Nous auditionnons ce matin M. Jean-Pierre Farandou, candidat proposé par le Président de la République pour occuper la fonction de président du directoire de la SNCF, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Comme vous le savez, cette nomination ne peut intervenir qu'après l'audition de la personne pressentie devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, auditions qui doivent être suivies d'un vote.
Cette audition est publique et ouverte à la presse. À son issue, nous procéderons au vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je vous rappelle qu'il ne peut y avoir de délégation de vote et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat. L'Assemblée nationale procédera à l'audition de M. Farandou cet après-midi à 15 heures ; nous pourrons donc dépouiller le scrutin en fin d'après-midi. Je vous rappelle enfin qu'en application de l'article 13 de la Constitution il ne pourrait être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
À toutes fins utiles, je vous rappelle également que le code des transports prévoit que la nomination en qualité de président du directoire de l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) SNCF emporte nomination en qualité de président du conseil d'administration de SNCF Mobilités. Cette gouvernance sera toutefois amenée à évoluer à compter du 1er janvier 2020 sous l'effet de la mise en application de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire adoptée en juin 2018.
Monsieur Farandou, vous êtes ingénieur de formation. Vous avez effectué toute votre carrière au sein de la SNCF, où vous êtes entré en 1981. Vous avez été responsable production et marketing. En 1993, vous avez été nommé chef de projet pour le lancement du TGV Paris-Lille. Vous avez ensuite été, successivement, directeur général de Thalys International, directeur des cadres et directeur adjoint des grandes lignes. Vous avez ensuite occupé, entre autres, les fonctions de directeur général délégué de SNCF Proximités, de directeur régional pour Rhône-Alpes et de directeur général délégué de l'EPIC SNCF. Enfin, depuis 2012, vous êtes président du directoire du groupe Keolis, filiale du groupe SNCF et acteur majeur du transport public ; vous présidez par ailleurs l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP).
Vous aviez été pressenti pour la présidence du conseil d'administration de SNCF Réseau, mais l'Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières), avait émis un avis négatif sur cette nomination. Cet avis ne mettait nullement en doute vos qualités, mais l'Arafer craignait que votre parcours au sein de SNCF Mobilités nuise à l'indépendance nécessaire à l'exercice de ces fonctions.
Vous allez devoir répondre au défi de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, qui s'appliquera, pour les services conventionnés, dès le début de l'année 2020 et, pour les services commerciaux, un an plus tard. Nous aimerions que vous nous indiquiez comment vous comptez relever ce défi, répondre aux attentes de la clientèle, qui déplore souvent l'insuffisance du niveau de service, notamment du point de vue de la ponctualité, et éviter que, après la reprise de la dette ferroviaire par l'État, la SNCF connaisse à nouveau l'endettement. Nous voudrions aussi savoir quelles économies vous comptez réaliser, et comment vous vous y prendrez.
En matière de gouvernance, l'Arafer et nous-mêmes avons émis des craintes relatives à l'indépendance de SNCF Réseau par rapport à SNCF Mobilités. Nous souhaiterions donc que vous nous donniez votre vision de ce sujet. Il ne peut y avoir de concurrence réelle et sérieuse si SNCF Réseau n'est pas complètement neutre vis-à-vis des différents opérateurs.
La question sociale est également essentielle. À partir du 1er janvier 2020, il n'y aura plus d'embauche sous statut. Le personnel a fait savoir ses inquiétudes quant à la mise en place de cette réforme. Le contexte social général n'est pas simple non plus, dans la perspective de la réforme des retraites. Un préavis de grève a d'ailleurs été déposé pour le 5 décembre à ce sujet. Comment ferez-vous face à cette situation ?
Par ailleurs, le Sénat et, en particulier, notre commission sont très préoccupés par les « petites lignes » ferroviaires. Nous attendons le rapport de M. Philizot à ce sujet, mais peut-être pourrez-vous déjà nous donner votre vision de cet enjeu.
Le dernier sujet sur lequel nous aimerions vous entendre est celui du fret ferroviaire. Quel est, selon vous, son avenir ?
Au travers de ces divers sujets, vous parviendrez sans doute à nous indiquer votre vision de la SNCF et de son rôle.
Je suis heureux et honoré de soumettre aujourd'hui ma candidature à votre vote. Je vais vous faire part de ma vision à l'heure où le Président de la République a proposé mon nom pour assumer la responsabilité de la nouvelle SNCF qui se mettra en place à partir de 2020.
Le sujet des mobilités et, en particulier, celui du transport ferroviaire représentent pour chaque élu une question politique centrale et sensible. J'en suis conscient en tant que citoyen et que chef d'entreprise. Je sais l'attachement et les attentes que vous avez vis-à-vis de la SNCF. Vous êtes attentifs au service rendu. C'est pourquoi je mettrai toute mon énergie au service de la qualité et de l'efficacité.
Né en 1957 à Talence, en Gironde, je suis entré à la SNCF en 1981. J'ai fait tous les métiers du transport : aiguilleur, conducteur de train, régulateur et bien d'autres. Je suis passé par toutes les étapes du management opérationnel. J'ai lancé trois TGV : le TGV Nord en 1993, Thalys en 1996 et le TGV Méditerranée en 2001. J'ai été DRH adjoint pendant la grande négociation des 35 heures. Au comité exécutif de la SNCF, j'ai créé la division SNCF Proximités, branche des trains de la vie quotidienne. Enfin, je suis depuis sept ans président du directoire du groupe Keolis, spécialiste du transport urbain. J'ai passé un tiers de ma carrière à l'extérieur de l'EPIC, dont cinq ans à l'étranger. J'ai le service public, la mobilité et les territoires chevillés au corps.
Je souhaite mettre en perspective la mission du futur président de la SNCF au regard des décisions politiques qui ont été prises, ou vont l'être, et des urgences à prendre en compte. La détermination politique qui a présidé à la réforme actuelle marque le premier jour d'une entreprise consciente de la transformation à opérer et des engagements à tenir. L'État et le Parlement ont pris acte de la nécessité de moderniser le système ferroviaire français. Le Parlement a fait sa part, dès 2014, en créant SNCF Réseau, et en 2018 encore, à travers le nouveau pacte ferroviaire. La reprise de dette qui vous sera proposée dans le projet de loi de finances pour 2020 sera la prochaine étape importante matérialisant cet engagement des pouvoirs publics.
