Mes chers collègues, l'Assemblée nationale a adopté mardi, en première lecture, le projet de loi dit « Pacte » relatif à la croissance et à la transformation des entreprises. Les 73 articles initiaux ont été étudiés par une commission spéciale qui a examiné, pendant plus de 50 heures, 2 059 amendements pour établir son texte, enrichi de 73 articles additionnels, soit un doublement ! En séance publique, 2 624 amendements ont été discutés, pour finalement aboutir à un texte comprenant 196 articles, presque un triplement, que le Sénat devrait examiner au tout début de l'année 2019.
La commission spéciale sénatoriale est d'ailleurs sur le point de se constituer pour débuter ses travaux. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce que nous évoquions ce texte aujourd'hui en délégation. La commission spéciale étant une émanation de l'ensemble du Sénat, elle aura ensuite l'exclusivité sur l'examen du projet de loi.
Outre le nombre d'amendements et d'articles additionnels, on peut s'étonner du nombre de sujets nouveaux intégrés dans le texte initial. Certains amendements adoptés ont effet considérablement élargi le champ du projet de loi, sans étude d'impact préalable.
Certains ajouts ont d'ores et déjà l'allure de cavaliers législatifs, comme certains de nos collègues députés de différents groupes l'ont fait remarquer pendant les débats. En revanche, rien ne permet d'accompagner la transition numérique des PME ou leur conquête de l'international, qui figuraient pourtant parmi les ambitions initiales du PACTE.
Cependant il est difficile de définir une limite claire : le sujet de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, est vaste. Les travaux de notre délégation avaient d'ailleurs déjà montré l'ampleur des réformes à mener. Je pense aux rapports de nos collègues Michel Vaspart et Claude Nougein sur la transmission d'entreprise mais aussi évidemment d'Olivier Cadic, Pour une France libre d'entreprendre, sans parler du précédent que nous avions élaboré ensemble sur les moyens de simplifier la vie des entreprises.
Je voudrais simplement aujourd'hui attirer votre attention sur les dispositions qui font écho, directement ou indirectement, à nos travaux. En effet, il ne s'agit pas de passer en revue l'intégralité des sujets traités dans ce texte extrêmement long, que beaucoup ont qualifié de « fourre-tout » ou, comme l'a dit Charles de Courson à l'Assemblée, de « patchwork de mesures éparses »- ce dont je vous laisserai juges. En revanche, il est important d'avoir en tête certaines des réformes proposées, dont nous nous étions déjà préoccupés.
Le texte comprend tout d'abord des mesures visant à simplifier la création d'entreprises.
À cette fin, l'article 1er substituera d'ici 2023 aux différents réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) un portail unique numérique, pour réduire le nombre d'interlocuteurs, harmoniser et sécuriser les modalités de transmission des déclarations.
La mission d'accompagnement et d'assistance par les réseaux consulaires ne serait pas remise en cause. Le Gouvernement fait valoir qu'au contraire, cette numérisation pourrait décharger les employés des CCI de formalités administratives pour mieux assurer une mission d'accueil physique et de conseil. Cette réforme intervient dans le contexte de la baisse des ressources des CCI sur laquelle de nombreux sénateurs ont été interpellés.
L'article 2, adopté sans modification, habilite le Gouvernement à créer par ordonnance un registre dématérialisé des entreprises, comme l'avait proposé le rapport de M. Cadic. Il ne remettra pas en cause la gestion, par les greffiers des tribunaux de commerce, du Registre du commerce et des sociétés.
Un rapport d'une mission interministérielle d'inspection sur le registre des entreprises remis en juillet 2018 a préconisé d'intégrer dans un même chantier la création d'un guichet unique électronique pour les formalités des entreprises et l'instauration d'un registre général dématérialisé des entreprises.
L'article 3 ouvre aux services de presse en ligne les annonces judiciaires et légales. Le Gouvernement choisit donc de soutenir la presse plutôt que d'alléger les formalités d'annonce pesant sur les entreprises.
L'article 5 ter simplifie considérablement le statut de l'entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL). C'était l'une des préconisations de la délégation.
La section II comporte plusieurs articles qui tendent à une simplification des procédures pour les entreprises, les lourdeurs de notre législation entravant souvent les possibilités de croissance ou d'embauches.
Très attendue par les entreprises, une réforme des seuils est proposée (article 6).
