Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies

Réunion du 16 septembre 2020 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous poursuivons nos travaux avec une audition relative à la gestion de la crise par les autorités sanitaires.

Je vous présente officiellement les excuses du président Alain Milon, retenu dans son département.

Nous entendons cet après-midi M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé ; Mmes Geneviève Chêne, directrice générale, et Nicole Pelletier, directrice « Alerte et crises », de Santé publique France ; et M. François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France.

Nous évoquerons bien sûr la gouvernance de la crise, en particulier les relations entre l'administration centrale, les administrations déconcentrées et les agences sanitaires, ainsi que leurs responsabilités respectives. Nous aborderons également la préparation de la crise. Il nous semble que cette phase a été déterminante. Nous pensons non seulement aux masques, mais aussi à la mise en oeuvre du triptyque largement rappelé par le Premier ministre d'alors, Édouard Philippe, « protéger, tester, isoler », qui semble avoir peiné à trouver une traduction concrète sur le terrain dans ses trois dimensions.

Comme il est maintenant de tradition dans cette commission d'enquête, je demande à nos intervenants de synthétiser leur principal message en cinq minutes, afin de laisser le temps nécessaire aux questions de nos trois rapporteurs et de nos commissaires.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Salomon, Mme Chêne, M. Bourdillon et Mme Pelletier prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Depuis le début de cette crise, en tant que médecin infectiologue, je ne suis pas resté une journée sans échanger avec des professionnels de santé - infirmiers, médecins, sages-femmes, kinésithérapeutes - implantés partout sur le territoire national, sans recevoir des retours directs du terrain, en ville, à la campagne ou à l'hôpital, sans lire ou recevoir des témoignages de familles touchées. Je pense sans cesse aux victimes du covid comme à celles d'autres maladies, à cette pandémie qui perdure et à la crise majeure que nous traversons.

En un siècle, aucune épidémie n'a entraîné autant d'hospitalisations, de décès, de souffrances et surtout de conséquences multiples dans un temps si court. Les effets de cette crise dureront sans doute bien des années.

En janvier dernier, il y a huit mois seulement, nous ne savions rien de ce nouveau virus chez l'homme, qu'il s'agisse de sa contagiosité, des modes de transmission, du délai d'incubation, des cibles en population, du rôle de l'immunité, du rôle des enfants, de la virulence, de la létalité ou des traitements ; nous ignorions quelle serait l'évolution de l'épidémie en fonction des saisons et des lieux ; nous ne savions rien de son potentiel pandémique.

Le covid n'était évidemment pas une grippe, et il n'a pas du tout connu l'évolution du SRAS, en 2003 - on avait alors dénombré 800 morts dans le monde et 2 cas en France -, ou, depuis 2012, du Mers-CoV, qui a totalisé 866 morts, quelques cas et alertes en France. Ce sont pourtant deux coronavirus.

Une alerte majeure avait touché l'Afrique de l'Ouest avec Ebola ; à cet égard, deux cas avaient été importés en France. Ils avaient été parfaitement pris en charge.

J'ai toujours dit ce que nous savions et ce que nous ne savions pas. J'ai fait en sorte de répondre à toutes les questions qui m'étaient posées par les journalistes, par la population ou par les professionnels de santé, avec humilité, en me fondant sur l'évolution des connaissances et en étant clair quant aux incertitudes scientifiques.

Nous ne savions rien de cette épidémie il y a huit mois ; nous en savons davantage aujourd'hui. Nous avons ainsi découvert la possibilité d'une transmission par aérosols, grâce à une alerte scientifique dès le mois de juin. Nous avons évidemment attendu la position de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en juillet. Au mois d'août, un article très important du British Medical Journal a mis en lumière les différents niveaux de risques, en fonction des expositions. En outre, nous avons peu à peu compris que les enfants pouvaient être récepteurs et transmetteurs.

Nous pouvons envisager l'avenir avec confiance : nous avons appris, comme les professionnels de santé, à mieux prendre en charge cette maladie, par l'oxygène à haut débit, par les anticoagulants ou encore grâce à l'efficacité de la dexaméthasone.

Nous avons suivi les patients, découvert des PCR positives pendant des semaines, surveillé l'apparition des anticorps protecteurs chez les malades et décrit quelques cas de réinfection. Nous avons surtout suivi des symptômes chroniques et décrit les séquelles neuropsychologiques, respiratoires ou encore cardiaques.

Les professionnels de santé, à domicile, au sein des Ehpad, en ville et à l'hôpital ont été remarquables tout au long de la crise. Ils nous ont permis collectivement de beaucoup apprendre et de progresser ensemble, partout sur le territoire. Nous avons découvert, non seulement le poids des pathologies chroniques comme facteur de risque majeur, celui de la précarité et de la densité urbaine, mais aussi l'hétérogénéité entre les pays et même au sein des territoires. Pour ne citer que des statistiques publiques, la létalité du covid a été beaucoup plus forte dans le Territoire de Belfort et dans le Haut-Rhin qu'en Ariège ou en Lozère.

Nous ne savons pas encore grand-chose de la saisonnalité du virus, de ce que serait une seconde vague en Europe, qu'il s'agisse de sa durée, de son ampleur ou de sa gravité, ou de la susceptibilité génétique ou immunitaire individuelle. À ce stade, nous ne disposons ni d'antiviraux ni de vaccins anti-covid efficaces.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

J'ai pris mes fonctions de directrice générale de Santé publique France au début de novembre 2019. Cette agence créée en 2016 est issue de la fusion de quatre structures : l'Institut national de veille sanitaire (INVS), l'Institut national de promotion et d'éducation pour la santé (INPES), l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) et l'opérateur d'écoute Adalis.

Lors de mon entrée en fonctions, j'ai observé que l'agence était organisée et unifiée. J'ai pris conscience de l'importance du continuum au sein de cette agence entre les différentes fonctions et missions de santé publique : d'une part, alerte, surveillance et observation ; de l'autre, prévention et promotion de la santé, ce qui implique la réponse aux urgences via la gestion de la réserve sanitaire et des stocks stratégiques d'État.

Ce premier point a son importance pour la gestion de la crise. Il s'agit, en particulier, de la capacité à mobiliser une expertise scientifique au sein de Santé publique France. Cette agence sanitaire scientifique est le référent national en santé publique. Elle suit une approche populationnelle, en complément d'autres agences sanitaires, dédiées, par exemple, aux produits de santé.

Cette agence regroupe environ 650 agents, qui - cette particularité, très importante elle aussi, joue un rôle crucial au titre de cette crise - sont répartis entre un site national et des cellules régionales auprès des agences régionales de santé (ARS). Ces unités sont essentielles pour la surveillance au sein des territoires, où la situation épidémique est hétérogène.

De plus, cette agence se caractérise par la persistance de l'ensemble de ses missions : cet été, elle a assuré la surveillance de situations potentiellement caniculaires et des noyades. Chaque jour, des connaissances ont été acquises. Elles doivent nous permettre, autant que possible, de tirer les enseignements de l'expérience.

Ces acquis doivent nous permettre de nous préparer aux prochains mois. Je pense en particulier à la surveillance concomitante des autres virus de l'hiver. Il conviendra d'adapter, à chaque étape, les enquêtes et les systèmes de surveillance.

Le covid, c'est donc une gestion au long cours. Au gré de l'évolution des connaissances, portant en particulier sur la transmission, on apprend chaque jour et l'on informe l'ensemble des personnes impliquées. Chacun doit pouvoir jouer son rôle et être responsabilisé. Au-delà, l'agence a un rôle à jouer pour mesurer l'impact du covid sur les autres dimensions de la santé : il s'agit d'en déduire des moyens d'améliorer la prévention et la promotion de la santé.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

J'ai quitté Santé publique France en juin 2019, atteint par la limite d'âge. Mes propos porteront donc davantage sur le passé que sur l'épidémie actuelle, que j'ai suivie comme tout un chacun dans la presse.

En créant Santé publique France, Marisol Touraine entendait doter la France d'une grande agence nationale de santé publique, comparable au Center for Disease Control (CDC) d'Atlanta ou au Public Health England en Angleterre. Notre pays était presque le seul au monde à ne pas disposer d'une telle instance.

Nous avons eu deux ans pour construire cette agence. Nous avons voulu créer les fondements mêmes d'une structure dynamique, pouvant répondre à toute une série de situations par le travail quotidien de surveillance et de prévention. En outre, nous nous sommes clairement posé cette question : que ferions-nous si une maladie infectieuse émergeait ? Aurions-nous la capacité d'assumer nos fonctions ? Notre rapport de préfiguration distinguait bien les fonctions d'alerte, de surveillance et de réponse dans leurs différents volets : la prévention, la mobilisation de la réserve sanitaire pour faire face aux situations de crise et l'établissement pharmaceutique. Après mon départ de l'agence, j'ai résumé ces fondamentaux dans un ouvrage intitulé Agir en santé publique, paru le 17 mars dernier, premier jour du confinement.

Quand on construit une maison, on sait qu'elle a des points forts - Santé publique France en compte beaucoup, je pourrai y revenir - et des points faibles. En situation de crise notamment, nous savions très bien que l'agence serait débordée sur le plan des ressources humaines et qu'elle devrait probablement mobiliser, pour elle-même, des réservistes sanitaires afin d'accomplir ses missions. C'est bien ce qui a été fait face à la crise actuelle.

À cet égard, j'ai ma propre grille de lecture ; je pourrai vous donner un avis, non institutionnel, mais personnel. Je répondrai volontiers à l'ensemble de vos questions.

Debut de section - Permalien
Nicole Pelletier, directrice « Alertes et crises » de Santé publique France

Je suis en fonctions depuis juin 2017 au sein de Santé publique France. Ma direction est née de la fusion entre l'Eprus et une direction qui gérait l'alerte au sein de l'INVS. Elle est constituée d'une trentaine de personnes réparties en trois unités, déjà citées : l'établissement pharmaceutique pour la gestion des stocks stratégiques de produits de santé ; la réserve sanitaire, composée de volontaires, professionnels médicaux, qui répondent aux demandes émanant notamment de la direction générale de la santé (DGS) et des ARS ; et l'unité de coordination, d'alerte et de crise, coordonnant, au sein de Santé publique France, notamment lors de crises, l'ensemble des directions touchées. Le covid en a donné un exemple flagrant.

Je tiens à remercier l'ensemble des équipes qui ont été mises sous tension depuis un grand nombre de mois : non seulement les équipes historiques de Santé publique France, mais aussi tous ceux qui nous ont rejoints, au sein de la direction « Alertes et crises » comme dans les autres directions, pour gérer cette crise longue, difficile, et qui n'est pas terminée.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Premièrement, quel était l'état des connaissances le 25 janvier dernier, lorsque la ministre de la santé déclarait, sur le perron de l'Élysée, que le virus ne pénétrerait pas en France ? Sur quelles données se fondait-elle ? S'agissait-il des méthodologies de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ? Comment ces connaissances ont-elles évolué ? Pour notre commission d'enquête, le tout début de cette crise est particulièrement important. Nous avons été surpris d'entendre les représentants de l'association d'usagers France Assos Santé nous déclarer que, dès la fin janvier, ils disposaient de certains éléments, qu'ils se sont engagés à nous transmettre.

Deuxièmement, alors même que le Grand Est était confronté à une très forte vague épidémique, le Président de la République incitait, le 6 mars dernier, les Français à sortir pour se rendre au théâtre, au cinéma, ou encore au restaurant. Était-ce en vertu d'une stratégie, que l'on pouvait d'ailleurs entendre, d'immunité collective ? J'espère obtenir une réponse aujourd'hui.

Troisièmement, à l'heure actuelle, les médecins généralistes et les professionnels de santé travaillant dans des établissements de soins sont confrontés, sur l'ensemble du territoire, à des patients covid. Comment se fait le retour d'expérience, notamment depuis le Grand Est ou l'Île-de-France ? Qui doit indiquer la conduite à tenir au médecin généraliste isolé à la campagne ou aux hôpitaux non universitaires ? Ce retour d'expérience existe-t-il seulement ? Doit-on se contenter d'aller consulter les sites de sociétés savantes ?

J'en viens à la question des masques. Au printemps, lors des premières auditions organisées par la commission des affaires sociales, Santé publique France nous a indiqué que deux notes avaient été transmises à la DGS quant à la fragilité des stocks d'État de masques : la première, du 26 septembre 2018, la seconde, du 1er octobre 2018. Ces notes alertaient quant à la faible capacité logistique à distribuer rapidement ces produits en cas de pandémie majeure.

Monsieur le directeur général de la santé, avez-vous informé alors la ministre de la santé des problèmes relevés par Santé publique France ? Les services n'auraient-ils pas dû prendre plus au sérieux, dès 2018, les craintes exprimées sur ce sujet ?

De plus, dès 2018, votre direction générale prônait l'acculturation de la population à l'usage du masque en cas de pandémie grippale. Vous aviez d'ailleurs demandé à Santé publique France de lancer une expérimentation en ce sens. Pourtant, le 18 mars 2020, vous déclariez qu'il s'agissait d'une denrée rare - on l'a vu -, d'une ressource précieuse pour les soignants et totalement inutile pour circuler dans la rue. Maintenant, dans plusieurs villes, l'on s'expose à une amende si l'on ne porte pas un masque. Comment expliquer ce revirement ?

Enfin, à quel moment avez-vous senti que l'approvisionnement du pays en masques allait connaître de sérieuses difficultés ? Certains importateurs et fournisseurs nous ont dit que, dès février et mars, ils avaient proposé leurs services et que leurs offres étaient restées sans réponse, voire refusées. On ne les a sollicités qu'au mois d'avril.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Face à l'émergence de la maladie, puis face à l'épidémie, la communauté scientifique et médicale s'est très fortement mobilisée. D'ailleurs, nous avons reconstitué une chronologie extrêmement détaillée de l'ensemble des actions de la DGS et de ses agences depuis l'alerte. Je communiquerai ce document aux membres de la commission d'enquête.

Tout d'abord, l'alerte a été très précoce en France, du côté de Santé publique France comme de la DGS. Nous analysons en permanence ce que nous appelons les signaux faibles. Les émergences sont fréquentes. Heureusement, elles ne débouchent pas toutes sur des alertes mondiales, mais un certain nombre de pathogènes apparaissent régulièrement, sans que l'on sache quels seront leur virulence et leur caractère épidémique. Le principe est celui du partage d'information. La communauté scientifique mondiale est désormais complètement ouverte, grâce aux nouveaux réseaux sociaux et aux outils de communication. Les épidémiologistes, les virologues et les agences échangent très vite.

Nous avons donc disposé de cette information très tôt : dès la première réunion de sécurité sanitaire du mois de janvier, nous avons abordé ce sujet, grâce à la mobilisation de l'ensemble de nos acteurs. Nous avons envoyé des messages aux ARS, aux établissements de santé et aux professionnels de santé entre le 10 et le 14 janvier. Nous avons donc été extrêmement attentifs. Évidemment, la ministre des solidarités et de la santé suivait ce sujet de très près.