L'État et le Parlement ont voulu une SNCF unifiée, car l'efficacité de notre système ferroviaire est liée à la synergie entre le gestionnaire d'infrastructure et le principal opérateur. Cela portera sur des choix techniques majeurs, comme le système d'exploitation et d'espacement des trains, la planification et l'exécution des travaux, ou encore l'information en temps réel des voyageurs. Je me porterai garant de cette unité, mais je serai aussi le garant du strict respect des règles françaises et européennes en matière d'égalité entre opérateurs pour l'accès au réseau et aux infrastructures essentielles.
À nous, dirigeants de l'entreprise, de faire notre part du travail avec lucidité, pragmatisme et ambition. Ouverture à la concurrence, changement de statut juridique, reprise de la dette, évolution du statut social du personnel, toutes ces mesures ne sont pas de simples évolutions technocratiques ; elles marqueront à jamais l'histoire du transport ferroviaire et de la SNCF. Le Président de la République a fixé une ambition : la SNCF doit devenir le champion mondial des mobilités du XXIe siècle. Nous devons conduire cette transformation sans oublier notre responsabilité, être dignes de la confiance des élus et de la société, et répondre à cet enjeu politique et économique.
Nous avançons avec lucidité et pragmatisme. Par le passé, déjà, la SNCF a accompagné les grandes transformations de la société, l'urbanisation et la métropolisation de nos territoires. Les transports de la vie quotidienne ont été ma priorité, aussi bien à la SNCF que chez Keolis. Quand on parle de la SNCF, on pense souvent au voyage en train en France. En réalité, la SNCF est un groupe mondial, un fleuron qu'on exporte dans 120 pays. Un tiers de son chiffre d'affaires est réalisé à l'international. Je renforcerai cette ambition. Le transport ferroviaire représente environ 50 % du chiffre d'affaires ; le reste se partage entre les transports urbains - Keolis est le premier exploitant mondial de métros -, le transport routier de marchandises - Geodis est le quatrième logisticien européen -, mais aussi le numérique, puisque oui.sncf est le premier site d'e-commerce en France.
Parmi les grandes réussites de la SNCF, soulignons le succès du TER, remarquable exercice de décentralisation, celui du Transilien, malgré la complexité de son exploitation, et les investissements massifs réalisés ces dernières années pour remettre en état notre réseau ferré national. Je tiens à associer à ces réussites les présidents précédents, M. Louis Gallois, Mme Anne-Marie Idrac et, naturellement, M. Guillaume Pépy, que je salue pour avoir remis le client au coeur de notre action.
Nous sommes dans un contexte d'urgence. La naissance de la nouvelle SNCF intervient à un moment très spécifique. L'urgence est d'abord environnementale ; elle nous dépasse et nous oblige envers la planète. La nouvelle SNCF doit participer à cette prise de conscience, en déclinant pour elle-même les objectifs de développement durable que la France s'est fixés. Déjà, SNCF Réseau est la seule compagnie ferroviaire au monde à avoir levé plus de 5 milliards d'euros d'obligations vertes.
La deuxième urgence est territoriale. Il faut sortir de l'opposition classique entre grandes lignes et petites lignes. La seule différence entre ces lignes doit être leur méthode d'exploitation, et non leur priorisation. Le droit des territoires à la différence ne doit conduire à l'exclusion d'aucun d'entre eux du service ferroviaire ou d'une mobilité efficace.
La troisième urgence est économique et sociale. L'ouverture à la concurrence et la reprise de notre dette par l'État nous imposent un effort important et rapide d'efficacité, pour retrouver la compétitivité et équilibrer le système ferroviaire français. Cette exigence comporte nécessairement un volet social. Il faut marcher sur les deux jambes de l'efficacité économique et du nouveau pacte social entre la SNCF et ses salariés.
Le temps de la transformation est venu. Je souhaite accompagner la SNCF dans la construction d'un regard neuf et sans tabou sur elle-même. Les sept ans que je viens de passer chez Keolis me permettent de porter un regard lucide et bienveillant sur ce qu'il convient de faire évoluer. Nous devons ouvrir collectivement une ère nouvelle. La SNCF doit rendre aux Français ce que chacun d'eux lui a donné. Voilà l'entreprise que je souhaite, au service des Français et des territoires. Je veux une SNCF utile, car l'utilité a toujours été notre vertu cardinale : utilité sociale et environnementale, en concourant aux engagements de la France en matière de neutralité carbone ; utilité servicielle, en proposant aux Français un haut niveau de qualité pour le service ferroviaire. La nouvelle SNCF doit également être plus connectée, plus proche et plus efficiente. Elle doit satisfaire le client, quel qu'il soit - voyageur, chargeur, collectivité territoriale -, et garder le sens du service public. L'intérêt général doit servir l'intérêt économique et vice-versa.
Le premier de mes engagements pour la nouvelle SNCF est de répondre aux fondamentaux qui constituent nos racines : la sécurité des circulations et du personnel, la performance du réseau, la ponctualité, ainsi que la qualité et la précision de l'information donnée aux voyageurs.
Je m'engage ensuite, devant les clients, à un service personnalisé et à une attention portée à tous. Les voyageurs attendent de la SNCF une expérience de service plus adaptée à chacun d'entre eux. Ils veulent une SNCF plus accessible, notamment en matière de prix. Chez Keolis, nous avons proposé plusieurs innovations qui simplifient la vie des clients. Notre mission est désormais de créer une continuité de mobilité, en utilisant toutes les solutions disponibles. La question est de savoir, non pas ce que la SNCF a pu proposer, mais quelle offre la nouvelle SNCF saura construire.
Penser aux clients, c'est penser à tous les clients. Pour les chargeurs du fret, l'enjeu n'est pas seulement commercial ; c'est aussi contribuer à une économie décarbonée. Voilà le deuxième engagement que je prends, en réponse au défi climatique et pour plus de proximité avec les territoires. Donner l'envie de train, c'est choisir la façon la plus directe de lutter pour le climat. La SNCF est intrinsèquement une partie de la réponse à la crise climatique, et nous devons faire toujours mieux, agir de façon plus écologique et plus locale, viser enfin la neutralité carbone. Cela se traduira par la construction de programmes innovants pour entretenir les voies sans abîmer les sols : le glyphosate ne sera plus employé avant la fin de 2021.
Pour toujours plus de proximité, m'inscrivant dans la direction tracée par le Premier ministre, je m'engage à dialoguer avec tous les territoires.