On recense en effet dans notre législation pas moins de 199 seuils avec des différences notables quant à la période ou date de référence de calcul de leur effectif, le périmètre des effectifs pris ou compte ou le niveau de l'appréciation de l'effectif.
La simplification sera donc radicale grâce à l'harmonisation des modes de calcul, l'instauration d'un délai de 5 ans pour répondre aux obligations de franchissement d'un seuil, la rationalisation du nombre de seuils -réduits à trois-, et la suppression (partielle) de celui de 20 salariés.
Autre sujet très attendu par les PME mais très discuté et sur lequel un point d'équilibre semble avoir été trouvé : le relèvement des seuils de certification légale des comptes des entreprises au niveau prévu par la directive européenne (article 9).
Inspiré des préconisations du rapport de Combourg, remis au Gouvernement après le dépôt du projet de loi, un amendement du Gouvernement crée un audit légal des petites entreprises, qui sera allégé par rapport à la certification classique.
En s'inspirant du rapport de Combourg et pour accompagner la transition, le projet de loi a été complété pour préciser les conditions d'exercice de la profession de commissaire aux comptes ou d'expert-comptable (notamment en créant le statut « d'expert-comptable en entreprise », sans clientèle privée) et pour créer pendant cinq ans une passerelle permettant aux commissaires de devenir experts.
D'autres dispositions vont simplifier la vie des TPE, comme la dispense d'un compte bancaire pour les micro-entrepreneurs réalisant un chiffre d'affaire annuel inférieur à 10 000 euros (article 12) ; ou des PME, comme la présentation simplifiée du compte de résultat et du bilan et la suppression du rapport de gestion (article 13 bis).
La section III vise à favoriser le rebond des entrepreneurs et des entreprises.
L'article 15 entend faciliter le recours au rétablissement professionnel et à la liquidation judiciaire simplifiée, procédure à même de contribuer au rebond des entreprises, et qui est un début de réponse aux propositions de M. Cadic.
Par ailleurs, l'article 16 habilite le Gouvernement à réformer par ordonnance le droit des sûretés, la réforme précédente de 2006 n'ayant concerné ni le cautionnement ni les privilèges. C'est une réforme importante pour nos entreprises que notre Délégation devra suivre avec attention.
Le chapitre II veut favoriser des « entreprises plus innovantes ». De très nombreux sujets, extrêmement variés, sont regroupés sous cet intitulé puisque sont abordés la question du financement, la protection des inventions et la liberté d'expérimentation, ainsi que, dans une dernière section, la gouvernance des entreprises publiques et le financement- je cite - de « l'innovation de rupture ». Ce dernier implique des réformes extrêmement importantes, comme la privatisation de la société Aéroports de Paris, de la Française des Jeux, ou la suppression des obligations de détention du capital d'ENGIE par l'État. Les produits de ces cessions d'actifs de l'État alimenteront le fonds pour l'innovation de rupture créé par voie réglementaire au sein de BpiFrance, au début de l'année 2018. Il est doté de 10 milliards d'euros, mais seuls les intérêts -estimés entre 200 à 300 millions d'euros- seront consommés.
La première section, dédiée au financement, aborde des sujets divers dont plusieurs ont été évoqués par Olivier Cadic dans son rapport. Elle contient ainsi, par exemple, une réforme de l'épargne, une modernisation de l'assurance-vie, ou la simplification de l'accès des entreprises aux marchés financiers.
Souhaitant vous épargner une longue liste à la Prévert, je mentionnerai simplement l'article 27, qui a été complété par de nombreux articles additionnels adoptés par voie d'amendement. Cet ensemble modernise le PEA-PME en élargissant les instruments éligibles, en prévoyant une fongibilité du PEA et du PEA-PME avec un plafond global de 225 000 euros, ou en limitant les frais de garde et les frais de transfert. Nos collègues députés ont également assoupli le régime du prêt inter-entreprises qui constitue une dérogation au monopole bancaire (article 27 quinquies). Ainsi cette faculté est-elle étendue à toutes les entreprises commerciales, ainsi qu'aux petites entreprises ayant volontairement recours à un commissaire aux comptes. La durée maximale du prêt inter-entreprises est étendue de 2 à 3 ans.
