Nous voici arrivés à l'avant-dernière étape de nos travaux, durant laquelle nos rapporteurs vont nous faire part de leur projet de rapport.
J'ai bien dit « avant-dernière étape », car comme vous l'aurez compris, nous allons nous réunir à nouveau pour examiner le rapport définitif, selon une procédure en deux temps, un peu calquée sur celle des commissions d'enquête.
Les rapporteurs souhaitent en effet que chaque membre de la mission puisse prendre connaissance de leurs conclusions et dispose ensuite d'un certain temps pour présenter, s'ils le jugent utile, des observations et des propositions d'amendements, que les rapporteurs pourraient, le cas échéant, intégrer dans leur rapport définitif. Je les remercie de cette initiative originale et constructive, tout en leur laissant le soin d'en préciser les modalités techniques.
À ce stade, je vous indique simplement que sauf contretemps, la réunion d'adoption définitive du rapport aura lieu mardi 5 juillet à 13 heures 30.
Nous pourrons ensuite procéder à un échange de vues. Je vous inviterai à des interventions assez brèves, de manière à ce que tous ceux qui le souhaitent puissent s'exprimer.
Bien entendu, notre réunion ne donne pas lieu à captation vidéo, mais il en sera établi un procès-verbal qui, conformément à l'usage, sera publié en annexe du rapport.
Je veux, pour finir, vous remercier d'avoir pleinement joué votre rôle, grâce à votre présence active à nos réunions et, pour certains, lors de nos déplacements, ainsi qu'à vos contributions.
Le sujet qui nous occupe est éminemment délicat, et nous avons souhaité le traiter avec le plus grand sérieux. Nous avions, au départ, des interrogations, dont nous avons, sur des points précis, suivi le fil. Il s'est agi pour nous, dans un premier temps, de dresser un état des lieux, et ce n'est qu'à mesure de nos auditions et de nos déplacements que sont venues les suggestions qui nous paraissaient indispensables.
Notre rapport retient sept points, sur lesquels nous avons établi, chaque fois, un état des lieux, et parfois, des propositions. Notre exigence de départ, presque sacramentelle, n'a pas varié, ainsi que nous le rappelons dans l'introduction de notre rapport écrit : la loi de 1901, toute la loi de 1901, rien que la loi de 1901. En revanche, nous avons relevé plusieurs problèmes, difficiles à qualifier et que nous avons fini par ranger sous les termes de « double sincérité de l'État », un État qui parfois intervient et parfois n'intervient pas, qui tantôt suggère et tantôt ordonne, dans une relation parfois difficile avec les communautés musulmanes - et cela fait l'objet de certains de certains de nos développements.
Dans la procédure, notre mission d'information s'est montrée d'emblée innovante. Nous avons, André Reichardt et moi-même, été nommé corapporteurs, un binôme que nous formions déjà pour assurer la coprésidence de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. C'est un choix qui s'explique par la nécessité de prendre en compte les aspects concordataires, qu'André Reichardt connaît parfaitement, mais aussi par le caractère délicat du sujet, qui justifie un travail à quatre mains, voire plus. C'est aussi pourquoi nous avons décidé d'appliquer à l'examen de ce rapport la procédure des commissions d'enquête : le projet que nous allons vous présenter sera déposé dans une salle où chacun pourra le consulter, et déposer ses amendements et ses contributions, sur lesquels nous procèderons à un vote lors de notre prochaine réunion. Le sujet mérite, à notre sens, cette procédure atypique, qui nous associe tous. On n'a pas tous les jours l'occasion de produire un rapport fouillé sur un tel sujet, qui touche à notre vie publique et à notre quotidien. Nous avons travaillé dans cet esprit tout au long de nos auditions et mettons beaucoup d'espoir dans ce rapport, car il n'existe pas, à ce jour, de véritable état des lieux sur la question. Nous avons eu des auditions et fait des déplacements étonnants, qui nous ont conduits à des observations fort intéressantes. Vous les retrouverez dans ce projet de rapport, auquel j'espère que vous pourrez contribuer en y apportant votre touche personnelle.
Nous avons travaillé dans sept grandes directions, avec le souci de dresser un état des lieux aussi précis que possible, de faire part de nos interrogations et le cas échéant d'apporter des réponses. Elles concernent la délimitation du périmètre de l'Islam en France ; le recrutement et la formation des ministres du culte musulman exerçant en France - question essentielle si l'on veut lutter contre la radicalisation ; la clarification des sources de financement pour la construction et le financement des lieux de culte ; l'organisation et la transparence de la filière halal, marquée par une grande opacité ; l'organisation, la gouvernance et la représentativité de l'organe en charge du culte musulman, le Conseil français du culte musulman (CFCM) ; l'enseignement confessionnel musulman en France ; et pour finir, un rappel de la législation et de la jurisprudence touchant aux questions pratiques auxquelles les représentants des collectivités territoriales, et au premier chef les maires, sont confrontés.
Quel est le périmètre de l'Islam en France ? Rendre compte du nombre de musulmans dans notre pays suppose de bien définir les personnes appartenant à la communauté musulmane. Or, cette dernière expression, ainsi que nous nous en sommes rendu compte au cours de nos travaux, reste une commodité de langage, et la communauté musulmane est à ce point plurielle qu'il serait plus juste de parler des communautés musulmanes.
