Notre mission d'information sur l'enseignement agricole, outil indispensable au coeur des enjeux de nos filières agricoles et alimentaires, entame aujourd'hui un cycle d'auditions qui va nous conduire à entendre les têtes de réseaux de l'enseignement agricole.
Nous accueillons tout d'abord le président de l'Union nationale des Maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation, Monsieur Dominique Ravon, et son directeur, Monsieur Roland Grimault.
Je vous rappelle que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
Avec mes 22 collègues membres de la mission d'information, nous sommes convaincus que l'enseignement agricole constitue une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires. Il représente un atout indispensable pour relever le défi du renouvellement des générations en agriculture et permettre à l'agriculture française de répondre aux défis de demain. Il s'agit plus largement d'un outil indispensable pour les territoires ruraux. Nous n'ignorons pas que l'animation et le développement des territoires est l'une des missions de l'enseignement agricole.
Les quelque 368 Maisons familiales rurales (MFR), par leur modèle pédagogique particulier reposant sur l'alternance, sont un des piliers importants de cet enseignement agricole.
Monsieur Ravon, vous avez vous-même été formé en MFR avant de vous installer comme agriculteur en Vendée. Il me semble que vos enfants ont également suivi au moins une part de leur cursus en MFR. Votre exploitation a adhéré au réseau « Bienvenue à la ferme » et vous avez développé, avec vos associés et votre famille, des activités de transformation et de vente directe. Votre engagement en faveur de l'alternance n'est pas que théorique : vous accueillez vous-même des jeunes dans votre entreprise en tant que maître de stage et d'apprentissage.
Au cours de nos travaux, nous souhaitons analyser comment l'enseignement agricole, technique et supérieur, devrait répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires, afin de leur permettre de relever les défis auxquels elles sont confrontées. Pas uniquement pour produire, mais aussi pour transformer et pour vendre. Nous souhaitons évaluer la capacité de l'enseignement agricole à remplir cette mission aujourd'hui, notamment au regard des contraintes qui pèsent sur lui.
La première des contraintes est probablement la contrainte budgétaire. Pour pouvoir pleinement remplir son rôle, l'enseignement agricole, dans sa diversité, doit avoir les moyens de fonctionner correctement. Notre rapporteure, Nathalie Delattre, avait tiré la sonnette d'alarme lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021. Et elle avait à l'époque particulièrement insisté sur la situation des MFR, qui préoccupe de nombreux collègues.
Je propose donc que vous nous présentiez votre vision des enjeux, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure, pendant 10 à 15 minutes. Je passerai ensuite la parole à Nathalie Delattre afin qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions, puis à mes collègues qui le souhaitent.
Nous sommes très heureux d'intervenir auprès de cette mission d'information. Les MFR sont actrices dans la formation professionnelle agricole depuis un peu plus de 80 ans. A l'origine, quelques agriculteurs se sont associés pour que leurs jeunes continuent à étudier tout en travaillant sur l'exploitation agricole. Ils ont mis en place cette pédagogie de l'alternance qui a permis de créer la première Maison familiale. Très vite, les MFR se sont étendues sur l'ensemble du territoire métropolitain et en outre-mer. Aujourd'hui, nous comptons 430 MFR dont 360 sous contrat avec le ministère de l'Agriculture.
Ce choix de l'alternance était clair : il fallait un temps théorique de formation parallèlement au temps de stage sur une exploitation agricole. Nous revendiquons toujours cette pédagogie qui allie la pratique à la théorie et qui permet beaucoup de rencontres. L'accueil des classes de quatrième et de troisième est important car les jeunes, en se rendant dans une exploitation dès l'âge de 14 ans, découvrent les métiers de l'agriculture qu'ils ne découvriraient pas autrement.
En 1937, 100 % des jeunes dans nos formations étaient issus du monde agricole. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 10 %. Ce changement permet d'attirer un nouveau public. Cependant, pour que ce public s'engage dans la filière agricole, il doit la découvrir. La pédagogie de l'alternance est la mieux adaptée pour cela.
