auraient participé de toute façon à une consultation organisée par la collectivité territoriale ?
Dans les 3 000 personnes ayant assisté aux réunions publiques, je ne compte pas celles ayant participé aux débats mobiles, dans les gares, sur les marchés... avec lesquels nous aurions des chiffres beaucoup plus importants. Je compte la participation à des réunions, notamment avec des experts. Un de nos impératifs les plus importants est d'aller au-delà du noyau dur des gens impliqués et se rendant aux réunions.
Sur le modèle du débat citoyen planétaire sur l'énergie et le climat, nous avons cherché, à Toulouse, à développer un dialogue à trois dimensions, avec des citoyens tirés au sort ou sélectionnés par un institut de sondage, représentant la population au niveau de la ville, de l'agglomération, de la région, dans la mesure où cette ligne de métro avait des impacts à tous ces niveaux du territoire.
Pour le projet EuropaCity, dont le montant s'élève à 3 milliards d'euros, le débat public a eu lieu, deux garants ont été désignés et 50 réunions à domicile de type « réunions Tupperware » vont être organisées. Ce continuum est essentiel à la suite du débat public et en attendant l'enquête publique. Précédemment, seul le maître d'ouvrage pouvait demander la nomination d'un garant. Désormais, cette nomination est systématique.
S'agissant des résultats, à la suite de débats publics, 8 ou 9 opérations ont été abandonnées : les contournements de Bordeaux, de Toulouse, de Nice, un terminal méthanier... Un tiers des projets est abandonné ou très fortement modifié ; un tiers ont été modifiés sensiblement ; un tiers très peu modifié.
À partir de votre expérience, peut-on dire que les grandes réunions publiques, tenues sous l'égide de la Commission nationale du débat public, de l'État, du préfet de région sont des mécanismes lourds et conflictuels, qui ne font pas avancer les choses, et que vous préférez les panels de citoyens représentatifs - qui reprennent l'exemple danois ?
Pour reprendre l'exemple du métro toulousain, nous avons eu recours à plusieurs instruments participatifs. Seulement quatre réunions publiques ont été organisées : il en faut notamment pour le lancement du débat public, la conclusion et la restitution d'une étude. Ces réunions publiques sont utiles mais, quand il y a 500 ou 800 personnes, tout le monde ne peut pas s'exprimer de la même manière. Cela devient une tribune pour les leaders d'opinion. Nous développons ainsi d'autres moyens d'expression.
Il ne faut pas oublier non plus les moyens numériques. Il y a des projets de type cartographique. Pour les liaisons ferroviaires nouvelles, comme la ligne à grande vitesse (LGV) Ouest Bretagne-Pays de la Loire, les citoyens peuvent donner des informations localisées. Parfois, ils sont mis en situation d'arbitrer entre plusieurs scénarios. Dans les grandes réunions, nous avons affaire à une population plutôt âgée, plutôt masculine. Sur le projet de LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, il y avait 1 000 à 2 000 personnes dans la salle. Cette mobilisation est parfois le fait des collectivités publiques. Aujourd'hui, la participation moyenne ne dépasse guère 500 ou 600 personnes.
Pour le projet de voie ferrée Centre Europe Atlantique, avec des enjeux de transport de voyageurs et de fret, nous avons aussi préféré des réunions de quelques centaines de personnes sur tout l'itinéraire. Nous avons prévu des débats par petits groupes de six personnes, comme pour le débat citoyen planétaire.
À la Commission nationale du débat public, les maîtres mots sont la transparence, l'impartialité, la neutralité et l'équivalence : chaque citoyen a le même temps de parole. On me demande souvent si le numérique bouleverse le débat public. Je réponds que cela le fait évoluer fortement, mais attention : les échanges sur Facebook ou Twitter se font la plupart du temps entre personnes qui sont du même avis.
Dans le sondage que nous avons commandé, les réponses à la question « le numérique améliore-t-il fortement la participation des citoyens à la décision publique ? » ont été contrastées : 41 % de oui et 42 % de non. Le numérique permet un foisonnement d'expressions, mais il faudra toujours faire en sorte de solliciter les gens.
J'ai rencontré une start-up, qui propose un « porte-à-porte 2.0 », avec une cartographie précise. Ils ont, par exemple, travaillé sur un débat relatif à l'installation d'éoliennes...
Les grandes réunions sont donc nécessaires, mais elles pâtissent, comme vous l'avez fait remarquer, d'un biais sociologique et d'une conflictualité naturelle. Les civic techs souffrent, elles aussi, de biais. Finalement, faut-il privilégier une approche qualitative, avec des panels ou des tables rondes ?