La section 2, qui couvre les articles 40 à 43 quinquies, concerne plus particulièrement le domaine de la recherche. Les dispositions proposées visent à protéger les inventions, en renforçant l'attractivité du certificat d'utilité, titre de propriété intellectuelle délivré par l'Institut national de la propriété intellectuelle. Figure également une habilitation à créer par ordonnance une procédure d'opposition aux brevets d'invention, qui permettra aux PME de demander, par voie administrative, la révocation ou la modification du brevet. Aujourd'hui, la seule procédure d'opposition est judiciaire donc coûteuse pour les entreprises les plus petites. L'Assemblée a ajouté un article permettant à l'INPI de rejeter une demande de brevet sur le critère de l'absence d'activité inventive ou de l'impossibilité d'application industrielle : ce contrôle a priori devrait renforcer la présomption de validité et donc la force du brevet français. D'autres dispositions de la même section créent des passerelles entre le public et le privé, pour encourager la création d'entreprise par les chercheurs qui doivent aujourd'hui choisir entre deux univers trop cloisonnés. Il s'agit donc de multiplier les « chercheurs entrepreneurs ».
Enfin l'expérimentation des véhicules autonomes a inspiré nos collègues députés qui, par voie d'amendement, ont inséré le même dispositif pour l'autoconsommation collective, les opérations de recensement, le bail à réhabilitation ou encore la recherche et développement sur les micro-organismes, lequel devrait intéresser les chercheurs et entrepreneurs bretons que nous avions rencontrés en avril 2017 à Roscoff, puisque l'objectif est d'éviter des démarches administratives pour toutes les entreprises disposant d'un centre de recherches et développement en France sur ces sujets. Il serait évidemment tentant d'enrichir cette liste d'expérimentations...
La dernière section du chapitre II vise à protéger les entreprises stratégiques, notamment en renforçant l'encadrement des investissements étrangers en France. Je vous informe également que nos collègues de l'Assemblée ont adopté un article additionnel, le 55 ter, créant une délégation parlementaire à la sécurité économique, qui effectuerait un contrôle a posteriori de l'action du gouvernement « en matière de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, ainsi qu'en matière de contrôle des investissements étrangers. » Le texte prévoit pour l'instant une délégation commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, composée de 8 députés et 8 sénateurs, avec une présidence d'un an alternativement par un membre de chaque chambre. Cet article retiendra évidemment toute notre attention, l'articulation entre une telle délégation et la nôtre faisant débat.
J'en viens maintenant au chapitre III dont l'intitulé pourrait interpeller certains chefs d'entreprise : « Des entreprises plus justes »... Est tout d'abord prévu le développement de l'épargne salariale, avec une modernisation des dispositifs et une réduction ou suppression du forfait social, tout de même passé de 2 % en 2009 à 20 % en 2012. Évidemment les amendements de suppression totale et progressive du forfait social, considéré souvent comme une erreur, ont été rejetés en raison de leur coût. Par ailleurs l'article 57 prévoit que l'obligation de lancer les négociations pour mettre en place un dispositif de participation entre en vigueur 5 ans après le franchissement du seuil de 50 salariés. Enfin il est prévu de faciliter la mise en place d'un plan épargne pour la retraite collectif (PERCO) et de développer l'actionnariat salarié dans les entreprises privées, notamment dans les sociétés par actions simplifiées (SAS).
La section 2 du chapitre III du projet de loi invite à « repenser la place des entreprises dans la société ». Elle contient plusieurs innovations législatives qui, selon le point de vue que l'on adopte, enrichissent ou complexifient le droit des sociétés.
L'article 61 a suscité un grand débat. Il s'agit de modifier deux articles du code civil, afin de préciser l'objet d'une société et de prendre en considération les enjeux environnementaux et sociaux. Vu l'importance de ce point, je souhaite m'y arrêter brièvement.
La modification de l'article 1833 du code civil comporte trois apports à distinguer : la reconnaissance d'un principe de gestion de la société, la nécessité d'effectuer cette gestion conformément à l'intérêt social, la nécessité de « prendre en considération » les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Comme l'a estimé le Conseil d'État, ces termes -« prise en considération »- limitent fortement leur impact normatif. Cette imprécision empêchera d'engager la responsabilité pénale des dirigeants d'une entreprise.
En outre, les entreprises pourront poursuivre un projet d'intérêt collectif en se dotant d'une « raison d'être ». Ce concept, introduit à l'article 1835, constitue un fondement législatif pour les sociétés qui souhaiteraient se doter de missions plus larges que la seule recherche du profit, sans que cette faculté n'entraîne une quelconque obligation à la charge de l'ensemble des sociétés. La portée de cet ajout devra être précisée par la jurisprudence.
