La commission désigne M. Jean-Baptiste Blanc rapporteur sur la proposition de loi n° 217 (2022-2023) visant à renforcer l'action des collectivités territoriales en matière de politique du logement, présentée par M. Ronan Dantec et plusieurs de ses collègues.
La commission désigne M. Antoine Lefèvre rapporteur sur la proposition de nomination de M. Robert Ophèle aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Il me revient de vous présenter le projet de programme de contrôle de notre commission pour l'année qui s'ouvre.
Ce projet de programme, arrêté par le bureau de notre commission mi-décembre, sur la base des informations transmises par l'ensemble des collègues, contient trois catégories de travaux.
La première catégorie correspond aux travaux de contrôle des rapporteurs spéciaux dans leur domaine de compétence.
Ces contrôles sont au nombre d'une trentaine, ce qui est un nombre représentatif de l'étiage habituel. Six contrôles correspondent à la poursuite de travaux déjà engagés cette année. Tous les autres contrôles engagés l'an passé ont fait l'objet de communications ou de rapports d'information. Les nouveaux sujets choisis par les rapporteurs spéciaux correspondent à des thématiques relevant de chaque mission budgétaire, même si l'on peut noter des points d'intérêt communs autour du thème de l'immobilier, par exemple, ou des transports et de la transition énergétique.
La deuxième catégorie porte sur les enquêtes demandées à la Cour des comptes en application de l'article 58, alinéa 2 de la loi organique relative aux lois de finances.
Pour mémoire, nous attendons déjà au cours de ce premier trimestre la remise ou la présentation de trois enquêtes relatives à la scolarisation des élèves allophones, à l'installation des agriculteurs, et à l'adaptation du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique.
Entre septembre et décembre prochains, quatre nouvelles enquêtes devraient nous être rendues sur des sujets intéressant les rapporteurs spéciaux : l'action de la direction générale des finances publiques (DGFiP) auprès des collectivités territoriales ; les financements extrabudgétaires de la politique culturelle de l'État ; la délivrance des titres d'identité ; et, enfin, la mise en place et la viabilité de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).
Désormais les enquêtes sont plutôt remises en fin d'année pour permettre de procéder aux auditions publiques dans le courant du 1er semestre, donc hors période budgétaire.
Enfin, la dernière catégorie porte sur les missions d'information transversales.
Conformément aux souhaits du Président du Sénat, qui souhaite que les commissions permanentes gardent une marge de souplesse pour des travaux qui émergeraient en cours d'année, à l'image de la mission d'information « flash » conduite sur les dons aux associations cette année, à la suite d'une pétition ayant reçu plus de 100 000 signatures, leur nombre sera limité.
Il n'a pas été décidé de reconduire de groupe de suivi.
Nous recevons ce matin M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Je me permets de vous saluer monsieur le gouverneur, de vous remercier de votre présence et de vous adresser, ainsi qu'à l'ensemble des personnels de la Banque de France, au nom de notre commission, mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année.
Votre audition ce matin a un caractère relativement traditionnel puisque nous avons pris l'habitude depuis quelques années de vous retrouver au mois de janvier. À noter que l'année dernière, après votre reconduction au mois d'octobre, nous avions reçu le directeur général de la statistique, des études économiques et internationales de la Banque de France dans le cadre d'une table ronde aux côtés, notamment, de l'Insee, pour évoquer le sujet l'inflation et de ses conséquences.
L'importance de ce sujet est loin de s'être estompée comme le montrent vos prévisions macroéconomiques les plus récentes, qui indiquent que l'inflation de l'indice des prix à la consommation harmonisé devrait atteindre 6 % en 2023, soit le même niveau qu'en 2022.
De façon générale, le contexte macroéconomique reste fortement dégradé en raison, notamment, de la persistance de la crise énergétique, mais, aussi, d'une politique monétaire de plus en plus restrictive mise en oeuvre - vous aurez l'occasion de nous en rendre compte - pour maîtriser l'inflation des prix.
Ainsi, en 2023, selon vos prévisions, la croissance du PIB devrait se limiter à 0,3 %, ce qui est faible et laisse, en définitive, peu de marges de manoeuvre pour encaisser les chocs que nous pourrions subir.
Au-delà des considérations macroéconomiques, vous avez insisté à plusieurs reprises dans vos prises de position publiques sur la nécessité pour les gouvernements de limiter rapidement le déficit budgétaire compte tenu de la dégradation de leurs conditions de financement. Là encore, nous serons sensibles à votre expression sur un sujet qui relève de la politique budgétaire, mais qui n'est, naturellement, pas sans intérêt pour les banquiers centraux.
Figure également au nombre de vos attributions la régulation du secteur bancaire. Nous serons heureux de vous entendre tant sur les conséquences de la remontée des taux sur l'accès des entreprises et des ménages au crédit que sur la santé du secteur bancaire et, corrélativement, sur l'état des travaux sur la transposition des accords internationaux de Bâle III. Il semble que les choses s'accélèrent puisque le Conseil de l'Union européenne a trouvé un accord sur le sujet en novembre dernier.
Je vous cède la parole sans plus attendre, Monsieur le gouverneur, avant de prendre les questions de nos collègues.
Audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui et je formule tous mes voeux pour vous, et pour notre cher pays éprouvé, comme toute l'Europe, par la guerre à ses portes et la crise énergétique qui en découle. Ce contexte génère beaucoup d'incertitude. J'essaierai néanmoins dans ce propos introductif de donner trois séries de repères pour l'année qui s'ouvre : sur la conjoncture et l'inflation, sur le financement de l'économie et sur l'adaptation durable à cette nouvelle donne.
Je commencerai par la conjoncture et l'inflation. Si je devais résumer d'une phrase, je dirais que, jusqu'à présent, l'activité a plutôt surpris en bien, et que l'inflation a plutôt surpris en mal. L'économie française a résisté, avec une croissance qui devrait s'établir à 2,6 % en 2022. Cette résilience meilleure que prévu vaut également pour la zone euro : la BCE a relevé en décembre sa prévision de croissance 2022 à 3,4 %. Selon nos prévisions publiées en décembre, l'année 2023 devrait marquer un fort ralentissement, mais échapper à « l'atterrissage brutal » redouté il y a quelques mois : la croissance devrait être faiblement positive l'an prochain, avec un scénario central de croissance de 0,3 % en France, et de 0,5 % en zone euro. Notre dernière enquête mensuelle de conjoncture, que nous avons publiée ce matin, illustre encore une fois cette résilience meilleure que prévu, et conforte notre prévision pour 2023. L'année 2024 marquerait la reprise, avec une croissance de 1,2 % en France.
Mais après une décennie d'inflation trop basse, et même un risque de déflation en 2020, l'inflation est revenue. Si elle a légèrement diminué en France en décembre à 6,7 % en indice harmonisé européen, et à 5,9 % en indice national, son niveau reste néanmoins beaucoup trop élevé : les ménages et les entreprises le ressentent fortement. L'inflation en France devrait atteindre son pic au cours de ce premier semestre, avant de redescendre vers 4 % en fin d'année.
Je veux redire ici ce qui est à la fois notre engagement et notre prévision : nous allons ramener l'inflation vers 2 % d'ici à 2024 ou à la fin 2025. C'est notre mandat, et l'inflation est aujourd'hui la première préoccupation de nos concitoyens. En outre, une inflation qui s'installerait durablement serait le pire ennemi de la confiance, et donc de la croissance.
Nous entendons parfois des questions, légitimes dans notre débat démocratique : pourquoi remontez-vous les taux d'intérêt ? En quoi est-ce efficace alors que l'inflation est d'abord née des prix de l'énergie ? Mais, malheureusement, l'inflation s'est propagée à la généralité des biens et services : l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation, que nous estimons autour de 4,2 % en décembre, est également nettement au-dessus de la cible de 2 %, et elle ne baisse pas. Or c'est sur cette inflation « générale » que la politique monétaire est pertinente, et nous avons la responsabilité de ne pas la laisser s'installer.
Le Conseil des gouverneurs de la BCE a donc décidé d'augmenter les taux directeurs de la BCE à rythme accéléré, de 250 points de base au total en 5 mois. Ce faisant, nous avons atteint la « zone de normalisation », dans laquelle la politique monétaire ne stimule ni ne restreint l'inflation. En 2023, de nouvelles hausses de taux seront très probablement nécessaires dans les prochains mois, à un rythme pragmatique, pour faire revenir l'inflation vers 2 % dans les deux ans qui sont le délai d'action de la politique monétaire. Cette dernière est toujours et partout - nous commençons à le voir aux États-Unis ou au Canada ces derniers mois - efficace pour maîtriser l'inflation, et non pas, j'insiste, pour provoquer une récession.
J'en viens au financement de l'économie. Le relèvement des taux d'intérêt, après plusieurs années où ils ont été anormalement bas, se transmet aux conditions de financement de l'économie, mais de façon progressive et ordonnée. Parmi les grands pays européens, le crédit à l'immobilier est en France à la fois le moins cher (avec un taux moyen de 1,9 % en novembre, en-deçà de la moyenne de la zone euro de 2,8 % et plus encore de l'Allemagne à 3,6 %), le plus abondant (avec une croissance des encours de 5,7 % sur un an) et le plus sûr (avec plus de 97 % des encours à taux fixe, alors que la plupart de nos voisins ont des taux variables). L'encours des crédits bancaires aux entreprises progresse plus fortement encore, de 7,7 % en novembre. Globalement, les besoins de financement de l'économie réelle restent largement satisfaits, grâce à la solidité des banques.
Le relèvement des taux de l'épargne réglementée sera décidé vendredi prochain. Ma recommandation au ministre devra prendre en compte, dans ses quelques possibilités d'ajustement, le bon équilibre entre la juste rémunération de l'épargne populaire et la préservation d'un coût de financement raisonnable de notre économie, dont le logement social en particulier. À cet égard, il me paraît probable et souhaitable que le relèvement du taux du livret d'épargne populaire (LEP) soit encore plus significatif que celui du livret A. Il faut d'ailleurs se féliciter que l'année écoulée ait vu un nombre record d'ouvertures de nouveaux LEP, de plus de 2 millions, et que le nombre total de détenteurs approche désormais les 8,5 millions.
Largement touchée par la crise énergétique, la trésorerie des entreprises s'est dégradée, en particulier dans l'industrie, comme le confirme notre dernière enquête mensuelle de conjoncture. Il existe en fait de grandes variations entre les secteurs, et même entre les entreprises d'un même secteur, plus encore qu'en fonction de la taille des entreprises. L'allongement des délais de paiement aux PME et TPE de la part de certaines entreprises de plus grande taille n'est évidemment pas acceptable. Selon nos estimations, ce sont 16 milliards d'euros de trésorerie qui seraient indûment captés par ces grandes entreprises. À l'occasion de la mise en place de notre nouvelle échelle de cotation, nous avons commencé à surveiller ces comportements de paiement pour les filiales d'ETI et de grandes entreprises financièrement solides. Pour 10 % d'entre elles, nous avons dégradé leur notation d'un cran en conséquence. En 2023, cette opération visant à dégrader éventuellement la cotation pour mauvais comportements de paiement sera élargie : ce sont trois fois plus d'entreprises qui seront ainsi examinées.
S'agissant des prêts garantis par l'État (PGE), une hausse modérée des demandes de restructuration a été observée fin 2022 ; nous avons reçu, en 2022, 598 demandes, portant donc sur seulement moins de 0,1 % du nombre total des PGE. Sur les 143 milliards d'euros qui ont été versés pour aider près de 700 000 entreprises, 40 milliards ont déjà été remboursés, et plus de 95 % des entreprises remboursent correctement leur prêt. Par conséquent, cela ne justifie pas un rééchelonnement généralisé ; la médiation du crédit de la Banque de France reste cependant mobilisée, dans chacun de vos départements, pour traiter les cas les plus difficiles.
Comment passer de la gestion de crise à une adaptation durable à la « nouvelle donne » ? La gestion de crise a été et reste évidemment nécessaire. L'État peut amortir temporairement le choc énergétique, mais ne peut cependant le faire disparaître. Ce n'est pas seulement un mauvais moment à passer, c'est une nouvelle donne économique à laquelle nous devons nous adapter. Il faut progressivement, d'ici deux à trois ans, ramener vers zéro les subventions budgétaires à l'énergie, et répartir plus efficacement la facture entre entreprises et ménages, en veillant à l'équité envers les ménages - par des mesures mieux ciblées vers les plus touchés - et tout autant à la compétitivité des entreprises. Les décisions du Gouvernement d'augmenter les tarifs du gaz et de l'électricité de 15 % dans les prochaines semaines et de remplacer la ristourne sur l'essence par une indemnité carburant de 100 euros ciblée selon les revenus vont dans le bon sens, y compris pour inciter à la sobriété énergétique.
À terme, la clé est bien sûr de muscler notre capacité productive par les trois grandes transformations de l'offre : la transformation énergétique ; la transformation numérique ; et la transformation du travail, qui doit être à la fois plus abondant et plus qualifié. Notre croissance y gagnera, et notre inflation en sera mieux maîtrisée. L'arme de la victoire durable contre l'inflation n'est pas budgétaire, elle est d'abord monétaire et ensuite structurelle. Cela ne sera possible que si nous préservons notre capacité à investir dans la décarbonation et l'innovation : la dette publique atteignant désormais 114 % du PIB, nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau « quoi qu'il en coûte », et nous devons mieux maîtriser les dépenses courantes. Nous devons en outre développer des financements privés, notamment en réalisant enfin en Europe une Union verte des marchés de capitaux.
J'en reviens, pour terminer, à mes voeux initiaux. La France et l'Europe peuvent, en ce début d'année, avoir sans doute davantage confiance en leur capacité à affronter cette crise. Soyez assurés en tout cas que la Banque de France sera totalement mobilisée pour cela, à votre service et à celui de nos concitoyens.