S'y ajoute un autre message, peut-être plus difficile à faire passer : nous avions besoin de caractériser le risque. À ce titre, nous nous sommes également appuyés sur notre expertise, qui est de très haut niveau. Nous avons la chance d'avoir, en France, des épidémiologistes très bien formés, ainsi que des virologues de très grande qualité - certains sont parfois demandés comme experts auprès des instances internationales.

Que ce soit à l'institut Pasteur ou au sein des centres nationaux de référence agréés par Santé publique France, nous avons mobilisé l'ensemble de l'expertise scientifique française pour connaître, autant que possible, l'agressivité de ce virus, sa capacité à se répandre et ses cibles. Pour répondre au virus, il est important de savoir si ses cibles sont pédiatriques ou gériatriques, quelle peut être sa gravité pour la population.

L'exemple de 2009 le rappelle : au début, il est difficile de connaître la gravité d'une maladie, tout simplement parce qu'elle est alors décrite par ses formes graves - c'est par les cas graves que l'alerte est donnée. Dans ces conditions, on dispose d'un numérateur sans avoir le dénominateur correspondant.

Tous ces éléments devant être réunis, nous avons saisi Santé publique France, qui d'ailleurs a répondu très vite, d'une analyse de risques. Nous lui avons demandé de détailler les scénarios d'évolution qu'elle envisageait. De plus, les échanges d'informations internationaux ont été nombreux, en particulier au niveau de l'OMS. Beaucoup d'experts se sont rendus, avec le directeur général de l'OMS, auprès des autorités chinoises pour tenter de recueillir des informations.

Ainsi, avant même que ce nouveau coronavirus soit appelé Sars-Cov 2, avant que l'on sache qu'il allait donner la maladie du covid-19, son génome était mis à disposition en ligne pour que des virologues puissent l'interpréter et préparer un test diagnostic, ce qui a été fait très vite, à la fois en Allemagne et en France : mi-janvier, l'institut Pasteur avait déjà la capacité de tester. À ce titre, nous avons également décidé de mobiliser nos virologues et nos établissements de référence, c'est-à-dire le centre national de référence, tous les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les laboratoires des établissements de santé de référence, pour que tous les CHU, puis, plus largement, tous les hôpitaux, sur l'ensemble du territoire national, soient capables de procéder aux tests.

Le partage de connaissances a donc été très rapide. Nous avons même fait des réunions dès le mois de janvier avec l'ensemble des experts pour mobiliser notre expertise et tenter de comprendre au maximum ce qui se passait.

L'immunité collective n'a jamais été le choix...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Qu'en est-il de la prise de position de la ministre en janvier dernier ? Nous sommes là au coeur du sujet.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Il faut replacer la position de la ministre dans son contexte. À cette époque, nous n'avions pas de cas en dehors de Chine. Nous nous sommes fondés sur des évaluations de risques internationales, menées par l'OMS et par le centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC).

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Mme Deroche a évoqué la prise de position de la ministre, qui daterait du 25 janvier. Quand les premiers cas de Bichat ont-ils été connus ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Les deux premiers cas de coronavirus en Italie ont été connus le 30 janvier. En France, nous n'avions pas de cas avant le 24 janvier.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

C'était donc la veille de la déclaration de la ministre.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Je n'ai pas la déclaration dont il s'agit ; je ne peux donc pas vous répondre sur ce point. En revanche, je peux vous répondre sur la situation en France. Nous avions des cas importés le 24 janvier.

À cet égard, l'ECDC distingue le risque d'importation - celui d'avoir des cas importés - et le risque de diffusion sur le territoire. C'est une subtilité, mais la question a toute son importance : quand un foyer épidémique existe, on considère que certains cas peuvent venir de ce foyer. Je vous rappelle d'ailleurs que, de manière contemporaine, le gouvernement français a décidé de rapatrier nos centaines de compatriotes de Wuhan, en pratiquant sur eux des tests systématiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Vérification faite, la déclaration de la ministre date du 24 janvier.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Reprécisons le calendrier : le 24 janvier, la ministre fait sa déclaration. La France connaît déjà deux cas. En Italie, les premiers cas sont détectés un peu plus tard, le 30 janvier.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Absolument. Entre l'alerte des professionnels, entre le 10 et le 14 janvier, et la déclaration de la ministre que vous mentionnez, nous avons mobilisé beaucoup d'expertises. Nous avons fait des réunions intersectorielles. Nous avons mobilisé Santé publique France...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Mais, à l'époque, il y avait déjà des cas en Chine ! Et, d'après les modélisations faites, le nombre de malades et de morts officiellement déclarés par la Chine ne correspondait pas à la réalité.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Vous faites allusion à la publication dont, sauf erreur de ma part, Simon Cauchemez vous a parlé hier. Ce qui a frappé les modélisateurs et les épidémiologistes, c'est la probable sous-estimation du nombre de cas, à la fois en Chine et hors de Chine. Cela peut s'expliquer, dans la première quinzaine de janvier, par les difficultés de certains pays à diagnostiquer les cas importés. Tous les États n'avaient pas accès aux tests. C'est pourquoi l'OMS a rapidement émis le souhait que les cas positifs lui soient notifiés, ce que nous avons d'ailleurs fait immédiatement.

L'OMS dispose d'une comitologie interne très importante, laquelle permet de statuer pour déterminer si une épidémie constitue, oui ou non, une urgence de santé publique de portée internationale. À ce titre, on a observé une hésitation de la part des scientifiques. Tout d'abord, le comité consulté a déclaré que la gravité de la situation ne lui paraissait pas suffisante pour justifier une alerte majeure, et donc une urgence de santé publique de portée internationale. Cette urgence n'a été déclarée qu'à la fin du mois de janvier, bien après la mobilisation des autorités françaises et l'alerte donnée par les différents acteurs de santé français. En effet, nous avons passé plusieurs messages à destination des ARS, des établissements de santé et des professionnels de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Disposez-vous des modélisations de l'Inserm et des résultats obtenus par ce biais ? Le 24 janvier, sur quelles données la ministre s'est-elle fondée pour se prononcer en ce sens ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Nous nous sommes fondés sur deux éléments importants : premièrement, l'analyse de l'OMS, instance internationale chargée de l'évaluation des risques, forte de ses experts ; deuxièmement, les premières publications de l'ECDC au titre des rapid risk assessments, disponibles dès le 22 janvier. De plus, grâce à la mobilisation de Santé publique France, une analyse de risques a été rendue le 26 janvier - Geneviève Chêne vous la détaillera.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Dès le 31 décembre, les autorités chinoises alertent l'OMS. La première réunion des experts internationaux auprès de l'OMS, qui comprend un expert de Santé publique France, a lieu le 2 janvier. Les équipes de Santé publique France et la DGS échangent dès le 3 janvier.

Cette réunion a pour conséquence le lancement d'une alerte assez forte. Nous publions une définition de cas, sur la base des connaissances de l'époque : les zones à risque sont des zones étrangères - on se concentre en particulier sur les personnes revenant de Chine.

Cette définition, qui est rendue publique, a deux conséquences. Premièrement, la DGS informe l'ensemble des professionnels de santé pour que, s'ils rencontrent un cas suspect, ils le fassent remonter via les systèmes de surveillance et que l'on puisse ainsi amorcer le comptage des cas. Deuxièmement, on sollicite les centres nationaux de référence dédiés aux affections respiratoires, dont la grippe. Il y en a deux en France : l'un à l'institut Pasteur, à Paris, l'autre à Lyon. À partir des séquences disponibles publiquement depuis le 9 janvier - me semble-t-il -, le centre de Pasteur met au point le diagnostic biologique du Sars-CoV 2, sauf erreur de ma part le 17 janvier.

Le vendredi 24 janvier - entre-temps, on a répertorié un certain nombre de suspicions de cas -, trois cas sont confirmés : deux à Paris, le troisième à Bordeaux. Il s'agit de trois cas « importés ». À la demande de la DGS, dont nous partageons l'analyse de la situation, nous produisons différents scénarios sur la base des données assez faibles dont nous disposons. En effet, l'essentiel des cas se trouvent en Chine.

À ce titre, trois scénarios sont envisagés. Le premier, c'est le contrôle rapide de l'épidémie, comme dans le cas du Sras. Le deuxième, c'est une pandémie avec des impacts sanitaires et sociétaux significatifs. Le troisième, c'est une pandémie avec des impacts sanitaires et sociétaux majeurs.

À ce moment-là, on dispose de très peu d'informations sur deux aspects assez déterminants pour l'évolution des scénarios.

Le premier, c'est la période de transmission : en particulier, y a-t-il une transmission pendant la période présymptomatique ? Existe-t-il une forte proportion de personnes asymptomatiques ? Ces éléments sont importants. La transmissibilité du virus est favorisée dès lors que l'on ne peut pas identifier les personnes malades sur la base de signes cliniques.

Le second, c'est la gravité de l'épidémie. Nous ne disposons alors que de peu de description des séries chinoises. La létalité serait de l'ordre de 1 % à 2 %, taux tout de même largement supérieurs à la grippe. C'est un sujet d'inquiétude. Mais, comme l'a souligné le directeur général de la santé, à ce moment-là, nous n'avons pas beaucoup d'informations quant au dénominateur. Les capacités de test peuvent changer très largement ce dénominateur et l'estimation de la mortalité. C'est seulement pendant la première quinzaine de février que les données chinoises, portant sur plusieurs dizaines de milliers de cas, sont publiées. Elles montrent, en particulier, une gravité potentiellement importante de cette maladie chez des personnes de moins de soixante-cinq ans, voire de moins de cinquante ans.

Compte tenu de ce facteur de gravité, nous ajustons les scénarios transmis à la DGS et discutés avec elle. Il s'agit de prendre en compte le taux d'attaque possible, c'est-à-dire le nombre de cas survenant en peu de temps, le nombre potentiellement élevé de formes sévères et l'atteinte potentielle de personnes, le fardeau potentiel de la maladie chez les moins de soixante-cinq ans.

Telles sont les étapes successives, qui entrent dans le périmètre d'action de Santé publique France, depuis l'alerte et l'expertise jusqu'à la construction de scénarios. Nous travaillons en lien étroit avec l'équipe de modélisation de Pasteur, menée par Simon Cauchemez, et avec celle de l'Inserm.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Pouvez-vous préciser cette stratégie jusqu'au 6 mars, au regard des paroles présidentielles rappelées par Catherine Deroche ?

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

D'un point de vue extérieur, il me semble qu'en janvier nous avions beaucoup d'avance par rapport à l'Union européenne. Le rapid risk assessment de l'ECDC en date du 14 février 2020 qualifie de bas le risque de transmission en Europe. Nous disposons alors de scénarios beaucoup plus dynamiques.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Effectivement, nous avons disposé d'une alerte précoce et l'évaluation a été très vite disponible, à la fois du côté des épidémiologistes et des virologues.

J'insiste également sur la mise en alerte du dispositif de gestion de crise. Dès le 22 janvier, en accord avec Agnès Buzyn, j'ai décidé de placer notre centre de crise, le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss), au niveau 2. Puis, le 27 janvier, j'ai décidé de l'ériger en centre de crise sanitaire. Cette mesure est totalement exceptionnelle : il s'agit du niveau maximal. Cette décision a été prise avant la déclaration d'urgence de santé publique de portée internationale. À l'heure actuelle, le Corruss est toujours centre de crise sanitaire. Le niveau maximum de crise est donc activé depuis presque huit mois, ce qui n'était jamais arrivé.

Notre mois de février a également été extrêmement actif. Avec Agnès Buzyn, nous avons tenu à expliquer la situation jour après jour. La ministre a procédé à des conférences de presse extrêmement précoces. De mémoire, la première a eu lieu le 22 janvier. À cette occasion, elle a d'ailleurs dit qu'il y avait beaucoup de choses que nous ne savions pas, et d'autres que nous savions et que nous communiquerions à l'ensemble des citoyens français.

Nous avons activé le numéro vert dès le 1er février ; ce dispositif a été largement utilisé. Ensuite, nous avons très régulièrement mobilisé notre expertise. Je pense en particulier au Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qui en est aujourd'hui à sa quatre-vingt-sixième saisine. Dans tous les champs d'expertise dont nous avons besoin - santé publique, environnement, maladies infectieuses, relations avec les patients -, les dizaines d'experts que regroupe le HCSP se sont réunis, parfois le soir et le week-end, pour donner leurs avis. Ces derniers ont été très fréquents.

Nous avons également tenu compte des avis des sociétés savantes, que nous avons beaucoup mobilisées - les sociétés d'infectiologie, de réanimation, de pneumologie, mais aussi la société d'hygiène et la société française de santé publique. Nous n'avons pas oublié les généralistes : nous travaillons beaucoup avec le collège de médecine générale. Nous avons très régulièrement mis à jour les connaissances, que ce soit par les fameux Minsante, messages officiels aux ARS, par les messages d'alerte rapide sanitaire (MARS), messages officiels aux établissements de santé, ou par les « DGS-urgent », messages reçus par environ 850 000 professionnels de santé. En parallèle, nous avons suivi et adapté notre dispositif à l'évolution des connaissances ainsi qu'à l'évolution de la situation.

Le mois de février a été marqué par le rapatriement de nos concitoyens de Wuhan, qui ont été testés deux fois à l'aide du test PCR coronavirus. Les premiers cas importés ont été recensés. Le 14 février, l'ECDC a publié son évaluation. Nous avons participé à de très nombreuses réunions, au sein de l'OMS ou encore avec l'ECDC. Nous avons régulièrement réuni l'ensemble des services de l'État concernés - qu'il s'agisse des services du ministère de l'intérieur, ou encore du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) - pour préparer la France à l'arrivée de cas. Les premiers clusters ont alors été détectés ; la première quinzaine de février a été marquée par une investigation dans l'Oise et, surtout, aux Contamines-Montjoie, où la ministre s'est rendue.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Je suis élu de l'Oise, et je précise que le cluster de la base aérienne de Creil est apparu après le décès de Dominique Varroteaux - premier mort français du coronavirus -, survenu dans la nuit du 25 au 26 février, et non dans la première quinzaine de ce mois.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Je me suis mal exprimé : j'évoquais les clusters de février.

Au village des Contamines-Montjoie, c'est, encore une fois, un cas importé qui était à l'origine des contaminations. Nous y avons beaucoup appris quant au potentiel de transmission épidémique auprès des contacts proches, ou encore quant à l'importance d'isoler les cas et de suivre la charge virale.