Le nombre de musulmans en France continue de faire débat. Les estimations fluctuent entre 4 et 7 millions, ce n'est pas rien ! Et cela est dû à l'absence de données officielles : le recensement général ne comporte plus, comme cela était le cas par le passé, et à la différence de ce qui a cours dans d'autres pays européens, de questions, même optionnelles, sur le rattachement à un culte. Moyennant quoi, on ne connaît pas le nombre de musulmans en France, ni le nombre de mosquées - environ 2 500, aux dires des intéressés - pas plus que le nombre d'imams. D'où une interrogation : faut-il en rester au statu quo ? Les conclusions de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), dont nous avons entendu les représentants, font ressortir deux points importants. En premier lieu, l'établissement de statistiques sur les cultes ne se heurte à aucun obstacle juridique majeur, pour peu qu'il s'entoure des garanties adéquates et ne conduise pas, bien entendu, à un registre nominatif. En second lieu, il serait possible d'établir des résultats fiables au travers d'enquêtes périodiques telle que l'enquête Trajectoires et origines (TeO) ; laquelle cependant, au regard des moyens de l'Insee, ne peut avoir lieu que tous les huit ans au mieux - or, compte tenu du développement exponentiel des communautés musulmanes, cette périodicité est trop espacée. Vos rapporteurs ont donc tranché - et nous vous appelons à vous exprimer sur ce point - en faveur de la réalisation, tous les quatre ans au moins, dans les limites légales précitées, d'une enquête sur l'appartenance religieuse de nos concitoyens. Ce qui suppose d'affecter à l'Insee les moyens humains et financiers nécessaires.
Au delà de la question du nombre, un constat doit être posé : celui de la place des pays d'origine, et principalement l'Algérie, le Maroc et la Turquie, dans l'organisation du culte musulman en France. Globalement, quoiqu'à des niveaux variables selon les pays concernés, les leviers d'influence de ces trois grands États d'origine se situent à six niveaux principaux. En premier lieu, dans les rapports avec les mosquées implantées sur le territoire national et avec les associations cultuelles ou culturelles qui les gèrent ; en deuxième lieu, dans la répartition tripartite et sur une base essentiellement nationale des trois principales fédérations musulmanes françaises, avec respectivement la Grande Mosquée de Paris, d'influence algérienne, le Rassemblement des musulmans de France (RMF), d'obédience marocaine et le Comité de coordination des musulmans turcs de France ; en troisième lieu, dans la composition et la gouvernance du Conseil français du culte musulman, à telle enseigne que quel que soit le résultat de l'élection, c'est toujours l'une de ces trois mouvance qui obtient la présidence. Ainsi, en 2003, lors des premières élections au CFCM, bien que l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ait gagné, c'est Dalil Boubakeur, rattaché à la Grande Mosquée, qui a été désigné président.
L'influence des pays d'origine s'exerce, en quatrième lieu, dans la désignation et la rémunération des imams. Elle pèse, en cinquième lieu, sur le dispositif de formation des imams. Il existe en France trois centres de formation, dont l'un est rattaché à l'Algérie tandis que les deux autres le sont à l'UOIF, lui-même sous influence des Frères musulmans. Elle se fait sentir, en sixième lieu, dans l'organisation de la filière halal. Trois mosquées françaises sont habilitées par arrêté ministériel à délivrer des cartes de sacrificateur, dont l'une est d'obédience algérienne, et une autre d'obédience marocaine.
Dans tous les aspects du fonctionnement de l'Islam, ainsi que vous le verrez au long du rapport, on voit prédominer ces trois communautés.
La formation des imams, deuxième point de notre rapport, est un sujet crucial. La « religion des imams », dans son versant sunnite, majoritaire, se fonde sur l'absence de clergé constitué. L'Islam sunnite est une religion du sacerdoce universel. Cependant, ainsi que l'a souligné la chercheuse Solenne Jouanneau lors de nos auditions, l'imam autoproclamé n'existe pas, puisque l'imam est, par définition, choisi par sa communauté de fidèles. Contrairement à ce que l'on entend ici et là, si n'importe quel fidèle peut devenir imam, tout imam ne l'est que par désignation de sa communauté, généralement parce qu'il est jugé le plus savant. Néanmoins, si l'imam autoproclamé est un mythe, l'imam salafiste n'en est pas un. L'imam Rachid Abou Houdeyfa, qui exerce dans une petite mosquée de Brest, est un exemple de ces imams désignés par une communauté radicale, réduite en nombre, qui prennent appui sur ce statut pour diffuser des propos radicaux sur internet et les réseaux sociaux. Ceci pour dire que le caractère universel du sacerdoce dans l'Islam sunnite ne saurait remettre en question l'exigence d'un encadrement formé, maîtrisant non seulement la théologie musulmane mais le contexte français. J'espère que les membres de notre mission adhèreront à nos développements sur ce point essentiel.
Les statuts des ministres du culte sont divers. Les imams détachés, tout d'abord, constituent un palliatif qui renforce les pays d'origine. Ces imams étrangers sont financés par les pays étrangers, par la voie de détachement de fonctionnaires, dans le cadre d'accords bilatéraux - dont vous aurez copie au rapport - qui constituent à mon sens la violation la plus manifeste de la loi de 1905 : de tels accords entre l'État français et un État étranger, sur un sujet relevant pleinement de l'organisation du culte, n'ont pas lieu d'être. D'après les informations du ministère de l'Intérieur, 150 imams sont envoyés par la Turquie, sous l'appellation d'assistants sociaux, 120 par l'Algérie et 30 par le Maroc. Au total, ce sont 301 imams, sur quelque 2 500 lieux de culte, qui sont financés par les États étrangers. La France n'est au reste pas le seul pays concerné : en Allemagne, l'État turc finance environ 970 imams.