Nous recevons ce matin M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Je me permets de vous saluer monsieur le gouverneur, de vous remercier de votre présence et de vous adresser, ainsi qu'à l'ensemble des personnels de la Banque de France, au nom de notre commission, mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année.
Votre audition ce matin a un caractère relativement traditionnel puisque nous avons pris l'habitude depuis quelques années de vous retrouver au mois de janvier. À noter que l'année dernière, après votre reconduction au mois d'octobre, nous avions reçu le directeur général de la statistique, des études économiques et internationales de la Banque de France dans le cadre d'une table ronde aux côtés, notamment, de l'Insee, pour évoquer le sujet l'inflation et de ses conséquences.
L'importance de ce sujet est loin de s'être estompée comme le montrent vos prévisions macroéconomiques les plus récentes, qui indiquent que l'inflation de l'indice des prix à la consommation harmonisé devrait atteindre 6 % en 2023, soit le même niveau qu'en 2022.
De façon générale, le contexte macroéconomique reste fortement dégradé en raison, notamment, de la persistance de la crise énergétique, mais, aussi, d'une politique monétaire de plus en plus restrictive mise en oeuvre - vous aurez l'occasion de nous en rendre compte - pour maîtriser l'inflation des prix.
Ainsi, en 2023, selon vos prévisions, la croissance du PIB devrait se limiter à 0,3 %, ce qui est faible et laisse, en définitive, peu de marges de manoeuvre pour encaisser les chocs que nous pourrions subir.
Au-delà des considérations macroéconomiques, vous avez insisté à plusieurs reprises dans vos prises de position publiques sur la nécessité pour les gouvernements de limiter rapidement le déficit budgétaire compte tenu de la dégradation de leurs conditions de financement. Là encore, nous serons sensibles à votre expression sur un sujet qui relève de la politique budgétaire, mais qui n'est, naturellement, pas sans intérêt pour les banquiers centraux.
Figure également au nombre de vos attributions la régulation du secteur bancaire. Nous serons heureux de vous entendre tant sur les conséquences de la remontée des taux sur l'accès des entreprises et des ménages au crédit que sur la santé du secteur bancaire et, corrélativement, sur l'état des travaux sur la transposition des accords internationaux de Bâle III. Il semble que les choses s'accélèrent puisque le Conseil de l'Union européenne a trouvé un accord sur le sujet en novembre dernier.
Je vous cède la parole sans plus attendre, Monsieur le gouverneur, avant de prendre les questions de nos collègues.
Je vous adresse à mon tour à vous et vos équipes mes voeux de réussite dans vos missions. La Banque de France a une connaissance aboutie de la situation de notre pays et nous fournit des avis éclairés.
Vous avez évoqué l'inflation et parlé de « pragmatisme », un terme qui m'est cher. Dès juillet 2021, j'avais envisagé le risque d'une vague inflationniste, même si je n'en connaissais évidemment pas la durée ni l'ampleur. Il faut se méfier des phénomènes économiques qui semblent disparaître : tôt ou tard, ils reviennent. L'inflation est liée à la crise énergétique, qui chamboule nos économies : celles-ci dépendent intimement depuis longtemps de l'énergie, de son prix et de sa desserte.
L'investissement des ménages - c'est-à-dire les opérations immobilières principalement - devrait diminuer de 1,3 % en 2023 et de 1,9 % 2024, ce qui pèsera sur la croissance. De fait, le marché immobilier est fortement affecté par la remontée des taux d'intérêt et je note que vous avez très récemment proposé de réunir les acteurs concernés pour revoir éventuellement les règles d'actualisation du taux d'usure en passant d'une révision trimestrielle à mensuelle. Quelles perspectives dressez-vous concernant l'évolution du marché immobilier ?
Vos prévisions montrent que l'emploi total devrait se stabiliser en 2023 et diminuer à partir de 2024. Au final, le taux de chômage s'établirait donc à 8,2 % en 2025. Ces prévisions semblent éloignées de celles du Gouvernement qui envisage 5 % en 2027 ! Pourriez-vous nous donner des précisions ? Quelles conclusions en tirez-vous sur l'évolution des finances publiques et, notamment, sur les gains à attendre de la réforme de l'assurance-chômage ?
La BCE, avec le concours des banques centrales nationales, travaille actuellement sur un projet d'euro numérique, qui vise à créer l'équivalent de billets en euros sous forme dématérialisée. Or, les critiques abondent : les acteurs bancaires sont loin de plébisciter cette nouvelle monnaie numérique de banque centrale, qui risque selon eux de conduire à un phénomène de désintermédiation et de fuite des dépôts vers la banque centrale ; un récent article de presse présente l'euro numérique comme un « risque démocratique », en ce qu'il contiendrait des informations relatives à la vie privée et personnelle et en ce que son utilisation serait programmable et pourrait ainsi être limitée à certains cas. Pouvez-vous décrire plus précisément ce projet et nous dire où il en est ? Quelle est votre analyse de ces différentes critiques ?
Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui et je formule tous mes voeux pour vous, et pour notre cher pays éprouvé, comme toute l'Europe, par la guerre à ses portes et la crise énergétique qui en découle. Ce contexte génère beaucoup d'incertitude. J'essaierai néanmoins dans ce propos introductif de donner trois séries de repères pour l'année qui s'ouvre : sur la conjoncture et l'inflation, sur le financement de l'économie et sur l'adaptation durable à cette nouvelle donne.
Je commencerai par la conjoncture et l'inflation. Si je devais résumer d'une phrase, je dirais que, jusqu'à présent, l'activité a plutôt surpris en bien, et que l'inflation a plutôt surpris en mal. L'économie française a résisté, avec une croissance qui devrait s'établir à 2,6 % en 2022. Cette résilience meilleure que prévu vaut également pour la zone euro : la BCE a relevé en décembre sa prévision de croissance 2022 à 3,4 %. Selon nos prévisions publiées en décembre, l'année 2023 devrait marquer un fort ralentissement, mais échapper à « l'atterrissage brutal » redouté il y a quelques mois : la croissance devrait être faiblement positive l'an prochain, avec un scénario central de croissance de 0,3 % en France, et de 0,5 % en zone euro. Notre dernière enquête mensuelle de conjoncture, que nous avons publiée ce matin, illustre encore une fois cette résilience meilleure que prévu, et conforte notre prévision pour 2023. L'année 2024 marquerait la reprise, avec une croissance de 1,2 % en France.
Mais après une décennie d'inflation trop basse, et même un risque de déflation en 2020, l'inflation est revenue. Si elle a légèrement diminué en France en décembre à 6,7 % en indice harmonisé européen, et à 5,9 % en indice national, son niveau reste néanmoins beaucoup trop élevé : les ménages et les entreprises le ressentent fortement. L'inflation en France devrait atteindre son pic au cours de ce premier semestre, avant de redescendre vers 4 % en fin d'année.
Je veux redire ici ce qui est à la fois notre engagement et notre prévision : nous allons ramener l'inflation vers 2 % d'ici à 2024 ou à la fin 2025. C'est notre mandat, et l'inflation est aujourd'hui la première préoccupation de nos concitoyens. En outre, une inflation qui s'installerait durablement serait le pire ennemi de la confiance, et donc de la croissance.
Nous entendons parfois des questions, légitimes dans notre débat démocratique : pourquoi remontez-vous les taux d'intérêt ? En quoi est-ce efficace alors que l'inflation est d'abord née des prix de l'énergie ? Mais, malheureusement, l'inflation s'est propagée à la généralité des biens et services : l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation, que nous estimons autour de 4,2 % en décembre, est également nettement au-dessus de la cible de 2 %, et elle ne baisse pas. Or c'est sur cette inflation « générale » que la politique monétaire est pertinente, et nous avons la responsabilité de ne pas la laisser s'installer.
Le Conseil des gouverneurs de la BCE a donc décidé d'augmenter les taux directeurs de la BCE à rythme accéléré, de 250 points de base au total en 5 mois. Ce faisant, nous avons atteint la « zone de normalisation », dans laquelle la politique monétaire ne stimule ni ne restreint l'inflation. En 2023, de nouvelles hausses de taux seront très probablement nécessaires dans les prochains mois, à un rythme pragmatique, pour faire revenir l'inflation vers 2 % dans les deux ans qui sont le délai d'action de la politique monétaire. Cette dernière est toujours et partout - nous commençons à le voir aux États-Unis ou au Canada ces derniers mois - efficace pour maîtriser l'inflation, et non pas, j'insiste, pour provoquer une récession.
J'en viens au financement de l'économie. Le relèvement des taux d'intérêt, après plusieurs années où ils ont été anormalement bas, se transmet aux conditions de financement de l'économie, mais de façon progressive et ordonnée. Parmi les grands pays européens, le crédit à l'immobilier est en France à la fois le moins cher (avec un taux moyen de 1,9 % en novembre, en-deçà de la moyenne de la zone euro de 2,8 % et plus encore de l'Allemagne à 3,6 %), le plus abondant (avec une croissance des encours de 5,7 % sur un an) et le plus sûr (avec plus de 97 % des encours à taux fixe, alors que la plupart de nos voisins ont des taux variables). L'encours des crédits bancaires aux entreprises progresse plus fortement encore, de 7,7 % en novembre. Globalement, les besoins de financement de l'économie réelle restent largement satisfaits, grâce à la solidité des banques.
Le relèvement des taux de l'épargne réglementée sera décidé vendredi prochain. Ma recommandation au ministre devra prendre en compte, dans ses quelques possibilités d'ajustement, le bon équilibre entre la juste rémunération de l'épargne populaire et la préservation d'un coût de financement raisonnable de notre économie, dont le logement social en particulier. À cet égard, il me paraît probable et souhaitable que le relèvement du taux du livret d'épargne populaire (LEP) soit encore plus significatif que celui du livret A. Il faut d'ailleurs se féliciter que l'année écoulée ait vu un nombre record d'ouvertures de nouveaux LEP, de plus de 2 millions, et que le nombre total de détenteurs approche désormais les 8,5 millions.
Largement touchée par la crise énergétique, la trésorerie des entreprises s'est dégradée, en particulier dans l'industrie, comme le confirme notre dernière enquête mensuelle de conjoncture. Il existe en fait de grandes variations entre les secteurs, et même entre les entreprises d'un même secteur, plus encore qu'en fonction de la taille des entreprises. L'allongement des délais de paiement aux PME et TPE de la part de certaines entreprises de plus grande taille n'est évidemment pas acceptable. Selon nos estimations, ce sont 16 milliards d'euros de trésorerie qui seraient indûment captés par ces grandes entreprises. À l'occasion de la mise en place de notre nouvelle échelle de cotation, nous avons commencé à surveiller ces comportements de paiement pour les filiales d'ETI et de grandes entreprises financièrement solides. Pour 10 % d'entre elles, nous avons dégradé leur notation d'un cran en conséquence. En 2023, cette opération visant à dégrader éventuellement la cotation pour mauvais comportements de paiement sera élargie : ce sont trois fois plus d'entreprises qui seront ainsi examinées.
S'agissant des prêts garantis par l'État (PGE), une hausse modérée des demandes de restructuration a été observée fin 2022 ; nous avons reçu, en 2022, 598 demandes, portant donc sur seulement moins de 0,1 % du nombre total des PGE. Sur les 143 milliards d'euros qui ont été versés pour aider près de 700 000 entreprises, 40 milliards ont déjà été remboursés, et plus de 95 % des entreprises remboursent correctement leur prêt. Par conséquent, cela ne justifie pas un rééchelonnement généralisé ; la médiation du crédit de la Banque de France reste cependant mobilisée, dans chacun de vos départements, pour traiter les cas les plus difficiles.
Comment passer de la gestion de crise à une adaptation durable à la « nouvelle donne » ? La gestion de crise a été et reste évidemment nécessaire. L'État peut amortir temporairement le choc énergétique, mais ne peut cependant le faire disparaître. Ce n'est pas seulement un mauvais moment à passer, c'est une nouvelle donne économique à laquelle nous devons nous adapter. Il faut progressivement, d'ici deux à trois ans, ramener vers zéro les subventions budgétaires à l'énergie, et répartir plus efficacement la facture entre entreprises et ménages, en veillant à l'équité envers les ménages - par des mesures mieux ciblées vers les plus touchés - et tout autant à la compétitivité des entreprises. Les décisions du Gouvernement d'augmenter les tarifs du gaz et de l'électricité de 15 % dans les prochaines semaines et de remplacer la ristourne sur l'essence par une indemnité carburant de 100 euros ciblée selon les revenus vont dans le bon sens, y compris pour inciter à la sobriété énergétique.
À terme, la clé est bien sûr de muscler notre capacité productive par les trois grandes transformations de l'offre : la transformation énergétique ; la transformation numérique ; et la transformation du travail, qui doit être à la fois plus abondant et plus qualifié. Notre croissance y gagnera, et notre inflation en sera mieux maîtrisée. L'arme de la victoire durable contre l'inflation n'est pas budgétaire, elle est d'abord monétaire et ensuite structurelle. Cela ne sera possible que si nous préservons notre capacité à investir dans la décarbonation et l'innovation : la dette publique atteignant désormais 114 % du PIB, nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau « quoi qu'il en coûte », et nous devons mieux maîtriser les dépenses courantes. Nous devons en outre développer des financements privés, notamment en réalisant enfin en Europe une Union verte des marchés de capitaux.
J'en reviens, pour terminer, à mes voeux initiaux. La France et l'Europe peuvent, en ce début d'année, avoir sans doute davantage confiance en leur capacité à affronter cette crise. Soyez assurés en tout cas que la Banque de France sera totalement mobilisée pour cela, à votre service et à celui de nos concitoyens.