Les conférences citoyennes devraient se développer. La société est complexe. Un sondage par téléphone peut être pertinent, mais pas pour toutes les thématiques. Ce qu'il faut, c'est obtenir le point de vue de citoyens éclairés. Il ne s'agit pas de dire aux citoyens qu'ils vont décider et se substituer à la démocratie représentative. Mais, par exemple, la réforme territoriale se serait sans doute mieux passée si on avait organisé des conférences de citoyens dans chaque région, avec des historiens, des géographes...
D'aucuns disent que, lorsque nous faisons cela, la conclusion est un moratoire dans trois cas sur quatre...
Mon expérience m'amène à penser que, sur des sujets complexes, il faut informer de manière contradictoire les participants aux conférences de citoyens pour leur permettre de délibérer. Sur l'ouverture des données personnelles de santé, ce fut une réussite. En réalité, les citoyens informés sont assez ambitieux.
Dans le débat citoyen planétaire que j'ai précédemment évoqué, 80 % des citoyens interrogés ont déclaré qu'ils voulaient que leur pays prenne des mesures pour lutter contre le changement climatique, même si les autres États ne le faisaient pas. On est loin d'une telle attitude chez les dirigeants... Près de 80 % des personnes interrogées estiment ainsi que ces mesures ne sont pas une contrainte, mais une opportunité pour améliorer leur qualité de vie. Les citoyens sont plus ambitieux qu'on ne l'imagine, mais aussi très soucieux de l'utilisation des deniers publics. S'agissant des lignes à grande vitesse, ils considèrent souvent que dépenser 4 milliards d'euros pour que quatre trains franchissent le cap symbolique des deux heures ne les intéresse pas. Je ne propose pas de confier au citoyen le soin de décider, mais de fournir au décideur une information plus éclairante que les seuls sondages.
Nous en sommes aussi persuadés. Mais il faut que le cadre de ces consultations publiques soit bien déterminé. La rigueur, la transparence sont fondamentales pour la réussite des grands projets. On est souvent passé outre...
Le débat public est effectivement très utile s'il est organisé avec rigueur. Sur l'exemple précité du projet Cigéo, nous n'avons pas pu tenir une réunion publique. Les opposants eux-mêmes ne veulent pas s'exprimer. Nous avons donc formé un comité de pilotage de six personnes, présidé par une juriste, avec des membres favorables et défavorables au projet. Nous avons créé un comité d'évaluation de trois universitaires, dont un étranger, qui a remis un rapport. Toute l'information est accessible sur le site de la commission nationale du débat public. Des universitaires ont même proposé que ce système soit inscrit dans la Constitution !
Il existe de nombreuses procédures différentes : la concertation préalable prévue dans les ordonnances de 2016, le débat public, l'enquête publique, les enquêtes publiques complémentaires, la saisine des autorités environnementales ou financières... Comment ces différentes procédures s'articulent-elles ? Quelles sont vos propositions pour simplifier ce processus décisionnel qui apparaît particulièrement complexe ?
Le dialogue avec les citoyens ne doit pas être perçu comme une procédure qui s'ajoute simplement aux autres, mais comme un élément fondamental si l'on veut faire avancer les projets.
Certes, le droit de l'environnement s'est complexifié de manière considérable et il faut le simplifier, mais le temps passé au dialogue n'est jamais perdu. Certains ont proposé de supprimer l'enquête publique, qui arrive une fois le projet élaboré et donc trop tard pour les citoyens. Mais l'enquête publique reste nécessaire pour les expropriations pour cause d'utilité publique.
Que penseriez-vous d'une fusion du débat public et de l'enquête publique ?
Cela me semble difficile. Nous en avions débattu au sein de la commission présidée par Alain Richard. En tant que président de la Commission nationale du débat public, je n'ai pas de compétences particulières pour proposer des simplifications au droit de l'environnement.
L'information en amont sur la description du processus de décision est également un élément de satisfaction pour les citoyens. Le processus est souvent trop complexe : pour le cas précité du projet Cigéo, le Parlement se prononce, de même que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'Autorité de sécurité nucléaire... Les citoyens doivent savoir qu'ils seront entendus et comment la décision est prise. Mais il est vrai que c'est long : il peut y avoir un débat public, une enquête publique, une enquête prévue par la loi sur l'eau, laquelle est souvent menée quelques années plus tard...
À titre d'exemple, le débat public d'un grand projet a eu lieu en 2003, l'enquête publique en 2008, l'enquête sur l'eau en 2013 et les travaux ne sont pas encore commencés.
Et au moment de cette enquête sur l'eau, les citoyens posent à nouveau la question de l'opportunité du projet !
Eh oui, en arguant que si le projet n'a toujours pas abouti après tout ce temps, c'est qu'on pouvait s'en passer...
Le rôle de conciliateur que les ordonnances d'août 2016 attribuent à la CNDP a-t-il déjà été mis en oeuvre ?
Non, le décret n'a pas encore été pris.