Cette pratique illustre ce que nous avons appelé la double sincérité du discours officiel. Vos rapporteurs se sont interrogés sur la nature juridique et la teneur de ces accords, dont ils ont obtenu communication : il existe, en l'espèce, trois déclarations d'intention bilatérales non soumises à approbation ou ratification du Parlement, encadrant la coopération dans plusieurs domaines en lien avec le culte musulman.
L'idée directrice qui sous-tend ces conventions est qu'en privilégiant le recrutement d'imams sélectionnés et formés dans ces pays selon des canons stricts, la France sera mieux à même de prévenir certaines dérives, car en contrepartie, les imams étrangers invités dans ce cadre à exercer sur le territoire national sont soumis à un certain nombre d'exigences - en matière d'apprentissage du français, notamment - qui conditionnent l'octroi et le renouvellement de leur visa.
Au-delà de dispositions techniques assez classiques, la déclaration d'intention conclue avec l'Algérie va même plus loin, les signataires déclarant souhaiter « accompagner l'émergence en France d'une pratique religieuse musulmane conforme aux valeurs de la République et respectant le principe de la laïcité et de la citoyenneté ».
Nous avons constaté, grâce à l'audition des ambassadeurs des pays concernés, que le Maroc alloue une enveloppe s'élevant, en 2016, à 6 millions d'euros, et l'Algérie, autour de 4 millions d'euros, consacrés à la formation de ces imams.
Si ces accords de coopération apportent sans doute un appui utile au culte musulman en France, ils entretiennent néanmoins un doute sur la position française.
Des constatations que nous avons pu effectuer, il ressort que ces imams ne maîtrisent généralement pas la langue française. Et leur présence contribue à pérenniser l'influence, sur le culte musulman en France, de pays étrangers, que l'on entend pourtant atténuer.
Je pensais que la connaissance de la langue française conditionnait l'obtention du visa ?
En effet. J'ajoute que ces imams détachés ne sont pas non plus constitués en réseau - c'est l'objet de l'une de nos propositions. En Algérie, le ministère des affaires religieuses a organisé un concours pour sélectionner des imams appelés à venir en France. Or, certains ne parlent pas le français ou à peine et, quand ils arrivent sur le territoire national, ils sont perdus, ils ne savent pas ce que c'est qu'un maire et n'ont aucune expérience de la France : seuls six ou sept sur quarante y était déjà venus.
À ces imams détachés s'ajoutent des psalmodieurs occasionnels qui viennent pour le ramadan. Rien là que de très normal. En revanche, constater que l'on en vient à souhaiter que dans les mosquées françaises, qui s'adressent à une population musulmane française, des imams soient envoyés par l'étranger a de quoi interpeller.
Il serait plus juste de parler de schizophrénie que de double sincérité...
Je vous l'accorde. Disons que, dans le cadre de notre travail conjoint, cette expression a été jugée plus élégante...
Les mosquées qui n'ont pas la « chance » de bénéficier d'un imam rémunéré par un État étranger recrutent leur propre imam. À cet égard, Solenne Jouanneau a d'ailleurs montré dans son ouvrage que la fonction était souvent conçue par la communauté dans sa majorité comme « désintéressée » et qu'un imam qui réclamerait un salaire fixe pourrait, pour des raisons éthiques autant que financières, être mal accueilli par les fidèles. Reste qu'il existe des imams rémunérés, soit à plein temps soit à temps partiel. Compte tenu des ressources limitées de la plupart des mosquées, les revenus versés sont souvent limités : plus de la moitié des imams, hors imams consulaires, bénéficient d'un traitement inférieur à 1 000 euros par mois.
En contradiction avec, d'une part, la volonté, partagée par tous les acteurs, de voir la formation des imams renforcée, et d'autre part, la réalité économique de la fonction, l'absence de statut de l'imam constitue un réel problème.
J'en viens à ce marronnier que constitue la question des prêches en français. Les meilleurs spécialistes, parmi lesquels le gouverneur de la Mecque et les ministres du culte que nous avons entendus, considèrent que la khotba peut et doit être prononcée dans la langue du pays. Il n'y a aucune opposition religieuse sur ce point. Vos rapporteurs suggèrent donc que les prêches puissent se dérouler en français, via une traduction, au besoin. Il n'y a pas lieu de se crisper sur cette question, qui se résoudra d'elle-même dès lors que nous aurons des imams formés en France et pratiquant le français. Voyez d'ailleurs les imams turcs : ils ne prêchent pas en arabe mais en turc, car leurs fidèles ne parlent pas l'arabe.
Je ne m'aventurerai pas à contredire le président du groupe d'amitié France-Irak, mais ce que je veux dire, c'est qu'il faut éviter de faire une polémique de cette question.
Il existe néanmoins des formations en France. À l'institut européen des sciences humaines de Château-Chinon, où nous nous sommes rendus, nous avons pu constater l'étendue du cursus et les ambitions de ce centre de formation, qui entend échanger avec la société civile. Cet institut accueille tant des couples que des célibataires et organise des colonies de vacances mixtes ouvertes à tous, avec des activités sportives dans les infrastructures de la ville, y compris la piscine. Notre visite a ainsi battu en brèche l'idée qu'il s'agirait d'une pépinière du salafisme, et la mixité qu'on y constate, notamment, est un signe fort d'adhésion aux principes de la République. L'institut El Ghazali, rattaché à la Mosquée de Paris, forme quant à lui entre trente et cinquante imams.