Mon engagement suivant s'adresse aux salariés. Il s'agit de construire un nouveau pacte social avec eux et pour eux. J'ai négocié en 2016 des points importants de la convention collective nationale du secteur ferroviaire. La branche doit à présent finaliser les chapitres « classification » et « rémunération ». Comme tout groupe industriel, nous sommes confrontés à des évolutions majeures des métiers. Un métier sur deux sera un nouveau métier. Le nouveau pacte social doit garantir une place et des perspectives à chacun sur le long terme ; il doit aussi donner envie de rejoindre la SNCF.
Enfin, je veux prendre, vis-à-vis des contribuables, un engagement d'efficacité économique et financière. J'ai fait progresser le chiffre d'affaires de Keolis de 70 % en sept ans ; la marge a doublé et la dette est maintenant totalement maîtrisée. La nouvelle SNCF devra tenir ses engagements et respecter la trajectoire de retour à l'équilibre financier du système ferroviaire prévu pour 2022. Cet engagement est la contrepartie du désendettement massif décidé par l'État ; c'est aussi la condition nécessaire à la compétitivité de l'entreprise. Il faudra développer les recettes, réduire les coûts d'exploitation et optimiser l'investissement. Une culture de la performance individuelle et collective rendra cette transformation possible, de même que l'efficacité industrielle et l'innovation numérique mise au service de tous. À nous de maîtriser cette révolution pour dépasser la fracture numérique, qui est souvent aussi une fracture territoriale. Au coeur de cette transformation, il faudra placer la mobilité durable.
Je voudrais pour terminer partager avec vous mes convictions pour cette nouvelle SNCF. Pour atteindre l'excellence que je vise, il n'y a pas de temps à perdre : les cycles économiques n'ont jamais été aussi courts et la concurrence est agressive. Nous ferons de l'adaptation de notre service aux changements des modes de vie une obsession permanente. Voyons clair et soyons lucides. Si les voyageurs, demain, sont satisfaits, ils choisiront la SNCF. Si celle-ci est capable de porter les enjeux climatiques, les chargeurs la choisiront. Si elle n'oppose pas grandes et petites lignes, mais offre une réponse globale aux besoins de mobilité à un prix raisonnable, les collectivités territoriales choisiront elles aussi la SNCF. Enfin, si elle est reconnue pour sa haute capacité d'innovation, partenaires industriels, start-ups et PME la choisiront.
J'ai pleine conscience de la responsabilité qui m'incombe pour mener cette transformation. Le courage politique du Parlement nous engage. Pour mener cette transformation, je ne serai pas seul dans l'exercice de ma présidence. J'aurai avec moi les cheminots, l'ensemble des salariés, leurs représentants syndicaux, les clients et leurs associations, tous les élus, les territoires dans leur diversité, nos partenaires et nos fournisseurs.
Je souhaiterais, si vous vouliez bien m'inviter, rendre compte chaque année devant vous de l'avancement de ma mission. Mener ces transformations, nous le pouvons et nous le devons à chaque Français.
Je vous félicite pour votre parcours personnel au sein de cette entreprise. J'ai également été sensible au fait que vous ayez déclaré, après votre proposition de nomination, que vous deviez passer devant le Parlement avant que celle-ci soit effective ; c'est assez rare pour être souligné.
Concernant la présence internationale de la SNCF, vous avez évoqué la nécessité de devenir un champion mondial. Quelle stratégie comptez-vous mettre en oeuvre pour y parvenir ?
Le projet de loi d'orientation des mobilités sanctuarise les ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Nous avons sécurisé le Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Avez-vous pu examiner les différents scénarios développés par le COI ?
Vous avez évoqué la question des petites lignes ; nous avons donné aux régions, dans le projet de loi, la faculté de les reprendre. Quel est votre avis sur ce point ?
Nous avons aussi intégré dans le texte des obligations relatives à l'implantation des vélos dans les gares, de manière à développer l'intermodalité. La SNCF dispose-t-elle déjà d'un plan stratégique à cet égard ?
Je veux enfin évoquer le sujet d'actualité de la gestion et de la rénovation des gares ; je pense en particulier à la gare du Nord. Ce sont des pôles importants qui devraient à terme constituer 'une ressource importante pour la SNCF. Quel est votre regard sur ce cas précis ? Certains dénoncent ce qui, selon eux, serait un choix en faveur de considérations commerciales au détriment des flux de voyageurs.
Concernant les investissements internationaux, ils représentent un tiers du chiffre d'affaires du groupe ; il faut continuer dans cette voie et non se replier. Nos métiers doivent continuer d'être exportés. Geodis et Keolis constituent deux bases majeures pour cet effort. Le développement international comporte toutefois des risques supplémentaires, notamment dans les pays qui ne sont pas membres de l'OCDE. Un élément nouveau est l'extrême rigueur dont nous devrons faire preuve pour maîtriser les dépenses et la dette. Je mettrai toute mon énergie à respecter notre trajectoire financière. Le développement se fera, mais sans faux pas, sans nous embarquer dans des aventures qui endommageraient nos finances. La priorité, c'est plutôt la France.
Concernant les investissements dans les infrastructures prévus dans le projet de loi d'orientation des mobilités, il n'y a pas de bon service ferroviaire sans bonne infrastructure. Trente ans durant, trop peu d'argent a été dépensé sur le réseau structurant en dehors des lignes à grande vitesse. Un formidable effort de rattrapage a été entrepris. Le financement est évidemment clé. Notre réseau a trente ans de moyenne d'âge, le réseau allemand en a dix-sept. Nous en sommes encore au tout début des travaux ; nous avons stoppé le vieillissement du réseau, mais le rajeunir sera un long effort auquel devra consentir la collectivité. Grâce à la trajectoire financière négociée avec le Gouvernement, autour de 6 milliards d'euros par an, dont 3 milliards d'euros pour le renouvellement du réseau, soit un triplement par rapport à ce que nous recevions il y a dix ans, nous pouvons commencer à travailler. L'État fait les efforts nécessaires.
Quant au développement du réseau, il a été décidé qu'il sera financé par l'État et les collectivités, et non par SNCF Réseau. Des critères économiques et d'aménagement du territoire présideront au choix des projets, mais la décision sera politique. L'important est qu'elle soit prise ; il faut éviter l'incertitude. Je n'ai pas à donner mon avis sur les différents scénarios ; il faut juste qu'une décision soit prise et tenue.