Dans mes anciennes fonctions préfectorales, je devais parfois réunir tout le monde pendant des heures, pour des conflits d'entreprises où l'État n'avait pourtant aucune part. Certes ces conflits sont différents de ceux constatés dans le cadre des projets environnementaux. Mais la conciliation est une voie prometteuse. Il faut l'utiliser très en amont : je n'en proposerais pas sur des projets ou le conflit est déjà vif.
Nous conseillez-vous d'oeuvrer plutôt vers une fusion des codes de l'environnement et de l'urbanisme, ou plutôt vers une coordination ou une convergence de ces deux droits?
Dans la commission présidée par Alain Richard, je plaidais pour une prise en compte du droit de l'urbanisme, car les questions environnementales et urbanistiques sont très liées.
La ministre du logement et de l'habitat durable a donné une mission dans ce sens au Conseil général de l'environnement et du développement durable, j'ai d'ailleurs reçu les inspecteurs généraux en charge de ce dossier. Les champs d'application des droits de l'environnement et de l'urbanisme sont très proches et les maîtres d'ouvrage rencontrent, dans les faits, de nombreuses difficultés. Il semble nécessaire de traiter cette confluence, mais cela constituerait un autre chantier, assez vaste.
Vous êtes satisfait du travail de la CNDP sur les thèmes des nouvelles technologies, des données personnelles de santé ou des déchets nucléaires. Quel en a été l'impact ? Je constate, par ailleurs, que nous sommes aujourd'hui assez loin d'un apaisement sur le projet Cigéo... Le débat n'a pas été décloisonné.
J'ai rédigé un bilan de la consultation qui s'est tenue sur le projet Cigéo, qui rejoint d'ailleurs sur de nombreux points l'avis des citoyens interrogés. Beaucoup de préconisations ont été prises en compte par le maître d'ouvrage et par les pouvoirs publics, comme l'idée d'un dispositif expérimental pendant 5 à 10 ans avant de passer à la phase industrielle.
Il faudrait aussi aborder une autre question, celle des groupes de citoyens qui viennent d'ailleurs, extrêmement bien organisés, et qui combattent non les projets en eux-mêmes mais l'évolution de la société en général. J'ai organisé une réunion sur le thème « comment réagir aux conflits environnementaux ? ». J'étais directeur des routes au sein d'une préfecture dans les années 1990, il y avait déjà des oppositions très fortes. Mais les « zones à défendre » (ZAD) sont un phénomène nouveau.
Je vous remercie pour cette audition, monsieur le Président. La consultation des citoyens évolue très rapidement et le numérique continuera à bouleverser ce champ.
En tant que membre de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), j'examine de plus en plus de demandes relevant de la « démocratie citoyenne ». Une nouvelle forme de démocratie doit se mettre en place pour répondre à la défiance des citoyens et à leur volonté de participer à la prise de décision publique. Certains dispositifs n'ont pas encore fait la preuve de leur efficacité. C'est un chantier passionnant dans lequel la CNDP est un acteur essentiel. Il reste toutefois de nombreuses questions sans réponse.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Henri Cabanel, président -
Nous abordons à présent une autre procédure de concertation, les enquêtes publiques, en accueillant Mme Brigitte Chalopin et M. Jean-Pierre Chaulet, qui représentent la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs. Cette organisation fédère 3 700 commissaires enquêteurs et connaît donc particulièrement bien la manière dont les enquêtes publiques se déroulent sur le terrain.
Nous pourrons ainsi profiter de cette audition pour évoquer le cadre juridique de ces enquêtes, leur articulation avec les autres dispositifs de concertation et les moyens à mettre en oeuvre pour inciter les citoyens à y participer. Il y a deux semaines, notre collègue Didier Mandelli mentionnait l'exemple du schéma de cohérence territoriale (SCoT) de son territoire : 120 000 habitants et 14 réponses à l'enquête publique, ce qui semble très peu et nous amène à nous interroger sur cette procédure.
Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo avec diffusion en direct sur Internet. Elle est également ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.
Madame, Monsieur, je vous propose d'intervenir à titre liminaire pour quelques minutes avant de donner la parole à notre rapporteur.
Nous nous exprimons comme praticiens de l'enquête publique, à travers notre expérience de terrain et celle des 3 700 commissaires enquêteurs qui adhèrent aujourd'hui à la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE). Pour ma part, je suis inscrite sur la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur du Maine-et-Loire depuis 1995. Je précise que nous sommes tenus à une certaine réserve concernant les enquêtes publiques que nous avons conduites.