Vos rapporteurs émettent le voeu de voir s'établir un programme commun de formation, qui pourrait à terme être labellisé. Certes, les formations restent éclatées, mais elles témoignent qu'existe bien, sur le territoire, une offre de formation à l'intention des musulmans français qui veulent devenir imams. Répondant à la question de notre excellent collègue Rachel Mazuir, le président du CFCM a indiqué qu'il existait un travail d'harmonisation. Il serait d'autant plus judicieux de le mener à terme que la formation est parfois critiquée. Les instituts de formation des imams gagneraient, pour nous, à se doter d'un conseil scientifique commun, chargé de définir un programme commun pour la formation des ministres du culte musulman en France, auquel il nous paraît indispensable d'ajouter des formations laïques complémentaires. Quelques exemples suffiront à illustrer cette nécessité. Les imams qui arrivent de Turquie n'ont aucune idée du génocide arménien, qui fait partie de notre bloc de légalité. Quant aux imams en provenance d'Algérie ou d'ailleurs, ils ont tendance à associer tout Juif à Israël, lui-même associé au sionisme, lui-même regardé comme la cause de l'assassinat du peuple palestinien. Il faut donc absolument dispenser une éducation à la Shoa...
sans laquelle ceux qui arrivent dans notre pays ne peuvent rien comprendre à la société française. À quoi il convient d'ajouter une formation à la prévention et à la détection de la radicalisation, ainsi qu'aux principes de notre justice pénale, parmi lesquels la lutte contre les discriminations, y compris l'homophobie, et l'interdiction de la peine de mort et de la torture.
Vous l'aurez compris, la formation à l'étranger ne saurait être, à notre sens, qu'une solution transitoire. D'autant que les ministres du culte des trois pays dont nous avons souligné l'influence sur notre territoire national ne se parlent pas entre eux. La conférence des ministres du culte un temps envisagée n'a malheureusement jamais fonctionné. Il est pourtant essentiel que ces personnalités se rencontrent - et pourquoi pas à Paris - tant est puissante, pour le moment, leur influence sur l'Islam de France.
Voilà pour ce chapitre, crucial. Si l'on n'y prend garde, on risque de s'engager dans une dérive qui peut durer des années. On ne peut pas construire sur du sable et faire fond sur un système de court terme, extrêmement permissif...
J'insiste à mon tour sur ce point. Si l'on ne change rien à la formation des imams, on se prépare des décennies de difficultés, car c'est dans les prêches que se transmet le venin.
J'en arrive à la question du financement du culte, marqué par l'opacité et la confusion. Dans son rapport sur les collectivités locales et le financement des lieux de culte, notre collègue Maurey dressait, il y a deux ans, trois constats essentiels. Le financement de la construction et de l'entretien des mosquées, tout d'abord, est majoritairement assuré par la communauté musulmane, grâce aux dons de fidèles ; le financement par les États étrangers existe, mais il est plutôt faible en comparaison des sommes mobilisées par les musulmans eux-mêmes ; les associations musulmanes, enfin, font généralement le choix de ne pas se constituer en associations cultuelles, telles que prévues par la loi de 1905 pour la gestion des cultes.
Nos travaux ont permis de confirmer et d'enrichir ce triple constat. Sur le financement du culte par les fidèles, je me contenterai de quelques exemples, éloquents. La zakat, ou l'aumône, l'un des cinq piliers de l'Islam, prescrit à chaque musulman de distribuer 2,5% de ses revenus. À Massy, la communauté musulmane serait en mesure de rassembler 500 000 euros par an. À Gennevilliers, l'association cultuelle de la mosquée aurait récolté 1,3 million d'euros au cours du seul mois de ramadan.
Quant au financement étranger, il reste marginal, mais suscite des interrogations. Nous nous sommes efforcés d'obtenir des chiffres aussi précis que possible, pour chaque communauté d'origine - Turquie, Maroc, Algérie, mais aussi Arabie saoudite, dont l'ambassadeur nous a indiqué que l'État avait versé 3 759 400 euros exactement pour le financement de huit mosquées françaises, pour des aides allant de 200 000 à 900 000 euros par projet, précisant de surcroît que son pays finance le salaire de quelque quatorze imams, exerçant dans des mosquées en France - en dehors de toute convention bilatérale - et ajoutant que ces sommes ne sont pas exclusives de celles qui pouvaient être versées par des donateurs privés. Si l'on ne peut établir le montant de ces dons privés, ils existent bel et bien, comme en atteste le fait que quelques-uns ont transité par l'ambassade.
Les associations qui gèrent les mosquées, enfin, sont majoritairement des association loi de 1901, et non pas des associations cultuelles, prévues par la loi de 1905. Pourquoi, alors qu'une association cultuelle peut recevoir des dons et legs, tandis que les donataires peuvent bénéficier à ce titre de la réduction fiscale prévue par l'article 200 du code général des impôts, ne choisissent-elles pas ce régime ? C'est qu'il emporte plusieurs obligations : outre que les associations cultuelles doivent transmettre leurs comptes annuels à la préfecture, la loi de 1905 prévoir un contrôle financier par le ministère des finances ou l'inspection générale des finances. Ceci explique cela.
Pourtant, la logique de la loi de 1905 voudrait que toute association gérant un lieu de culte se place sous le régime de l'association cultuelle, et une association gérant une mosquée devrait s'y conformer, même si elle exerce aussi par ailleurs des activités culturelles : celles-ci peuvent sans difficulté être disjointes dans une association placée sous le régime de la loi de 1901. C'est ce que vos rapporteurs préconisent.
