Je salue Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, que j'ai déjà eu le plaisir de croiser durant ma longue carrière. J'ai eu l'occasion d'apprécier ses grandes qualités professionnelles, son amabilité, son ouverture d'esprit et même son sens de l'humour.
Je salue aussi David Sarthou, chef du service de la législation et de la qualité du droit au secrétariat général du Gouvernement, et Anne-Laure Lopès-Nogueira, adjointe au chef du service de la législation et de la qualité du droit au secrétariat général du Gouvernement, qui ont bien voulu participer à cette audition également.
Celle-ci porte sur l'application du principe « 2 normes retirées pour 1 norme créée », défini par la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 sur la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact. En vertu de ce texte, toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d'impossibilité avérée, la simplification d'au moins deux normes existantes. Je crois savoir que c'est un peu le principe appliqué en Allemagne depuis plusieurs années. Cela n'est donc pas impossible.
Par normes, il faut entendre, au sens de cette circulaire, des mesures contraignantes (obligation de mise en conformité, nouvelles formalités administratives) opposables aux acteurs de la société civile (entreprises, associations, citoyens) et aux services déconcentrés ainsi qu'aux collectivités territoriales. Nous savons, en tant qu'élus, que les normes, aussi nécessaires soient-elles, ont une incidence en termes de coûts, par exemple s'agissant d'installations sportives ou d'accessibilité pour les personnes handicapées.
Il s'agit de la troisième audition du cycle actuel sur les normes. Un cycle précédent avait été lancé à l'initiative du premier vice-président de la délégation d'alors, Rémy Pointereau, questeur, qui est toujours membre de la Délégation. Rémy Pointereau a conduit de nombreux travaux au sein de notre Délégation et avait particulièrement la responsabilité de ce sujet sur lequel nous étions déjà fortement impliqués, entre 2014 et 2017, ce qui rejoignait d'ailleurs une attente du président Larcher. Des propositions de loi avaient été élaborées et des textes ont été adoptés, dans le cadre d'un dialogue avec le Gouvernement. Je pense que nous avons modestement contribué à certaines évolutions.
Nous avons travaillé, depuis le début, en étroite concertation et dans un climat de confiance avec Alain Lambert - lequel fut, en tant que sénateur, le premier président de cette délégation lorsqu'elle a été créée. Nous connaissons son engagement au sein du Conseil national d'évaluation des normes, qu'il préside. Y siège un membre éminent de notre délégation, Alain Richard, ce qui contribue encore aux échanges entre ces deux instances. Nous avons signé des conventions afin de travailler ensemble sur la question des flux et des stocks de normes, ainsi que sur la dimension réglementaire et législative.
Nous avons aussi conscience, Monsieur le secrétaire général, du fait que nous sommes producteurs de normes et de notre responsabilité au regard de l'objectif de réduction des flux de nouvelles normes. Chaque fois que nous sommes confrontés, en commission ou en séance, à un texte de loi, nous souhaitons qu'il soit le meilleur possible et nous sommes, comme les députés et comme l'exécutif, créateurs de normes.
Cette troisième audition fait suite à celles qui ont accueilli les fonctionnaires territoriaux puis les représentants du ministère de l'Intérieur chargés de suivi du décret sur le pouvoir de dérogation aux normes qui avait été donné aux préfets. Nous accueillerons la semaine prochaine deux préfets qui expérimentent ce pouvoir de dérogation, ceux du département de la Vendée et du Haut-Rhin. Je puis d'ores et déjà vous assurer, pour les avoir rencontrés l'un et l'autre, qu'ils ont des choses à nous dire.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir.
Le Gouvernement est effectivement engagé dans une démarche de simplification des normes au bénéfice de tous : personnes morales, personnes physiques, collectivités territoriales, entreprises, citoyens.
Le principe énoncé par la circulaire du 26 juillet 2017, dite de « maîtrise du flux de textes réglementaires et de leur impact » est le suivant : toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d'impossibilité avérée, par la simplification d'au moins deux normes existantes. Tous les actes de l'État ne sont pas concernés par cette règle. Sont exclus de son champ, notamment, les décrets d'application des lois. Nous sommes tenus de prendre des décrets d'application. Il s'agit d'une obligation juridique. Le Conseil d'État, en cas de saisine, nous condamnerait si nous ne le faisions pas. Le champ d'application de la circulaire est donc centré sur le pouvoir réglementaire autonome et sur les modifications de décrets d'application de lois qui auraient déjà été pris.