L'investigation de ces clusters a beaucoup mobilisé les services. Elle a également fait l'objet d'une très forte mobilisation de toute l'expertise nationale. Nous avons envoyé des messages presque quotidiens. Nous avons procédé à l'acquisition d'équipements de protection individuelle en grand nombre, dès le 7 février. Nous avons participé à de très nombreuses réunions avec les experts. Le 14 février, à la demande de la ministre, nous avons activé le plan Orsan Reb, plan d'organisation du système de santé en cas de risque épidémique et biologique. La ministre a d'ailleurs envoyé un courrier personnel aux ARS dès le 14 février, pour demander un point très régulier d'information, région par région. Le premier mort déploré sur le territoire national venait de Chine. Son décès est survenu le 14 février.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Y a-t-il eu une stratégie d'immunité collective jusqu'au confinement ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Très clairement, non.

Le Président de la République, le gouvernement de l'époque et les ministres de la santé - Olivier Véran a remplacé Agnès Buzyn mi-février - avaient deux priorités absolues.

Premièrement, il s'agissait de protéger les personnes âgées, dont on a su assez vite qu'elles étaient les principales victimes du virus. Nous avons pris connaissance des premières publications montrant que le risque d'entrée en réanimation et d'évolution défavorable des formes les plus graves augmentait beaucoup avec l'âge. Plus largement, nous avions la volonté absolue de protéger au maximum les personnes vulnérables et fragiles.

Deuxièmement - ce point a été très médiatisé et il était évidemment important -, il fallait éviter la saturation et l'effondrement du système de santé, en particulier en réanimation. Il fallait éviter que l'on en vienne à ne plus pouvoir prendre en charge des patients en milieu hospitalier.

Certains pays ont fait le choix de laisser le virus se répandre très largement, sachant que, plus il y a de cas, plus le niveau de prévalence augmente. En France, actuellement, selon les estimations, le niveau d'immunité collective est relativement bas, même si l'on observe d'importantes variations selon les territoires et selon l'âge. On est très loin des 60 % à 70 % qu'il faudrait atteindre pour être certain que le virus ne peut plus se diffuser.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

L'immunité collective est, en fait, une notion stratégique ; on l'emploie lorsqu'on dispose d'un vaccin - on se demande alors quelle proportion de personnes vacciner pour que la dynamique de l'épidémie s'éteigne progressivement. Évidemment, à ce stade, nous n'avons pas de vaccin.

Nous avons conduit plusieurs séries d'études séroépidémiologiques, c'est-à-dire des études sur la base d'échantillons de fonds de tube des laboratoires, avec la méthodologie la plus satisfaisante possible dans de telles conditions, impliquant le tirage au sort, tout en gardant une organisation parcimonieuse compte tenu de la situation. Entre la mi-mars et la mi-mai, environ 5 % de la population a acquis une immunité, mesurée par les anticorps témoignant d'une exposition au virus. Le taux atteint environ 10 % dans deux régions, le Grand Est et l'Île-de-France, qui ont été particulièrement touchées.

Ces résultats sont en train d'être finalisés. Je donne ces chiffres avec prudence, car nous avons encore quelques vérifications à faire. Toutefois, ces données seront publiées très bientôt.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Il serait temps d'avoir ces chiffres, comme pour la mortalité à domicile ; de tels délais ne favorisent pas le retour d'expérience.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

J'en conviens tout à fait. Il faut également reconstituer a posteriori la taille de la population infectée pendant la première phase. La première courbe que l'on voit classiquement ne comprend pas l'ensemble de la population infectée ; nous ne disposions pas alors d'un dépistage suffisamment large. Mais ces données sont importantes pour mener une comparaison avec la dynamique d'aujourd'hui ; nous disposons actuellement de tests et d'une collecte centralisée des données, système assez exceptionnel, à l'échelle nationale. Ces résultats doivent être finalisés très rapidement.

Les professionnels de santé ont joué un rôle, non seulement pour le soin, mais aussi pour la collecte des données au plus près du terrain. Nous avons également eu pour mission de relayer, auprès d'eux, des informations relatives à la transmission et aux gestes barrières. Les premières campagnes d'information et de prévention ont été menées auprès des professionnels de santé dans la première quinzaine de février.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Certes, à aucun moment on a dit que les gens devaient se contaminer les uns les autres. Mais, début mars, le Président de la République portugaise disait qu'il fallait faire attention et rester au maximum chez soi. Le président de la région Grand Est Jean Rottner nous a dit qu'il avait alerté le chef de l'État sur ce sujet : en France, le message émis a tout de même pu perturber.

J'attends également des réponses très précises au sujet des masques.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Pour la période antérieure à ma prise de fonctions, je me tourne vers Nicole Pelletier et François Bourdillon.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

J'insiste sur les deux notes consacrées à cette question, et je rappelle que la ministre a dit qu'elle n'avait jamais été alertée.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

En juin 2016, lorsque l'Eprus a rejoint Santé publique France, j'étais directeur général de l'Inpes. Santé publique France a dès lors hérité du stock de masques de l'Eprus.

Très vite, avec la DGS, on s'interroge sur l'efficacité de ces masques. Une partie des stocks sont très anciens - certains datent de 2000. Cela étant, aucune date de péremption n'est apposée sur les masques chirurgicaux. C'est d'ailleurs ce qui conduit la DGS à nous saisir, en avril 2017, pour éclaircir l'efficacité de ces masques au regard des normes européennes et Afnor.

En outre, lors de la création de Santé publique France, structure d'expertise de santé publique, l'Eprus, établissement vieux d'une dizaine d'années, disposait d'un savoir-faire logistique. Il fallait absolument injecter de l'expertise dans cette logique de stocks stratégiques.

Chacun des professionnels de santé publique, de virologie ou d'infectiologie a sa propre idée. La seule façon d'en sortir, pour une agence sanitaire d'État, c'est de faire de l'expertise collective, avec un appel d'offres et une charte de l'expertise. Nous avons donc lancé deux expertises, l'une relative aux contre-mesures pour l'épidémie de grippe et l'autre sur les moyens tactiques. Jean-Paul Stahl était responsable de la première expertise, qui est parue en août 2018 et qui comportait une partie consacrée à la question des masques. Ses recommandations étaient les mêmes que celles contenues dans les avis du HCSP, dont le dernier datait de 2011 : 1 milliard de masques étaient nécessaires.

Il s'agissait toutefois d'une recommandation générale ; le HCSP n'a probablement pas totalement compris qu'il y avait une doctrine différente depuis 2013 avec, d'un côté, les stocks stratégiques destinés à tous et, de l'autre, ceux destinés à la population française hors établissements de soins. Après la sortie de ce rapport en août 2018, j'ai rédigé une note le 26 septembre afin d'alerter sur notre manque de masques et sur la nécessité d'élaborer une doctrine claire compte tenu des difficultés inhérentes à ces deux notions de stocks.

À la même époque, le 3 octobre 2018, nous avons sorti une étude sur l'efficacité des masques qui a considéré que la plupart des masques expertisés au regard des normes européennes et Afnor - filtration bactérienne, respirabilité, contamination par des bactéries, efficacité des lanières, etc. - étaient inefficaces. Nous passons alors de 750 millions de masques à environ 99 millions de masques - je n'ai plus le chiffre exact en tête -, dont la date de péremption de cinq ans est sujette à caution.

Nous avons donc informé la DGS de la problématique des stocks stratégiques dans ce domaine de ces deux façons.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

François Bourdillon a très bien résumé une situation dont il a hérité. Pour bien comprendre la situation, il est utile de repartir de 2009, au moment de l'alerte mondiale sur le virus H1N1. Depuis, nous avons connu une évolution progressive, portée par un certain nombre d'experts. Il y a eu des enquêtes et notamment une commission d'enquête. Fallait-il disposer de masques FFP2 et de masques chirurgicaux ? Petit à petit, il y a eu une diminution des stocks de masques, notamment FFP2. La question de l'existence de ce stock peu ou pas sollicité et difficile à remplacer et à faire évoluer s'est posée. Quand l'Eprus a intégré Santé publique France, il n'y a eu aucune dégradation de la qualité de ses missions qui ont été pleinement reprises par Santé publique France.

Petit à petit, on a assisté en France à une évolution scientifique, historique, voire culturelle, marquée par deux évènements depuis que je suis directeur général de la santé.

En premier lieu, j'avais des échanges très réguliers avec François Bourdillon, souvent quotidiens, mais a minima hebdomadaires et en présentiel : nous nous voyions au moins tous les mercredis matins, lors de la réunion de sécurité sanitaire. Nos équipes ont également beaucoup échangé afin de lancer la réflexion demandée par les experts sur cette interrogation permanente depuis 2010 : à quoi sert ce stock de masques ? Est-il correctement utilisé ? Pourrait-il être utilisé de façon plus efficace et plus performante pour nos concitoyens ?

Agnès Buzyn et François Bourdillon ont lancé une très importante réflexion avec la signature d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) début 2018. Mon premier déplacement, dès janvier 2018, a d'ailleurs été pour Santé publique France. Nous avions parfaitement compris les enjeux : comment contribuer à une utilisation efficiente des stocks stratégiques - ceux de l'État - et tactiques - ceux des établissements de santé ? Il ne s'agit pas de faire des livraisons tous les jours depuis les stocks stratégiques, mais d'appuyer les stocks tactiques par les stocks stratégiques. Le COP de 2018 a donc permis de lancer ces importants chantiers.

Par ailleurs, nous avons mené une réflexion sollicitée par les experts : les Français ne portent pas suffisamment le masque ; comment l'encourager pour les malades et les personnes fragiles, notamment pendant les épidémies saisonnières de grippe ? Comment passer d'un stock isolé et dormant à un stock tampon et tournant qui vienne en appui avec des précommandes et qui sollicite des producteurs français pour fournir en priorité en cas de crise les stocks tant tactiques que stratégiques ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Merci, mais ce n'était pas la question. Veuillez répondre précisément à nos questions précises. La ministre a-t-elle été prévenue de cette stratégie : oui ou non ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Le 26 septembre 2018, Santé publique France a considéré que 60 % des stocks étaient non conformes ou périmés. Une note du 1er octobre fait état d'une très faible capacité logistique de Santé publique France à distribuer. Le 30 octobre, un total de 100 millions de masques est commandé avec l'autorisation de la DGS. Fin 2018, Santé publique France indique qu'il ne reste plus que 99 millions de valides qui arrivent à péremption en 2020. Les stocks étaient donc très faibles. Agnès Buzyn affirme qu'elle ne savait absolument pas où en étaient les stocks de masques. Avez-vous informé la ministre des décisions prises et de l'état du stock ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Mon prédécesseur, Benoît Vallet, a saisi Santé publique France le 19 avril 2017. Je n'ai pas connaissance d'un courrier de septembre 2018, mais un courrier du 3 octobre 2017 en réponse à la saisine du DGS fait état de ces non-conformités. J'ai réagi très vite et répondu le 30 octobre - c'est un courrier officiel que je pourrai vous transmettre - pour demander à Santé publique France d'acquérir des masques - un premier lot de 50 millions, puis une commande supplémentaire de 50 millions -, d'évaluer rapidement une capacité de production et d'approvisionnement en France et de tenir compte de l'ensemble des sollicitations faites par les experts. En effet, les experts s'étaient aussi positionnés sur d'autres sujets que les masques, car il n'y a pas que les masques dans les stocks stratégiques. Nous devions tenir compte des capacités d'approvisionnement et proposer en lien avec le COP quelle partie du stock devait être renouvelée et quelle constitution minimale devait être envisagée. J'ai donc eu des échanges très réguliers avec Santé publique France pour faire évoluer ces commandes et envisager ensemble l'évolution du stock. François Bourdillon vous dira s'il y a eu des échanges directs entre Santé publique France et la ministre ou son cabinet. De notre côté, nous avions des échanges bilatéraux lors de nos bilatérales et de nos réunions de sécurité sanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Certes, vous échangez entre vous de manière régulière, mais à quel moment le cabinet de la ministre a-t-il été informé ?

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Pour ma part, je n'ai eu de contact à ce sujet ni avec la ministre ni avec le cabinet de la ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

C'est donc clairement resté en interne entre la DGS et l'agence.

Sur l'acculturation au port du masque, nous avons entendu des messages très contradictoires.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

J'étais très attaché au sujet de l'acculturation. Nous avions communiqué fortement en 2019 à l'occasion de la pandémie grippale sur les mesures barrières notamment, or l'épidémie qui a suivi a été beaucoup plus faible. Nous étions donc un certain nombre à Santé publique France à penser qu'une stratégie de marketing social sur la promotion des mesures barrières - dont les masques « à la japonaise » - pouvait avoir un certain impact. La grippe est une préoccupation majeure à Santé publique France depuis que j'en ai pris la direction. Chaque année, nous constatons un excès de quelque 10 000 à 15 000 morts. Nous voulions promouvoir la vaccination et nos modèles montraient que 10 % de vaccination supplémentaire permettait de faire baisser de 500 le nombre de morts. Nous considérions qu'une campagne de marketing social pendant l'épidémie de grippe, associée à la campagne de vaccination, pouvait donc réduire le nombre de morts.

Nous partagions cette logique avec la DGS, mais cette dernière était plus favorable à une expérimentation visant à montrer l'efficacité d'une telle campagne. Quant à nous, nous considérions qu'une telle expérimentation était terriblement difficile et risquait de ne pas apporter de réponse. Nous avions eu le même débat sur la question du tabac avant de lancer la campagne « le mois sans tabac » : fallait-il commencer par une expérimentation dans trois régions ou pas ? Très courageusement, la ministre Marisol Touraine avait choisi de lancer une opération nationale, estimant que trop de retard avait déjà été pris. Santé publique France est donc favorable à la promotion des masques de manière générale, au travers d'une campagne de marketing social, tandis que la DGS favorisait une expérimentation.

Une agence sanitaire - c'est le cas aussi pour la DGS - est soumise à des crises de sécurité sanitaire en permanence : Ebola, attentats, Irma, et d'autres crises moins visibles. Tout cela coûte de l'argent ; quand il y a des difficultés, on tire sur les enveloppes de protection, puis sur celles de prévention. Je l'ai écrit dans mon livre : la sécurité sanitaire peut tuer la prévention, et même la protection. L'idée de stocks tournants était donc probablement une bonne idée, mais c'était de l'assurance. Le contexte n'a pas été vraiment favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Des entreprises étaient prêtes à fabriquer les masques, mais elles n'ont pas été pas sollicitées. Nous avons ensuite connu des difficultés pour trouver des masques. L'objectif de notre commission d'enquête n'est pas de réécrire l'histoire, mais de l'analyser et de faire des préconisations. C'est une faille qu'il faut combler pour que cela ne se reproduise plus. C'est pourquoi nous sommes vigilants sur la question de la transmission de l'information jusqu'au ministre afin que les décisions suivent.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Je partage avec François Bourdillon, en tant que responsables de santé publique, la même conviction : la solution est probablement citoyenne. Santé publique France a fait des efforts considérables sur le plan de l'éducation à la santé et de la prévention. Pour la première fois en France, nous avons un Plan national de santé publique, avec des actions de prévention qui reposent sur les bons comportements des citoyens : ils doivent devenir les acteurs majeurs de la prévention.