Les dernières années ont vu l'émergence de conflits d'une intensité renouvelée, opposant des citoyens à des porteurs de projet qui ne parviennent plus à faire partager les objectifs qu'ils se sont donnés, et plus encore à justifier de l'utilité de leurs opérations. Néanmoins, il me semble important de préciser que la majorité des opérations de création d'installations classées, des projets urbains ou des développements d'axes de transport aboutissent sans trop de conflictualité, particulièrement lorsqu'ils ont fait l'objet d'une bonne information et d'un dialogue transparent avec le public, ce qui favorise leur acceptation.
De nombreux maîtres d'ouvrage, y compris des collectivités territoriales, affichent de plus en plus une réelle volonté de « bien faire » en matière de consultation du public : ils deviennent de plus en plus sensibles à la bonne information et à la bonne exécution des procédures et ils cherchent à adapter leurs projets pour prendre en compte les réactions qu'ils suscitent.
À l'inverse, des autorités publiques, dont beaucoup d'élus, peinent à adapter leurs processus de décision pour permettre aux citoyens de ne plus être des spectateurs passifs ou critiques des différents étapes d'élaboration des projets, en devenant de véritables forces de proposition, des acteurs à même d'améliorer les caractéristiques d'un projet, voire d'en discuter l'opportunité en s'appuyant sur des bases raisonnables ou rationnelles.
Comment concourir à cette évolution ? Quelle place l'enquête publique occupe-t-elle aujourd'hui dans le processus de démocratisation du dialogue environnemental engagé ces deux dernières années et traduit dans l'ordonnance du 3 août 2016, par des mesures de nature à rendre plus effective l'amélioration de la participation du public ?
L'enquête publique remonte à l'Ancien régime. Elle était alors destinée à favoriser les relations entre les citoyens et l'administration. Elle a fait l'objet d'une adaptation continue au fil des évolutions sociétales et réglementaires, les plus marquantes étant issues de la loi dite « Bouchardeau » du 12 juillet 1983 et de la loi dite « Grenelle II » du 12 juillet 2010, qui ont étendu considérablement le champ d'application de l'enquête publique et ont réglementé la fonction et le rôle du commissaire enquêteur.
Pour mémoire, le code de l'environnement définit ainsi cette procédure de concertation : « L'enquête publique a pour objet d'assurer l'information et la participation du public, ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers, lors de l'élaboration des décisions susceptibles d'affecter l'environnement [...]. Les observations et propositions recueillies pendant le délai de l'enquête sont prises en considération par le maître d'ouvrage et par l'autorité compétente pour prendre la décision ». Pourtant, cette dernière disposition est-elle toujours mise en oeuvre ?
Particularité française, l'enquête publique n'a pas d'équivalent dans les autres pays européens. Aujourd'hui, elle a atteint une maturité certaine, même s'il apparaît qu'elle ne bénéficie pas toujours de la juste reconnaissance qu'elle mérite.
Contrairement aux idées reçues, souvent relayées par la presse et de nombreux élus, l'enquête publique n'est pas une consultation obsolète, onéreuse, trop tardive qui ne servirait qu'à contrarier et à retarder les projets. Cette procédure cristallise de nombreuses critiques dans un contexte économique appelant de plus en plus à une simplification de l'action publique et alors qu'est attendue une mise en oeuvre plus rapide des projets, tandis que ces derniers font encore l'objet de procédures souvent longues et complexes. Dans sa forme antérieure à la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (« Grenelle II »), l'enquête publique permettait peut-être certaines de ces critiques, ce n'est plus forcément le cas aujourd'hui.
L'enquête publique existe depuis longtemps, est bien identifiée par le public et est devenue un véritable outil d'information et de recueil d'opinion qui permet, dans la majorité des cas, de mesurer l'acceptabilité sociale et environnementale d'un projet. L'enquête publique peut maintenant être suspendue pour tenir compte des réactions du public, voire complétée en cas de modification importante du projet. Toutefois, ces moyens sont très peu utilisés, voire très méconnus des maîtres d'ouvrage ou des autorités publiques, ce qui est dommageable.
Certaines procédures de démocratie participative n'aboutissent pas à un dialogue réellement constructif, à cause de leurs défauts ou en raison de l'esprit dans lequel elles sont menées. Dans ce cas, elles font naître, à l'inverse des objectifs poursuivis, une exaspération des citoyens qui y participent loyalement et constatent qu'en réalité « les jeux sont faits » et que la démocratie participative n'est qu'un simulacre. Souvent, le public que nous, les commissaires enquêteurs, rencontrons, nous interpelle à ce sujet.
Le public a changé au fil des années : il est plus éduqué, il est mieux organisé, il est curieux, il s'informe par lui-même, il n'est pas forcément directement intéressé dans ses biens par le projet faisant l'objet de l'enquête publique, mais davantage concerné par son environnement, son cadre de vie ou une politique d'urbanisme, il devient beaucoup plus exigeant.
