Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition des représentants du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG).
Je rappelle que le CFMG est l'instance de concertation et d'examen préalable des textes au sein de la gendarmerie nationale, homologue des conseils de la formation militaire de chaque armée. Il se réunit actuellement à raison de trois sessions ordinaires par an, pour examiner les textes figurant à l'ordre du jour du Conseil supérieur de la fonction militaire relatifs à la gendarmerie et pour aborder, sur l'initiative de l'administration ou de ses membres, des sujets propres à la gendarmerie. Cette instance traite ainsi de toutes les questions relatives à la gendarmerie, mais plus particulièrement de celles liées aux conditions de vie, à l'exercice du métier de militaire ou à l'organisation du travail. Le CFMG a été réformé en profondeur en 2016, avec notamment le passage à l'élection de ses membres.
Monsieur le secrétaire général, mesdames, messieurs les membres du CFMG, je vais d'abord vous laisser nous faire brièvement état des principales difficultés actuellement rencontrées par les gendarmes dans l'exercice de leurs missions, en insistant sur celles qui vous semblent avoir un retentissement important sur le moral des gendarmes, avant de donner la parole aux commissaires qui souhaiteraient vous poser des questions.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Arviset, Mme Samia Bakli, MM. Sébastien Baudoux, Raoul Burdet, Gérard Dhordain et Emmanuel Franchet, Mme Hélène L'Hotelier, MM. Frédéric Le Louette, Franck Potier, Grégory Rivière, Bruno Tromeur et Erick Verfaillie prêtent serment.
Cette commission d'enquête a été mise en place après la vague de suicides qui a touché la police et, dans une moindre mesure, la gendarmerie, et après la « Mobilisation des policiers en colère ».
Le malaise semble être moindre dans la gendarmerie. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons et nous apporter des précisions sur la condition sociale des gendarmes, leurs conditions de vie, les contraintes qu'ils subissent sur leur vie familiale et leurs conditions matérielles de travail ? La cohésion est apparemment plus forte chez les militaires que chez les policiers. Est-ce toujours aussi vrai qu'auparavant ? Est-ce suffisant pour compenser les difficultés ?
Nous nous sommes rendu compte qu'une partie des problèmes rencontrés par les forces de sécurité intérieure relevait de la justice : la lourdeur procédurale, qui conduit à passer plus de temps à remplir des formalités qu'à faire du travail opérationnel, et la chaîne pénale, qui donne parfois le sentiment de travailler pour pas grand-chose. Ce sentiment est-il aussi fort chez vous que chez les policiers ? Qu'est-ce qui vous pèse le plus ? Les annonces relatives à la police de sécurité du quotidien (PSQ) concernent-elles aussi la gendarmerie ?
Quel est le suivi psychosociologique des gendarmes ? Comment détecter et traiter les personnels en souffrance ?
Vous avez devant vous douze membres représentant le CFMG, composé de 75 élus représentant les quatre corps de la gendarmerie, toutes les régions, ainsi que les formations spécialisées.
Le taux de suicide des gendarmes est moins élevé que celui des policiers. Néanmoins, si l'on y ajoute les tentatives de suicide, les chiffres sont assez proches. Nous menons une politique de prévention depuis une dizaine d'années qui semble porter ses fruits. Il ne faudrait pas que le nombre de suicides soit le thermomètre du mal-être ou du mieux-être des deux forces.
Vous avez mentionné la colère des policiers. Chez les gendarmes, la colère est identique, mais comme nous sommes des militaires, elle est moins médiatisée. Chaque force a sa spécificité : la police doit gérer des concentrations urbaines, alors que nous devons gérer du périurbain et des espaces à tenir. Chacun a ses contraintes, mais nous rencontrons les mêmes difficultés. Je veux évoquer trois points : le sous-effectif, d'active comme de réserve - au terme des cinq années à venir, nous n'aurons pas retrouvé notre effectif de 2007 -, car il a des conséquences sur les conditions de vie des gendarmes ; le budget insuffisant, qui se traduit par un nombre insuffisant de véhicules pour patrouiller, par un état variable du parc immobilier - le pire côtoie le meilleur - et par des matériels manquants ou désuets ; les missions, avec le lien entre forces de sécurité intérieure et justice et le problème de la procédure pénale.
Le chantier est immense, et les inquiétudes sont grandes. Mais nous sommes une institution militaire, unie derrière son chef dans la difficulté. Nous ne portons pas la parole de l'administration, puisque nous sommes des représentants de nos camarades ; nous portons la parole légitime des 100 000 gendarmes.
Je commande un peloton d'intervention de la gendarmerie à Avranches, dans la Manche.
Je veux évoquer la question des suicides et des risques psychosociaux. Le CFMG a pris à bras-le-corps cette question depuis cinq ans. Nous avons déploré 17 suicides en 2017. Nous avons un ou deux psychologues par région de gendarmerie. Une chaîne de concertation a été mise en place : chaque service ou groupement de gendarmerie dispose de concertants, élus par leurs pairs pour détecter, voire régler, les problèmes rencontrés par leurs camarades. Ce sont des « détecteurs de soucis », lesquels peuvent être relatés soit au service de santé de la gendarmerie, soit à la hiérarchie. Nous mettons l'humain en avant, et nous le protégeons.
Adjudant-chef Hélène L'Hotelier. - Je suis conseiller de concertation de troisième niveau pour la région des Pays de la Loire. Sur l'initiative du directeur général, nous avons mis en place des enquêtes dites « d'environnement professionnel » : nous nous déplaçons dans les unités de gendarmerie où ont eu lieu des suicides pour déterminer si des raisons d'ordre professionnel expliquent ces actes. Nous pouvons faire des préconisations, en lien avec le commandant, le psychologue et les médecins.
Lieutenant-colonel Sébastien Baudoux. - Je représente les officiers de gendarmerie et je commande en second le peloton de gendarmerie du Gard. La concertation fonctionne bien, car l'écoute est mutuelle : pour commander, le chef s'appuie sur ses subordonnés et sur les concertants. Il ne faudrait pas que vous pensiez qu'il y a un malaise chez les policiers parce qu'ils manifestent, et pas nous. En tant que chef, je peux vous confirmer que je suis confronté quotidiennement à ce malaise, notamment lié à la question des effectifs. Les gendarmes ne cessent de me demander quand les renforts arriveront. Normalement, le ratio devrait être d'un gendarme pour 1 000 habitants ; or, dans certaines brigades, il est d'un pour 1 300.
La réserve opérationnelle est devenue une solution. Nos réservistes sont devenus de véritables intérimaires que l'on emploie pour boucher les trous. Or, si le budget de cette réserve, qui était présentée comme la garde nationale, a été reconduit, on constate sur le terrain qu'il a, en réalité, été amputé de 20 % en 2018.
Les gendarmes réclament l'égalité et la parité. Nous sommes 102 000 gendarmes, pour 140 000 policiers. Si on enlève les personnels de statut civil non opérationnels, ce nombre tombe à 120 000. Nous avons participé à l'effort de diminution des effectifs dans le cadre de la RGPP à hauteur de 50 %, donc à même proportion que les policiers, ce qui représentait presque 6 000 emplois.
Durant le dernier quinquennat, les effectifs des deux forces ont augmenté. Nous avons obtenu 40 % de cette augmentation, ce qui nous a à peine permis de retrouver la situation que nous connaissions en 2007. La gendarmerie ne devrait recevoir que 2 500 des 10 000 créations d'emplois annoncées. Les gendarmes vivent très mal le fait de ne représenter qu'un quart de la progression des forces de sécurité intérieure, alors que cela ne correspond pas la réalité. Ils doivent protéger 50 % de la population sur 95 % du territoire, avec seulement 25 % de l'abondement des effectifs.
Quel est l'impact de la mise en oeuvre des normes européennes sur le temps de travail en équivalents temps plein ? Le Président de la République a annoncé que cela ne s'appliquerait pas à la gendarmerie. Cela vous a-t-il surpris ?
La directive européenne sur le temps de travail a été partiellement mise en oeuvre depuis le 1er septembre 2016, notamment en matière de repos journalier. Nous avons constaté que cela représentait une baisse de 6 % du temps de travail, soit une perte de 6 000 gendarmes.
Je représente la région Bretagne. En matière de temps de travail, le système fonctionne bien : quand les besoins sont avérés, il peut être procédé à des suppressions de droits. C'est ce qui est arrivé au moment de l'ouragan Irma. Les gendarmes sont alors corvéables à merci, tant que cela est nécessaire.
Gendarme Grégory Rivière. - Je représente la région Midi-Pyrénées. Nous sommes une grande famille : on nous donne un budget, défini en loi de finances initiale, et nous le gérons au mieux. Mais, en 2017, 90 millions d'euros de crédits de paiement ont été annulés. C'est la première fois en quinze ans que nous commençons l'année en déficit. Le climat est anxiogène sur le terrain. Nous aurons moins de nouveaux véhicules, alors que nous roulons dans des voitures qui ont parfois 250 000 kilomètres au compteur. En 2013-2014, seulement 5 millions d'euros ont été consacrés à l'entretien des logements. Le parc domanial représente 5 millions de mètres carrés. Il faudrait de 200 à 300 millions d'euros pour entretenir et renouveler les logements.
Le logement est l'essence même de la vie du gendarme, qui y réside avec sa famille. Certaines gendarmeries sont heureusement remises en état par les collectivités locales. Quant à nos anciennes casernes, elles sont entièrement réhabilitées avant d'être proposées comme logements sociaux, alors même que les gendarmes y vivaient depuis des années...
Capitaine Franck Potier. - Je suis concertant dans le département de la Seine-et-Marne. Le parc domanial est en souffrance, à la différence de celui des collectivités territoriales, qui est bien entretenu. On a dû évacuer une partie de la caserne de Melun en raison d'éboulements. La gendarmerie n'a pas les moyens d'entretenir ces logements : par conséquent, elle est contrainte de louer à l'extérieur, dans le civil. La caserne de Dijon connaît les mêmes difficultés.
Tout à fait ! La problématique des logements n'est pourtant pas nouvelle : elle avait déjà été évoquée lors du mouvement de protestation qui avait touché l'institution en décembre 2001.
Je représente les gendarmes spécialisés.
Le gendarme habite dans son logement de fonction : si celui-ci n'est pas en bon état, cela peut augmenter le stress qu'il subit déjà dans son travail. Les policiers ne sont pas confrontés à ce problème.
Adjudant-chef Samia Bakli. - Je suis représentante des militaires des corps de soutien administratifs. Je veux évoquer le décret du 11 avril 2016, qui n'est toujours pas entré en vigueur. Il est pourtant la traduction d'une attente forte des personnels, qui sont également touchés par une politique de transformation et de substitution de postes.
Nous avions signé ce protocole le 11 avril 2016 avec le ministre de l'intérieur, protocole qui a été validé le lendemain par le Président de la République. Une démarche similaire a été entreprise pour la police. Les engagements de l'État ne sont pas tenus, car certaines administrations font de la résistance. À titre d'exemple, un décret devait permettre à notre corps de soutien d'être « ancré » à la catégorie B de la fonction publique à partir du 1er janvier 2018. Nous attendons toujours.
Si la situation était la même dans la police, quelques réactions syndicales auraient suffi à faire plier les administrations qui résistent.
Je rappelle que le militaire de corps de soutien apporte un soutien aux gendarmes sur le terrain. Sans cela le gendarme ne peut pas bien travailler.
Adjudant Erick Verfaillie. - Je suis conseiller concertation en Midi-Pyrénées. Vous avez fait état de la force de la gendarmerie qui, contre vents et marées, remplit toujours ses missions, malgré un budget moindre, un manque d'effectifs et un nombre insuffisant de véhicules.
Je ressens tous les jours les tensions de mes collègues, qui s'inquiètent de l'avenir de leurs retraites. Pour nous, la retraite, c'est la reconnaissance d'une vie de sacrifices. Nous devons assurer des permanences qui nous empêchent d'avoir une vie familiale et sociale normale.
Toucher à nos retraites constituerait un point de fracture. Après une vie au service des citoyens, le gendarme ne doit pas être traité comme les autres. Vous ne risquez pas de voir descendre les gendarmes dans la rue, mais sachez que 14 000 gendarmes sur 100 000 ont suffisamment d'annuités pour partir demain en retraite. Si nos retraites se dégradaient, beaucoup feraient le choix de partir. Or ce sont des gradés, qui assurent l'encadrement. Nous aurions alors une gendarmerie composée de jeunes gendarmes, ce qui n'est pas sans risques.
Adjudant Raoul Burdet. - Je représente la garde républicaine.
La condition militaire fait l'identité de la gendarmerie, avec des marqueurs favorables - prise en compte de la santé et de la sécurité au travail - et des marqueurs défavorables - éventuelle dégradation des systèmes de pension différés, comme les retraites. Néanmoins, elle est mise à mal par des effectifs insuffisants. Les escadrons de gendarmerie mobile ou la garde républicaine avaient l'habitude de travailler ensemble, en développant un système de formation continue. Aujourd'hui, nous avons beaucoup de mal à rassembler tous ces militaires autour d'un même corpus qui permettrait d'évoluer techniquement et d'assurer la cohésion.
Nous avons récemment obtenu quelques informations sur les propositions qui seraient retenues pour simplifier la procédure pénale. Ces orientations ne correspondent pas à nos attentes. Sur les 300 propositions faites par la gendarmerie au ministère de la justice, il n'en resterait qu'une trentaine.
La direction des affaires criminelles et des grâces n'en aurait effectivement retenu que trente.
Aucune mesure ne serait prise pour alléger la procédure de la garde à vue.
Pour 24 heures de garde à vue, nous consacrons 10 heures à la procédure : faire signer et émarger, faire venir le médecin, faire venir un avocat dès la première heure... Au lieu de faire signer 20 fois le procès-verbal de la garde à vue, pour chaque étape - pauses, visite du médecin, etc. -, on pourrait imaginer de ne le faire signer qu'une seule fois, à la fin.