Par ailleurs, l'Assemblée a adopté une nouvelle rédaction qui a pour effet de rappeler son caractère facultatif, de rattacher la « raison d'être » à des valeurs, sorte de cause subjective de la société, et de préciser l'obligation de moyens, uniquement, qu'elle confère à la société.
Elle a enfin circonscrit l'effet de la reconnaissance de l'intérêt social dans la loi sur la vie de la société, et notamment le risque contentieux.
Par ailleurs, une initiative parlementaire a introduit la société à mission, dans la suite du rapport Notat-Senard. Une société pourrait ainsi avoir une raison d'être qui n'est pas la recherche exclusive du profit. L'Assemblée nationale a imaginé une « sortie de mission » par voie judiciaire de constatation d'un manquement dans la mise en conformité de la société aux obligations qui lui incombent. Pour les TPE-PME, une souplesse est créée avec un référent de mission, qui serait désigné par l'entreprise et aurait la charge de suivre l'exécution de la mission.
Le rapporteur a également proposé la création du fonds de pérennité économique, sur le modèle des fondations d'actionnaires expérimenté avec succès dans certains pays européens, notamment en Europe du Nord. Ce fonds doit permettre de poursuivre le développement économique d'une ou plusieurs sociétés commerciales dont le fondateur transmet gratuitement des parts et reste « actionnaire inamovible » : les titres de cette ou de ces sociétés, dont il a le contrôle, sont en principe inaliénables. En outre, ce fonds peut réaliser des activités d'intérêt général ou philanthropiques, conformément à la volonté du fondateur.
Par ailleurs, le projet de loi abaisse les seuils à partir desquels un conseil d'administration comporte un administrateur salarié dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. La présence de deux administrateurs salariés sera obligatoire lorsque le conseil d'administration compte plus de 8 membres, contre 12 actuellement. Ils pourront bénéficier d'heures de formation doublées. Devant le conseil d'administration, les orientations stratégiques pourront être débattues avec les membres du comité économique et social.
En outre, le rapport de gouvernement d'entreprise pourra présenter des informations sur les écarts de rémunérations. L'amendement assume de sur-transposer la directive « SRD 2 » puisque cette publicité concerne non seulement l'évolution de la moyenne des rémunérations mais également la médiane des rémunérations.
Enfin, la composition du directoire devra s'efforcer de rechercher une « représentation équilibrée des femmes et des hommes », ce qui est peu contraignant. Le principe de non-discrimination est étendu aux nominations. Ces deux dispositions ont une portée surtout symbolique.
Le chapitre IV habilite le Gouvernement à transposer par ordonnance plusieurs directives -je note au passage que le renvoi à des ordonnances me semble plutôt abusif dans ce texte, j'allais dire, une fois de plus- et ratifie 23 ordonnances dans le domaine économique et financier. L'article 71 ter habilite en outre le Gouvernement à légiférer par ordonnance en matière de tarifs réglementés de l'électricité et du gaz pour se conformer au droit de l'Union européenne. Cette mesure a pour effet de mettre fin aux tarifs réglementés du gaz pour les consommateurs et de l'électricité pour les grandes entreprises, ce qui ne manquera pas de faire débat.
J'espère avoir pu vous donner une idée un peu plus précise du contenu de ce texte, très long, qui va certainement nous occuper dans les mois prochains, à travers les travaux de la commission spéciale, qui devrait être présidée par Mme Catherine Fournier. Trois rapporteurs devraient être désignés : M. Michel Canevet, M. Jean-François Husson et moi-même. Avec plusieurs d'entre vous, j'y participerai activement et m'y ferai l'écho des travaux et de l'esprit qui anime notre délégation. Je vous remercie pour votre patiente attention.
Lors d'un déplacement récent à Saclay, j'ai rencontré de jeunes ingénieurs, qui travaillent dans le domaine de la robotisation, et se plaignent de l'absence d'aides publiques pour concrétiser leurs projets, ce qui les oblige à s'expatrier. Ce projet de loi comporte-t-il suffisamment de dispositions aidant l'innovation dans les entreprises ?
On peut en effet relever, et déplorer, comme je l'ai souligné, l'absence de dispositions accompagnant la transition numérique des PME.