Il s'agit d'un choix éducatif de former en milieu professionnel. Nos équipes sont formées pour accompagner les jeunes et les moniteurs les suivent du matin au soir. Nos élèves sont internes et la vie résidentielle dans la Maison familiale pendant la semaine de formation leur permet une expérience et une ouverture. Par ailleurs, les Maisons familiales sont ouvertes sur le monde. Nous sommes partenaires avec une vingtaine de pays qui ont adopté la pédagogie MFR. Cela permet à nos jeunes des échanges avec ces pays et au-delà. En formation supérieure, ils ont en général une période de stage ou d'immersion à l'étranger. En BTS, cette période à l'étranger concerne 100 % des élèves.
Aujourd'hui, nous comptons 430 MFR, dont 360 sous contrat avec le ministère de l'Agriculture. Nos Maisons délivrent des formations agricoles de production, mais aussi des formations aux métiers de services à la personne. Je reprends l'expression de l'ancien ministre de l'agriculture, Didier Guillaume, qui se disait aussi le ministre de la ruralité. Nous nous intégrons dans cette perspective car nous sommes présents dans les zones les moins denses. Qui, mieux que des jeunes formés sur un territoire, peut l'adopter et s'y engager ? Nous formons aussi aux métiers parallèles à la production. Nous sommes présents dans les métiers agroalimentaires qui ont besoin de main d'oeuvre et nous sommes immergés dans les territoires.
Personnellement, je ne viens pas d'un territoire très rural. Aux Sables-d'Olonne, nous avons développé une production avec des circuits courts. Cependant, il est nécessaire de former des fromagers, des bouchers, des charcutiers pour transformer la production de l'exploitation. Parfois, un jeune vient chez nous avec l'intention d'apprendre un métier puis il se trouve une nouvelle passion et change d'avis. Il faut permettre aux jeunes de découvrir de nombreux métiers. L'agriculture en a besoin. Nous avons aussi besoin d'accompagner les jeunes dans la dimension environnementale et dans celle de la proximité avec le consommateur, en dehors des intermédiaires.
Je me propose de vous présenter quelques chiffres en réponse à vos questions. Nous avons une particularité dans le paysage éducatif, grâce à l'enseignement agricole : nos classes de quatrième et troisième permettent d'accueillir des jeunes à partir de 14 ans pour leur faire découvrir un certain nombre de métiers, notamment agricoles et ruraux. Nous accueillons chaque année environ 4 500 jeunes en classe de quatrième et 10 000 en classe de troisième. Certains d'entre eux arrivent en troisième avec un choix de métier affirmé, tandis que d'autres ont décroché au collège et cherchent une solution de rechange. Les MFR proposent une méthode originale avec l'alternance, en travaillant avec les jeunes sur leur confiance en eux, ce qui leur permet de reprendre pied dans les études. A l'issue de la classe de troisième, les jeunes restent pour moitié dans les MFR. Les autres changent d'orientation et se dirigent, en particulier, vers l'apprentissage hors du champ agricole. Cependant, ils partent en connaissance de cause. Leur maître de stage devient souvent leur maître d'apprentissage.
Nous recevons également des certificats d'aptitude professionnelle (CAP) du ministère de l'agriculture, soit 5 500 scolaires hors alternance et 850 apprentis. Nous accueillons 23 000 baccalauréats, en majorité de baccalauréats professionnels et 3 000 apprentis. En brevet de technicien supérieur (BTS), nous comptons 1 500 scolaires et 1 700 apprentis. Nos effectifs représentent chaque année 30 % des effectifs de l'enseignement agricole. Nos apprentis totalisent environ 15 % des effectifs des apprentis en formation agricole, sachant qu'une partie importante des MFR est sous contrat avec le ministère de l'agriculture mais que certaines n'accueillent que de l'apprentissage qui n'est pas sous contrat avec ce ministère, dans les métiers de l'artisanat, les métiers de bouche, la mécanique générale, etc. L'apprentissage agricole représente un tiers de nos apprentis.