J'espère que vous ne proposez pas la suppression de la présence de l'avocat lors de la garde à vue !
Non, bien sûr ! Nous proposons d'alléger le formalisme de la procédure. La présence de l'avocat est entrée dans les moeurs. Il est garant des droits de la personne en garde à vue. Auparavant, nous devions protéger le gardé à vue et garantir ses droits ; dorénavant cela relève du travail de l'avocat. Nous souhaitons alléger et fluidifier la procédure. Nous aimerions ne nous occuper que du fond de l'enquête.
L'oralisation était une piste de travail de la gendarmerie qui n'a pas été retenue.
Il faudra s'interroger sur le formalisme de notre code de procédure pénale, dont le volume a été multiplié par huit en trente ans. Au droit français existant ont été ajoutés des pans entiers de droit européen. Un toilettage en profondeur du code est nécessaire, pour alléger la garde à vue et les différentes phases de l'enquête. Les pistes envisagées par le ministère de la justice ne permettront pas de répondre au problème de fond, qui doit être pris à bras-le-corps.
Dans les enquêtes judiciaires, nous passons plus de temps à respecter le formalisme qu'à travailler sur le fond !
Le Sénat est tout à fait conscient de la situation de la gendarmerie. Lorsque la commission des lois, dont j'étais le rapporteur, et la commission des finances ont examiné le projet de loi de finances pour 2018, elles ont dénoncé les difficultés - matériels, véhicules, effectifs, retards de loyers - que vous avez citées.
Les policiers ont des syndicats, mais vous êtes en quelque sort les représentants « syndicaux » des gendarmes. Les améliorations qui pourraient être apportées en termes de personnels, de matériels, de casernements - sur les 56 000 logements, seuls 2 000 seront réhabilités en 2018 - permettront-elles d'éviter une nouvelle vague de suicides ?
Je salue le travail que vous faites au quotidien, car je suis bien conscient des moyens qui sont à votre disposition.
Sur les effectifs, combien d'agents vous manque-t-il, sur quels types de métier et sur quels grades ? Quels sont vos besoins en termes de logements ? Sur les retraites, que proposez-vous ? Le système d'informations dont vous disposez est-il performant et efficient ?
Je suis très heureuse de cet échange, qui m'a permis d'en savoir plus sur la gendarmerie. Quelle formation suivez-vous pour mener des gardes à vue ou arrêter une personne ? Pourquoi y a-t-il moins d'affrontements avec les gendarmes qu'avec les policiers ?
Je comprends très bien votre situation, et je suis d'ailleurs la seule ici à ne pas avoir voté le budget pour 2018. Le malaise et les souffrances vécues par les forces de sécurité intérieure ont été le point de départ de notre commission d'enquête. Dans la police, il existe des structures pour accueillir les policiers en souffrance. Des structures similaires existent-elles pour la gendarmerie ?
Pourriez-vous nous apporter des précisions sur la mutualisation de certains services mise en place depuis quelques années avec la police ? Je pense aux secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI). Selon les retours que j'ai pu en avoir, les gendarmes n'ont pas toujours le sentiment de bénéficier du même traitement que les policiers au sein de ces structures.
Je vous félicite pour votre sens du devoir, votre cohésion, l'abnégation dont vous faites preuve dans le cadre de vos missions, et l'esprit de solidarité qui règne entre la hiérarchie et le gendarme sur le terrain. Je m'interroge néanmoins : disposez-vous d'un encadrement psychologique suffisant ? Lorsqu'un gendarme est en difficulté, bénéficie-t-il d'un véritable suivi psychologique ?
J'aimerais également que vous nous apportiez plus de précisions sur votre formation.
Pour chaque suicide, on s'aperçoit qu'il y a, à la fois, un problème personnel et un lien avec le service. Des moyens supplémentaires n'arrêteront pas complètement ces actes, mais contribueront à améliorer le bien-être des gendarmes.
En Midi-Pyrénées, nous avons deux psychologues pour plus de 4 000 personnels. Ce n'est pas suffisant, il en faut davantage. On se serre les coudes et on se débrouille entre nous.
La semaine dernière, se tenait une session ordinaire du CFMG. Avec le directeur de la gendarmerie, nous avons une nouvelle fois abordé la problématique des suicides au sein de l'institution. Lutter contre la souffrance de nos camarades est une priorité.
La chaîne de concertation est bien ancrée au sein de l'institution : à tous les niveaux, les concertants peuvent être amenés à détecter les agents qui souffrent, à intervenir et à les orienter. Je précise que des enquêtes de causalité sont systématiquement faites en cas de suicide.
En cas de détection d'un problème au sein d'une unité, le bureau de l'accompagnement du personnel met en place un groupe d'entretiens, composé des personnels de la concertation, du chef du bureau des ressources humaines, de l'assistante sociale, du médecin, du psychologue. Il faudrait beaucoup plus de psychologues : un ou deux par région ne suffisent pas.
Nous sommes des militaires, nous travaillons ensemble, nous vivons ensemble, nos épouses vivent ensemble, nos enfants jouent ensemble. Nous sommes en permanence ensemble. Cette solidarité militaire est une force.
La formation dure deux ans à l'École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN), douze mois dans une école de gendarmerie pour les sous-officiers. Nous sommes soumis à des règles déontologiques. La plupart des gendarmes passent l'examen d'officier de police judiciaire, ce qui nécessite une année de formation. Nous avons également une formation à l'intervention professionnelle tout au long de la carrière, ainsi qu'une formation au tir. Aujourd'hui, chaque militaire de la gendarmerie tire un certain nombre de cartouches plusieurs fois par an. Nous apprenons à intercepter une voiture, à procéder à un contrôle d'identité.
Les gendarmes ont-ils le temps de faire du sport, contrairement aux policiers ?
La directive sur le temps de travail prévoit un temps repos de 11 heures sur 24 heures ou, si ce n'est pas possible, d'au moins 9 heures. Le coût de mise en oeuvre de cette mesure représente 5,25 % de l'effectif. Si l'on veut revenir à notre production de sécurité d'il y a deux ans, il faudrait prévoir 5 500 effectifs supplémentaires.
La proximité et le contact sont constitutifs de l'ADN du gendarme. Celui-ci n'a aujourd'hui plus le temps d'aller au contact en raison de la charge que représente ses tâches en matière de procédure pénale, d'application des directives du préfet, de police de la route, de police judiciaire, de transfèrements administratifs... La gendarmerie couvre 95 % du territoire, et nous intervenons en priorité dans les zones où la population est la plus nombreuse : nous délaissons forcément une partie de la population. Pour consacrer du temps aux acteurs sociaux et économiques, aux élus, aux patrons de société, aux clubs et associations, il faut consacrer et sanctuariser cette mission de contact, c'est-à-dire nous donner des effectifs supplémentaires.
La vie en caserne peut engendrer du stress si les logements ne sont pas en bon état. Leur rénovation permettra aux gendarmes de se sentir mieux chez eux et de mieux travailler.
La différence avec la police ne tient pas seulement à la formation. Il s'agit aussi d'une question d'identité. Nous sommes deux maisons différentes, avec deux cultures différentes. La mutualisation n'est pas forcément une bonne idée.
Notre adage est « un chef, des missions, des moyens ». Avec les SGAMI, on a l'impression que ces moyens ont disparu ou ne sont plus tout à fait à la main du chef. Certains services automobiles ont été mutualisés : par exemple, les dépanneurs de poids lourds ne peuvent intervenir sur leur secteur habituel s'ils sont mobilisés ailleurs. Nous avons l'impression que ces SGAMI entraînent des retards, alors que nous devons, au contraire, être très réactifs.
Dans bien des cas il vient davantage de la mutualisation que de la pénurie.
Je représente la gendarmerie mobile d'Île-de-France.
Lors de la dernière RGPP, la gendarmerie mobile a perdu 15 escadrons, et n'en a récupéré qu'un seul, en 2016. Le turn-over est tel que les stages prévus à Saint-Astier, notre « Mecque » du maintien de l'ordre, sont suspendus. Nous travaillons sur nos acquis, les plus anciens conseillant les plus jeunes. Mais le temps de l'instruction a bien diminué. La pratique du sport se fait sur le temps libre. Nous travaillons en flux tendu.
Notre régime des retraites est un régime non pas spécial, mais dérogatoire. Il ne découle pas de longues luttes et de grèves, il est la reconnaissance de nos sacrifices. Nous n'avons pas le droit de grève, nous sommes soumis à un droit de réserve et, surtout, nous nous engageons à sacrifier notre vie pour des inconnus. Ce dernier sacrifice n'a pas de prix ; il doit être reconnu par la Nation.
Notre proposition concernant nos retraites est très simple : ne pas y toucher !
Nos vacances et nos repos sont imposés par l'administration, ce qui a des conséquences sur la structure familiale et le travail. Pour prévenir les suicides, il faut faire des efforts en matière de formation : celle de nos chefs, qui doivent mieux détecter nos camarades en souffrance par une meilleure écoute, et celle des concertants. Aucune structure ne permet actuellement d'accompagner les familles de gendarmes qui se sont suicidés.
Des gendarmes sont détachés dans les écoles pour faire de la formation : cela représente moins d'effectifs sur le terrain. Cela n'est pas admissible : il faut mieux calibrer les effectifs de la gendarmerie.
S'agissant de la PSQ, je veux souligner qu'il ne reste dans les endroits les plus isolés du territoire que les gendarmeries et les mairies. De nombreux services publics sont partis. On ne sécurise pas que les habitants des grandes villes, il faut aussi sécuriser ceux qui vivent à la campagne.
Le Président de la République avait annoncé, lors de la campagne électorale, que lorsqu'il investirait un euro dans les villes, il mettrait aussi un euro dans les campagnes. Nous l'avons entendu, et nous y avons cru. Or, s'agissant des 10 000 effectifs supplémentaires, 7 500 iront dans les villes, et 2 500 sur le reste du territoire.
En ce qui concerne les redéploiements de forces entre la police et la gendarmerie, il ne devrait plus y avoir de commissariat dans les zones de 20 000, voire même 30 000 ou 40 000, habitants. Le levier de bascule de forces est énorme. Il faudra beaucoup de courage pour s'attaquer à ce problème.
Ultime proposition, il faudrait aussi travailler sur la numérisation et la dématérialisation, notamment en ce qui concerne la procédure pénale.
Que l'administration pénitentiaire fasse le travail pour lequel elle est payée... Nous lui avons donné les effectifs et les voitures pour le faire.
Mesdames, messieurs les membres du CFMG, je vous remercie pour votre participation à notre commission d'enquête.
Nous entendons à présent M. le préfet Éric Morvan, directeur général de la police nationale (DGPN), accompagné de MM. Gérard Clérissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale, Michel Vilbois, chef du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure et de Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien.
Notre commission d'enquête s'efforce, d'abord, d'établir un diagnostic objectif sur l'existence d'un mal-être au sein des forces de sécurité intérieure, ce mal-être ayant notamment pu se manifester par des expressions de colère débordant les canaux traditionnels, notamment depuis fin 2016 ; ensuite, le cas échéant, nous souhaitons comprendre les causes, matérielles ou morales, de ce phénomène, et examiner l'efficacité des mesures qui ont déjà été prises pour y porter remède ; enfin, nous comptons proposer des pistes pour améliorer la situation.
Cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié. Je vous rappelle qu'une fausse déclaration devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
MM. Éric Morvan, Gérard Clérissi et Michel Vilbois et Mme Noémie Angel prêtent serment.
Notre commission d'enquête a été créée à la suite des vagues de suicides dans la police et la gendarmerie. De tels actes ont toujours des causes multifactorielles. Notre attention a aussi été attirée par les manifestations spontanées de policiers, qui ont échappé au cadre syndical. Comment les risques psychosociaux sont-ils pris en compte dans la police ? M. Cazeneuve avait mis en oeuvre un plan d'action. Où en est-on ? Outre le risque immédiat, qui ne concerne que quelques individus, il y a un malaise général, que nous ont confirmé les syndicats policiers.
La formation initiale ne prépare guère au choc infligé par la confrontation à des situations difficiles, sans parler des contextes de guerre créés par les actes terroristes. Comment l'améliorer et la compléter par de la formation continue ? Il y a les séances de tir, dont les juges vérifient la réalité en cas de problème ; le sport ; les formations aux nouvelles technologies, indispensables dans notre société de communication...
Policier, gendarme : chaque statut a ses avantages et ses inconvénients. L'esprit militaire qui règne à la gendarmerie créée, semble-t-il, une cohésion qui réduit le malaise. À l'inverse, on dénonce dans la police un esprit de caste, où un commissaire ne considèrerait comme son égal qu'un autre commissaire - quand dans la gendarmerie, on est camarades à tous les grades. Cet esprit de lutte des classes donnerait le sentiment que la hiérarchie ne perçoit pas ce que vit la base et ne la soutient pas, en particulier lorsqu'elle est mise en cause de manière injustifiée. Ce manque de soutien est encore davantage reproché aux magistrats, qui ne poursuivent pas systématiquement l'outrage ou la rébellion.
Les conditions matérielles comportent plusieurs aspects : immobilier, parc automobile, outils informatiques... La Nation vous donne-t-elle assez de moyens ? Beaucoup remettent en cause l'indemnisation de responsabilisation et de performance (IRP), qui inciterait à une politique du chiffre. Où en est-on de l'application du protocole social PPCR d'avril 2016 ? Est-elle plus avancée que dans la gendarmerie ?
Le projet de de réforme de la procédure pénale vous paraît-il susceptible de faire gagner du temps aux policiers, qui déplorent la lourdeur des procédures judiciaires ? Ils se plaignent aussi de l'insuffisance de la réponse pénale. Quand on a le sentiment de prendre des risques pour rien, le moral ne peut qu'être affecté. La création de 7 000 ou 7 500 postes suffira-t-elle ? Quel sera l'impact sur la police de la norme européenne sur le temps de repos. Combien annulera-t-elle de créations de postes ?