Les textes à abroger ou à simplifier en contrepartie doivent relever de la même politique publique puisque, dans notre dispositif, c'est au ministère producteur du projet de décret que l'on va s'adresser pour lui demander des simplifications analogues. Concrètement, les ministères envoient au secrétariat général du Gouvernement les projets de décrets, pour transmission au Conseil d'État, le cas échéant ou, lorsqu'il s'agit de décrets simples qui ne passent pas en Conseil d'État, pour publication.
Lorsque nous les recevons, nous identifions la présence ou non d'une contrainte nouvelle. Nous avons alors des échanges itératifs avec le ministère pour chiffrer la contrainte nouvelle et valider ou non les compensations prévues. Si aucune compensation n'est prévue, nous en référons au cabinet du Premier ministre afin de déterminer s'il est décidé d'abandonner le texte ou s'il est possible de trouver d'autres compensations.
Dans le passé, l'exécutif prenait en moyenne une centaine de décrets par an emportant des contraintes administratives nouvelles dans le champ du pouvoir réglementaire autonome. Au cours des dix-huit premiers mois de mise en oeuvre du dispositif, les ministères ont transmis au secrétariat général du Gouvernement 32 projets de décrets autonomes comportant des contraintes nouvelles (au lieu de 150 si le rythme constaté antérieurement s'était poursuivi). Suite au travail que nous avons mené avec eux, quatre projets ont été abandonnés parce qu'ils ne comportaient pas de compensation. C'est le cas, par exemple, d'un projet de texte relatif au contrôle des véhicules utilitaires légers, qui prévoyait d'avancer la date du premier contrôle technique pour les six millions de véhicules utilitaires légers en circulation et de renforcer les points de contrôle. Il aurait eu un coût d'environ 35 millions d'euros par an à la charge des entreprises et des particuliers. Deux autres projets de textes sont actuellement bloqués, faute de compensation proposée. Sur les autres textes, 6 ont été expurgés de contraintes envisagées, 20 décrets ont donné lieu à 48 compensations, dont 9 abrogations et 39 simplifications.
S'agissant de l'impact de la circulaire sur les collectivités territoriales, il convient d'abord de rappeler que la matière normative, concernant les collectivités, est d'abord législative. L'article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. En conséquence, le pouvoir réglementaire ne peut intervenir dans les affaires intéressant leurs intérêts propres.
Ces dispositions sont confortées par celles de l'article 72, qui prévoit que c'est dans les conditions prévues par la loi que les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus. Ce principe a été conforté par la révision constitutionnelle de 2003, depuis laquelle l'article 72.2 énonce que les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions définies par la loi.
Nous pouvons conclure de ces différentes dispositions que le pouvoir réglementaire autonome est très peu compétent pour régir les collectivités territoriales. Il l'est généralement en application des dispositions législatives. Lorsque le Parlement a voté une loi, il nous faut prendre des décrets d'application.
Parmi les vingt décrets auxquels j'ai fait allusion, entrant dans le champ de la circulaire du 26 juillet 2017, peu comportaient des dispositions propres aux collectivités territoriales. Certains comportaient des dispositions transversales qui leur sont applicables. C'est le cas par exemple du décret du 22 février 2018 relatif à l'inspection des systèmes de climatisation et des pompes à chaleur réversibles, et d'un autre décret de 2018 concernant la nomenclature des installations classées.
Les deux textes qui simplifiaient le versement des allocations en faveur des personnes en situation de handicap (décrets du 24 décembre 2018 et du 27 décembre 2018) vont produire une économie annuelle d'environ 20 millions d'euros de charges pesant sur les collectivités. Ils venaient eux-mêmes en compensation d'un décret pris la même année, autorisant la création d'un traitement relatif à l'activité et la consommation de soins dans les établissements médico-sociaux.
D'autres décrets ont dû être modifiés pour intégrer le fait qu'ils ne comportaient pas les simplifications attendues. Je pourrai y revenir au cours de nos échanges si vous le souhaitez.
Le principe « 2 normes retirées pour 1 norme créée » a donc produit des résultats très significatifs depuis dix-huit mois, au regard des chiffres antérieurs.
Comme vous le savez, depuis une circulaire de 2015 relative à l'évaluation préalable des normes, les administrations doivent produire une fiche d'impact avant de prendre un acte réglementaire applicable aux collectivités territoriales, de façon à apprécier l'impact de ces normes.
Depuis le 1er septembre 2017, nous avons examiné 605 fiches d'impact qui accompagnaient les projets de textes réglementaires. Parmi ces 605 fiches, 356 comportaient des normes applicables aux collectivités territoriales. La quasi-totalité de ces 356 fiches d'impact était relative à des décrets d'application des lois.