Ce texte est d'une telle complexité qu'il risque de devenir une « usine à gaz » tant les amendements parlementaires ou gouvernementaux ont été nombreux. Je souhaite évoquer trois sujets. Le premier, c'est la redéfinition de l'objet social de l'entreprise. La réforme part d'un bon sentiment. Mais son application, par l'administration, et son interprétation, par le juge, risquent de remettre en cause l'objectif principal de l'entreprise, qui est la création du profit. Alors que nos entreprises sont engagées dans une compétition économique internationale, elles risquent d'être pénalisées. Deuxièmement, je regrette que les seuils sociaux n'aient pas été tout simplement relevés et portés de 11 à 20 et de 50 à 70. Cela n'aurait rien coûté à l'État et aurait libéré les petites entreprises, avec un impact énorme sur l'emploi. Troisièmement, la question de la transmission d'entreprise sera traitée dans le projet de loi de finances pour 2019. Mais ce que propose le gouvernement ne reprend pas le dispositif qui a été voté par le Sénat le 7 juin dernier à une large majorité. Il faudra redéposer des amendements au budget pour défendre à nouveau ce que le Sénat a adopté.
La question de la modification de l'objet social de l'entreprise, longuement débattue à l'Assemblée nationale, ne manquera pas de l'être également au Sénat. Je rappelle par ailleurs que notre assemblée avait voté en faveur du relèvement des seuils sociaux. Lors des déplacements que la délégation effectue sur le terrain, les entreprises ne cessent de s'en plaindre, ce qui les conduit soit à recourir au travail intérimaire, soit à renforcer la robotisation de leurs processus de fabrication.
S'agissant des aides aux jeunes entreprises innovantes, j'ai entendu, lors de mon stage d'immersion en entreprise, un discours sensiblement différent. La France est en effet l'un des pays qui aide le plus à la création de start-up. De nombreux jeunes chefs d'entreprises, dans le domaine du numérique, qui s'étaient expatriés, reviennent en France. S'agissant des privatisations, la cession des trois premières installations aéroportuaires fait débat, et il en sera de même de la fin des tarifs réglementés de l'électricité et du gaz. Certes, l'État doit trouver des fonds pour financer l'innovation. Mais d'autres options auraient pu être explorées, et la question des privatisations devra être approfondie.
La question des privatisations ne concerne qu'indirectement notre délégation, car ce n'est pas un sujet de petite ou moyenne entreprise, même si nous sommes préoccupés par le financement de l'innovation des PME que les produits de cession de ces participations publiques vont permettre. Par ailleurs, si la création d'entreprises innovantes est bien accompagnée, en revanche, ces dernières ne sont plus aidées à un moment crucial de leur croissance, quelques années après leur création. Elles deviennent alors des proies faciles pour des investisseurs étrangers.
S'il s'opère dans le respect des règles constitutionnelles et notamment de l'article 38 de la Constitution, le renvoi aux ordonnances pose un problème en raison de son ampleur. Le Parlement adopte une cinquantaine de lois par an mais le Gouvernement publie également une trentaine d'ordonnances. Cette délégation du pouvoir législatif est rarement contrôlée. Certes, le Gouvernement s'efforce de respecter les délais, en déposant un projet de loi de ratification dans les délais fixés par la loi d'habilitation. Notons que c'est le dépôt qui est obligatoire, non le débat. D'ailleurs, ce dépôt s'effectue le plus souvent au Sénat en raison de la permanence de notre assemblée. Cependant, le contenu de ces textes, parfois très technique, ainsi que l'encombrement chronique de l'ordre du jour ne permettent pas au Parlement de les examiner. On pourrait imaginer une réforme de l'article 38 à l'occasion de la prochaine révision constitutionnelle. En outre, notre délégation ne pourrait-elle pas examiner ces projets de loi de ratification des ordonnances ?
Le recours aux ordonnances se justifie lorsqu'il est nécessaire d'aller vite et de réformer rapidement. Nous aurions donc pu espérer que le projet de loi « PACTE », qui est en préparation depuis un an, évite d'y recourir. Concernant notre délégation, je vous rappelle qu'elle n'a pas reçu de compétence explicite pour un tel examen, sinon lorsque le projet de loi de ratification est inscrit à l'ordre du jour et qu'il est renvoyé à l'examen d'une commission permanente.