Au cours des dix dernières années, la police nationale a connu de profonds changements, liés à une série de facteurs aux effets cumulatifs. D'abord, elle a subi les évolutions sociales ou sociétales, les policiers étant des citoyens à part entière, qui ressemblent à la communauté nationale et qui sont traversés par les mêmes interrogations sur leur quotidien et les mêmes difficultés que le reste de la population. Le rapport à la hiérarchie, au travail, au sens de l'État, s'est également transformé. Qu'une organisation syndicale se soit crue autorisée à ne pas déférer à votre convocation illustre assez ce changement.
La police a aussi connu des évolutions opérationnelles, liées en particulier aux actes terroristes qui ont frappé le pays depuis 2015 et à la menace toujours prégnante. La modification du contexte opérationnel résulte également de la vague migratoire qui affecte le pays depuis plusieurs années et qui a fortement sollicité les services, et pas seulement ceux de la police aux frontières (PAF). Enfin, nos moyens ont évolué, dans la mesure où les choix politiques qui ont été faits entre 2007 et 2012 ont abouti à une baisse des effectifs et des moyens qui ont eu des répercussions sur la tension opérationnelle des forces. Le point bas des effectifs a été atteint en 2014, au moment même où la charge opérationnelle augmentait fortement, non seulement en raison des conséquences directes des attentats ou de la crise migratoire, mais aussi de leurs conséquences indirectes : gardes statiques, sécurisation des événements sportifs, culturels, festifs, gestion de la période de l'état d'urgence...
Le choix d'une diminution des effectifs a été assumé, y compris par les organisations syndicales, car il a financé des avancées catégorielles substantielles. Ainsi, au travers de l'accord « corps et carrières » de 2004, de son protocole additionnel de 2008, ou encore du protocole du 11 avril 2016, les différents corps de la police nationale ont connu un exhaussement significatif de leur classement : catégorie B pour les gardiens de la paix, A-type pour les officiers et A+ pour les commissaires. Ils ont également bénéficié d'une nouvelle dynamique des déroulements de carrière et d'avancées indemnitaires favorables. L'idée était qu'il fallait moins de fonctionnaires, mais mieux rémunérés.
La Cour des Comptes indique qu'entre 2006 et 2016 « les effectifs ont diminué dans la police nationale de - 4,1 %, sans toutefois que cette réduction n'enraye la progression des dépenses de rémunération, qui augmentent de 9,1 % hors pension et de 17 % pensions comprises ». C'est dire les avancées qu'a connues la situation individuelle des fonctionnaires de police.
Ce choix avait donc une logique, parfaitement assumée. Il s'est heurté, sur une période longue, à une réalité opérationnelle plus difficile, d'autant que les efforts ont été reportés sur d'autres chapitres de dépenses, ce qui a altéré notre capacité d'investissement en matière d'équipement, de mobilité, d'immobilier ou de solutions numériques.
Certes, à compter de 2012, ces orientations ont été modifiées : les départs en retraite ont été remplacés et le principe d'une augmentation annuelle de 500 ETP a été décidé. Mais l'inertie structurelle des processus de recrutements, liée à l'organisation des concours et à la durée des formations - même si certaines d'entre elles ont été raccourcies - a prolongé les effets de la déflation jusqu'en 2014.
Par la suite, compte tenu de la menace terroriste, plusieurs plans de recrutements ont été décidés. Ils ont avant tout concerné les services spécialisés de renseignement, comme la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le service central du renseignement territorial (SCRT), et plus marginalement la police judiciaire (PJ), la PAF et les CRS. Ainsi, la police du quotidien, celle de la sécurité publique, celle des commissariats a connu, au cours de cette période, une tension objective. Hors SCRT, le nombre de gardiens de la paix était fin 2010 de 49 816 : c'était le point haut. En 2015, nous avons atteint un point bas avec 47 934 gardiens de la paix.
D'autres phénomènes se sont invités dans le débat. La violence n'a pas fléchi, en particulier dans certains quartiers difficiles. L'expression de la contestation sociale s'est elle-même radicalisée, dans le sens premier du terme, avec des manifestations systématiquement violentes. Une exposition médiatique débridée et volontiers accusatoire ou déformée, accrédite de plus en plus l'idée d'une police violente et détachée de ses principes déontologiques : tout le monde déteste la police. Enfin, signalons l'angoisse, légitime, des policiers qui ont subi des violences proprement inqualifiables, et des actes terroristes qui ont coûté la vie à plusieurs d'entre eux : Franck Brinsolaro, Ahmed Mérabet, Xavier Jugelé, mais aussi Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, abattus dans leur domicile de Magnanville en présence de leur enfant de quatre ans... J'évoque aussi, bien sûr, Clarissa Jean-Philippe, policière municipale de Montrouge.
C'est l'ensemble de ces éléments qui a forgé, au fil des années, ce que l'on a appelé le malaise policier et qui s'est cristallisé à la faveur d'événements particuliers. Le problème n'est pas la situation matérielle des policiers, dont les revendications ont, dans l'ensemble, été satisfaites. La malaise s'est plutôt forgé à la suite d'évènements particuliers, comme le drame de Magnanville ou la blessure extrêmement grave d'un policier à l'Ile-Saint-Denis le 5 octobre 2015, dont on ne parle plus guère alors que c'est cela qui a déclenché la manifestation de 10 000 policiers place Vendôme sous les bureaux de Mme Taubira ; l'agression de policiers quai de Valmy à Paris en mai 2016, et celle de quatre policiers à Viry-Châtillon en octobre 2016. Ces violences sont quotidiennes. Il y a celles qui sont médiatisées, comme l'affaire de Champigny à la Saint Sylvestre, mais au moment où je vous parle, un policier montpelliérain subit une opération chirurgicale au visage après s'être fait gravement agresser hier soir, en service, à l'occasion du Carnaval des Gueux.
Ce sont là les racines du malaise. Et les tensions sur les effectifs, dans un contexte de violences qui ne faiblissent pas, notamment à l'égard des forces de l'ordre, ont-elles-mêmes modifié peu à peu le métier de police de voie publique : nous avons glissé vers une police de l'intervention, de l'urgence, de la crise, du conflit en délaissant la police de terrain, de présence naturelle dans l'espace public, car nous n'en avions plus les moyens. Ce n'est bon ni pour les policiers, ni pour le rapport confiant qu'ils souhaitent entretenir avec la population.
C'est tout le pari de la police de sécurité du quotidien voulue par le Président de la République, qui n'est pas une révolution mais un retour déterminé à nos fondamentaux : une police plus disponible, plus présente, plus naturellement présente et qui fait de la satisfaction des citoyens un élément central de la mesure de l'efficacité de son action. C'est peut-être sur ce dernier élément que l'on peut parler de révolution car nous n'avons jamais développé d'indicateur ou d'outil de mesure en ce domaine pourtant essentiel.
Mais, dans cette perspective ambitieuse, tout ne se réduira pas à une augmentation des effectifs, pourtant décidée et inscrite dans la programmation budgétaire du quinquennat.
En effet, une part importante de cet effort pourrait avoir l'effet d'un verre d'eau versé sur le sable s'il n'était accompagné de mesures d'efficience pour que chaque policier supplémentaire recruté consacre bien son temps à une activité opérationnelle efficace. Il est donc nécessaire de créer les conditions de cette efficience, au-delà des efforts importants consacrés à l'immobilier ou à l'équipement. Ce sont les processus qu'il faut interroger, pour utiliser les policiers là ou leur valeur ajoutée est optimale.
À cet égard, plusieurs chantiers sont en cours. D'abord, la réforme de la procédure pénale apportera simplification, dématérialisation et forfaitisation d'un certain nombre d'infractions. Puis, nous allons abandonner des tâches que les policiers considèrent comme indues comme les gardes statiques, les extractions judiciaires, les gardes de détenus hospitalisés, les procurations électorales, les opérations mortuaires, dont la gendarmerie ne s'occupe d'ailleurs plus, et nous libérer de la nécessité de développer des conventions avec la médecine de ville pour la prise en charge des ivresse publiques et manifestes ou pour la médecine légale de proximité. Nous allégerons également des procédures internes, générées par la police elle-même - comme par toute administration. Ainsi, par exemple, du foisonnement du reporting. Nous développerons une réserve civile orientée vers un emploi opérationnel et s'ouvrant davantage à la société civile alors qu'elle est aujourd'hui essentiellement constituée d'anciens policiers... Nous accroîtrons le recours aux outils numériques et renforcerons nos partenariats avec la sécurité privée ou avec les polices municipales. Nous mutualiserons certaines fonctions support entre services de police et avec la gendarmerie nationale. Enfin, nous conduirons une réflexion très concrète sur l'organisation territoriale de la police nationale en recherchant un décloisonnement puissant des fonctions d'état-major ou des centres d'information et de commandement ainsi que des actes de pré-gestion. La police est trop organisée en tuyaux d'orgue, ce qui s'explique parfois par la spécialisation des tâches. Le décloisonnement des états-majors améliorera la coopération au niveau territorial.
La police nationale doit aussi beaucoup plus et mieux communiquer sur son action, donner d'elle une image bien plus conforme à la réalité que les propos déformés et caricaturaux que tiennent nos détracteurs, qu'ils soient extérieurs à notre institution ou, au contraire, qu'ils en fassent partie. C'est aussi un enjeu majeur et je suis de ceux qui considèrent que la communication est une mission de police à part entière, pour peu que les préfets encouragent les chefs de service à communiquer et que les parquets ne prennent pas ombrage d'une communication factuelle qui ne nuit pas au secret des enquêtes. Nous sommes sans doute l'une des seules démocraties du monde à trouver mauvais que les policiers communiquent eux-mêmes ; ce qui entraine de fâcheuses dérives, depuis la parole portée par des organisations syndicales jusqu'aux pseudos experts des plateaux de télévision.
Je souhaite conclure mon propos en abordant la douloureuse question des suicides, en tenant un langage de vérité, tant sur le phénomène lui-même que sur l'humilité que chacun doit avoir pour aborder un sujet aussi complexe, qui s'accommode mal des discussions de comptoir et des raccourcis simplificateurs. Pour cela, il faut commencer par faire un peu de statistique, même si cela peut paraître obscène sur un sujet aussi humainement sensible.
L'année 2017 aura été une année difficile, avec 50 suicides recensés. Au cours des années 2000, nous avons malheureusement connu d'autres années sombres : 54 suicides en 2000, 50 en 2005, 49 en 2008, 55 en 2014. Vous donnant ces chiffres, je ne suis pas en train de vous dire que l'année 2017 s'inscrit dans une sorte de bruit de fond statistique admis par la police nationale. J'indique simplement que ce tragique phénomène n'est pas nouveau et n'a pas connu une explosion qui caractériserait un contexte récent. Dès lors, j'ose affirmer qu'il serait intellectuellement malhonnête de rattacher ces disparitions violentes de ce que l'on a appelé récemment le malaise policier.
En poursuivant, avec une infinie prudence, sur le chemin de la statistique, les derniers chiffres - 55 suicides en 2014, 44 en 2015, 36 en 2016 - révèlent une baisse très significative de dix cas par an au moment même où les fonctionnaires de police étaient soumis à une tension forte et une sollicitation opérationnelle inédite. Tout statisticien vous dira qu'il est bien présomptueux de dégager des tendances sur des petits nombres, qui plus est sur des périodes courtes, mais il m'arrive de m'interroger sur la part que prend le sens de la mission dans la psychologie d'un policier : ce sens de la mission était évident en ces années de menaces inédites, et les policiers se sont tous incroyablement engagés.
Le fait que le nombre de suicides dans la population policière soit plus important que dans la population générale n'est pas non plus une aberration statistique : le suicide est un geste éminemment masculin et les hommes sont surreprésentés dans notre institution. En revanche, peu d'hommes et de femmes sont exposés dans leur vie quotidienne à autant de stress traumatiques que peut l'être un policier. Ce quotidien use et peut fragiliser même les plus solides. L'autre élément caractéristique qui singularise le policier est la détention d'une arme - et 60 % des policiers qui se suicident utilisent leur arme de service. C'est un problème majeur pour moi : lorsque l'idée noire survient, lorsque l'idée suicidaire finit par s'imposer, même de manière fugace, le fait de détenir une arme favorise évidemment le passage à l'acte, aux conséquences tragiquement définitives. La question de l'arme n'est pas, dans la police, un sujet consensuel, et je suis soumis à une contradiction majeure entre la volonté de permettre à tout policier de conserver son arme hors service pour protéger et se protéger, et celle de lutter efficacement contre le suicide. Lors des discussions avec les organisations syndicales, l'idée de ne pas porter son arme hors service est immédiatement balayée.
Les statistiques révèlent également que l'on se suicide un peu moins chez les CRS, un peu moins dans la police judiciaire, et beaucoup moins dans la gendarmerie nationale. Il serait sans doute nécessaire d'approfondir ce constat mais je suis intimement convaincu que la cohésion est un facteur évident. Elle dépend de nombreux éléments comme la qualité du management, à tous les étages de la hiérarchie, la convivialité, qui à certains égard a disparu de nos commissariats, le sport ou encore la capacité à déterminer les stratégies opérationnelles au plus près du terrain en associant étroitement les personnels pour qu'ils aient une parfaite conscience de leur place et de leur valeur dans les politiques publiques que nous assumons.
En ce sens, je ne trace pas une ligne étanche entre vie professionnelle et vie personnelle, même si, dans une immense proportion des cas, le facteur déclenchant du suicide est d'ordre personnel : une vie familiale déstructurée, une déception affective, des problèmes financiers, une addiction, une maladie grave... Ces éléments interviennent dans un contexte et, dans le contexte, la vie professionnelle compte énormément. Si l'on se sent bien au travail, on a bien plus de chance de résister aux mauvais coups de la vie. La qualité de vie au travail fait donc évidemment partie du sujet.