Au cours de cette même période, ces décrets ont généré pour les collectivités territoriales un coût de 613 millions d'euros et des gains de 739 millions d'euros, soit une économie nette de 126 millions d'euros.
Les principaux ministères producteurs des textes réglementaires que je viens de citer sont le ministère de la Transition écologique et solidaire, le ministère des Solidarités et de la Santé et le ministère de la cohésion des Territoires et des relations avec les Collectivités territoriales.
Parmi les textes réglementaires ayant conduit à des allégements de charges pour les collectivités territoriales figure l'arrêté du 1er février 2018, pris en application de la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui a fixé le montant des concours alloués aux départements au titre de la conférence des financeurs.
C'est également le cas de l'arrêté de 2019 portant modification du cahier des charges des éco-organismes de la filière des imprimés papier, qui assurent la gestion des déchets de papier. Ce transfert de responsabilité a permis aux collectivités territoriales de bénéficier d'allégements de charges d'environ 9 millions d'euros.
Citons enfin le décret du 28 décembre 2017 pris pour l'application du code de la construction et de l'habitation, qui exempte, pour 2018 et 2019, 170 communes de l'obligation de production de logements sociaux dès lors que les besoins de tels logements ne s'y expriment pas. A contrario, je pourrai revenir sur d'autres décrets ayant produit des charges pour les collectivités territoriales si vous le souhaitez.
À travers la circulaire du 12 janvier 2018 relative à la simplification du droit et des procédures en vigueur, le Premier ministre a demandé aux ministères, lorsqu'ils préparent des projets de loi, d'y insérer des dispositions de simplification visant non pas le flux de normes mais le stock de normes, afin que celui-ci ne reste pas à l'écart de ces efforts de simplification.
Dans la loi du 26 novembre 2018 portant sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi « ELAN ») figurent des dispositions allant en ce sens dans le titre premier (« Conditions pour construire plus, mieux et moins cher »). Cette partie du texte comporte 4 chapitres, contenant chacun des mesures de simplification, par exemple pour :
- faciliter la transformation de bureaux en logements dans les zones tendues ;
- retrouver des marges de manoeuvre en matière de délivrance des permis de construire ou de démolir vis-à-vis de l'avis de l'Architecte des Bâtiments de France ;
- faciliter la revitalisation des centres villes par la création d'un nouveau contrat intégrateur unique (opération de revitalisation des territoires) ;
- faciliter des opérations d'aménagement mettant en oeuvre un projet urbain dans son ensemble.
De la même manière, le projet de loi sur l'organisation et la transformation du système de santé examiné hier en Conseil des ministres et déposé dans l'après-midi sur le Bureau de l'Assemblée nationale, comporte plusieurs mesures de simplification de toutes natures, par exemple en ce qui concerne la procédure d'instauration des périmètres de protection des zones de captage d'eau de consommation, afin d'élargir le recours à la procédure simplifiée lorsque les conditions sanitaires et environnementales le permettent. Une autre disposition de ce texte porte sur la simplification du cadre juridique applicable aux eaux de piscine à usage collectif, qui s'applique notamment aux communes, en tant qu'elles sont responsables des piscines.
Dans le même temps, un projet de décret va accompagner le projet de loi déposé hier à l'Assemblée nationale, en vue d'opérer un certain nombre de simplifications dans le domaine de la santé et des affaires sociales. Il s'agit, par exemple, de relever le seuil à partir duquel les projets d'extension d'établissements ou de services sociaux et médico-sociaux devront être soumis à la commission d'information et de sélection d'appels à projets. Cette commission, placée auprès de chaque agence régionale de santé (ARS), est consultée pour avis sur ces appels à projets.
Une autre action engagée par le Gouvernement, dans le prolongement de l'action de ses prédécesseurs, en vue de simplifier les normes, est la réduction du nombre de commissions administratives. Un effort très dense a été engagé depuis plusieurs années. En 2012, il existait 680 commissions consultatives recensées dans le « jaune » annexé au projet de loi de finances initial, et ce nombre n'est plus que de 387 aujourd'hui. Leur nombre a donc été réduit de plus de 50 %, ce qui produit des effets non pas simplement en termes de coûts de fonctionnement mais aussi en termes de facilitation de la production normative et de délais.
Soulignons enfin la révision du stock des circulaires. Dans celle du 1er février 2018, le Premier ministre avait donné instruction aux différents partenaires ministériels de réexaminer la totalité du stock de circulaires. Il est parfois avancé que si la loi était simplifiée ou si les décrets d'application étaient vite pris, les administrations pourraient avoir tendance à garder un niveau de complexité du droit important à travers des circulaires. Sur le site internet « circulaires.legifrance.gouv.fr » se trouve la totalité des circulaires. Nous avions plus de 30 000 circulaires censées être applicables à la date où le Premier ministre a demandé de revoir la totalité de ce stock. Les administrations se sont mobilisées jusqu'à l'été 2018, et plus de 20 000 circulaires ont été supprimées, soit les deux tiers du stock.
