La réunion est ouverte à 10 heures 05.
Mes chers collègues, après Peter Limbourg, directeur général de la Deutsche Welle, c'est le président du groupe ARTE, Peter Boudgoust, que j'ai le plaisir d'accueillir en votre nom. Il est accompagné de la présidente d'ARTE France, Véronique Cayla, ainsi que de la directrice générale d'ARTE France, Régine Hatchondo.
Quelques semaines après la signature du traité d'Aix-la-Chapelle, qui réaffirme avec force l'amitié franco-allemande et notre volonté de travailler ensemble, cette audition permet de donner un sens très concret à cet engagement politique qui remonte, je vous le rappelle, à 1963.
Le chemin parcouru par ARTE depuis une trentaine d'années est, chacun le sait, considérable. La chaîne est devenue véritablement européenne. Son audience ne cesse de progresser. Les indicateurs sont extrêmement positifs. Sa gestion a été saluée par un rapport récent de la Cour des comptes et constitue un atout au moment où l'audiovisuel connaît une révolution numérique qui menace la création européenne et interroge sur nos valeurs.
Elle est également un atout au moment de « la guerre froide de l'information » que dénonçait récemment devant nous Marie-Christine Saragosse.
En 2019, nous devrons mettre à plat l'organisation de notre audiovisuel public et moderniser la réglementation devenue obsolète qui encadre le secteur de l'audiovisuel.
Chacun s'accorde pour dire qu'ARTE peut servir d'inspiration concernant le choix de ses programmes, ainsi que la très grande avance et l'innovation prises sur le numérique.
Il est vrai que la place de cette chaîne dans la galaxie des sociétés de l'audiovisuel public ne saurait être oubliée, alors que nous nous interrogeons sur la façon de coordonner ses moyens.
Je tiens donc à rappeler notre attachement à la spécificité et à l'indépendance d'ARTE, qui constitue d'abord une initiative franco-allemande. Bien entendu, nous devons aussi avoir à l'esprit le nouveau contexte qui appelle un renforcement des coopérations et des mutualisations.
Tout l'enjeu est de trouver la voie entre le respect de la spécificité d'ARTE et l'amélioration de l'offre publique dont elle peut être l'inspiratrice. Nous serons donc attentifs aux propositions que vous allez nous faire en ce sens.
Cette audition est captée et diffusée en direct sur Internet.
Vous avez la parole.
Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je suis vraiment très heureuse d'être à vos côtés ce matin avec Peter Boudgoust. président du GEIE d'ARTE. Certains d'entre vous le connaissent. Peter Boudgoust avait participé au colloque intitulé Comment réenchanter l'audiovisuel public à l'heure du numérique ?, organisé par votre commission l'été dernier, et dont les dix recommandations qui le concluaient sont toujours d'actualité.
Aujourd'hui, nous tâcherons de vous présenter au mieux la place unique et originale qu'occupe ARTE au sein de l'audiovisuel public européen, et plus particulièrement des audiovisuels publics français et allemand.
ARTE est une chaîne à part : c'est une chaîne politique, dans le meilleur sens du terme, voulue par le Chancelier Helmut Kohl et le Président François Mitterrand il y a près de 30 ans, au cours d'un sommet franco-allemand, pour rapprocher nos deux pays, qui se sont beaucoup affrontés au cours du XXe siècle.
ARTE n'est pas une chaîne allemande, tout le monde le sait, mais ce n'est pas non plus une chaîne française, et on ne le sait pas toujours en France. ARTE est une chaîne franco-allemande dotée d'une mission européenne de rapprochement des peuples d'Europe par la culture. Cette mission est clairement décrite dans le traité interétatique signé par le Président de la République française avec les seize Länder allemands en 1990. Elle repose sur un principe d'indépendance, aussi bien statutaire, financière qu'éditoriale, sur laquelle Peter Boudgoust reviendra dans un instant.
ARTE est une création politique très originale, qui n'a pas d'équivalent dans le monde, une chaîne à cheval sur deux pays, deux cultures, deux langues, et dotée d'une mission claire qui la dépasse : l'Europe.
Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord vous remercier chaleureusement pour cette invitation. C'est un plaisir pour moi d'être ici aux côtés de Véronique Cayla pour vous présenter les activités de la chaîne ARTE.
J'ai la chance de présider ARTE GEIE aux côtés de Régina Hatchondo, par ailleurs directrice générale d'ARTE France.
Ainsi que l'a souligné Véronique Cayla, la mission d'ARTE en tant que chaîne culturelle européenne est une mission historique, dont l'Allemagne et la France ont reconnu l'urgence, et à laquelle nous devons faire honneur ensemble. La structure unique du groupe ARTE s'explique par la nécessité d'unir deux systèmes politiques et deux systèmes de radiodiffusion différents, ainsi que deux concepts différents.
Dès le début, ARTE a été financée sur une base paritaire par les contributions de radiodiffusion des deux pays. Le groupe ARTE est composé des deux membres nationaux ARTE France et ARTE Deutschland, qui forment la centrale ARTE GEIE. Les deux pôles fournissent 40 % des programmes à parts égales, les 20 % restants étant produits par ARTE GEIE lui-même. Le journal d'information quotidien, ARTE Journal, est quant à lui fourni par la rédaction franco-allemande.
Comme nous l'avons également mentionné, les systèmes de médias publics de nos deux pays sont fondés sur des compréhensions différentes de la relation à la politique. Depuis le début, la structure démocratique de la République fédérale d'Allemagne a été conçue pour éviter une trop forte concentration des pouvoirs.