Le lien entre la remontée des taux d'intérêt et la croissance économique est crucial pour la politique monétaire. Cette dernière est toujours confrontée à cette question : comment maîtriser l'inflation sans briser la croissance économique ? Pourriez-vous nous donner des précisions sur les discussions au sein du collège de la BCE ? On perçoit au travers d'un certain nombre d'articles ou de déclarations qu'il existe des nuances d'appréciation entre ses membres.
Je vous adresse à mon tour à vous et vos équipes mes voeux de réussite dans vos missions. La Banque de France a une connaissance aboutie de la situation de notre pays et nous fournit des avis éclairés.
Vous avez évoqué l'inflation et parlé de « pragmatisme », un terme qui m'est cher. Dès juillet 2021, j'avais envisagé le risque d'une vague inflationniste, même si je n'en connaissais évidemment pas la durée ni l'ampleur. Il faut se méfier des phénomènes économiques qui semblent disparaître : tôt ou tard, ils reviennent. L'inflation est liée à la crise énergétique, qui chamboule nos économies : celles-ci dépendent intimement depuis longtemps de l'énergie, de son prix et de sa desserte.
L'investissement des ménages - c'est-à-dire les opérations immobilières principalement - devrait diminuer de 1,3 % en 2023 et de 1,9 % 2024, ce qui pèsera sur la croissance. De fait, le marché immobilier est fortement affecté par la remontée des taux d'intérêt et je note que vous avez très récemment proposé de réunir les acteurs concernés pour revoir éventuellement les règles d'actualisation du taux d'usure en passant d'une révision trimestrielle à mensuelle. Quelles perspectives dressez-vous concernant l'évolution du marché immobilier ?
Vos prévisions montrent que l'emploi total devrait se stabiliser en 2023 et diminuer à partir de 2024. Au final, le taux de chômage s'établirait donc à 8,2 % en 2025. Ces prévisions semblent éloignées de celles du Gouvernement qui envisage 5 % en 2027 ! Pourriez-vous nous donner des précisions ? Quelles conclusions en tirez-vous sur l'évolution des finances publiques et, notamment, sur les gains à attendre de la réforme de l'assurance-chômage ?
La BCE, avec le concours des banques centrales nationales, travaille actuellement sur un projet d'euro numérique, qui vise à créer l'équivalent de billets en euros sous forme dématérialisée. Or, les critiques abondent : les acteurs bancaires sont loin de plébisciter cette nouvelle monnaie numérique de banque centrale, qui risque selon eux de conduire à un phénomène de désintermédiation et de fuite des dépôts vers la banque centrale ; un récent article de presse présente l'euro numérique comme un « risque démocratique », en ce qu'il contiendrait des informations relatives à la vie privée et personnelle et en ce que son utilisation serait programmable et pourrait ainsi être limitée à certains cas. Pouvez-vous décrire plus précisément ce projet et nous dire où il en est ? Quelle est votre analyse de ces différentes critiques ?
Les craintes d'un retour de l'inflation ont commencé en 2021 - vous avez d'ailleurs été, monsieur le rapporteur général, l'un des premiers à l'époque à alerter sur ce risque -, à cause de la reprise rapide de l'économie après le Covid et de l'apparition de goulets d'étranglement. La question était de savoir si cette inflation était un phénomène est temporaire ou durable. Les entreprises s'attendaient, il y a un an, à ce que ces difficultés disparaissent en 2022. Puis la guerre en Ukraine est arrivée... Il s'agissait aussi de déterminer si cette inflation consistait seulement en un choc sur l'offre, sur les coûts, ou bien si celle-ci pouvait se diffuser plus largement. La guerre en Ukraine a transformé un choc temporaire en un choc durable. Depuis le printemps, on observe un phénomène de diffusion. D'où notre inquiétude. C'est pourquoi j'ai insisté, dans mon propos introductif, sur l'inflation sous-jacente, hors énergie et matières premières. Les services sont peu touchés par le choc énergétique, et pourtant l'inflation dans ce secteur est élevée.
En ce qui concerne l'immobilier, nous prévoyons effectivement un recul limité de l'investissement des ménages, mais celui-ci intervient après des années particulièrement favorables. Le taux actuel moyen du crédit immobilier s'établit à 1,9 %, alors qu'il est normalement autour de 3 % en moyenne sur une longue période. Quant à la production de nouveaux crédits immobiliers, elle était de 120 milliards d'euros en 2015, une année normale, mais elle a constamment accéléré depuis et s'élève, en 2022, à 220 milliards d'euros, soit presque le double.
Vous avez posé la question du taux d'usure, qui a fait couler beaucoup d'encre. Je rappelle que le taux d'usure est destiné à protéger les emprunteurs contre des taux anormalement élevés. On a beaucoup entendu les prêteurs dans ce débat, mais peu les emprunteurs. Or nous sommes à l'écoute de tous et notre rôle est de faire appliquer la loi, qui prévoit que le taux d'usure est fixé trimestriellement à quatre tiers des taux observés au cours du trimestre précédent. Il est vrai que j'ai subi de fortes pressions de la part de représentants des prêteurs divers, que je ne nommerai pas, afin de remonter plus vite le taux d'usure, mais je ne pense pas que cela soit souhaitable. Il faut une remontée progressive et ordonnée, afin de protéger les emprunteurs.
Il est aujourd'hui question d'un éventuel ajustement technique et de prévoir une remontée des taux mois par mois, par petites marches, au lieu d'une fois en fin de trimestre. Je considère qu'un tel ajustement peut être justifié s'il est souhaité par les professionnels du crédit, que nous consulterons à cet égard.
Sur l'emploi, j'avoue ne pas avoir étudié les prévisions du Gouvernement. L'emploi nous surprend toujours en bien depuis trois ans. Il résiste beaucoup mieux que l'activité économique. En 2020, il y a eu une baisse de l'emploi en raison de la crise du covid, mais en 2021, l'économie française a plus que rattrapé la baisse de 2020 puisque 840 000 emplois ont été créés. Nous n'avions pas connu une telle hausse en un an depuis très longtemps. L'économie a été un peu moins dynamique en 2022, mais 300 000 emplois ont tout de même été créés au cours des trois premiers trimestres. On prévoit une remontée du chômage en 2023, du fait de la faiblesse de la croissance, mais elle sera toutefois assez limitée. Je n'exclus pas que nous nous trompions un peu par le bas parce que nous avons toujours eu des surprises par le haut.
La question de l'euro numérique mériterait de longs développements. Je dirai simplement où nous en sommes et pourquoi ce projet a été lancé. Un prototype est aujourd'hui à l'étude, dont nous tirerons les leçons à la fin de l'année 2023 ou au début de l'année 2024. Si une généralisation était décidée, trois années seraient encore nécessaires.
Si ce projet a été lancé, c'est parce qu'un certain nombre d'innovations ont vu le jour dans le champ des paiements et de la monnaie. Je pense à la blockchain, à la possibilité d'échanger à la fois des flux d'argent et des données. Ces innovations, les fameuses cryptomonnaies, sont aujourd'hui portées exclusivement par des acteurs privés. Je ne parle pas du bitcoin, qui est un instrument avant tout spéculatif, mais souvenez-vous du projet de Facebook, aujourd'hui abandonné, de cryptomonnaie Libra. Il pourrait être repris par d'autres acteurs privés.
Il nous semble qu'il y a là un potentiel prometteur, y compris pour les particuliers. Or, en matière de monnaie, il y a toujours eu un partenariat entre le public et le privé. On n'a jamais laissé le monopole des innovations dans ce domaine aux acteurs privés. Il y a là un enjeu démocratique. Je prends tout à fait au sérieux la question des données privées, mais il serait tout à fait regrettable de priver les citoyens d'innovations technologiques importantes, associées à de la monnaie publique souveraine. Ces questions méritent en tout cas d'être étudiées. Les citoyens ne sont pas condamnés à avoir recours au privé pour disposer des meilleures innovations technologiques.
Un certain nombre de questions se posent toutefois de manière tout à fait légitime. Je tiens ainsi à rassurer les représentants de la Nation et les professionnels : il ne s'agit absolument pas de désintermédier les banques, contrairement à ce qu'ont pu laisser accroire certains titres de la presse internationale en mal de sensations. C'est faux, d'abord parce que les encours de cet euro numérique seraient probablement plafonnés - pour être clair, il ne s'agit pas de vider les comptes bancaires -, ensuite parce que cet euro serait très probablement distribué par les banques.
Pour répondre à la question qui m'a été posée sur la protection de la vie privée, la banque centrale n'aura pas accès à des données sur les citoyens, encore moins à la programmation de leurs dépenses.
Je le redis, le monopole de l'innovation ne peut pas être réservé aux acteurs privés. J'ajoute que les acteurs privés que nous évoquons et que je n'ai pas besoin de nommer ne sont pas européens.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'euro numérique n'aurait pas pour effet la suppression des espèces. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces, la production et la distribution des billets. Nous sommes là pour garantir la liberté de choix de nos concitoyens. Toutes les formes de moyens de paiement doivent être d'égale accessibilité, d'égale qualité et d'égale sécurité. C'est une question de confiance dans la monnaie.
Enfin, pour répondre à votre question, monsieur le président, je vous confirme que des discussions ont lieu au sein du Conseil des gouverneurs, fort heureusement, sinon ce conseil n'aurait pas de raison d'exister.
On oppose traditionnellement, en des termes ornithologiques, les faucons et les colombes. Pour ma part, je me décris toujours comme un pragmatique. Je ne pense pas qu'il faille que nous ayons une position déterminée à l'avance. Certains sont toujours partisans d'une augmentation des taux, d'autres y sont toujours opposés. Pour ma part, je pense que cela dépend des données. Ce qu'a dit le rapporteur général sur l'évolution de l'inflation depuis dix-huit mois est vrai. Relever les taux à la fin de l'année 2021 aurait été une erreur. Aujourd'hui, ne pas les relever alors que l'inflation menace de s'installer serait grave. Je ne peux toutefois pas vous dire à quel niveau il faut les porter, parce que je ne le sais pas.
Nous avons dû les remonter très vite au deuxième semestre de l'année dernière et je pense que c'était justifié, pour éviter une déflation. Les taux étaient alors très bas - c'était les fameux taux négatifs -, il fallait vite y mettre fin. Aujourd'hui, le taux de 2 % est ce que les économistes appellent un taux « neutre ». Il faudra sans doute aller au-delà pour freiner l'inflation, sans provoquer de récession.
Je crois pouvoir dire aujourd'hui qu'il n'y aura pas de récession de l'économie française et européenne en 2023, mais nous verrons dans les prochains mois.
Le lien entre la remontée des taux d'intérêt et la croissance économique est crucial pour la politique monétaire. Cette dernière est toujours confrontée à cette question : comment maîtriser l'inflation sans briser la croissance économique ? Pourriez-vous nous donner des précisions sur les discussions au sein du collège de la BCE ? On perçoit au travers d'un certain nombre d'articles ou de déclarations qu'il existe des nuances d'appréciation entre ses membres.
Monsieur le gouverneur, je me réjouis que vous considériez, comme la présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF), qu'il faut mieux encadrer les acteurs des cryptoactifs, le Sénat ayant voté un dispositif allant dans ce sens dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne. J'espère que ce dispositif sera adopté par l'Assemblée nationale, qui examinera le texte à la fin du mois.
L'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement a indiqué récemment que le nombre de fraudes bancaires était en augmentation. Les associations de consommateurs soulignent régulièrement la difficulté qu'elles ont à obtenir de la part des banques un remboursement de ces fraudes. Est-il possible d'améliorer la situation ?
J'ai posé, il y a plusieurs mois, une question écrite au ministre de l'économie sur les frais bancaires de succession. Il m'avait alors répondu que le comité consultatif du secteur financier, dont vous assurez le secrétariat, avait prévu de lancer des travaux sur ce sujet en septembre 2022. Pourquoi les choses n'avancent-elles pas plus vite ? Quelle est votre position sur ce sujet ?
Enfin, on observe régulièrement une baisse de la capacité d'accéder à la monnaie, c'est-à-dire la fermeture d'un nombre de plus en plus élevé de distributeurs automatiques de billets. C'est préoccupant, non seulement en milieu rural, mais également dans les petites villes. Comment freiner cette évolution tout à fait regrettable ?
Les craintes d'un retour de l'inflation ont commencé en 2021 - vous avez d'ailleurs été, monsieur le rapporteur général, l'un des premiers à l'époque à alerter sur ce risque -, à cause de la reprise rapide de l'économie après le Covid et de l'apparition de goulets d'étranglement. La question était de savoir si cette inflation était un phénomène est temporaire ou durable. Les entreprises s'attendaient, il y a un an, à ce que ces difficultés disparaissent en 2022. Puis la guerre en Ukraine est arrivée... Il s'agissait aussi de déterminer si cette inflation consistait seulement en un choc sur l'offre, sur les coûts, ou bien si celle-ci pouvait se diffuser plus largement. La guerre en Ukraine a transformé un choc temporaire en un choc durable. Depuis le printemps, on observe un phénomène de diffusion. D'où notre inquiétude. C'est pourquoi j'ai insisté, dans mon propos introductif, sur l'inflation sous-jacente, hors énergie et matières premières. Les services sont peu touchés par le choc énergétique, et pourtant l'inflation dans ce secteur est élevée.
En ce qui concerne l'immobilier, nous prévoyons effectivement un recul limité de l'investissement des ménages, mais celui-ci intervient après des années particulièrement favorables. Le taux actuel moyen du crédit immobilier s'établit à 1,9 %, alors qu'il est normalement autour de 3 % en moyenne sur une longue période. Quant à la production de nouveaux crédits immobiliers, elle était de 120 milliards d'euros en 2015, une année normale, mais elle a constamment accéléré depuis et s'élève, en 2022, à 220 milliards d'euros, soit presque le double.