Concernant les petites lignes, nous avons bien entendu qu'elles sont un élément essentiel de l'aménagement territoire. Les Français y sont très attachés. Ces dessertes fines - je préfère ce terme - ont un rôle. Les règles du jeu en matière de financement commencent à être posées ; ces lignes ont besoin de la participation de l'État et des collectivités. Certaines de ces lignes sont en mauvais état ; pour assurer leur pérennité, il faut engager des ressources. Un effort est déjà fait, mais il faudra sans doute aller au-delà. Nous attendons d'être éclairés par le rapport de M. Philizot. Ce n'est pas seulement un sujet d'infrastructure, mais aussi de service. Nous ferons le réseau qui correspondra au service souhaité. Une ligne à deux voies ne se justifie pas toujours. Nous avons vu un exemple réussi entre Marseille et Fos-sur-Mer : en ajustant le projet d'infrastructure au projet de service régional, nous avons pu baisser les coûts de 20 %. Les grands référentiels nationaux doivent être ajustés aux réalités locales.
Le vélo est l'ami du transport ferroviaire ; il a toute sa place dans la mobilité urbaine, périurbaine, et même pour les petites distances en milieu rural. Le vélo électrique élargit encore le champ de ces déplacements. Nous sommes en train de passer un cap, notamment dans les villes. Il y a deux manières d'articuler train et vélo. Premièrement, nous encourageons la construction de parkings à vélo sécurisés, spacieux, pratiques d'accès et non loin des voies, ainsi que la mise à disposition de vélos en libre-service dans les centres-villes. Deuxièmement, nous ne sommes pas opposés à la montée des vélos à bord des trains, mais il faut trouver un équilibre avec les passagers. Si les vélos sont démontés, c'est plus facile ; sinon, des emplacements sont réservés. On ne peut parler de mobilité durable sans vélo.
Sur la gare du Nord, je ne connais pas encore bien le dossier. Je pensais qu'un accord avait été trouvé entre la SNCF et la Ville de Paris, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas. Il s'agit de comprendre quels éléments nouveaux expliquent ce désalignement. Je m'emparerai au plus vite de ce dossier, puisque l'ambition initiale est d'avoir fini ce chantier pour les jeux Olympiques de 2024. La priorité doit évidemment être donnée aux flux de voyageurs : une gare, c'est fait pour monter et descendre d'un train ! Cela dit, il ne faut pas se priver d'une source de revenus quand l'argent public est rare. Je suis persuadé que nous trouverons un équilibre.
Je vous félicite pour votre parcours : vous êtes un amoureux du train et incarnez l'ascenseur social dans sa meilleure acception.
La raison d'être de la SNCF a été redéfinie récemment : elle serait d'apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète. On sent la volonté de relever le défi climatique et celui de l'intermodalité. En revanche, il n'était plus question de service public, notion que vous avez reprise dans votre exposé, ni même de transport ferroviaire. Êtes-vous le candidat du consensus, ou incarnez-vous une rupture ?
Vous nous parlez d'une nouvelle SNCF, vous laissez entendre que le ferroviaire serait une solution et non un coût ; j'aimerais plus de précision sur ces points. Vous êtes à l'évidence habile. Le recrutement d'un nouveau président a, paraît-il, été très difficile, du fait notamment des injonctions paradoxales à relever, qui seraient décourageantes. Bercy veut diminuer la dette, le ministère des transports veut développer les transports du quotidien, et Matignon veut garantir la paix sociale. Guillaume Pépy a développé les TGV et les TER au prix d'une dégringolade du fret, d'un oubli des trains de nuit et des trains d'équilibre du territoire, et d'un réseau dégradé. Vous déclarez vouloir répondre à toutes ces injonctions, mais c'est impossible. Quels choix ferez-vous ?
Enfin, quelles assurances financières avez-vous obtenues du Gouvernement ? Bercy estime que le désendettement coûte trop cher ; un nouveau contrat de performance doit être négocié. Saurez-vous redonner confiance aux cheminots ?
La raison d'être que vous avez citée me va bien ; elle est assez large, on peut la décliner. Le ferroviaire est à mes yeux fondamental, je le mets au coeur du projet. C'est la colonne vertébrale des mobilités, il faut qu'elle fonctionne pour que tout tienne debout.
La notion de service public me parle, car j'en suis un enfant. C'est très noble et cela donne beaucoup de sens. Les cheminots en sont fiers. Mais le service public a une dimension économique : il faut être économe de l'argent public.
Quand je parle de la nouvelle SNCF, cela implique sûrement qu'il y aura des inflexions, comme le veut la loi. Nous n'avons pas encore intégré l'impact de cette nouvelle gouvernance. Notre responsabilité économique sera beaucoup plus forte, du fait de la transformation de l'EPIC en sociétés anonymes : les SA, elles, sont mortelles. Cela donne une plus lourde responsabilité aux dirigeants et aux conseils d'administration.
Les injonctions paradoxales ne m'inquiètent pas ; c'est normal dans la sphère publique. Chacun est dans son rôle : Bercy veille à la dette, même si nous avons envie de développer les services, notamment au ministère des transports. Un équilibre doit toujours être trouvé : il faut éviter le déficit et améliorer l'efficacité de nos outils. J'assume complètement cet enjeu. De fait, l'État a besoin de cet argent pour ses autres missions régaliennes.
En face, l'enjeu social reste crucial. Si le déficit doit être éliminé, il faudra améliorer la productivité du travail et celle du capital. La seconde est plus facile à améliorer : les grands ateliers doivent travailler jour et nuit, le réseau doit être bien circulé. Quant à la productivité du travail, les 35 heures s'appliqueront toujours, mais il y a des marges de progression, notamment en matière de polyvalence. Quand je suis entré à la SNCF, les cheminots étaient beaucoup plus polyvalents ; l'organisation interne de l'entreprise, peu à peu, les a trop spécialisés ; ce n'est pas leur faute ! Il faut donc « déspécialiser » le personnel. Je suis convaincu que les cheminots comprennent cette nécessité.
Les coûts de structure devront eux aussi être ajustés, comme j'y suis parvenu chez Keolis, où ils sont désormais inférieurs de moitié à ceux de la SNCF.
Quant aux assurances données par le Gouvernement, je dirai plutôt que nous avons avec lui un contrat. Il est très clair, il est public. On connaîtra très vite la trajectoire économique prévue. On arrive progressivement au point d'équilibre. L'État fait de gros efforts pour la régénération du réseau, il me reviendra de faire en sorte que la SNCF fasse sa part.