La généralisation de la dématérialisation de l'enquête publique, prévue par les ordonnances du 3 août 2016, devrait faciliter la mobilisation d'un plus grand nombre de citoyens en démultipliant l'information et en favorisant la prise en conscience du public et ses intérêts à participer.
Monsieur Jean-Pierre Chaulet va vous illustrer mon propos général par quelques exemples.
Au titre de mes fonctions, j'ai été amené à m'occuper de très importantes enquêtes. J'en évoquerai trois : le canal Seine-Nord Europe, l'autoroute ferroviaire Atlantique et la ligne 18 du Grand Paris Express, pour laquelle a été prévue une participation du public par voie électronique. J'ai d'ailleurs mené trois des sept enquêtes organisées autour du Grand Paris Express et j'ai donc pu réaliser des comparaisons entre les modes de participation utilisés.
S'agissant du canal Seine-Nord Europe, l'enquête avait été précédée d'une large concertation. Or, bien que celle-ci se soit produite en 2005 et 2006, soit quelques années après les attentats du World Trade Center, rien n'avait été prévu pour ce qui concerne la vulnérabilité du canal, qui devait pourtant franchir la Somme grâce à un pont-canal en béton d'une longueur de 1 200 mètres. Si, par hypothèse, quelqu'un avait fait sauter ce pont-canal, l'eau se serait déversée dans la vallée de la Somme. Les biefs, c'est-à-dire les écluses les plus proches, se situant à 30 kilomètres en amont et à 5 kilomètres en aval, tous les villages des environs auraient été submergés, risquant ainsi de conduire à de nombreuses victimes. Nous avons donc émis une réserve et préconisé, en nous inspirant du canal de Madgebourg, en Allemagne, la création de portes de garde, c'est-à-dire d'immenses portes métalliques qui, par dépression et surpression, se seraient fermées en cas de destruction du pont. Le maître d'ouvrage, en l'occurrence Voies navigables de France, nous a indiqué que de telles portes coûteraient 250 millions d'euros, alors que la construction totale du canal, alors évaluée à 4,3 milliards d'euros, n'était elle-même pas financée ; l'ouvrage n'est d'ailleurs pas encore construit, même si l'Europe vient de s'engager à contribuer au chantier. Il m'avait alors été indiqué que cette réserve ne pourrait être levée.
Je me suis alors interrogé sur le sens de la réserve. Revient-il à la commission d'enquête de dire quel moyen technique mettre en place ? N'est-il pas préférable d'indiquer l'effet devant être produit ? Voies navigables de France a finalement mis en place deux commissions, chargées respectivement d'évaluer la vulnérabilité du canal et de proposer des solutions pratiques. La première commission a remarqué que le pont-canal se trouvait en dehors des couloirs aériens, ce qui écartait le risque de chute d'un avion de ligne. Par ailleurs, pour détruire le pont-canal, il aurait fallu installer une tonne d'explosif près de l'un des piliers, alors que toute la structure se situait dans une zone marécageuse, difficile d'accès. La première commission a donc conclu que le risque était très faible, tandis que la seconde préconisait la création d'un poste de contrôle spécialement dédié au pont-canal et la mise en place de caméras fonctionnant 24 heures sur 24.
J'en viens au cas de l'autoroute ferroviaire Atlantique. Celle-ci devait s'étendre sur 1 050 kilomètres, du nord de la France jusqu'au Pays Basque. L'enquête, prévue dans le « Grenelle II » de l'environnement, a fait l'objet d'un soin particulier, notamment de la part du ministère. Elle a mis en exergue un grave problème : cette autoroute ferroviaire devait traverser toute la région parisienne, déjà très fréquentée par des convois de voyageurs. Il aurait fallu procéder à des insonorisations considérables. Nous avons formulé une réserve importante : créer une voie dédiée au transport par ferroutage et contournant la région parisienne. Mme Ségolène Royal a entendu nos préoccupations, et cette autoroute ferroviaire n'a pas été construite.
Enfin, s'agissant de la ligne 18 du Grand Paris Express, il était prévu une participation du public par voie électronique. Pour la ligne 15 Ouest, moins sensible, nous avions reçu environ 600 observations et courriers. Sur la ligne 18, nous en avons reçu 4 695, dont 4 092 par courriels, accompagnés d'environ 11 000 pages de pièces jointes.
Avant d'être désigné comme président de cette commission d'enquête, j'avais assisté à certains des débats publics menés par la Commission nationale du débat public. Par exemple, à Versailles, pour réaliser la gare du Grand Paris Express, il fallait détruire une église protestante, ce qui suscitait une certaine émotion.