Souvenons-nous de tout ce qui a permis de sauver des millions de vies depuis le début du vingtième siècle. Mais tout cela s'oublie petit à petit. En tant qu'infectiologue, je suis frappé de l'apparition du VIH, après une décennie au cours de laquelle les experts mondiaux affirmaient que les maladies infectieuses avaient disparu. On a oublié que nos grands-parents étaient terrorisés par la poliomyélite, la tuberculose, des maladies qui faisaient des milliers de morts. On a oublié, on a baissé la garde, alors que la réponse est dans la prévention, dans l'éducation à la santé, dans les gestes barrières, ou encore dans la vaccination.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous partageons vos propos de santé publique, qui sont largement diffusés. Mais dans ce cas, pourquoi ce message flou sur l'intérêt du port du masque ? Pourquoi un tel retard ? À cause de la pénurie ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Non. Ce qui nous a guidés, c'est l'évolution des connaissances. Car il y a différents modes de transmission. En janvier-février, nous avons eu confirmation de la transmission manu portée, puis une confirmation de la transmission par gouttelettes. Nous avons donc adapté notre réponse au fur et à mesure. Il ne s'agissait pas de ma position personnelle, mais de la position des experts, puisqu'il s'agissait des recommandations internationales de l'Union européenne et de l'OMS puis d'avis scientifiques que nous avons sollicités.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Nous avons équipé en priorité les professionnels de santé et les ARS ont distribué très tôt des masques aux malades et à leurs contacts. Cela a été le cas dès le premier cluster, aux Contamines-Montjoie.

Dans cette crise majeure, nous avons assisté à un débordement lié à la pandémie - qui a surpris l'ensemble des experts par sa brutalité, sa gravité et son extension rapide -, à un dérèglement du marché - pour la première fois, l'ensemble du marché mondial s'est retrouvé en crise, et notamment les principaux producteurs -, à la décrédibilisation de la parole des experts - il y avait de telles divergences entre experts que l'on ne savait plus qui disait la vérité - et à la déstabilisation de certains. Notre message a été le suivant : les soignants doivent se protéger face au malade ; les malades doivent se protéger face à leurs proches. Je vous rappelle que les scientifiques ont alerté sur les risques de transmission aérienne en juin et que nous avons attendu l'avis de l'OMS en juillet. Le 2 août, le British medical journal a publié un tableau très clair sur le niveau de risque : comme le rappelle très bien le ministre, les niveaux de risques sont liés à la personne elle-même - plus on est fragile, plus on est à risque -, aux lieux bondés, aux lieux clos et à l'absence de mesures barrières. C'est vraiment ce message-là que nous avons voulu faire passer. Quand je disais - c'est cette partie de phrase qui a été retenue - qu'il ne fallait pas porter un masque tout seul dans la rue, c'était parce qu'à cette époque, début mars, nous avions de fortes tensions sur les masques. Santé publique France livrait en urgence - et de nuit ! - les masques aux établissements de santé et aux professionnels de santé, en particulier à ceux qui étaient les plus exposés dans les départements touchés, car il y avait des vols. Et dans le même temps, nous voyions des personnes porter des masques FFP2, voire FFP3, tout seuls dans la rue ou dans leur voiture ! Cela a peut-être été une expression très maladroite de ma part, mais je voulais dire : laissez les masques aux professionnels de santé, ils en ont vraiment besoin, et ne les portez pas quand il n'y a pas besoin de les porter.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Je note donc que la ministre n'a pas été informée des rapports faits par Santé publique France et transmis à la DGS et que les entreprises susceptibles de fabriquer des masques n'ont pas été sollicitées.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Je crois que le système a été contacté assez tôt, puisque nous avons eu des retours : certains producteurs ont répondu.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Ma dernière question a trait à l'information actuellement dispensée aux professionnels de santé afin qu'ils ne perdent pas de temps et puissent appeler des référents. Où en est-on ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Votre question porte à la fois sur la situation épidémiologique et sur la prise en charge. En ce qui concerne la situation épidémiologique, nous assistons actuellement en Europe, et particulièrement en France, à un rebond épidémique important. Le Premier ministre s'est exprimé la semaine dernière et a appelé à un sursaut collectif et à la responsabilité individuelle face au risque de deuxième vague. Aujourd'hui, la France est le pays d'Europe le plus touché après l'Espagne. La situation varie considérablement selon les territoires et elle évolue très rapidement.

Le dernier bilan de Santé publique France faisait état hier d'un impact important sur le système hospitalier, avec 759 malades graves hospitalisés en réanimation et un flux d'admission important : 2 700 nouvelles admissions à l'hôpital et 479 nouvelles entrées en réanimation en une semaine. Bien entendu, nous prenons en charge les malades du covid, mais aussi tous les autres malades, ainsi que les personnes âgées. Nous avons donc sollicité la collaboration des établissements publics comme privés. Il y a un énorme effort de transparence sur les données : aujourd'hui, tous les chiffres sont disponibles.

Les Français ont besoin de savoir comment la mortalité est surveillée en France. Il y a tout d'abord les décès déclarés à l'hôpital. Il y a ensuite les décès déclarés par les établissements sociaux et médico-sociaux, en particulier les Ehpad. Ces chiffres apparaissent dans le point épidémiologique que Santé publique France publie toutes les semaines. Il y a enfin les données de l'Insee, qui a fait un énorme effort de transparence et de réactivité et publie des données quotidiennes, mensuelles et trimestrielles. Vous avez donc toutes les données, jour par jour, du 1er janvier au 30 avril, et en particulier sur la durée de la première vague du 1er mars au 30 avril. En France, il y a en moyenne 1 800 décès par jour. Nous sommes malheureusement montés à un pic de 2 800 décès quotidiens lors du sommet de cette première vague. Nous avons déjà les premières données portant sur la période du 1er mai à la fin de l'été. L'Insee fait un effort considérable.

Je vous sais très attachés au rôle des territoires. Vous savez que ce sont les mairies qui transmettent les certificats de décès. Or nous avons un programme très important d'investissement pour développer le certificat électronique de décès. C'est un outil très utile de suivi quasiment en temps réel de la mortalité et donc des causes de mortalité. Nous avons besoin de cet outil de transparence et d'efficacité.

Le Premier ministre a demandé qu'il y ait une communication régulière. Vous avez vu que nous avions réalisé un nouveau spot de communication grand public ce week-end. À la demande du Président de la République et du Premier ministre, le ministre de la santé s'exprimera très régulièrement sur la situation et le partage d'information grand public. Nous utilisons plusieurs canaux pour diffuser l'information à destination des professionnels de santé : les messages « DGS-urgent », les sociétés savantes, le collège de médecine générale, des fiches, les avis publiés du HCSP. La Haute Autorité de santé (HAS) a également été massivement saisie sur de nombreux sujets de prise en charge. Nous avons collectivement beaucoup progressé avec les médecins généralistes, pour éviter l'hospitalisation ; avec les médecins hospitaliers, pour éviter le passage en réanimation ; et en réanimation, pour optimiser les chances du malade grave et éviter l'intubation grâce à de nouvelles techniques d'oxygénothérapie à haut débit. Nous avons démontré aussi que les éléments qui faisaient la gravité initiale du tableau - les micro-embolies pulmonaires, les embolies cérébrales, l'orage cytokinique, etc. - pouvaient être traités par des anticoagulants et la dexaméthasone. Nous partageons donc tous ces éléments et les médecins généralistes, qui constituent un maillon absolument clef de la prise en charge des patients covid aujourd'hui, sont évidemment très attentifs à l'ensemble de ces progrès. Ce partage se fait aussi en direction du conseil de l'ordre des pharmaciens, qui est un relais important vis-à-vis des officines et des personnes qui les sollicitent directement.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

L'augmentation de 1 800 à 2 800 ne nous éclaire pas suffisamment. Il nous manque encore une donnée : quelle a été la surmortalité à domicile liée au covid ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène

Elle a été de 1 800 selon une publication récente de l'Inserm. C'est le nombre de certificats de décès sur la période du 1er mars au 31 mai - je ne suis pas totalement certaine de la période - qui mentionnent la covid ; 900 d'entre eux, la mentionnent comme cause principale. Ce rapport est public et pourra vous être communiqué très rapidement. Je rappelle que ces données sont issues des certificats de décès dont 20 % seulement sont aujourd'hui électroniques. La couverture par la certification électronique est donc cruciale pour nous permettre d'avoir des données plus rapides et plus exhaustives, notamment sur les causes et lieux de décès. Aujourd'hui, nous sommes obligés de raisonner en termes d'excès de mortalité.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous partageons cette difficulté qui ne nous avait pas échappé.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Veuillez m'excuser de revenir sur la question des masques, mais je suis comptable et il y a des choses que je ne comprends pas : monsieur Bourdillon, devant les députés, vous avez regretté la croyance de nombreux responsables sanitaires dans la non-efficacité des masques pour le grand public, et vous aviez recommandé, bien avant la crise, de porter ce stock à un milliard pour se préparer à une éventuelle pandémie grippale. Monsieur Salomon, vous passez commande de deux fois 50 millions de masques : c'est donc vous qui estimez qu'un stock de 100 millions est suffisant ? Qui décide que le stock n'est que de 100 millions ?

Les experts évoluent dans leur jugement sur les masques. À ce moment-là, on a du mal à s'en procurer. Pourquoi ne pas avoir recommandé à la population de les fabriquer ? Pourquoi fallait-il qu'ils soient nécessairement chirurgicaux ou FFP2 ?

Aujourd'hui, les masques sont considérés comme nécessaires. De quel niveau de stock avons-nous besoin aujourd'hui en France ?

Les 2 et 6 avril, deux commandes de masques ont été saisies à l'aéroport de Bâle-Mulhouse : 1,3 million de masques commandés par Grand Est et 2 millions commandés par Bourgogne-Franche-Comté. Qui a ordonné ces saisies ? Qui a jugé que ces masques devaient aller vers les hôpitaux ? Les présidents de région avaient passé commande pour équiper les Ehpad !

Madame Pelletier, vous avez déclaré que l'établissement pharmaceutique de Santé publique France était intervenu à plusieurs reprises pour équiper l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle en masques chirurgicaux. Nous nous y sommes rendus lundi après-midi et les avons interrogés. L'équipe dirigeante nous a dit qu'elle disposait d'un stock conforme, renouvelé en 2019 et suffisant pour leurs besoins, notamment de personnels. Des masques de 2019 auraient même été remis à l'ARS. Les avez-vous vraiment équipés ?

Monsieur Salomon, comment avez-vous géré la crise entre hôpital et médecine de ville ? Entre public et privé ? De nombreux médecins généralistes auditionnés nous ont dit qu'ils avaient été seuls, oubliés et que la place de la médecine de ville n'avait pas été pensée.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Dans le rapport d'experts publié par Santé publique France, vous trouverez une annexe de Fabrice Carrat, professeur de santé publique, qui présente une analyse exhaustive des études sur l'efficacité des masques. Dans une logique purement scientifique, 80 % ou 90 % de filtration virale, cela n'est pas efficace ! Il y avait donc tout un courant de pensée qui considérait que le masque n'était pas vraiment efficace. Mais une autre logique est celle de la prévention diversifiée et de la réduction des risques. Prenons l'exemple du vaccin contre la grippe : il est efficace à 60 % ou 70 %, cela n'est pas extraordinaire, mais cela réduit quand même les risques. Si l'on combine plusieurs mesures qui ont chacune une efficacité de 60 %, on réduit la transmission. Cette logique de réduction des risques a vraiment un sens en santé publique, même si on n'est pas sur une efficacité maximale. S'agissant des masques grand public - ce discours est apparu en 2020, il n'existait pas avant -, nous sommes probablement à une efficacité de 50 % : il évite les postillons, mais pas forcément les aérosols. La réduction des risques a été promue par des personnes qui avaient une vision populationnelle et une vision historique avec le sida, mais ils n'étaient pas majoritaires.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Mais cette logique de réduction des risques existe depuis des lustres !

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Elle a existé sur le sida.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Souvenez-vous combien nous nous sommes battus pour promouvoir la prévention diversifiée à l'époque du sida !

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Je suis un partisan de la réduction des risques depuis le début. Je suis spécialiste de santé publique et spécialiste de maladies infectieuses. J'utilise des masques depuis trente ans. Avec toutes les équipes avec lesquelles j'ai travaillé, j'ai été un obsessionnel du port du masque, en particulier dans les épidémies puisque je gérais le comité de lutte contre les infections nosocomiales d'un CHU. Je suis donc dans le soutien absolu aux démarches de réduction des risques.

Ce n'est pas moi qui ai décidé du niveau du stock. Permettez-moi de vous lire ce qu'ont signé - page 23 du COP - François Bourdillon et Agnès Buzyn, qui étaient en pleine réflexion sur le cadre de la constitution et de l'emploi des stocks stratégiques pour la période 2020-2021 : « Contribuer, en vue d'éclairer les décisions futures des autorités sanitaires, à la réflexion et à la mobilisation de l'expertise sur l'adéquation optimale aux besoins des différents types de stocks ainsi que sur le statut de ces produits ; étudier en lien avec les tutelles les mutualisations et optimisations possibles concernant la gestion des plateformes de stockage, des équipements et des produits - achats groupés au niveau européen, mises en commun avec d'autres ministères, conditions d'acheminement, recyclage des produits avant leur date de péremption ... - ; mobiliser des réseaux d'experts pour produire à destination des ARS et l'établissement de santé des référentiels utiles à la constitution des stocks tactiques. » Il s'agissait donc d'une véritable réflexion globale sur le territoire national : que met-on dans le stock stratégique ? Où doit-il être ? Comment est-il utile en appui aux stocks tactiques ?

On voit bien que nous étions en pleine réflexion entre 2018 et, malheureusement l'irruption de la crise, pour aller vers des stocks roulants et distribués afin de limiter les pertes. Car acheter des masques et les jeter parce qu'ils sont périmés, ce n'est pas une solution quand on doit rendre des comptes à nos concitoyens.

Voilà : la réflexion était en cours ; François Bourdillon, puis Geneviève Chêne, l'avaient initiée. Le fait qu'on ait découvert début octobre 2018 qu'une part importante du stock était périmée était évidemment une mauvaise nouvelle pour Santé publique France comme pour nous.

S'agissant des commandes et de la mobilisation de nos producteurs français, deux éléments totalement exceptionnels ont eu lieu en janvier et février 2020. Premièrement, pour la première fois, une crise a touché l'ensemble du monde en même temps, et en particulier les gros producteurs. Deuxièmement, les besoins ont explosé, ce qui avait été probablement sous-estimé par tous les experts. En France, on consomme habituellement 3 à 5 millions de masques, mais nous sommes passés à des besoins absolument considérables, de l'ordre de près de 100 millions, ce qui n'était pas du tout envisagé - nous n'avions jamais imaginé que l'ensemble d'un établissement de santé devrait être équipé de masques.

