Retour d'expérience du cas Gita en Nouvelle-Calédonie en visioconférence avec M. Hugues Ravenel, directeur interrégional de Météo France en Nouvelle-Calédonie
Je vous remercie, au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, de nous offrir l'opportunité de découvrir le fonctionnement de Météo France au sein de votre centre de recherches.
Ce déplacement s'inscrit dans le cadre de l'étude que nous menons sur les risques naturels majeurs, problématique qui touche au premier chef les outre-mer. De par son ampleur inouïe, l'ouragan Irma qui a ravagé les Îles du Nord en septembre dernier nous a montré qu'il était nécessaire d'aller à la rencontre de tous les acteurs pour réinterroger l'ensemble du dispositif actuel et faire des préconisations. Le sujet est si vaste que nous avons choisi de publier cette étude en deux volets. Le premier, sur lequel nous travaillons aujourd'hui, portera sur la prévention des risques et la gestion des événements tandis que le second s'intéressera aux problématiques de reconstruction, d'adaptation et de résilience des territoires.
M. Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, a été désigné rapporteur coordonnateur de l'étude. Il est aidé dans sa tâche par les deux rapporteurs sur le premier volet, M. Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche et Mme Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, récemment nommée en remplacement de M. Victorin Lurel et qui, retenue sur son territoire par les manifestations pour la journée de la femme, n'est pas présente parmi nous. MM. Dominique Théophile, Maurice Antiste, Abdallah Hassani, et Michel Dennemont, sénateurs de Guadeloupe, de Martinique, de Mayotte et de La Réunion, sont également à nos côtés.
Bonjour à tous. Sur l'écran, vous pouvez voir que nous suivons de très près la dépression tropicale qui menace les Îles Loyauté à l'heure actuelle.
Je commencerai par vous donner quelques éléments de contexte sur la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna au regard de la surveillance météorologique, en particulier en ce qui concerne la production de la vigilance et de l'alerte cyclonique. J'évoquerai dans ce cadre la coopération entre Météo France et le Centre météorologique régional spécialisé cyclones (CMRS) du Pacifique sud-ouest basé à Fidji. Le retour d'expérience du passage du cyclone Gita me donnera enfin l'occasion de dresser le bilan de la saison.
Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie sont marqués par une grande sensibilité à la météo car l'activité économique est fortement corrélée aux conditions météorologiques, et notamment au passage des cyclones. La compétence météorologique ayant été transférée au territoire, un partenariat a été signé entre le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et Météo France pour que notre établissement puisse exercer cette compétence.
Dans ce contexte, nous déclinons notre mission principale, l'aide à la décision, à court terme à travers le dispositif de vigilance et d'alerte cyclonique, à moyen terme par la prévision saisonnière, mais aussi à long terme en travaillant sur l'adaptation au changement climatique. Nous apportons par ailleurs notre expertise sur les catastrophes naturelles et les calamités agricoles.
Pour cela, nous nous appuyons à la fois sur l'historique et sur l'innovation en exploitant les données anciennes mais aussi celles transmises par les radars et les satellites. Les modèles haute-résolution, dont le modèle Arome récemment étendu à la Nouvelle-Calédonie, nous permettent également d'affiner notre expertise. Le développement et l'utilisation de ces outils nécessitent une coopération importante avec d'autres institutions en Nouvelle-Calédonie mais aussi avec les services météo voisins de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Ces outils nous permettent donc d'apporter notre aide à la décision au travers du dispositif de vigilance. La Nouvelle-Calédonie compte 33 communes aux superficies importantes, ce qui explique que le système de vigilance y soit déployé à l'échelle communale. Sauf en cas de pré-alerte, les bulletins de vigilance sont produits deux fois par jour, à 6 heures et à 16 heures. À partir du niveau jaune, la carte météorologique est commentée. Ce commentaire s'accompagne de bulletins de suivi en cas de vigilance orange ou rouge. La vigilance, qui suit le même code couleur que dans l'hexagone, couvre plusieurs aléas : les vents violents, les fortes pluies, les orages et la forte houle. À l'heure actuelle, il n'existe pas de dispositif similaire à Wallis-et-Futuna.
En ce qui concerne l'alerte cyclonique, celle-ci ne peut être déclenchée que par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Conformément à sa mission d'aide à la décision, la direction interrégionale produit un bulletin météorologique d'alerte pour informer le président sur la situation météorologique. La pré-alerte est déclenchée à l'approche d'une dépression tropicale au moins modérée dans la zone d'avertissement qui entoure la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons à l'heure actuelle. La vigilance étant alors suspendue, les informations météorologiques sont transmises par des bulletins d'alerte produits toutes les 6 heures. La pré-alerte concerne l'ensemble du territoire tandis que l'alerte 1, déclenchée environ 18 heures avant l'impact, et l'alerte 2, déclenchée 6 heures avant l'impact, peuvent être activées uniquement sur certaines communes. À titre d'exemple, les îles d'Ouvéa et de Lifou sont passées en alerte 2 à 14 heures et l'île de Maré à 17 heures aujourd'hui. À Wallis-et-Futuna, l'alerte cyclonique, qui fonctionne selon des principes similaires, est déclenchée par l'Administrateur supérieur.
Depuis cette année, nous produisons quotidiennement un bulletin d'activité cyclonique (BAC) complété, en cas de menace, par un bulletin d'information cyclone (BIC) détaillant la prévision de trajectoire et les impacts attendus, diffusé toutes les 6 heures par mail et sur notre site internet. Ces documents publics se distinguent des bulletins météorologiques d'alerte destinés aux autorités en charge de la décision pour les niveaux d'alerte. Notre production cyclonique comprend également des bulletins météorologiques spéciaux (BMS) pour décrire la situation sur le littoral et au large.
Le CMRS de Nandi, à Fidji, ainsi que les services météorologiques de Nouvelle-Zélande et d'Australie permettent de couvrir le risque cyclone sur l'ensemble du Pacifique sud.
Notre travail de prévision se fonde sur deux données, l'intensité observée et la position du phénomène, conformément aux règles de l'Organisation mondiale de météorologie (OMM). Pour recueillir et analyser les images radars, nous utilisons plusieurs modèles, notamment le modèle européen, et coopérons avec les services météorologiques voisins. La communication est parfois difficile, en particulier lorsque Fidji, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande sont également soumis à une menace cyclonique.
Après vous avoir présenté les grands principes de l'organisation météorologique, j'aimerais à présent vous faire part de notre retour d'expérience sur le cyclone Gita qui a récemment frappé la région. Cette dépression tropicale qui s'est formée au large de Fidji a approché les îles de Wallis-et-Futuna et s'est intensifiée avant de se diriger vers la Nouvelle-Calédonie. Gita a dévasté Tonga mais a épargné la plus grande partie du territoire calédonien, à l'exception de l'Île des Pins situé à l'extrême sud de l'archipel. Les rafales maximales ont atteint 122 kilomètres par heure dans le sud de la grande terre.
À l'approche du phénomène, notre production cyclonique s'est étoffée pour garantir un suivi en temps réel de Gita. Ainsi, le bulletin d'activité cyclonique a permis d'identifier une zone suspecte dès le 2 février 2018. Entre le 8 et le 10 février, lorsque l'alerte a été déclenchée, 8 bulletins info-cyclone ont été publiés pour Wallis-et-Futuna. La production a été réduite progressivement après le passage de Gita. Une dynamique similaire s'est mise en place lorsque le cyclone s'est approché de la Nouvelle-Calédonie. À partir de l'alerte 2, par exemple, des bulletins ont été publiés toutes les 3 heures pour actualiser la position du phénomène. Ce suivi régulier nous permet d'apaiser la population et d'éviter la prolifération de fausses nouvelles.
La coopération avec les autorités est une dimension essentielle de ce genre de crise. Elle s'est manifestée, pour Wallis-et-Futuna, par la production de bulletins météorologiques d'avertissement (BMA) depuis Nouméa et la participation d'un agent aux réunions organisées par l'administrateur supérieur à Wallis. En Nouvelle-Calédonie, des contacts téléphoniques réguliers ont été organisés entre la direction interrégionale de Météo France en Nouvelle-Calédonie (DIRNC) et la direction de la sécurité civile et de la gestion des risques (DSCGR) en amont de l'arrivée du phénomène, en plus des BMA que nous avons produits pour éclairer les décisions de passage en alerte. Nos équipes ont su faire preuve de pédagogie pour expliciter ces documents en organisant en conseil de direction, à l'approche du phénomène, un briefing sur la situation, la prévision et les impacts météorologiques attendus pour éclairer les propositions faites dans les BMA.
Au-delà du seul phénomène Gita, notre prévision sur la saison cyclonique a commencé par la publication, dès le 1er décembre 2017, d'un article sur notre site internet détaillant la situation dans l'océan Pacifique au 15 novembre 2017. Ces travaux nous ont permis de conclure que l'activité cyclonique pour la saison 2017-2018 devait être aussi importante que celle des années précédentes en Nouvelle-Calédonie, soit une moyenne d'environ 7 phénomènes à observer sur l'ensemble de la saison. Nous avons constaté, à partir des statistiques sur les 40 dernières saisons, que la Nouvelle-Calédonie se situait dans la zone où l'activité cyclonique était la plus intense, ce qui n'est pas le cas de Wallis-et-Futuna. Ce bilan global est décliné pour chaque saison. À titre d'exemple, la saison cyclonique 2016-2017 s'est caractérisée par un démarrage tardif et seulement 5 phénomènes observés, dont deux cyclones à forte intensité en avril et en mai.
Au vu de la carte de trajectoires des derniers cyclones qui ont traversé le Pacifique sud, il semble que le comportement de ces phénomènes soit erratique, ce qui complique le travail d'anticipation des autorités locales. Pouvez-vous me confirmer qu'au contraire, dans les Caraïbes, les cyclones suivent souvent le même type de trajectoire et sont donc plus prévisibles ?
En outre, j'ai compris que le CMRS basé à Fidji jouait un rôle comparable à celui du National Hurricane Center (NHC) de Floride pour les îles des Caraïbes. Dans cette optique, dressez-vous un bilan, après chaque saison, de la coopération menée entre votre direction et les services météorologiques voisins ? Les habitants des îles françaises du Pacifique se tiennent-ils informés à partir de votre site internet, ou consultent-ils ceux des autres pays ?
Les différents services météorologiques de la région se rencontrent régulièrement, notamment à l'occasion du comité des cyclones tropicaux qui a lieu tous les deux ans et dont la prochaine édition se tiendra en juillet à Nouméa. La qualité de production de nos voisins n'étant pas comparable à celle du NHC, peu de Calédoniens consultent leurs prévisions météorologiques, mais nous organisons tout de même un point presse en début d'année pour nous assurer de la cohérence des informations auxquelles la population a accès et maintenir le lien de confiance avec les services de Météo France. Dans cette optique, nous avons par exemple mis en place les bulletins de suivi cyclonique pour rassurer les habitants dont certains, consultant des prévisions météorologiques à 7 jours publiées sur d'autres sites, s'inquiétaient du manque de réactivité de Météo France. Or, il est impossible de prévoir la trajectoire d'un cyclone à si long terme, la marge d'erreur étant alors de plusieurs centaines de kilomètres. Les bulletins de suivi nous permettent à la fois de maintenir la population informée tout en garantissant la qualité de nos prévisions, qui s'améliore chaque année.
Quant à la question de la prévisibilité des cyclones, je ne suis pas en mesure de me prononcer sur le comportement des phénomènes qui se développent dans les Caraïbes.
Au regard de l'étude que vous avez menée sur les 40 dernières saisons cycloniques, constatez-vous des évolutions en termes d'intensité et de trajectoire des phénomènes observés ?
Nous ne pouvons pas conclure à une intensification ou à une augmentation du nombre de cyclones observés depuis 1977 car les phénomènes sont trop peu nombreux pour que nous puissions en tirer une analyse statistique pertinente. Pour autant, la DRINC et le CMRS de Fidji étudient tous deux l'impact du changement climatique sur ces phénomènes pour pouvoir modéliser les évolutions de long terme.
J'ajouterai que notre enjeu principal, à l'heure actuelle, est de faire en sorte que les administrés prennent en compte les prévisions que nous faisons. Nous travaillons pour cela avec les équipes de la sécurité civile au quotidien.