Nous accueillons également 35 000 adultes par an en formation dans le réseau, dont à peine 10 % dans le milieu agricole, en reconversion ou en élévation de niveau en formation continue.
Concernant l'évolution des effectifs, une baisse a été enregistrée lors de la dernière rentrée. Mais l'évolution constatée ces dernières années résulte en partie d'une décision de réorganisation de la filière professionnelle. La réforme menée en 2009 pour le baccalauréat professionnel agricole puis en 2011 pour le secteur des services a fait passer le baccalauréat professionnel de quatre ans à trois ans, avec des incidences sur les effectifs.
Avant la réforme, nous avions beaucoup de brevets d'études professionnelles (BEP), dont 40 % à 60 % passaient en baccalauréat. L'ambition de la réforme était d'emmener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, mais il y avait aussi un argument économique - pourquoi faire en quatre ans ce que l'on peut faire en trois ? En passant du baccalauréat en quatre ans au baccalauréat en trois ans, nous avons perdu une promotion par année, soit 5 000 à 6 000 élèves en moins dans les MFR. La baisse des effectifs constatée dans les MFR résulte d'abord de cette réforme. Nous nous y sommes désormais adaptés. Nous accueillons essentiellement des baccalauréats, où arrivent les mêmes élèves qu'en BEP il y a dix ans. En classe de seconde, nous constatons des différences de niveaux plus importantes qu'avant. Il est toujours possible de préparer le baccalauréat en quatre ans, en passant d'abord le CAP. Mais au niveau de l'enseignement agricole, les parents affichent une grande réticence face au CAP agricole. Nous constatons une vraie différence avec d'autres secteurs d'activité, comme le bâtiment, la restauration ou les métiers de bouche. Le CAP est mal valorisé en agriculture, contrairement à ce que l'on observe dans d'autres professions.
J'accueille des jeunes en CAP boucherie pour la transformation. Leur parcours est reconnu par les professionnels. Il faut reconsidérer le CAP agricole (CAPA), très adapté pour former des futurs salariés sur une exploitation, même avec certaines responsabilités.
En termes d'effectifs, 20 % de nos formations dépendant du ministère de l'agriculture concernent la production animale, végétale, horticole, aquacole ou forestière. 28 % des formations touchent les métiers des services aux personnes. Entre les deux, nous avons l'éventail des formations proposées par le ministère de l'agriculture en travaux paysagers, élevage canin, équitation, etc.
Nous avions vu repartir les effectifs à la hausse à la rentrée 2019 mais la rentrée 2020 a été plus difficile. Nous y voyons plusieurs raisons : l'effet covid est très net, avec la crainte des transports, puisque les MFR sont implantées en milieu rural et qu'il faut aussi se déplacer pour se rendre en stage. La covid-19 a suscité aussi des inquiétudes vis-à-vis de l'internat, qui est une force pédagogique pour nous et une nécessité pour accueillir de jeunes urbains. Les parents se sont montrés inquiets sur les lieux de stages possibles, en particulier dans la filière services et l'aide aux personnes âgées. Quelques parents nous ont par ailleurs signalé que, même si nous faisons tout en tant qu'association pour le réduire, le coût de la scolarité était difficile à assumer en raison du chômage partiel et de l'incertitude pesant sur l'emploi.
L'impact a été plus faible sur les CAP, les Bac et les BTS, mais nous avons enregistré une baisse de 30 % des effectifs pour les classes de quatrième et troisième ainsi que sur la filière services. L'effet est variable en fonction des MFR, selon les secteurs d'activité auxquels elles forment et leur implantation géographique.
Je précise que les MFR sont sous contrat avec l'État, dans le cadre de la loi Rocard de 1984. Nous sommes donc financés à l'élève. L'association est gérée par le conseil d'administration, en binôme avec le directeur de chaque établissement. L'association embauche son équipe. Tous les salariés de MFR sont payés par l'association, avec un financement à l'élève. Je tiens à dire que nous sommes les moins financés parmi les établissements d'enseignement agricole. Nous entendons l'argument selon lequel les parents ont du mal à payer les frais mais l'association doit équilibrer ses comptes. Dans les statistiques, nous faisons baisser la moyenne du financement global de la formation agricole.