J'ai apprécié votre intervention volontariste et pragmatique. Vous engagez-vous à ne pas exclure le territoire de Grand Centre Auvergne ? Cela me préoccupe : il s'agit d'un territoire enclavé et même abandonné. Les lignes existantes doivent être rénovées. Comment pensez-vous y parvenir ? Vous engagez-vous à mettre en oeuvre la liaison à grande vitesse prévue par le COI et indispensable pour notre territoire ?
En tant que citoyen, je ne peux être que perturbé par le fait que des pans importants de notre territoire sont restés à côté du TGV, du fait de leur faible densité de population, qui ne justifiait pas les énormes investissements nécessaires. Qu'il s'agisse du Centre, de l'Auvergne, ou même de la Normandie, il y a une forme d'injustice territoriale.
Il ne pourra pas y avoir dans ces territoires les mêmes lignes à grande vitesse qu'ailleurs, mais une réponse est possible. Il y aura un plan d'amélioration substantielle des lignes et du matériel roulant. Des opérations sont prévues pour augmenter la vitesse sur les lignes Paris-Toulouse et Paris-Clermont-Ferrand, à hauteur de 1,7 milliard d'euros au total. Quant au matériel, 700 millions d'euros seront fournis par l'État, autorité organisatrice de ces lignes d'équilibre du territoire, pour que ces lignes disposent de rames électriques modernes, performantes et confortables. L'échéance retenue de 2025 est ambitieuse, il ne faudra pas chômer. Je m'engage à y mettre toute mon énergie et à construire ce projet en collaboration avec les élus concernés.
Sur les scénarios du COI et une possible ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, je ne m'avancerai pas, car cela représente énormément d'argent et ce n'est pas au président de la SNCF de déterminer ce qu'il faut dépenser ou non. Un jour, la ligne Paris-Lyon sera saturée, même si cela peut être retardé par l'introduction de la technologie européenne ERTMS. Alors, une nouvelle ligne à grande vitesse Nord-Sud aura deux finalités : desservir les territoires, mais aussi offrir une nouvelle capacité entre Paris et la Méditerranée.
Je salue ce que je viens d'entendre concernant nos inquiétudes sur tout ce territoire central oublié. Je salue aussi vos propos sur la polyvalence des cheminots. En ayant rencontré sur mon territoire, je peux témoigner qu'ils attendent une telle évolution, qui est un levier très efficace de gestion.
Concernant les gares, quel sera votre arbitrage entre leur valeur patrimoniale et leur rôle fondamental dans l'intermodalité ? Outre les parkings à vélos et les arrêts de bus, il faut garder de l'espace pour la libre circulation des voyageurs et leur ménager la possibilité de se reposer en attendant leur train. Quelles seront vos priorités pour les gares ?
Les gares sont un élément essentiel de la mobilité, le point crucial de l'intermodalité. La notion de pôle d'échange multimodal est bien installée dans les territoires. Outre les éléments que vous avez rappelés, je tiens à mentionner le covoiturage. La gare doit aussi être un lieu de confort et de sécurité, les espaces d'attente doivent être propres et accueillants. J'apprécie la présence de services de proximité - restauration, vente de journaux -, traditionnellement liés au voyage. Enfin, un vrai sujet doit être abordé avec les territoires : on a hérité de monuments importants, immenses parfois - je pense à la gare de Rodez - et rarement pleinement utilisés. Il y a de la place à revendre : qu'en faire ? Des initiatives se font jour : on peut faire de ces espaces des lieux de service public, de service aux passagers ou aux habitants de la ville. Nous l'avons fait à Chaufailles. Les idées sont bienvenues ; ce sont des projets à co-construire avec les territoires, et non depuis Paris.
Je veux revenir sur la productivité et l'organisation du travail. Quelle est votre vision de la conduite des chantiers menés par la SNCF ? Parfois, on ressent un sentiment de dilution des responsabilités ; un fonctionnement en vase clos a un mauvais effet sur l'efficacité des chantiers. Je connais l'exemple de la gare de Lille-Flandres. On y relève des dysfonctionnements liés à des retards de livraison, eux-mêmes dus à la présence de plomb sur les lieux. Ces difficultés auraient sans doute pu être réglées autrement. Pensez-vous faire appel à des compétences extérieures ?
Le secteur du BTP tout entier est en surchauffe. Il y a aussi un problème de maîtrise d'ouvrage. Comme vous, j'estime que SNCF Réseau a de grandes qualités de professionnalisme, mais qu'il faudrait compléter leurs ressources en ayant recours à des bureaux d'études ou à des agences spécialisées en maîtrise d'ouvrage. Ainsi, on pourrait mieux anticiper les problèmes qui, aujourd'hui, retardent trop souvent l'exécution des travaux et entraînent des surcoûts importants. Les études préalables et une meilleure définition des programmes sont cruciales. Il faut une maîtrise d'ouvrage irréprochable !
Votre parfaite connaissance de la SNCF sera bien utile. Je veux à mon tour insister sur la nécessité de préserver une bonne desserte des petites lignes, ainsi que celle des villes moyennes par le TGV.
Quant aux enjeux sociaux, comment avez-vous conduit les négociations relatives aux 35 heures et quelles leçons en tirez-vous ? Sur quels points serez-vous vigilant ? Quelles sont vos relations avec les syndicats ?
Vous avez par ailleurs évoqué le contexte d'urgence environnementale. Quelles actions souhaitez-vous mener pour la préservation et la reconquête de la biodiversité ?
L'actualité sociale est extrêmement chargée. Je veux d'abord évoquer ce qui se passe à l'intérieur de la SNCF ; nous le maîtrisons. Le pacte social qu'il nous faut conclure va représenter une petite révolution : il est la conséquence de l'arrêt du recrutement au statut. Aujourd'hui, les règles sociales applicables ne sont pas complètes ; il va falloir définir en un laps de temps très court les règles de rémunération, de déroulement de carrière, ou encore de formation ; en bref, les droits et les devoirs des nouveaux salariés et de l'entreprise. Ce serait mieux si l'on pouvait signer un accord. C'est une course contre la montre : chaque enjeu est légitime, mais leur cohabitation n'est pas simple ; il y a des équilibres à trouver. Il faut qu'on ait envie d'entrer à la SNCF et d'y rester, mais il faut faire attention à la masse salariale, qui représente un coût important dans un moment de trajectoire financière rigoureuse et de course à la compétitivité. Des contreparties sont nécessaires ; je pense notamment à la polyvalence dans la nouvelle organisation du travail. La difficulté, c'est la nouveauté : il faut inventer quelque chose de différent du statut.