Est-il donc possible qu'un même phénomène frappe un territoire à deux reprises ? Le cas échéant, comment gérez-vous une telle situation ? Les cyclones peuvent-ils se comporter de la sorte dans les Caraïbes ?
La carte de trajectoires qui vous est projetée ne reflète pas la trajectoire de l'ensemble des phénomènes ayant traversé la zone mais bien de quelques cas particuliers. Tous les cyclones ne suivent pas des itinéraires aussi chaotiques, ce qui nous permet de faire de la prévision cyclonique efficace. J'ajouterai que si la trajectoire des cyclones reste difficile à prévoir, la plupart d'entre eux finissent leur course en Nouvelle-Zélande.
Je constate que les épisodes cycloniques semblent avoir une durée de vie plus longue dans le Pacifique qu'aux Antilles.
Le cyclone Gita a été identifié le 2 février et nous l'avons surveillé jusqu'au 18 février. Nous sommes aujourd'hui confrontés à un autre phénomène, le cyclone Hola.
J'aimerais revenir un instant sur le problème de la multiplication des sources d'informations, notamment dans les Caraïbes où Météo France et le NHC sont tous deux présents. Il n'existe aucun lien de subordination entre l'OMM et les services locaux, mais celle-ci organise la coopération entre les différents acteurs et constitue un soutien de premier niveau. Aux Antilles et à La Réunion, un plan d'organisation est défini annuellement pour préciser les modalités de cette coopération et harmoniser notre communication. Météo France déploie dans les différents bassins ultramarins des moyens particuliers pour offrir des prévisions de qualité, en étroite collaboration avec les CMRS. Les services nationaux demeurent donc les premiers acteurs de cette mission d'aide à la décision. À cet égard, nous travaillons sans cesse à l'amélioration de nos outils de modélisation, notamment en ce qui concerne la prévision atmosphérique et les états de mer pour mieux appréhender les phénomènes de houle et de surcote.
Après des épisodes aussi intenses que ceux que nous avons connus aux Antilles récemment, réalisez-vous un retour d'expérience commun avec les CMRS pour pouvoir améliorer le dispositif de prévision et de communication dans son ensemble ?
Sans remettre en cause le principe de non-subordination que vous venez d'exposer, je note toutefois que les différences d'approche entre Météo France et le NHC avant le passage de José ont été source de confusion pour la population.
Vous nous avez par ailleurs indiqué que les prévisions à 7 jours n'étaient pas fiables. Je constate pour autant qu'encore récemment le phénomène de forte houle que nous avons connu avait été prévu par le NHC plus d'une semaine avant sa manifestation.
Comme vous l'a indiqué M. Hugues Ravenel, un comité des cyclones se réunit tous les deux ans dans le Pacifique. Il en est de même aux Antilles où je me rendrai d'ailleurs en février prochain, ce qui montre que nous attachons de l'importance à la coopération entre les différents services météorologiques. L'objectif de cet événement sera de dresser le bilan de la saison cyclonique et du plan d'opération mis en place. Nous y discuterons de la pertinence des niveaux d'avertissement envoyés par le CMRS pour s'assurer de la cohérence de l'ensemble du dispositif.
En ce qui concerne le degré de précision des prévisions cycloniques, j'abonde dans le sens de M. Hugues Ravenel puisque nous ne sommes pas en mesure d'estimer la trajectoire des cyclones à 7 jours avec une marge d'erreur suffisamment faible, d'autant que celle-ci varie considérablement d'un système cyclonique à un autre. Les houles, en revanche, se propagent sur de longues distances, ce qui permet de les prévoir avec une réelle anticipation.
Présentation de l'organisation opérationnelle au niveau central et interrégional en métropole et outre-mer avec M. François Lalaurette, directeur des opérations pour la prévision
Notre implantation outre-mer est réalisée sous la forme de quatre directions interrégionales : Antilles-Guyane, Polynésie française, Réunion-océan Indien, Nouvelle-Calédonie. Saint-Pierre-et-Miquelon, directement rattaché à la direction générale, a un statut à part. J'ai résumé les missions de Météo France en quatre chapitres : observer, comprendre, prévoir et décider.
L'observation est la base de nos missions. On ne peut rien faire si on ne sait pas le temps qu'il fait. Observer est devenu un métier à plein temps parce qu'il ne suffit plus d'avoir une station de météorologie dans son jardin. Si nous disposons de moyens in situ, si nous continuons à envoyer des ballons, nous avons de plus en plus de données acquises par télédétection, grâce aux radars, aux satellites qui sont des composantes essentielles de notre système. Nous avons également des données d'opportunité : nous bénéficions de plus en plus de mesures extérieures, notamment déployées pour l'aviation commerciale.
Les investissements sont importants. Notre réseau en métropole est constitué de 28 radars. Nous en avons déployé 8 dans les outre-mer : trois dans le secteur Antilles-Guyane - à Kourou le radar est géré en collaboration avec le CNES -, deux à La Réunion et trois en Nouvelle-Calédonie.
Ensuite, la priorité est de comprendre la physique et la dynamique des différents phénomènes. Météo France est un acteur de la recherche : nous travaillons avec les instituts académiques, les universités, dans le cadre de grands consortiums internationaux, mais nous avons nos propres capacités de recherche, ce qui est un élément important pour assurer la liaison entre la compréhension des phénomènes et leur modélisation de façon à pouvoir les prévoir et les interpréter lorsqu'ils se produisent. On est loin d'avoir compris tout ce qui se passe dans un cyclone et c'est un enjeu très important.
Nous disposons des résultats d'un certain nombre de campagnes de mesures, notamment dans le cadre du projet européen Hydrological cycle in Mediterranean Experiment (HyMeX) qui a pour objectif d'améliorer la compréhension et la modélisation du cycle de l'eau en Méditerranée. En effet, les eaux chaudes de la Méditerranée sont propices au développement des phénomènes cévenols qui ont des effets dévastateurs, notamment en termes de crues. Nous cherchons à mieux comprendre ces phénomènes pour mieux les modéliser et mieux les interpréter. Nous déployons également des moyens - y compris aéroportés - en collaboration avec d'autres partenaires et des stations dans les zones polaires.
Prévoir le temps est un vieux rêve que la science moderne commence à appréhender de manière concrète. C'est devenu un problème scientifique bien posé depuis le début du 19e siècle : on connaît les causes, ce qui met les phénomènes en marche, on sait pourquoi la vapeur se transforme en pluie, on peut mettre tous ces phénomènes en équations et on améliore sans cesse les capacités de résolution des problèmes. La précision est bien meilleure et s'améliore tous les jours. Cependant, et comme Poincaré avait eu le premier l'intuition d'un chaos déterministe, on peut affirmer que la connaissance fine des causes ne garantit pas une prévisibilité effective car, en matière de météorologie, de très petites incertitudes sur l'observation de l'état initial peuvent conduire à des situations complètement différentes. Cette intuition a été confirmée par un scientifique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Edward Norton Lorenz : c'est « l'effet papillon ». Certains théoriciens considèrent ainsi qu'il n'y a pas d'espoir de pouvoir prévoir un cyclone sept jours à l'avance et à cinquante kilomètres de précision. La science évolue et la vérité d'aujourd'hui ne sera peut-être pas celle de demain.
Dans le bâtiment voisin nous disposons d'un centre de calcul dans lequel tournent de très gros calculateurs et nous disposons de modèles de prévisions qui nous permettent aujourd'hui une précision sur l'ensemble du globe correspondant à une grille de représentation de l'ordre de dix kilomètres. Lors des Jeux olympiques d'Albertville en 1992, cette même précision sur une zone de montagne correspondait à une performance pour la direction de la météorologie nationale. Notre modèle opérationnel de très fine échelle est désormais de l'ordre du kilomètre.
La prévision sur une échelle fine nécessite de faire tourner nos modèles une douzaine de fois et une cinquantaine de fois pour une prévision correspondant à un maillage plus large. Malgré ces outils, on voit les incertitudes qui demeurent pour définir la trajectoire du cyclone Hola qui a frappé la Nouvelle-Calédonie. Nos prévisionnistes représentent l'incertitude de prévision, qui existe même à 24 heures, par un panache. En matière d'organisation, c'est un paramètre dont il faut absolument tenir compte. On ne peut pas prévoir ce qui va se passer, à dix kilomètres près, dans les quelques heures qui suivent. Hola, par exemple, ne nous a pas surpris comme a pu le faire Maria : il s'est ralenti et son intensité a été légèrement différente de ce qui avait été prévu.
Je voudrais vous dire un mot sur les centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS) cyclones de l'Organisation météorologique mondiale. L'OMM n'est pas un gendarme mais l'organe de coopération de l'ensemble des services météorologiques mondiaux. Elle a mis en place une veille cyclonique mondiale. Les services météorologiques nationaux restent des maillons essentiels dans la chaîne de prévention et d'alerte des populations par rapport au risque cyclonique. Chaque pays garde la pleine responsabilité, ne serait-ce que parce que les services météorologiques nationaux sont directement en liaison avec les organismes de protection civile et de gestion des catastrophes naturelles. Les CMRS sont quant à eux chargés du suivi opérationnel et de la prévision de « premier niveau » des perturbations tropicales. Pour le sud de l'océan Indien, c'est La Réunion qui assure ce rôle ; pour le Pacifique sud, c'est Fidji ; pour l'Atlantique nord, c'est le NHC de Miami. Un plan d'opération révisé chaque année décrit le rôle du CMRS, les dispositifs de coordination et de soutien et réalise également le retour d'expérience en fin de saison cyclonique de façon à tirer les enseignements avec l'ensemble des services météorologiques nationaux de la région.
Depuis l'année dernière, nous avons développé des moyens de prévision de très fine échelle de l'ordre 2,5 kilomètres. Nous pouvons observer que les simulations réalisées pour l'ouragan Maria, qui a surpris par l'intensité et son passage soudain en catégorie 5, sont assez proches de la réalité observée. Les programmes en cours d'élaboration par Météo France nous font espérer une amélioration significative de la qualité de la prévision dans les années qui viennent sur les Antilles, la région de l'océan Indien, ainsi que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
Les données du NHC sont mises à notre disposition. Dans le cas d'IRMA, on a vu des pylônes exploser ; on peut donc supposer que les vents ont atteint les 300 ou 350 kilomètres/heure, ce qui est tout à fait exceptionnel. Deux autres modélisations à une échelle fine permettent d'évaluer la surcote et le niveau des vagues de l'océan côtier. Le cyclone est en effet une sorte d'aspirateur qui élève le niveau de la mer et les vents très violents peuvent générer des houles très fortes.
Parmi nos autres missions, qui sont moins liées aux outre-mer, je rappelle que Météo France est un acteur des scénarios climatiques à l'échelle globale en tant que partenaire du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Nous contribuons aux différentes simulations, généralement considérées comme de très bonne qualité par les acteurs internationaux. Une fois les grands scénarios établis, nous effectuons un travail de régionalisation pour observer les impacts locaux : une simulation a ainsi été faite pour la canicule en métropole. Actuellement, nous enregistrons en moyenne trois jours de canicule chaque année.
Je rappelle l'importance de l'enjeu des investissements en termes de puissance de calcul : il faut suivre les évolutions technologiques pour pouvoir mettre à disposition des moyens de plus en plus performants et rester dans la course de la compétition mondiale.
Une fois que l'on a pu observer, comprendre et prévoir, la dernière étape est celle de la décision. Il faut informer nos concitoyens pour qu'ils adaptent leurs comportements en cas d'aléa météorologique. Sur ce plan, c'est la métropole qui apprend des outre-mer : les cyclones sont un phénomène dévastateur et il existe une culture du risque dans les outre-mer beaucoup plus développée qu'en métropole. Le système de vigilance mis en place en 2001 a cherché à se rapprocher des citoyens un peu de la même façon qu'en outre-mer.
Je voudrais signaler que nous avons un certain nombre de responsabilité en matière de support aux autorités en charge des risques chimiques et nucléaires : on a parlé de CMRS pour les cyclones, il en existe aussi pour les risques nucléaires et Toulouse en est un. Nous candidatons en ce moment pour les risques chimiques.
Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, ainsi que ma collègue Mme Françoise Bénichou, particulièrement en charge de la problématique de la vigilance et de la diffusion des informations en direct sur internet, en outre-mer comme en métropole.