Cette attitude à l'égard de l'engagement de l'État, en particulier dans le domaine des médias et de l'information, se reflète dans le principe historique d'indépendance. Aujourd'hui encore, la politique et la société allemande s'accordent à reconnaître que l'indépendance des médias et leur mission de formation de l'opinion ne peuvent être garanties que s'il existe une distance vis-à-vis de l'État.
Cette logique se reflète également dans le système de financement de la radiodiffusion publique. En Allemagne, les radiodiffuseurs ne sont pas financés directement par le budget de l'État, mais par la contribution audiovisuelle. La commission pour la détermination des besoins financiers des radiodiffuseurs (KEF) est chargée de l'évaluation des besoins financiers des radiodiffuseurs. C'est une commission indépendante, qui ne dépend pas de l'État et qui finance les besoins de la ZDF, de l'ARD, d'ARTE Deutschland et de la Deutschlandradio.
Seule la Deutsche Welle, en tant que radio-télévision allemande destinée à l'étranger, fait exception et est financée par les recettes fiscales fédérales. C'est la KEF qui, en cas de besoin, conseille aux seize gouvernements des Länder allemands d'ajuster la contribution à la radiodiffusion, une éventuelle modification devant être approuvée par les parlements des seize Länder.
En effet, selon la Constitution, les Länder n'ont pas véritablement le droit de contredire la KEF. L'engagement financier porte sur quatre ans, ce qui permet un financement sécurisé sur plusieurs années.
ARTE doit non seulement prendre en compte ces différentes attitudes vis-à-vis des médias publics, mais aussi les différents calendriers et modalités d'adoption du budget national. Raison de plus pour considérer ARTE comme l'exemple même d'une coopération franco-allemande qui a réussi à transformer ses différences en synergies, et qui connaît le succès partout en Europe.
Dès son début, dans les années 1990, la priorité d'ARTE a été de doter la France et l'Allemagne d'une mémoire commune grâce aux documentaires - genre majoritaire qui représente plus de 50 % de la grille de programmes - et aux coproductions entre nos deux pays puis avec nos voisins. Plus de 80 % des programmes d'ARTE sont en effet européens.
Tout ce travail autour des documentaires nous a permis de réunir une dizaine de chaînes publiques européennes partenaires d'ARTE, dotées chacune d'un fonds de coproduction. Dans ce cadre, en 2018, nous avons notamment diffusé le documentaire 1918-1939, les rêves brisés de l'entre-deux-guerres, une coproduction d'ARTE avec une dizaine de chaînes publiques européennes, dont l'ARD, la ZDF, la RTBF et bien d'autres.
Cette mémoire une fois formée, nous avons voulu porter un regard commun sur l'avenir de nos sociétés européennes grâce à la fiction, qui est un vecteur puissant d'expression de l'imaginaire de chacun. C'est pourquoi nous ne diffusons pas de fictions américaines. Nous ne diffusons que des séries européennes contemporaines ou d'anticipation.
Nous avons ainsi programmé, les jeudis 2 et 9 mai, notre nouvelle série Eden, coproduite avec l'ARD, qui interroge la crise migratoire. Nous avons diffusé, en janvier, la série Il miracolo, réalisée par le grand romancier italien Niccolò Ammaniti, en coproduction avec Sky Italia.
En parallèle, nous avons développé un pôle d'information avec une rédaction paritaire - quinze Français, quinze Allemands - tournée vers l'Europe et le monde, sans faits divers ni « chiens écrasés » mais, au contraire, avec de multiples regards croisés, ce qui nous a permis de construire une information bien spécifique, fondée sur le recul et la réflexion, à l'inverse de la plupart des chaînes d'information.
Après la mémoire, grâce au documentaire, l'imaginaire, grâce à la fiction et l'actualité, grâce à l'information, il était temps de devenir une chaîne européenne.
Le projet ARTE n'a pas seulement été conçu pour un public cible en Allemagne et en France, mais a toujours eu en tête un horizon européen.
ARTE a utilisé les nouvelles possibilités de la digitalisation pour étendre son offre non-linéaire à son public européen, ce qui n'était pas possible à l'époque de la création de la chaîne, du fait des contraintes technologiques. Un exemple en est l'élargissement à quatre langues supplémentaires. Depuis treize ans, ARTE a réalisé de grands pas en direction du public européen.
Grâce à un financement supplémentaire de la part de l'Union européenne, une sélection de l'offre en ligne est désormais disponible avec des sous-titres en anglais, en espagnol, en polonais et en italien. Ces quatre langues supplémentaires représentent aujourd'hui un quart de l'ensemble des téléchargements en vidéo de l'offre en six langues. ARTE touche ainsi 70 % des Européennes et Européens, qui peuvent regarder la chaîne dans leur langue maternelle. Ceci contribue de manière significative à la création d'une sphère publique européenne dans le domaine des médias publics.
En tant que vitrine pour les contenus européens, ARTE offre une valeur ajoutée qui est également reconnue comme telle par l'Union européenne. Si nous pouvons nous réjouir des perspectives positives de financement à long terme du sous-titrage, nous ne nous limitons pas pour autant à ce projet. Au-delà, ARTE s'engage aussi auprès de son public pan-européen. 85 % de ses programmes sont d'origine européenne. D'ailleurs, la chaîne a réussi à mettre en place un réseau vivant de neuf chaînes européennes de service public, des chaînes représentées dans les comités d'ARTE en tant que membre consultatif dans le cadre d'accords d'association couvrant la Finlande, l'Italie, l'Espagne, etc.