Les masques FFP2 ont été réservés aux actes à risques et les masques chirurgicaux aux professionnels de santé. Les producteurs français se sont très rapidement mobilisés pour fournir ces masques, mais surtout pour créer cette nouvelle catégorie de masques que sont les masques grand public. Ils s'imposent petit à petit ; tant mieux, parce que c'est effectivement un outil utile. Nous n'avons pas voulu courir le risque, comme d'autres pays, que chacun fasse son masque, parce que les publications actuelles montrent que le niveau de filtration des masques peut être très varié entre une fabrication artisanale et un produit qui répond à des normes et pour lequel le producteur a une responsabilité au regard des exigences que nous avons posées sur le niveau de filtration.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Oui et non. On peut se sentir protégé, mais le masque que l'on porte protège plutôt les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Vous n'avez peut-être pas pris la décision, mais qui se satisfait d'un stock de 100 millions de masques ? Vous avez commandé deux fois 50 millions de maques : pourquoi n'en avoir pas commandé un milliard ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Les 100 millions de masques n'étaient pas un stock, mais une commande. À la fin de l'année 2019, le stock de masques chirurgicaux de Santé publique France était de 534 millions ; 110 ou 115 millions étaient immédiatement disponibles, comme l'a indiqué le Premier ministre : des masques pédiatriques et des masques qu'Olivier Véran a remis dans le stock puisqu'ils n'étaient périmés que depuis la fin de 2019. Plus de 160 millions de masques ont été réévalués par nos agences d'expertise et ont permis d'équiper le grand public.

Nous avons réalisé ces précommandes avec la volonté de mettre en place la distribution en appui aux stocks tactiques - qui sont aussi des stocks importants, puisqu'ils sont dans les établissements de santé. Nous n'avons pas décidé de réduire le stock à 100 millions : nous avons lancé une réflexion avec des experts pour savoir quel devait être le périmètre de ces stocks et s'il devait comprendre d'autres équipements de protection individuelle.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Le Président de la République et le Premier ministre ont fixé comme objectif à Santé publique France de reconstituer les stocks. C'est très important, car beaucoup, beaucoup de masques ont été distribués : 1,5 milliard de masques chirurgicaux, 191 millions de masques FFP2 et 11,4 millions de masques pédiatriques pour les groupements hospitaliers de territoire ; 976 millions pour les officines ; 485 millions vers les régions, départements et collectivités d'outre-mer et des flux spécifiques d'urgence, pour les pompiers en particulier, sans oublier la distribution vers les personnes précaires : 50 millions de masques chirurgicaux grand public et 50 millions de masques en tissu lavables.

L'objectif affiché est d'avoir un stock stratégique d'un milliard de masques ; ce stock sera reconstitué dans les deux ou trois prochaines semaines. La priorité était de distribuer ; nous le faisons aujourd'hui un peu moins, car les stocks tactiques ont été massivement reconstitués ; les stocks stratégiques le seront prochainement, ainsi que Geneviève Chêne devrait vous le confirmer.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Je confirme que le stock d'un milliard de masques sera reconstitué au plus tard fin septembre. Permettez-moi d'apporter deux précisions. La doctrine actuelle est que le stock stratégique est à destination des professionnels de santé ; cette doctrine a évolué depuis le début de la crise. Par ailleurs, sur les 4,6 milliards de masques commandés, 3,3 milliards ont été reçus et 30 % sont et seront fabriqués en France.

Debut de section - Permalien
Nicole Pelletier, directrice « Alertes et crises » de Santé publique France

S'agissant de la situation de l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, au début de la crise - entre janvier et mars -, nous avons, à la demande de la DGS et à travers la réserve sanitaire, organisé l'accueil des Français rapatriés de Chine avant le confinement. Les réservistes sanitaires étaient dotés de masques et nous avions organisé des stocks de masques à l'aéroport pour les arrivants. Nous n'avons donc pas reconstitué les stocks de l'aéroport, mais nous sommes venus en appui du service médical de Paris-Charles-de-Gaulle et de Paris-Orly pour accompagner ces rapatriements de voyageurs.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Sur la saisie d'État de Mulhouse, nous n'avons pas eu de réponse.

Quid de la gestion privé-public et des relations ville-hôpital ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Au cours des premières réunions avec l'ensemble des acteurs, nous avons bien évidemment associé les acteurs de ville, notamment le collège de médecine générale. Nous étions en contact permanent avec nos collègues en ville, notamment dans le Grand Est. Il n'a donc, bien évidemment, jamais été question d'exclure la médecine de ville de l'organisation.

Cependant, nous avons procédé à des adaptations du dispositif du fait de la gravité initiale de l'épidémie : le diagnostic était proposé dans les établissements de santé et tous les premiers cas devaient être adressés aux services de maladies infectieuses, pour isolement et diagnostic rapide. C'est l'organisation choisie en France depuis longtemps dans le début d'une prise en charge d'une maladie émergente : des circuits spécialisés et une structure nationale - le centre de coordination du risque épidémique et biologique - qui a formé des équipes d'hygiénistes, d'urgentistes, de réanimateurs et d'infectiologues pour accueillir les personnes contagieuses. Cela avait été le cas pour Ebola, pour le coronavirus du SRAS et pour celui du MERS-CoV. C'est une organisation qui fonctionne. Le médecin donne l'alerte ; une expertise de très haut niveau est faite par le SAMU en appui avec un infectiologue ou avec un expert national ; le malade est pris en charge dans un service spécialisé. C'était le circuit initial.

Sur la répartition public-privé, la directrice générale de l'offre de soins répondrait mieux que moi, mais il y avait évidemment la volonté de mobiliser tout le monde. Le privé a fait un très gros effort pour participer, soit en soutien de ressources humaines, soit pour offrir des blocs opératoires ou des salles de réveil.

Nous n'avons eu aucune volonté d'exclure la médecine de ville. J'ai beaucoup échangé avec des infirmiers et des médecins et certains ont été extrêmement actifs dans la prise en charge des malades. Le confinement a parfois eu un impact négatif sur l'activité des cabinets, notamment car les patients se sont autocensurés. Dans nombre de mes interventions lors des conférences de presse, j'ai insisté sur l'importance, pour les malades chroniques, les urgences de santé publique, la vaccination des nourrissons, la protection maternelle et infantile (PMI), le dépistage du cancer, de ne pas annuler les rendez-vous et de continuer à être suivi, afin d'éviter les pertes de chance. Nous analysons ce qui s'est passé avec les professionnels de santé, mais aussi avec les associations de malades qui nous ont fait part de leur volonté d'être davantage associées.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Cela ne s'est pas passé partout de façon aussi idyllique que vous le présentez !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Nous disposons de l'ensemble des informations nécessaires pour nous faire une opinion sur ce qui s'est passé avec les masques en 2018.

L'alerte, que Geneviève Chêne qualifie de très précoce, a été donnée au mois de janvier. Un premier échange entre Santé publique France et la DGS a lieu le 3 janvier, à la suite duquel une alerte, que vous qualifiez d'assez forte, est publiée. Le mois de janvier est jalonné d'évènements qui témoignent d'une alerte.

Au cours du mois de janvier, on apprend qu'il s'agit d'un coronavirus - on connaît les coronavirus, même s'ils n'ont pas tous les mêmes caractéristiques - ; sa transmission par voie respiratoire est donc établie. Il allait falloir alors, au minimum, protéger les personnes touchées et les professionnels de santé de la chaîne de soin par la fourniture, notamment, de masques. Il a fallu des semaines et des semaines pour qu'une doctrine sur les masques en grand public s'élabore. Bien entendu, en janvier, la doctrine n'était absolument pas que chacun porte un masque ; j'en ai bien conscience.

Une fois les alertes données, on se dit que vous allez commander des masques pour reconstituer le stock insuffisant. Vous avez fourni les chiffres, que Santé publique France confirme : vous en avez commandé 1,1 million le 30 janvier, une quantité très faible. Vous en commandez à nouveau 28,4 millions huit jours plus tard, le 7 février : un niveau significatif, mais pas très élevé non plus, alors que l'épidémie se profile. Il faudra attendre le 25 février pour qu'une commande de 170 millions soit réalisée, puis les commandes vont s'enchaîner à des niveaux très élevés. Pourquoi les commandes de janvier et de début février ont-elles été si tardives et si faibles ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la fin du mois de février pour passer une commande significative, alors que le marché mondial était déjà en grave déséquilibre, voire en situation de pénurie.

Monsieur Salomon, le 26 février au matin, vous avez participé à une table ronde au Sénat au cours de laquelle notre président Alain Milon s'est inquiété du manque de masques et de l'inflation des prix compte tenu du déséquilibre entre l'offre et la demande. Vous lui avez répondu : « Santé publique France détient des stocks stratégiques importants de masques chirurgicaux. Nous n'avons pas d'inquiétude sur ce plan. Nous ne distribuerons des masques que lorsque cela s'avérera nécessaire. Bien évidemment, nous privilégierons la distribution de masques aux malades et aux contacts dans les zones où le virus pourrait circuler. » Vous avez ajouté : « Il n'y a donc pas de pénurie à redouter ». Le 10 mars, le ministre de la santé a utilisé exactement la même expression : « Il n'y a pas de pénurie ». Or nous avons auditionné beaucoup d'acteurs de terrain et tous nous disent : il y a une pénurie ; on n'a pas eu assez ; nous n'avions pas les équipements de protection.

Le 26 février après-midi, j'ai interpellé le ministre de la santé lors des questions d'actualité au Gouvernement au sujet des professionnels de ville qui s'alarmaient de l'absence d'équipements de protection et de l'insuffisance du nombre de masques. Le ministre a été rassurant et a affirmé que des équipements de protection individuelle allaient être fournis. Or ils ne l'ont pas été. On le comprend bien en considérant l'état insuffisant du stock et le niveau des commandes des semaines précédentes !

Alors que l'alerte a été sérieuse et précoce, comment expliquer qu'il n'y ait pas eu de rapide mise en commande de masques ?

Alors que la carte d'identité du virus est diffusée vers le 10 janvier par les Chinois, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour commander des tests en nombre significatif ? Cela n'était-il pas prioritaire ? Quelle a été votre analyse ?

La création de l'Agence nationale de santé publique relevait de la volonté de doter notre pays d'une grande agence de santé publique. Le format actuel est-il abouti ou reste-t-il inachevé ? Se pose également la question de ses moyens, car projet de loi de finances après projet de loi de finances, nous nous émouvons de la réduction du nombre de postes dont est doté Santé publique France. Pour être le lieu où s'élabore notre stratégie nationale de lutte contre une épidémie, cette agence ne devrait-elle pas être dans une meilleure situation ? Ou d'autres lieux sont-ils à imaginer ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Je vais répondre aux questions sur les commandes de fin janvier. Je me permets de rappeler que la constitution et la gestion des stocks stratégiques dépendent d'une doctrine. Celle qui a prévalu pendant la décennie ayant précédé la crise prescrivait la constitution d'un stock de masques à destination du public et non des professionnels de santé. Ainsi, au début de la crise, il n'y avait pas de masques FFP2 dans le stock stratégique ; c'était le cas depuis plusieurs années, puisque les derniers masques FFP2 périmés avaient été détruits, à ma connaissance, au milieu des années 2010. C'était aux établissements et professionnels de santé de constituer un stock en la matière.

En second lieu, dans ce champ, Santé publique France agit pour le compte de l'État, sur instruction du ministre ou, par délégation, du directeur général de la santé. Ainsi, on a compris fin janvier, avec cette alerte, qu'il fallait constituer des stocks stratégiques pour les professionnels de santé, sur le fondement de la connaissance épidémiologique du moment ; certes, il y avait alors une alerte, mais on comptait trois cas. Je ne dis pas qu'il n'y en avait pas beaucoup plus - sans doute -, mais on ne pouvait pas documenter les cas autrement qu'au travers des remontées et des tests positifs.

Ainsi, nous avons activé fin janvier nos marchés afin d'obtenir 1 million de masques FFP2. Or le monde entier connaissait des tensions pour obtenir ces masques. Par conséquent, l'alerte a certes été très précoce, mais ce n'est pas le stock stratégique qui devrait être mobilisé en première ligne pour les professionnels de santé dans une telle situation, parce que, a priori, il existe des stocks dans les établissements de santé et chez les professionnels de santé. Néanmoins, le ministère a ensuite identifié des sources industrielles potentielles et nous avons été massivement mobilisés pour commander des quantités gigantesques de masques.

Je complète une réponse précédente ; le stock de 1 milliard de masques à destination des professionnels de santé, qui doit être constitué, correspond à dix semaines de crise intense, à raison d'une utilisation de 100 millions de masques par semaine, après utilisation du stock de trois semaines que les établissements doivent désormais détenir.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

C'est vous qui avez fourni les établissements, n'est-ce pas ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Oui.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Vous nous dites, d'un côté, que les masques n'étaient pas à destination des professionnels de santé et, de l'autre, que vous les leur fournissez...

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Pardon si je n'ai pas été claire.

La doctrine qui a prévalu de 2010 jusqu'à fin 2019 relative au stock stratégique de l'établissement pharmaceutique de Santé publique France consistait à détenir 1 milliard de masques destinés au grand public, aux cas positifs et à leurs contacts.

Pendant la crise, le stock stratégique que l'on a reconstitué était destiné prioritairement aux établissements et professionnels de santé, et ce ne sont pas les mêmes masques, puisque les professionnels de santé ont besoin de masques FFP2, qui ne sont pas appropriés pour le grand public, seul visé par la doctrine précédente. Il n'y avait plus de masques FFP2 dans le stock stratégique fin 2019, début 2020.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Selon la doctrine, il fallait en réalité à la fois des masques chirurgicaux et des masques FFP2. Ainsi, malgré le débat qu'il y a eu avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale sur la doctrine, l'interprétation que vous faites de cette dernière prête à discussion.

Par ailleurs, si je suis bien votre raisonnement, les alertes données au mois de janvier n'étaient pas suffisantes pour que vous changiez votre fusil d'épaule et que vous commandiez des stocks importants afin de protéger les professionnels de santé, puisque, selon vous, les professionnels de santé, notamment en ville, devaient avoir leurs propres stocks, ce qui ne correspondait pas à la réalité. On peut toujours édicter des règles, et l'abaissement du stock à 100 millions d'unités était bien lié à des changements de doctrine, mais, en réalité, on a abaissé drastiquement le nombre de masques et l'on n'a pas vérifié si les hôpitaux et les professionnels de ville s'étaient équipés ; de fait, ils ne l'avaient pas fait.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Faute d'instructions !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

En effet, merci de le souligner.