Une fois l'habilitation acquise, le Gouvernement est libre de faire ratifier explicitement l'ordonnance par le Parlement. Ainsi, pour les ordonnances réformant le droit du travail, nous avions demandé de pouvoir examiner le projet de loi de ratification. Ceci n'empêche pas une mise en oeuvre immédiate des dispositions de l'ordonnance, mais permet d'y apporter des modifications. Ce fut le cas pour les ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Nous avons ainsi pu abroger l'article 64 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels qui prévoyait la mise en place injustifiée d'une instance de dialogue social au sein des réseaux de franchise de plus de 300 salariés. Il serait légitime d'obtenir que le Gouvernement obtienne une ratification explicite par le Parlement des ordonnances que ce dernier l'habilite à prendre. En tout état de cause, je conviens que le recours aux ordonnances se justifiait plus sur la loi travail que dans le texte PACTE.
Il est toujours préférable que le Parlement discute du fond des sujets et non à la marge. Sur le calendrier du projet de loi, on semble s'orienter vers un débat en séance publique fin janvier ou en février.
Le président de la commission des finances a fait valoir au Gouvernement qu'il était préférable d'éviter un trop long délai entre l'examen du texte en commission spéciale et son examen en séance. Par ailleurs, le budget nous mobilisera beaucoup en novembre et décembre.
Au titre des questions diverses, je voudrais vous rendre compte de la réunion du bureau de notre délégation qui s'est tenue la semaine dernière.
Pour assurer le suivi des travaux déjà effectués par la délégation, le bureau appuie la demande que j'ai faite, au nom de la délégation, avec M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, d'un débat en séance publique sur le préjudice que représente, pour les entreprises françaises, la surtransposition du droit européen en droit interne. Ce débat s'inscrira dans le prolongement du rapport de notre collègue Danesi sur les surtranspositions, qu'il nous a présenté fin juin. Ce débat en séance est prévu le mercredi 31 octobre à 14h30. Le Gouvernement vient par ailleurs de déposer un projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français, largement inspiré par les travaux de notre collègue M. René Danesi. Une commission spéciale est également en cours de constitution pour l'examen de ce texte. Il sera soumis au Sénat le 6 novembre, juste après notre débat en séance du 31 octobre. M. Danesi travaille à déposer d'ici là une proposition de résolution sur le sujet.
En effet, l'initiative du gouvernement ne désarme pas la volonté du Sénat d'apporter sa contribution à la « désurtransposition » qui concerne 25 cas sur un stock de plusieurs milliers. Ainsi, la résolution et le projet de loi témoigneront de la responsabilité partagée des pouvoirs exécutif et législatif dans la surtransposition des normes européennes en droit français.
Le bureau de la délégation a par ailleurs appuyé le projet de lancer une étude d'impact sur le bonus/malus sur les contributions patronales à l'assurance-chômage qu'envisage le Gouvernement pour décourager l'abus du recours aux CDD. Cette forme de taxation des contrats courts est prévue par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui vient d'être promulguée. Toutefois le Gouvernement laisse aux partenaires sociaux jusqu'à fin janvier pour s'accorder sur ce sujet : dans la lettre de cadrage de cette négociation qu'il leur a transmise fin septembre, il leur a fixé un objectif de réduction du déficit du régime d'assurance-chômage et de lutte contre la précarisation de l'emploi. En cas d'échec des négociations, le Gouvernement est autorisé par la loi à instaurer ce bonus/malus par décret. On peut s'inquiéter de l'impact d'une telle disposition sur l'embauche, surtout dans les PME qui sont celles ayant le plus besoin de recourir aux contrats courts. J'ai donc proposé au Conseil de Questure de faire réaliser une étude pour évaluer cet impact et le minimiser autant que possible.
Le Conseil de Questure a attribué hier le marché à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : cet organisme indépendant de recherche, de prévision et d'évaluation des politiques, créé en février 1981 à l'initiative du Premier ministre Raymond Barre au sein de la Fondation nationale des sciences politiques, possède une expertise reconnue sur le plan de l'analyse économique. Au cours des dernières années, l'OFCE a consacré plusieurs travaux à l'analyse du marché du travail et, notamment, à la question de l'assurance chômage.