Ces diffuseurs partenaires, ainsi qu'ARTE, s'efforcent de répondre à l'intérêt croissant pour la coopération européenne et de développer les coproductions européennes. Quelques exemples importants ont déjà été cités. ARTE poursuit ainsi une stratégie de coopération européenne depuis la création de la chaîne, stratégie dont on parle actuellement beaucoup dans nos deux pays.
Face à la résurgence des mouvements nationalistes et populistes, la mission éducative du service public de radiodiffusion est plus pertinente que jamais. De nombreuses voix dans le domaine des médias et de la politique se sont fait entendre et appellent à la création d'une plateforme européenne afin d'unir leurs forces et de refléter les diverses perspectives.
En tant que chaîne culturelle européenne, ARTE s'est tournée vers ses actionnaires, France Télévisions, ZDF et ARD, dans le cadre de ses réflexions sur le traité d'Aix-la-Chapelle. Pour cette plateforme européenne, ARTE dispose d'une expertise européenne grâce à l'offre en ligne en six langues qu'elle souhaite mettre en service. Ainsi, la chaîne peut fonctionner comme le noyau du service public de la radiodiffusion en Europe pour les projets destinés à des publics cibles européens. Nous visons donc un élargissement de notre programme, grâce aux contenus de nos actionnaires, au service d'une offre riche et de qualité en Europe.
Cette idée a dépassé le cadre du projet. Une première réunion de travail a eu lieu pour discuter du cadre d'une telle plateforme européenne avec les sociétés France Télévisions, ZDF et ARD. Nous sommes très confiants pour la suite.
ARTE est une chaîne qui se porte bien. En matière d'audience, 2018 a été une année exceptionnelle pour la chaîne.
En France, ARTE affiche 2,4 % de parts d'audience, soit une hausse de 9 % par rapport à 2017. L'audience numérique a progressé en 2018 de façon très importante, avec une croissance de 50 %. En Allemagne, 2018 confirme également la bonne santé d'ARTE, avec 1,1 % de parts de marché. En Europe, ARTE a triplé son audience en 2018 dans ces quatre nouvelles langues. ARTE s'impose ainsi comme la chaîne culturelle de référence en Europe.
À cet égard, ARTE est particulièrement mobilisée à un mois des élections, qui seront déterminantes pour l'avenir de l'Union européenne. Nous proposons sur notre site un nouveau média spécifiquement dédié aux élections européennes, Europe 2019. Le 16 avril, nous diffuserons le documentaire sur le Brexit, qui nous plongera au coeur des négociations menées par Michel Barnier. Le 4 mai, nous diffuserons 24 heures Europe, un documentaire d'une durée de 24 heures, coproduit avec plusieurs de nos partenaires européens, qui donnera la parole aux Européens d'aujourd'hui. Puis, au cours d'une soirée autour d'Erasmus, nous proposerons le documentaire Comment Erasmus m'a changé, une coproduction de cinq chaînes publiques européennes.
Dans le contexte foisonnant de l'offre et de concurrence aiguë entre les différentes chaînes, en Europe comme ailleurs, ces résultats confortent clairement la stratégie éditoriale de la chaîne.
2018 a également été une année exceptionnelle en matière de prix dans les festivals. Après la Palme d'or spéciale à Cannes, pour le dernier film de Jean-Luc Godard, nous avons obtenu l'Ours d'or à Berlin pour le film Synonymes, de nombreux César pour de jeunes talents français, le prix du public à l'occasion du festival Séries Mania pour Mytho, et beaucoup de prix à l'international pour nos créations numériques.
Par ailleurs, l'action d'ARTE a été saluée par la Cour des comptes - ce qui est toujours satisfaisant - non seulement pour sa bonne gestion, mais aussi pour sa stratégie éditoriale et numérique. La Cour des comptes souligne « le rôle important de la chaîne dans le soutien à la création et son rôle de pionnier dans le numérique ».
Enfin, ARTE France travaille de mieux en mieux avec ses partenaires de l'audiovisuel public, comme le lui a d'ailleurs recommandé la Cour des comptes. En effet, la vocation européenne d'ARTE, inscrite dans son traité fondateur, ne l'empêche pas de collaborer avec ses partenaires de l'audiovisuel public. Les relations avec France Télévisions s'intensifient. Nous avons créé ensemble un comité de concertation qui nous permet déjà une meilleure coordination de la programmation. Ceci a été fait avec succès pour les hommages rendus récemment à Michel Legrand, Karl Lagerfeld, et Agnès Varda.
Il est intéressant de noter que ces programmations ne se cannibalisent pas, bien au contraire. Grâce à une communication commune de France Télévisions et d'ARTE, elles se nourrissent l'une l'autre et permettent aux Français de bénéficier d'une offre plus complète sur des moments qui ont marqué notre Histoire.
Le comité de concertation nous permettra aussi d'identifier des projets de coproduction, en particulier pour les documentaires historiques, et dans le respect du principe de la primo-diffusion pour ARTE, telle qu'elle s'applique en Allemagne, avec la ZDF et l'ARD.