À cet égard, la question du temps de travail et des rythmes de travail est essentielle, notamment pour le travail en cycles et le travail de nuit. La police nationale a défini en 2016 des cycles horaires qui respectent la directive européenne de 2003 sur la sécurité et la santé au travail. Elle parachève actuellement cette entreprise par la mise au point d'un arrêté d'application qui sera très bientôt soumis à l'avis des comités techniques compétents. L'un d'eux devait siéger aujourd'hui, mais la réunion a été reportée car Bercy voulait relire notre texte.
J'ai toutefois souhaité que ces cycles de travail, assez différents les uns des autres, puissent être très sérieusement évalués tout au long de l'année 2018 par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), appuyée par une équipe pluridisciplinaire. Cette étude portera sur deux aspects : la capacité opérationnelle des services selon les cycles, et le bien-être des personnels, tant dans leur vie professionnelle que dans leur vie privée. Les résultats de cette étude me seront présentés début 2019 et ils seront intégralement partagés avec les organisations syndicales. Nous en tirerons alors toutes les conclusions utiles. Si la vacation forte, qui a la préférence des policiers, est généralisée, il faudra davantage d'effectifs. Pour les quelques 15 % de services qui fonctionnent ainsi, nous avons dû ajouter 500 ETP. Il faudrait donc un total de 3 000 ou 4 000 ETP - soit plus de la moitié des 7 500 postes attendus. Il serait dommage qu'un tel effort ne nous fasse pas gagner des marges opérationnelles.
Combien seront dans les services centraux, notamment à la DGSI ? Combien sont répartis sur le territoire ?
La DGSI recrute essentiellement des contractuels. Si les postes créés ne servent qu'à faire tourner le cycle actuel, l'effet ne sera pas à la hauteur de l'effort. C'est sur ce point que nous avons des frictions avec les organisations syndicales. Je souhaite que l'étude pluridisciplinaire de l'IGPN objective le sujet.
En tous cas, le malaise actuel n'est pas lié à des revendications catégorielles. La Cour des Comptes a bien montré les efforts déjà réalisés.
Il a été expérimenté dans les ZSP. Nous comptons doter la police et la gendarmerie de 5 000 caméras chacune.
Mais c'est significatif, car chaque policier n'a pas besoin d'avoir sa propre caméra.
Je ne saurais vous le dire.
Pour éviter les tuyaux d'orgue, vous prônez le décloisonnement. Qu'est-ce à dire ? Grands commissariats ? Regroupements de circonscriptions ? En Ile-de-France, certains policiers venus de province se sentent prisonniers : huit ans, c'est long. Et les élus disent qu'il est difficile de fidéliser les policiers. Que faire ? Vous n'avez guère parlé de la PAF, dont les effectifs doivent évoluer. Dans certains quartiers, les délinquants ont pour stratégie de saisir systématiquement l'IGPN afin de décourager les policiers. Comment y faire face ?
Il n'est pas question de recomposer la carte territoriale. Il arrive qu'on créée de toutes pièces un bureau de police avant de s'apercevoir que l'activité est insuffisante. Les policiers sont plus efficaces sur la voie publique, munis d'outils numériques, que derrière la banque d'accueil d'un commissariat. Mais il est parfois compliqué de faire admettre cela aux maires, surtout en Ile-de-France... Le décloisonnement que je prône est organisationnel. Dans la zone Nord, par exemple, il y a la Sécurité Publique, la PJ, la PAF, la direction zonale des CRS : autant d'états-majors, de directions des ressources humaines, de salles d'information et de commandement. Déjà, la direction centrale de la Sécurité Publique a passé une convention avec celle de la PAF pour lutter de concert contre l'immigration irrégulière, et avec celle de la PJ pour que celle-ci pilote les investigations dans le cadre des analyses criminelles. Nous devons aller plus loin, et mutualiser davantage les fonctions support et les états-majors. C'est ainsi que nous dégagerons des ressources humaines et des marges opérationnelles. En 2018, nous étudierons à fond cette problématique.
Élu rural, je séjourne trois jours par semaine à Paris. Pourquoi le délai de réaction diffère-t-il tant entre la police et la gendarmerie ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur le temps de travail, et sur le temps passé sur le terrain ?
Vous avez mentionné le problème posé par la procédure judiciaire. Est-ce le seul entre les policiers et le monde judiciaire ? N'y a-t-il pas des difficultés plus profondes de compréhension ?
La réforme de l'organisation suffira-t-elle ? Le personnel y est-il prêt ? Comment l'IGPN est-elle perçue par les policiers ? Qui les défend lorsqu'elle les met en cause ?
Oui, la zone de Lille est dense, mais la délinquance y est abondante. Vous dites qu'une cinquantaine de personnes se suicident chaque année dans la police. Avez-vous des statistiques sur ces drames ? Âge, lieu, entourage... Y a-t-il un dossier pour chaque suicide ? Les demandes de mutation des gardiens de la paix sont très nombreuses. Y a-t-il aussi beaucoup de demandes de reconversion professionnelle ?
Les syndicats nous expliquent unanimement que le manque de moyens nous amène au bord de la rupture. Qu'en pensez-vous ? Les deux auteurs d'ouvrage Paroles de flics et Colère de flic ne disent pas autre chose. Les décisions politiques ralentiront-elles ce processus ? Les gendarmes sont, eux aussi, très préoccupés.
Au bord de la rupture ? Les policiers sont toujours très engagés, mais leurs attentes sont fortes, en effet : simplification de la procédure pénale, définition des stratégies opérationnelles au plus près du terrain, organisation du temps de travail... Ils mesurent aussi les efforts que nous faisons, notamment en matière d'équipement - à cet égard, je m'efforce d'éviter tout délai de livraison. Mais qu'une affaire un peu forte survienne, cette année où doivent se tenir des élections professionnelles, et l'hypersensibilité actuelle conduira à une rapide dégradation : la coupe est pleine.
Si, par le passé, l'IGPN et l'IGS étaient des structures surtout disciplinaires, puisqu'elles peuvent être saisies par la justice, elles ont développé à présent, notamment sous l'impulsion de Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, un rôle considérable d'appui et de conseil aux services pour la maîtrise du risque et la diffusion des bonnes pratiques. Leur perception a donc considérément évolué et n'a plus rien à voir avec les boeufs-carottes de notre jeunesse. Elles ont mis en place des plateformes de signalement de discrimination pour le personnel.
Quant à la relation avec le monde judiciaire, les policiers ne veulent pas d'une justice laxiste, qui les conduit à courir sans cesse après les mêmes délinquants, auxquels elle donne un sentiment d'impunité. Tout ne se résume pas à la dématérialisation de la procédure judiciaire, donc - même si celle-ci accroître aussi la célérité de la réponse pénale, si ce n'est l'effectivité de la peine prononcée.
Qu'entendez-vous par le délai de réaction ?
Oui, mais la réaction est plus rapide à Paris qu'en Seine-Saint-Denis. La réactivité varie aussi avec l'heure de la journée, ou de la nuit. Difficile de généraliser...
Nous suivons chaque cas de suicide activement et de près. L'âge moyen au moment du suicide est compris entre 40 et 49 ans, le mode opératoire principal est l'usage de l'arme de service, et les victimes sont majoritairement des hommes. Enfin, 62 % des passages à l'acte ont lieu au domicile et non sur le lieu de travail. Un rapport environnemental est systématiquement réalisé - réseau de soutien, chef de service, collègues - selon une grille unique, afin d'identifier d'éventuels facteurs récurrents et d'améliorer nos actions de prévention.
Les personnes concernées sont avant tout des hommes. À l'inverse, le taux de suicide des femmes policières est très inférieur à celui des femmes en général.
Avez-vous cartographié les endroits où sont commis ces suicides ? D'un territoire à un autre, les situations sont plus ou moins lourdes à porter : il y a un monde entre la Courneuve et le sixième arrondissement. Y a-t-il une corrélation entre difficulté d'exercice du métier et taux de suicide ? Le nombre de cas ne suffit peut-être pas à dégager de telles lois... Mais le sentiment d'inutilité, notamment face à une réponse pénale trop faible, doit sans doute jouer.
Oui, nous avons fait des cartes, en tenant aussi compte du taux de suicide global dans chaque département. Le suicide est toujours multifactoriel. Des zones à risque se dégagent toutefois. D'abord, celles où l'activité est intense. Des débriefings réguliers, ainsi que des formations sur la confrontation à la mort, doivent réduire l'impact des successions de traumatismes psychologiques qu'y éprouvent les policiers. Mais les suicides sont aussi plus nombreux là où l'activité est faible, notamment dans certains territoires ruraux - où le taux de suicide de la population est aussi plus élevé.
Disposez-vous d'études à l'échelon infra-départemental, ou passe-t-on alors immédiatement au cas par cas ?
Vous avez évoqué l'évolution des effectifs depuis 2006. Leur croissance a atteint 31 % depuis, quand les crédits d'équipement n'ont augmenté que de 5 %. Le personnel, qui représentait 80 % du budget, compte en 2018 pour 88,77 %. Quel est le bon ratio entre les moyens et les effectifs ? La question se pose à chaque budget. En dix ans, pour trois postes créés, nous avons supprimé une voiture de police.
Difficile de trouver le bon ratio ! La sécurité publique est affaire avant tout de main-d'oeuvre. Les crédits d'investissement et de fonctionnement ont-ils suffisamment augmenté ? C'est surtout entre 2009 et 2014 que le ratio s'est dégradé. Ensuite, les plans de renforts ont abondé les crédits d'investissement et de fonctionnement. Hors titre II, le ratio par effectif a augmenté et atteint, à 7 897 euros en 2018, son niveau le plus élevé depuis dix ans.
C'est à peu près le même montant que l'an dernier. Il semble vous satisfaire. D'après vous, avec un peu moins de 12 % du budget consacré aux moyens, les agents peuvent remplir leur mission.
De gros efforts d'armement et de protection ont été faits. Certes, il faudrait faire plus pour nos véhicules, mais nous sommes déjà revenus à des taux de remplacement de 2 500 par an.
Le ratio hors titre II par effectif a recommencé à progresser, après un étiage en 2014, et il est désormais supérieur à ce qu'il était en 2007-2008. Le rattrapage est certain, et les plans de renfort, qui s'achevaient en 2017, ont eu des prolongements budgétaires en 2018 - ce qui est un véritable effort.
Je résume : vous considérez la dégradation du ratio entre personnel et moyens, au sein de programme « Police nationale », comme un rattrapage !
En 2014, le budget d'équipement hors informatique était de 74 millions d'euros en crédits de paiement. En 2018, ce chiffre est passé à 150,8 millions d'euros. Nous consacrons 2 000 euros par an à l'équipement de chaque policier. Le soclage des différents plans de renfort nous a permis de remplacer en trois ans 72 000 gilets pare-balle individuels, pour 120 000 fonctionnaires équipés : 60 % ont reçu un gilet neuf. Dans deux exercices, nous aurons renouvelé la totalité du stock, qui remonte à 2002.
Il est vrai que 10 % de notre parc automobile a plus de dix ans. Entre 2009 et 2011, nous achetions 1 300 véhicules par an. Entre 2012 et 2017, ce chiffre est monté à 2 400. En 2018, nous acquerrons 2 800 véhicules. Résultat : en 2017, pour la première fois, le parc a rajeuni : 5,75 années en moyenne, contre 5,80 en 2016. L'âge moyen était de 3,65 années en 2010, il a atteint son maximum en 2016, et commence enfin à décroître, même faiblement. Certes, nous avons toujours 3 400 véhicules de plus de dix ans, qu'il nous faut remplacer dans les deux prochaines années. Si la représentation parlementaire nous y aide, nous y arriverons. Déjà, 46 % de nos véhicules ont moins de 5 ans.
Pouvez-vous nous fournir un état des lieux précis du parc immobilier et du parc automobile ? À partir de quelle ancienneté considérez-vous qu'un véhicule ne doit plus être en circulation ? Combien sont - et seront - dans ce cas ? Les crédits votés sont-ils à la hauteur des besoins pour un retour à la normale ? Il ne suffit pas de faire un peu mieux que quand c'était pire...
Et, d'un point de vue qualitatif, les nouveaux véhicules sont-ils adaptés aux différentes missions de la police ?
On nous dit que ceux des BAC sont trop petits pour y charger le matériel qui leur est imposé depuis les attentats.
Nous en avons tenu compte : les nouveaux véhicules sont montés en gamme.
Les deux font partie des critères du renouvellement, qui se déclenche dès que le véhicule atteint huit ans d'ancienneté, ou a parcouru 200 000 kilomètres.
À Marseille, le système de l'approche globale fonctionnait bien, mais il est mis à mal car on nous a retiré des effectifs, et nous n'avons plus qu'une compagnie de CRS - entièrement mobilisée sur la frontière italienne. Cette perturbation brutale d'un fonctionnement satisfaisant est regrettable. La police de sécurité du quotidien, qui vient en remplacement, me laisse perplexe. Sera-t-elle convenablement formée à l'approche globale, indispensable sur ces territoires complexes ? Sinon, c'est le citoyen lambda qui paiera pour les autres ! Les gilets pare-balle ont-ils tous été renouvelés ?
Le système est simple : le fonctionnaire s'adresse à son référent armement, et notre plateforme logistique nationale expédie un gilet de la bonne taille sous huit jours. En 2017, nous avons ainsi satisfait 20 000 demandes individuelles de renouvellement. Les fonctionnaires se sont bien approprié le système : en 2018, nous avons déjà expédié 3 000 nouveaux gilets.