Le chef du projet est M. Eric Heyer, docteur en sciences économiques et directeur du département analyse et prévision de l'OFCE. Il sera assisté par un économiste senior, M. Bruno Ducoudré. La direction scientifique du projet sera confiée à M. Bruno Coquet, expert des questions d'assurance chômage et auteur de très nombreuses publications sur la question des contrats courts et de la taxation des comportements des assurés.
L'étude que nous confions à l'OFCE devrait permettre au Sénat de disposer d'un diagnostic robuste et d'éléments de cadrage économiques qualitatifs et quantitatifs rigoureux du projet de taxation des contrats courts. Cette étude présentera les motifs du recours aux contrats courts, leur lien avec l'assurance-chômage, les différentes possibilités de taxation (notamment au regard des expériences étrangères et française entre 2013 et 2017), leurs conséquences pour l'emploi et les entreprises, à travers l'étude de cas-types, et les éventuelles formules alternatives.
La livraison de l'étude est prévue d'ici deux mois, afin qu'elle puisse être utile et éclairer la négociation entre partenaires sociaux et le Gouvernement. Je compte proposer à la commission des affaires sociales une réunion commune au cours de laquelle les résultats de cette étude nous seront présentés.
Pour ce qui concerne le programme de travail de la délégation, le bureau a confirmé la mission confiée à notre collègue Pascale Gruny d'élaborer un rapport sur les moyens d'accompagner la transformation numérique des PME. Dans ce cadre, deux déplacements sont prévus : l'un le 26 octobre, l'autre le 19 novembre à Berlin, l'Allemagne étant très engagée dans le déploiement de l'industrie 4.0. Le départ est prévu la veille au soir dans chacun des cas. N'hésitez pas à me faire savoir si vous êtes intéressé.
Nous poursuivrons parallèlement nos déplacements de terrain en France : le jeudi 18 octobre, nous allons à la rencontre des entreprises du Doubs, à l'initiative de notre collègue Martial Bourquin. J'ai pu m'entretenir avec le président Larcher de nos difficultés d'agenda pour l'organisation de ces déplacements. Il les a bien comprises et notre délégation devrait pouvoir bénéficier d'un peu plus de souplesse à cet égard : nous pourrons désormais nous déplacer le jeudi, à la condition toutefois qu'il n'y ait pas de séance annoncée et qu'il n'y ait pas de séance de questions d'actualité au Gouvernement.
Enfin la délégation est invitée, dans le prolongement de l'hommage qu'elle a rendu aux jeunes médaillés de l'équipe de France des métiers lors de la dernière journée des entreprises, à assister aux Finales Nationales des Olympiades des Métiers (WorldSkills) à Caen les jeudi 29-vendredi 30 novembre et samedi 1er décembre. Le projet de loi de finances étant examiné en séance à cette période, il se pourrait que le Sénat siège à ces dates, même le samedi. Le bureau a préféré suspendre sa réponse à cette invitation, dans l'attente des détails d'organisation de la discussion budgétaire, qui permettrait aux sénateurs d'aller soutenir des jeunes issus de leur département.
Le projet de loi de finances nous mobilisera en effet, spécialement sur certains sujets intéressant directement notre délégation, notamment la transmission d'entreprise, sur laquelle l'expertise de MM. Vaspart et Nougein sera nécessaire, et le suramortissement des investissements des PME dans le numérique : la délégation avait proposé cette mesure dans le projet de loi de finances l'an dernier, le Gouvernement l'avait refusée et il la propose désormais... J'ai publié un communiqué de presse il y a deux semaines pour souligner cette année de perdue.
Le Gouvernement annonce par ailleurs un projet de loi sur la santé au travail pour le printemps ou l'été 2019 : ce sujet peut intéresser les entreprises, d'autant plus qu'il a été question cet été de leur transférer la charge de l'indemnisation des arrêts maladie. Ce transfert n'est finalement pas prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais le sujet de l'inflation du montant des indemnités journalières reste à traiter. Le bureau de la délégation est convenu qu'il serait utile d'élaborer l'an prochain, en amont de ce projet de loi, un rapport d'information consacré aux entreprises et à la santé de leurs salariés, ou au bien-être au travail.
Une autre piste de travail pourrait être de se pencher sur la faiblesse de la présence française à Bruxelles sur les sujets économiques, dans la prolongation du travail de M. Danesi sur les surtranspositions : il conviendrait de proposer à la commission des affaires européennes un travail commun sur la façon dont nos entreprises sont représentées dans les négociations à Bruxelles.