Vous interprétez donc la doctrine de façon restrictive.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Non, le changement de doctrine de 2013 est crucial. Il conduit à dire que le stock stratégique est pour la population et que, pour les salariés - professionnels de santé ou autres -, c'est aux entreprises, donc aux établissements hospitaliers, de prendre en charge l'approvisionnement. C'est considérable, car cela conduit à supprimer les masques FFP2 et, de manière générale, les masques destinés aux établissements de santé.

Quand la crise se déclenche, le stock stratégique n'est pas du tout adapté pour faire face à une crise hospitalière, puisqu'il n'est pas destiné à cela ; c'est aux hôpitaux de s'y préparer. Mme la directrice générale de l'offre de soins a déclaré devant l'Assemblée nationale qu'elle avait cherché la circulaire devant informer les hôpitaux et les professionnels de santé qu'ils devaient constituer un stock de masques, mais cette circulaire n'existe pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Ce que vous dites correspond effectivement à la doctrine de 2013, à l'exception du cas où survient un agent hautement pathogène, auquel cas, ce sont les pouvoirs publics, et non plus les employeurs, qui sont chargés de fournir les masques. Si l'on admet que nous faisons face à un agent hautement pathogène - avec plus de 30 000 morts dans notre pays, il me semble que c'est le cas -, c'était bien la responsabilité des pouvoirs publics de fournir ces masques, y compris dans le cadre de la doctrine.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Et ils devaient aussi s'assurer que les stocks étaient bien constitués ; qui s'en est chargé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Si je comprends bien, monsieur Bourdillon, d'une part, la doctrine a changé en 2013 - les établissements et professionnels de santé devaient dès lors se fournir en masques FFP2, car les stocks stratégiques concernaient la population - et, d'autre part, une circulaire aurait dû parvenir aux établissements. Par conséquent, où est passée cette circulaire et pourquoi la population n'a-t-elle pas eu de masques ?

Ensuite, contrairement à ce que vous affirmez, nous avons tous vu, dans les départements, des infirmières en larmes parce qu'elles n'avaient pas de protection et des gens aller au travail la peur au ventre. Vous étiez peut-être en relation avec les professionnels de santé, mais nous en avons aussi vu. Ne nous dites pas que tout était fait pour les protéger, c'est faux ; pendant longtemps, ils n'ont pas été protégés. Quant à la population, je le répète, elle n'avait pas davantage de masques ; on demandait aux malades sortant de l'hôpital de s'acheter des masques, mais leur pharmacien leur indiquait que les masques n'étaient pas pour eux. Je ne comprends plus rien à ce système...

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Je veux rassurer les Français sur certains points. Les masques FFP2 sont utilisés à l'hôpital et par certains dentistes. Or, depuis 10 ans, ces utilisateurs n'ont pas appelé Santé publique France pour lui demander de fournir leurs masques en cas de tuberculose ou dans d'autres circonstances. C'est important de le rappeler ; le fonctionnement quotidien des établissements et de nos professionnels de santé est, heureusement, tout à fait satisfaisant.

J'en viens à la question sur l'évaluation du risque et sur la réponse apportée. Il y a eu, sur l'évaluation du risque, énormément de divergences dès le début. Le ministère était plutôt dans une position de surévaluation du risque, tant avec Agnès Buzyn qu'avec Olivier Véran, qui ont été extrêmement attentifs au risque. Je le rappelle, Agnès Buzyn a écrit à l'ensemble des ARS pour demander à celles-ci de se mobiliser ; nous avons également écrit, très tôt, madame la rapporteure, aux établissements pour leur recommander de se préparer ; je pourrai vous donner les dates précises.

Vous parliez du mois de février, période un peu particulière. Quand on a commandé en urgence les masques FFP2, c'était pour protéger des projections nos équipes : celles qui sont allées à Wuhan et celles qui étaient présentes dans le centre d'hébergement de Carry-le-Rouet ou ailleurs. Ensuite, dès le 6 février, on a procédé à une commande importante de masques FFP2 ; dès le 7 février, me semble-t-il - donc très en amont -, on a demandé l'activation rapide du circuit de fabrication des lignes de production française. Par ailleurs, nous avions 534 millions de masques disponibles, périmés ou réévalués, en plus du stock de Santé publique France.

La notion d'agent « hautement pathogène » a perturbé tout le monde. L'« affolement provient en grande partie des exagérations de la presse, qui sait que la peur fait vendre. [...] Nous avons affaire à des évènements que la science elle-même peine à expliquer. [...] Dans ces conditions, brandir chaque jour le nombre de nouveaux cas et de morts comme un épouvantail ne sert qu'à provoquer des réactions disproportionnées par rapport aux risques réels qui, eux, ne peuvent qu'être négligés dans le même temps. [...] Le risque que le coronavirus chinois change les statistiques de mortalité française ou mondiale est nul. » Voilà ce qu'a écrit et m'a envoyé le Pr Raoult en mars dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Ne nous citez pas en réponse le professeur Raoult ; il vient également d'affirmer que le Gouvernement était atteint de bouffées délirantes. Donc, ses déclarations...

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Ce que je veux simplement vous dire avec cette citation est que l'évaluation du risque est difficile ; il faut le rappeler aux Français, nous sommes confrontés à une maladie qui n'est, heureusement, pas mortelle dans 99 % des cas. Le caractère « hautement pathogène » n'a donc rien à voir avec Ebola.

Il fallait à la fois évaluer les risques et y répondre de façon adaptée, et je crois que nous avons fait le maximum pour ce faire, tant pour les commandes que pour le déstockage. En effet, nous sommes allés chercher des masques là où nous en avons trouvé - cela fut un énorme effort parce que le marché était tétanisé - et le ministre nous a demandé de déstocker les masques, ce que nous avons fait très tôt. Santé publique France a fait des efforts considérables afin de fournir en urgence les territoires les plus touchés ; on a ainsi fait des livraisons en Savoie, dans l'Oise, de nuit... Il y a donc peut-être eu des difficultés, mais il y a eu des efforts considérables pour assurer les livraisons.

Par ailleurs, nous avons été confrontés à l'enjeu des stocks dans les établissements de santé et chez les professionnels de santé. Certains professionnels de santé étaient équipés - j'en connais qui ont continué de travailler à domicile, car ils disposaient d'équipements - et d'autres n'en avaient pas ; vous avez reçu nombre de témoignages et nous aussi. On a donc privilégié les groupes hospitaliers et les professionnels de santé des territoires les plus touchés, et nous sommes allés jusqu'à distribuer les équipements dans les officines ; il y avait ce double circuit. Nous avons donc commandé, cela a été dit, des masques FFP2, qui n'étaient plus dans le stock stratégique. La réponse a donc été rapide.

Elle l'a également été pour ce qui concerne les tests. En effet, l'ensemble des établissements de santé de référence de France étaient équipés, dès la première semaine de février, des moyens de diagnostic. La commande, non seulement de masques FFP2, mais encore de gants, de lunettes de protection, de surchaussures, de charlottes et de solution hydroalcoolique date du 7 février.

Ensuite, il y a eu le foyer des Contamines-Montjoie, au cours de la deuxième semaine de février, l'activation du plan Orsan Reb par Agnès Buzyn juste avant son départ du ministère et l'entrée en fonction d'Olivier Véran, qui a beaucoup insisté sur les tests. C'est lui qui a demandé que tous les cas de pneumonie grave ou de syndrome de détresse respiratoire aiguë présents dans l'ensemble des services de réanimation en France soient testés par rapport à la covid-19, afin que l'on ait une vision des cas graves sur l'ensemble du territoire. Il s'agissait d'une stratégie de recherche active de cas.

Ensuite, il y a eu le décès dans l'Oise puis l'identification de la circulation du virus dans ce département. À la fin du mois de février, on enregistrait 57 cas et deux décès en France. C'est à l'issue de cette situation que nous sommes passés en stade 2, le 29 février, et que le Gouvernement a interdit les rassemblements collectifs dans l'Oise.

Voilà le résumé de cette période un peu particulière qu'a été le mois de février, période très active, avec de nombreuses actions, tant de commande que de vérification des stocks et de début de déstockage, puisque le déstockage a été demandé le 1er mars, en donnant la priorité aux territoires les plus touchés.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Comment expliquer la distorsion entre vos propos, selon lesquels il n'y avait pas de pénurie, et le fait que les professionnels de santé en ont constaté une ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Il y a eu de très fortes tensions, c'est vrai ; je sais que certains professionnels ont manqué de masques et c'est absolument dramatique, je le concède ;...

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

mais il est également important de dire que beaucoup de professionnels ont travaillé dans de bonnes conditions parce qu'ils avaient été livrés.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Que pouvez-vous nous dire sur l'organisation de la santé publique, monsieur Bourdillon ?

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Je m'exprimerai sur l'organisation de l'agence, car la santé publique serait un sujet très vaste.

Santé publique France est une agence toute nouvelle, que j'ai créée. Son organisation est, selon moi, aujourd'hui fonctionnelle. Se pose également la question des moyens ; on compte à peu près 650 agents à Santé publique France. En Angleterre - je parle bien de l'Angleterre seule et non de la Grande-Bretagne -, il y a 8 000 personnes ; voilà le fossé dans l'investissement public entre chez nous et outre-Manche.

Maintenant, quels sont les manques en matière de santé publique ? Considérons les situations sanitaires exceptionnelles, dont fait partie la situation actuelle ; ce qui fait probablement le plus défaut, pour en avoir discuté avec Santé publique France, c'est la taille des cellules régionales. Ces cellules sont chargées de l'épidémiologie régionale - cela permet à Santé publique France de ne pas être aveugle - et des investigations ; chacune d'elles compte entre 5 et 10 personnes, ce qui est, à mon sens, totalement sous-dimensionné pour faire face à ce genre de situation et pour procéder correctement aux investigations.

Sur l'expertise, l'Europe procède à des évaluations rapides du risque, ou risk assessment. Je me demande si l'agence ne devrait pas également mener, de manière officielle et transparente, du risk assessment rapide, c'est-à-dire disposer d'une expertise publique mobilisable rapidement et qui permette d'alerter le Parlement et les autres acteurs.

En ce qui concerne les stocks, on est repassé d'un stock pour la population à un stock stratégique. Un stock stratégique centralisé me semble plus à même de répondre à la diversité des situations que, par définition, on ne connaît pas, de manière à pouvoir répondre à l'urgence, que cela concerne l'hôpital, la ville ou une entreprise, en étant le plus réactif possible. Au-delà de la pandémie grippale, la centralisation de l'estimation des besoins me paraît importante.

Par ailleurs, l'établissement pharmaceutique et les réservistes sont dimensionnés pour être des fonctions dormantes. L'établissement pharmaceutique représente moins de 10 personnes, dont 2 sont affectées à la logistique. Si l'on conduit un travail important d'acquisition de masques, on fait appel à des réservistes sanitaires alors que l'on aurait besoin d'un minimum de structuration.

Pour ce qui concerne la fonction de prévention, Santé publique France est très sous-dotée. La prévention contre l'alcool, la drogue et le tabac représente moins de 10 personnes, alors qu'il s'agit des principaux déterminants de santé et c'est à peu près équivalent pour la nutrition. On aurait vraiment besoin de compter plus d'experts et d'agents opérationnels chargés du marketing social. En outre, il faudrait investir les populations ; on a commencé de le faire pour les personnes âgées et la petite enfance, mais c'est très insuffisant pour correspondre aux critères des grandes agences de santé publique.

Enfin, si j'avais une recommandation concernant la surveillance, je dirais que l'accent doit être mis sur l'environnement ; le rêve des environnementalistes serait d'avoir, à l'instar de la plateforme de données en santé (health datahub), un datahub en environnement, afin de croiser les données de santé et les données d'environnement. Néanmoins, cela impliquerait, là encore, de disposer des ressources pour mener les études et identifier les liens entre facteurs d'exposition et état de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je souhaite revenir sur l'audition de Mme Buzyn à l'Assemblée nationale au mois de juin.

L'ancienne ministre faisait part d'un problème relatif aux stocks stratégiques concernant d'autres produits que les masques. Elle n'a pas voulu les citer, pour des raisons de confidentialité. Sans connaître le nom de ces produits, le stock a-t-il été reconstitué ?

Vous avez mentionné, monsieur le directeur général de la santé, des courriers adressés aux professionnels de santé de ville, mais ces communications ne présentaient pas réellement de stratégie. Pour avoir été confronté, en début de crise, comme médecin, à des situations délicates relatives à des personnes arrivant de foyers de contamination, je peux affirmer que l'on n'avait pas d'interlocuteur identifié et qu'il était compliqué de trouver les centres de test ; on ne savait que faire de nos malades à risques. Une stratégie a-t-elle été définie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Personne ne doute, je pense, de la mobilisation de vos équipes pour acheminer le matériel.

Cela dit, je suis très étonnée, car vous affirmez que la crise a été prise en compte de manière très sérieuse dès la fin de janvier ; si cette prise de conscience a eu lieu si tôt dans vos instances, il y a alors eu un retard dans les décisions politiques, le circuit n'a pas dû aller à son terme. Je ne comprends pas le retard dans la mise en oeuvre des mesures à prendre, d'autant que nous avons tous constaté des pénuries.

Le but de nos auditions est, certes, de comprendre ce qui a dysfonctionné, mais c'est surtout de savoir comment faire face aux futurs évènements. Or vous ne me rassurez pas du tout ; aucune leçon ne semble tirée.

Ce matin, d'éminents professeurs nous ont décrit le problème relatif aux masques. Ainsi, le professeur Antoine Flahault nous a indiqué que, le 26 janvier, l'on manquait de masques à Wuhan ; ou s'était débrouillé pour en fabriquer. C'était, selon lui, ce qu'il fallait faire, mais la France favorise trop le modèle biomédical de perfection. Je veux bien que l'on me parle de doctrine, mais est-ce que l'on rectifie le tir ? Dans les écoles de ma ville, chaque enseignant dispose de 5 masques pour l'année, en tout et pour tout...

Par ailleurs, il y a un manque de coordination entre Santé publique France et la direction générale de la santé. Les deux instances se parlent, mais les décrets ne paraissent pas. Le président de la conférence nationale de santé publique, le professeur Emmanuel Rusch, nous a indiqué que cette instance ne s'était pas tenue pendant un an, qu'elle s'est reconstituée en février et que, depuis lors, elle ne s'est réunie que sur son autosaisine.

Enfin, monsieur Salomon, vous avez été, de 2013 à 2015, conseiller chargé de la sécurité sanitaire auprès de Marisol Touraine, quand celle-ci était ministre de la santé. Vous avez donc une responsabilité particulière dans la gestion des stocks périmés. J'ai l'impression d'une bureaucratie qui bloque les décisions politiques nécessaires. Il n'est pas responsable de rejeter les responsabilités sur les individus ; c'est vrai, il y a une responsabilité individuelle, mais il y a d'abord la responsabilité de l'État pour équiper la population et les professionnels de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Je ne suis pas très convaincu par ce que j'entends depuis deux heures et demie. L'autocritique ne fait visiblement pas partie des pratiques des personnes que nous recevons aujourd'hui.