J'en arrive à la Fondation pour les oeuvres de l'Islam de France, créée par Dominique de Villepin. Malheureusement, cet outil, fait pour dénouer le lien de dépendance entre les pays d'origine et les principales associations et organiser la transparence sur le financement, est mort-né, car les associations musulmanes de France et les États étrangers n'ont pas souhaité le mobiliser et parce que s'y pose, de surcroît, un problème structurel de gouvernance, ainsi que l'a souligné le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, qui nous a indiqué que la Fondation « a dysfonctionné dès sa naissance parce qu'elle a été composée, comme le CFCM, par blocs qui ne s'entendent pas ». Nous vous ferons une proposition visant à recomposer cette gouvernance. Récemment, un haut fonctionnaire du ministère de l'intérieur a été nommé directeur de projet, chargé de la préfiguration d'une nouvelle fondation de l'Islam de France. Vos rapporteurs jugent qu'il appartient à la communauté elle-même de relancer ce processus, même si l'État peut l'accompagner.
Une double évolution, répondant à la fois au souci de transparence et à la volonté de fléchage des financements étrangers, pourrait être envisagée. Nous souhaiterions qu'il soit prévu, sous la forme d'une bonne pratique recommandée auprès des pays partenaires, que les versements effectués par les États transitent nécessairement par la Fondation et que soit organisé, à travers une comptabilité analytique précise, un fléchage des financements de chaque État vers la ou les associations que celui-ci souhaite financer. À cette dernière condition, qui leur permet de continuer à exercer leurs choix, les pays étrangers sont prêts à s'engager dans cette voie.
L'organisation de la filière halal est elle aussi marquée par l'opacité. Il n'existe pas de norme halal unique, comme cela est le cas pour le casher. Si bien que l'idée d'instituer une taxe halal relève du fantasme.
Nos auditions nous ont permis de constater que le halal est entré à plein régime dans la société de consommation. Sous le vocable halal, tout un marché s'organise, estimé à plus de 6,5 milliards d'euros.
Et jusqu'à un sex shop halal, comme nous le mentionnons dans le rapport !
Comment l'État assure-t-il l'encadrement réglementaire de cette filière à l'organisation peu lisible ? Je ne reviens pas sur les conditions de l'abattage rituel, auxquelles un précédent rapport, qui n'a pas fait l'unanimité, a consacré de longs développements. En revanche, l'État a mis en place un régime d'agrément officiel : trois mosquées sont aujourd'hui habilitées à délivrer des cartes de sacrificateur. Ces cartes sont vendues selon des règles propres à chacune de ces mosquées. La Grande Mosquée de Paris, qui en vend jusqu'à 300, nous a indiqué pratiquer un prix forfaitaire de 160 euros ; celle d'Evry en délivre aussi un certain nombre, pour un produit de 250 000 à 300 000 euros ; à quoi s'ajoutent celles que délivre la mosquée de Lyon, également habilitée. Face à l'opacité de ce système de certification, nous proposons d'établir des règles communes quant aux modalités de délivrance des cartes. Beaucoup de critiques émanant de la base dénoncent un système perçu comme un oligopole. Or, rien n'interdit de modifier le champ des mosquées habilitées, puisque, comme nous l'a indiqué le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur, toute mosquée est éligible à habilitation. On pourrait donc imaginer une habilitation par région ou du moins rappeler que toute mosquée peut déposer une demande d'habilitation. Car cette faculté semble rester méconnue. Je vous ferai grâce des détails de l'important contentieux suscité par un système de certification opaque qui n'apporte pas, de surcroît, les garanties sanitaires qu'est en droit d'en attendre le consommateur.
Il semble difficile, eu égard à la multiplicité des acteurs, de parvenir au consensus nécessaire à l'unification de la filière halal. Or, en l'absence d'une charte commune au halal, il est impossible de mettre en place la taxe halal que l'on entend souvent préconiser. Du strict point de vue de la technique fiscale, il est vrai, une taxe appliquée sur la viande vendue comme halal serait envisageable. Son assiette pourrait reposer sur le kilogramme de viande vendu sous cette appellation, auquel un taux de quelques dizaines de centimes pourrait être appliqué, dont serait redevable, sur le modèle de la cacherout, le commerçant utilisant l'appellation halal. Toutefois, la mise en place d'une telle taxe se heurterait à des difficultés non seulement de mise en oeuvre mais de principe - au premier rang desquels le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt - ce qui conduit vos rapporteurs à conclure à l'impossibilité d'une taxe halal destinée à financer le culte. En revanche, on pourrait parfaitement imaginer une redevance pour service rendu, au stade du contrôle sanitaire, à cette double condition qu'elle soit mise en place par les représentants du culte musulman eux-mêmes, et que son produit aille à la Fondation pour les oeuvres de l'Islam de France.
À condition aussi que les différentes composantes de la communauté musulmane s'accordent sur une norme commune.
Formation des imams, poids des pays d'origine, problèmes de financement, conflits récurrents liés à la filière halal : vous l'avez compris, l'état des lieux que nous avons dressé fait apparaître une série de difficultés. Et force est de constater que le Conseil français du culte musulman n'appréhende pas, à l'heure actuelle, ces questions. D'où nos interrogations. Les premières élections au CFCM, en avril 2003, ont vu, comme je l'ai dit, la victoire de l'UOIF, affiliée aux Frères musulmans. N'ayant pu, cependant, constituer le bureau, tenu en mains par les trois pays que j'ai mentionnés, elle a quitté le Conseil. Se pose donc, à tout le moins, la question de la représentativité du CFCM.
Pour autant, le Conseil s'est imposé, au fil du temps, comme la seule institution avec laquelle l'État puisse nouer des relations en vue de traiter les questions relatives au culte musulman. Fort d'une expérience de douze ans, il s'est clairement imposé comme l'organe représentatif du culte musulman, bien que sa représentativité et sa légitimité soient remises en cause par les musulmans eux-mêmes. Toutes nos auditions ont montré que cette instance est devenue un lieu de pouvoir que se disputent des associations sur lesquelles plane l'ombre portée des pays d'origine. Ahmed Ogras, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France, relève ainsi que le CFCM est élu « par de grands électeurs déconnectés de la réalité », ajoutant que « son point faible est de ne pas représenter la base » - ce que nous ont confirmé, en des termes plus catégoriques encore, certains intervenants issus de cette base.