Pour ne pas dépendre des radios et des télévisions, il faudrait qu'il y ait sur nos téléphones une application qui renvoie directement et instantanément sur les prévisions de Météo France dans le secteur dans lequel on se trouve. À Saint-Barthélemy, tout le monde, tous les jours, se connecte sur l'application Windguru Gustavia et sait lire les indications données sur la direction et la hauteur de la houle à une heure donnée. Il faudrait arriver à une application grand public, permettant à tous d'anticiper les événements à venir.
Ce sont là des innovations que nous cherchons à développer. Il n'y a qu'un seul domaine pour lequel ce dispositif existe déjà : nous avons mis en place, y compris à La Réunion, une chaîne automatique d'avertissement de précipitations intenses à l'échelle des communes. Dès qu'on observe des précipitations inhabituelles, les maires - et cinq à dix contacts qu'ils nous indiquent - et les autorités sont avertis. Nous réfléchissons effectivement à l'étape suivante qui consisterait à diffuser plus largement les informations.
Pour les alertes pré-cycloniques, certaines collectivités ultramarines ont mis en place un dispositif qui se traduit par un message envoyé sur tous les téléphones fixes. Vous êtes rappelé jusqu'à ce que ayez appuyé sur la touche « # » après avoir écouté le message.
La frontière est tenue entre la vigilance et l'alerte. L'alerte relève du préfet. Dès lors que l'on est en situation d'alerte pré-cyclonique, la vigilance est mise en sommeil : ce n'est plus Météo France qui communique alors, mais le préfet et la sécurité civile. Il y a différents modes de communication, dont le système d'alerte et d'information des populations (SAIP). Toutefois, en matière de vigilance, nous avons aussi des progrès à faire et nous travaillons avec la sécurité civile pour pouvoir l'alimenter en informations susceptibles de lui être utiles.
Nous travaillons sur la mobilité. Nous avons mis en place des systèmes automatiques pour fournir des informations sur la vigilance rouge depuis octobre 2016.
J'ai toujours été choqué par le fait que la précision des informations de Météo France pour la Martinique et l'archipel de la Guadeloupe était supérieure à celle donnée pour la Dominique, pourtant située entre les deux ou pour Saint-Lucie. N'y a-t-il pas une responsabilité de Météo France en la matière ?
La question de mon collègue Maurice Antiste rejoint celle que j'allais poser. Je voudrais insister sur les nécessaires coopération et mutualisation. Cette coopération existe-t-elle au niveau des Antilles et au niveau européen ?
J'ai de bonnes nouvelles à vous communiquer sur ce sujet. En outre-mer, nous mettons en place un système régional de prévision en collaboration, notamment aux Antilles, et sommes en train d'étendre notre modèle numérique de prévision Arome vers Haïti. Sous l'égide de l'OMM, un centre est en train de s'établir à La Réunion et des discussions s'amorcent avec les pays de l'Afrique australe et Madagascar pour mettre en place une coopération. Notre maillage couvre déjà de manière très fine Madagascar et le canal du Mozambique. Une réelle coopération se met en place.
Nous ne plaidons pas uniquement pour nos territoires. Pour les phénomènes extrêmes, il est essentiel que la finesse des analyses de Météo France soit communiquée aux pays voisins. Malgré la performance des analyses, de notre système de prévision et d'alerte, les dégâts ont été importants chez nous. Imaginez les conséquences dans les territoires où les moyens d'alerte ne sont pas en place... Je pense en particulier à la Dominique. S'il n'y avait pas eu le NHC, l'île de Barbuda n'aurait pas été évacuée et les conséquences auraient été encore plus catastrophiques.
À la suite de la catastrophe qui a frappé Haïti, il y a eu une mobilisation internationale, notamment avec le service de prévision canadien et Météo France pour apporter un support au service météorologique haïtien.
Je me permets d'insister. Nous pensons particulièrement à ces territoires qui souvent nous viennent eux aussi en aide. Ainsi, la Dominique a fourni de l'eau à Saint-Martin. L'aide doit être réciproque et nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle.
Tout cela est principalement coordonné par la sécurité civile qui projette généralement des moyens pour venir en aide à ces territoires. Notre service des Antilles-Guyane fournit effectivement une information météorologique adaptée pour couvrir ces phénomènes mais notre démarche est certainement.
Lors de notre déplacement au siège de Saint-Mandé, nos interlocuteurs de Météo France nous ont signalé que l'endroit le plus approprié pour nous fournir cette information était Toulouse : nous aimerions connaître précisément les données dont vous disposez sur Irma et s'il y aura une synthèse du retour d'expérience.
Je tiens à votre disposition une présentation qui a été préparée pour la sécurité civile par nos collègues de la direction Antilles-Guyane. Il y a également des retours d'expérience qui ont été demandés par les préfectures locales.
Nous avons prévu de nous adresser aux préfectures lors de notre déplacement dans les Antilles pour leur demander un bilan des événements. Le compte rendu de la réunion de synthèse sur ce qui s'est passé pendant Irma, en accord avec le NHC, intéressera particulièrement notre délégation.
Le comité cyclone se réunira du 9 au 13 avril.
Retour d'expérience du cas Berguitta à La Réunion, en visioconférence avec M. David Goutx, directeur interrégional pour l'océan Indien
Ma présentation s'articulera autour de cinq points : l'exposition particulière de La Réunion aux risques météorologiques ; les principes locaux de vigilance météorologique et d'alerte cyclonique ; une illustration avec le cas de la forte tempête tropicale Berguitta du 10 au 19 janvier 2018 ; les productions hors événements et le rôle et les activités du centre météorologique régional spécialisé (CMRS) cyclones.
La direction interrégionale océan Indien a la compétence à la fois sur La Réunion et sur Mayotte. Les dispositifs en vigueur sont identiques sur les deux îles. Comme tous les outre-mer, La Réunion est confrontée à des aléas météorologiques mais la configuration propre de ce territoire amplifie un certain nombre de phénomènes et l'attention que l'on doit y porter.
La Réunion est exposée aux risques météorologiques classiques des tropiques : les cyclones et leurs manifestations physiques. À cela s'ajoute des périodes de fortes pluies hors cyclone - en été comme en hiver - qui peuvent provoquer des inondations assez violentes mais passent souvent inaperçus car on est trop concentrés sur les cyclones eux-mêmes. La Réunion est soumise également à des houles australes qui se forment à longue distance, soit à l'occasion d'un cyclone lointain, soit à l'occasion de tempêtes dans les basses latitudes qui provoquent des dégâts assez conséquents. Il y a enfin des systèmes orageux, les orages des tropiques étant notoirement violents et d'une grande intensité électrique.
Les cyclones se manifestent par :
- des vents cycloniques (rafales supérieures à 150 km/h) qui arrachent les branches, les panneaux de signalisation, les toits d'habitations précaires et les clôtures fragiles, couchent les camions, cassent les arbres, créent des débris et les transforment en projectiles volants mortels pour quiconque se trouve à l'extérieur d'un abri, ce qui conduit à imposer des mesures de confinement ;
- des pluies diluviennes (100 à 500 mm/j) qui submergent les radiers en fond de vallée - le relief est très escarpé à La Réunion - et coupent les routes dans les Hauts, provoquant les crues des ravines et des inondations soudaines - avec des temps de concentration de l'ordre de 15 à 45 minutes à peine - et, selon la topographie, transforment certaines routes en torrents. À cela s'ajoute le fait que La Réunion est un territoire volcanique. Le terrain, très friable, se déstabilise très facilement sous l'effet de la pluie, provoquant des éboulements de toute nature (coupures de route, glissements de terrains,...). Des portions de territoires peuvent glisser sur plusieurs centaines de mètres ;
- des houles cycloniques qui provoquent des risques de submersion marine des zones littorales, un recul du trait de côte et des destructions d'infrastructures littorales.
La saison cyclonique du sud-ouest de l'océan Indien s'étend de novembre à avril. 70 % des systèmes de l'année sont constatés entre décembre et mars, mais il peut y avoir des cyclones pendant toute l'année.
Les trajectoires sont de deux types : les trajectoires zonales, d'est en ouest, qui ont tendance plus directement à toucher Madagascar, et éventuellement Mayotte ou les Comores, et les trajectoires paraboliques. Le système, très classiquement, naît dans la bande intertropicale et dérive d'abord vers le sud-ouest en prenant de la vigueur puis adopte une trajectoire sud-est sous l'effet de la force de Coriolis et s'évacue en rejoignant des latitudes plus tempérées.
La petite taille de La Réunion par rapport aux phénomènes peut produire un effet « tout ou rien » en termes d'exposition aux vents cycloniques : si l'oeil du cyclone passe sur La Réunion, c'est un désastre ; s'il passe à 50 ou 100 kilomètres plus au large, l'île ne subit que des vents forts. L'effet « tout ou rien » rend les prévisions très difficiles car on considère qu'un cyclone peut se décaler de 50 kilomètres en 24 heures. Ce cas de figure peut amener à prendre des mesures de prévention ou de gestion de crise assez dures, de confinement de l'ensemble de la population, voire de suspension de l'activité. Les gens comprennent parfois difficilement que l'ensemble de l'activité de l'île ait été perturbée inutilement, mais on est dans le domaine de l'erreur raisonnable de prévision. La taille de La Réunion et la taille d'un oeil classique sont assez comparables.
Le relief très escarpé de La Réunion, avec deux massifs - et un point culminant à près de 3 000 mètres - et une plaine entre eux, amplifie les vents, avec un effet démultiplicateur du système en mer de 1,5 à 2. Concrètement, le système de dénomination des cyclones n'est pas le même aux Antilles ou en Nouvelle-Calédonie. Chaque bassin cyclonique a sa propre nomenclature qui correspond à l'expression d'une culture du risque régional. Les gens sont très à l'aise avec ça dans la région, même si cela pose des problèmes au niveau national pour comprendre un ouragan sur l'Atlantique et son équivalent dans le sud-ouest de l'océan Indien.
La classification des systèmes commence à être intéressante pour la thématique qui nous réunit à partir de la dénomination de « tempête tropicale modérée », correspondant à des vents sur mer de 63 à 88 km/h et à des rafales dans les hauts comprises entre 110 et 150 km/h. Une « tempête tropicale forte » correspond à des vents sur mer de 83 à 117 km/h et à des rafales entre 130 et 180 km/h. Or, il peut y avoir des vents cycloniques alors même que le système générateur de ces vents n'est pas officiellement un cyclone ! C'est une difficulté importante propre à La Réunion. De plus, les systèmes, avec leurs trajectoires paraboliques, ont évidemment tendance à approcher La Réunion avec un mouvement un peu tournant qui fait que les zones non exposées à un moment donné peuvent se retrouver une à trois heures plus tard soumises à des vents maximaux. Ainsi, quand le système est encore dans le nord-ouest de La Réunion, le nord, les plaines et le sud de l'île sont exposés à des vents très violents. Dans le même temps, le sud-ouest et le nord-est sont exposés à des vents quasi nuls. Les gens ne comprennent pas à ce moment-là qu'on parle de risque cyclonique. Trois heures plus tard, le système s'est positionné plutôt au sud-ouest ; les gens qui subissaient les vents les plus puissants voient ces derniers tomber, avec évidemment le réflexe de sortir pour aller constater les dégâts ou s'enquérir de la santé du voisin. Six ou douze heures plus tard, selon la cinétique du phénomène, le système se décale à nouveau vers le sud-est et, brutalement, les vents reviennent en sens contraire. Vous connaissez l'effet de l'oeil du cyclone qui est très dangereux : au moment du premier mur de l'oeil, les vents sont terriblement violents, personne n'a l'idée de sortir ; suit un temps calme quand on est dans l'oeil du cyclone, avec des vents de moins de 10 km/h puis, celui-ci se déplaçant, arrive le second mur de l'oeil avec des vents très violents dans l'autre sens. La Réunion est exposée à ce risque trompeur de grande accalmie. Pour l'avoir vécu sur Berguitta - un petit système qui n'a pas créé de vents destructeurs - je puis témoigner que c'est très spectaculaire.
Le relief très escarpé de La Réunion provoque également un effet amplificateur des pluies : l'île détient presque tous les records mondiaux de cumuls pluviométriques sur 12, 24 ou 72 heures, liés généralement aux passages de cyclones. Une masse d'air chaud et humide qui bute sur un relief escarpé se refroidit, ce qui provoque des précipitations. Dans une masse d'air humide instable tropicale, l'effet orographique est très puissant. Quand les cyclones butent sur le relief de La Réunion, ils ont tendance à provoquer des pluies nettement supérieures à ce qu'on connaît ailleurs. Les précipitations, d'ordinaire secondaires lors d'un cyclone, prennent à La Réunion un caractère cataclysmique.