Je vous remercie pour ces premiers éléments de réponse. Je rappelle que vous avez déjà été auditionnés dans le cadre du rapport sur le budget du projet de loi de finances sur l'enseignement agricole et que vous avez été unanimement soutenus ici au Sénat vis-à-vis des problématiques que vous aviez soulevées.
Pourriez-vous dresser un bilan de vos difficultés financières résultant de la covid-19, au regard des aides exceptionnelles accordées en fonction des classifications P1, P2 et P3 ? Vos établissements P1 ont-ils reçu les aides ? Avez-vous la possibilité de présenter de nouveaux dossiers P2, P3 ou bien P1 complémentaires ?
Je rappelle que la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) regrettait d'avoir à négocier avec 360 MFR et souhaitait avoir un seul interlocuteur. Nous leur avons rappelé votre spécificité, votre histoire et votre ancrage dans les territoires. La ruralité et la territorialité sont un véritable atout. Face à cette tentation jacobine du ministère de l'agriculture de vouloir vous réunir en une seule et unique entité, comment abordez-vous la négociation de votre convention avec le ministère ?
Vous nous avez parlé des difficultés rencontrées par les familles et leurs craintes en matière de mobilité et d'internat. Je pense qu'il ne s'agit pas d'un problème ponctuel car les habitudes de vie sont aujourd'hui différentes et il est plus difficile pour les familles et les jeunes d'envisager l'internat. Cependant, vous ne nous avez pas parlé de la concurrence. Le ministère de l'agriculture considère que vous êtes complémentaires de l'Éducation nationale. Cependant, nous avons acquis la conviction, lors du débat sur le budget du projet de loi de finances, que la concurrence existe. Certains élèves se dirigent vers le secteur public pour des raisons budgétaires et les formations proposées par l'Éducation nationale vous font directement concurrence.
Je souhaiterais vous entendre sur ces sujets.
Concernant l'aide covid, au sein de l'enveloppe de 10,2 millions d'euros dégagée par le ministère de l'agriculture, nous avons reçu 1,7 million d'euros pour soutenir 47 MFR. Le choix a été fait par le ministère à partir des données dont il disposait.
Les aides étaient destinées aux MFR en grande difficulté, mais toutes les MFR en grande difficulté n'ont pas immédiatement déposé un dossier en P1. Les P2 et P3 doivent être traités ultérieurement. Recevrez-vous une enveloppe complémentaire à ce 1,7 million d'euros ?
Aucun complément n'est annoncé. Il faut savoir que les pertes estimées étaient évaluées autour de 4 millions d'euros.
Pour bien comprendre les critères, au départ l'aide Covid était destinée à limiter les pertes Covid pour tous les établissements, puis elle a été limitée aux établissements en difficulté. Les aides dépendent de la définition des difficultés financières et de leur origine.
Nous avions dans un premier temps demandé plus de 4 millions d'euros, mais pas seulement pour les MFR en grande difficulté. En tant qu'association à but non lucratif, nous avons une impérieuse obligation d'équilibrer les comptes chaque année. Nous sommes une branche professionnelle avec 9 500 salariés et notre service juridique accompagne les MFR pour des embauches mais aussi parfois pour des licenciements, ce qui n'est pas forcément visible. Notre principale difficulté consiste à disposer des moyens suffisants au quotidien et au long cours pour assurer les budgets. Il est très appréciable d'avoir une aide exceptionnelle mais nous devons assurer les budgets sur la durée.
Nous avons voulu nous expliquer avec la DGER sur cette aide car les MFR ne correspondaient pas à tous les critères. Nous avons reçu 1,7 million d'euros pour 47 établissements. Quand le plafond de l'aide a été augmenté à 10 millions d'euros, nous avons compris que la rallonge était ciblée sur les établissements publics. La méthodologie de sélection aurait pu être différente. Nous allons maintenant discuter d'un protocole pour les trois ans à venir. Il faudra insister pour prendre en compte dans les critères d'attribution notre travail sur le terrain, l'insertion des jeunes et la satisfaction des familles.