Vous avez posé la question du taux d'usure, qui a fait couler beaucoup d'encre. Je rappelle que le taux d'usure est destiné à protéger les emprunteurs contre des taux anormalement élevés. On a beaucoup entendu les prêteurs dans ce débat, mais peu les emprunteurs. Or nous sommes à l'écoute de tous et notre rôle est de faire appliquer la loi, qui prévoit que le taux d'usure est fixé trimestriellement à quatre tiers des taux observés au cours du trimestre précédent. Il est vrai que j'ai subi de fortes pressions de la part de représentants des prêteurs divers, que je ne nommerai pas, afin de remonter plus vite le taux d'usure, mais je ne pense pas que cela soit souhaitable. Il faut une remontée progressive et ordonnée, afin de protéger les emprunteurs.
Il est aujourd'hui question d'un éventuel ajustement technique et de prévoir une remontée des taux mois par mois, par petites marches, au lieu d'une fois en fin de trimestre. Je considère qu'un tel ajustement peut être justifié s'il est souhaité par les professionnels du crédit, que nous consulterons à cet égard.
Sur l'emploi, j'avoue ne pas avoir étudié les prévisions du Gouvernement. L'emploi nous surprend toujours en bien depuis trois ans. Il résiste beaucoup mieux que l'activité économique. En 2020, il y a eu une baisse de l'emploi en raison de la crise du covid, mais en 2021, l'économie française a plus que rattrapé la baisse de 2020 puisque 840 000 emplois ont été créés. Nous n'avions pas connu une telle hausse en un an depuis très longtemps. L'économie a été un peu moins dynamique en 2022, mais 300 000 emplois ont tout de même été créés au cours des trois premiers trimestres. On prévoit une remontée du chômage en 2023, du fait de la faiblesse de la croissance, mais elle sera toutefois assez limitée. Je n'exclus pas que nous nous trompions un peu par le bas parce que nous avons toujours eu des surprises par le haut.
La question de l'euro numérique mériterait de longs développements. Je dirai simplement où nous en sommes et pourquoi ce projet a été lancé. Un prototype est aujourd'hui à l'étude, dont nous tirerons les leçons à la fin de l'année 2023 ou au début de l'année 2024. Si une généralisation était décidée, trois années seraient encore nécessaires.
Si ce projet a été lancé, c'est parce qu'un certain nombre d'innovations ont vu le jour dans le champ des paiements et de la monnaie. Je pense à la blockchain, à la possibilité d'échanger à la fois des flux d'argent et des données. Ces innovations, les fameuses cryptomonnaies, sont aujourd'hui portées exclusivement par des acteurs privés. Je ne parle pas du bitcoin, qui est un instrument avant tout spéculatif, mais souvenez-vous du projet de Facebook, aujourd'hui abandonné, de cryptomonnaie Libra. Il pourrait être repris par d'autres acteurs privés.
Il nous semble qu'il y a là un potentiel prometteur, y compris pour les particuliers. Or, en matière de monnaie, il y a toujours eu un partenariat entre le public et le privé. On n'a jamais laissé le monopole des innovations dans ce domaine aux acteurs privés. Il y a là un enjeu démocratique. Je prends tout à fait au sérieux la question des données privées, mais il serait tout à fait regrettable de priver les citoyens d'innovations technologiques importantes, associées à de la monnaie publique souveraine. Ces questions méritent en tout cas d'être étudiées. Les citoyens ne sont pas condamnés à avoir recours au privé pour disposer des meilleures innovations technologiques.
Un certain nombre de questions se posent toutefois de manière tout à fait légitime. Je tiens ainsi à rassurer les représentants de la Nation et les professionnels : il ne s'agit absolument pas de désintermédier les banques, contrairement à ce qu'ont pu laisser accroire certains titres de la presse internationale en mal de sensations. C'est faux, d'abord parce que les encours de cet euro numérique seraient probablement plafonnés - pour être clair, il ne s'agit pas de vider les comptes bancaires -, ensuite parce que cet euro serait très probablement distribué par les banques.
Pour répondre à la question qui m'a été posée sur la protection de la vie privée, la banque centrale n'aura pas accès à des données sur les citoyens, encore moins à la programmation de leurs dépenses.
Je le redis, le monopole de l'innovation ne peut pas être réservé aux acteurs privés. J'ajoute que les acteurs privés que nous évoquons et que je n'ai pas besoin de nommer ne sont pas européens.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'euro numérique n'aurait pas pour effet la suppression des espèces. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces, la production et la distribution des billets. Nous sommes là pour garantir la liberté de choix de nos concitoyens. Toutes les formes de moyens de paiement doivent être d'égale accessibilité, d'égale qualité et d'égale sécurité. C'est une question de confiance dans la monnaie.
Enfin, pour répondre à votre question, monsieur le président, je vous confirme que des discussions ont lieu au sein du Conseil des gouverneurs, fort heureusement, sinon ce conseil n'aurait pas de raison d'exister.
On oppose traditionnellement, en des termes ornithologiques, les faucons et les colombes. Pour ma part, je me décris toujours comme un pragmatique. Je ne pense pas qu'il faille que nous ayons une position déterminée à l'avance. Certains sont toujours partisans d'une augmentation des taux, d'autres y sont toujours opposés. Pour ma part, je pense que cela dépend des données. Ce qu'a dit le rapporteur général sur l'évolution de l'inflation depuis dix-huit mois est vrai. Relever les taux à la fin de l'année 2021 aurait été une erreur. Aujourd'hui, ne pas les relever alors que l'inflation menace de s'installer serait grave. Je ne peux toutefois pas vous dire à quel niveau il faut les porter, parce que je ne le sais pas.
Nous avons dû les remonter très vite au deuxième semestre de l'année dernière et je pense que c'était justifié, pour éviter une déflation. Les taux étaient alors très bas - c'était les fameux taux négatifs -, il fallait vite y mettre fin. Aujourd'hui, le taux de 2 % est ce que les économistes appellent un taux « neutre ». Il faudra sans doute aller au-delà pour freiner l'inflation, sans provoquer de récession.
Je crois pouvoir dire aujourd'hui qu'il n'y aura pas de récession de l'économie française et européenne en 2023, mais nous verrons dans les prochains mois.
Je vous remercie, monsieur le gouverneur, pour votre présentation claire et argumentée. Alors que la crise impose un déploiement accéléré des énergies renouvelables et des solutions afin de réduire la consommation d'énergie, la BCE décide une remontée des taux afin de lutter contre l'inflation. Or, cette hausse a pour effet de renchérir le coût des solutions à la crise énergétique et climatique. Faut-il mobiliser des outils de politique monétaire pour permettre leur déploiement ?
Par ailleurs, est-il vrai, comme l'a dit le ministre Bruno Le Maire, que le livret de développement durable et solidaire n'a de vert que le nom ? Estimez-vous opportun aujourd'hui de modifier les règles de mobilisation de la fraction bancaire du livret de développement durable et solidaire ou celle qui est centralisée par la Caisse des dépôts et consignations ? A-t-on besoin d'un produit d'épargne supplémentaire pour financer la transition énergétique et la rénovation thermique des bâtiments ?
Monsieur le gouverneur, je me réjouis que vous considériez, comme la présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF), qu'il faut mieux encadrer les acteurs des cryptoactifs, le Sénat ayant voté un dispositif allant dans ce sens dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne. J'espère que ce dispositif sera adopté par l'Assemblée nationale, qui examinera le texte à la fin du mois.
L'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement a indiqué récemment que le nombre de fraudes bancaires était en augmentation. Les associations de consommateurs soulignent régulièrement la difficulté qu'elles ont à obtenir de la part des banques un remboursement de ces fraudes. Est-il possible d'améliorer la situation ?
J'ai posé, il y a plusieurs mois, une question écrite au ministre de l'économie sur les frais bancaires de succession. Il m'avait alors répondu que le comité consultatif du secteur financier, dont vous assurez le secrétariat, avait prévu de lancer des travaux sur ce sujet en septembre 2022. Pourquoi les choses n'avancent-elles pas plus vite ? Quelle est votre position sur ce sujet ?
Enfin, on observe régulièrement une baisse de la capacité d'accéder à la monnaie, c'est-à-dire la fermeture d'un nombre de plus en plus élevé de distributeurs automatiques de billets. C'est préoccupant, non seulement en milieu rural, mais également dans les petites villes. Comment freiner cette évolution tout à fait regrettable ?
Alors que les difficultés énergétiques nourrissent l'inflation, qui pèse très lourdement sur les ménages, sur les entreprises et sur les capacités des collectivités à investir dans la transition écologique, que proposent la BCE et la Banque de France pour soutenir la nécessaire transition énergétique ?
Je vous remercie, monsieur le gouverneur, pour votre présentation claire et argumentée. Alors que la crise impose un déploiement accéléré des énergies renouvelables et des solutions afin de réduire la consommation d'énergie, la BCE décide une remontée des taux afin de lutter contre l'inflation. Or, cette hausse a pour effet de renchérir le coût des solutions à la crise énergétique et climatique. Faut-il mobiliser des outils de politique monétaire pour permettre leur déploiement ?
Par ailleurs, est-il vrai, comme l'a dit le ministre Bruno Le Maire, que le livret de développement durable et solidaire n'a de vert que le nom ? Estimez-vous opportun aujourd'hui de modifier les règles de mobilisation de la fraction bancaire du livret de développement durable et solidaire ou celle qui est centralisée par la Caisse des dépôts et consignations ? A-t-on besoin d'un produit d'épargne supplémentaire pour financer la transition énergétique et la rénovation thermique des bâtiments ?
Monsieur le gouverneur, j'ai l'impression que, comme d'autres responsables publics, vous souhaitez brider le développement du crédit immobilier dans notre pays. Pour ma part, je considère qu'il faut au contraire aller plus loin dans ce domaine afin d'apporter des solutions au problème du logement, qui ne pourra pas être résolu par les seuls investissements publics. Ne faudrait-il pas continuer à faire confiance aux épargnants et au secteur privé pour relever le défi du logement dans notre pays ? Ne faudrait-il pas également reconsidérer les différents livrets d'épargne qui existent et prévoir un dispositif un peu plus adapté ?
Dans le contexte économique actuel, alors que la hausse des prix, en particulier de l'énergie, renchérit le coût des produits et pose des difficultés aux entreprises, n'y a-t-il pas un risque de récession ? La réforme des retraites ne risque-t-elle pas d'entraîner des perturbations et d'avoir des effets significatifs sur le niveau de l'activité et sur notre PIB en 2023 ?
Enfin, la hausse des taux d'intérêt ne risque-t-elle pas de plomber significativement les budgets publics ? N'y a-t-il pas un risque majeur pour la stabilité et la sécurité financières de notre pays ?
Alors que les difficultés énergétiques nourrissent l'inflation, qui pèse très lourdement sur les ménages, sur les entreprises et sur les capacités des collectivités à investir dans la transition écologique, que proposent la BCE et la Banque de France pour soutenir la nécessaire transition énergétique ?
Comme mes collègues, je rencontre fréquemment des maires qui m'interrogent sur la conduite à tenir en matière financière. Les collectivités ont-elles intérêt à financer dès à présent leur budget par l'emprunt, alors que vous annoncez une hausse des taux en 2023, ou est-il préférable d'attendre des temps meilleurs, puisque vous annoncez parallèlement une baisse de l'inflation, laquelle devrait entraîner une baisse des taux d'intérêt en 2024 ?
Monsieur le gouverneur, j'ai l'impression que, comme d'autres responsables publics, vous souhaitez brider le développement du crédit immobilier dans notre pays. Pour ma part, je considère qu'il faut au contraire aller plus loin dans ce domaine afin d'apporter des solutions au problème du logement, qui ne pourra pas être résolu par les seuls investissements publics. Ne faudrait-il pas continuer à faire confiance aux épargnants et au secteur privé pour relever le défi du logement dans notre pays ? Ne faudrait-il pas également reconsidérer les différents livrets d'épargne qui existent et prévoir un dispositif un peu plus adapté ?
Dans le contexte économique actuel, alors que la hausse des prix, en particulier de l'énergie, renchérit le coût des produits et pose des difficultés aux entreprises, n'y a-t-il pas un risque de récession ? La réforme des retraites ne risque-t-elle pas d'entraîner des perturbations et d'avoir des effets significatifs sur le niveau de l'activité et sur notre PIB en 2023 ?
Enfin, la hausse des taux d'intérêt ne risque-t-elle pas de plomber significativement les budgets publics ? N'y a-t-il pas un risque majeur pour la stabilité et la sécurité financières de notre pays ?
Vous dites, monsieur le gouverneur, que les outils de lutte contre l'inflation sont de nature non pas budgétaire, mais monétaire et structurelle. Je ne sais pas trop ce que sont les outils structurels. Pourriez-vous me l'expliquer ?
Comme mes collègues, je rencontre fréquemment des maires qui m'interrogent sur la conduite à tenir en matière financière. Les collectivités ont-elles intérêt à financer dès à présent leur budget par l'emprunt, alors que vous annoncez une hausse des taux en 2023, ou est-il préférable d'attendre des temps meilleurs, puisque vous annoncez parallèlement une baisse de l'inflation, laquelle devrait entraîner une baisse des taux d'intérêt en 2024 ?
Je vous poserai trois questions. La première porte sur le risque de récession en France. Vous dites être assez confiant à cet égard pour le moment, mais la Banque mondiale est, elle, assez inquiète. Selon elle, les prévisions seront dégradées de manière importante dans 95 % des États du monde. Comment votre analyse s'articule-t-elle avec celle de la Banque mondiale ?