Je partage votre avis sur la méthode globale, qui a été expérimentée à Marseille avec de bons résultats. Elle a inspiré la police de sécurité du quotidien, qui n'est pas une affaire de doux rêveurs : l'idée est qu'il faut adapter les politiques de sécurité à la réalité de chaque territoire - et de chaque quartier, à Marseille comme à Toulouse ou ailleurs. La méthode globale nécessite une certaine régularité, mais dans les quartiers l'appui des forces mobiles est indispensable. Or ces forces mobiles ont dernièrement été affectées à de nombreuses autres missions. De plus, l'effectif des CRS a baissé de 2 000 postes et les compagnies ne comptent plus que trois sections, ce qui les rend moins manoeuvrables. Les gendarmes, eux, ont supprimé des escadrons de gendarmerie mobile (EGM). Bref, il y a une vraie tension opérationnelle sur les forces mobiles. Nous devons redéfinir la coopération entre police et gendarmerie sur ce point, et dépasser la vision territoriale, ou patrimoniale, des choses. L'unité de coordination des forces mobiles (UCFM) gère la réserve nationale des forces mobiles : elle doit avoir la main sur les CRS comme sur les EGM. Le ministre est conscient de la nécessité de faire évoluer les choses.
Outre le besoin de reconnaissance de nos policiers, la difficulté de concilier leur travail avec leur vie de famille, la nécessité de transformer le regard de nos concitoyens sur leur police, ou l'allègement de la procédure pénale, ne serait-il pas pertinent de créer une académie de police qui réunirait les trois corps ? Une école, également, réunissant les cadres, redévelopperait la cohésion et l'esprit de corps, tout en relançant l'ascenseur social. Qu'en pensez-vous ?
Convivialité insuffisante, esprit de caste et non de corps... Que pensez-vous de l'IRP et de son effet sur le management ? Faut-il rendre ses critères plus qualitatifs ? La difficulté à se loger, notamment en région parisienne, est insuffisamment prise en charge, malgré un Bureau dédié. Pourtant, elle ne peut que diminuer la qualité de l'engagement. Entre la sortie d'école et l'entrée en service actif, il faut payer la caution tout de suite, mais la revalorisation salariale n'intervient qu'après six mois. On ne voit pas non plus poindre la moindre solution au problème posé par le fait que les policiers les plus jeunes et les moins expérimentés sont affectés aux quartiers les plus difficiles.
Oui, il y a là un vrai problème structurel. Si les demandes de mutation pour le Sud-Ouest ou la Bretagne affluent, personne ne demande sa mutation pour l'Ile-de-France. Du coup, pour répondre aux besoins, nous y envoyons les policiers en sortie d'école. Nous avons instauré des mécanismes de fidélisation : huit ans lorsque l'on passe le concours en Ile-de-France, cinq ans si l'on passe le concours national - dont 70 % des lauréats sont d'ailleurs affectés en Ile-de-France...
C'est la France éternelle ! Certains mécanismes incitent également à rester en Ile-de-France en y rendant l'avancement plus rapide. Pour autant, une fois la période de cinq ou huit ans écoulée, les départs sont immédiats. Nous avons essayé de les limiter à mille par an : cela fut très mal vécu. Nous étudions la possibilité d'élargir les viviers de recrutement. Actuellement, on devient gardien de la paix par un concours externe, qui requiert d'être bachelier, et par un concours réservé aux adjoints de sécurité, aux gendarmes adjoints volontaires, etc. Nous n'avons pas de vrai concours interne, ouvert aux trois fonctions publiques. Si nous en ouvrions un, ouvert à tous les fonctionnaires de catégorie C ayant une ancienneté suffisante, nous attirerions, pour servir en Ile-de-France, davantage de franciliens.
Comme le président veut réduire les effectifs de chaque administration...
Nous réfléchissons en effet à la création d'une académie de police, ce qui accroîtrait le brassage et la reconnaissance mutuelle entre corps de policiers. Le montage pédagogique requiert de la réflexion, et le choix d'un emplacement, des moyens ! Nous avons commencé à travailler sur l'organisation de contenus pédagogiques et de calendriers pour élaborer une période de formation commune des trois corps pendant un ou deux mois sur un socle de valeurs partagées par tout policier, quel que soit son grade, et de compétences techniques de base. Il existe déjà des formations de ce type. Nous souhaitons faire en sorte que chaque policier, en entrant dans la police, fasse ses classes pendant deux mois. Nous avons des disponibilités foncières à Nîmes, mais l'École supérieure de police est à Lyon, celle des officiers, à Cannes-Écluse...
Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Christian Mouhanna, chargé de recherches au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).
Je rappelle que le CESDIP est l'émanation du Service d'études pénales et criminologiques du ministère de la Justice (SEPC) établi en 1969. Il s'agit d'une institution dotée d'une histoire déjà longue, et qui a quatre tutelles : le CNRS, le ministère de la justice, l'université de Versailles-Saint-Quentin et l'université de Cergy-Pontoise.
Le CESDIP produit des recherches sur les phénomènes de criminalité, de délinquance et, plus largement, de déviance, ainsi que sur les institutions en charge de prévenir, contrôler, incriminer ou réprimer ces phénomènes, en premier lieu les institutions pénales.
Monsieur le directeur, notre commission d'enquête s'interroge sur l'état actuel des forces de sécurité intérieure, alors que des mouvements de contestation débordant les canaux habituels, notamment syndicaux, se manifestent depuis quelques années, particulièrement au sein de la police nationale.
Nous sommes également interpellés par les nombreux suicides de policiers ou de gendarmes qui semblent, pour partie au moins, la traduction d'un malaise au sein des forces de l'ordre.
Des travaux menés dans le cadre de votre institution permettent-ils de mieux objectiver ces phénomènes et, éventuellement, d'en déceler les causes ? Comment peuvent-ils être replacés dans le fonctionnement général de notre système pénal, qui comprend également les institutions judiciaires ?
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu qui sera publié.
Enfin, je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, monsieur Mouhanna, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christian Mouhanna prête serment.
Merci.
Je passe maintenant la parole au rapporteur.
Le sujet est vaste, et nous sommes amenés à analyser des causes multifactorielles.
Nous avons déjà pu en identifier un certain nombre en auditionnant les syndicats, ainsi qu'un journaliste qui s'est immergé durant six mois dans différentes unités pour écrire un ouvrage intitulé « Paroles de flics ».
On est face à une police aujourd'hui en quête de sens et de reconnaissance, dont les revendications sont bien plus que des revendications salariales ou catégorielles, la condition sociale des policiers, notamment celles des jeunes que l'on envoie en début de carrière en Île-de-France, étant également problématique.
La surcharge des emplois du temps, ces dernières années, ainsi que l'éloignement, ont multiplié les problèmes de vie familiale ou d'ordre personnel, qui font partie des facteurs qui s'additionnent et qui poussent certains d'entre eux au geste extrême.
Selon vous, quelles sont les causes multifactorielles du malaise des policiers ? Quelle appréciation portez-vous sur le concept de police de sécurité du quotidien (PSQ), dont on n'est pas forcément convaincu que les moyens qui ont été annoncés suffiront - même si les directions paraissent être les bonnes ?
Nous voudrions surtout vous interroger sur un point exprimé de façon très brutale par les policiers, le divorce qu'ils vivent aujourd'hui avec une fraction de la population qui, dans certains quartiers, ne veut pas d'une présence policière qui empêche l'économie souterraine de fonctionner. Les policiers ont le sentiment que le harcèlement dont ils font l'objet au quotidien - injures, outrages, rébellion -, n'est pas mis en balance par rapport aux quelques bavures ou supposés bavures hypermédiatisées qui sont mises en avant, parfois même avant l'établissement des faits.
Il existe également un problème de relations avec la justice, avec qui le divorce est consommé. Il suffit de lire les déclarations syndicales de policiers ou de magistrats pour comprendre que ces deux mondes s'affrontent, alors que rien ne peut se construire sans symbiose. Quel est votre sentiment ?
Ces deux entités ont pourtant su se rencontrer intellectuellement au niveau de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), en surmontant bien des réticences, mais continuent à s'opposer, ce qui constitue une véritable difficulté pour le politique.
On pourra également évoquer les charges indues, la coproduction de sécurité, la montée en puissance des polices municipales. Aujourd'hui, les policiers ont le sentiment de travailler dans de mauvaises conditions, de prendre de plus en plus de risques dans une société de plus en plus violente, d'être totalement incompris par les magistrats et de travailler « pour rien » - je caricature -, la justice ne suivant pas, parce que la chaîne pénale ne fonctionne pas, les peines ne sont pas exécutées et la prison n'est pas ce qu'elle devrait être.
Merci pour votre invitation. Il me semble toujours intéressant de confronter le point de vue du chercheur à celui des élus et des autres professionnels.
Nous sommes, au CESDIP, attachés à une sociologie opérationnelle qui nous fait aller sur le terrain observer les pratiques policières, le fonctionnement des groupes de jeunes, mais aussi des institutions judiciaires.
À titre personnel, cela fait plus de 20 ans que je travaille sur la police à travers un certain nombre d'études - que je ne détaille pas ici, mais dont je pourrai vous en envoyer la liste si cela vous intéresse - et sur le fonctionnement de ce qu'on appelle la chaîne pénale, qui va du policier jusqu'à l'exécution de la peine en milieu ouvert ou en prison.
Je vais essayer de vous donner un avis qui ne soit pas seulement attaché au milieu policier, même si celui-ci m'intéresse depuis très longtemps et me passionne même.
Le malaise, on le constate quand on va interviewer ou observer le fonctionnement des commissariats. Il est similaire dans l'institution judiciaire, et des mouvements commencent à sourdre dans d'autres institutions publiques. Il y a donc, je pense, une crise générale...
Dans la justice, est-ce seulement lié à la misère matérielle, qui est équivalente ?
Je pense qu'il existe aussi un problème de quête de sens. Ce ne sera pas le cas à l'hôpital, où le sens est clair et où il existe une distorsion par rapport aux moyens d'y arriver.
Cette quête de sens est fondamentale, aussi bien dans la justice que dans la police, où on a une difficulté à savoir pourquoi on travaille, et quel est l'objectif. Certaines personnes ont du mal à l'établir. Je ne ferai pas de cours de sociologie, mais il me semble qu'il est nécessaire d'avoir une direction très floue au quotidien pour connaître ses tâches et ses priorités.
Nous avons assez bien identifié le divorce que l'on constate avec une partie de la population. Je pourrai vous envoyer des documents à ce sujet. On le voit à divers titres, à travers les observations dont je parlais, mais aussi à travers des sondages européens, notamment lorsqu'on compare les différentes polices européennes. Le niveau de satisfaction reste généralement toujours très élevé mais, dans d'autres pays, la satisfaction vis-à-vis de la police s'est plutôt améliorée ces dernières années, ce qui correspond à un certain nombre de stratégies qu'on pourrait rapidement qualifier de stratégies de police de proximité, ou de politique volontariste de rapprochement avec la population.
Au contraire, en France, on observe un décrochage qui, de façon relativement claire, concerne plutôt les populations habitant dans les quartiers dits « sensibles », « difficiles » ou autres, selon la classification policière.
Ceci concerne plus les personnes relevant de minorités visibles, Français ou non, davantage les individus de sexe masculin, et principalement les jeunes, qui ont tendance à vivre à l'extérieur de chez eux et à occuper les espaces publics, une partie du temps d'ailleurs tout à fait légitimement, même si cela peut occasionner une gêne due au bruit, à leur comportement ou à leur simple présence.
Ce divorce avec la population résulte de plusieurs causes. Le constat remonte à 1977 et au rapport Peyrefitte, dont une des parties est consacrée à la prise de distance entre la police et la population, ainsi qu'aux difficultés que cela entraîne déjà à l'époque. Tout un chapitre traite des rapports difficiles entre police et population. Un certain nombre de politiques ont essayé d'y remédier dans les années 1980-1990 avec la relance de l'îlotage, pour aboutir à la police de proximité de 1997, qui a posé beaucoup de problèmes dans son opérationnalisation, mais qui avait au moins le mérite de soulever clairement la question de la prise de distance entre la police et la population.
Cette politique, selon les lieux, a rencontré plus ou moins de difficultés. Elle avait selon moi un tort essentiel, celui d'avoir en partie ouvert un certain nombre de postes de police dans les quartiers, ce qui a eu pour effet d'envoyer dans des bureaux un certain nombre de policiers, même s'ils étaient délocalisés par rapport aux commissariats. On a très clairement pu établir à cette époque qu'il existait des endroits où l'opération avait rencontré un certain succès, apaisé les tensions et permis un début de retournement de la population, notamment parmi ces jeunes occupant l'espace public, qui constituent souvent un objectif du travail policier.
Les enquêtes de victimation démontrent bien que ces jeunes sont parmi ceux où se recrutent les auteurs de délits, certes, mais aussi un grand nombre de victimes. Il existe en effet des tensions entre ces jeunes gens, et l'on constate une demande d'une police « normale ».
C'est le sentiment qui a fort bien été identifié par Dominique Monjardet, célèbre sociologue de la police dans les années 1990, qui avait clairement mis en évidence le symptôme d'une police à la fois trop présente et trop absente.
La police est trop présente dans ces quartiers, souvent en masse, à l'occasion d'opérations de sécurisation de CRS, ou en cas d'appel à Police secours, pour des raisons de sécurité. À d'autres moments, il est impossible de recourir à la police : les policiers ne répondent pas, mettent longtemps à intervenir, le font très rapidement avant de se rendre sur l'intervention suivante. On a le sentiment d'être « mal servi » par cette police.
Tout cela constitue un cercle vicieux, la police ayant de plus en plus de difficultés à s'ancrer dans ces quartiers et à les connaître.
Vous avez certainement évoqué avec d'autres interlocuteurs le système de recrutement national, où les jeunes recrues se retrouvent dans les quartiers les plus difficiles alors qu'ils ont peu d'expérience. Il n'est qu'à considérer le nombre d'adjoints de sécurité (ADS), contractuels qui forment les patrouilles dans les quartiers les plus difficiles. Le policier expérimenté est plus souvent derrière un bureau que dans la rue. Les policiers sont également très vite mutés ailleurs, d'où un manque d'ancrage dans la population.
Cette méconnaissance implique souvent la peur. Dès 2001, les premières grosses manifestations de policiers évoquaient déjà ce thème, que l'on voit émerger à nouveau en 2016, dans le contexte terroriste et l'affaire de Magnanville. L'idée que le policier est vulnérable constitue un tabou qui est tombé au début des années 2000. Auparavant, on ne parlait pas de la peur. À présent, on l'exprime assez facilement - et fort légitimement d'ailleurs, car il s'agit d'un métier dangereux.