Surtout, un grave problème se posait au niveau de la liaison entre Saclay et Guyancourt : la ligne y était non pas enterrée, mais aérienne, ce qui suscitait une très forte opposition. Quand l'enquête publique a eu lieu, le dossier n'avait pas évolué. Aucune intégration paysagère n'était prévue et enterrer la ligne aurait coûté 700 millions d'euros de plus. Nous avons formulé des réserves sur l'insonorisation et l'intégration paysagère qui, selon moi, auraient déjà dû figurer dans le dossier. Aujourd'hui, le décret n'a pas encore été publié, mais la Société du Grand Paris s'est engagée à prendre en compte ces réserves, ce qu'elle aurait dû faire dès avant l'enquête publique.
Le modèle de l'enquête publique est-il propre à la France ? Est-il utilisé dans d'autres pays ? Sinon, comment procèdent ces derniers ? Comment trouvent-ils un équilibre entre les besoins de la collectivité et l'expression des citoyens ?
Certaines procédures se rapprochent de l'enquête publique française, mais aucune n'est équivalente. En Suisse ou au Luxembourg, cette procédure n'existe pas. Au Royaume-Uni, les public inquiries sont menées par des magistrats. La procédure la plus proche de la nôtre est celle du Québec, où elle est confiée à des fonctionnaires, alors que, en France, le commissaire enquêteur est un tiers indépendant. Au reste, cette indépendance a été renforcée par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement : désormais, quand ils acceptent une enquête, les commissaires doivent signer une déclaration sur l'honneur affirmant qu'ils n'ont aucun intérêt dans l'opération en cours.
Je le répète, la procédure de l'enquête publique française remonte à la Révolution française. Elle était une conséquence de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et visait surtout à mieux compenser les atteintes à la propriété.
La loi Bouchardeau a entraîné un important développement des enquêtes publiques, en les ouvrant aux préoccupations environnementales. Cette dimension, qui concerne aujourd'hui 90 % des enquêtes, n'a cessé de progresser : avec la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement - de façon significative, le mot apparaît -, l'on parle désormais explicitement d'enquête environnementale.
Dans les pays anglo-saxons, la procédure d'enquête publique n'existe pas. Ces pays privilégient la concertation ou la mise à disposition des dossiers, pour susciter la réaction des citoyens. Ce n'est qu'au Québec qu'il existe une procédure aussi structurée que chez nous. Des professionnels étudient le dossier et y entendent les citoyens, ou du moins ceux qu'ils veulent bien entendre.
Combien d'enquêtes publiques sont-elles menées chaque année dans notre pays ? Quel est leur coût moyen ?
En 2015, quelque 5 400 enquêtes ont eu lieu sur le territoire, contre 9 300 en 2013. La baisse vient de ce que de nouveaux textes ont relevé des seuils à partir desquels un projet doit faire l'objet d'une enquête publique, par exemple en matière d'autorisations d'installations classées ou d'élevages. Désormais, pour toutes ces opérations, il n'existe plus qu'un processus de consultation ou de simple mise à disposition des dossiers.
S'agissant du coût des enquêtes, je suis toujours agacée quand j'entends dire que celles-ci sont chères.
Oui ! En fait, l'intervention du commissaire public, dont l'indemnité ne s'élève qu'à 38,10 euros l'heure, coûte en moyenne de 1 500 à 2 000 euros seulement. Certes, il faut ajouter à cette somme les annonces légales, dans deux journaux différents, qui atteignent vite 3 000 euros. La CNCE estime d'ailleurs qu'une seule annonce serait efficiente et suffisante pour informer le public - qui regarde les annonces légales tous les jours pour savoir si une enquête publique est organisée ? - et que, en contrepartie, l'on pourrait favoriser la publicité sur le terrain, par exemple, en installant des panneaux annonçant la mise en oeuvre d'un plan local d'urbanisme ou la construction d'une installation classée. Il faut ajouter également, pour l'enquête publique, le coût considérable de la réalisation du dossier par des cabinets d'études.
Toutefois, si l'on compare avec les procédures de concertation qui accompagnent les infrastructures importantes, on se rend compte qu'un débat public, qui n'aboutit pas toujours à une conclusion positive, peut coûter de 700 000 à un million d'euros. Au total, il faut donc relativiser le coût de l'enquête publique et travailler à simplifier les dossiers présentés, qui sont trop complexes, trop foisonnants et trop difficiles à manipuler. J'aimerais que la dématérialisation permette d'avancer en ce sens.
Dans les enquêtes réalisées, quelle est la proportion des avis favorables, des avis défavorables et des avis favorables sous réserves ?
Les avis défavorables ne représentent que 4 % du total, ce qui est très peu. Dans l'immense majorité des cas, sont rendus des avis favorables avec réserves ou propositions d'améliorations. Le but de l'enquête est d'ailleurs d'offrir un regard extérieur qui permette d'améliorer le projet et d'accroître son acceptabilité sociale. Les grands porteurs de projet, qui ont été confrontés à des échecs retentissants, ont pris en compte cette dimension. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, des sociétés comme EDF ou la SNCF se paraient de la puissance publique et passaient en force. Désormais, ils ont compris que le public pouvait paralyser un projet.