Le coût unitaire de formation par élève (CUFE) va du simple au double entre le privé et le public. Je suppose que vous allez essayer de négocier le relèvement à l'élève de la participation.
On nous oppose parfois l'argument selon lequel le fait que nous soyons en alternance justifierait une aide inférieure. Nous sommes cependant très présents en apprentissage et nous voyons tous les coûts de la formation en apprentissage qui ont été donnés par les branches professionnelles à France Compétences. À chaque fois qu'un contrat d'apprentissage est signé, une somme vous est attribuée. Or force est de constater aujourd'hui que l'apprentissage est une formation par alternance. Pour un baccalauréat, nous sommes souvent plus proches de 8 000 euros que de 4 500 euros. En effet, l'apprentissage a démontré que l'alternance doit supporter des coûts d'utilisation des salles de cours mais aussi des coûts liés au suivi des entreprises.
En ce qui concerne la concurrence dans l'enseignement agricole, il est indéniable que la présence d'établissements proposant les mêmes formations sur un territoire entraîne une forme de concurrence. Cependant, nous entretenons des échanges et une complémentarité s'est mise en place au fil des années avec des spécialités différentes. Un lycée agricole peut ainsi être spécialisé dans un domaine tandis que la MFR sera plus présente dans un autre. À travers l'alternance, nous proposons une autre formule pédagogique, qui me semble plus complémentaire que concurrentielle.
Nous ne sommes pas concurrents de l'Éducation nationale, d'où sont d'ailleurs issus nos élèves. Nous avons eu quelques craintes concernant la réforme du baccalauréat professionnel services aux personnes, dans laquelle plusieurs ministères sont impliqués : celui de l'agriculture, celui de l'éducation nationale et celui des affaires sociales. Nous craignions que le ministère de l'éducation nationale et celui des affaires sociales considèrent que l'enseignement agricole n'avait pas sa place dans l'aide aux personnes. Cependant, nous sommes rassurés après le travail effectué avec les services de la DGER. Nous avançons ensemble pour faire reconnaître notre spécificité.
Finalement, lorsque vous formez une aide-soignante, un boucher ou un élagueur, les mêmes compétences sont nécessaires, que le métier soit exercé en milieu rural ou en ville. La différence fondamentale se trouve dans le choix de travailler en milieu rural. Nous attirons quelques jeunes issus du milieu urbain mais ils restent minoritaires. Nous devons offrir des formations aux jeunes ruraux pour qu'ils y restent, mais nous devons aussi attirer une population urbaine. Nous avons travaillé avec un géographe de l'Université de Montpellier qui étudie les déplacements de population vers le milieu rural. Il nous a expliqué que, parmi les personnes venant s'installer en milieu rural pour un changement de vie, certaines réussissent très bien mais d'autres doivent parfois abandonner leur projet car il ne correspond pas aux attentes locales. Nous devons alors les former à d'autres métiers, dans les services aux personnes ou l'industrie.
Vous représentez un acteur clé dans le segment agricole. Vos dimensions de préprofessionnalisation et de pratique sont très importantes. Vous ne vous situez pas dans un circuit scolaire classique, vous avez une dimension de proximité et vous aidez les élèves à se sortir de leurs difficultés par votre approche pédagogique. Il n'existe aucune offre équivalente dans le public.
Vous avez dit qu'il était compliqué pour vous de répondre aux critères pour les aides Covid. Avez-vous des statistiques sur le nombre d'internats dans vos établissements ? Ceux qui possèdent des internats sont davantage impactés par la crise. Il me semble que votre place dans les territoires, parfois loin des centres, justifierait une aide spécifique.
La rapporteure a évoqué la concurrence avec l'Éducation nationale. Je souhaite pour ma part vous interroger sur votre lien avec le territoire, avec les collectivités territoriales et avec les acteurs locaux de l'Éducation nationale ? L'offre de formation des MFR a-t-elle évolué depuis les dernières années ?