Monsieur Salomon, vous dites avoir répondu de façon adaptée, précoce, rapide ; donc, finalement, tout s'est bien passé ! Pourtant, il y a eu plus de 31 000 morts...

Au début de la crise, les masques n'étaient « pas utiles », mais ils le sont ensuite devenus et vous justifiez ce changement de doctrine par le fait que les experts ont changé d'avis. Dans l'Oise, une gendarmerie de mon canton a fermé - c'est rarissime - parce que presque tout son effectif était sur le flanc ; il y avait en fait un problème de masque. Or j'ai constaté que toutes les forces de l'ordre du monde entier étaient équipées de masques ; elles avaient donc désobéi aux experts mondiaux ou peut-être est-ce vous qui aviez mal compris leurs recommandations... Donc ne regrettez-vous pas votre position sur le port du masque ? Vous avez parlé de masques « faussement protecteurs » ; réemploieriez-vous cette expression ?

Par ailleurs, vous avez parlé de courriers adressés aux ARS entre le 10 et le 14 janvier. Pourriez-vous nous en adresser la copie ?

Enfin, quand nous étions en pénurie de masques - non « en tension » -, le Gouvernement a envoyé des masques et d'autres tenues de protection en Chine. Cela fait désordre.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Monsieur Salomon, vous avez évoqué les anticorps protecteurs et les réinfections. Quelles sont les orientations stratégiques en matière de recherche dans ce domaine ? Le professeur Rusch nous a indiqué ce matin qu'il y avait une cannibalisation entre équipes pour toucher les financements octroyés. Quel intérêt portez-vous à l'élaboration d'un futur vaccin ?

Ma seconde question s'adresse aux différents représentants de Santé publique France. Je veux comprendre ce qui s'est passé dans la chaîne de commandement : comment les décisions sont-elles prises pour l'envoi de professionnels dans les territoires ? Comment agissez-vous pour estimer les besoins et pour définir la réponse ? Comment évaluez-vous les actions menées au retour de vos équipes ? Recourez-vous à des professionnels en cumul emploi-retraite ? Beaucoup de professionnels se portent volontaires ; comment évaluez-vous leurs compétences ?

Enfin, en matière de prévention, avez-vous des contacts avec les instances régionales d'éducation et de promotion de la santé (Ireps) ? Quel rôle ces instances joueront-elles en cas de rebond de l'épidémie ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Voilà une première salve de questions ; je vous demande de bien vouloir y répondre en 3 minutes chacun.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Au sein du stock stratégique, il n'y a pas que des masques, en effet, il y a aussi des anti-infectieux, des antibiotiques, des antiviraux ou encore des vaccins. Il y a une stratégie européenne de réponse et de coopération et nous disposons des moyens de réponse aux nouveaux risques, car il n'y a malheureusement pas que les maladies infectieuses ; on a pu citer l'ouragan Irma, le terrorisme, le risque nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) ou encore l'accident grave de l'usine Lubrizol de Rouen. Le stock stratégique doit permettre de répondre à ces risques.

La stratégie est claire depuis le début ; elle a même été énoncée par le Président de la République.

Il s'agit, en premier lieu, de renforcer la prévention, au travers des gestes barrières, ce que j'appelle la responsabilité individuelle. À cet égard, je me suis peut-être mal exprimé ; je ne dis pas que des gens sont responsables de leur sort, je dis que les citoyens sont des acteurs majeurs de la prévention, il n'est pas question de leur renvoyer la responsabilité.

En second lieu, il s'agit de protéger les personnes les plus fragiles, les personnes âgées.

En troisième lieu, nous avons mis en place une logique de tests, d'alerte des cas contacts et de protection des proches par l'isolement ; nous pourrons développer si vous le souhaitez.

En quatrième lieu, enfin, il y a une déclinaison de mesures territoriales - le Premier ministre en a parlé -, en lien avec les élus locaux et les territoires, afin d'adapter la réponse aux situations locales.

Ainsi, je le dis pour les médecins, la priorité des tests est bien affichée maintenant : une demande de test par un médecin reçoit une priorité numéro un ; il est demandé aux laboratoires d'examiner en premier les personnes symptomatiques, celles qui sont envoyées par leur médecin et les personnes contacts. C'est clair et cela a été énoncé par Olivier Véran.

Madame Cohen, merci de votre hommage aux équipes ; autant on peut critiquer les systèmes et les difficultés que nous avons rencontrées, autant on peut rendre hommage, je crois, à l'ensemble des personnes mobilisées sur le terrain ; je ne parle pas que du ministère, je pense à toutes les personnes qui se sont dévouées nuit et jour pour essayer de résoudre cette crise.

Vous avez parlé, madame, de la mobilisation des politiques. Je ne suis pas politique - je suis responsable d'une direction d'administration centrale -, mais je peux vraiment vous garantir que les politiques ont été très mobilisés sur ce sujet. C'est factuel ; la visite du Président de la République et celle du Premier ministre ainsi que les nombreuses réunions - tout cela était public - montrent bien que nous avons vraiment mobilisé les plus hautes autorités de l'État, très tôt.

Ce qui est difficile à faire, c'est la comparaison entre territoires. Je le dis souvent avec une immense modestie : d'abord, la crise n'est pas terminée et, surtout, on ne sait pas pourquoi certains territoires ont été très touchés et d'autres, non. Je peux vous l'assurer, le Haut-Rhin n'a pas démérité ; il a probablement été frappé en raison de la présence de foyers majeurs, mais je ne sais pas expliquer pourquoi l'Ariège ou la Lozère sont moins touchées. Cela nécessitera des recherches de longue durée.

Ce qu'il s'est passé en France, c'est que le « R0 », cette fameuse vitesse de propagation, a été rapidement abaissé, mais il ne l'a pas été assez pour que l'on atteigne un niveau de maîtrise de l'épidémie. Le confinement a été efficace, vous le savez, mais il a malheureusement été extrêmement douloureux.

J'en tire de très nombreuses leçons. Je vous présente d'ailleurs mes excuses si vous avez l'impression que je suis dans l'autosatisfaction, ce n'est absolument pas l'idée, je suis très conscient de toutes les difficultés que nous avons éprouvées. Il faut être capable de tirer toutes les leçons de la première vague, en particulier pour l'optimisation de la prise en charge des malades covid, pour la prise en charge parallèle indispensable des malades non-covid et pour la grande attention tant à l'égard des personnes âgées - une leçon très importante - que de la santé mentale de nos concitoyens - nous avons ressenti un impact fort dans ce domaine.

Par ailleurs, je ne sais pas si nous sommes allés trop loin, mais, objectivement, si l'on proposait un masque chirurgical ou un masque grand public à une infirmière de réanimation, je pense qu'elle ne l'accepterait pas et c'est tout à fait légitime. Nous avons essayé de prioriser les livraisons de masques FFP2 aux établissements à haut risque et de masques chirurgicaux aux professionnels de santé.

Je ne me prononcerai pas sur l'éducation nationale.

Je laisse la question de la coordination de l'expertise à Santé publique France.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Ma réponse la plus importante porte sur l'autocritique, qui est évidente. Nous avons eu, comme tous les pays du monde, des difficultés, peut-être plus sur certains domaines, peut-être moins sur d'autres. Il y a eu un effort considérable de nos soignants, nous avons soutenu massivement des évacuations sanitaires - nous sommes le seul pays à l'avoir fait -, notamment de 650 malades de réanimation. Nous sommes montés de 5 000 lits à 7 200 malades pris en charge en réanimation, dans de bonnes conditions, avec un effort considérable de recherche. Il y a eu de magnifiques gestes de solidarité pendant cette crise et certaines choses n'ont pas fonctionné, je le dis devant vous ; il faudra travailler sur certains sujets. Nous sommes dans une logique de retour d'expérience, de partage avec les professionnels de santé pour tirer toutes les leçons de cette première vague.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Les évacuations sanitaires dans des territoires où les cliniques privées ne sont pas mobilisées, avouez que cela peut être mal interprété...

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Sur le périmètre de Santé publique France et sur les stocks stratégiques, je n'ai plus en tête ce que disait Mme Buzyn lors de son audition devant l'Assemblée nationale, mais je peux expliquer comment les choses se passent. Il y a des échanges réguliers entre la direction générale de la santé et Santé publique France, notamment à propos des stocks. Santé publique France agit pour le compte de l'État, sur le fondement d'une saisine.

Selon les évaluations dont je dispose, fin 2019, début 2020, les commandes et le contenu du stock stratégique à Santé publique France étaient conformes aux demandes de l'État. Je partage le constat sur les difficultés d'approvisionnement, il n'est pas question de les nier ; il y a eu des difficultés à se procurer les masques en quantités nécessaires. Je veux souligner aussi la réactivité des équipes de Santé publique France pour passer les commandes le plus vite possible afin de distribuer les produits le plus vite possible. Cela n'a sans doute pas été suffisant...

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

mais, dans notre périmètre d'action - après le sourcing et après la saisine -, nous avons fait notre possible. Ces aspects sont à prendre en compte pour la suite. Aujourd'hui, au regard de la doctrine actuelle, les stocks pour les professionnels de santé sont largement reconstitués.

La conférence nationale de santé compte un représentant de Santé publique France, mais nous ne pouvons pas saisir cette instance. Cela dit, je suis tout à fait d'accord, la démocratie sanitaire n'a sans doute pas été assez mobilisée lors de cette crise. L'idée n'est pas de rejeter la responsabilité sur les autres. On suit une logique de promotion de la santé et de prévention ; chacun doit jouer son rôle, y compris les institutions et les agences sanitaires.

J'en viens à la question sur la chaîne de commandement. Le ministère de la santé se charge du sourcing, de l'identification de l'ensemble des fournisseurs possibles, il prépare ensuite la saisine de Santé publique France, que nous recevons. Nous procédons alors aux négociations, aux commandes, à la signature des contrats, au suivi de l'approvisionnement, à la réception de la livraison sur le territoire - il s'agissait souvent de fournisseurs chinois - et à l'organisation de la chaîne logistique, jusqu'aux groupements hospitaliers de territoire et aux grossistes répartiteurs. Cela a représenté une organisation gigantesque, puisque 100 millions de masques ont pu être distribués. Je ne dis pas que cela s'est passé suffisamment tôt, mais nous l'avons fait pendant plusieurs semaines et, aujourd'hui, nous pouvons le réactiver autant que nécessaire.

Enfin, pour ce qui concerne la prévention, axe très important, Santé publique France est une agence nationale, donc nos interlocuteurs sont non pas les Ireps, mais la Fédération nationale d'éducation et de promotion de la santé (FNES), qui les coordonne, et les ARS, ainsi que nos cellules régionales. Notre dialogue avec la FNES nous a permis de fournir des outils et d'avoir un retour du terrain pour préparer les étapes suivantes.

Debut de section - Permalien
Nicole Pelletier, directrice « Alertes et crises » de Santé publique France

La chaîne de commandement a été bien décrite. Une chaîne logistique gigantesque - le terme est approprié - a été mise sur pieds pour faire parvenir ces millions, voire ces milliards, de masques et d'équipements de protection individuelle. Beaucoup d'équipes ont travaillé nuit et jour pour faire parvenir ces masques. Il ne s'agit pas d'autosatisfaction, on aurait peut-être pu faire mieux ; on organisera justement un retour d'expérience pour en tirer les meilleures conclusions.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France

Pour que tout le monde comprenne bien, il y a une indépendance scientifique à Santé publique France et, pour ce qui concerne la fonction d'établissement pharmaceutique, cette agence agit strictement en tant qu'opérateur de l'État. Santé publique France a beaucoup travaillé pour l'approvisionnement en masques depuis le mois de janvier.

Par ailleurs, je veux dire que les relations avec l'Ireps de Guadeloupe étaient, à mon époque, excellentes ; j'apprécie beaucoup cet Ireps, qui a agi de manière très active sur le sujet de la chlordécone.

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Je ne doute pas de la bonne volonté des uns et des autres.

Toutefois, sur les masques, n'aurait-il pas fallu communiquer en disant : « Fabriquez vous-mêmes vos masques, mais sachez que vous ne serez pas entièrement protégés » plutôt qu'en disant : « N'en mettez pas du tout » ? Il y avait urgence, il y avait des vies en jeu. On aurait pu préconiser de faire des masques en tissu, en précisant le type de tissu et le mode de confection. Cela aurait permis d'éviter certaines contaminations.

Vous avez mentionné, professeur Salomon, l'alerte par les cas graves. En Allemagne, l'alerte se faisait par les tests. Ne serait-ce pas préférable ? L'alerte par les cas graves entraîne un retard par rapport et, de fait, en Allemagne, cela s'est mieux passé.

Santé publique France a un département alerte et crise. À qui s'adresse l'alerte ? Est-ce à ceux qui ont le pouvoir d'agir ? En quoi consiste-t-elle ? Quelle est la chaîne de transmission de cette alerte ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Je veux revenir sur la doctrine relative aux masques, qui nous a semblé évoluer au gré du vent. Monsieur Salomon, pouvez-vous confirmer que la doctrine a évolué à mesure des connaissances ? Est-ce la seule raison ? Je ne le pense pas, car, pour éviter la transmission du virus, le masque s'imposait dès le départ aux équipes médicales et soignantes. Par ailleurs, quid du volet préventif que le Président de la République a souvent rappelé ? Est-ce une question de moyens ?

Comment avez-vous décliné la distribution, par les ARS, des masques aux professionnels ?

Comment avons-nous pu laisser les professionnels de santé travailler sans masque ou avec des masques périmés ? Je pense aux soignants, mais aussi aux aides à domicile, aux dentistes, aux forces de l'ordre, aux professionnels libéraux. Les FFP1 sont arrivés au mois de mars...

Enfin, il y avait 5 000 respirateurs au sein de l'Eprus. Que sont-ils devenus ? Les a-t-on injectés dans le stock stratégique et les a-t-on utilisés ? A-t-on puisé dans les stocks NRBC que nous avions dans les établissements de santé ? Dans quelle mesure ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Ma première question porte sur la divergence entre ce que vous dites et ce nous avons constaté sur le terrain. Le décret portant sur la reconnaissance des maladies professionnelles a été publié ; or les soignants, s'ils n'ont pas été oxygénés, ne bénéficieront pas de cette reconnaissance. De même, tous ceux qui s'occupaient des autres - services d'aide à domicile, foyers de travailleurs ou de migrants - n'avaient aucune protection. Vous mentionniez des retours d'expérience avec les professionnels ; ce n'est pas seulement avec eux qu'il faut le faire, c'est avec tout le monde, avec les citoyens et les élus.