Enfin, nous poursuivrons en 2019 les immersions de sénateurs en entreprise. Plusieurs sénateurs ont déjà vécu cette expérience : 11 exactement durant l'année parlementaire 2017-2018. 2 autres immersions sont programmées d'ici la fin de l'année. Les retours sont très positifs, de la part des sénateurs comme des entrepreneurs. Un premier bilan sera présenté prochainement au Conseil de questure, qui devrait amener à reconduire la convention signée avec CCI France pour l'organisation de ces immersions. Les dernières candidatures de sénateurs volontaires ont été adressées à CCI France. Une relance des autres collègues pourrait s'envisager en 2019, par exemple après la journée des entreprises.
En effet, le bureau a estimé que la journée des entreprises 2019 pourrait être l'occasion de valoriser ces immersions, en donnant la parole aux sénateurs et entrepreneurs ayant vécu l'expérience.
La convention signée avec CCI France pour l'organisation des immersions prévoit une forme de réciprocité aux immersions : l'accueil durant une journée au Sénat des entrepreneurs ayant accueilli un sénateur, afin de leur faire découvrir le rôle et le fonctionnement du Sénat et de dialoguer avec des sénateurs et des hauts fonctionnaires de l'institution.
La troisième édition de la journée des entreprises nous semble un bon support pour cela. Le bureau de la délégation propose qu'elle se tienne le jeudi 28 mars 2019. Elle pourrait être construite autour de 2 demi-journées. Le matin réunirait les témoignages sur les immersions et, idéalement, exposerai le parcours sénatorial suivi par une disposition que la délégation a rapportée du terrain (immersions, déplacements...) et qu'elle a fait prospérer. Le déjeuner serait consacré à valoriser les jeunes qualifiés lors des Finales Nationales des Olympiades des Métiers (WorldSkills) à Caen fin novembre 2018, finales auxquelles nous sommes d'ailleurs conviés. Enfin, l'autre demi-journée, qui pourrait être consacrée à une 2ème table ronde consacrée aux entreprises et au bien-être au travail.
Concernant ce dernier sujet, sur lequel la commission des affaires sociales a déjà organisé quelques auditions, je suis frappé par la séparation étanche qui existe entre la médecine du travail et la médecine de ville.
J'informe par ailleurs la délégation que je rapporterai, pour avis, les crédits de la mission travail dans l'examen du projet de loi de finances pour 2019. J'ai d'ores et déjà relevé une contradiction entre l'ambition affichée par le Gouvernement, dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, d'augmenter le nombre de contrats d'apprentissage et la baisse des crédits affectés à ce financement. Je suis par ailleurs inquiet de la persistance d'un déficit de l'assurance-chômage à un niveau élevé en raison de la faiblesse de la croissance.
Lors des déplacements en entreprise de la délégation, et notamment à l'usine du groupe Loc Maria, qui fabrique les gavottes dans les Côtes-d'Armor, ou chez Valrhona, dans la Drôme, le bien-être au travail des salariés est apparu comme un constituant important de la santé des entreprises.
Les jeunes aspirent en effet à de nouvelles relations de travail et la multiplication des cas de burn out appelle à définir un nouveau rapport au travail.
Il existe une grande différence entre les entreprises familiales, où cette dimension est correctement prise en considération, comme j'ai pu le constater lors de mon immersion chez la fromagerie Agour, et les autres.
Le réseau « Femmes chefs d'entreprise - France » s'intéresse à cette problématique depuis environ quatre ans et vient d'organiser un colloque, le 4 octobre dernier, intitulé « Prenons soin de nous », visant à montrer qu'elle concerne tous les salariés, dirigeants et entrepreneurs inclus. Par ailleurs, l'UNION sport & cycle, première organisation professionnelle du secteur sport, vient de publier une étude montrant que les parlementaires, qu'elle a interrogés, considèrent le sport en entreprise comme le moyen le plus efficace pour développer la pratique sportive en France.
Je vous remercie et vous donne rendez-vous pour la prochaine réunion de la délégation jeudi 25 octobre, pour entendre une communication de M. Martial Bourquin sur les principales avancées obtenues en Commission mixte paritaire du projet de loi ELAN concernant la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs et un compte rendu, par notre collègue également, du déplacement de notre délégation dans le Doubs le 18 octobre prochain.
La réunion est close à 10h00.