Par ailleurs, nous travaillons avec France Télévisions à la création d'une offre éducative commune qui accueillera je l'espère prochainement sous une même marque ombrelle l'offre à destination du grand public de France Télévisions - Francetv Éducation -, et l'offre à destination des élèves et des enseignants d'ARTE - Educ'ARTE -, qui sera présente dans 1 000 établissements de France et d'Europe d'ici la fin de cette année.
Nous travaillons régulièrement avec nos autres partenaires de l'audiovisuel public, comme avec Radio France, avec qui nous réalisons beaucoup d'opérations communes, en particulier dans les festivals. Il est vrai qu'ils ont le son et que nous avons l'image. Il est donc assez facile de se retrouver.
Nous travaillons également avec France Médias Monde, avec qui nous avons créé un espace commun, ARTE France en espagnol, qui fonctionne déjà très bien, aussi bien en Amérique latine que dans toute l'Europe. Nous prenons part aux différents chantiers de l'audiovisuel public initiés par le ministère de la culture, dont Culture Prime et l'Atelier numérique de l'audiovisuel public, qui réunissent toutes les chaînes publiques françaises.
Les trois pôles d'ARTE s'efforcent non seulement de combiner continuellement au mieux deux systèmes différents, mais prouvent également qu'ils exploitent ces énergies au profit des programmes.
Ainsi que je l'ai dit, la structure d'entreprise du groupe ARTE est si bien pensée que les exigences nationales sont appliquées, tout en rendant possible la coopération transfrontalière européenne.
J'ai eu l'occasion, lors d'une rencontre, de dire à M. Franck Riester, ministre de la culture, que nous sommes préoccupés par le projet de réforme actuellement en discussion en France et ses conséquences pour le groupe ARTE.
Le principe d'indépendance constitue, en Allemagne, la base indispensable pour permettre le travail des médias publics, et s'inscrit dans l'esprit des textes fondateurs. Ceux-ci prévoient une indépendance financière et éditoriale des trois entités du groupe que sont ARTE France, ARTE Deutschland et ARTE GEIE.
Comme vient de le dire Véronique Cayla, ARTE, avec ses coproductions de renommée internationale et son programme cosmopolite, est le symbole même de la télévision créative, et a conquis une place solide dans le paysage médiatique européen, dans les secteurs linéaire et non-linéaire.
Ceci a été rendu possible grâce à l'indépendance des trois pôles d'ARTE, raison pour laquelle nous attachons une grande importance à cette notion et au fait de considérer ARTE comme un groupe européen uni.
Merci pour vos présentations très argumentées et harmonieuses, à l'image d'ARTE.
La parole est à notre rapporteur des crédits de l'audiovisuel.
Madame la présidente, monsieur le président, je voudrais saluer le travail réalisé par les équipes d'ARTE et apporter mon soutien au média culturel européen multisupport qu'est devenue la chaîne franco-allemande.
Alors que la gestion des entreprises de l'audiovisuel public, comme leur stratégie, en particulier dans le domaine du numérique, font aujourd'hui débat, il convient de souligner qu'ARTE fait exception, comme l'a précisé le récent rapport de la Cour des comptes, selon lequel « la gestion financière de l'entreprise n'appelle pas de commentaire particulier ». Nul doute que d'autres entreprises publiques aimeraient recevoir une appréciation de cette teneur.
Pour autant, les défis ne sont pas minces pour ARTE, qui est confrontée, comme le reste de l'audiovisuel public, à la révolution des plateformes numériques, avec deux enjeux particuliers, l'européanisation du média grâce au numérique, et une meilleure intégration à l'audiovisuel public.
Concernant l'européanisation et le développement numérique, vous avez évoqué la création d'une plateforme commune européenne associant, du côté français, France Télévisions et ARTE France et, du côté allemand, ARTE Deutschland et les sociétés ZDF et ARD.
Ma question porte sur les risques liés à la multiplication des plateformes publiques. Est-il raisonnable pour le service public de vouloir mener en parallèle ce projet européen numérique, de créer une plateforme payante SALTO avec les chaînes privées, à laquelle ARTE pourrait apporter des documentaires, et de continuer à développer en parallèle des plateformes spécifiques comme France.tv et ARTE.tv ?
Existe-t-il un débat à ce sujet entre les différents acteurs ? Cette floraison d'initiatives n'illustre-t-elle pas la nécessité de mieux coordonner les stratégies publiques dans le numérique ?
La plateforme sur laquelle nous travaillons depuis plusieurs mois est une plateforme européenne qui n'a rien à voir avec les plateformes nationales. ARTE a une dimension européenne, et c'est d'abord dans ce cadre que nous voulons développer au minimum une plateforme bilingue.
Comme vient de le dire Véronique Cayla, SALTO a une vocation nationale. D'ailleurs, lorsque la présidente de France Télévisions s'exprime, elle dit bien qu'elle pense qu'il existe, en regard de la montée en puissance de plateformes telles que Netflix, Amazon, Disney ou Fox, une place pour une offre locale.
Nous pensons qu'il y a également une place pour une offre européenne. Il ne s'agit pas de faire de la concurrence aux plateformes américaines, dont on sait qu'elles représentent chaque année des milliards d'investissements et d'acquisition de droits, mais de réunir le meilleur des chaînes publiques européennes multilingues et de les mettre à disposition des citoyens européens.
Le digital nous offre aussi la possibilité d'une communication bien moins chère qu'auparavant lorsqu'on sait s'emparer des réseaux sociaux dans chaque pays européen. Ceci nous permettrait de toucher les jeunes citoyens, qu'on est en train de perdre à propos de certains sujets de fond comme le sens européen, la connaissance, les repères historiques, etc.