Le CFCM apparaît aussi de plus en plus en décalage avec la jeune génération, qui dit clairement ne se sentir absolument pas représentée par ceux qu'elle appelle « les blédards », venus de leur pays d'origine tandis qu'eux-mêmes sont nés en France. Plusieurs de nos auditions nous ont fait mesurer le fossé qui sépare les représentants de nombreuses associations musulmanes des représentants officiels du culte musulman, les premiers déniant aux seconds toute légitimité de parler au nom des musulmans de France.
Quels choix s'offrent, face à cela, à l'État ? Le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, qui relève que le CFCM a très vite été décrié, n'en observe pas moins qu'il demeure « l'organe le plus représentatif du culte musulman dans notre pays ». L'alternative qui s'offre à l'État est pour nous la suivante : soit il laisse à la communauté musulmane le soin de s'organiser elle-même, à l'instar des Britanniques, comme cela a été le cas jusqu'à présent, soit il s'empare de la question de l'organisation du culte musulman en estimant que ce sujet relève de l'ordre public national, compte tenu du contexte international, des enjeux liés au terrorisme et à la prévention de la radicalisation, ainsi que de la nécessité de protéger la population, à commencer par les musulmans eux-mêmes.
Vos rapporteurs considèrent qu'il appartient aux communautés musulmanes de se prendre en mains. Le CFCM, tout décrié qu'il soit, existe bel et bien : nous l'appelons à s'organiser dans le cadre de nouvelles modalités tenant mieux compte des exigences de représentativité, en se dotant de nouveaux statuts, qui, à tout le moins, n'interdisent pas à ceux qui ont gagné les élections d'exercer le pouvoir... Songeons que l'article 4 des statuts actuels assure aux fédérations déjà présentes au sein du Conseil l'équivalent d'un droit de véto contre l'arrivée d'une fédération concurrente.
Et l'on sait combien il peut être aisé, à l'heure du numérique et des réseaux sociaux, de créer une fédération. Or, toute nouvelle fédération qui voudrait adhérer au CFCM, outre qu'elle doit répondre à des conditions minimales de taille et d'implantation sur le territoire - au moins cinquante lieux de culte permanents affiliés dans au moins huit régions, avec un minimum de cinq mosquées par région - doit, après avoir déposé une demande écrite et souscrit aux textes de référence du Conseil, recueillir l'accord des quatre cinquièmes des membres du bureau puis des quatre cinquièmes des membres de l'assemblée générale.
Autant dire que la tâche est impossible. C'est pourquoi nous nous permettons de demander aux musulmans eux-mêmes, dans le respect de la loi de 1905, d'y mettre un peu d'ordre.
Avant que vous n'en veniez au point suivant, je donne un instant la parole à Evelyne Yonnet, qui doit nous quitter pour rejoindre l'hémicycle.
S'il s'agit d'entamer la discussion, permettez-moi de faire d'abord observer que cet exposé passionnant appelle un débat fouillé. Non pas que nous ayons d'objection sur le fond, mais les modalités à retenir méritent des échanges approfondis. C'est la première fois que le Parlement aborde ce sujet au fond ; nous pouvons arriver à une convergence, mais ce n'est pas en une demi-heure que nous le ferons.
Je n'interviens à ce stade que parce que je dois malheureusement vous quitter. Je veux remercier notre présidente, ainsi que les rapporteurs, pour la synthèse qu'ils nous ont présentée. J'ai moi-même apporté une contribution et je n'ai à ce stade pas d'objection à opposer à leur propos, dans lequel je me retrouve. Nous sommes au reste tous d'accord pour notre travail sur les principes de la loi de 1905.
Une question, cependant : il n'a pas été question, dans votre exposé, de ces acteurs importants que sont les aumôniers.
C'est juste, j'ai longuement évoqué les imams, si bien que je les ai laissés de côté, mais vous retrouverez les développements sur les aumôniers dans le rapport écrit, qui traite de cette question.
Tant mieux, car les aumôniers peuvent jouer un rôle important dans la prévention de la radicalisation.
Ce que nous préconisons, c'est que les aumôniers aient au moins le niveau de formation que l'on prescrit pour les imams. Cette formation doit passer par un tronc commun élaboré par un conseil scientifique fait de théologiens et d'universitaires, et s'adosser à un diplôme d'université, incluant, ainsi que nous en avons donné quelques exemples, un enseignement de l'histoire.
En matière de financement du culte, je m'interroge vraiment sur les chiffres que vous nous avez communiqués. Ceux que vous avez cités pour Gennevilliers, qui est une ville assez pauvre, ont de quoi surprendre. Pour moi, il existe des sources de financement occultes.
D'où l'utilité de l'obligation faite aux associations cultuelles de transmettre leurs comptes.
Je suis favorable à l'idée d'une gestion de ces sommes par la Fondation pour les oeuvres de l'Islam. Ce qui suppose une entente des grandes associations que vous avez citées. Car le fait qu'elles ne s'entendent pas pose toutes sortes de problèmes, y compris pour la formation des imams. En même temps, je ne me sens pas le droit d'intervenir. La seule exigence que l'on puisse mettre en avant, c'est le respect des règles qui s'appliquent sur le sol français. Je m'arrête là, car j'apporterai ma contribution. Et je tiens à ce que les observations que j'ai eu déjà eu l'occasion de formuler soient rendues publiques.