Ma deuxième question porte sur la productivité des entreprises. Vous n'êtes pas inquiet pour la capacité des entreprises françaises à rembourser les PGE, au vu de leur solvabilité. Mais ne craignez-vous pas que ces remboursements impactent leur capacité d'investissement, comme c'est le cas pour les collectivités territoriales ? Disposez-vous d'un outil pour mesurer la dégradation éventuelle de la productivité des entreprises devant faire face à une augmentation du coût du crédit et au remboursement des prêts contractés par le passé ?
Vous avez parlé du taux d'usure. Que pensez-vous du taux d'usure vert, que d'aucuns réclament ? Il s'agit d'un taux d'usure différencié pour favoriser la rénovation énergétique.
Vous dites, monsieur le gouverneur, que les outils de lutte contre l'inflation sont de nature non pas budgétaire, mais monétaire et structurelle. Je ne sais pas trop ce que sont les outils structurels. Pourriez-vous me l'expliquer ?
Vu le contexte mondial d'inflation et le coût de l'énergie, quel est le point de vue de la Banque de France sur l'objectif de zéro artificialisation nette ? N'est-il pas contradictoire avec les enjeux actuels ?
Rapporteure spéciale sur les régimes sociaux et de retraite, je souhaite aussi savoir comment vous envisagez la fin du régime spécial de la Banque de France. Il y a deux ans, Laurent Pietraszewski déclarait que ce régime perdurerait - et il me semble que les salariés de la Banque de France avaient consenti à des efforts salariaux au profit de la caisse de réserve des employés.
Je vous poserai trois questions. La première porte sur le risque de récession en France. Vous dites être assez confiant à cet égard pour le moment, mais la Banque mondiale est, elle, assez inquiète. Selon elle, les prévisions seront dégradées de manière importante dans 95 % des États du monde. Comment votre analyse s'articule-t-elle avec celle de la Banque mondiale ?
Ma deuxième question porte sur la productivité des entreprises. Vous n'êtes pas inquiet pour la capacité des entreprises françaises à rembourser les PGE, au vu de leur solvabilité. Mais ne craignez-vous pas que ces remboursements impactent leur capacité d'investissement, comme c'est le cas pour les collectivités territoriales ? Disposez-vous d'un outil pour mesurer la dégradation éventuelle de la productivité des entreprises devant faire face à une augmentation du coût du crédit et au remboursement des prêts contractés par le passé ?
Vous avez parlé du taux d'usure. Que pensez-vous du taux d'usure vert, que d'aucuns réclament ? Il s'agit d'un taux d'usure différencié pour favoriser la rénovation énergétique.
Les 30 dernières années ont été marquées par une inflation faible, liée à la mondialisation. La seule exception a été la crise de 2008, qui a provoqué une hausse très forte des taux d'intérêt. Sinon, la certitude que la concurrence internationale contiendrait la hausse des prix a permis de maintenir les taux à des niveaux modestes.
Ne pensez-vous pas qu'au cours des 20 ou 30 prochaines années la décarbonation énergique conduite par les nations responsables va nécessairement nourrir l'inflation ? Il s'agit en effet de favoriser des investissements certes indispensables à l'harmonie climatique, mais dont le coût n'est pas toujours équilibré par une production.
Vu le contexte mondial d'inflation et le coût de l'énergie, quel est le point de vue de la Banque de France sur l'objectif de zéro artificialisation nette ? N'est-il pas contradictoire avec les enjeux actuels ?
Rapporteure spéciale sur les régimes sociaux et de retraite, je souhaite aussi savoir comment vous envisagez la fin du régime spécial de la Banque de France. Il y a deux ans, Laurent Pietraszewski déclarait que ce régime perdurerait - et il me semble que les salariés de la Banque de France avaient consenti à des efforts salariaux au profit de la caisse de réserve des employés.
Dans votre propos, on comprend qu'il y ait une part de confiance et une part de vigilance - voire d'inquiétude ? Vous êtes confiant sur l'activité et sur la réduction de l'inflation, et plutôt inquiet sur la dette. Nous devons en effet nous interroger sur la soutenabilité de celle-ci avec l'augmentation des taux. La Banque de France devrait peut-être alerter davantage sur les risques que nous courons à cet égard. Comment concilier l'augmentation des taux et la situation, particulière en Europe, des finances publiques françaises ? Outre la maîtrise des dépenses, une augmentation de la quantité de travail suffira-t-elle, comme on nous le dit souvent, pour sortir de cette spirale ?
Les 30 dernières années ont été marquées par une inflation faible, liée à la mondialisation. La seule exception a été la crise de 2008, qui a provoqué une hausse très forte des taux d'intérêt. Sinon, la certitude que la concurrence internationale contiendrait la hausse des prix a permis de maintenir les taux à des niveaux modestes.
Ne pensez-vous pas qu'au cours des 20 ou 30 prochaines années la décarbonation énergique conduite par les nations responsables va nécessairement nourrir l'inflation ? Il s'agit en effet de favoriser des investissements certes indispensables à l'harmonie climatique, mais dont le coût n'est pas toujours équilibré par une production.
Vous avez évoqué les cryptomonnaies, dont il a beaucoup été question ces dernières semaines, avec l'effondrement de la plateforme FTX aux États-Unis. J'ai cru comprendre que vous appeliez à une plus grande régulation de ce type d'activité. Considérez-vous que cet épisode est un accident de parcours, un épiphénomène en somme, ou reflète-t-il un problème beaucoup plus profond, qui nécessiterait qu'on l'appréhende de manière politique au sens large ? Il s'agit d'un secteur parti de rien, qui a très vite atteint un niveau de capitalisation de 3 000 milliards de dollars... Cela soulève de vraies questions.
Dans votre propos, on comprend qu'il y ait une part de confiance et une part de vigilance - voire d'inquiétude ? Vous êtes confiant sur l'activité et sur la réduction de l'inflation, et plutôt inquiet sur la dette. Nous devons en effet nous interroger sur la soutenabilité de celle-ci avec l'augmentation des taux. La Banque de France devrait peut-être alerter davantage sur les risques que nous courons à cet égard. Comment concilier l'augmentation des taux et la situation, particulière en Europe, des finances publiques françaises ? Outre la maîtrise des dépenses, une augmentation de la quantité de travail suffira-t-elle, comme on nous le dit souvent, pour sortir de cette spirale ?
Vous avez évoqué les cryptomonnaies, dont il a beaucoup été question ces dernières semaines, avec l'effondrement de la plateforme FTX aux États-Unis. J'ai cru comprendre que vous appeliez à une plus grande régulation de ce type d'activité. Considérez-vous que cet épisode est un accident de parcours, un épiphénomène en somme, ou reflète-t-il un problème beaucoup plus profond, qui nécessiterait qu'on l'appréhende de manière politique au sens large ? Il s'agit d'un secteur parti de rien, qui a très vite atteint un niveau de capitalisation de 3 000 milliards de dollars... Cela soulève de vraies questions.
Avec sa politique de rachats de la dette des États de l'Union, la Banque centrale européenne détiendrait entre 20 % et 25 % de la dette française.
C'est exact, et c'est même la Banque de France qui détient ces titres.
Avec sa politique de rachats de la dette des États de l'Union, la Banque centrale européenne détiendrait entre 20 % et 25 % de la dette française.
Comment seront-ils gérés ? Avec la crise de la covid, l'épargne des Français, faute de pouvoir consommer, avait augmenté de 150 milliards d'euros. Cela m'a conduit à réfléchir au financement de la dette d'un État. La dette japonaise, par exemple, atteint 250 % du PIB, mais est détenue à 85 % par des investisseurs japonais, institutions et particuliers. Pourquoi ne pas imaginer chez nous aussi un autre type de financement, mobilisant cet excès d'épargne des Français ? Cela nous libérerait un peu de l'emprise des marchés financiers, qui financent allègrement notre dette, puisque nous allons réemprunter cette année 270 milliards d'euros...
C'est exact, et c'est même la Banque de France qui détient ces titres.
On est souvent très attentif à l'endettement public, un peu moins à l'endettement privé. Quels sont les risques de défaillance des ménages avec l'évolution du coût de l'argent ? Les entreprises françaises sont globalement plus endettées que celles des autres pays occidentaux. Cela les gênera-t-il pour investir, ou leur fait-il courir des risques particuliers ?
Les établissements financiers considèrent aujourd'hui que le taux d'usure est insuffisant, ce qui les conduit à être beaucoup plus restrictifs en matière de crédit. Cela génère des difficultés d'accès au crédit pour les PME, obligées de fournir des apports plus importants ou des garanties accrues. Cela risque-t-il d'entraver la croissance ou les investissements nécessaires à la transition énergétique ?
Comment seront-ils gérés ? Avec la crise de la covid, l'épargne des Français, faute de pouvoir consommer, avait augmenté de 150 milliards d'euros. Cela m'a conduit à réfléchir au financement de la dette d'un État. La dette japonaise, par exemple, atteint 250 % du PIB, mais est détenue à 85 % par des investisseurs japonais, institutions et particuliers. Pourquoi ne pas imaginer chez nous aussi un autre type de financement, mobilisant cet excès d'épargne des Français ? Cela nous libérerait un peu de l'emprise des marchés financiers, qui financent allègrement notre dette, puisque nous allons réemprunter cette année 270 milliards d'euros...
Pourriez-vous nous éclairer sur le régime juridique applicable aux plans épargne logement souscrits avant le 28 février 2011 ?
On est souvent très attentif à l'endettement public, un peu moins à l'endettement privé. Quels sont les risques de défaillance des ménages avec l'évolution du coût de l'argent ? Les entreprises françaises sont globalement plus endettées que celles des autres pays occidentaux. Cela les gênera-t-il pour investir, ou leur fait-il courir des risques particuliers ?
Les établissements financiers considèrent aujourd'hui que le taux d'usure est insuffisant, ce qui les conduit à être beaucoup plus restrictifs en matière de crédit. Cela génère des difficultés d'accès au crédit pour les PME, obligées de fournir des apports plus importants ou des garanties accrues. Cela risque-t-il d'entraver la croissance ou les investissements nécessaires à la transition énergétique ?
Vous êtes à la fois un acteur et un observateur dans le match de l'après-Brexit. La place financière de Paris a-t-elle tiré parti de la situation ? Quelle est sa dynamique par rapport aux autres places européennes comme Amsterdam ou Francfort ? Quelles institutions ont établi leur siège dans le bassin parisien ? Y a-t-il de nouvelles installations en perspective ? Je pense aux chambres de compensation, par exemple, même si j'avoue ne pas véritablement savoir à quoi elles servent...
Pourriez-vous nous éclairer sur le régime juridique applicable aux plans épargne logement souscrits avant le 28 février 2011 ?
Votre exposé liminaire était très éclairant : votre hypothèse de croissance n'est pas la même que celle retenue par le projet de loi de finances pour 2023 qui vient d'être adopté ! Inquiétant. Le ministre de l'économie, lui, a confirmé ce matin la prévision de croissance de 1 % du Gouvernement. Quelles sont les différentes hypothèses qui conduisent à cet écart ? On comprend qu'il y ait une forme de volontarisme du Gouvernement... Avec 0,3 %, nous ne serions pas en récession, mais nous n'en serions pas loin !
Quelle est la marge de manoeuvre dans l'année pour revoir le niveau des taux d'intérêt ? Vous dites que c'est à la politique monétaire de lutter contre l'inflation, mais nous ne devons pas non plus augmenter trop le déficit budgétaire. L'équilibre à trouver est fragile, dans une période difficile... Quelle sera notre capacité à nous adapter à l'évolution de la situation au cours de l'année 2023 ?
Vous êtes à la fois un acteur et un observateur dans le match de l'après-Brexit. La place financière de Paris a-t-elle tiré parti de la situation ? Quelle est sa dynamique par rapport aux autres places européennes comme Amsterdam ou Francfort ? Quelles institutions ont établi leur siège dans le bassin parisien ? Y a-t-il de nouvelles installations en perspective ? Je pense aux chambres de compensation, par exemple, même si j'avoue ne pas véritablement savoir à quoi elles servent...
Je salue la qualité de toutes les questions. J'invite d'ailleurs ceux d'entre vous qui le souhaitent à venir à la Banque de France, ce qui nous permettra d'échanger davantage que pendant mon audition annuelle devant votre commission.
Je soutiens totalement la proposition de réglementation des cryptoactifs - je préfère ce terme à celui de cryptomonnaies, monsieur Bocquet.
La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises a constitué un progrès, puisque nous avons été parmi les premiers à prévoir un statut de prestataire de services en actifs numériques (Psan). Ce texte prévoyait deux possibilités : un simple enregistrement, avec un contrôle pour lutter contre le blanchiment, ou l'agrément. Je pense qu'il serait bon que l'agrément devienne obligatoire le plus rapidement possible - d'ici à la fin de l'année.
Vous avez évoqué les fraudes bancaires et leur remboursement. C'est effectivement un sujet très sensible. Je préside l'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, qui a rappelé aux banques que la règle, c'est le remboursement, et l'exception, le non-remboursement, qui ne peut intervenir que s'il y a présomption sérieuse de complicité ou de mauvaise foi.
Sur les frais de succession, qui sont également un sujet sensible, je me renseignerai. Je ne savais pas que les travaux du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) n'avançaient pas aussi vite que prévu, et je vais veiller à les accélérer.
La capacité d'accès à la monnaie, et en particulier aux billets, est un sujet qui nous est aussi cher qu'il l'est à votre rapporteur général ! Nous publions chaque année au mois de juillet une étude sur ce sujet, et le taux d'accès de nos concitoyens aux distributeurs automatiques de billets (DAB) est actuellement maintenu. Les DAB sont un peu moins nombreux, mais 99 % de nos concitoyens habitent à moins d'un quart d'heure d'un DAB. Pourquoi le nombre de DAB diminue-t-il ? Objectivement, parce qu'ils coûtent cher aux banques. Mais cette diminution se concentre dans les villes. Nous sommes extrêmement attentifs au maintien de la couverture territoriale. Des opérations de regroupement qui ont pu avoir lieu entre certains réseaux bancaires nous paraissent plutôt intelligentes, parce qu'elles maintiennent la capacité de distribution tout en diminuant son coût. En tous cas, il ne s'agit absolument pas de diminuer l'accessibilité, notamment en milieu rural.