Nous réfléchissons actuellement à la façon dont nous pourrions nous attaquer au flux de circulaires nouvelles, par un dispositif voisin de celui qui a bien fonctionné depuis un an et demi, à travers le système applicable aux décrets et au pouvoir réglementaire autonome.
Merci, Monsieur le secrétaire général du Gouvernement, pour ce propos fort concret. Vous avez d'ores et déjà répondu à certaines des questions que je m'apprêtais à vous poser.
Chacun a conscience du fait que le tropisme français poussant à produire trop de normes ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Il y a de nombreux leviers sur lesquels il faut agir. Nous sommes un de ces leviers.
J'avais noté quelques aspects sur lesquels j'aimerais que vous reveniez. Dans l'application du principe « 2 normes retirées pour 1 norme créée » avait été énoncé le critère de l'équivalence qualitative entre les normes créées et supprimées. Comment le mesurer et quel est l'avis du Conseil national d'évaluation des normes à ce sujet ?
Quel est le coût évité par la mise en oeuvre de la circulaire ? Avez-vous des indications à ce sujet ?
Vous avez mentionné quelques obstacles. Nous n'avons pas évoqué la problématique de la mise en oeuvre des normes inspirées ou rendues nécessaires par l'Union européenne. Ce sujet peut donner lieu à certains fantasmes mais, là aussi, il y a une réalité et il serait intéressant d'en dire un mot.
Les ministères, ou du moins certains d'entre eux, ont-ils constitué un vivier de normes à abroger ? De quelle façon et selon quels critères ?
Certains pays comparables au nôtre nous ont précédés dans une démarche similaire (Allemagne, Grande-Bretagne, Canada). Disposez-vous d'éléments comparatifs, notamment sur les procédures d'évaluation qui sont garantes du suivi de ces efforts ? Je le dis en ayant compris que vous meniez une démarche concrète, extrêmement précise, volontariste et chiffrée.
Je vous propose un premier tour de table parmi les membres de la délégation, avant des réponses groupées à nos invités.
Emmanuel Macron avait confirmé, lors de la Conférence nationale des territoires, l'objectif de 13 milliards d'euros d'économies sur le budget des collectivités territoriales d'ici 2022. Apparemment, nous sommes loin de l'objectif. Comment l'expliquez-vous ? M. Sarkozy avait considéré, en 2012, que le nombre de normes était à son maximum en France et en Europe, et des éléments de chiffrage étaient demandés à tous les ministères.
Quelles sont vos relations avec le Conseil national d'évaluation des normes ? Les allers-retours sont-ils systématiques et nombreux avec cette instance ? En d'autres termes, cette démarche est-elle conduite avec l'assentiment systématique de son président, et comment envisagez-vous de faire évoluer vos relations avec le CNEN, qui a parfois eu du mal à faire appliquer ces principes de simplification ?
Ma deuxième question vise à apprécier le poids de la surtransposition européenne dans le flux de normes nouvelles. Nous avons récemment voté une loi qui identifiait trente cas de surtransposition européenne. Je pense que nous sommes loin du compte. Un certain nombre d'articles formaient d'ailleurs un attelage hétéroclite, pour dire les choses rapidement. Où en êtes-vous de ce bilan, puisqu'une commission interministérielle, nous a-t-on dit, juge de l'ensemble de la surtransposition ?
Enfin, les normes et circulaires supprimées en application du principe « 2 pour 1 » doivent appartenir au même champ ministériel. Comment définissez-vous cette notion ? Dans la loi ELAN, par exemple, toutes les dispositions portent sur le logement, même si elles peuvent être de natures très différentes.
Au cours de la période un peu tourmentée que nous vivons, notamment au sein des collectivités territoriales, quel est le moyen de communication que vous envisagez de mettre en place afin d'informer les élus ? Comment peuvent-ils percevoir les efforts mis en oeuvre ici ou là pour répondre à leurs préoccupations en matière de réduction du nombre de ces normes ?