Pour améliorer notre compétitivité, il nous faudra mener un plan de productivité très exigeant. Des baisses d'emplois seront nécessaires ; il faudra le faire accepter par les cheminots et accompagner les sujets humains dans leur reconversion. L'enjeu social est important.
Le sujet identitaire est parfois le plus difficile. Les cheminots subissent réforme sur réforme, depuis 1996 et, surtout, depuis 2014. Les organisations secouées, et même la vision qu'ont les cheminots de l'entreprise ; ils ne savent pas quel sera son avenir et ce que l'État veut faire de la SNCF. Ils sont perdus : il est donc plus que temps de leur donner du sens, de les rassurer sans leur mentir. Il faut qu'ils aient le sentiment qu'il y a un capitaine dans le bateau.
À ces aspects internes s'ajoutera bientôt la volonté gouvernementale d'instaurer un régime universel de retraites. Le régime de retraite des cheminots représente un marqueur identitaire très fort, une condition du contrat social qui lie les cheminots à leur entreprise. Ce sera sensible ! Il n'y a pas trente-six méthodes : il faut un dialogue respectueux, clair et lucide. C'est un préalable. Il nous faut dialoguer avec tous les syndicats, même ceux qui ne sont pas d'accord avec nous. Ils nous disent des choses que pensent beaucoup de cheminots. Il faut regarder avec eux quel est le chemin le moins mauvais, le plus accessible, pour construire l'avenir. Je suis optimiste, car il y a toujours un chemin, on peut toujours en appeler au sens des responsabilités des cheminots. On sait que les syndicats peuvent bloquer la SNCF, mais est-ce lui rendre service ? Est-ce ainsi qu'on prépare le futur de la SNCF, qu'on la renforce ?
Le dialogue social ne se résume pas aux syndicats, mais ils sont importants. Il nous faut des représentants du personnel. Mon ambition est d'aller voir le corps social. J'espère pouvoir aller sur le terrain une fois par semaine. Le pacte ferroviaire est un projet voulu par les Français, au travers de leur Gouvernement. Sa mise en oeuvre sera difficile, mais il faut se rappeler qu'il vise à faire de la SNCF le champion de la mobilité au service des territoires. Je veux discuter avec les cheminots et construire avec eux ce chemin, dès le premier jour de ma présidence.
L'urgence environnementale est un sujet citoyen auquel nous sommes tous sensibles, qu'il s'agisse du dérèglement climatique ou de la biodiversité. Notre responsabilité, quand nous sommes aux manettes d'une entreprise, est de prendre des actions concrètes. Nos leviers d'action sont nombreux, du glyphosate au diesel. Presque la moitié des TER est encore tractée par des engins diesel, de même que les trains de travaux. Notre objectif est de ne plus avoir recours au diesel en 2035, donc très rapidement ! Quels moyens de traction différents utiliser ? Il faut le déterminer tout de suite. Avec les régions, nous développons le recours aux TER hybrides, où l'entrée dans les villes se fait sur énergie électrique. Je crois en l'avenir de l'hydrogène. La France est en avance dans cette filière. Les batteries électriques peuvent aussi être une solution.
Par ailleurs, il nous faut être irréprochable quant à la gestion de l'eau et des déchets. En outre, des panneaux solaires peuvent être installés sur des surfaces considérables le long des voies, là où l'on se contente aujourd'hui de mettre du glyphosate !
Je souhaite vous entendre à propos de la sécurité dans les gares, sujet sur lequel un rapport m'a récemment été confié. Un travail de proximité a été mené avec la direction de la SNCF. Ce rapport a conduit à l'adoption de certaines décisions : caméras-piétons pour les agents, police ferroviaire sans uniforme. Les risques d'attentats demeurent. Après la tentative d'attentat dans le Thalys, des portiques très coûteux ont été installés gare du Nord, mais sans effet, puisque les gares étrangères où s'arrêtent ces trains n'en sont pas équipées. Qu'envisagez-vous pour ces trains internationaux ? Pensez-vous adopter d'autres mesures de sécurité ?
Le monde dans lequel nous vivons est dur et il ne sera pas moins méchant dans les années à venir. Ces risques peuvent pénaliser les transports en commun ; outre les vies humaines en jeu, en cas d'attaque, le report modal irait dans le mauvais sens. La sécurité est donc une priorité.
Nous avons la chance d'avoir des professionnels bien formés, équipés et disponibles. Il y a une chaîne de la sécurité entre la SNCF, les forces de sécurité, la justice et le renseignement. Je ne baisserai pas la garde.
Les caméras-piétons sont une très bonne idée. En cas d'interpellation, il faut de l'autorité face à ceux qui troublent l'ordre public, et ces caméras ont un effet très vertueux sur le comportement des deux parties ! On en équipera les contrôleurs dès que possible ; les Pays-Bas l'ont fait et ont constaté une diminution des fraudes et des agressions. Quant à la présence d'agents de police et de contrôleurs sans uniformes, l'effet de surprise peut jouer un rôle important, même si l'uniforme rassure les voyageurs.
Les risques d'attentat sont un sujet de sécurité national, voire international. La SNCF suivra les directives des pouvoirs publics, car la coordination est nécessaire. Nous nous inscrirons dans les mesures prises par les différents gouvernements pour sécuriser les liaisons internationales.
Le fret ferroviaire est un sujet important. La branche fret de la SNCF doit prochainement être filialisée ; sa situation financière est très délicate, son déficit et sa dette sont énormes, en dépit d'efforts considérables. Quelle est votre vision pour sauver cette branche dans les mois qui viennent ?
Le fret est un sujet extrêmement difficile. Personne ne pourrait comprendre qu'il n'y ait plus de fret ferroviaire en cette époque de transition écologique. Les autoroutes sont saturées de camions. On ne peut abandonner tout le transport de marchandises à la route.
Cela dit, depuis des années, on n'y arrive pas. Il y a des raisons sérieuses qui nuisent au fret ferroviaire. Il va falloir être inventif pour inverser la pente. La filialisation, cruciale dans cette perspective, n'est pas si simple : Bruxelles doit donner son accord et l'environnement juridique européen n'est pas le plus aimable possible.