J'ai eu hier une discussion avec Peter Limbourg au sujet du projet de France Médias Monde et du projet de la Deutsche Welle. Nous nous sommes accordés sur le fait qu'il s'agit de sujets qui se complètent. Nous nous adressons en effet à des cibles différentes, avec des contenus différents. Le projet de France Médias Monde et de Deutsche Welle s'adresse surtout à un public plus jeune. C'est une plateforme interactive qui doit utiliser Facebook. Notre contenu culturel s'adresse à un autre public, et nous souhaitons avoir une plateforme classique audiovisuelle.
Concernant plus précisément une meilleure intégration de l'audiovisuel public, l'actionnariat d'ARTE France est aujourd'hui éclaté et peu investi dans la société. Si une intégration d'ARTE France dans une holding publique en tant que filiale ne nous semble pas opportune, la réunion des participations de France Télévisions - 45 % du capital -, Radio France - 15 % -, et de l'INA - 15 % - permettrait à la holding de détenir 75 % du capital d'ARTE France. Que penseriez-vous du fait que ce nouvel actionnaire se limite à trois actions, dans le respect de l'indépendance d'ARTE : favoriser une stratégie coordonnée et ambitieuse dans le numérique, développer les coopérations dans la production et mettre en oeuvre des synergies dans les fonctions support pour rechercher des optimisations, pour ne pas dire des économies ?
ARTE repose avant tout, comme Peter Boudgoust l'a rappelé dans sa présentation, sur un principe d'indépendance auquel nous sommes tous très attachés, en particulier la partie allemande, pour des raisons historiques. L'indépendance se juge sur plusieurs critères : indépendance éditoriale, indépendance financière, mais aussi indépendance statutaire. C'est pourquoi aucune partie d'ARTE n'est sous la domination d'un pays quelconque sur le plan capitalistique.
Rien ne s'oppose à une plus grande coopération, par exemple sous forme de coproductions ou de contenus audiovisuels. Naturellement, il faut respecter le principe de la primo-diffusion. C'est un point très important pour les Allemands. L'indépendance éditoriale ou financière est essentielle pour le fonctionnement du groupe.
Le fait d'ajouter la part des actionnaires dans le capital d'ARTE France, qui permettrait effectivement de constituer une majorité de 75 %, contredit totalement l'esprit du traité interétatique. En Allemagne, ARTE France dispose de deux actionnaires à parts égales, l'ARD pour 50 %, la ZDF pour 50 %, afin qu'il n'y ait pas d'actionnaire majoritaire. Sur le plan juridique et politique, c'est un point extrêmement sensible. C'est pour cela, à l'origine, que la répartition des parts a été faite de façon que personne ne soit majoritaire.
Par ailleurs, vous vous posez la question de savoir si une holding pourrait favoriser une stratégie ambitieuse dans le domaine numérique. Sur ce point, il me semble qu'ARTE a été plutôt précurseur dans ses partenariats avec France Télévisions et l'ensemble de l'audiovisuel public - Culture Prime, Radio-France... Nous pouvons aller plus loin. Il n'y a de notre part aucune réserve sur ce point. Il nous paraît cependant plus intéressant de collaborer sur des projets que de répondre aux objectifs d'une gouvernance qui ne respecterait pas le traité franco-allemand.
Enfin, développer des synergies sur les fonctions-supports classiques d'une entreprise n'apporterait que des économies très minimes. Les gros enjeux concernent la cybersécurité, l'informatique, sur lesquelles on collabore. Le marché de la cybersécurité couvre aujourd'hui l'ensemble de l'audiovisuel public. La formation, part important de notre activité, regroupe l'ensemble de l'audiovisuel public entre les mains de l'INA.
La mutualisation est donc en oeuvre dans ces domaines. L'intérêt est mince concernant la paie ou la comptabilité.
La structure capitalistique du GEIE ARTE n'est pas comparable à une holding. L'ARD et la ZDF sont des concurrents. L'ARD est elle-même composée de neuf radiodiffuseurs régionaux constitués en association pour créer un programme national. Pour ARTE, tel projet de coproduction est refusé par une chaîne allemande et accepté par une autre. Le paysage audiovisuel est très libre et soumis à la concurrence, sur la base du principe de primo-diffusion d'ARTE en Allemagne. Cela rend ARTE Deutschland relativement indépendant par rapport aux autres chaînes.
Par ailleurs, ARTE Deutschland n'est pas financée à partir de l'ARD ou de la ZDF. ARTE Deutschland soumet ses besoins financiers à la KEF et, très souvent, sa dotation est supérieure à celle de l'ARD et de la ZEF. C'est une grande différence par rapport à une holding. L'Allemagne s'inquiète vraiment de la mise en place d'une éventuelle holding, qui met en danger les principes d'indépendance et de liberté - même si cela part d'un bon sentiment.
Je peux vraiment vous assurer que le succès d'ARTE, en dehors de la qualité des équipes, est dû avant tout à son indépendance. C'est ce qui a permis à ARTE de se développer, en particulier dans domaine du numérique et de l'Europe. Sans cela, ces deux projets fondateurs n'auraient pu être menés à bien à ce rythme, et on serait comme les autres.
Ma dernière question concerne la gouvernance d'ARTE et le contrôle que le Parlement doit pouvoir exercer sur la gestion de l'entreprise.