Les derniers cyclones dont l'oeil a frôlé l'île sont Dina (2002) et Béjisa (2014), et les derniers à l'avoir frappée sont Clotilda (1987), Firinga (1989) et Colina (1993). En six ans, trois cyclones ont donc atteint directement La Réunion et ont provoqué des dégâts considérables. Depuis, il n'y en a pas eu et donc peu de réunionnais ont vraiment connu des conditions cycloniques totales et peuvent en témoigner. La majorité de la population de l'île a une perception du risque cyclonique liée aux pluies car tous les systèmes qui passent, même à 400 ou 500 kilomètres, amènent des pluies spectaculaires. Elle a tendance à assimiler risque cyclonique et risque de fortes pluies. Il faut lui faire comprendre que les vents sont nettement plus dangereux que les pluies.
Face à ces risques, nous avons un dispositif de vigilance météorologique et d'alerte cyclonique qui vise à donner les informations à la population et aux autorités gestionnaires de la crise pour anticiper ces phénomènes et prendre les mesures adaptées en pré-positionnant éventuellement un certain nombre de moyens. Quand une crise survient et que des routes sont coupées, il y a un très grand effet d'isolement dans les différentes portions de l'île. Si les moyens n'ont pas été pré-positionnés, il risque d'y avoir des problèmes d'acheminement.
Le dispositif de vigilance météorologique entraîne la communication aux autorités et au grand public d'un risque de survenance d'événements météorologiques dangereux dans les prochaines 24 heures (en pratique, 0 à 6 heures d'anticipation), indépendamment de la question d'un éventuel risque cyclonique. Il s'agit soit de fortes pluies, soit de vents forts, soit de fortes houles ou d'orages. Ce dispositif, très directement inspiré de celui qui est connu en métropole, est adapté à chaque outre-mer.
Il y a deux niveaux de vigilance, avec des codes couleur inspirés de ceux de la métropole : la vigilance (couleur orange) et la vigilance renforcée (couleur rouge). Il faut être honnête, les deux notions ne sont pas immédiatement compréhensibles pour tout le monde. Le code couleur a pour objectif de donner l'idée de la gravité de la situation que le simple terme de vigilance renforcée ne suffit peut-être pas à signaler. J'ai tendance à dire chaque année, lors de la sensibilisation des autorités et des services de l'État et des collectivités territoriales, qu'en situation de vigilance, compte tenu de l'habitude des réunionnais des expositions aux risques, ne sont en danger que les imprudents. Si les personnes prennent des précautions ordinaires de prudence, elles sont en sécurité. En revanche, en vigilance renforcée, une vigilance absolue s'impose, des phénomènes d'intensité exceptionnelle sont prévus et même des gens habitués à la météorologie tropicale peuvent être surpris par la virulence du phénomène.
Ce système est infra-départemental. Il distingue au sein de La Réunion 5 zones terrestres à peu près homogènes climatologiquement et 7 zones littorales pour moduler le passage en vigilance renforcée sur les 4 aléas mentionnés précédemment (fortes pluies, orages, vents forts et forte houle). Il est inutile d'inquiéter les gens du sud de l'île quand l'essentiel du phénomène concerne le nord.
La vigilance est multi-aléas et celui qui sévit avec le plus de virulence impose son niveau de vigilance sur la zone.
Ce dispositif est décliné par des mesures de gestion de crise prises à l'échelon communal par le maire ou à l'échelon départemental par le préfet, avec parfois des difficultés de compréhension par la population des mesures prises parce que la plupart des réunionnais connaissent mieux l'alerte cyclonique que la vigilance météorologique. C'est un défaut de la culture réunionnaise du risque.
Le dispositif de prévision cyclonique implique la communication à l'autorité préfectorale des éléments qui lui permettront de décider d'activer les paliers d'alerte cyclonique de son plan ORSEC « cyclones », égrainant une sorte de compte-à-rebours des préparatifs avant impact. L'information porte sur l'imminence de l'approche d'un système cyclonique et les conditions de vents cycloniques.
L'alerte cyclonique, plus simple, s'applique sur tout le département. Il n'y a pas d'alerte cyclonique infra-départementale car, à partir du moment où les bascules de vents sont telles qu'une région qui pourrait sembler préservée un moment est susceptible d'être exposée brutalement à un risque maximal, personne n'est capable de discerner au sein du département des zones qui pourraient être à l'abri pendant toute la durée de l'événement.
L'alerte cyclonique est exclusivement dédiée au risque de « vents cycloniques ». Elle est symbolisée par quatre couleurs :
- jaune clair pour l'état de « pré-alerte cyclonique » : il faut suivre les bulletins d'informations, ne pas entreprendre de longues sorties. Elle est mise en place en cas de menace potentielle dans les jours à venir, plus de 24 heures et usuellement 72 heures. Globalement, 3 jours avant un soupçon de risque cyclonique, nous proposons au préfet de déclencher la pré-alerte cyclonique ;
- orange pour l'alerte orange cyclonique : elle implique la fermeture des établissements scolaires, la suspension des transports scolaires, la mise à l'abri d'un certain nombre d'opérateurs électriques, des organismes qui ont un rôle important dans la vie collective et doivent résister au passage du cyclone mais l'activité économique continue. Elle est mise en place en cas de danger dans les 24 heures ;
- rouge pour l'alerte rouge cyclonique : il faut regagner son domicile, ne sortir en aucun cas de chez soi. Les services de secours ne doivent sortir qu'en cas d'extrême nécessité et si les conditions le permettent raisonnablement. Elle est mise en place en cas de danger imminent (préavis de 3 heures avant le dépassement du seuil de 150 km/h) ;
- bleue pour la phase de sauvegarde cyclonique : elle signifie que la menace cyclonique est écartée mais que des dangers subsistent. Cette phase permet de libérer progressivement la population et des portions du territoire après vérification.
Les deux dispositifs ont des logiques différentes et s'articulent de façon fluide. Ils s'accompagnent d'un grand nombre d'interactions entre Météo France, les autorités locales, les médias et d'autres acteurs de la gestion de crise.
Je vous propose d'illustrer ces propos par une description rapide de la densité croissante des interactions lors de la forte tempête tropicale Berguitta.
Berguitta nous a concernés du mercredi 10 au vendredi 19 janvier 2018. Le stade de cyclone tropical intense a été atteint loin de La Réunion. En s'approchant de La Réunion il est passé au stade de forte tempête tropicale, ce qui correspond à un cyclone de catégorie 2, capable de générer des vents supérieurs à 150 km/h.
Le mercredi 10 janvier, à J-8, nous avons perçu des signaux faibles qui nous ont permis d'anticiper. La préfecture a été informée de l'émergence d'un signal pouvant inquiéter La Réunion autour du 18 janvier. C'est exactement ce qu'il s'est passé et la préfecture, avec laquelle nous avons eu de nombreux échanges, partage notre satisfaction de la justesse de nos prévisions.
Dès le 12 janvier, nous sommes entrés dans la deuxième phase qui correspond au suivi de la perturbation. Nous avons publié la carte de la trajectoire sur notre site internet, avec un cône d'incertitude. Cette carte montre à la fois la position du centre de la dépression, les positions et les intensités futures prévues sur un scénario central expertisé. Le cône correspond à la position du système assorti d'une probabilité de 75 %. L'incertitude sur le centre du système n'est pas négligeable. Dès que La Réunion se trouve dans ce cône, cela signifie que nous avons 75 % de chances d'être concernés.
Le samedi 13 janvier, à J-5, nous étions toujours dans la phase de suivi mais nous devions aussi gérer la fébrilité de la population. Beaucoup de monde accède à beaucoup d'informations, croit détenir l'information qui met en défaut l'information institutionnelle, et la peur a tendance à se propager. Après avoir échangé avec la préfecture, l'aviation civile qui est fortement impactée par le risque cyclonique, et le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), notre rôle est de faire des points clairs et rassurants. Il faut gérer le temps. Il est inutile de se faire peur trop tôt. On a beau faire des prévisions à 5 ou 6 jours, le système ne dévoile sa véritable puissance et sa véritable trajectoire que lorsqu'il s'organise en système cyclonique. Nous sommes passés de quatre interventions en direct dans les médias locaux le samedi 13 janvier, à J-5, à neuf le dimanche 14 janvier, à J-4.
Le lundi 15 janvier, à J-3, nous avons conseillé au préfet de déclencher la pré-alerte cyclonique, ce qu'il a fait à midi. La forte dégradation des conditions météorologiques à partir du mercredi 17 janvier vers 22 heures, a été clairement indiquée. Le PC de l'aéroport a été prévenu afin qu'il soit en mesure de décider de suspendre ou non ses vols au moment des conditions météorologiques les plus dégradées. À partir de cette information, les autorités de l'aviation civile ont annoncé le jour même la suspension des vols à partir du mercredi à 22 heures et décidé d'avancer les départs des vols précédents.
Les jours suivants ont confirmé l'exactitude du scénario envisagé.
Le mardi 16 janvier, à J-2, un certain nombre de signaux de vigilance météorologiques ont été émis. On était encore en pré-alerte cyclonique mais on voyait arriver pour les 24 prochaines heures les fortes houles, premières manifestations des cyclones. Un message de vigilance « fortes pluies » a été lancé à partir de 17 heures puis un message de vigilance « vents forts » à partir de 22 heures.
Le mercredi 17 janvier, à J-1, on était toujours en vigilance sur les trois aléas classiques accompagnant les phénomènes cycloniques et, compte tenu du fait que les prévisions de trajectoire étaient toujours menaçantes, nous avons proposé au préfet de passer en alerte orange cyclonique, ce qu'il a fait à 8 heures. Nous continuions à dresser des points de situation avec le PC de l'aéroport pour confirmer l'exactitude de notre scénario. La suspension des vols fut confirmée. Météo France s'est organisée pour être disponible pour un certain nombre d'acteurs qui ne sont pas ses interlocuteurs privilégiés - le préfet et l'aviation civile - mais ont besoin de précisions. Je pense notamment à la direction des routes de La Réunion, au SAMU et aux pompiers. Chacun d'entre eux souhaitait avoir des clarifications pour éventuellement pré-positionner des moyens. Ces organismes ont également des relations avec le préfet via le centre de crise pour coordonner toutes choses mais l'information doit être, à un moment donné, délivrée dans des termes qui déclenchent une compréhension particulière en fonction de chaque métier.
Le jeudi 18 janvier, le paroxysme météorologique approchait. On est passé en vigilance renforcée fortes pluies dans la deuxième partie de journée. L'alerte orange cyclonique a été maintenue, sans passage en alerte rouge cyclonique car, à 24 heures, la trajectoire et la rétrogradation du cyclone au stade de forte tempête tropicale système étaient telles qu'il allait passer suffisamment loin et serait suffisamment faible, y compris dans les Hauts malgré les effets de relief. Une difficulté tient à ce que les gens s'attendent un passage presque mécanique en alerte rouge et au confinement de la population.
Nous nous sommes retrouvés dans un système pluvieux très intense sur le sud de La Réunion et un temps clair sur le nord. L'île n'est pas très grande mais les deux portions ont vécu des choses très différentes. Nous sommes alors dans la dernière phase, celle de la gestion de la crise et non plus dans l'anticipation. Il faut piloter, heure par heure, le déploiement des secours, constater qu'un certain nombre de choses ne sont plus possibles,...
Le vendredi 19 janvier, le lendemain de la crise, l'alerte orange cyclonique était levée. Elle aurait pu l'être la veille mais il est toujours compliqué d'agir au paroxysme d'un événement et de redescendre d'un niveau l'alerte cyclonique. Le préfet a agréé notre proposition de maintien car la rétrogradation aurait été incompréhensible pour la population. Toutes les alertes vigilance ont également été levées à 8 heures. Nous avons fait un point de situation avec l'aviation civile pour confirmer la possibilité de reprise des vols.