S'agissant du canal Seine-Nord Europe, nous avions proposé la création d'une passerelle réservée aux machines agricoles, pour éviter que les agriculteurs dont les terres étaient traversées par cette infrastructure ne soient contraints de faire de trop longs détours. De même, Voies navigables de France a accepté d'acheter une habitation qui, sans être dans le couloir d'expropriation, se situait à 25 mètres de celui-ci et aurait donc connu d'importantes nuisances. Toutes ces mesures ont permis une meilleure acceptation sociale du projet de canal, ce qui est tout de même l'objectif visé par tous les porteurs de projet. Elles ont représenté environ 100 millions d'euros, à mettre en regard des 4,3 milliards d'euros du coût total du projet.
Pourquoi les coûts des enquêtes ont-ils augmenté ? Autrefois, pour la réalisation d'un plan d'occupation des sols, par exemple, les communes étaient aidées par les services de l'État. Or les directions départementales se sont recentrées sur leurs missions étatiques et les collectivités territoriales doivent donc faire appel à des cabinets d'études. Il n'est pas rare que, pour un PLU d'une commune de 10 000 habitants, un cabinet d'études exige de 50 000 à 60 000 euros.
S'agissant de l'exigence de publicité, l'autoroute ferroviaire Atlantique traversait 22 départements. La loi obligeant à faire deux annonces quinze jours avant l'enquête, et deux autres dans les huit premiers jours de celle-ci, il fallait faire au total 88 annonces locales et 4 annonces nationales. C'était trois fois le coût de la commission d'enquête elle-même !
Pourquoi les commissaires enquêteurs donnent-ils beaucoup d'avis favorables ? Un bon commissaire enquêteur doit aller au fond des choses, avec indépendance et en toute transparence, et examiner avec le porteur de projet ce qui peut être amélioré. Son objectif n'est pas d'arrêter un projet qui a déjà suscité beaucoup de frais et d'énergie. Quand un avis défavorable est rendu, c'est qu'il y a un problème grave et qu'aucune solution n'a été trouvée avec le porteur de projet. Le problème est que ces avis défavorables ne sont pas toujours suivis. Il arrive que le décideur choisisse de passer outre l'avis de la commission d'enquête, ce qui ne laisse pas de m'interroger.
Cela le devient ! Le porteur de projet doit alors en assumer les risques et ne doit pas s'étonner des levées de boucliers contre l'opération.
Il arrive que la participation à l'enquête publique soit extrêmement faible, ce qui est gênant pour l'enquêteur comme pour la collectivité. Quelles propositions formuleriez-vous pour favoriser la participation aux enquêtes publiques ?
Ce problème agite la communauté des commissaires enquêteurs depuis une trentaine d'années, et il est réel. Quand très peu de monde participe à l'enquête, le commissaire doit malheureusement se fonder sur le seul dossier. Or, les remarques qui lui sont faites par les citoyens lors de l'enquête peuvent susciter sa curiosité et le conduire à faire des découvertes. Dans le cas de l'élaboration d'un plan local d'urbanisme, par exemple, les gens qui se déplacent le font à 80 % pour un problème personnel. Les associations ont, quant à elles, une vision plus complète du projet. Elles ne sont pas les ennemies du commissaire enquêteur, au contraire.
À la vérité, nous n'avons pas vraiment la solution au problème de la faible participation. Quand il s'agit d'un plan local d'urbanisme, les choses ne se passent pas trop mal, car le maire a tout intérêt à en faire de la publicité. Quand plusieurs enquêtes publiques sont faites pour un même projet, on démobilise la population. La réglementation prévoit d'ailleurs la possibilité d'enquêtes conjointes. Par exemple, il y a eu, me semble-t-il, 14 enquêtes sur l'aménagement du Mont Saint-Michel. C'est trop ! Les gens ne savent plus pourquoi ils viennent.
Ensuite, les dossiers sont devenus d'une incroyable complexité. Pour la ligne 15 Sud du Grand Paris Express, le dossier pesait 80 kg. Il était intransportable ! Des dossiers qui, voilà une vingtaine d'années, auraient fait 500 pages, en font désormais 11 000. Les textes successifs ont ajouté de multiples strates, ce qui fait le bonheur des cabinets d'études, mais n'apporte pas grand-chose à l'enquête. Pour un problème d'insonorisation, par exemple, le dossier peut comporter jusqu'à plusieurs centaines de pages d'équations, alors que ce qui intéresse le public, ce sont les trois pages de conclusions. À cet égard, les associations jouent un rôle important car elles étudient le dossier et en font une synthèse pour leurs mandants. Ainsi, quand les gens viennent participer à l'enquête, ils ont les questions plus précises à poser.