La spécificité de l'entreprise a longtemps expliqué l'absence d'informations précises sur la gestion du GEIE à Strasbourg. Pouvez-vous nous confirmer qu'une procédure d'audit externe du GEIE sera bientôt mise en place, en lien avec les cours des comptes française et allemande ?
Nous sommes en effet en train de conclure un accord sur la base des usages en vigueur dans les institutions internationales. ARTE GEIE sera entendue par les cours de comptes française et allemande. Un audit économique externe a d'ores et déjà eu lieu.
Madame la présidente, monsieur le président, nous avons pris bonne note qu'ARTE se porte bien face à la multiplication de l'audience numérique en Europe.
J'ai été également très intéressée d'apprendre que vous allez accompagner les élections européennes. C'est en effet très important pour les parlementaires.
Je voudrais revenir sur la question de l'éventuelle perte d'indépendance que vous redoutez et sur le traité fondateur d'ARTE. J'aimerais obtenir davantage d'explications, car les législateurs que nous sommes doivent savoir comment avancer sur ce point.
Le Gouvernement étudie la possibilité de réunir l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public. J'ai lu tout récemment que vous avez interpellé le ministre de la culture à ce sujet. Où en êtes-vous sur ce point ?
Ce n'est pas ARTE France qui est intervenue sur ce sujet, car nous ne connaissons pas encore le projet. Peter Boudgoust, de manière préventive, interrogé par le ministre de la culture, a cependant souhaité lui dire que le principe de l'indépendance était fondamental pour la partie allemande, la partie française étant du même avis.
Je peux vous assurer que cette indépendance a véritablement été fondamentale, alors que ce projet de holding avait déjà été évoqué en 2000, à l'initiative de la partie allemande.
En tant que président d'ARTE GEIE, je suis responsable du bon fonctionnement du groupe. Cela nous oblige à considérer l'histoire d'ARTE. À l'époque de sa fondation, les deux pays se sont mis d'accord pour ne pas créer une structure hybride dans le secteur audiovisuel mais respecter les particularités des deux systèmes audiovisuels et de garantir leur absolue indépendance.
Les actionnaires sont bien évidemment coresponsables du bon fonctionnement d'ARTE, et c'est ARTE GEIE qui veille au respect de tout cela. Une autorité étatique ne pourra décider seule de quoi que ce soit. C'est le principe de base du contrat qui a fondé ARTE. C'est pourquoi j'ai eu cette conversation avec M. Riester. Je regrette d'ailleurs que cette information ait été rendue publique - mais peu importe, cela ne nous surprend plus. C'est ainsi...
Monsieur le président, madame la présidente, vous avez parlé d'une diffusion en six langues et affirmé que vous couvriez 70 % du territoire européen. Que comptez-vous faire pour les 30 % qui restent ? D'autres langues sont-elles prévues ?
En second lieu, la suppression de la redevance, que l'on évoque ici ou là, peut-elle remettre en cause certains financements ?
Par ailleurs, la réforme de l'audiovisuel français concerne aussi l'outre-mer, qui est remise en question avec la suppression éventuelle de France Ô. Comment intervenez-vous aujourd'hui dans les DOM-TOM ?
Enfin, vous avez parlé des élections européennes. Je crois savoir que vous n'êtes pas soumis au contrôle du CSA. Comment régulez-vous les choses en matière d'élections, tant du point de vue du temps de parole que de la ligne éditoriale ?
Nous prenons soin de produire beaucoup de programmes qui concernent directement l'outre-mer - fictions, informations, etc. Nous venons en outre de diffuser une grande fiction en six épisodes qui a très bien marché outre-mer, ainsi qu'en métropole, Le Maroni. Nous continuerons à travailler avec ces équipes. Offrir de tels programmes est ce que nous pouvons faire de mieux. Si on peut apporter davantage de technicité et de qualité dans notre diffusion outre-mer, nous le ferons chaque fois que cela nous sera demandé.
Concernant la réglementation, celle-ci ne nous est pas appliquée du fait de notre statut indépendant, mais nous l'appliquons sans y être contraints, et je crois que nous faisons aussi bien que si nous y étions obligés. Nous respectons par exemple parfaitement la chronologie des médias alors que rien ne nous y oblige, et nous contribuons au cinéma à hauteur de 3,5 %, dépassant ainsi l'obligation de 3,2 %. C'est ainsi pour tous les sujets. Nous avons toujours été favorables aux obligations de production. Dans le contexte mondial actuel, le fait qu'une part importante de financement aille à la création nous paraît fondamental. Nous sommes, là aussi, au-dessus des obligations.
Que dire enfin de la redevance ? Ce qui nous importe, c'est un financement stable. Nous n'avons pas la science infuse en la matière. Nous souhaitons simplement qu'il existe toujours une ressource pérenne pour le service public audiovisuel français, y compris pour ARTE.
En matière de protection de la jeunesse, la réglementation est différente dans les deux pays, mais le service juridique veille que ces principes soient respectés. Il ne serait pas possible d'utiliser une procédure hybride. Nous ne voulons pas créer un monstre bureaucratique.
Par ailleurs, recourir à un plus grand nombre de langues dépend des financements. Le sous-titrage coûte déjà beaucoup d'argent, mais l'Union européenne nous consent à ce titre quelques moyens. À terme, il est bien entendu souhaitable d'élargir l'offre de langues.