Le capital dont disposera la nouvelle SA sera important - 170 millions d'euros - et les 5 milliards d'euros de dette actuelle resteront à la maison mère. Toutefois, ce capital ne lui permettra de tenir que deux ans. D'ici là, le problème devra avoir été traité. Les dirigeants du fret ont un plan d'affaires et promettent que tel sera le cas. C'est bien, mais je suivrai de près la réalisation de ce plan pour m'assurer de sa réussite. Les solutions sont européennes, car le transport de marchandises l'est aussi. Le fret est pertinent seulement sur la longue distance, depuis les ports allemands et néerlandais. Il nous faut discuter avec nos partenaires du nord comme du sud de l'Europe.
Il y a une chose très simple à faire, mais nous n'y sommes pas encore parvenus : réserver des sillons de qualité pour les trains de fret. La vitesse théorique de ces trains est de 100 kilomètres par heure, mais leur vitesse réelle ne dépasse pas 30 kilomètres par heure, parce qu'ils doivent tout le temps laisser passer des trains de voyageurs ou, la nuit, ralentir dans les zones de travaux. Il faut leur ménager des sillons de qualité européens. Clairement, les travaux nocturnes gênent le fret. Les ouvriers aussi bénéficieraient de travaux diurnes, mais le trafic de voyageurs serait affecté. C'est une cause d'intérêt général, national et européen : il faut créer les conditions d'une discussion afin de transférer certains travaux sur des horaires de jour. Une locomotive est un investissement qui n'est rentable que si elle roule à la bonne vitesse. Je veux sauver le fret, mais il faudra prendre des décisions courageuses emportant quelques inconvénients.
Comment comptez-vous améliorer les liaisons ferroviaires quotidiennes entre la France et la Suisse ?
Il y a deux types de liaisons : le transport sur courte distance, qu'empruntent les travailleurs transfrontaliers, et les liaisons sur grande distance. Pour les premières, il faut des trains de la vie quotidienne. C'est largement aux régions et aux cantons suisses concernés de s'entendre. Il faut prévoir des réponses techniques, des sillons et du matériel roulant. Le Léman Express va être lancé entre Genève et la Haute-Savoie. Il y a une culture du transport public très forte en Suisse.
Quant aux grandes lignes, Lyria fonctionne bien entre Paris et les villes suisses, mais la question des villes traversées à desservir se pose.
Vous avez nombre de défis à relever : je vous souhaite de réussir. Je serai vigilante sur le fret ferroviaire.
La convention entre la SNCF et la région Hauts-de-France aurait dû être signée voici neuf mois, mais elle ne l'est toujours pas à cause de plusieurs points litigieux, notamment la desserte du Sambre-Avesnois, région désindustrialisée en souffrance. Vous avez évoqué l'existence d'une urgence territoriale. Qu'en pensez-vous ? Plus largement, comment comptez-vous gérer les relations avec les régions, qui ont toujours plus de compétences en matière de mobilité ?
Je connais bien cette région. À l'origine, les dessertes convenaient bien aux populations, grâce à des correspondances pratiques entre TGV et TER ; il faut retrouver cet équilibre. J'ai suivi ce différend. Le désaccord semble profond, mais les discussions ont repris ; je fais le pronostic qu'on convergera d'ici à la fin de l'année. La convention en elle-même est très bien avancée, ce sujet doit simplement être clos.
Quant aux relations avec les régions, je suis conscient que le nouveau cadre législatif renforce l'importance des régions en la matière et leur donne un rôle central dans l'organisation des mobilités. Je vais en faire le tour dans ma première année ; je veux avoir, dans chacune, de vraies réunions de travail de plusieurs heures pour aborder tous les enjeux majeurs, déterminer ce qu'il faut corriger et ce qu'on peut faire ensemble, dresser des feuilles de route et des clauses de revoyure, continuer enfin de discuter sur les points de désaccord.
Par ailleurs, la SNCF est un acteur économique des territoires : nous sommes un employeur majeur et, à ce titre, il nous faut développer des liens avec les établissements d'enseignement et de formation. Je veux mieux incarner cette mission territoriale de la SNCF. J'ai été directeur régional en Rhône-Alpes, où nous employons 10 000 salariés. Aujourd'hui, il n'y a plus de directeur régional ; peut-être est-on allé trop loin là aussi dans la spécialisation, puisque la région a désormais face à elle pas moins de six interlocuteurs, dont deux seulement sont sur place. Il faut une meilleure coordination à l'échelle régionale : un interlocuteur pour le réseau, un pour le reste.
Un autre sujet mal abordé a été la plateforme numérique unique de mobilité. Certes, il en faut une, et non pas quinze. Les gens veulent une seule application. La SNCF est bien placée techniquement pour en être l'ossature : nous avons un millier d'ingénieurs numériques, une vraie puissance de feu. Mais la SNCF ne peut pas le faire toute seule : il faut travailler avec les régions, parvenir à une gouvernance partagée du projet. '
Je veux revenir sur le sujet des petites lignes. Vous avez parlé d'urgence territoriale et mentionné des objectifs d'engagement vis-à-vis des territoires. Il n'en demeure pas moins que beaucoup de petites lignes sont à l'abandon. On a parlé de développement durable. Bien des petites lignes ne sont pas électrifiées, notamment en Aquitaine. Les régions et les EPCI financent leur remise en état, mais cela reste insuffisant. Peut-être le rapport Philizot conduira-t-il à la mobilisation de plus de moyens de la part de l'État. Pouvez-vous nous rassurer quant à la politique que vous mènerez à ce sujet ?
Je connais bien les petites lignes, ou lignes de desserte fine du territoire, de votre région. La situation s'est améliorée, mais il y a encore du travail à faire. Il y a encore quelques années, on n'avait vraiment pas les moyens de freiner la détérioration rapide du réseau. Les moyens affectés à ces lignes ont doublé, mais il faut aller encore plus loin. Le rapport Philizot articulera un quantum, mais il faudra déterminer qui financera ces travaux entre l'État, les régions, les autres collectivités et SNCF Réseau. La règle d'or nous impose d'être très attentifs à notre participation aux investissements. Les économies de maintenance engendrées par les travaux justifient une participation forfaitisée à 8,5 %. La volonté existe ; après, il faut aller au bout de notre engagement. Quel type de service aura-t-on sur chacune de ces lignes ? Il faut toujours se poser cette question avant d'engager des travaux. Reconnaissons pourtant que les choses ont bougé : on assiste à une prise de conscience de l'importance de ces lignes.