La relation avec le public est donc très dégradée. Les policiers essayent de bien faire leur travail, compte tenu de leurs contraintes, mais ne reçoivent pas d'écho d'une partie de la population, parce qu'ils ne répondent pas aux attentes de celle-ci. Il est assez intéressant de constater le décalage entre la demande publique dans certains secteurs et la réponse policière.
Je pourrai répondre à vos questions à ce sujet s'il y en a.
L'autre point sur lequel vous insistez, c'est celui des relations avec la justice. Il y a deux façons de les envisager.
En premier lieu, on peut dire que le fait de rejeter toutes les responsabilités sur l'institution judiciaire permet à la police d'éviter de se poser un certain nombre de questions sur son fonctionnement, notamment hiérarchique, qui est extrêmement lourd. Le corporatisme policier est à la fois une protection par rapport à ceux que les policiers appellent « les autres », les non-policiers, qui ne peuvent les comprendre, mais il est aussi très lourd.
J'ai travaillé il y a quelque temps sur les questions de déontologie : il est très difficile pour un policier de dénoncer le comportement d'un de ses collègues. Cela ne se fait pas.
C'est une partie du malaise sur lequel vos interlocuteurs se sont certainement peu exprimés, mais j'insiste sur la difficulté qui existe à travailler dans un univers où beaucoup de choses ne se disent pas, et où domine une certaine pesanteur hiérarchique. Même les syndicats, qui sont un atout dans le jeu des mutations pour obtenir plus rapidement un certain nombre de choses, sont très fortement dénoncés pour leurs pouvoirs. Il n'est qu'à considérer les manifestations de 2016, qui ont été totalement conduites en dehors d'eux.
L'institution fonctionne avec des règles judiciaires, une hiérarchie et un pouvoir syndical très forts, mais cette hiérarchie manque de légitimité et est extrêmement critiquée. En effet, ce que les policiers appellent la « politique du chiffre », primes de résultats à l'appui, a contribué assez fortement à casser son image. Même si ce système a tendance à devenir moins prégnant, la hiérarchie, en jouant ce jeu, a longtemps été désavouée aux yeux de policiers pour qui cette politique allait à l'encontre de leurs objectifs.
En résumé, soit on suit des directives hiérarchiques avec des ordres et des évaluations venant du sommet - plan cambriolage, etc. - soit on répond aux sollicitations des personnes du quartier.
On voit bien que les logiques ne sont pas toujours permanentes : on ne peut répondre rapidement à la demande sociale, locale, s'il faut, de l'autre côté, répondre à d'autres exigences, dont quelques-unes apparaissent totalement paradoxales : dans les unités spécialisées constituées pour répondre à certains délits, on explique au citoyen qu'on n'a pas le temps d'enregistrer sa plainte, car on travaille sur un autre dossier !
Je pense que c'est l'un des défis de la PSQ. On verra dans la pratique, après les annonces faites le 8 février dernier par M. Collomb. Toute la question est de savoir si l'institution policière va pouvoir redonner de la responsabilité aux policiers de terrain, et si ces derniers y sont prêts. C'est un double objectif qui rend toute réussite très difficile. L'institution policière va-t-elle ou non accepter de sortir de sa logique hiérarchique très pesante pour laisser un peu de subsidiarité aux acteurs locaux ?
Deuxième point : les relations avec la justice. J'observe les relations entre la police et la justice depuis les années 1990. À la fin de celles-ci, lorsqu'on interviewait des officiers de police judiciaire ou des magistrats, le maître mot était celui de « confiance ».
Tous les policiers n'avaient pas confiance dans tous les magistrats, mais certains policiers avaient confiance dans certains magistrats - parquetiers, juges d'instruction - qui faisaient eux-mêmes confiance à certains OPJ, et on voyait ainsi se constituer des équipes relativement pérennes, où la confiance était très forte.
Ce système n'existe quasiment plus actuellement. Je ne parle pas des grands services de police judiciaire, dont le mode de fonctionnement est différent, mais du secteur judiciaire courant, où la confiance a disparu. Comme vous l'avez dit, on est plutôt sur des relations de méfiance, voire de tensions quasi déclarées.
Il y a à cela plusieurs raisons. Du côté policier, cela s'explique par la course aux chiffres, qui constitue une logique propre au ministère de l'intérieur. On a demandé à la justice d'enregistrer des résultats. Sans vouloir défendre à tout prix l'institution judiciaire, je dois dire qu'un certain nombre de procès-verbaux transmis aux services judiciaires sont des PV portant la mention d'auteur inconnu, ou des PV où l'infraction est mal caractérisée. Le taux de perte est assez important. Sur 5 millions de PV, on était, il y a deux ans, à plus de 2 millions de PV où l'auteur est inconnu, soit 40 %.
Quand on est OPJ, on est dans ce double système de hiérarchie administrative et judiciaire, les officiers étant rattachés au parquet ou devant répondre aux demandes du juge d'instruction dans le cadre de la procédure pénale. Dans les faits, la carrière d'un policier dépend plus de la hiérarchie administrative que judiciaire. Il aura donc très naturellement tendance à répondre plus à l'une qu'à l'autre.
Le deuxième point important, c'est la réforme des corps et carrières, qui a débuté en 1996 et qui a connu une nouvelle étape en 2004. Auparavant, il existait deux corps dans la sécurité publique. On trouvait, dans les commissariats d'une part les agents en tenue, qui se chargeaient des patrouilles, gardaient les espaces à surveiller, etc., d'autre part les officiers de police judiciaire - inspecteurs, inspecteurs principaux. C'était là deux carrières distinctes. On entrait dans les services de sécurité publique ou dans la carrière en tenue. Cela posait éventuellement des problèmes de coopération entre les deux corps, mais surtout, lorsqu'on entrait dans la police comme OPJ, on y faisait quasiment toute sa carrière.
Dans l'espace parisien, ceci se traduisait par la présence de commissariats de quartier dotés d'officiers de police judiciaire - quatre par arrondissement - et de commissariats constitués de policiers en tenue - un par arrondissement.
On a fusionné les deux pour des tas de raisons, mais ceci a créé un effet pervers : dorénavant, le fait d'être OPJ - bien que la réforme de 1998 donne la possibilité aux gardiens de la paix de devenir officiers - n'est qu'une étape dans une carrière de policier : on peut être OPJ pendant trois ans, aller ensuite dans un service administratif, puis faire autre chose.
À l'inverse de votre démonstration, il y a beaucoup plus d'OPJ chez les gendarmes sans qu'il y existe cette séparation.
La gendarmerie pose des questions tout à fait différentes. Il faut séparer les deux : les logiques sont assez divergentes.
Ce qui est intéressant dans la police nationale, pour dire les choses brutalement et de façon caricaturale, c'est le fait que les officiers de police judiciaire qui effectuaient auparavant ce travail judiciaire sont devenus les encadrant des autres. On a l'ajouté des niveaux hiérarchiques supplémentaires, mais on a sorti cette spécialisation juridique qui faisait la force des OPJ.
D'après ce qu'on a entendu, c'est aujourd'hui le cloisonnement plus que les passerelles qui posent problème.
Non, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une divergence. Pour donner une fonction à tous ces officiers, on a multiplié les sous-bureaux spécialisés de police judiciaire. Certains travaux le montrent fort bien.
Il s'agissait à la fois de donner un poste aux officiers - je caricature, mais pas tant que cela - et de faire en sorte que les OPJ « généralistes » arrivent à connaître la procédure dans tel ou tel domaine.
Certains travaux suivent durant dix ans l'évolution des commissariats. On y voit se créer, au sein de la police judiciaire, la brigade qui traite des vols à l'étalage, celle qui traite des cambriolages, puis celle qui traite des vols à l'étalage de jour dans les établissements, etc. Les ramifications sont de plus en plus fines, avec des services de deux à trois personnes, un chef, un adjoint et une troisième personne.
Bref, cette hyperspécialisation conduit au cloisonnement. On peut faire un parallèle avec la médecine, où l'on trouve peu de spécialistes d'une aire géographique ou d'une population précise.
La brigade des cambriolages s'occupe de cambriolages, celle travaillant sur la délinquance routière s'occupe de délinquance routière, mais il n'existe pas de policier généraliste qui ait une vision générale.
L'évolution existe également dans le domaine de la justice, notamment du fait du traitement en temps réel mis en place à partir de 1993 avec l'expérience de Bobigny, qui a demandé une dizaine d'années pour se généraliser à tous les tribunaux. Il s'agit de la mise en place par les parquets d'une sorte de centre d'appel où des substituts, généralement parmi les plus jeunes, formés à l'École de la magistrature (ENM), répondent en cinq à dix minutes maximum à des appels d'OPJ qui leur présentent oralement des affaires de façon très résumée. Ceci a eu un certain nombre d'effets, ces jeunes substituts prenant en une minute une décision d'orientation à travers les différentes filières pénales.
On est face à une déshumanisation, une industrialisation - on a également pu parler d'une forme de taylorisation -, policiers et magistrats n'ayant plus le temps de s'intéresser au fond de l'affaire ni même d'échanger entre eux.
En effet. Il s'agit d'un contact entre l'OPJ et le magistrat. Très souvent, ce sont les policiers intervenant sur la voie publique qui sont à l'origine du dossier. Un premier travail judiciaire a été effectué, avec quelques tensions entre l'OPJ et ceux qui sont sur le terrain, qui sont confrontés à la réalité.
L'échange entre l'OPJ et le magistrat ne permet pas de construire une relation forte. On est dans du traitement rapide de flux d'affaires. Le taux de réponse pénale a été longtemps considéré comme très important dans les parquets. On est dans une logique industrielle où l'on ne consacre plus de temps aux contacts humains. Il faut aller vite, traiter des affaires. On s'attacher plus à la procédure qu'au fond.
Vous ne semblez pas percevoir les choses comme nous les avons perçues : l'essentiel du malaise provient aujourd'hui pour une grande part de ce que les policiers, syndiqués ou non, de droite ou de gauche, ont le sentiment qu'il n'y a pas de réponse pénale adaptée.
Soit elle ne vient pas soit, lorsqu'elle arrive, elle intervient trop tard et elle est parfois contre-productive, plus encore dans le domaine de la justice des mineurs, qui sont en phase de construction.
Ce que vous dites paraît en contradiction avec cet état de fait. Par ailleurs, l'aiguillage tel qu'il est réalisé n'engage pas le jugement au fond.
On a pu démontrer que le choix par le parquet de telle ou telle orientation constitue en partie un préjugement. En comparution immédiate, le risque de condamnation à des peines de prison ferme est bien plus élevé que dans le cadre d'une procédure normale.
La procédure normale devenant anormale, la justice ne réfléchit-elle pas à la façon dont on pourrait raccourcir les durées ?
Bien sûr, mais cela pose la question du nombre de magistrats et de greffiers. Je ne veux pas me faire le héraut des positions syndicales de magistrats ou de greffiers...
Le ratio de policiers par habitant, en France, est plutôt plus élevé que la moyenne européenne, alors que le ratio de magistrats est bien plus faible par rapport à la plupart des pays européens, voire des anciennes démocraties populaires des pays de l'est. Cela pose un certain nombre de questions.
Quoi qu'il en soit, policiers et élus considèrent que, dans des secteurs très difficiles, comme celui de Samia Ghali ou le mien, ils agissent dans le vide faute de réponse pénale. J'ai 70 % de logements sociaux.
Je voudrais malgré tout émettre une nuance. Je n'ai pas les chiffres de la justice, mais je pense que vous les obtiendrez facilement si vous les demandez. On constate une augmentation de la réponse pénale, le nombre de personnes incarcérées ayant fortement augmenté en quelques années.
La durée des peines est de plus en plus longue, à délit similaire. On incarcère des personnes pour des périodes très courtes, donc pour des délits qu'on peut considérer moins graves que d'autres : un tiers des personnes passent moins de trois mois en prison. On peut dire que la justice est trop clémente, mais on voit d'après les chiffres qu'elle est plutôt dans une voie de sévérité accrue.
Pour répondre à votre question, je pense qu'il existe du côté policier une forte méconnaissance de l'appareil judiciaire et de la réponse pénale exacte...
On peut en effet le dire dans une large mesure.
L'une des difficultés vient du fait que la police agit dans un temps très bref en matière de petits et moyens délits, ceux-ci ne relevant pas du juge d'instruction.
Les comparutions immédiates représentent un pourcentage relativement limité des affaires. Nous avons toutes les réponses alternatives. Dans certains TGI de région parisienne, deux tiers à trois-quarts des sanctions sont prises hors audience. Cela signifie que les gens ne se rendent pas au tribunal, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne font pas l'objet de sanctions - confiscations, interdictions de fréquenter certains lieux, etc. - par exemple par le biais d'ordonnance pénale, courrier, composition pénale, etc.
Structurellement, la justice est en retard. On est dans un temps judiciaire décalé. Cela ne veut pas dire que la sanction ne peut pas être sévère.
C'est une autre question. Il s'agit d'un vaste débat : il n'a jamais été démontré qu'une que justice rapide soit plus efficace.
Sans être expéditive, je le précise. Si la sanction a une vertu pédagogique, et qu'elle parvient à un jeune en construction deux ans après que les faits aient été commis, c'est trop tard.
La menace de la sanction peut être la voie vers une rédemption ou vers des efforts. L'attente du jugement est aussi un moyen de stimuler certaines personnes.
Je pense qu'aucun travail de recherche ni aucune évaluation sérieuse n'ont été menés à propos de l'idée qu'une justice plus rapide soit plus efficace qu'une justice qui prend son temps. On parle d'une césure du procès pénal.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas qu'il existe une prise en charge, mais un jugement rapide est-il préférable à un jugement plus long ? La contrainte pénale pose énormément de questions. Je pense qu'il s'agit là d'un autre chapitre.