Je salue la réussite de la chaîne franco-allemande à vocation culturelle européenne. C'est une réalisation audiovisuelle unique et exemplaire, de même que la plateforme européenne bilingue.
Les jeunes désertant les chaînes classiques, je voudrais connaître vos actions de communication, en dehors de votre stratégie ambitieuse pour le numérique qui vise la jeunesse. Avez-vous des relations avec l'enseignement supérieur, les universités, les jeunes investis dans les relations franco-allemandes par exemple ?
Au-delà, quelle est l'audience d'ARTE ? Ne concerne-t-elle qu'une certaine élite ? Enregistre-t-on un élargissement de celle-ci ?
Élargir notre audience est pour nous fondamental. C'est ce que l'on a fait en huit ans, en accroissant considérablement notre présence dans l'ensemble de l'audiovisuel public français et en augmentant de 60 % notre audience depuis 2011 ou 2012.
Nous avons toujours considéré que ce développement devait se faire par le rajeunissement. Pour ce faire, il nous fallait aller chercher le public jeune sur les supports sur lesquels il se trouve. C'est pourquoi nous avons mené cette politique de développement numérique. Nous sommes la première chaîne à être délinéarisée de façon aussi fondamentale. Les résultats s'en ressentent.
Malheureusement, les outils de mesure ne sont pas appropriés. On ne peut additionner des audiences en nombre de vidéos vues et des audiences en nombre de téléspectateurs pour obtenir une audience globale. On est donc obligé d'établir des comparaisons support par support. On voit qu'on se développe considérablement et qu'un public jeune fréquente les nouveaux supports, en particulier les réseaux sociaux. Si la moyenne d'âge est assez élevée pour ce qui est de la diffusion télévisuelle, elle l'est deux fois moins sur les réseaux sociaux et le numérique.
Il n'y a pas d'autre manière de faire, sous peine de perdre le public plus âgé sans gagner les jeunes. Pour éviter cette situation, nous produisons aussi pour les réseaux sociaux, de façon à avoir des programmes faits pour les jeunes.
Nous avons actuellement une programmation sur le hip-hop diffusée sur Internet et les réseaux sociaux. On intègre de petites fenêtres à l'antenne pour en faire état. Le hip-hop représente en France la musique la plus demandée par le public dans son ensemble.
C'est ARTE France qui a impulsé la stratégie non-linéaire. L'Allemagne voit cela avec beaucoup de respect et un peu d'envie...
ARTE est très en avance en matière de plateformes, dont l'esprit s'éloigne des canaux classiques de l'offre audiovisuelle. C'est plus simple à mettre en place dans une petite maison que dans une grande.
Par ailleurs, ARTE ne souhaite pas s'adresser aux élites, mais à ceux qui sont curieux, les jeunes en particulier.
Nous sommes également très présents dans le domaine de la réalité virtuelle. Nous avons créé la première application de réalité virtuelle en France et venons de gagner un prix à South by Southwest, festival américain parmi les plus connus en matière de jeux vidéo, de réalité virtuelle, d'expériences immersives, etc.
Nous avons lancé la deuxième saison de Loulou sur YouTube, que plus de 4 millions de personnes ont suivie. Nous sommes partout, avec des programmes très différents, dont certains n'ont rien à voir avec l'antenne. Nous disposons de 25 chaînes ARTE sur YouTube et faisons en sorte de familiariser le jeune public avec le replay ou ARTE elle-même.
Nous avons une chance extraordinaire dans ce monde numérique et mondialisé, c'est de disposer d'une marque connue. En France, ARTE est la cinquième ou sixième marque la plus connue tous secteurs confondus. Cette force nous permet de ne pas être noyés dans un univers numérique sans fin, qui se dilue un peu partout. Grâce à tout le travail que nous réalisons, nous avons devant nous un avenir relativement serein.
Je salue le travail d'ARTE, dont je suis une fidèle téléspectatrice depuis trente ans, tant en Allemagne qu'en France. On regarde ARTE pour son rapport à la politique, tout à fait rafraîchissant, qui sort de la politique politicienne, pour son rapport avec la culture, les documentaires, pour les soirées thématiques et surtout pour sa dimension européenne, qui permet de voir des émissions sur l'Europe et la vie des autres Européens.
L'élargissement de la plateforme à d'autres langues est une nécessité que vous êtes les seuls à avoir saisie.
Enfin, s'agissant de la réforme de l'audiovisuel, nous ne connaissons pas non plus le texte de loi, et nous comprenons très bien votre crainte de perdre votre indépendance rédactionnelle et financière, ainsi que votre âme. Vous pouvez être sûrs que vous aurez le soutien de notre groupe dans cette réforme !
Merci pour cette déclaration. Il est pour nous très agréable de l'entendre et rassurant pour notre avenir.
S'agissant des élections européennes, nous avons créé un nouveau média, Europe 2019, que vous pouvez trouver sur notre site. Il s'agit d'une information quotidienne importante fabriquée par la rédaction franco-allemande, qui apporte uniquement des informations sur ce sujet. On l'a fait en pensant aux jeunes, à ceux qui ne vont plus beaucoup sur l'antenne, de façon qu'ils se sentent concernés par ARTE. Ce média fonctionne depuis environ trois semaines. Je suis très fière de cette création. C'est une offre délinéarisée, comme le préfèrent les jeunes.