Nous recevrons évidemment le préfet Philizot dès la remise de son rapport.
Votre réponse à M. Chevrollier me dispense de vous poser les questions que j'avais préparées et me fait comprendre pourquoi les organisations syndicales semblent plutôt bien disposées envers votre proposition de nomination.
Parmi les filiales de la SNCF, il en est une dont on parle peu : SNCF Énergie. La SNCF est un acteur majeur de l'énergie, en tant que premier acheteur d'électricité industrielle en France, mais aussi, potentiellement, un producteur. Quelle est votre vision du développement de cette stratégie, axée notamment sur l'électricité photovoltaïque ?
Je veux par ailleurs revenir sur l'Afrique, qui a besoin qu'on accompagne le redéveloppement de son offre ferroviaire. Les grands opérateurs rechignent à y aller. Quelle stratégie africaine comptez-vous mener ?
Le sujet énergétique est évidemment central, pour des raisons écologiques, mais aussi économiques. La SNCF avait jadis ses propres centrales hydroélectriques dans les Pyrénées. L'histoire des chemins de fer est intrinsèquement associée à celle de l'énergie. On se souvient du rôle de Louis Armand dans l'électrification ; demain viendra peut-être l'heure de l'hydrogène. Je souhaite que la SNCF économise l'énergie. Les niveaux d'économie potentielle ne sont pas négligeables. La conduite douce de nos véhicules est une première piste ; on peut économiser déjà 8 %. Nous avons déjà une expertise pour l'achat d'énergie propre au meilleur coût. La piste la plus intéressante est la production d'énergie par la SNCF elle-même. Nous pouvons aller beaucoup plus loin. Les surfaces inexploitées qui, de part et d'autre des voies, pourraient accueillir des panneaux solaires, sont immenses ! Il faut mettre l'imagination au pouvoir et saisir toutes les occasions. Ma réponse est encore générique, mais j'ai cette motivation.
Quant à l'Afrique, c'est l'intérêt de l'Europe d'aider les Africains, notamment du fait des enjeux démographiques. La France et la SNCF ont une relation privilégiée avec l'Afrique francophone. Keolis y est présent, notamment à Dakar et Abidjan. La SNCF doit tenir son rôle sans gaspiller son argent ; ce ne serait d'ailleurs pas leur rendre service. Souvent, il n'y a pas d'autorités organisatrices dans ces pays ; il faut leur apprendre à le faire. Par conviction et par devoir, nous jouerons notre rôle.
Le fret est un sujet complexe ; nous nous posons beaucoup de questions en Nouvelle-Aquitaine, où les mobilités sont déjà asphyxiées. Les relations conflictuelles entre la SNCF et les régions ne sont pas comprises par les citoyens. J'apprécie votre méthode de dialogue et de co-construction. Je vous signale par ailleurs que de nombreux lycées professionnels et technologiques proposant des formations aux élèves originaires d'un territoire très large peinent à tous les accueillir du fait de difficultés d'accès : soit la desserte fait tout à fait défaut, soit les horaires sont inadaptés.
La SNCF, en tant qu'employeur, est confrontée à difficultés de recrutement, notamment pour l'entretien du réseau. Il faut une meilleure articulation avec les régions, collectivités compétentes pour la formation. Les horaires des étudiants sont importants de ce point de vue. On ne travaille pas assez pour coordonner les horaires des dessertes de transport avec ceux des établissements ; ce serait pourtant dans l'intérêt de tout le monde. Je mettrai ce sujet à l'ordre du jour de mes réunions de travail avec les régions.
Merci pour la clarté de votre propos et de vos réponses. Nous attendons tous le rapport Philizot. Je veux porter un témoignage sur les petites lignes. Dans mon territoire, il y a des lignes qui n'ont pas vu passer de train depuis 35 ans. Que faire de ces lignes ? Leur domanialité est importante. On voit dans mon territoire des bus à hydrogène emprunter une ancienne voie ferrée ; c'est une illustration du futur possible de ce réseau. L'environnement évolue bien vite ; bientôt, les véhicules autonomes aussi pourraient emprunter ces voies.
Le ferroviaire est une réponse au besoin de mobilité, mais il n'est effectivement pas la seule. Il faut d'ailleurs distinguer entre ferroviaire lourd et léger. Parmi les solutions routières, le bus à hydrogène a de l'avenir, notamment en site propre. Je serai très ouvert : mieux vaut douze cars par jour que deux trains ! J'aurai toujours la volonté de tester des solutions avec des territoires volontaires. N'attendons pas que tout soit étudié trente fois.
Merci pour vos réponses à toutes nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous avons procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Farandou, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du directoire de la SNCF.
Nous allons désormais procéder au vote.
Le vote se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis du règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.
Le dépouillement se déroulera cet après-midi, en même temps qu'à la commission du développement durable de l'Assemblée nationale.
L'article 13 de la Constitution dispose que le président de la République ne pourrait procéder à cette nomination, si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
Nous devons procéder à la désignation des rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2020.
La commission désigne MM. Jean-François Longeot (Union Centriste) rapporteur pour avis sur la première partie du projet de loi de finances et Louis-Jean de Nicolaÿ (Les Républicains) sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires ».
Pour les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », la commission désigne les rapporteurs pour avis ci-après : M. Jean-Pierre Corbisez (R.D.S.E.) pour les transports routiers, Mme Nicole Bonnefoy (Socialiste et républicain) pour les transports aériens, MM. Michel Vaspart (Les Républicains) pour les transports maritimes, Pierre Médevielle (Union Centriste) pour la prévention des risques et Guillaume Chevrollier (Les Républicains) pour la biodiversité et la transition énergétique.
La commission désigne M. Jean-Michel Houllegatte (Socialiste et républicain) en remplacement de Mme Nelly Tocqueville (Socialiste et républicain) rapporteur pour avis sur sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Gérard Cornu ayant démissionné de son mandat de sénateur, la commission désigne M. Didier Mandelli (Les Républicains) rapporteur pour avis sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » pour les crédits consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux.
La réunion est close à 12 h 10.
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Pierre Farandou aux fonctions de président du directoire de la SNCF, simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.
Résultat du scrutin :
Nombre de votants : 30
Bulletins blancs ou nuls : 1
Pour : 29
Contre : 0