Il y a peu, nous avons évoqué ici même, au sein de la délégation, la question des préfets simplificateurs. Il est vrai que pour de nombreux élus locaux, perception égale réalité. Il est d'ailleurs particulièrement intéressant que vous nous ayez communiqué des chiffres afin d'objectiver ces constats. Pour autant, nombre d'élus s'interrogent quant à la traduction de l'engagement pris par le Président de la République lors de la Conférence nationale des territoires, à travers la mise en place des préfets simplificateurs - initiative qui nous avait paru nécessaire et intéressante pour faire prévaloir sur les territoires une lecture plus souple de la norme et du règlement. Or, d'après les chiffres évoqués lors de l'avant-dernière réunion de notre délégation, sur les 21 départements ayant fait l'objet d'une expérimentation des préfets simplificateurs, je crois que seulement 51 décisions ont été prises.
Comment envisagez-vous la suite de cette expérimentation, qui peut générer des frustrations ? Je prends souvent l'exemple de l'urbanisme, sujet lourd et complexe pour nombre d'élus locaux, qui connaît une forme d'inflation normative et peut parfois constituer une source de démobilisation des élus, ceux-ci ressentant une incapacité à mener à bien certains de leurs projets. Nous entendons naturellement la nécessité du respect des textes tels que la loi Montagne ou la loi Littoral - il n'est aucunement question de les remettre en cause -, cependant nous avons parfois l'impression qu'il manque peu de chose pour que l'action des préfets simplificateurs se traduise dans les faits, d'une façon perceptible par les élus locaux.
Il se trouve que lorsque nous avons commencé à travailler sur la simplification des normes, nous avons voulu, avec Rémy Pointereau, en accord avec le président Larcher, cibler notre travail sur un aspect sensible, à savoir les normes en matière d'urbanisme. Je crois que c'est ce qui a permis à notre travail, à l'époque, d'être assez concret et plus facilement mis en oeuvre par les différents acteurs concernés.
Absolument. Il faut distinguer le stock de normes et la fabrication permanente de normes, à laquelle nous contribuons en tant que parlementaires, ce à quoi s'ajoutent les normes produites par décret.
Nous avons eu de nombreux débats avec Alain Lambert, président du CNEN, qui nous disait qu'il faudrait presque un siècle pour supprimer l'ensemble du stock de normes, travail si gigantesque qu'il peut faire renoncer les meilleures volontés.
S'agissant de la fabrication de la norme, nous avons effectivement travaillé sur le sujet avec le président Jean-Marie Bockel, depuis plusieurs années, au sein de la délégation des collectivités territoriales. Il est vrai que nous avons parfois ressenti une certaine frustration, par exemple concernant le suivi de la transition énergétique. Nous avons essayé de limiter la production de normes mais avons bien vu que c'était extrêmement difficile, tant la recherche de nouvelles solutions passe souvent par de nouvelles normes. Des lobbies, par exemple, ont agi dans un sens contraire du nôtre.
La situation est telle qu'une loi constitutionnelle serait certainement utile pour contenir la fabrication de la norme. Nous avons d'ailleurs déposé une loi constitutionnelle sur le sujet. Nous y avions inséré le principe selon lequel celui qui décide doit payer et celui qui paie décide. Les normes s'empilent, par exemple pour nos collectivités, lors de la réalisation d'équipements sportifs et, in fine, ce sont les collectivités qui doivent mettre la main au portefeuille pour payer l'adaptation à toutes ces normes.
Le principe « 2 normes retirées pour 1 norme créée » pose effectivement le problème de la surtransposition européenne, pour laquelle la France s'est toujours distinguée, ce qui a accru le stock de normes de façon importante.
Nous avons travaillé avec François Calvet et Marc Daunis, autres membres de la délégation, sur un projet de loi de simplification en matière de construction. Nous avons réalisé un énorme travail. François se souvient de toutes les auditions que nous avons pu conduire, avec un résultat positif au Sénat. Malheureusement, l'Assemblée nationale n'a pas repris le texte du Sénat, contrairement à ce qui était prévu initialement. Puis est venue l'élection présidentielle. Notre texte est ainsi tombé dans les oubliettes, ce qui est fort dommage.
La loi ELAN a tout de même repris certains éléments de nos travaux. Restons optimistes, même si nous aurions aimé aller plus loin.
Je voudrais revenir sur l'inscription dans la Constitution du principe « 2 normes retirées pour 1 norme créée » - que d'autres pays ont inscrit dans leurs principes juridiques, à l'image du Royaume-Uni. Imaginons que l'on décentralise ou que l'on déconcentre, demain, un certain nombre de sujets tels que la santé, la culture ou encore l'agriculture. Quelle régulation des normes pourrait alors s'appliquer ? Ne pourrions-nous pas trouver une définition des conditions d'interprétation de la norme ?