Je rappelle à François Grosdidier que ce n'est pas aujourd'hui mais lors de notre réunion du 5 juillet que nous serons amenés à nous prononcer sur le rapport. Vous aurez pu prendre connaissance du projet de rapport qui nous est aujourd'hui présenté dans tous ses détails, selon les modalités que nous avons indiquées, et nous faire parvenir vos contributions et propositions d'amendement.
À compter de demain et jusqu'au jeudi 30 juin, ce projet de rapport sera disponible dans une salle où vous pourrez en prendre connaissance, et faires vos propositions, sur lesquelles nous voterons, le 5 juillet.
C'est la première fois que je vois cela ! Pourquoi ne peut-on avoir en main ce projet, pour y travailler chez soi ?
Nous avons retenu la procédure qui s'applique aux commissions d'enquête.
Personnellement, j'y suis favorable. Sinon, le rapport sera dans la presse avant que nous l'ayons adopté !
Je reprends le fil de notre exposé, pour en venir à l'enseignement confessionnel musulman. Il n'est apparu qu'au début des années 2000, car l'Islam est en France une religion plus récente que les autres. Cet enseignement privé répond assurément à une demande de nombre de familles musulmanes, qui, comme dans d'autres confessions, souhaitent que leurs enfants reçoivent à l'école un enseignement de qualité, conforme aux normes définies par l'Éducation nationale mais incluant des heures d'enseignement religieux. Il existe à l'heure actuelle 49 établissements confessionnels musulmans, dont cinq seulement sont sous contrat. Ces 49 établissements scolarisent plus de 5 000 élèves, dont 4 343 dans des classes hors contrat. Le nombre d'élèves a presque doublé en trois ans, ce qui témoigne d'une vraie demande.
L'enseignement privé musulman doit naturellement satisfaire aux mêmes objectifs et répondre aux mêmes obligations que les autres filières du système éducatif français. La création de tout établissement confessionnel privé passe actuellement par un système déclaratoire, assorti d'une faculté d'opposition de l'administration. Le ministère de l'Éducation nationale réfléchit cependant à une évolution de ce régime, à telle enseigne que le 9 juin, la ministre a annoncé la présentation d'un projet de loi faisant évoluer le régime des établissements hors contrat, pour passer d'un contrôle a posteriori à un contrôle a priori, soit à un régime d'autorisation préalable. Vos rapporteurs, considérant qu'instaurer un meilleur contrôle sur la création d'établissements privés hors contrat ne peut qu'accroître les garanties d'y voir dispensé un enseignement de qualité, conforme aux valeurs de la République, quelle que soit la confession concernée, voient cette annonce d'un bon oeil.
N'oublions pas cependant que la difficulté porte aussi, comme on l'a vu, sur la question de la contractualisation.
Pour passer sous contrat, l'établissement doit d'abord fonctionner hors contrat pendant quatre ans. Or, comme je l'ai souligné, la création d'établissements confessionnels musulmans est relativement récente : l'exigence de délai explique aussi pourquoi beaucoup d'écoles musulmanes ne sont pas encore sous contrat. L'intérêt du contrat pour l'établissement est évident. Une fois qu'il a changé de statut, la rémunération des enseignants est prise en charge par l'État et les dépenses de fonctionnement sont assumées par ce dernier ou par les collectivités locales selon le cas.
Mais quel que soit son statut, un établissement confessionnel reste avant tout un établissement d'enseignement, et il doit satisfaire aux normes fixées par la réglementation en matière d'instruction obligatoire et de méthodes pédagogiques. Les élèves doivent, en particulier, y acquérir le même socle commun de connaissances que dans les établissements publics. Le code de l'éducation prévoit ainsi que les établissements hors contrat peuvent être inspectés à tout moment, a fortiori les établissements sous contrat.
Lors de leur audition, les responsables de l'Éducation nationale nous ont indiqué que les rapports d'inspection n'avaient pas mis en évidence de dérive particulière dans les établissements confessionnels musulmans. Pas de radicalisation, pas de rejet des programmes ou des valeurs communes : cela vaut la peine de le souligner - étant tout de même entendu que l'on n'a pas su nous fournir de chiffres sur le nombre d'inspections effectuées. Vos rapporteurs estiment indispensable de disposer de ces données, que nous allons demander par écrit.
Ceux de l'inspection de l'Éducation nationale, qui les conduit. Le premier contrôle a lieu, nous a-t-on indiqué, après un an de fonctionnement. Pour nous, un établissement qui s'ouvre devrait être contrôlé dès le départ, pour s'assurer que le socle commun de connaissances est bien transmis.
Il faut savoir que l'enseignement privé catholique n'est pas très fringant sur ces questions. Or, les règles qui seront définies vaudront pour toutes les confessions.
Ils sont recrutés par l'établissement privé et, lorsque celui-ci est sous contrat, rémunérés par l'État. Il est vrai que cette question du recrutement, et de la qualité des maîtres, mérite d'être posée. Dans les établissements hors contrat, le coût de la scolarité peut représenter un gros sacrifice pour les familles. Si bien que les gestionnaires de ces établissements recherchent, pour limiter ces coûts, une aide extérieure. C'est ainsi que des fondations, surtout des pays du Golfe, aident à financer la mise en place d'établissements privés musulmans, non pas en apportant une aide au fonctionnement mais par l'achat de bâtiments ou la fourniture d'une caution bancaire. Mentionnons la Banque islamique du développement, basée à Djedda, la Fondation Qatar Charity, le Croissant rouge, à quoi s'ajoutent d'autres institutions au Koweit ou aux Émirats Arabes Unis. Ce mécanisme, selon vos rapporteurs, n'est pas satisfaisant.