Par ailleurs, cela ne fait guère que deux ans que nous avons six langues. Il nous reste du travail pour le faire savoir ! 70 % du public européen peut nous regarder dans sa langue maternelle. Nous sommes très contents de ce résultat et ferons tout pour atteindre les 90 % ou les 100 %, après quoi nous irons chercher d'autres petites langues qui n'ont pas accès à ARTE, et qui sont prêtes à mener des expériences.
Au nom de mon groupe, je souhaite apporter tout mon soutien à ARTE. En effet, nous ne connaissons pas les contours du texte qui doit nous être soumis prochainement, mais c'est l'indépendance qui prime, symbole et garantie de la création culturelle. Je vous remercie donc pour cette audition très intéressante.
Monsieur le président, madame la présidente, a-t-on une idée de l'audience en matière linéaire ? Il est extrêmement compliqué, on le sait, d'avoir une évaluation réelle des publics touchés. Dispose-t-on de données au niveau européen ?
Par ailleurs, on a évoqué l'idée d'intégrer éventuellement ARTE France dans un ensemble télévisuel plus large. Je comprends qu'il existe des logiques de production et d'identité propres à ARTE France, mais je ne vois pas en quoi l'intégration d'ARTE France dans un ensemble plus large comprenant les autres chaînes publiques françaises poserait problème, puisque c'est actuellement le cas en Allemagne.
Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Rien ne dit qu'il n'y aura pas de coopération plus étroite entre les différentes entités. Je vous ai parlé du réseau de nouveaux partenaires européens avec lesquels nous travaillons intensément. Bien évidemment, tout ce qui contribue à une utilisation plus intense de l'offre audiovisuelle est positif. On n'ignore pas ce genre de possibilité, mais la coopération avec ARD et ZDF laisse à ARTE Deutschland une entière liberté par rapport au contenu. C'est ARTE qui le choisit. Avec une holding, cette liberté n'existera plus.
Par ailleurs, ARTE Deutschland dispose d'un budget indépendant. L'ARD et la ZDF ne peuvent imposer qu'ARTE Deutschland ne reçoive qu'un certain pourcentage du budget global. Nous avons besoin d'un financement réciproque des deux côtés. Ce principe serait mis en danger par une holding, avec une structure hiérarchique qui ferait perdre sa liberté à ARTE Deutschland. Ce sont là nos principales inquiétudes.
Cela n'empêche nullement une coopération plus étroite avec France Télévisions, ni les coproductions, avec le principe d'une priorité aux diffusions sur ARTE en Allemagne. Sans cela, ARTE, chaîne la plus petite, risque de perdre son image de marque, et cela signerait sa fin.
Nous avons acquis une certaine force en travaillant ensemble depuis longtemps. ARTE s'adresse à un public franco-allemand et maintenant européen, et les chaînes nationales s'adressent à un public national. C'est une différence de fond qui nous incite à avoir des programmes non pas contradictoires mais différents. Il faut accepter cette différence, car c'est sur celle-ci qu'on crée l'Europe.
Par ailleurs, nous avons appris à respecter ces différences et à faire en sorte que « nos différences deviennent des synergies », pour reprendre une formule de Peter Boudgoust. Nous ne cherchons pas à les neutraliser mais, au contraire, à nous appuyer sur elles. C'est ainsi que les audiences s'accroissent, non seulement en France et en Allemagne, mais aussi dans le reste de l'Europe.
Le nombre de téléspectateurs en France et en Allemagne représente 22 millions par semaine. Pour 2018, on est à 55 millions de vidéos vues par mois.
Notre taux de développement est de 50 % par an.
Monsieur le président, madame la présidente, mes propos rejoignent ceux de mes collègues, et je tiens à vous adresser à mon tour mes compliments pour la qualité de la chaîne ARTE. On pourrait dire qu'ARTE est la chaîne de l'intelligence, qui contraste vraiment avec les sommets de médiocrité voire de vulgarité de certaines chaînes privées de notre pays !
Néanmoins, je voudrais souligner un paradoxe : ARTE vise à développer et à renforcer l'amitié franco-allemande. Quelqu'un qui regarderait ARTE à longueur de journée sans être trop informé pourrait finir par croire que la Seconde Guerre mondiale n'est pas terminée, tant les documentaires sur cette période de notre Histoire sont fréquents !
Nous faisons attention à ce sujet. Lorsque je suis arrivée sur ARTE, beaucoup m'ont reproché de ne construire cette mémoire que l'on cherchait à consolider entre nos deux pays que sur la Seconde Guerre mondiale, et nous avons considérablement diminué le nombre de programmes de ce type. C'est en même temps un fait essentiel et incontournable, que nous devons continuer à mettre en évidence lorsque c'est nécessaire et lorsque les anniversaires s'y prêtent.
ARTE ne reflète pas en permanence les batailles tragiques des deux guerres mondiales. Pourtant, je suis convaincu qu'une chaîne qui traite les thèmes de l'Histoire européenne et de l'avenir de l'Europe ne peut ignorer ces grandes catastrophes du XXe siècle. On ne se concentre toutefois pas sur les aspects spectaculaires de ce genre de conflit militaire. Ce qui est important pour nous, c'est aussi la phase entre les deux conflits durant laquelle l'Europe a vu émerger de nouvelles idées. C'est aussi l'époque qui a annoncé la fin du colonialisme et où les nouvelles forces radicales laissent entrevoir de futures catastrophes. Le film dédié à la guerre de 1914-1918 peut être compris sous cet angle.
Merci pour la qualité de ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 heures 30.