C'est le principe que nous défendions à travers la proposition de mise en place d'une commission de conciliation, qui aurait donné aux préfets une marge d'interprétation en les « couvrant » au regard de leur responsabilité pénale - laquelle constitue un frein à la réalisation de projets. Cela aurait notamment permis d'accorder l'attention qu'elle mérite à la dimension économique des projets, étant entendu que la création d'emplois constitue l'une de nos premières priorités. Souvent, ces normes ou des interprétations réglementaires trop strictes, auxquelles nous avons pu participer, constituent des freins majeurs à l'économie. Quel dispositif pourrions-nous envisager afin de permettre à un pétitionnaire, à une région, un département ou une commune de saisir une instance de sorte que le projet puisse parvenir à son terme ?
Merci pour ce panel de questions. Monsieur le secrétaire général, je vous redonne la parole.
Merci, Monsieur le président. Plusieurs questions portent sur les critères figurant dans la circulaire du 26 juillet 2017.
Un ministère porte un projet de décret. Il incombe à ce ministère nous proposant la création d'une contrainte nouvelle de proposer dans le même temps une simplification. Nous n'appliquons pas le principe « 2 normes retirées pour 1 norme créée » lorsque nous sommes obligés de prendre le décret d'application d'une loi. Le principe « 2 pour 1 » s'applique donc essentiellement au pouvoir réglementaire autonome.
Vous nous interrogiez, Monsieur le président, sur la notion d'équivalence qualitative entre les normes qui sont créées et celles qui sont supprimées. Nous nous efforçons de chiffrer cette appréciation, mais il y a nécessairement une part de subjectivité dans celle-ci.
Comme vous le savez, avant de préparer le projet de loi de lutte contre la surtransposition, nous avions demandé aux inspections générales d'examiner les 1 100 directives du marché unique, afin d'analyser de quelle façon elles avaient ou non été transposées dans notre droit. Ce travail forme un volumineux rapport, que nous vous avons communiqué. L'objectif n'était pas de constater la part élevée de notre législation issue de l'Union européenne mais d'examiner les normes une par une, ce qui confirme d'ailleurs l'impression d'attelage hétéroclite évoquée par Mme de la Provôté. Il est ressorti de cet énorme travail qu'il n'y avait qu'une centaine de surtranspositions dans l'ensemble du champ du marché unique.
Toutes ces surtranspositions été réexaminées et le projet de texte qui a été déposé proposait d'en supprimer une quarantaine, de mémoire, car d'autres surtranspositions correspondaient à un choix, en vue d'assurer une protection supplémentaire à nos compatriotes. Suite au passage de ce texte au Sénat, nous avons pu conserver l'essentiel des dispositions qui supprimaient les surtranspositions, mais les sénateurs, dans leur ensemble, ont considéré qu'il était souhaitable de conserver quelques-unes de ces dispositions. Nous-mêmes n'avions pas une vue très précise, quantitativement, de ce que cela représentait.
Cette question du stock et du flux se pose aujourd'hui de façon différente, quantitativement, de ce qu'il en était. La Commission présente chaque année quinze ou vingt nouvelles propositions de directives, alors que ce nombre était quatre ou cinq fois plus élevé il y a vingt ans, au moment où ce nombre de propositions a atteint son pic.
Vous avez également soulevé des interrogations à propos du pouvoir des préfets simplificateurs, ce qui renvoie à la question des marges de manoeuvre dans l'application des lois. Comme vous l'avez fort justement souligné, Monsieur le président, nous sommes au début d'un effort qui doit se prolonger. Le Premier ministre a saisi le Conseil d'État afin que celui-ci réexamine la totalité des dispositifs d'expérimentation, ceux mis en place pour les préfets, mais aussi ceux mis en place pour les ARS, de façon à déterminer comment nous pourrions passer à un stade supérieur, tant du point de vue du champ des normes auxquelles l'on pourrait déroger que sur le plan géographique, de sorte qu'un plus grand nombre de préfets ou d'ARS soient concernés. Nous allons mener ce travail cette année.
L'ordonnance du 30 octobre 2018 constitue une illustration de cet état d'esprit, en s'efforçant de viser une obligation de résultat plutôt que d'édicter des normes obligatoires. L'obtention des résultats serait alors à démontrer par le maître d'ouvrage. Ce principe est sans doute assez adapté à un certain nombre de normes de la construction (insonorisation, etc.). C'est un sillon qu'il faut continuer à creuser, de façon à obtenir une plus grande souplesse dans l'application des normes.
S'agissant du stock de normes, le Premier ministre a demandé à tous les ministères d'élaborer des plans de simplification des stocks. C'est ce qui conduit à ce que certaines dispositions soient insérées dans les lois (loi santé ou loi sur le logement, par exemple). Il faut amplifier cet effort.