Vous affirmez qu'il ne faut pas de masques FFP2 pour la population ; je n'en suis pas sûre, les maires, certains citoyens, n'en ont-ils pas besoin ? On voit, au travers de cette audition, que l'État ne se remet pas en cause et que sa crédibilité dans la gestion de la crise sanitaire se pose. Pourquoi n'a-t-on pas mis en oeuvre le plan Pandémie ?

J'en viens au rôle de Santé publique France et à la coordination avec la DGS. Nombre de maires nous ont dit qu'ils ne connaissaient absolument pas Santé publique France et que cette agence ne s'occupait certainement pas de logistique. Les masques destinés au département du Rhône ont par exemple été expédiés en Maine-et-Loire et on a attendu quinze jours pour les récupérer. Il y a un véritable problème, à l'échelon non des territoires, mais de l'organisation de l'État.

Mme Buzyn a déclaré à l'Assemblée nationale que la gestion des stocks stratégiques de masques relevait non pas du ministre, mais de Santé publique France. Elle a assuré ne pas avoir eu connaissance du courrier adressé par celle-ci à la direction générale de la santé, en septembre 2018, qui faisait part de la péremption d'une part importante du stock. En outre, la doctrine précisait bien qu'il fallait 1 milliard de masques. Elle a d'ailleurs indiqué qu'elle avait reçu une note. Cela signifie donc que des fonctionnaires d'État n'ont pas vérifié les stocks.

Le rôle des fonctionnaires d'État consiste à définir et à mettre en oeuvre les politiques publiques, mais aussi à en suivre l'application, sans quoi personne n'a plus de responsabilité et on ne sait plus qui fait quoi.

Que pensez-vous de la déclaration de Mme Buzyn selon laquelle il faudrait remettre en cause le rôle des agences sanitaires ? Selon elle, apprendre en 2018 qu'une partie des stocks est périmée pose le problème de la dilution des compétences en gestion de crise et réduit peut-être la réactivité des agences. Elle ajoute qu'il faudrait une agence dédiée aux crises en général. Pourquoi n'a-t-elle pas été informée de cette péremption des stocks en 2018 ? Par ailleurs, de 2018 à 2020, qu'est-ce qui a été fait pour reconstituer ces stocks ? Qu'ont fait les fonctionnaires chargés de vérifier les stocks ?

Quant aux masques, vous nous dites : « afin d'éclaircir l'évolution sur les stocks stratégiques, afin de mobiliser toutes les compétences, afin de mettre en oeuvre l'adéquation optimale des moyens d'intervention ». Vous nous parlez d'études stratégiques, mais vous semblez avoir hésité quant aux produits périmés, vous être demandé si la doctrine était toujours la même. Selon M. Bourdillon, les experts n'auraient pas compris le changement de doctrine. Mais qui fait la doctrine ? Est-ce le directeur général de la santé, Santé publique France, ou bien le ministre de la santé ?

Vous nous avez dit espérer avoir 1 milliard de masques à la fin du mois, mais de combien de masques de différentes catégories disposez-vous à ce jour ? Vous devez le savoir !

Au début de la crise, alors qu'on savait qu'il s'agissait d'infections respiratoires, les masques étaient réservés aux soignants, mais certains d'entre eux nous ont dit avoir donné leurs masques aux patients de réanimation qui ne les avaient pas mis eux-mêmes. Pourquoi n'a-t-on pas dit aux gens de se protéger, même avec des foulards ou d'autres textiles ? Pourquoi le principe de précaution n'a-t-il pas été mis en oeuvre en la matière ?

Enfin, quelle est l'organisation actuelle des stocks, y compris des stocks de médicaments, sur lesquels il y aurait de graves tensions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Boulay-Espéronnier

Concernant les certificats de décès, qui quelque chose a-t-il été mis en place depuis mai dernier pour les informatiser ?

J'ai lu qu'il y avait à ce jour 12 000 lits de réanimation, mais le personnel soignant est-il en proportion ? Où en est la réserve sanitaire ?

Enfin, y a-t-il une Europe de la crise sanitaire ? L'Europe est-elle au rendez-vous ?

Je me souviens par ailleurs que, le 11 mars, j'ai participé à une cérémonie officielle au Trocadéro en tant que parlementaire de Paris : les informations sanitaires que nous avions reçues étaient très faibles ; nous étions assis les uns à côté des autres, sans masques. À l'évidence, il y a un problème de communication gouvernementale, une semaine avant le confinement.

Debut de section - PermalienPhoto de Martin Lévrier

Concernant la reconstitution actuelle des stocks de masques, vous avez évoqué une logique d'achat auprès de l'industrie française. Quelle proportion des achats effectués à ce jour l'est auprès de fournisseurs français ? Surtout, quelle sera la pérennité de ces commandes ? Pour combien de temps vous engagez-vous auprès de ces entreprises ?

Quant aux délais d'attente actuels pour les tests, M. Véran a parlé hier de régulation. Quelles contraintes claires y aura-t-il ? Les laboratoires qui ne respecteraient pas les délais pourraient-ils être sanctionnés ? Pourrait-on réserver les remboursements aux tests effectués en temps et en heure ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Nous avons une mission de contrôle de la mise en oeuvre des politiques conduites sous l'autorité du Gouvernement. Or on constate un manque de clarté, de visibilité et de fluidité. Je crains que nos concitoyens ne se posent plus de questions après avoir écouté cette audition qu'auparavant.

Pouvez-vous, à cet instant, nous communiquer un plan d'action structuré de déploiement et de mise en oeuvre des moyens dont l'État disposerait pour combattre efficacement la pandémie sur la totalité du territoire français, un plan qui préciserait ce qui incombe à chaque acteur du système du santé, de l'hôpital à tout le personnel médico-social ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Quand cette commission d'enquête a été créée, nous ne savions pas dans quel état allait se trouver le pays à la fin de l'été. Aujourd'hui, vous avez une responsabilité particulière : le pays est très inquiet et n'a plus confiance dans la parole publique. Or vous êtes en train de rater l'occasion de parler clairement. Vous avez nié la pénurie de masques. Pourquoi n'est-il jamais possible de reconnaître a posteriori qu'on s'est trompé, qu'on n'a pas dit la vérité ? Vous êtes quelqu'un de très écouté, monsieur Salomon, vous avez un rôle à jouer pour que les Français aient confiance dans la résolution de la crise : il faut que vous décidiez d'être clair !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Je rajouterai deux questions sur les masques réquisitionnés par l'État : combien y en a-t-il eu ? Cette stratégie a-t-elle été efficace ?

J'insiste moi aussi sur la nécessité d'être clairs et de redonner confiance. La Belgique vient d'annoncer une quarantaine obligatoire pour toutes les personnes arrivant des départements du Nord ou du Pas-de-Calais !

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Madame Jasmin, la recherche française a été de grande qualité : on peut saluer les efforts de notre communauté scientifique.

Concernant la distribution des masques, le premier déstockage a été validé le 2 mars ; nous tenons à votre disposition tous les messages échangés en la matière. Nous sommes tous mobilisés pour éviter une deuxième vague meurtrière !

Quant à la possibilité de conseiller le port de masques en tissu, nous avons parlé des mesures barrières, du lavage de mains et de la distance physique. La France a été l'un des premiers pays à lancer le masque grand public, grâce à ses artisans et à ses entreprises.

L'alerte passe par des signaux faibles : les cas graves nous signalent qu'il doit y avoir des cas moins graves en plus grand nombre et une dissémination invisible du virus. Nous avons relevé pour ce faire les occurrences de syndromes de détresse respiratoire aiguë et de pneumonies. Aujourd'hui, on compte 53 000 tests positifs par semaine : c'est aussi un signal ! C'est pourquoi le Premier ministre a demandé une prise de conscience collective pour éviter un rebond épidémique majeur.

Quant à l'évolution des connaissances, nous avons saisi très régulièrement le conseil scientifique et nous avons écouté les avis de l'Académie de médecine et des scientifiques. Nous n'étions pas « anti-masques » ! Nous voulions adapter la réponse aux modes de transmission connus. En l'occurrence, le premier mode connu était celui par les gouttelettes, les projections d'aérosols à moins d'un mètre : c'est pourquoi nous avons fourni des masques aux professionnels. En juin, certains scientifiques ont lancé l'alerte sur la transmission par aérosols ; cela a été suivi par les avis de l'OMS et la publication du British Medical Journal sur les différents niveaux de risque ; nous avons évidemment pris tout cela en compte. Le risque maximal se présente quand beaucoup de monde est réuni dans un espace clos et mal ventilé ; la seule publication sur une transmission par aérosols en intérieur porte sur un autocar en Chine.

Les précaires sont évidemment une préoccupation majeure : nous avons distribué 100 millions de masques, dont 50 % de masques chirurgicaux et 50 % de masques en tissu.

Le plan pandémie portait sur une épidémie de grippe : nous l'avons mis de côté parce qu'il était essentiellement fondé sur l'usage d'antiviraux et la mise en place d'une vaccination de masse, mesures encore impossibles dans la présente épidémie.

Concernant la régulation des tests, nous en réalisons 1,2 million chaque semaine : c'est un effort considérable et inédit des laboratoires. La priorité est donnée aux malades, puis aux contacts et aux patients munis d'une prescription médicale ; les autres viennent après, même s'ils doivent voyager.

Quant au plan d'action structuré, les autorités suivent de très près la situation actuelle : le ministre de la santé présentera dans les prochaines heures l'ensemble du plan d'action pour les établissements et les professionnels de santé, ainsi que les éventuelles déclinaisons territoriales des mesures pour la population.

Enfin, madame de la Gontrie, le fait que des soignants n'avaient pas de masques, ou ne pouvaient s'en procurer que difficilement, n'est évidemment pas du tout satisfaisant ; je l'ai ressenti comme un échec. Deux phénomènes simultanés se sont produits : d'une part, le monde entier s'est arrêté de produire en un mois, sidération inimaginable du marché mondial ; d'autre part, nous avons massivement déstocké et livré sur l'ensemble du territoire, ce qui n'était pas facile ; nous avons monté un pont aérien, puis maritime, pour les commandes. La plus grande surprise, pour tout le monde, a été l'ampleur énorme du besoin immédiat de masques : 100 millions par semaine, alors qu'on en consomme d'ordinaire entre 3 et 5 millions. Personne n'avait prévu qu'il en faudrait autant. Nous en tirerons évidemment toutes les leçons nécessaires sur le stock stratégique et les enjeux logistiques pour mieux répondre aux exigences des Français.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène

Concernant le nombre de masques, nous en avons commandé à ce jour 4,6 milliards, reçu 3,3 milliards et distribué 1,6 milliard. Parmi eux, 1,2 milliard ont été commandés auprès de producteurs français ; leur livraison s'échelonnera jusqu'en mars 2021 dans le cadre des marchés d'urgence impérieuse. Les marchés seront réactivés au début de 2021 pour assurer la continuité du stock stratégique ; ces marchés pourront aller jusqu'à quatre ans. Les bons de commande seront faits en fonction des besoins planifiés par le ministère et obéiront aux règles de la commande publique. Nous espérons que les producteurs français y répondront ; j'ai peu de doutes sur ce point, dans la mesure où la production française est aujourd'hui importante.

Concernant la chaîne de transmission des alertes, notre agence est sous tutelle du ministère de la santé et de la direction générale de la santé ; les alertes leur remontent donc. Nous avons des liens quotidiens assez codifiés sur tous ces aspects ; nous avons transmis plus d'une centaine de notes, qui remontent à présent systématiquement au cabinet du ministre.

Déterminer qui est responsable de la doctrine constitue bien un point clef. J'ai cru comprendre que l'évolution de la doctrine qui consistait à préconiser plutôt l'emploi de masques chirurgicaux par le grand public résultait du fait que les masques FFP2 étaient assez mal supportés ; si je me suis exprimée de manière ambiguë sur ce point, je m'en excuse. La doctrine est établie par le ministère de la santé sur la base d'un avis du HCSP. Sur une période décennale, les missions qui incombaient à l'Eprus et ont été reprises par notre agence sont celles d'un opérateur qui agit sur instructions de l'État. Après cette période de crise, il apparaît que nous devons mobiliser notre expertise en interne et être force de proposition afin de coordonner la préparation de la doctrine ; c'est d'ailleurs ce que nous avons proposé au ministère, ce qui a reçu une réception favorable : il faut avoir une réflexion commune qui mobilise et coordonne l'expertise sur ces aspects.

Le stock stratégique de Santé publique France a une visée sanitaire. En dehors des professionnels de santé et des malades, on ne peut envisager aujourd'hui certaines des destinations que vous suggérez, mais qui n'entrent pas dans le périmètre actuel. Celui-ci pourrait toutefois évoluer. Par ailleurs, la connaissance détaillée de ces stocks a peut-être trop constitué au cours de la dernière période décennale une sorte de secret d'État. Nous considérons aujourd'hui que nous pouvons constituer une force de propositions pour la doctrine, plutôt qu'un simple exécutant. En outre, j'estime que cette réflexion doit être portée, avec tous ses éléments, devant la représentation nationale, de manière à ce que des discussions ouvertes soient menées sur la base d'une connaissance détaillée et actualisée de ces stocks stratégiques.

La partie démographique des certificats de décès est traitée par l'Insee au fil de l'eau ; la partie médicale est traitée par l'Inserm, que nous avons sollicité afin que l'informatisation soit la plus rapide possible. Il en est résulté les premiers chiffres que je vous ai donnés.

Le dispositif de la réserve sanitaire est encadré et sécurisé ; le transport et l'hébergement de ces professionnels est assuré. Ce dispositif témoigne de la solidarité nationale entre professionnels de santé ; il a vocation à être efficace en complément de l'organisation locale. Je tiens à rendre hommage aux 4 300 engagés, pour lesquels des contrats ont été signés, ce qui nous permet de les mobiliser sur la base des besoins de telle ou telle ARS. Parmi eux, 2 400 ont été mobilisés jusqu'à ce jour, ce qui est inédit depuis la création de la réserve sanitaire : on compte 31 000 réservistes-jours de mission cumulés. Ces mobilisations font l'objet d'un contrat spécifique. Nous nous sommes trouvés face à deux difficultés dans l'emploi de cette réserve : d'une part, les métiers les plus demandés, qui manquent structurellement parmi les professionnels de santé, étaient déjà sollicités sur le terrain ; d'autre part, il était difficile de mobiliser des retraités qui, de par leur âge, auraient été exposés à des risques accrus dans cette épidémie.

Debut de section - Permalien
Nicole Pelletier, directrice « Alertes et crises » de Santé publique France

À ma connaissance, ces respirateurs ne font pas partie des stocks stratégiques de Santé publique France, mais des stocks tactiques des établissements de santé. Nous avons acheté d'autres respirateurs depuis le début de l'épidémie à l'attention des établissements de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Merci de vos réponses ; nous attendons vos réponses écrites sur les points qui n'ont pu être évoqués faute de temps.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 55.