A alors commencé la phase d'identification du caractère exceptionnel des événements pour alimenter les dossiers de déclaration de catastrophe naturelle. C'est une habitude à La Réunion, à peine les événements terminés et parfois même pendant les événements, pour la cellule climatologie de Météo France océan Indien de commencer à préparer ces documents. Le préfet nous a fait savoir dès le lundi qu'il souhaitait disposer rapidement du rapport de pré-expertise pour une réunion publique le mardi, réunissant les maires et les présidents des communautés de communes du sud de l'île, afin d'adresser un signal fort sur l'activation légitime du dispositif CATNAT à la suite du dépassement des seuils de pluies.
Berguitta n'a finalement été qu'une forte tempête tropicale passée à 80 ou 100 kilomètres de La Réunion, soit à peine un ouragan de catégorie 2 dans l'Atlantique mais, compte tenu du relief de l'île, elle a provoqué des vents puissants sans être cycloniques et des pluies diluviennes qui ont battu des records à certains endroits.
En dehors des séquences d'événements météorologiques, Météo France océan Indien contribue à la prévention de plusieurs façons :
- Météo France veille sur les signaux d'activité cyclonique future et émet un bulletin quotidien d'activité cyclonique dans le bassin. En ce moment, nous sentons l'inquiétude monter à Mayotte car certains modèles déterministes laissent entendre qu'il y aurait un risque cyclonique dans les prochains jours. La peur commence à gagner les services de l'État et nous les renvoyons à notre carte quotidienne publiée sur le site internet qui indique que la probabilité à 5 jours d'émergence d'un cyclone ou d'un système dépressionnaire dans l'océan Indien est inexistante. Il faut garder son calme, ne pas perdre son énergie prématurément et la conserver pour le jour où cela se produira effectivement ;
- Météo France est en charge de la prévision saisonnière de l'activité cyclonique, avec une publication au début de la saison cyclonique en novembre et une actualisation à mi-parcours début février. Cette année, on avait considéré en début de saison cyclonique que l'activité serait plutôt inférieure à la normale sur le bassin sud-ouest de l'océan Indien et que le système se concentrerait probablement sur l'ouest du bassin. Finalement, l'activité a été plutôt inférieure à la normale jusqu'à récemment, mais tous les systèmes qui sont sortis de la zone ont menacé des terres habitées. La question principale ne porte donc pas sur le nombre de phénomènes mais sur le caractère habité ou pas des terres concernées ;
- Météo France dresse le bilan de la saison cyclonique en juin et prépare la saison cyclonique suivante avec un exercice de crise cyclonique ainsi qu'une sensibilisation des services de l'État et des collectivités en octobre et un lancement de la saison cyclonique par le préfet, avec notamment l'annonce des nouveautés des plans ORSEC à la mi-novembre ;
- Météo France mène enfin des actions d'information préventive au long cours en participant aux actions « Paré Pas Paré » de la Croix-Rouge, à la journée de la sécurité civile du mois d'octobre et en diffusant la plaquette Vigilances / Alertes cycloniques.
Je terminerai en vous présentant rapidement les activités d'un centre météorologique régional spécialisé (CMRS) cyclones.
Depuis 1993, Météo France océan Indien a l'honneur d'avoir été désigné par l'organisation météorologique mondiale (OMM) pour assurer la fonction de CMRS Cyclones pour tout le bassin sud-ouest océan Indien : cette mission, équivalente à celle assurée par le National Hurricane Center (NHC) de Miami, bénéficie aux quinze pays de la zone ; il s'agit d'une concentration de moyens particuliers - expertise humaine, ressources techniques et informations numériques - dédiés à la surveillance et la prévision des cyclones afin d'avoir une vision exhaustive de ce qu'on peut savoir et de ce qu'on peut avoir à connaître de la météorologie dans le secteur pour pouvoir poser un diagnostic et d'offrir des prévisions cycloniques de la meilleure qualité possible, comme un service de premier niveau pour l'ensemble des pays de la zone. Nous disposons, d'une part, de six ingénieurs prévisionnistes des cyclones et d'un expert de stature internationale et, d'autre part, de deux chercheurs, deux ingénieurs et un technicien mis à disposition de l'Unité Mixte de Recherche (conjointe avec l'Université de La Réunion et le CMRS) qui cherchent à comprendre et à améliorer la compréhension des phénomènes cycloniques et à la traduire en instruments opérationnels d'amélioration de la prévision.
Nous produisons des prévisions cycloniques de référence pour les quinze pays concernés dans la zone. Ils sont contraints de suivre notre analyse sur l'emplacement du centre du système, constaté les jours et les heures précédentes, mais ils restent libres de l'adopter ou de l'adapter. Nous produisons également des prévisions des surcotes marines dans tout le bassin. La plupart des pays de la zone n'ont pas la capacité de faire une modélisation des surcotes marines qui, sur les côtes mozambicaines ou malgache, peuvent être tout à fait meurtrières.
Notre approche des prévisions privilégie de plus en plus les impacts des phénomènes. Il n'est pas très intéressant pour les gens de savoir s'ils subissent un cyclone intense ou très intense. Ce qui intéresse les populations ou les services de gestion de crise, c'est de savoir si des submersions, des inondations ou des destructions vont avoir lieu.
Le CMRS a également comme mission le renforcement des capacités. L'objectif est de faire en sorte que nous ne soyons pas les seuls compétents dans un désert d'incompétence. Au contraire, nous avons intérêt à avoir des interlocuteurs dans les autres pays de mieux en mieux armés pour comprendre la prévision cyclonique et capables de l'adapter à leurs contraintes propres. Pour cela, sont prévus tous les deux ans des stages de formation à la prévision cyclonique de deux semaines des experts des quinze pays de la zone. Nous avons également réactivé depuis trois ans le tutorat d'experts de deux ou trois pays chaque année, pendant deux semaines en immersion au CMRS Cyclones, pour renforcer la compréhension des phénomènes, la façon de travailler au plus haut niveau d'expertise locale et pour créer des liens interpersonnels entre les prévisionnistes. Ces liens interpersonnels favorisent l'efficacité en temps de crise.
Nous avons une mission de capitalisation de l'information sur les événements passés avec une base de données sur les cyclones - accessible sur un site Internet dédié et dans OpenWIS - et une ré-analyse des cyclones passés pour garantir la validité des comparaisons entre différentes périodes d'activité cyclonique. En effet, les cyclones n'étaient pas analysés de la même manière il y a trente ans car les images satellites n'avaient pas la même résolution et il n'y avait pas les mêmes capteurs satellitaires. Sont publiées des monographies des saisons cycloniques. Il est très important de revisiter les chiffres anciens car des cyclones qui avaient été évalués à une certaine intensité peuvent faire l'objet d'une réévaluation. La question de l'impact du changement climatique sur le risque cyclonique se pose également. Si on prend les données brutes dans une base de données et qu'on trace un trait grossier de corrélation, on a l'impression que le risque cyclonique augmente. Or, ce n'est pas tout à fait la réalité. Quand on ré-analyse finement la situation en comparant ce qui est comparable, l'intensité des cyclones constatée depuis trente ans n'a pas varié à la hausse.
Nous avons enfin une mission d'études et d'innovations. Nous sommes loin de tout savoir sur les cyclones ; aussi, quand un cyclone déjoue nos capacités de prévisions, nous étudions les situations ayant déjoué les analyses et les prévisions opérationnelles en temps réel pour découvrir de nouveaux proxys : ainsi l'intensification et l'effondrement records en 48 heures du cyclone Hellen qui avait frôlé Mayotte en 2014 et que nous commençons à comprendre. Nous développons aussi des outils nouveaux répondant aux attentes des utilisateurs tels que les cônes de confiance dans les prévisions de trajectoire ou la carte de prévision de cyclogenèse à 5 jours.
Au-delà du CMRS cyclones qui est l'organe opérationnel de réalisation de la prévision, Météo France Océan Indien assure la présidence pour quatre ans du Comité des Cyclones Tropicaux du bassin sud-ouest de l'océan Indien depuis 2015. Ce mandat est délivré par le président du conseil régional I (Afrique) de l'Organisation météorologique mondiale. Météo France a plus un rôle d'animateur de la feuille de route, de relais d'expression collective des besoins, que de président exécutif. Ceci consiste à implémenter les orientations de l'OMM sur les cyclones et à s'assurer de la concordance entre les besoins des pays de la région et le service rendu par le CMRS Cyclones. Les pays les plus pauvres de la zone du sud-ouest de l'océan Indien cherchent des financements de la banque mondiale, du fonds vert pour le changement climatique et chacun joue un jeu personnel. Ce comité a pour objectif d'organiser la discussion pour que la coopération régionale tire son épingle du jeu et que le financement bénéficie à plusieurs pays, plutôt que de s'épuiser en saupoudrage. Ce comité se réunit tous les deux ans en instance plénière et favorise les initiatives régionales pour renforcer les capacités des pays à prévenir et faire face aux risques cycloniques.
Vous avez fait un tour d'horizon particulièrement complet et nous vous en remercions. Vous considérez qu'il n'y a pas eu d'évolution notable de la fréquence et de l'intensité des cyclones sur trente ans dans cette zone. De quels moyens technologiques disposez-vous pour la surveillance, le suivi et l'alerte ?
Nous sommes toujours surpris par la liste des noms des cyclones. Comment cette liste est-elle établie ?
La trajectoire que vous nous avez décrite est plus proche de ce qu'on observe aux Antilles que de celle que l'on observe en Nouvelle-Calédonie dans l'océan Pacifique.
Je confirme totalement votre analyse relative à certains comportements anxiogènes avant ou lors des cyclones.
Le changement climatique est avéré mais la fluctuation de l'intensité des cyclones ne peut lui être imputée. On note toutefois une extension de la zone dans laquelle ils conservent leur intensité maximale. Un cyclone a tendance à s'affaiblir lorsqu'il atteint des eaux moins chaudes ou rencontre des conditions environnementales moins favorables. Généralement, dans notre zone, quand il part vers le sud et s'approche de La Réunion, il a tendance à ne plus être à son maximum d'intensité. De plus en plus, la bande dans laquelle les cyclones conservent leur intensité maximale dérive vers le sud. Le changement climatique se manifeste par l'extension de la zone de danger maximum. Nous avons un programme de recherche - ReNovRisk dans l'océan Indien - dont vous parlera sans doute Marc Pontaud et il me semble qu'il y a l'équivalant dans les Antilles - destiné à faire un point plus précis sur l'influence du changement climatique en envisageant de faire naître numériquement des cyclones dans des climats futurs.
En tant que CMRS, nous disposons de tous les moyens nécessaires. Tous les modèles produisant une simulation sur la zone de l'océan Indien nous sont fournis. Nous disposons également des modèles européens et américains qui sont les meilleurs, du modèle français qui est intéressant et est repris dans le modèle européen, des modèles japonais, anglais et chinois. Tous n'ont pas le même niveau de qualité, notamment sur notre zone, et nous faisons le tri !
Nous avons toutes les données satellites qui ont révolutionné la prévision cyclonique et changé la nature du risque cyclonique.
Je suis désolée de devoir interrompre votre présentation pour laisser la parole à Marc Pontaud car nous sommes dans un temps contraint.
À Météo France, la recherche est structurée autour de deux unités mixtes de recherche (UMR). La première, qui compte 400 personnes, est située à Toulouse, tandis que le laboratoire de l'atmosphère et des cyclones (LACY), basé à La Réunion, est entièrement consacré à la recherche sur ces phénomènes en outre-mer. À cet égard, le LACY joue un rôle important en matière de coopération internationale.
J'aimerais commencer par vous donner quelques éléments de définition. Un cyclone est un système dépressionnaire tropical générant des vents supérieurs à 100 kilomètres par heure. Un tel phénomène ne se forme que dans des conditions particulières, c'est-à-dire dans une couche océanique dont la température est supérieure à 26°C sur plus de 50 mètres. Ces paramètres doivent être conjugués à un vortex de basses couches - une perturbation initiale - et à un faible cisaillement vertical de vent. Enfin, la force de Coriolis, qui correspond à la force de rotation de la Terre, joue un rôle dans la formation des cyclones. Les effets de cette force ne sont pas ressentis au niveau de l'équateur, ce qui explique que la Guyane ne soit pas soumise au risque cyclonique.
Un cyclone se caractérise par des bancs nuageux convergeant autour d'un oeil. Les vents les plus forts se concentrent dans un rayon de 50 kilomètres de distance autour du centre du système, ce qui explique qu'il existe une marge d'erreur de 100 kilomètres concernant le lieu de l'impact à 48 heures du passage. La zone de précipitations, comprise entre 500 et 1 000 kilomètres, est plus étendue que la zone de vent.