Cela me permet de faire le lien avec la façon dont les dispositifs dont nous parlons pourraient être consacrés sur le plan constitutionnel. Je crois qu'il faut, à cet égard, distinguer le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. En ce qui concerne le pouvoir réglementaire, l'application est désormais extrêmement stricte. En un an et demi, nous avons produit 20 décrets créant des contraintes nouvelles pour 48 modifications, au lieu de 150. La volonté du Président de la République et du Premier ministre est très claire : il s'agit de contrôler de façon très ferme la production de normes, afin que le pouvoir réglementaire autonome ne puisse ajouter de la complexité à la complexité.
Il reste le pouvoir législatif. Je n'ai pas en tête d'exemple permettant de savoir si, en droit comparé, un Parlement verrait son action limitée dès lors que la Constitution lui imposerait de supprimer des normes chaque fois qu'une disposition législative nouvelle est prise. Cette séance témoigne en tout cas de l'existence d'un contrôle du Parlement quant à la façon dont l'exécutif mène cette tâche. S'agissant du pouvoir législatif, ce serait une innovation beaucoup plus grande, me semble-t-il. Hormis les dispositions relatives à certaines collectivités d'outre-mer, le Parlement, Assemblée nationale et Sénat, demeure pleinement compétent pour fixer les normes, quelles que soient les matières décentralisées. Nous nous inscrivons bien sûr dans ce cadre.
M. Luche demandait comment mieux se tourner vers les collectivités territoriales pour communiquer sur ces démarches. Il s'agit d'une question très importante, qui revêt deux aspects ;
- d'une part, nous pouvons expliquer qu'un très gros effort est engagé pour simplifier la vie des collectivités territoriales et de nos concitoyens en général. Ce travail produit de premiers résultats mais il nous faut persévérer en ce sens. Souligner que nous sommes passés de 30 000 à 10 000 circulaires, pour l'ensemble de l'administration, traduit déjà une évolution considérable ;
- d'autre part, nous pourrions nous demander si la façon dont ces normes sont portées à la connaissance de nos concitoyens est suffisante. On dit parfois que c'est dans les circulaires que se trouvent les dispositions permettant de comprendre la façon dont une loi s'applique. La totalité des circulaires est disponible en open data, en format réutilisable, sur le site « circulaires.legifrance.gouv.fr » mais ce type de document est-il adapté aux attentes de nos concitoyens pour ce type d'information ? Peut-être devrions-nous agir autrement, par exemple en proposant des questions-réponses sur les sites des ministères. Il ne suffit pas de simplifier la norme : il faut aussi pouvoir y accéder plus facilement et de façon plus compréhensible. Nous avons certainement des progrès à faire en la matière.
Mme Gréaume a posé la délicate question du chiffrage. Dans le chiffre que vous avez cité ne sont pas seulement incluses les normes : les efforts d'économie que vous avez rappelés portent sur les dépenses, y compris celles issues de la production de la norme. Les premiers résultats sont encourageants : le chiffrage que j'ai indiqué s'agissant du bilan des études d'impact montre que nous avons permis une économie de 126 millions d'euros. Il ne fait pas de doute qu'il serait souhaitable d'améliorer ce chiffre s'il peut l'être.
Nous travaillons toutes les semaines avec le CNEN. Nous entretenons des rapports étroits, confiants et fructueux avec son président, Alain Lambert. Ces rapports sont d'abord fondés sur le partage d'un constat et la volonté de travailler dans la même direction. Nous avons des questions sur le flux et d'autres sur le stock. Elles sont de natures très différentes et appellent des traitements distincts dans les deux cas. Nous n'avons pas de doute non plus quant à la réalité des effets économiques et sociaux auxquels tout ceci contribue.
Je voudrais vous interroger, Monsieur le secrétaire général du Gouvernement, à propos des délais de publication des décrets d'application. Nous avons tous de nombreux exemples en tête. J'en citerai deux, qui concernent les polices municipales. Lorsque le législateur a décidé l'accès des policiers municipaux au fichier des plaques minéralogiques et des permis de conduire, il y a trois ans, il a fallu plus de deux ans (délai qu'on ne s'explique pas) pour obtenir les décrets d'application. Plus de six mois après, nous ne connaissons toujours pas les modalités pratiques de mise en oeuvre de cet accès.