M. Savoldelli m'interroge sur la hausse des taux et le financement des solutions énergétiques. La hausse des taux est absolument nécessaire pour lutter contre l'inflation. Je répète qu'il n'y a pas à choisir entre la lutte contre l'inflation et la croissance. Si nous laissons s'installer l'inflation, celle-ci devient, dans la durée, le pire ennemi de la croissance. Elle nuit en effet à la confiance, et rend difficile de prévoir des investissements. Il faut de la confiance et des repères sur la valeur de la monnaie.
De plus, si nous laissons s'installer l'inflation comme dans les années 1970, il faudra un remède de cheval pour la faire disparaître. Un certain nombre d'entre nous s'en souviennent, M. Volcker, aux États-Unis, n'avait pas monté les taux d'intérêt au-dessus de 2 %, mais au-dessus de 20 % - ce qui, pour le coup, avait provoqué une récession forte aux États-Unis.
L'arbitrage entre inflation et croissance ne joue que dans des situations très graves, que notre action a précisément pour but d'éviter.
Pour financer les solutions de la transition énergétique, nous devons organiser les choses au niveau européen. J'ai évoqué une union verte des marchés de capitaux. Nous avons beaucoup d'épargne disponible en Europe, et beaucoup de besoins de financement, mais nous n'arrivons pas à mettre ces ressources en face de ces besoins, parce que les marchés sont beaucoup trop cloisonnés. Nous devons avancer sur ce point. Le Sénat, qui s'est régulièrement intéressé à l'union des marchés de capitaux, pourrait y revenir : je ne vois pas de blocage politique en la matière, mais seulement un manque d'intérêt chez certains dirigeants européens.
Un nouveau livret vert ? C'est Bercy qu'il faut interroger. Je ne sais pas si l'on peut résoudre tous les problèmes de l'économie française en multipliant les livrets, mais vous avez raison d'évoquer un produit un peu plus risqué, un peu moins liquide et conçu pour le long terme : on ne peut pas à la fois garantir la liquidité des livrets, avoir des taux élevés, et expliquer qu'on pourra financer avec cela toutes les transformations à long terme de l'économie française.
Pour soutenir la transition écologique, les banques centrales peuvent faire davantage. Cela dit, la Banque centrale européenne est pionnière, sous l'impulsion de Christine Lagarde, pour verdir la politique monétaire. Nous avons annoncé en juillet dernier un plan très important en la matière, alors que d'autres banques centrales ont encore des réticences, comme le président de la Fed l'a confirmé hier. La Banque de France, dans un classement des 20 principales banques centrales du monde effectué par des ONG totalement indépendantes - et souvent assez critiques envers les institutions publiques comme la nôtre - arrive première, et de loin ! Je tiens à votre disposition ce classement. Nous allons continuer à avancer dans cette direction par notre politique monétaire, notre politique de supervision, qui vise à inciter les banques et les compagnies d'assurance à verdir davantage leur bilan, et par notre politique d'investissement.
Monsieur Canévet, je ne voulais pas donner l'impression de vouloir « brider » le crédit immobilier. Je crois simplement que nous devons être cohérents en la matière. Le livret A sert à la fois à rémunérer les épargnants et à financer le logement social. Quand on fixe son taux, il faut bien penser à ces deux dimensions. Il est très important de veiller à ce que les ménages qui souscrivent un crédit immobilier ne se retrouvent pas en situation de surendettement, si l'on ne veut pas que des chantiers soient arrêtés brusquement ou que des personnes soient en grande difficulté financière. C'est le sens des mesures prises par le HCSF, le Haut Conseil de stabilité financière, pour faire en sorte que la durée des crédits ne dépasse pas 25 ans, que la mensualité n'excède pas 35 % du revenu, etc. L'objectif n'est pas de rendre le crédit plus rare, mais de le rendre plus sûr, ce qui est dans l'intérêt de tous.
En ce qui concerne la réforme des retraites, je m'abstiendrai de tout commentaire, sauf sur le cas du régime de la Banque de France, sur lequel je reviendrai.
Sur l'endettement public, je vous rejoins totalement. Une grande vigilance s'impose en la matière, voire une « inquiétude » pour reprendre vos termes. Mais cela ne saurait modifier la politique monétaire. Il faut traiter la question du volume de la dette publique. Quand j'avais 20 ans, le ratio entre la dette publique et le PIB était de 20 %. Il est désormais de 114 % ; ceux qui ont 20 ans aujourd'hui partent donc dans la vie avec un sac à dos qui pèse 5 à 6 fois plus lourd ! Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Certains demandent à la Banque de France d'en faire plus en la matière, mais j'ai l'impression que nous en faisons déjà beaucoup ! Et d'aucuns trouvent d'ailleurs que nous en faisons trop... Certes il n'est pas facile de faire des arbitrages, mais nous ne pouvons pas continuer avec un tel volume de dépenses publiques, de déficit et de dette. La Banque centrale ne peut pas se fixer comme objectif de financer la dette publique, car cela se termine toujours par une inflation beaucoup plus forte. Les programmes d'achats d'actifs récents étaient une exception, il s'agissait alors d'éviter la déflation.
Il ne m'appartient pas de donner des conseils aux maires en matière de financement. La situation de chaque commune est particulière. J'indique seulement que les taux d'intérêt sont censés incorporer déjà, de la manière la plus rationnelle possible, les anticipations d'inflation ou les prévisions macroéconomiques. Il ne faut pas croire non plus que les banques centrales vont monter leurs taux très rapidement, puis les rebaisser ensuite aussi vite. Il est sans soute préférable de les monter un peu moins haut, mais de les maintenir ensuite à ces niveaux plus longtemps. En d'autres termes, la course de vitesse qui a eu lieu à la fin de l'année dernière va progressivement devenir une course de fond. Le bon calibrage de la politique monétaire est une question d'arbitrage entre le niveau des taux et leur durée.
Monsieur Delahaye, je reconnais que le terme « outil structurel » relève du jargon des banquiers centraux. Il s'agit de notre capacité à muscler notre production, notre offre, à travers la transformation énergétique, la transformation numérique et la transformation du travail. Cette mutation joue un rôle dans la victoire contre l'inflation, car cette dernière dépend de l'équilibre entre l'offre et la demande : quand l'offre est insuffisante, l'inflation augmente ; quand la demande est trop faible, la déflation menace - c'était le cas ces dernières années. Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans une situation où il n'y a pas assez d'offre, ce qui requiert des transformations structurelles. La politique de l'offre ne se réduit pas à des baisses d'impôt. Elle consiste aussi en des transformations de fond, qui sont beaucoup plus efficaces dans la durée, surtout dans la situation des finances publiques que l'on connaît.
Monsieur Capus, j'assume que nous puissions avoir des différences d'analyse avec la Banque mondiale. J'ai même la faiblesse de penser que notre vision de l'économie française est encore plus pointue et pertinente que celle de la Banque mondiale... J'ai noté une certaine tendance au pessimisme dans son analyse ; je ne prétends pas du tout que la France aura une croissance forte cette année : j'ai été très clair, je m'attends à un net ralentissement, mais je crois que l'on peut dire, sauf bien sûr rebondissement extérieur, que nous allons éviter une récession lourde ou un atterrissage brutal.
J'en viens à la capacité d'investissement des entreprises. La productivité des entreprises est en train de ralentir fortement ; c'est la contrepartie du fait que l'emploi, lui, se porte bien. Lorsque la production ralentit et que l'emploi se maintient, ce n'est pas très bon pour la productivité, même si, à court terme, ce mix est assez favorable. Notre enquête montre que 52 % des entreprises ont encore des difficultés de recrutement, alors que le taux de chômage s'élève à 7 % et que des centaines de milliers de jeunes n'ont pas d'emploi ! C'est le paradoxe français. Dans cette situation, les entreprises ont plus tendance qu'avant à garder leurs salariés, y compris par le mécanisme d'activité partielle. Cela ne me paraît pas mauvais, mais cela pèse sur la productivité. Est-ce que cela pèse sur la capacité d'investissement ? J'en suis moins sûr parce que l'investissement des entreprises est avant tout déterminé par leurs anticipations de demande, et un peu moins par leur situation financière. L'investissement a très bien résisté en 2020, au moment de la crise du covid, puis s'est fortement relevé ensuite. Pour l'instant, il résiste. Le plus préjudiciable, c'est l'incertitude - d'où l'importance de gagner la bataille contre l'inflation !
J'avoue que je ne connaissais pas le taux d'usure vert ! Mais si le Parlement le crée, nous suivrons. J'indique toutefois qu'une grande part des travaux de rénovation que vous évoquez relève juridiquement non du crédit immobilier, mais du crédit à la consommation, dont le taux plafond est nettement plus élevé. J'insiste : le relèvement du taux d'usure n'est pas une baguette magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. Si le législateur a prévu un taux d'usure, c'est pour protéger les emprunteurs. Je lis parfois dans la presse que le problème du crédit immobilier tient au fait que les taux d'intérêt sont trop élevés et que le taux d'usure est trop bas... C'est contradictoire ! Je ne vois pas comment augmenter le taux d'usure permettra de faire baisser les taux de crédit immobilier.
Je ne me prononcerai pas sur le ZAN, cela ne relève pas de la compétence de la Banque de France.
Je connais par contre beaucoup mieux la question du régime spécial de retraite de la Banque de France. Les agents de la Banque de France n'ont aucun avantage particulier en matière de retraite. Qu'il s'agisse des cotisations, de leur assiette, du niveau des pensions, de l'âge légal de départ, etc., nous appliquons exactement les règles de la fonction publique. Si l'on parle de régime « spécial » de la Banque de France, ce n'est pas en raison de l'existence de quelconques privilèges, mais pour une raison relativement vertueuse qui est que ce régime est provisionné à l'avance à hauteur de 100 % par la caisse de retraite de la Banque de France, qui a d'ailleurs réalisé des investissements verts et compatibles avec la transition climatique. C'est pourquoi j'ai souhaité, comme les personnels de la Banque de France, maintenir jusqu'à présent ce régime, mais nous appliquerons évidemment ce que votera le Parlement.
Monsieur Longuet, si l'inflation a été réduite ces trente dernières années, c'est certainement grâce à la mondialisation, mais c'est aussi grâce à l'action des banques centrales. La décarbonation de notre économie s'accompagnera-t-elle d'un surcroît d'inflation ? C'est possible, mais il devrait être faible, de l'ordre de quelques dixièmes de points au maximum. En tout cas, l'inflation que nous connaissons n'est pas liée à la transition climatique, comme le prétendent certains climatosceptiques. Nous devrons trouver le moyen de réaliser la décarbonation tout en maintenant une inflation modérée - c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles l'objectif d'inflation n'est pas de zéro, mais de 2 %.
Monsieur Capo-Canellas, j'aime comme vous raisonner en termes de confiance et de vigilance ; je préfère cette alternative à l'opposition entre optimisme et pessimisme, qui renvoie à des biais psychologiques. Parmi les points de vigilance, je citerai très clairement la dette. L'augmentation de la quantité de travail ne suffira probablement pas pour la résorber. Nous devons gérer de façon plus efficace les dépenses courantes. Ainsi, à la Banque de France, nous avons réduit, depuis 2015, les effectifs de 25 % par la voie du non-remplacement des départs en retraite, tandis que notre budget de fonctionnement - masse salariale et frais généraux - baissait de 4 % par an en volume, après inflation. Nous l'avons fait tout en continuant, non seulement à assurer nos missions, mais en en développant un certain nombre d'autres sur le climat, les TPE ou la médiation du crédit. Un tel effort est donc possible, à côté d'une politique pour augmenter l'offre.
Monsieur Bocquet sur les cryptoactifs, la réponse était implicite dans votre question, et je la partage ! La faillite de FTX n'est pas un accident de parcours : elle fait suite à la faillite de Terra/Luna. Si les accidents se succèdent, c'est qu'il y a un problème ! Et, dans ce cas, il faut réglementer. Il y a quelques années, on se demandait s'il fallait réglementer ou réguler. Aujourd'hui, on se demande s'il faut réglementer ou interdire. Je me réjouis que l'AMF partage notre position.
Je vous confirme que la Banque centrale européenne détient entre 20 % et 25 % de la dette souveraine française. Peut-on recourir davantage à l'épargne des investisseurs résidents ? La dette française est détenue à peu près à parts égales par les investisseurs résidents, au travers notamment de l'assurance vie, et par les investisseurs non-résidents. Les marchés financiers financent « allègrement » la dette française, dites-vous...
Votre exposé liminaire était très éclairant : votre hypothèse de croissance n'est pas la même que celle retenue par le projet de loi de finances pour 2023 qui vient d'être adopté ! Inquiétant. Le ministre de l'économie, lui, a confirmé ce matin la prévision de croissance de 1 % du Gouvernement. Quelles sont les différentes hypothèses qui conduisent à cet écart ? On comprend qu'il y ait une forme de volontarisme du Gouvernement... Avec 0,3 %, nous ne serions pas en récession, mais nous n'en serions pas loin !
Quelle est la marge de manoeuvre dans l'année pour revoir le niveau des taux d'intérêt ? Vous dites que c'est à la politique monétaire de lutter contre l'inflation, mais nous ne devons pas non plus augmenter trop le déficit budgétaire. L'équilibre à trouver est fragile, dans une période difficile... Quelle sera notre capacité à nous adapter à l'évolution de la situation au cours de l'année 2023 ?