Dans le bassin Atlantique, les perturbations naissent en Afrique, se propagent à l'est et se structurent en cyclone en atteignant l'océan. Si les trajectoires sont connues, certains systèmes évoluent parfois de façon surprenante, mais la fiabilité de nos modèles s'accroît significativement avec le temps. Nous considérons que nous ne pouvons estimer les points d'impacts du cyclone qu'à partir de 24 heures avant le passage, lorsque la marge d'erreur est réduite à 50 kilomètres. Je me permets d'indiquer que le modèle de prévision que nous avons développé avec le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) est le modèle le plus fiable du monde en ce qui concerne la prévisibilité des trajectoires cycloniques. À l'heure actuelle, nous sommes en mesure de détecter des perturbations susceptibles de devenir un cyclone près d'une semaine avant la formation du système. Cela nous permet donc d'améliorer notre suivi mais suscite, paradoxalement, des inquiétudes souvent infondées de la part du grand public.
Toujours en lien avec le CEPMMT, nous développons depuis les années 2000 de nouveaux modèles de prévisions spécifiques aux outre-mer pour améliorer notre connaissance de ces phénomènes, en complément du modèle Arpege. Ainsi, la maille du modèle Aladin, conçu en 2006, est passée de 10 kilomètres à 8 kilomètres en 2010. En 2016, le déploiement du modèle Arome en outre-mer nous a permis d'améliorer encore significativement la résolution pour atteindre une précision de l'ordre de 2,5 kilomètres et traiter les phénomènes verticaux correctifs tels que les orages violents et les cyclones. La France fait partie des rares pays à utiliser une telle technologie qui nous permet de produire quatre fois par jour, pour les territoires ultramarins, des prévisions à très haute résolution jusqu'à 48 heures, voire 72 heures en cas d'alerte, avant l'impact. Le périmètre de modélisation est très étendu dans l'océan Indien puisque nous y exerçons une responsabilité en matière de veille cyclonique pour l'ensemble de la zone. Ces images comparant l'analyse de l'ouragan Irma par deux modèles différents vous montrent qu'Arome est capable de représenter l'ensemble du système dépressionnaire, à la fois sa structure et sa force, même en l'absence d'informations complètes, ce que ne permettait pas le modèle IFS.
montre la représentation dynamique d'un cyclone générée par le modèle Arome.
La modélisation est lancée quatre fois par jour pour permettre une actualisation des prévisions en continu.
En ce qui concerne la prévision des pluies, ces schémas vous montrent qu'il existe une réelle concordance entre les images satellitaires du champ d'impact des pluies de Berguitta et la représentation générée par le modèle Arome à 24 heures du cyclone. Ces prévisions opérationnelles, qui ne sont utilisées que depuis peu, ont déjà fait la preuve de leur efficacité.
L'activité cyclonique à l'échelle du globe varie surtout en fonction de la température de surface de la mer. L'Atlantic Multi-decadal Oscillation est un indicateur des évolutions climatiques dans la zone qui alternent entre phases positives, où la température de l'eau est plus chaude et où les phénomènes cycloniques sont plus nombreux, et phases négatives. Ces cycles s'inscrivent dans une temporalité très longue, ce qui explique que l'intensité de l'activité cyclonique varie au cours du temps.
Les cyclones Irma, Maria et José se sont formés au cours d'une période marquée par une anomalie de température positive en Atlantique.
Ce constat m'incite à aborder avec vous la question de l'influence du changement climatique sur les phénomènes cycloniques. En l'état de nos connaissances, nous pouvons émettre l'hypothèse que les cyclones seront moins nombreux dans le futur à l'exception des cyclones intenses, de catégories 4 et 5, qui risquent de se multiplier.
Météo France a par ailleurs développé des modèles de vagues et de surcotes en outre-mer. Ces outils, couplés au modèle Arome, nous permettent de déterminer le champ de surcote jusqu'à 12 mètres à 24 heures du passage d'un cyclone. J'ajoute que l'effet de surcote marine est amplifié par la hausse du niveau de la mer, qui ne se manifeste pas de façon homogène dans tous les endroits du globe. Les recherches scientifiques laissent à penser que les estimations actuelles devront être revues à la hausse.
Nous participons par ailleurs à de nombreux projets qui contribuent au zonage des risques naturels majeurs et à la réflexion sur la reconstruction, en lien avec le changement climatique. Le projet ReNovRisk (recherche intégrée et innovante sur les risques naturels), basé à La Réunion, a pour but de mobiliser les acteurs de la recherche scientifique pour réaliser une cartographie des risques avec une estimation des coûts des dommages. Il s'agit donc d'une démarche qui se veut opérationnelle et pluridisciplinaire en intégrant des outils de macroéconomie et qui devrait permettre, in fine, de déterminer le coût du changement climatique sur le territoire et de définir une politique d'adaptation. Le projet C3AF (changement climatique et conséquences sur les Antilles françaises), s'inspirant du modèle réunionnais, est en train de voir le jour dans le bassin Atlantique. Il n'a pas vocation à intégrer la dimension macroéconomique du changement climatique mais devrait permettre, à terme, d'identifier les zones de fragilité.
Je conclurai enfin par un point de situation sur le cyclone Hola qui se rapproche de la Nouvelle-Calédonie à l'heure où nous parlons. Cela me donne l'occasion de vous montrer, par un exemple concret, comment le modèle Arome nous a permis d'améliorer nos prévisions. Nous sommes désormais en mesure, dans nos bulletins météorologiques, de faire figurer le champ de pression du cyclone et de prévoir les rafales de vent et les précipitations associées avec davantage de précision. Il s'agit d'un modèle unique au monde, mais qui reste perfectible. Au plan scientifique, nous réfléchissons à une meilleure prise en compte de couplage océan-atmosphère et nous travaillons également sur l'hypothèse de la régénération du cycle de l'oeil car nous pensons que l'élargissement du diamètre de l'oeil est dû à des phénomènes liés à la microphysique tels que la ré-évaporation d'aérosols marins qui recrée la convection à l'arrière de l'oeil. Enfin, nous devons améliorer notre couverture radar, notamment en Polynésie française qui est le seul territoire à ne pas être doté de ce matériel d'observation, afin d'améliorer la capacité d'Arome à recréer les structures cycloniques.
Comment expliquez-vous que La Réunion soit plus exposée aux cyclones que Mayotte, alors que ces deux territoires sont dans le même bassin océanique ?
L'exposition à ces phénomènes dépend de plusieurs facteurs, notamment la position par rapport à l'équateur et le champ des températures.
Des commissions réunissant des acteurs du monde météorologique choisissent des noms en lien avec la culture du bassin.
Je vous remercie pour cette journée très instructive. Nous sommes preneurs de toutes les informations complémentaires que vous voudrez bien nous fournir.
Visite de la zone de calcul
Le premier supercalculateur Cray-2, installé en 1992 avant les Jeux olympiques d'Albertville et qui permettait d'effectuer deux millions d'opérations par seconde mais qui est néanmoins d'une puissance inférieure à n'importe quel smartphone actuel, est encore exposé dans les locaux de Météo France à Toulouse. La puissance de calcul de ce type d'outil a depuis été multipliée par 2,5 millions en passant de l'utilisation de machines dédiées avec une architecture spécifique à un dispositif d'accumulation de processeurs disponibles sur le marché pour effectuer ces opérations. Le supercalculateur actuel présente ainsi une capacité de calcul équivalente à environ 30 000 ordinateurs performants, ce qui permet de faire des prévisions à 24 heures en 30 minutes et donc de produire des résultats rapidement exploitables pour répondre à des contraintes de temps toujours plus strictes.
La puissance de calcul a été divisée en deux entités différentes avec, d'un côté, les activités opérationnelles et, de l'autre, les activités de recherche qui ne sont pas soumises à la même temporalité. Cette rationalisation a permis d'assurer la continuité du service en offrant la possibilité, en cas de panne, de basculer les activités opérationnelles sur la deuxième machine. En 2014, celle-ci a été déplacée dans un bâtiment universitaire situé à l'autre bout de la ville pour garantir la sécurité et la continuité du service. Le fonctionnement de l'ensemble de la puissance de calcul est supervisé depuis la Météopole de Toulouse.
Le supercalculateur présenté aujourd'hui possède une puissance de calcul de 2,5 pétaflops, soit 2,5 millions de milliards d'opérations par seconde. Les deux machines dont dispose Météo France figurent aux 61e et 62e rangs mondiaux des supercalculateurs en termes de capacité. Le renouvellement du matériel doit être anticipé bien en amont ; c'est la raison pour laquelle les démarches de remplacement du supercalculateur ont déjà été entamées.
Chaque processeur compte 20 coeurs de calculs, ce qui représente un total de 73 000 coeurs de calcul. L'enjeu est donc de faire travailler toutes ces machines au même rythme. À l'heure actuelle, 14 000 coeurs de calcul peuvent être mobilisés simultanément.
La maîtrise de l'empreinte environnementale d'une telle machine est un enjeu important. Or, alors que la puissance de calcul a été multipliée par 12 ces dernières années, la consommation énergétique a été réduite de 20 % grâce à un système de refroidissement liquide des lames de calcul.
Actions du ministère de la transition écologique et solidaire en matière de prévention des risques naturels majeurs dans les outre-mer ; rencontre avec le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi) outre-mer
Le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi) outre-mer constitue le dernier maillon de la chaîne de prévention. Notre mission d'appui à la prévision consiste à apporter au public et aux autorités locales une capacité d'anticipation face aux inondations. Cette mission se décline en trois étapes. Les observations météorologiques fournies par les services de Météo France sont au fondement même de notre action puisqu'elles nous permettent d'estimer l'intensité d'eau, exprimée en millimètre par mètre carré. Les précipitations sont mesurées par les pluviomètres mais aussi, de plus en plus, par les radars. Nous disposons également de nos propres moyens de mesure des hauteurs et des débits sur les cours d'eau.
Les données fournies par les pluviomètres sont-elles toujours cohérentes par rapport à celles produites par les radars ?
La donnée radar, qui présente davantage d'incertitudes, est recalée par rapport à la donnée au sol, ce qui permet d'obtenir des observations cohérentes.
Une fois que ces données sont récoltées, nous déployons notre expertise en raisonnant par analogie ou par modélisation pour estimer la quantité d'eau contenue dans un bassin versant et la manière dont celle-ci se propagera dans les rivières jusqu'aux embouchures.
Une fois ce travail d'anticipation effectué, nous devons être en mesure d'avertir nos concitoyens et les autorités et d'adapter notre message d'avertissement en fonction de la cinétique du phénomène. La chaîne d'alerte ne sera pas mobilisée de la même manière selon que l'on fait face à des crues soudaines, ce qui est le cas dans les îles, ou à des réactions lentes sur des grands fleuves comme la Seine encore récemment, mais aussi le Maroni ou l'Oyapock. Je me permets d'indiquer que Météo France et le Schapi, service de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), se contentent d'avertir les autorités détentrices des pouvoirs de police qui sont les seules habilitées à déclencher l'alerte. En parallèle, nous informons le grand public au travers de notre site vigicrue.gouv.fr et par l'intermédiaire des médias afin d'atteindre l'audience la plus large possible, au-delà de la fracture numérique.
Notre action s'inscrit dans une démarche différente de celle des services de météorologie qui modélisent des phénomènes à l'échelle de la planète entière pour mieux comprendre leur incidence localement. Les hydrologues, a contrario, s'intéressent d'abord à la situation des bassins élémentaires pour analyser l'accumulation des différents débits sur les rivières principales.
En outre-mer, la première cellule de veille hydrologique (CVH) a vu le jour à La Réunion en 2010. Cette structure, d'abord destinée à faire de l'annonce de crues, s'est progressivement développée pour réaliser de la modélisation.
Dans l'hexagone, nous nous appuyons, pour les missions de référent départemental inondation (RDI), sur les directions départementales des territoires (DDT) et les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Dans les départements et les régions d'outre-mer (DROM), ces missions sont assurées par les DEAL.
Afin de renforcer le réseau national, la marque Vigicrues a été créée en 2015 pour désigner le service de prévision des crues du ministère de la transition écologique et solidaire, rattaché à la DGPR. Cette marque a permis d'accroître notre visibilité, notamment auprès du grand public, par la diffusion de nos cartes de vigilance sur les chaînes de France Télévisions.