La Fondation pour les oeuvres de l'Islam ne pourrait-elle jouer un rôle, même si ce n'était pas sa mission de départ ?
Pour nous, la Fondation doit financer avant tout la formation des imams. N'oublions pas que dans la question qui nous occupe, il s'agit d'établissements privés.
Pour revenir à la question de Rachel Mazuir, force est de constater qu'à la différence d'autres cultes, plus anciennement implantés en France, le culte musulman n'a pas mis en place d'organisme dédié à la formation initiale ou continue des personnels appelés à exercer dans ses établissements confessionnels. Nous ne pouvons donc identifier aucun critère de recrutement tangible.
Le recrutement des professeurs dans les établissements confessionnels hors contrat est donc complètement libre ?
Les établissements confessionnels recrutent librement leurs enseignants mais ils sont tenus, comme les autres, par le socle commun de connaissances. Ce qui justifie un contrôle pédagogique par l'inspection de l'Éducation nationale (M. Cazeau le confirme).
J'en viens, pour finir, au septième point de notre rapport, relatif aux collectivités territoriales dans leurs relations avec le culte musulman, et dans lequel nous rappelons les termes de la loi, sous trois registres : le culte musulman et la législation funéraire ; les collectivités territoriales et les lieux de cultes - on sait qu'elles n'ont pas le droit de les financer, sauf en Alsace-Moselle, et que le rapport Maurey a creusé l'analyse ; les élus et la restauration scolaire. Cette dernière partie est avant tout un rappel de la législation en vigueur.
Une remarque sur ce dernier point. Il est bon de rappeler la loi, au bénéfice des collectivités territoriales, mais - et c'est le reproche que je ferais au rapport d'Hervé Maurey - à s'en tenir là, on ne peut que constater que tous les maires sont dans l'illégalité, ne serait-ce qu'au regard de la réglementation ERP (établissements recevant du public).
Pour la restauration scolaire, je plaide pour la liberté des maires, hors de toute ingérence des plus hautes autorités de l'État.
Traitez-vous dans ce cadre de la question de la location de salles à des associations cultuelles et culturelles, aux mouvements scouts confessionnels, etc. ? L'AMF a déjà traité ces problèmes.
Le rapport évoque bien les cas des mises à disposition de locaux par les collectivités territoriales pour des activités cultuelles.
S'agissant des écoles « confessionnelles » pour les uns, « libres » pour les autres sous contrat, elles sont tenues par les clauses du contrat qu'elles signent avec l'État, dont celle d'accueillir tous les élèves quelle que soit leurs confession : le font-elles ? Ces établissements musulmans emploient-ils des enseignantes voilées ?
Je n'ai pour l'instant pas de réserve par rapport à ce que j'ai entendu de la part des rapporteurs.
Vous n'avez pas évoqué dans votre propos le cas de l'Arabie Saoudite qui a pourtant financé des lieux de culte en France. En contrepartie, elle a exigé d'en désigner les imams. Lors d'une visite récente en France, le grand mufti de Damas m'a fait part de son étonnement face à ce constat, sur lequel les gouvernants successifs n'ont d'ailleurs jamais trouvé à redire. Or il faut rompre ce lien entre financement et désignation d'imam : le financeur ne doit pas pouvoir poser de telles conditions.
La liste précise des financements de l'Arabie Saoudite sera publiée au rapport. Actuellement ce pays finance officiellement 14 imams. Des organisations comme l'UOIF sont réservées face à ce qu'elles considèrent comme des ingérences étrangères. D'ailleurs, l'Arabie Saoudite a changé sa politique pour éviter ces conséquences détestables sur son image.
J'invite François Grosdidier à lire l'ensemble du rapport et à le compléter, au besoin, sur le point qu'il évoque concernant les ERP.
Pour répondre à Rachel Mazuir, s'agissant de la question du port du voile, une école confessionnelle se crée pour échapper justement aux contraintes de l'école publique.
Dans les écoles catholiques, les religieuses portent leur voile, et dans les écoles juives, les enseignants portent la kippa ! D'expérience, les jeunes filles quittent les écoles publiques pour les écoles catholiques afin de pouvoir porter le voile si elles le souhaitent.
En outre, nous n'avons pas introduit la question du port du voile dans le rapport, car elle est désormais tranchée par la loi et la jurisprudence.
Bonne démarche !
Je rappelle qu'il y a un ministre en charge des cultes, qui, sous préjudice de la loi de 1905, a la responsabilité d'assurer le libre exercice des cultes sur le territoire. Pour faire évoluer le CFCM, il y a la carotte et le bâton : nous pouvons faire des suggestions pour faire en sorte que l'on apaise ce communautarisme qui pèse sur notre société.
L'objectif des rapporteurs et de la Présidente est de faire adopter et publier ce rapport, en restant dans un cadre strict qui est celui de la loi de 1905. Ce que vous dites est intéressant et symptomatique de cette schizophrénie de l'État : une main souhaite organiser ce culte, mais l'autre ne souhaite pas toucher à la loi de 1905 !
Ce rapport est un socle que nous voulons commun - d'où cette procédure inhabituelle. Il revient aux membres ou aux groupes qui souhaiteraient prendre des positions ne pouvant pas être partagées par tous d'envoyer une contribution qui sera annexée au rapport. Toutes les contributions sont bonnes à prendre.
Je crois que nous n'aurons pas d'autre occasion de débattre dans de telles conditions de sérénité de cette question, qui est sensible et cruciale pour l'avenir de notre société.