Je salue la qualité de toutes les questions. J'invite d'ailleurs ceux d'entre vous qui le souhaitent à venir à la Banque de France, ce qui nous permettra d'échanger davantage que pendant mon audition annuelle devant votre commission.
Je soutiens totalement la proposition de réglementation des cryptoactifs - je préfère ce terme à celui de cryptomonnaies, monsieur Bocquet.
La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises a constitué un progrès, puisque nous avons été parmi les premiers à prévoir un statut de prestataire de services en actifs numériques (Psan). Ce texte prévoyait deux possibilités : un simple enregistrement, avec un contrôle pour lutter contre le blanchiment, ou l'agrément. Je pense qu'il serait bon que l'agrément devienne obligatoire le plus rapidement possible - d'ici à la fin de l'année.
Vous avez évoqué les fraudes bancaires et leur remboursement. C'est effectivement un sujet très sensible. Je préside l'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, qui a rappelé aux banques que la règle, c'est le remboursement, et l'exception, le non-remboursement, qui ne peut intervenir que s'il y a présomption sérieuse de complicité ou de mauvaise foi.
Sur les frais de succession, qui sont également un sujet sensible, je me renseignerai. Je ne savais pas que les travaux du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) n'avançaient pas aussi vite que prévu, et je vais veiller à les accélérer.
La capacité d'accès à la monnaie, et en particulier aux billets, est un sujet qui nous est aussi cher qu'il l'est à votre rapporteur général ! Nous publions chaque année au mois de juillet une étude sur ce sujet, et le taux d'accès de nos concitoyens aux distributeurs automatiques de billets (DAB) est actuellement maintenu. Les DAB sont un peu moins nombreux, mais 99 % de nos concitoyens habitent à moins d'un quart d'heure d'un DAB. Pourquoi le nombre de DAB diminue-t-il ? Objectivement, parce qu'ils coûtent cher aux banques. Mais cette diminution se concentre dans les villes. Nous sommes extrêmement attentifs au maintien de la couverture territoriale. Des opérations de regroupement qui ont pu avoir lieu entre certains réseaux bancaires nous paraissent plutôt intelligentes, parce qu'elles maintiennent la capacité de distribution tout en diminuant son coût. En tous cas, il ne s'agit absolument pas de diminuer l'accessibilité, notamment en milieu rural.
M. Savoldelli m'interroge sur la hausse des taux et le financement des solutions énergétiques. La hausse des taux est absolument nécessaire pour lutter contre l'inflation. Je répète qu'il n'y a pas à choisir entre la lutte contre l'inflation et la croissance. Si nous laissons s'installer l'inflation, celle-ci devient, dans la durée, le pire ennemi de la croissance. Elle nuit en effet à la confiance, et rend difficile de prévoir des investissements. Il faut de la confiance et des repères sur la valeur de la monnaie.
De plus, si nous laissons s'installer l'inflation comme dans les années 1970, il faudra un remède de cheval pour la faire disparaître. Un certain nombre d'entre nous s'en souviennent, M. Volcker, aux États-Unis, n'avait pas monté les taux d'intérêt au-dessus de 2 %, mais au-dessus de 20 % - ce qui, pour le coup, avait provoqué une récession forte aux États-Unis.
L'arbitrage entre inflation et croissance ne joue que dans des situations très graves, que notre action a précisément pour but d'éviter.
Pour financer les solutions de la transition énergétique, nous devons organiser les choses au niveau européen. J'ai évoqué une union verte des marchés de capitaux. Nous avons beaucoup d'épargne disponible en Europe, et beaucoup de besoins de financement, mais nous n'arrivons pas à mettre ces ressources en face de ces besoins, parce que les marchés sont beaucoup trop cloisonnés. Nous devons avancer sur ce point. Le Sénat, qui s'est régulièrement intéressé à l'union des marchés de capitaux, pourrait y revenir : je ne vois pas de blocage politique en la matière, mais seulement un manque d'intérêt chez certains dirigeants européens.
Un nouveau livret vert ? C'est Bercy qu'il faut interroger. Je ne sais pas si l'on peut résoudre tous les problèmes de l'économie française en multipliant les livrets, mais vous avez raison d'évoquer un produit un peu plus risqué, un peu moins liquide et conçu pour le long terme : on ne peut pas à la fois garantir la liquidité des livrets, avoir des taux élevés, et expliquer qu'on pourra financer avec cela toutes les transformations à long terme de l'économie française.
Pour soutenir la transition écologique, les banques centrales peuvent faire davantage. Cela dit, la Banque centrale européenne est pionnière, sous l'impulsion de Christine Lagarde, pour verdir la politique monétaire. Nous avons annoncé en juillet dernier un plan très important en la matière, alors que d'autres banques centrales ont encore des réticences, comme le président de la Fed l'a confirmé hier. La Banque de France, dans un classement des 20 principales banques centrales du monde effectué par des ONG totalement indépendantes - et souvent assez critiques envers les institutions publiques comme la nôtre - arrive première, et de loin ! Je tiens à votre disposition ce classement. Nous allons continuer à avancer dans cette direction par notre politique monétaire, notre politique de supervision, qui vise à inciter les banques et les compagnies d'assurance à verdir davantage leur bilan, et par notre politique d'investissement.
Monsieur Canévet, je ne voulais pas donner l'impression de vouloir « brider » le crédit immobilier. Je crois simplement que nous devons être cohérents en la matière. Le livret A sert à la fois à rémunérer les épargnants et à financer le logement social. Quand on fixe son taux, il faut bien penser à ces deux dimensions. Il est très important de veiller à ce que les ménages qui souscrivent un crédit immobilier ne se retrouvent pas en situation de surendettement, si l'on ne veut pas que des chantiers soient arrêtés brusquement ou que des personnes soient en grande difficulté financière. C'est le sens des mesures prises par le HCSF, le Haut Conseil de stabilité financière, pour faire en sorte que la durée des crédits ne dépasse pas 25 ans, que la mensualité n'excède pas 35 % du revenu, etc. L'objectif n'est pas de rendre le crédit plus rare, mais de le rendre plus sûr, ce qui est dans l'intérêt de tous.
En ce qui concerne la réforme des retraites, je m'abstiendrai de tout commentaire, sauf sur le cas du régime de la Banque de France, sur lequel je reviendrai.
Sur l'endettement public, je vous rejoins totalement. Une grande vigilance s'impose en la matière, voire une « inquiétude » pour reprendre vos termes. Mais cela ne saurait modifier la politique monétaire. Il faut traiter la question du volume de la dette publique. Quand j'avais 20 ans, le ratio entre la dette publique et le PIB était de 20 %. Il est désormais de 114 % ; ceux qui ont 20 ans aujourd'hui partent donc dans la vie avec un sac à dos qui pèse 5 à 6 fois plus lourd ! Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Certains demandent à la Banque de France d'en faire plus en la matière, mais j'ai l'impression que nous en faisons déjà beaucoup ! Et d'aucuns trouvent d'ailleurs que nous en faisons trop... Certes il n'est pas facile de faire des arbitrages, mais nous ne pouvons pas continuer avec un tel volume de dépenses publiques, de déficit et de dette. La Banque centrale ne peut pas se fixer comme objectif de financer la dette publique, car cela se termine toujours par une inflation beaucoup plus forte. Les programmes d'achats d'actifs récents étaient une exception, il s'agissait alors d'éviter la déflation.
Il ne m'appartient pas de donner des conseils aux maires en matière de financement. La situation de chaque commune est particulière. J'indique seulement que les taux d'intérêt sont censés incorporer déjà, de la manière la plus rationnelle possible, les anticipations d'inflation ou les prévisions macroéconomiques. Il ne faut pas croire non plus que les banques centrales vont monter leurs taux très rapidement, puis les rebaisser ensuite aussi vite. Il est sans soute préférable de les monter un peu moins haut, mais de les maintenir ensuite à ces niveaux plus longtemps. En d'autres termes, la course de vitesse qui a eu lieu à la fin de l'année dernière va progressivement devenir une course de fond. Le bon calibrage de la politique monétaire est une question d'arbitrage entre le niveau des taux et leur durée.
Monsieur Delahaye, je reconnais que le terme « outil structurel » relève du jargon des banquiers centraux. Il s'agit de notre capacité à muscler notre production, notre offre, à travers la transformation énergétique, la transformation numérique et la transformation du travail. Cette mutation joue un rôle dans la victoire contre l'inflation, car cette dernière dépend de l'équilibre entre l'offre et la demande : quand l'offre est insuffisante, l'inflation augmente ; quand la demande est trop faible, la déflation menace - c'était le cas ces dernières années. Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans une situation où il n'y a pas assez d'offre, ce qui requiert des transformations structurelles. La politique de l'offre ne se réduit pas à des baisses d'impôt. Elle consiste aussi en des transformations de fond, qui sont beaucoup plus efficaces dans la durée, surtout dans la situation des finances publiques que l'on connaît.
Monsieur Capus, j'assume que nous puissions avoir des différences d'analyse avec la Banque mondiale. J'ai même la faiblesse de penser que notre vision de l'économie française est encore plus pointue et pertinente que celle de la Banque mondiale... J'ai noté une certaine tendance au pessimisme dans son analyse ; je ne prétends pas du tout que la France aura une croissance forte cette année : j'ai été très clair, je m'attends à un net ralentissement, mais je crois que l'on peut dire, sauf bien sûr rebondissement extérieur, que nous allons éviter une récession lourde ou un atterrissage brutal.
J'en viens à la capacité d'investissement des entreprises. La productivité des entreprises est en train de ralentir fortement ; c'est la contrepartie du fait que l'emploi, lui, se porte bien. Lorsque la production ralentit et que l'emploi se maintient, ce n'est pas très bon pour la productivité, même si, à court terme, ce mix est assez favorable. Notre enquête montre que 52 % des entreprises ont encore des difficultés de recrutement, alors que le taux de chômage s'élève à 7 % et que des centaines de milliers de jeunes n'ont pas d'emploi ! C'est le paradoxe français. Dans cette situation, les entreprises ont plus tendance qu'avant à garder leurs salariés, y compris par le mécanisme d'activité partielle. Cela ne me paraît pas mauvais, mais cela pèse sur la productivité. Est-ce que cela pèse sur la capacité d'investissement ? J'en suis moins sûr parce que l'investissement des entreprises est avant tout déterminé par leurs anticipations de demande, et un peu moins par leur situation financière. L'investissement a très bien résisté en 2020, au moment de la crise du covid, puis s'est fortement relevé ensuite. Pour l'instant, il résiste. Le plus préjudiciable, c'est l'incertitude - d'où l'importance de gagner la bataille contre l'inflation !
J'avoue que je ne connaissais pas le taux d'usure vert ! Mais si le Parlement le crée, nous suivrons. J'indique toutefois qu'une grande part des travaux de rénovation que vous évoquez relève juridiquement non du crédit immobilier, mais du crédit à la consommation, dont le taux plafond est nettement plus élevé. J'insiste : le relèvement du taux d'usure n'est pas une baguette magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. Si le législateur a prévu un taux d'usure, c'est pour protéger les emprunteurs. Je lis parfois dans la presse que le problème du crédit immobilier tient au fait que les taux d'intérêt sont trop élevés et que le taux d'usure est trop bas... C'est contradictoire ! Je ne vois pas comment augmenter le taux d'usure permettra de faire baisser les taux de crédit immobilier.
Je ne me prononcerai pas sur le ZAN, cela ne relève pas de la compétence de la Banque de France.
Je connais par contre beaucoup mieux la question du régime spécial de retraite de la Banque de France. Les agents de la Banque de France n'ont aucun avantage particulier en matière de retraite. Qu'il s'agisse des cotisations, de leur assiette, du niveau des pensions, de l'âge légal de départ, etc., nous appliquons exactement les règles de la fonction publique. Si l'on parle de régime « spécial » de la Banque de France, ce n'est pas en raison de l'existence de quelconques privilèges, mais pour une raison relativement vertueuse qui est que ce régime est provisionné à l'avance à hauteur de 100 % par la caisse de retraite de la Banque de France, qui a d'ailleurs réalisé des investissements verts et compatibles avec la transition climatique. C'est pourquoi j'ai souhaité, comme les personnels de la Banque de France, maintenir jusqu'à présent ce régime, mais nous appliquerons évidemment ce que votera le Parlement.
Monsieur Longuet, si l'inflation a été réduite ces trente dernières années, c'est certainement grâce à la mondialisation, mais c'est aussi grâce à l'action des banques centrales. La décarbonation de notre économie s'accompagnera-t-elle d'un surcroît d'inflation ? C'est possible, mais il devrait être faible, de l'ordre de quelques dixièmes de points au maximum. En tout cas, l'inflation que nous connaissons n'est pas liée à la transition climatique, comme le prétendent certains climatosceptiques. Nous devrons trouver le moyen de réaliser la décarbonation tout en maintenant une inflation modérée - c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles l'objectif d'inflation n'est pas de zéro, mais de 2 %.
Monsieur Capo-Canellas, j'aime comme vous raisonner en termes de confiance et de vigilance ; je préfère cette alternative à l'opposition entre optimisme et pessimisme, qui renvoie à des biais psychologiques. Parmi les points de vigilance, je citerai très clairement la dette. L'augmentation de la quantité de travail ne suffira probablement pas pour la résorber. Nous devons gérer de façon plus efficace les dépenses courantes. Ainsi, à la Banque de France, nous avons réduit, depuis 2015, les effectifs de 25 % par la voie du non-remplacement des départs en retraite, tandis que notre budget de fonctionnement - masse salariale et frais généraux - baissait de 4 % par an en volume, après inflation. Nous l'avons fait tout en continuant, non seulement à assurer nos missions, mais en en développant un certain nombre d'autres sur le climat, les TPE ou la médiation du crédit. Un tel effort est donc possible, à côté d'une politique pour augmenter l'offre.