Le Schapi dispose d'une double compétence : la prévision des inondations et l'hydrométrie générale puisque nous sommes le service de référence nationale pour tout ce qui concerne la mesure des débits et hauteurs d'eau. Nous sommes également responsables de la bancarisation de ces données pour faire en sorte de conserver la mémoire des cours d'eau. Cette démarche est primordiale puisqu'elle nous permet de mieux comprendre leur comportement et de quantifier leur évolution dans un contexte de réchauffement climatique.
Notre travail est diffusé sous la forme de quatre productions nationales. Vigicrues a ainsi été complétée par vigicrues flash, qui diffuse des avertissements automatiques en cas de crue soudaine. Un site interactif et une application nommée « repères de crue » ont également été créés pour recenser et garder en mémoire les endroits inondés. Ce dispositif a permis de récolter de nombreuses informations, notamment des photographies en Guyane, et de faire en sorte que les zones soumises au risque d'inondation, même lorsque le risque ne s'est pas matérialisé depuis longtemps, soient clairement identifiées. Enfin, toutes les données concernant les quantités d'eau sont conservées au sein de la banque Hydro.
Le réseau national, coordonné par le Schapi, est constitué de 19 services de prévision des crues (SPC) et des CVH dans les DROM, ainsi que de 25 unités d'hydrométrie, dont 5 sont implantées outre-mer. À cette mission de coordination s'ajoute, pour le Schapi, une fonction d'ordonnancement et de diffusion de la vigilance ainsi qu'un rôle d'interface entre la recherche et le monde opérationnel.
Nous avons par ailleurs déployé un réseau ultramarin pour permettre aux différentes DEAL d'échanger et de partager leurs expériences, et de renforcer ainsi la cohérence globale du système.
Le réseau ultramarin des CVH est déployé, à des stades différents, sur l'ensemble des DROM. La Réunion apparaît comme la figure de proue de ce réseau, suivie par la Martinique et la Guyane, tandis que les CVH sont encore en cours de construction à Mayotte et, a fortiori, en Guadeloupe.
La Réunion est une île soumise à un climat tropical, avec un risque cyclonique élevé. Comme dans tous les milieux tropicaux, hors Guyane donc, les temps de réponse sont très courts et la prévision des pluies peu développée, ce qui complique considérablement le travail de prévision des crues. Dans cette optique, la CVH travaille en collaboration avec Météo France pour faire en sorte que les progrès en matière de modélisation se répercutent par des signaux de prévision plus détaillée. Les bassins versants, montagneux s'étendent sur 2 500 kilomètres carrés, dont 17 instrumentés. Nous y publions quotidiennement la carte de vigilance des crues.
L'idée de la création de la CVH de La Réunion est née d'une préconisation du rapport du Schapi d'avril 2007 qui concluait à la faisabilité et à la nécessité de la mise en oeuvre d'un tel projet. La structure a vu le jour en 2010 à la suite d'une lettre de mission du DGPR au préfet. La CVH, installée au sein du service de prévention des risques naturels et routiers de la DEAL, compte aujourd'hui une responsable et 6 agents répartis sur les volets prévision et hydrométrie. L'action de la CVH est fondée sur trois réseaux de mesure, dont celui des pluviomètres, partagé et co-financé par Météo France, et celui constitué par les deux radars installés au nord et au sud de l'île. Les radars permettent d'obtenir une couverture correcte du territoire, même si quelques zones blanches persistent. Les radars offrent une représentation spatiale du phénomène, même s'ils présentent l'inconvénient d'être légèrement moins précis que les pluviomètres. Deux outils permettent de mesurer les précipitations pour anticiper les inondations tandis que le troisième réseau, constitué par nos instruments de mesure des hauteurs d'eau sur les différents bassins, produit des données directes sur l'état des cours d'eau.
Plusieurs perspectives d'amélioration de la prévision des inondations à La Réunion ont été identifiées, parmi lesquelles l'amélioration de la grille de couleurs de vigilance et des relations pluie-débit. Entre le moment où le pluviomètre monte en charge et la montée effective du débit, nous disposons d'un délai très court de 25 minutes qui pourrait être mis à profit, grâce à l'amélioration des relations pluie-débit, pour mettre à l'abri la population. Ce travail est mené en collaboration avec Météo France. Nous aimerions nous doter, par ailleurs, des mêmes outils de gestion que dans l'hexagone pour assurer la cohérence globale du système. Nous développons en parallèle des systèmes d'avertissement locaux (SDAL) pour accélérer le processus de déclenchement de l'alerte en cas de crise.
L'amélioration de notre qualité de service passe également par le déploiement de partenariats avec les acteurs de la prévention des risques, notamment la préfecture en ce qui concerne l'organisation de la gestion de crise et Météo France pour l'aspect technique. Le bureau de notre hydrologue est d'ailleurs situé dans le centre opérationnel de Météo France. Nous travaillons également avec l'office de l'eau qui cofinance l'installation de certaines de nos stations. Les collectivités locales sont aussi sollicitées dans le cadre des systèmes d'avertissement locaux, de même que l'office du tourisme à qui nous communiquons des informations dans le cadre de la pratique du canyoning. L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea), enfin, est un partenaire important pour le développement de nos capacités de modélisation.
L'interopérabilité de la donnée est un enjeu essentiel car c'est ce qui permet aux services compétents en matière d'alerte de décider de l'action à mener en cas de crise.
À Mayotte, les cyclones sont très rares et le climat est dominé par les pluies convectives. La zone à couvrir est plus restreinte car les bassins versants ne s'étendent que sur 375 kilomètres carrés. Outre le fait que, comme à La Réunion, la prévision hydrologique n'est pas mûre, nous faisons face à un autre enjeu, celui de la maîtrise de la submersion marine. Nous développons des outils en conséquence pour améliorer la connaissance de ce phénomène.
Un rapport du Schapi de 2015 a conduit à la préfiguration de la CVH dès 2016 qui a abouti, l'année d'après, à un plan d'action triennal mené par la DEAL de Mayotte. La DEAL mobilise un responsable et 5 agents, uniquement dans le domaine de l'hydrométrie, pour le fonctionnement de la CVH.
En termes de récolte de données, un double réseau de mesure a été déployé sur le territoire. Certains pluviomètres, situés sur la côte, sont utilisés pour la météorologie tandis que les autres, en amont, répondent à des besoins hydrologiques. Quelques bassins sont également équipés de stations de mesure pour assurer un suivi du niveau d'eau. Pour autant, ces données ne sont pas communiquées en temps réel puisqu'elles sont stockées dans chaque station jusqu'à ce qu'un agent vienne les récolter.
La disponibilité des données statistiques varie considérablement d'un territoire à un autre, alors qu'elle est au fondement de notre expertise.
L'amélioration de la connaissance hydrologique constitue donc la première des priorités pour la CVH de Mayotte, en passant par les mêmes canaux que ceux identifiés pour la CVH de La Réunion, à l'exception du développement de la modélisation qui n'est pas à l'ordre du jour. Les outils de gestion de crise, en particulier, doivent être améliorés pour permettre à la préfecture d'accompagner la montée en puissance de la CVH. Certains projets sont déjà en cours de déploiement comme le développement des systèmes d'alerte locaux (SDAL) dans certaines communes, le but final étant de pouvoir alerter la population locale par des sirènes en cas de crues soudaines.
Des partenariats ont été noués avec la préfecture, Météo France et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS), mais aussi avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en ce qui concerne les retours d'expérience. Nous travaillons enfin au développement de partenariats efficaces avec les communautés de communes, récemment créées à Mayotte.
En Martinique, les bassins versants, souvent accidentés, s'étendent sur 1 130 kilomètres carrés, avec un bassin majeur, celui de la Lézarde, souvent en proie aux inondations. La DEAL assurait le suivi hydrométrique de la zone jusqu'en 2016, date à laquelle trois groupes de travail thématiques ont été déployés pour répondre au besoin exprimé par les autorités d'améliorer la maîtrise des crues. La CVH, qui a vu le jour en 2017, ne compte aujourd'hui que 2 prévisionnistes en hydrologie supervisés par la DEAL.
La Martinique bénéficie d'un réseau de mesure déployé par la collectivité (CTM) dans le cadre d'un partenariat signé avec Météo France. Quelques pluviomètres de la DEAL et de Météo France complètent cet ensemble pour améliorer la couverture du territoire. La CTM possède également la moitié des 56 stations postées aux abords des cours d'eau, mais les nombreuses pannes sur le réseau amoindrissent l'efficacité globale de ce système. Nous travaillons de concert avec la CTM pour s'assurer que les stations défectueuses soient réparées dans les plus brefs délais.
Notre priorité est donc d'améliorer la couverture du territoire car de nombreuses zones blanches persistent. Une réflexion doit également être menée pour renforcer le système de collecte de ces informations et, plus généralement, l'équipe de prévisionnistes de la CVH. Comme dans la plupart des territoires, nous menons également un travail sur le calage des échelles de risque pour définir les seuils à partir desquels les phénomènes observés peuvent être considérés comme dangereux. La modélisation du bassin de la Lézarde, enfin, constitue un objectif de long terme.
La DEAL et la CTM travaillent déjà ensemble sur ces problématiques, mais nous les encourageons à mettre en place un système d'échange de données pour enrichir l'action du service territorial comme celle du service d'État dans leurs missions respectives de gestion de la ressource en eau et d'anticipation des inondations.
En Guadeloupe, le contexte climatologique et hydrologique est comparable à celui de la Martinique, même si l'on y distingue des zones accidentées à Basse Terre et des zones basses à Grande Terre où se manifeste le phénomène de ruissellement.
La CVH de Guadeloupe n'est pas encore déployée car l'étude d'opportunité du Schapi, lancée en septembre 2015, n'est pas terminée. Deux agents à temps partiel et un service civique sont mobilisés sur le volet CVH tandis qu'une équipe de 4 personnes travaille sur le volet hydrométrie. Cette organisation n'est pas satisfaisante car les deux équipes sont localisées sur deux sites éloignés.
Êtes-vous associés à l'élaboration des programmes d'action de prévention des inondations (PAPI) ?
La DEAL y est associée, mais pas la CVH.
La CVH est rattachée au service en charge de la prévention des risques de la DEAL et peut, à ce titre, lui apporter son expertise.
Le réseau de mesure des précipitations est assez dense en Guadeloupe, ce qui garantit une bonne connaissance de la pluviométrie. En revanche, les stations situées en amont, à proximité des cours d'eau, sont peu nombreuses et mal entretenues. À titre indicatif, une seule station hydrométrique fonctionne sur Grande Terre.
Les perspectives d'amélioration possibles se recoupent avec celles déjà énoncées pour les autres départements et régions d'outre-mer, avec une attention particulière portée à l'analyse des enjeux qui préfigure le déploiement effectif de la CVH. À ce stade, aucune activité opérationnelle n'est envisagée par la DEAL. La préfecture travaille déjà en collaboration avec la DEAL mais s'intéresse davantage à l'élaboration du PAPI des Grands-Fonds qu'à la mise en place de la CVH. Ce travail est pourtant essentiel car une partie significative de la population guadeloupéenne habite en zone inondable.
En Guyane enfin, les conditions climatiques et l'ampleur du territoire justifient une approche différente de la question par rapport aux autres territoires ultramarins. Les débits sont très lents, ce qui explique que le temps de réponse y soit plus long. Certaines problématiques sont pour autant similaires, notamment celle du ruissellement qui affecte l'île de Cayenne de la même manière que la Guadeloupe.
Un rapport du Schapi, publié en 2011, a abouti à la mise en place effective de la CVH 6 ans plus tard. À l'heure actuelle, la CVH produit une carte de vigilance crues en saison humide pour le Maroni et une carte de vigilance étiage en saison sèche pour le Maroni, la rivière Kourou et la Comté qui sont les trois cours d'eau pompés pour assurer l'alimentation en eau potable du département.