Pour en revenir à ce que je disais, les policiers connaissent très mal l'institution pénale et ses délais, et ont du mal à avoir des tableaux de suivi. C'est pourquoi il est important qu'un policier ait une vision claire d'un quartier lui permettant le suivi de telle ou telle personne.
C'est une question qu'on n'a pas posée. Elle est très pertinente. Il n'y a pas d'échanges d'informations exhaustives et en temps réel entre police et justice.
Il n'existe même pas de logiciel qui le permette. Le magistrat qui aura le contrevenant ou le délinquant présumé devant lui ne saura pas forcément si les affaires n'ont pas déjà été traitées et jugées.
C'est tout le problème. Il existe des fichiers de police comme le TAJ (Traitement d'antécédents judiciaires), anciennement STIC, mais les rapports de la Direction générale de la police nationale (DGPN) et de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) ont démontré qu'ils étaient assez largement entachés d'erreurs - ce qui est compréhensible - et incomplets. Or même les magistrats se basent sur le TAJ pour arrêter des décisions d'orientation.
Je voudrais insister sur un point afin d'aller plus loin : on a énormément de personnes suivies en milieu ouvert, bien plus qu'en milieu fermé. Dans les commissariats, on considère qu'il ne s'agit pas d'une vraie sanction, contrairement à la prison. On peut s'interroger sur cette affirmation, mais c'est un avis qui domine.
Cependant, énormément de gens suivis en milieu ouvert sont interdits de certains territoires. Or la police ne le sait même pas. Quelle légitimité peuvent alors avoir les deux institutions ?
Dans beaucoup d'endroits, lorsque le juge d'application des peines (JAP) demande à la police d'exercer un certain nombre de contraintes, celle-ci hausse les épaules et considère le JAP avec un certain dédain. Le JAP, ce n'est pas le juge répressif mais le juge social. Cela ne correspond pas du tout à la réalité, mais peu importe. La coopération est très faible.
Quand les juges des libertés et de la détention (JLD) fonctionnent bien, cela peut arriver.
Cela peut en effet arriver, mais vous parliez d'exemplarité : je vous parle d'application d'une sanction.
Est-ce vraiment le travail du policier ? À force de trop lui en demander, il finit par se noyer.
Pourquoi ne pas prévoir le port d'un bracelet électronique permettant de géolocaliser les personnes faisant l'objet d'une interdiction de territoire ?
Vous rejoignez ce que j'essaye de démontrer. Ne pas respecter des obligations constitue un délit pénal.
Quel est le sens du travail policier ? Il existe des groupes de « casse-pieds », pour ne pas employer d'autres termes. Certains ne relèvent peut-être pas du pénal et nécessiteraient d'autres systèmes de gestion, mais ne pas faire respecter les condamnations ôte toute légitimité au système pénal. Or il me semble que le travail des policiers soit bien de lutter contre le noyau dur de la délinquance.
Les commissariats de quartiers, lorsqu'ils existaient à Paris, suivaient non seulement les délinquants - et on ne disposait pourtant pas à l'époque d'ordinateurs aussi performants qu'aujourd'hui, ce qui pose question - mais aussi les « fous », etc.
Sans suivi, pas de renseignements, pas de connaissance de la délinquance !
J'étais, jusqu'à il y a peu, adjointe au maire de Tourcoing, ville qui comporte une ZSP proche de la frontière belge où les taux de délinquance et de chômage sont énormes. Tout est au rouge.
On réalise des cellules de veille tous les vendredis matin avec la police nationale, la police municipale, les bailleurs sociaux, etc. Tout le monde sait ce qui se passe pratiquement rue par rue, depuis l'arrestation du délinquant, son internement, jusqu'à sa sortie de prison.
Il existe cependant des ratés : les policiers municipaux ou nationaux se font agresser à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, qu'ils soient deux ou dix. Les voitures de service reçoivent des cailloux, des cannettes, etc. On ne peut envoyer à chaque fois 50 policiers parce qu'un groupe se trouve devant tel ou tel établissement.
Certes, la réponse n'est pas adaptée à la demande, mais plus on en fait, plus les gens en réclament ! Lorsque des enfants jouent au ballon contre une porte, on reçoit immédiatement un coup de téléphone pour se plaindre du fait que la police ne fait rien. C'est systématique. Lorsque vous avez été, comme moi, adjointe à la sécurité plusieurs années durant, vous avez compris ce qu'endurent les policiers !
Vous dites que la population n'obtient pas de réponse de la police. Lorsque je faisais des réunions de quartier, le commissaire de police ne venait plus. Les habitants se plaignaient sans cesse, et cela devenait infernal.
Comme le disait François Grosdidier, il faut que la justice prenne la suite. Les JAP infligent des travaux d'intérêt général, mais il faut aussi que certaines sanctions marquent le coup !
Vos recherches ont-elles porté sur tout le territoire ? La délinquance n'est en effet pas partout la même. À Marseille, par exemple, il n'y a pas d'agressivité vis-à-vis de la police. Le problème est différent.
Pourquoi la police est-elle violemment prise à partie sur certains territoires et pas dans d'autres ? J'en ai bien une idée, mais j'aimerais connaître la vôtre.
Par ailleurs, avez-vous travaillé sur la question des « voisins vigilants » ? Cela fonctionne très bien dans les villages, où elle peut constituer un outil d'accompagnement.
Je suis quant à moi favorable à ce que l'on accorde un crédit d'impôt aux citoyens qui s'équipent de caméras de vidéosurveillance. C'est une idée que je proposerai à M. le rapporteur et à M. le président. En effet, ces équipements coûtent de l'argent, et tout le monde ne peut se les payer. Pourtant, cela limite les cambriolages.
Comme l'a fait valoir Mme Lherbier, on sollicite les policiers pour tout et n'importe quoi. Personne ne supporte plus rien. Parfois les jeunes ne font rien, mais on veut agir de façon préventive. C'est une pression de plus pour la police : lorsqu'elle fait bien son travail d'un côté, on lui dit qu'elle le fait mal de l'autre - et c'est tout aussi compliqué pour les élus.
Toutes ces questions demanderaient chacune des développements très longs.
Cela fait 20 à 25 ans qu'il existe de nombreux de travaux de recherche sur le sujet, et l'on commence à accumuler les savoirs.
Je vous rejoins tout à fait dans ce que vous avez dit - et cela a été dit par M. Collomb jeudi dernier : la politique de sécurité doit se définir à un niveau local. On n'a en effet pas partout la même délinquance ni les mêmes types de problèmes. Ce n'est même pas à l'échelle de la municipalité. Certains travaux ont montré comment, dans une ville moyenne de 50 000 habitants, le fonctionnement de la police est complètement différent selon les quartiers.
Je ne connais pas bien Tourcoing, mais j'ai patrouillé assez longtemps à Roubaix dans les années 1990, à l'époque où les îlotiers avaient été relancés par le directeur départemental.
Il était alors possible d'effectuer des rondes à pied avec les policiers. Pourquoi ne peut-on plus le faire ? À un certain moment, on a décidé que l'îlotage constituait du « bricolage », et on l'a arrêté.
C'est une question intéressante. Toutes les démocraties occidentales enregistrent une baisse tendancielle des violences sur le très long terme. Les homicides sont en très forte baisse depuis la fin de la guerre, ainsi que les violences aux personnes. La réponse pénale - et je pèse mes mots - est plus forte à délit égal.
Par exemple, auparavant, lorsque deux élèves en frappaient un troisième dans une cour d'école, personne ne déposait plainte ou procédait à un signalement. Aujourd'hui, c'est une incrimination avec circonstances aggravantes : les faits se sont déroulés dans un établissement scolaire, et la victime est mineure.
On a aussi un territoire bien plus différencié et contrasté.
Ce que vous dites constitue peut-être une réalité objective à l'échelle globale, mais ceux qui gèrent les zones urbaines sensibles (ZUS) ainsi que les policiers ont constaté ces dix dernières années une augmentation de la violence gratuite des jeunes. C'est le cas dans ma ville, où j'ai pourtant divisé par deux le nombre d'actes de délinquance.
On enregistre depuis cinq ans des phénomènes de violence des filles dans les établissements scolaires.
La violence des filles est un sujet qui revient environ tous les quatre à cinq ans, et on le considère comme un phénomène nouveau. J'étais au ministère de l'intérieur il y a quinze ans : on nous disait exactement la même chose.
Ce sont des enseignants qui ont vingt ou trente ans d'ancienneté qui décrivent ces phénomènes.
Soyons clairs : je ne dis pas qu'il n'existe pas de violence de la part des mineurs, je dis que, tendanciellement, le phénomène a plutôt tendance à baisser.
Cependant, je vous rejoins sur le fait qu'on enregistre une concentration de problèmes dans certains secteurs du fait de politiques différentes - gentrification, etc.
Certaines personnes, à tort ou à raison, se sentent abandonnées par la République. Je ne dis pas qu'ils le sont, mais ils le ressentent comme tel. Ces personnes vont se raccrocher à l'école, à la police, aux représentants de l'État, et leur demander de résoudre tous les problèmes - quand ils ne s'adressent pas au maire ou à l'élu de quartier.
On peut considérer qu'il s'agit là d'un manque de maturité ou de ressources, mais comment faire pour résoudre une partie de ces problèmes ? Aujourd'hui, pour que l'on s'intéresse aux problèmes, il faut qu'il s'agisse d'une question de sécurité.
Les viols augmentent, mais on sait qu'auparavant, on ne portait pas plainte...
Autrefois, une majorité de policiers étaient habitués à la violence, parce que la société était habituée à la violence.
L'ordonnance relative à l'enfance délinquante date de 1945, époque à laquelle les mineurs étaient armés.
Non, mais à la suite de la guerre d'Algérie, certaines personnes ont été confrontées à des violences.
Actuellement, les jeunes policiers viennent de villes de province relativement généralement tranquilles. La DRCPN possèdent les chiffres. Il s'agit de personnes plutôt issues des classes moyennes, qui ne sont pas confrontées à ce genre de situation. Les policiers qui pénètrent pour la première fois dans les quartiers difficiles ne sont pas habitués à la violence.
À l'époque où j'ai commencé à travailler avec les policiers, certains avaient été fondeurs. Ils avaient donc l'habitude des rapports physiques.
Les policiers ne déposaient pas forcément plainte pour outrage à l'époque, mais réglaient le problème eux-mêmes.
C'est une autre stratégie. Je vous rejoins sur ce point. Je ne suis pas là pour dire ce qui est bien ou mal. De nos jours, on ne peut plus le faire, et on n'en a pas forcément envie. On n'est pas habitué à la violence, et tous les policiers ne sont pas uniquement recrutés sur des critères athlétiques. Cela fait partie du malaise
On a une société plus contrastée, encore plus lorsque les policiers viennent de province et vivent dans un certain cocon, qu'ils n'ont jamais été confrontés à la violence et qu'ils débarquent dans un monde qui n'a plus rien à voir avec celui dont ils sont issus, la nation étant aujourd'hui beaucoup plus hétérogène. Ils changent de milieu et n'ont pas les codes.
Vous m'inquiétez lorsque vous dites que la réponse policière ne correspond pas à la demande sociale. J'aurais tendance à dire - et c'est d'ailleurs ce qu'on entend - que c'est la réponse pénale qui ne répond pas à la demande sociale.
En fait, même si beaucoup de nos concitoyens supportent de moins en moins leurs voisins, c'est en grande partie parce qu'on est dans un contexte de tensions permanentes. Le chahut des jeunes fait peur parce qu'on pense à autre chose. Je m'interroge lorsque je vous entends dire que la lenteur de la justice des mineurs peut avoir une vertu thérapeutique...
Je n'ai pas dit cela : j'ai dit qu'on ne le sait pas.
Je pense qu'il n'y a pas de réponse pénale adaptée, dans un délai raisonnable, à l'action policière, alors que celles-ci correspond à la demande sociale.
Je ne suis pas d'accord avec vous. Il existe une réponse policière qui n'est pas adaptée à la demande sociale. On pourrait d'ailleurs le démontrer. Je serai ravi d'aller faire une étude dans votre secteur pour parler de choses concrètes.
La police renvoie tous ses problèmes sur la justice : cela lui évite de se poser un certain nombre de questions.
J'ai l'impression que le fait que l'on arrête des délinquants pour des motifs graves et qu'il n'existe pas de sanctions ne vous interpelle pas.
Non seulement cela m'interpelle, mais je suis en outre les personnes jusqu'à la prison. Je n'ai pas de problème avec la prison. Ce n'est pas une posture idéologique que je défends.
J'affirme qu'on n'a rien démontré dans un sens ni dans l'autre. On est là face à des croyances - et je pèse mes mots.
L'appareil judiciaire est totalement saturé, et même plus. Je pense que les juges, s'ils pouvaient ajouter une audience ou deux de plus, le feraient. Ils ont développé des mesures hors audience pour apporter des réponses plus rapides. Je tiens les chiffres à votre disposition, et le ministère de la justice en dispose également. Par exemple, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) - le « plaider-coupable » - est en train de se développer très rapidement. La justice, sans vouloir avoir l'air de m'en faire l'avocat, a développé des réponses.
Je me tourne vers les élus : soit l'on accepte de dépénaliser certains actes et de les traiter autrement...
En effet. Ce sont des choix politiques qu'il ne m'appartient pas de trancher.
Mais il vous appartient d'identifier les problèmes et d'établir des préconisations.
Non seulement il faut poser la question de la déjudiciarisation d'un certain nombre de problématiques, mais aussi développer en parallèle le rôle de médiateur que certains policiers pourraient tenir.
On dit que ce n'est pas leur travail. On voit développer le nombre des délégués à la cohésion police-population pour réaliser les médiations. C'était aussi le travail du gardien de la paix, dont certains tiraient d'ailleurs une certaine fierté. Lorsque vous êtes appelé la nuit pour régler un différend familial ou un différend entre voisins, vous cherchez à calmer les choses avant d'entamer une procédure judiciaire.