Monsieur Bocquet sur les cryptoactifs, la réponse était implicite dans votre question, et je la partage ! La faillite de FTX n'est pas un accident de parcours : elle fait suite à la faillite de Terra/Luna. Si les accidents se succèdent, c'est qu'il y a un problème ! Et, dans ce cas, il faut réglementer. Il y a quelques années, on se demandait s'il fallait réglementer ou réguler. Aujourd'hui, on se demande s'il faut réglementer ou interdire. Je me réjouis que l'AMF partage notre position.
Je vous confirme que la Banque centrale européenne détient entre 20 % et 25 % de la dette souveraine française. Peut-on recourir davantage à l'épargne des investisseurs résidents ? La dette française est détenue à peu près à parts égales par les investisseurs résidents, au travers notamment de l'assurance vie, et par les investisseurs non-résidents. Les marchés financiers financent « allègrement » la dette française, dites-vous...
En tout cas, le taux des OAT a nettement remonté : il était de 0,2 % il y a quelques années, il est passé à 2,7 %, et cette hausse se fera sentir sur notre charge de la dette au fur et à mesure des nouvelles émissions. Le taux de 0,2 % était anormalement bas.
Je ne sais pas si la situation serait meilleure si le financement domestique était plus élevé. On risquerait de payer notre dette plus cher, car on se priverait du recours à l'épargne mondiale. Quant au système japonais, il est très spécifique, avec une population vieillissante, une inflation et une croissance plus faibles.
Monsieur Joly, je ne vois pas de risques de défaillance financière des ménages, dès lors que nous prenons les mesures pour prévenir le surendettement, notamment en ce qui concerne le crédit immobilier. Les lois sur le surendettement - les lois Neiertz de 1989, Lagarde de 2010, Hamon de 2013 - ont été très efficaces. Le nombre de dossiers de surendettement est passé de 230 000, en 2015, à 113 000 en 2022, soit une baisse de plus de 50 %. En ce qui concerne les entreprises, ma réponse serait plus nuancée. J'ai déjà évoqué leurs difficultés de trésorerie ou le comportement de paiement des grandes entreprises. D'une manière générale, les entreprises françaises n'ont pas de problème d'accès au crédit, mais elles manquent de fonds propres. Il faut parvenir à les augmenter, car ces derniers sont essentiels pour financer l'innovation ou la transition climatique. On en revient à la question de l'union des marchés de capitaux dans l'Union européenne dont j'ai parlé.
Je n'avais jamais entendu parler d'un taux d'usure différent pour les PME. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une demande très forte de leur part. Je ne voudrais pas apparaître comme un défenseur du taux d'usure, mais il est prévu par la loi. Je trouve toujours un peu paradoxales les demandes des corporations qui souhaitent voire le taux d'usure qui leur est appliqué augmenter : quand on prête plus cher aux gens, on ne fait pas toujours leur bien !
Monsieur Lurel, je ne saurais vous répondre dans l'immédiat sur les plans épargne logement souscrits avant le 28 février 2011, mais je vous transmettrai une réponse lorsque j'aurai des précisions. Les taux des PEL sont fixés au moment de la souscription, pour la durée du contrat, à la différence du livret A, dont les taux varient. La formule de calcul que nous appliquons concerne les nouveaux PEL, et j'ai ainsi recommandé de porter leur taux de 1 % à 2 %. Les PEL d'avant 2011 conservent leur taux beaucoup plus élevé de l'époque de souscription, mais ils ont été fiscalisés, car, comme vous le savez, la date de 2011 marque une frontière.
Monsieur Dominati, la place financière de Paris a plutôt marqué des points dans son match avec la City de Londres et les autres places européennes. La City de Londres a reculé, c'est incontestable. Il est frappant de constater que la capitalisation boursière de la place de Paris a dépassé, l'année dernière, celle de la place de Londres. Chacune des places européennes a tiré un peu son épingle du jeu. Nulle ne s'est imposée, on a plutôt affaire à une espèce de constellation. La place de Paris me paraît forte notamment pour les activités de marché des grandes banques internationales : si elles n'ont pas toujours leur siège européen à Paris, ayant parfois préféré Francfort, elles y ont souvent leurs salles de marché, à l'image de la plupart des grandes banques américaines.
Reste le problème des chambres de compensation ou CCP (central counterparty clearing), ces plateformes où s'échangent les produits dérivés, les swaps, les options, etc. Ces plateformes jouent un rôle essentiel, notamment en termes de surveillance des risques et d'influence économique. Or, elles sont très largement installées à Londres. La France souhaiterait des évolutions. J'aimerais que nos partenaires européens soient aussi allants que nous en la matière. Ces infrastructures de marché très importantes pour le marché financier européen ne peuvent rester en dehors de la régulation de Bruxelles et de Francfort. Il convient que les acteurs privés préparent des infrastructures alternatives en Europe.
La question de M. Féraud n'est pas la plus facile. Pourquoi nos prévisions de croissance sont-elles différentes de celles du Gouvernement ? Il y a tout d'abord des raisons techniques. Mais il y a aussi une raison de fond, c'est que la Banque de France est indépendante ; d'ailleurs, en 2023, on fêtera le 30e anniversaire de la loi du 4 août 1993 qui a consacré l'indépendance de la Banque de France. Les différences de prévision peuvent s'expliquer par une part de volontarisme, sans doute, et aussi par l'incertitude assez forte qui entoure l'exercice. Nous ne prétendons ainsi pas que notre prévision soit juste à la décimale près, même si l'écart, en l'occurrence, est un peu plus élevé...
Ensuite, dans quelle mesure la politique budgétaire contribue-t-elle à la lutte contre l'inflation ? Elle y a contribué temporairement, c'est ce que j'ai voulu dire en expliquant qu'une victoire durable contre l'inflation ne pourrait pas être obtenue par la voie budgétaire. En effet, plus cette politique dure, moins elle est efficace à cet égard : d'abord parce qu'elle coûte cher, et on en revient au problème de la dette publique ; ensuite, si les prix de l'énergie augmentent, il convient de s'adapter, ce qui contribuera à développer la sobriété énergétique et à réaliser la transition climatique. On ne peut pas protéger indéfiniment les acteurs économiques contre une nouvelle donne. Le surcoût énergétique a représenté pour la France une taxe extérieure payée aux fournisseurs de pétrole et de gaz de l'ordre de 60 milliards d'euros. Cette facture énergétique se répartit entre les entreprises, pour les deux tiers, et les ménages, pour un tiers. Les mesures budgétaires ont été extrêmement fortes en 2022, et elles ont absorbé, selon les estimations, entre un tiers et la moitié du choc. La part à la charge des ménages a ainsi beaucoup reculé, s'établissant finalement à 6 % de la facture totale, tandis que la part des entreprises s'est réduite pour s'établir à 50 % à peu près. Ces mesures étaient peut-être nécessaires pour amortir le choc à court terme, mais il est indispensable qu'elles cessent d'ici deux à trois ans, sinon l'adaptation nécessaire de notre pays ne se fera pas. Mieux vaut investir dans la transition climatique que dans des subventions à la consommation d'essence ! La ristourne sur les carburants était utile, mais, si nous la prolongeons, nous ne réussirons pas la transition climatique. Qui plus est, en soutenant la consommation énergétique alors que les prix de l'énergie augmentent, on entretient l'inflation et c'est contre-productif.
Je vous remercie.
La réunion est close à 12 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
En tout cas, le taux des OAT a nettement remonté : il était de 0,2 % il y a quelques années, il est passé à 2,7 %, et cette hausse se fera sentir sur notre charge de la dette au fur et à mesure des nouvelles émissions. Le taux de 0,2 % était anormalement bas.
Je ne sais pas si la situation serait meilleure si le financement domestique était plus élevé. On risquerait de payer notre dette plus cher, car on se priverait du recours à l'épargne mondiale. Quant au système japonais, il est très spécifique, avec une population vieillissante, une inflation et une croissance plus faibles.
Monsieur Joly, je ne vois pas de risques de défaillance financière des ménages, dès lors que nous prenons les mesures pour prévenir le surendettement, notamment en ce qui concerne le crédit immobilier. Les lois sur le surendettement - les lois Neiertz de 1989, Lagarde de 2010, Hamon de 2013 - ont été très efficaces. Le nombre de dossiers de surendettement est passé de 230 000, en 2015, à 113 000 en 2022, soit une baisse de plus de 50 %. En ce qui concerne les entreprises, ma réponse serait plus nuancée. J'ai déjà évoqué leurs difficultés de trésorerie ou le comportement de paiement des grandes entreprises. D'une manière générale, les entreprises françaises n'ont pas de problème d'accès au crédit, mais elles manquent de fonds propres. Il faut parvenir à les augmenter, car ces derniers sont essentiels pour financer l'innovation ou la transition climatique. On en revient à la question de l'union des marchés de capitaux dans l'Union européenne dont j'ai parlé.
Je n'avais jamais entendu parler d'un taux d'usure différent pour les PME. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une demande très forte de leur part. Je ne voudrais pas apparaître comme un défenseur du taux d'usure, mais il est prévu par la loi. Je trouve toujours un peu paradoxales les demandes des corporations qui souhaitent voire le taux d'usure qui leur est appliqué augmenter : quand on prête plus cher aux gens, on ne fait pas toujours leur bien !
Monsieur Lurel, je ne saurais vous répondre dans l'immédiat sur les plans épargne logement souscrits avant le 28 février 2011, mais je vous transmettrai une réponse lorsque j'aurai des précisions. Les taux des PEL sont fixés au moment de la souscription, pour la durée du contrat, à la différence du livret A, dont les taux varient. La formule de calcul que nous appliquons concerne les nouveaux PEL, et j'ai ainsi recommandé de porter leur taux de 1 % à 2 %. Les PEL d'avant 2011 conservent leur taux beaucoup plus élevé de l'époque de souscription, mais ils ont été fiscalisés, car, comme vous le savez, la date de 2011 marque une frontière.
Monsieur Dominati, la place financière de Paris a plutôt marqué des points dans son match avec la City de Londres et les autres places européennes. La City de Londres a reculé, c'est incontestable. Il est frappant de constater que la capitalisation boursière de la place de Paris a dépassé, l'année dernière, celle de la place de Londres. Chacune des places européennes a tiré un peu son épingle du jeu. Nulle ne s'est imposée, on a plutôt affaire à une espèce de constellation. La place de Paris me paraît forte notamment pour les activités de marché des grandes banques internationales : si elles n'ont pas toujours leur siège européen à Paris, ayant parfois préféré Francfort, elles y ont souvent leurs salles de marché, à l'image de la plupart des grandes banques américaines.
Reste le problème des chambres de compensation ou CCP (central counterparty clearing), ces plateformes où s'échangent les produits dérivés, les swaps, les options, etc. Ces plateformes jouent un rôle essentiel, notamment en termes de surveillance des risques et d'influence économique. Or, elles sont très largement installées à Londres. La France souhaiterait des évolutions. J'aimerais que nos partenaires européens soient aussi allants que nous en la matière. Ces infrastructures de marché très importantes pour le marché financier européen ne peuvent rester en dehors de la régulation de Bruxelles et de Francfort. Il convient que les acteurs privés préparent des infrastructures alternatives en Europe.
La question de M. Féraud n'est pas la plus facile. Pourquoi nos prévisions de croissance sont-elles différentes de celles du Gouvernement ? Il y a tout d'abord des raisons techniques. Mais il y a aussi une raison de fond, c'est que la Banque de France est indépendante ; d'ailleurs, en 2023, on fêtera le 30e anniversaire de la loi du 4 août 1993 qui a consacré l'indépendance de la Banque de France. Les différences de prévision peuvent s'expliquer par une part de volontarisme, sans doute, et aussi par l'incertitude assez forte qui entoure l'exercice. Nous ne prétendons ainsi pas que notre prévision soit juste à la décimale près, même si l'écart, en l'occurrence, est un peu plus élevé...
Ensuite, dans quelle mesure la politique budgétaire contribue-t-elle à la lutte contre l'inflation ? Elle y a contribué temporairement, c'est ce que j'ai voulu dire en expliquant qu'une victoire durable contre l'inflation ne pourrait pas être obtenue par la voie budgétaire. En effet, plus cette politique dure, moins elle est efficace à cet égard : d'abord parce qu'elle coûte cher, et on en revient au problème de la dette publique ; ensuite, si les prix de l'énergie augmentent, il convient de s'adapter, ce qui contribuera à développer la sobriété énergétique et à réaliser la transition climatique. On ne peut pas protéger indéfiniment les acteurs économiques contre une nouvelle donne. Le surcoût énergétique a représenté pour la France une taxe extérieure payée aux fournisseurs de pétrole et de gaz de l'ordre de 60 milliards d'euros. Cette facture énergétique se répartit entre les entreprises, pour les deux tiers, et les ménages, pour un tiers. Les mesures budgétaires ont été extrêmement fortes en 2022, et elles ont absorbé, selon les estimations, entre un tiers et la moitié du choc. La part à la charge des ménages a ainsi beaucoup reculé, s'établissant finalement à 6 % de la facture totale, tandis que la part des entreprises s'est réduite pour s'établir à 50 % à peu près. Ces mesures étaient peut-être nécessaires pour amortir le choc à court terme, mais il est indispensable qu'elles cessent d'ici deux à trois ans, sinon l'adaptation nécessaire de notre pays ne se fera pas. Mieux vaut investir dans la transition climatique que dans des subventions à la consommation d'essence ! La ristourne sur les carburants était utile, mais, si nous la prolongeons, nous ne réussirons pas la transition climatique. Qui plus est, en soutenant la consommation énergétique alors que les prix de l'énergie augmentent, on entretient l'inflation et c'est contre-productif.
Je vous remercie.
La réunion est close à 12 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.