Les policiers municipaux, bien avant la police nationale, portaient des « caméras piétons », dont tout le monde considérait qu'elles avaient des effets positifs à maints égards. Le Gouvernement a décidé que le législateur devait légiférer. Celui-ci autorise, au plan national, une expérimentation de deux ans au sein des polices municipales. Au terme de cette expérimentation, le Gouvernement omet qu'il faut une loi pour pérenniser le dispositif. En catastrophe, cet été, en session extraordinaire, les deux chambres ont procédé à un vote conforme de l'Assemblée nationale et du Sénat et la loi a été promulguée durant les premiers jours du mois d'août. Cela faisait déjà deux à trois mois que les policiers municipaux avaient dû remiser les caméras qu'ils portaient. À ce jour, le décret d'application n'est toujours pas publié et les caméras sont toujours dans les placards. Comment mieux faire ?
Vous aurez compris, Monsieur le secrétaire général, que François Grosdidier est l'auteur d'un rapport remarquable et remarqué sur les polices municipales.
Savez-vous pourquoi nous avons tant de difficultés à réaliser ces économies, en ce qui concerne les collectivités territoriales ?
Monsieur le secrétaire général, nous vous laissons répondre et conclure. Nous sommes heureux et honorés par votre présence, nous savons le rôle de vigie que vous jouez sur diverses questions qui relèvent de l'action gouvernementale, à commencer par le suivi du Conseil des ministres. Je sais également que vous avez à vos côtés une équipe très engagée.
La question des délais de publication des décrets d'application des lois relatives aux polices municipales fait l'objet d'une attention extrêmement aiguë des autorités politiques. Le taux d'application des lois se calcule au terme d'un délai de six mois, en regardant si tous les décrets d'application des lois ont été pris dans ce délai. Ce taux est de 94 %. Les matières que vous avez citées font donc partie des 6 % restants. Nous allons très rapidement analyser les deux exemples que vous avez cités, afin de comprendre pourquoi ces décrets n'ont pas encore paru. Nous communiquons la totalité de ces documents à vos collaborateurs.
Chaque fois qu'une loi est publiée au Journal officiel, nous bâtissons des tableaux, non pas loi par loi ni alinéa par alinéa mais disposition réglementaire d'application par disposition réglementaire d'application. Une loi peut ainsi comporter 100, 120 ou 140 renvois, que nous suivons mois par mois afin d'être certains que nous parvenons à publier tous les décrets d'application dans un délai de six mois. Il nous faut notamment vérifier les consultations auxquelles nous devons procéder (par exemple la CNIL, si la loi prévoit un traitement informatisé).
La question de l'application des lois est tout de même traitée, par rapport à la situation qui prévalait il y a un certain nombre d'années, puisque 94 % des lois sont effectivement appliquées dans les six mois qui suivent leur promulgation. Parmi les 6 % restants figurent des décrets que nous ne parvenons pas à prendre parce que nous les avons notifiés à la Commission européenne, qui dispose d'un délai de trois mois pour nous répondre. Dans d'autres cas, nous devons revenir devant vous afin de préciser de quelle façon une disposition peut être appliquée. Il y a enfin des cas dans lesquels nous aurions dû publier le décret dans le délai prévu et où ce n'est pas le cas.
Je peux donc en déduire qu'il existe des lenteurs spécifiques place Beauvau.
Je crois que vous ne tireriez pas la bonne conclusion. Encore une fois, le taux de 94 % que j'ai indiqué témoigne du fait que cette question de l'application des lois est traitée. Le ministre chargé des relations avec le Parlement fait régulièrement le point, en Conseil des ministres, sur la parution des décrets d'application des lois. Je crois savoir que Mme Létard est chargée de ces questions au Sénat. Le ministre doit revenir au Sénat en juin prochain pour faire un point sur l'ensemble des décrets d'application des lois.
Comme vous l'avez compris, je m'occupe principalement de questions normatives et non de questions budgétaires. Je reviendrai vers vous avec les informations que vous souhaitez. Je reconnais bien volontiers qu'il faut poursuivre ces efforts afin que la simplification normative produise des résultats chiffrés encore plus importants.
Les questions sur lesquelles nous avons échangé ce matin se trouvent au coeur des priorités que le Président de la République, le Premier ministre et les ministres assignent à leurs administrations, priorités que le secrétaire général du Gouvernement s'efforce d'animer, voire de contrôler, dans le cas du dispositif « 2 pour 1 ».
Il existe un constat partagé autour du volume trop important de normes produites et de la modification trop fréquente de ces normes. Sur ces questions, nos administrations sont mobilisées dans leur champ d'action au premier chef (c'est-à-dire le pouvoir réglementaire et plus spécifiquement le pouvoir réglementaire autonome),
Merci infiniment, Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement. Nous avons tous apprécié cet échange, en particulier la franchise, la précision et la qualité de vos réponses.