S'agissant de la ligne 18 du Grand Paris Express, pourquoi la participation a-t-elle été si considérable ?
Parce qu'il y avait une très forte opposition. Les enquêtes publiques ont cette particularité qu'elles mobilisent davantage les opposants que les partisans d'un projet...
Sur ce point, la situation est peut-être en train d'évoluer, grâce à la dématérialisation des enquêtes publiques. Récemment, dans le cadre d'un projet d'éoliennes offshore, j'ai mené à Saint-Nazaire une importante enquête, pour laquelle la commission d'enquête avait souhaité créer un registre dématérialisé. Or nous nous sommes rendus compte que les personnes favorables au projet se manifestaient de cette façon, alors qu'elles ne seraient pas déplacées dans une mairie ou un lieu d'enquête. Nous avons reçu presque un tiers d'avis favorables, notamment de la part de jeunes.
Le numérique nous offre une ouverture intéressante et permet au commissaire enquêteur de développer un point de vue plus équilibré. La Compagnie nationale des commissaires enquêteurs promeut cette culture de la participation, qui doit se développer dans notre pays et être encouragée dès l'école.
Cette dématérialisation touche une autre couche de la population, qui connaît bien les outils numériques et peut envoyer des observations depuis son smartphone. Si l'on organise des permanences en semaine, on touche essentiellement des retraités ; ceux qui travaillent ne viennent pas. Si on organise des permanences le samedi matin, ils ne viennent pas non plus, parce qu'ils font alors leurs courses. Grâce à Internet, les gens peuvent nous adresser leurs observations à n'importe quel moment, le soir ou le dimanche matin. En outre, il arrive qu'ils nous écrivent depuis l'Allemagne ou le Royaume-Uni - la seule exigence est qu'ils le fassent en français !
Pour accroître la participation du public, il faut aussi lutter contre toutes les formes de conflit d'intérêts. Le commissaire enquêteur et le porteur de projet doivent être crédibles.
Par ailleurs, les élus ne doivent pas hésiter à faire des réunions d'information préalablement à l'enquête publique. Très souvent, nous notons une insuffisante information du public au préalable. Dans la formation que nous offrons aux commissaires enquêteurs, nous essayons de valoriser cet outil qu'est la réunion publique, alors que certains étaient encore réservés.
Il y a 25 ans, le commissaire enquêteur était un notable, qui avait fait auparavant une belle carrière. Aujourd'hui, il est plus jeune et il est devenu un professionnel de la procédure de l'enquête publique, qu'il doit connaître parfaitement, parce qu'elle a des conséquences juridiques et financières importantes pour le porteur de projet. Nous formons les commissaires pour qu'ils se sentent de plus en plus responsables.
Naturellement ! C'est d'ailleurs pour nous une garantie d'indépendance que d'être désignés par le président d'un tribunal administratif.
Certains projets importants sont affectés par ce que je qualifierais de cumul des procédures. Pour un même dossier, il peut y avoir plusieurs phases de concertation, d'enquête publique, etc. Avez-vous des propositions de simplification à formuler dans ce domaine ?
Pour les projets importants, notamment les infrastructures qui cristallisent les oppositions, il faut éviter le « saucissonnage » des procédures. On parle beaucoup aujourd'hui d'autorisation unique ou d'enquête unique, et nous y sommes tout à fait favorables. Pour être bien accepté, un projet doit être évalué globalement, sinon le public ne s'y retrouve pas. Si l'on multiplie les procédures, le public change d'une enquête à l'autre, et l'on revient donc sur l'opportunité du projet. C'est cela qui est dramatique !
Chaque fois que l'on peut, il faut réaliser la déclaration d'utilité publique en même temps que l'enquête parcellaire, cette dernière pouvant sinon être l'occasion de contester l'utilité publique.
L'ordonnance du 3 août 2016 part d'une bonne intention. Toutefois, elle va aboutir à « procéduraliser » en amont la concertation, ce dont je me suis inquiétée auprès de la commission présidée par Alain Richard. Ne va-t-on pas laisser passer trop de temps et susciter une force d'opposition alors que l'on recherchait une force d'initiative ? On va laisser les associations environnementales ou les élus demander de nouvelles études, ce qui risque de décourager le porteur de projet. Il serait préférable de mieux réfléchir en amont à l'opportunité de l'opération et interroger des collectifs de citoyens - il existe bien des formes de participation du public.
L'idéal serait que chaque possesseur de smartphone puisse réagir immédiatement grâce à une application dédiée aux enquêtes publiques. Nous partageons votre point de vue sur l'association des citoyens en amont dans l'élaboration de projets et sur le développement du numérique. Les réseaux sociaux sont incontournables ; nous devons faire avec eux.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est levée à 19 h 10.