Les réseaux de mesure sont moins développés en raison de l'immensité du territoire et des difficultés d'accès à certaines zones. Les pluviomètres automatiques, qui transmettent les informations en temps réel, les pluviomètres enregistreurs et le radar du Centre national d'études spatiales (CNES), qui ne couvre que la zone côtière, fournissent des informations concernant les précipitations. Nous étudions la possibilité d'installer un radar à Maripasoula. À ces outils s'ajoute, en matière d'hydrométrie, le réseau formé par les stations positionnées sur les cours d'eau, notamment le long du Maroni. Contrairement aux autres CVH, certaines de ces stations mesurent également la salinité de l'eau.
Nous travaillons à la création d'un portail Vigicrues, sur le modèle de ce qui existe déjà à La Réunion. La modélisation doit également être développée, notamment sur les grands fleuves. Les autres enjeux majeurs concernent l'astreinte informatique qui n'est pas encore assurée et le manque d'attractivité de certains postes.
Les relations que nous entretenons avec la préfecture pour mener à bien nos missions sont très bonnes puisque celle-ci se dit prête à mobiliser un hélicoptère pour déplacer les pluviomètres en amont du Maroni et améliorer la connaissance hydrométrique du territoire. Des partenariats ont également été mis en place avec Météo France pour les aspects techniques et avec l'éducation nationale pour sensibiliser les élèves au risque inondation. Enfin, nous souhaitons développer la coopération avec le Suriname pour améliorer le suivi du Tapanahoni, l'un des principaux affluents du Maroni sur lequel nous n'avons, à l'heure actuelle, aucune visibilité.
La coopération régionale est déjà en marche puisque nous avons reçu une délégation brésilienne désireuse de développer les relations transfrontalières et de mutualiser les connaissances dont chaque pays dispose sur le comportement des fleuves.
Compétences et actions de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) naturels majeurs dans les outre-mer
Je tâcherai d'apporter quelques précisions concernant l'action du ministère de la transition écologique et solidaire en matière de prévention des risques naturels majeurs en outre-mer.
La direction générale de la prévention des risques (DGPR) collabore en permanence avec la direction générale des outre-mer (DGOM) sur les sujets qui concernent les outre-mer à l'exception des collectivités du Pacifique où notre rôle se limite à une mission d'expertise. Dans ces territoires, en effet, la DGPR n'apporte pas son concours financier et n'est pas compétente en matière de règlementation.
Nous entretenons également d'étroites relations avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Même si notre mission se limite à la prévention, nous sommes appelés, tout comme Météo France, à être mobilisés dans la gestion de crise pour certains risques naturels majeurs. En l'espèce, la DGPR, à travers le Schapi, service à compétence nationale, intervient en matière d'administration des barrages et de prévision des inondations. Depuis 2003, la connaissance des débordements de cours d'eau n'a cessé de s'améliorer, ce qui a permis la mise en place des CVH dans les DROM. Nous adoptons également une démarche interservices au sein du ministère puisque nous sollicitons régulièrement la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP).
En cas de cyclone, Météo France et le préfet sont les principaux acteurs de la chaîne d'alerte. Les DEAL, nos services déconcentrés, interviennent dans un second temps puisqu'elles effectuent des retours d'expérience systématiques pour évaluer a posteriori l'efficacité de nos plans de prévention.
Notre action porte donc principalement sur l'amélioration de la connaissance des aléas. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les différents opérateurs tels que Météo France, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) ou encore l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA). Le BRGM, très présent en outre-mer, et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui a été sollicité dans les Îles du Nord après le passage d'Irma, sont également des partenaires privilégiés.
Le plan de prévention des risques naturels (PPRN) est notre canal historique d'intervention. Cet outil réglementaire arrêté par le préfet est essentiel car il permet de s'assurer que les risques naturels majeurs sont pris en compte dans l'aménagement du territoire. Les DROM sont bien couverts par les PPRN, avec des processus de révision déjà engagés comme à La Réunion. Le planning de révision des PPRN est défini à l'échelle des Antilles pour plus de cohérence, ce qui n'est pas le cas dans l'hexagone. À Saint-Martin, le plan en vigueur est en cours d'actualisation et nous travaillons en parallèle au déploiement d'un PPRN à Saint-Barthélemy.
Pour être réellement efficace, le PPRN doit être articulé avec les choix d'aménagement du territoire, c'est-à-dire avec les plans locaux d'urbanisme (PLU). La coopération entre l'État et les collectivités territoriales est donc un enjeu majeur de la prévention des risques naturels. En matière de prévision des crues, également, les mesures effectuées par les services de l'État et celles produites par les collectivités doivent être mises en commun pour améliorer la connaissance hydrologique globale du territoire.
Nous finançons ces actions en mobilisant deux outils principaux : le programme 181 - prévention des risques - du budget de l'État et le fonds Barnier, créé en 1995 en même temps que les PPR. Ce fonds, dont les délégations sont cosignées par la direction générale du trésor (DGT), est abondé par un prélèvement de 12 % sur le fonds « CAT-NAT » (catastrophes naturelles) lui-même financé par une contribution sur les primes d'assurance dont le montant diffère selon qu'elle s'applique à un véhicule ou à un bien immobilier. Historiquement, le fonds Barnier a été créé pour faire face aux menaces graves à la vie humaine et aux délocalisations liées aux mouvements de terrain. Ces sujets sont encore d'actualité aux Antilles où les lahars sont susceptibles à tout moment de générer des déplacements de population. Dans ce cas, après la publication de l'arrêté de péril, les habitants des zones dangereuses doivent quitter leur domicile volontairement, par une acquisition à l'amiable, ou de manière forcée, par expropriation. Les textes prévoient alors que les personnes sont dédommagées à hauteur de la valeur de leur bien, sans prise en compte du risque, pour leur permettre de se reloger correctement. Dans ce contexte, le fonds Barnier sert également à l'information préventive et à la réalisation des PPRN, à la réduction de la vulnérabilité, notamment par le cofinancement des PAPI des collectivités locales. Ces plans abordent la prévention des inondations de façon globale et pas seulement à travers le prisme de l'aménagement du territoire. Ces mesures sont plafonnées à 125 millions d'euros par an, tandis que le montant global du fonds Barnier s'élève à 200 millions d'euros. La dernière loi de finances a plafonné en recettes le fonds Barnier à hauteur de 137 millions d'euros.
Entre 1995 et 2017, 70 millions d'euros ont été mobilisés à travers ce fonds en Guadeloupe, 5 millions en Guyane, 117 millions en Martinique, 14 millions à La Réunion, 2 millions à Mayotte, 257 000 euros à Saint-Martin et 285 000 euros à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je profite de cette occasion pour préciser que Saint-Pierre-et-Miquelon est bien éligible au fonds Barnier qui concerne tous les territoires ultramarins à l'exception des collectivités du Pacifique. Ces montants ont permis de financer différents types de mesures telles que le plan séisme Antilles. La prévention des risques naturels majeurs étant assurée à la fois par l'État et les collectivités locales, le fonds Barnier est un outil majoritairement mobilisé pour cofinancer des projets. Aux Antilles, la situation financière de certaines collectivités locales est si délicate qu'il convient de les accompagner dans la recherche d'autres sources de financement. Le plan séisme Antilles est un outil primordial, car le risque sismique n'étant pas prévisible, les actions de prévention reposent avant tout sur l'amélioration de la résilience des infrastructures. Son périmètre concerne les écoles, les habitations à loyer modéré et les bâtiments du SDIS qui appartiennent tous aux collectivités locales. Je précise que les bâtiments de l'État ne sont pas éligibles au fonds Barnier au titre de la prévention du risque sismique.
Les différents postes du fonds Barnier peuvent donc varier considérablement d'une année sur l'autre en fonction de l'ampleur des expropriations et de la demande des collectivités locales pour mener à bien leurs études et leurs travaux. À l'échelle nationale, le plafond n'est pas atteint, ce qui signifie que des PAPI et des actions supplémentaires dans le cadre du plan séisme Antilles pourraient être cofinancés par l'État. Là encore, un travail de pédagogie et de médiatisation doit être déployé pour faire en sorte que les PAPI soient mieux connus des collectivités locales chargées de les mettre en oeuvre.
Pour mener à bien notre action, nous déployons des outils similaires dans les DROM à ceux mobilisés dans l'hexagone. Pour autant, 3 mesures spécifiques aux outre-mer demeurent pour prendre en compte la situation particulière de ces territoires au regard des risques naturels majeurs : les CVH, le plan séisme Antilles, qui ne connaît aucun équivalent sur le reste du territoire national, et la mesure Letchimy qui permet de mobiliser le fonds Barnier pour apporter un soutien aux personnes vivant dans de l'habitat informel, y compris lorsqu'elles ne sont pas assurées. Cette dernière mesure, qui ne bénéficie pas au propriétaire mais à l'occupant, a été déployée en outre-mer pour faire face aux situations dangereuses générées par la conjonction de l'habitat précaire et des mouvements de terrain brutaux. Elle a été déployée en Guyane, sur le mont Baduel, et à Mayotte, puis prolongée en loi de finances. Pour autant, cette mesure novatrice reste peu mobilisée alors que nous avons fait preuve de libéralité dans l'interprétation du droit commun. Plus largement, il existe un réel problème de connaissance des différents outils du fonds Barnier et un manque de lisibilité du dispositif alors que les DEAL ont été désignées comme le guichet unique de ce fonds. Certaines DEAL publient des plaquettes d'informations pour tenter de remédier à ce problème.
L'accompagnement des collectivités territoriales pour monter les dossiers de cofinancement est essentiel car, à l'heure actuelle, le complément pour financer le plan séisme Antilles est apporté par le Fonds européen de développement régional (FEDER), et nous souhaiterions mobiliser l'Agence française de développement (AFD) sur ce sujet pour limiter l'impact du changement de portage des autorités de gestion des fonds européens sur le financement de ce plan. L'année dernière, en effet, le niveau d'appel au cofinancement pour ce plan s'est avéré très bas. Cette année, au contraire, les montants mobilisés sont de l'ordre de 16 millions d'euros, soit davantage que la moyenne des années précédentes, mais le nombre d'écoles concernées reste largement au-dessous des objectifs fixés. Au rythme actuel, il nous faudrait 40 ans pour couvrir toutes les écoles.
En ce qui concerne la partie budgétaire, le budget du programme 181 reste modeste puisqu'il s'élève à 33 millions d'euros. Ces crédits sont utilisés en grande partie pour faire travailler les opérateurs que nous sollicitons quotidiennement et, dans une moindre mesure, pour effectuer les travaux nécessaires à l'amélioration de la prévision des crues. L'année dernière, les services déconcentrés de l'État dans les DROM ont bénéficié de 1,2 million d'euros sur les 22 millions d'euros consacrés à ce poste de dépenses au niveau national. L'heure est au renforcement des effectifs dans les DROM, en particulier depuis le passage d'Irma puisque nous avons envoyé des renforts en Guadeloupe pour contribuer à la mise à jour des PPRN, conformément à la doctrine qui prévoit l'actualisation des plans après un aléa extrême ou en fonction de l'aléa centennal.
Je me permets d'indiquer, en conclusion, que la prévention des risques est une préoccupation relativement récente pour les pouvoirs publics, ce qui explique que les outils déployés par l'État soient encore trop peu mobilisés par les collectivités.
La collectivité de Saint-Barthélemy est-elle éligible au fonds Barnier ? Les PPRN sont-ils bien à la charge des collectivités ?
Saint-Barthélemy est bien éligible au fonds Barnier. La collectivité est en charge de l'élaboration des PPRN, mais elle peut bénéficier pour ce faire d'une aide financière de la part du fonds Barnier. Une demande de mobilisation de ce fonds a été faite dans ce cadre, et nous avons mobilisé le Cerema pour parfaire la connaissance des aléas sur le territoire.
Comment s'effectue le suivi de l'élaboration du PAPI couvrant les Grands-Fonds en Guadeloupe ?
La plupart des DROM sont couverts par des PAPI. L'élaboration de ces plans est un processus particulièrement long de développement durable des territoires qui doit s'appuyer sur un diagnostic précis des risques naturels réalisé en concertation avec tous les acteurs concernés. Un PAPI peut voir le jour en 2 ou 3 ans et doit être ensuite validé par une commission mixte inondations réunissant des élus locaux, des associations environnementales et des associations de victimes. Les financements ne sont déclenchés qu'après cette étape, ce qui explique que la mise en oeuvre effective des PAPI soit si longue.
L'échelon intercommunal est par nature mobilisé dans le cadre de l'élaboration des PAPI. Or, la communication entre les différentes collectivités n'est pas toujours évidente.