Certains le font encore. Tendanciellement, cela a baissé. Cela fait partie du malaise policier.
Bien entendu. Je ne les incrimine pas. La machine s'est emballée. Il existe une demande sociale de pénalisation. Il faudrait expliquer aux gens que tout ne se pénalise pas. Cela renvoie au fonctionnement d'une justice de proximité, qui permet de résoudre des problèmes simples.
Faut-il que je porte plainte contre mon voisin pour que l'on commence à prendre en compte mes difficultés de voisinage ? Ce ne sont pas des exemples isolés...
La structuration des appels passés à Police secours depuis les quartiers sensibles démontre qu'il s'agit de différends familiaux ou de différends entre voisins. La police, dans certains cas, ne se déplace pas, faute de temps, d'énergie, et parce que les conditions de sécurité font qu'on ne se rend pas dans ces quartiers avec une seule voiture, vous l'avez fort bien dit. Il en faut trois. Le temps de les réunir, il peut se passer plein de choses.
Le temps d'intervention - et je ne dis pas que c'est la faute des policiers, c'est l'enchaînement qui m'intéresse - casse l'image de la police.
Par ailleurs, les voisins vigilants sont évidemment une bonne idée. La gendarmerie essaie de fonctionner à nouveau avec des « brigades de contact ». Nous ne les avons pas évaluées, et je ne sais pas si elles fonctionnent bien, mais il existe un mouvement dans cette direction.
Il s'agit d'une police ancrée dans son territoire, qui prend le temps de discuter avec les gens qui l'informent, même dans les quartiers les plus sensibles.
Lorsqu'un policier est dans un endroit discret, les habitants du quartier viennent lui parler. Certes, ils peuvent lui raconter des choses peu intéressantes, qui ne sont pas du ressort de la police, mais que fait-on de tout cela ?
Vous placez les personnes dans des situations délicates. Le voisin vigilant qui va observer un dealer est-il apte à supporter cette tension ? Je n'ai pas voulu conserver de voisins vigilants à Tourcoing. Il y en a eu quelques-uns, mais on les a mis en danger : ils recevaient des pierres sur leurs portes, etc. On les considérait comme des espions.
Tout dépend des quartiers. Certaines s'y prêtent, d'autres non.
J'ai été très intéressée par votre exposé, car vous y avez fait apparaître des problématiques qui, pour les politiques, sont parfois difficiles à analyser.
De par mes fonctions, j'ai connu les différentes politiques qui ont été appliquées à nos forces de sécurité. C'est ainsi que les cartes judiciaires ont été modifiées. Dans mon département de l'Aude, nous comptions cinq tribunaux : il n'en reste plus que deux. Pour la justice de proximité et le suivi, ce n'est pas évident. On nous a expliqué qu'il fallait réduire les effectifs pour faire des économies.
Mon département disposait d'un maillage du territoire grâce à des commissariats et des gendarmeries adossés à des politiques de prévention de la délinquance. Dans une ville moyenne, on avait essayé de protéger au mieux les populations en lançant, dans les années 1980, les premiers conseils de prévention de délinquance regroupant la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les commissariats, la gendarmerie. On arrivait à avoir des instances de débat entre la commune et les forces de sécurité. Les zones de gendarmerie et de commissariat n'ont pas rempli les mêmes missions.
On a aujourd'hui abandonné la police de proximité et condamné l'îlotage. Un certain nombre de jeunes policiers de l'Aude se sont installés en Île-de-France ou sont partis à Toulouse après la fermeture des commissariats.
Dans mon département, je n'ai pas les mêmes problématiques que celles que rencontrent les collègues qui se sont exprimés, mais le citoyen français doit avoir accès à la police et à la protection judiciaire de la même façon où qu'il se trouve.
En milieu rural, on en revient à présent à des brigades de gendarmerie plus denses, mais on a vu se développer des zones liées à la production de produits stupéfiants, et la criminalité est arrivée dans des zones rurales où personne ne serait jamais allé la chercher.
Vous avez dit que les policiers avaient du mal à trouver un sens à leur action. Vous avez même parlé d'une « direction floue ». Je voulais aborder la question de la formation des personnes qui en arrivent là.
Les problématiques ne sont pas les mêmes à Marseille, Tourcoing ou Paris, mais la délinquance existe partout. On constate un divorce entre la population et ses forces de sécurité, auxquelles elle était pourtant très liée. La base se sent oubliée !
J'ai été ce cambriolée deux fois. Cela peut arriver. Je n'ai pas dit qui j'étais. La gendarmerie est venue constater le premier cambriolage. Pour le second cambriolage, qui a eu lieu un samedi soir, ils n'ont pas pu se déplacer avant le lundi, faute d'effectifs !
Les deux tribunaux de l'Aude sont complètement engorgés. On a les mêmes problématiques que celles dépeintes par Samia Ghali. On n'a plus de suivi, les jeunes sont relâchés, et la population ne comprend pas.
Les politiques ne sont aujourd'hui plus audibles. Je souhaitais connaître votre sentiment. Notre rapport doit dégager des pistes pour améliorer la situation, afin de ne pas procéder à un empilage nouveau qui n'aboutira pas, faute d'y mettre les moyens financiers.
Savez-vous qu'on a enlevé aux forces de sécurité tous les moyens de suivre les délinquants ? Les fiches 23, 24 et 25, qui permettaient de les suivre tout au long de leur existence ont été supprimées. Aujourd'hui, on ne peut pister un délinquant qui passe d'une ville à l'autre, même s'il s'agit d'un pédophile ou d'un escroc.
On a totalement retiré à la police et à la gendarmerie la capacité d'agir contre la délinquance. En tant que chercheur, vous pourriez le signaler à qui de droit. C'était vraiment un outil essentiel.
Je tiens à votre disposition d'autres éléments complémentaires si vous en avez besoin.
J'aurais voulu répondre à la question sur la vidéosurveillance - que je ne qualifie pas de vidéoprotection. Je vous ferai une réponse personnalisée un autre jour. N'y voyez aucun renoncement.
S'agissant de la formation policière, celle-ci est assez inadaptée à un certain nombre d'enjeux, notamment en matière d'analyse des situations. Les formations en matière de sécurité, d'affrontement, de tir, etc., sont totalement légitimes. On peut se poser la question de l'utilité sur le fond de certaines formations en droit public, mais ce sont les formations destinées à l'intervention dans des secteurs inconnus qui manquent le plus.
J'insiste sur le fait que la formation continue est inexistante chez les policiers. Elle fonctionne un peu mieux pour ce qui concerne la magistrature. C'est vrai également pour les commissaires de police.
On pourrait certes suivre les grands délinquants, mais mon problème est à une échelle plus modeste. Il concerne le groupe de « casse-pieds » que j'ai précédemment cité. Ses membres n'ont pas de condamnation judiciaire, et il est difficile de faire quelque chose contre eux. Des obligations judiciaires pèsent cependant contre quelques-uns. Comment le gère-t-on ?
Des tablettes tactiles vont être mises à la disposition des policiers. Je suis curieux de voir comment ils vont pouvoir être à la fois en face d'un groupe de jeune et utiliser cet outil. On verra, mais il est assez aberrant de ne pas avoir une vision policière proche.
Je pense que les policiers ont l'impression de répondre à une demande. Or ce n'est pas celle qui leur est faite. C'est de ce malentendu que naissent les problèmes. Ce n'est pas avec une loi qu'on va régler la question des halls d'immeubles. On a voté des lois inapplicables. Certains de ces jeunes squatters sont des délinquants, des trafiquants de drogue : ils nécessitent un traitement judiciaire. Je n'ai personnellement aucun problème avec cela. D'autres sont là parce qu'ils s'ennuient. Qu'en fait-on ?
Vous allez me répondre que ce n'est pas à la police de s'en occuper. Peut-être pas mais, à une époque - je vais en choquer certains - les policiers organisaient des matches de football avec les jeunes.
Il y a aussi des éducateurs spécialisés. On ne demande pas à la police de proximité de jouer au football avec les jeunes. En revanche, ils doivent connaître le public. Cela fonctionne souvent lorsque les patrouilles de police municipale patrouillent la nuit et, en accord avec la police nationale, effectuent cette tâche.
C'est ainsi que je règle ces problèmes, avec deux patrouilles pour 15 000 habitants, quand la police nationale en emploie trois pour 230 000 habitants. Il faut d'abord des moyens.
Il faut analyser les problèmes. Trop souvent, les questions ne relèvent pas de la sécurité. On les identifie mal et elles se développent. Cela fait vingt ans ou trente ans qu'on entend parler des matches de football. Quand j'étais à Roubaix, on rencontrait déjà le problème de terrains de sport mal pensés qui généraient du bruit. Ce sujet, qui est celui des équipements sportifs dégradés, concerne les élus. Ce sont des questions très complexes.
Cela se gère avec les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).
Il existe cependant des endroits où ces problèmes sont encore présents.
On ne va évidemment pas demander aux policiers de tout faire, mais à certains moments, certains ont animé des centres de loisirs pour les jeunes. Pourquoi pas ? Cela permettait aux policiers d'être au courant de certaines choses.
On évoquait le renseignement judiciaire. Dans certains commissariats, les policiers n'ont plus le temps de faire d'enquête. Ils ont peur de renter dans les quartiers, et il n'existe plus de police de proximité pour leur transmettre des informations, plus de voisins vigilants. Les procédures sont donc bâclées. Certains policiers qui passent leur temps à apposer des tampons de vaines recherches sur les dossiers.
Il n'y a pas que cela. Il manque une certaine présence. Je ne citerai pas de noms ici pour préserver l'anonymat.
On les connaît, mais les bureaux sont pleins de dossiers et les policiers ne sortent plus.
Nous sommes d'accord. On est dans l'hyper-pénalisation.
Je n'insiste pas sur l'alourdissement de la procédure pénale, les représentants des policiers ayant déjà dû vous en parler, mais je suis conscient qu'il existe des papiers qui ne protègent pas les citoyens et qui peuvent être très lourds. Peut-être y a-t-il un tri à faire dans ce domaine. Des réflexions sont en cours.
On ne résoudra pas la question du malaise des policiers si on ne met pas la demande du citoyen au coeur du problème. Je n'ai pas le temps de vous citer les exemples étrangers qui fonctionnent dans des villes extrêmement violentes. Même aux États-Unis, on a réussi à faire baisser les tensions. On n'arrivera jamais à zéro délinquance mais, quand les policiers se rendent dans un quartier sans avoir la peur au ventre, c'est déjà une victoire.
Le problème, c'est que l'on a rompu avec cette pratique. Certaines personnes de 30 ans disent que, lorsqu'elles avaient 15 ans, les policiers jouaient au football avec elles. Les jeunes pouvaient discuter avec eux et leur expliquer que tel ou tel groupe leur faisait peur.
On a parfois l'impression qu'il faut contrôler les jeunes à tout prix...
Certains jeunes ne veulent pas de policiers dans leurs quartiers, parce qu'ils les dérangent.
Tout le monde ne profite pas de la délinquance qui règne dans certains secteurs. Comment faire adhérer les gens à ce discours, alors mêmes que la police est discréditée ? La seule chose qui mette les délinquants d'accord, c'est la lutte contre la police.
Il me semble qu'une stratégie policière intelligente serait de s'appuyer les uns sur les autres. Les consommateurs de stupéfiants, qui ont un rapport extrêmement complexe avec leurs dealers, sont prêts à les dénoncer.
Ce n'est pas si simple. Quand un enfant gagne 80 euros par après-midi, la famille est bien contente.
Bien sûr, mais il existe une concurrence féroce pour accéder à ce marché. Je suis obligé de dire les choses rapidement, mais je suis prêt à prolonger le débat...
Vous imaginez que des magistrats puissent aller en stage dans la police et inversement ?
Les magistrats qui sont à l'ENM font un stage dans la police. Beaucoup ont de la sympathie pour le travail des policiers, ce qui ne veut pas dire qu'ils comprennent exactement ce qu'ils font. À l'inverse, peu de policiers ont conscience du travail de magistrat. Les magistrats du parquet ont cependant besoin de la police, dont ils sont dépendants.
De moins en moins ! Le parquet a beau inventer de plus en plus de voies pour traiter les affaires rapidement, il n'arrive pas à répondre à tout.
Oui, mais cela ne se passe pas si bien que cela par rapport à il y a 20 ans. Quand cela se dégrade de partout, c'est que les stratégies ne sont plus adéquates.
En cas de problème grave, on sait mobiliser les forces de police. Ne serait-il pas nécessaire d'avoir une force de police qui se mobilise pour de petits problèmes ? On n'apporte pas de réponse à un différend familial ou à un problème de voisinage, et certaines personnes sont en danger. Comment gérer les relations compliquées au sein des couples, où certains peuvent se sentir menacés, à tort ou à raison ?
Si on ne règle pas tous ces problèmes, on continuera à connaître un malaise chez les policiers, qui déposeront une demande de mutation loin du terrain. La plupart des vieux policiers ne sont pas sur le terrain, mais dans des bureaux. Je les comprends. Je n'aurais pas envie de me faire cracher dessus, insulter, ni menacer en permanence. Il faut changer de stratégie. C'est possible. C'était le cas il y a quinze ans, et cela existe dans d'autres pays, qui ont choisi des stratégies différentes de celles de la France. Comme par hasard, les policiers s'y sentent mieux. Il est intéressant de se poser la question.
J'ai assisté à des réunions entre des policiers des belges et français. Les Belges demandaient aux Français comment ils pouvaient gérer les choses sans interlocuteurs.
Ils ont cependant développé certaines stratégies. On n'a pas non plus le temps de parler ici des dérapages de la police française.
J'ai été obligé d'être rapide sur certains points, voire caricatural, mais je tiens à votre disposition tous documents ou précisions qui vous sembleraient nécessaires.
Merci. Nous avons pu constater votre enthousiasme sur la question.
La réunion est close à 19 h 50.