Enfin, le manque d'attractivité de l'enseignement agricole et le manque de moyens cette année ont beaucoup été évoqués depuis le début de nos auditions. Avez-vous des idées pour rendre les MFR plus attractives ?
La première fois que j'ai visité une MFR, j'ai été frappée par l'accompagnement très personnel que vous proposez et par la transmission d'un savoir-être, qui est un élément essentiel pour l'insertion. Vous n'avez pas beaucoup parlé de cet aspect qui me semble constituer, avec la territorialité, votre marque de fabrique.
Vous accueillez des élèves sous statut du ministère de l'agriculture, de l'éducation nationale et de la formation professionnelle continue : quelles difficultés rencontrez-vous de ce fait ? Nous sommes là pour connaître vos difficultés et pour vous aider. Vous devez tout nous dire car nous pouvons relayer vos besoins.
Concernant le baccalauréat professionnel en trois ans, je comprends que vous observiez des écarts entre les élèves. Avez-vous constaté des échecs plus importants au niveau du baccalauréat depuis cette réforme ?
Par ailleurs, constatez-vous des difficultés, en dehors de la covid-19, pour recruter des jeunes ? Certains lycées m'ont fait part de difficultés à recruter des jeunes en apprentissage, alors même que des agriculteurs souhaitaient les accueillir.
Vous avez parlé des métiers d'apprentis bouchers. Certains bouchers disent ne plus prendre d'apprentis parce qu'ils sont incapables de porter 10 kilos. Connaissez-vous ces mêmes difficultés ?
Quand vous devez investir, où vous procurez-vous les financements et quelles difficultés affrontez-vous ?
Enfin, avec la loi sur la formation tout au long de la vie, nous constatons la disparition des petits CFA au profit des plus grands. Pourtant, il est très important d'être ancré dans un territoire pour les métiers de la terre. En Italie, j'ai visité un centre qui accueille 1 600 toxicomanes qui travaillent pendant quatre ans sur des métiers agricoles. Il enregistre 70 % de sorties positives. Nous ne disposons pas de ce type de structure en France.
Je salue Dominique Ravon, qui met ses convictions en pratique dans son exploitation familiale. Vous nous avez informés qu'il avait été difficile de recruter pour la rentrée 2020. Que mettez-vous en place pour 2021 ? La rentrée ne sera pas beaucoup plus facile. Cette baisse d'effectifs remet-elle en question la pérennité de certaines MFR et, si c'est le cas, combien de MFR sont concernées ?
Vous avez parlé du coût de la scolarité des MFR où l'internat occupe une place importante. L'internat est-il un frein au recrutement et en matière de coût de scolarité ? Pour une famille, quelle est la part de l'internat sur le coût total de la scolarité ? Avez-vous davantage d'élèves boursiers dans les MFR que dans les autres filières d'enseignement agricole ?
Vous avez évoqué vos 9 500 salariés. Expriment-ils des demandes particulières par rapport aux autres salariés de l'enseignement technique agricole ? Quelles sont leurs revendications ?
Vous avez parlé du volet international et du partenariat que vous entretenez avec 20 pays. Après une année sans déplacements, comment réussissez-vous à maintenir ce partenariat et comment l'envisagez-vous pour l'année prochaine ?
Enfin, vous évoquez 35 000 adultes en formation. À quelle hauteur participent-ils à l'équilibre des comptes des MFR ? Leur recrutement est-il aussi difficile en période covid que celui des jeunes ?
Nous avons pour objectif dans cette mission d'information de susciter des changements et d'assurer un avenir à l'enseignement agricole. Je voulais revenir sur une réflexion selon laquelle les MFR seraient la solution pour les élèves en difficulté. J'ai été choqué par cette affirmation car je trouve que les MFR sont très adaptées aux territoires. Elles accueillent des élèves en difficulté mais pas uniquement, et leur relation avec le travail leur assure un avenir.
Depuis plusieurs années, l'Éducation nationale a cessé toute orientation vers l'apprentissage et les travaux manuels. Nous en payons le prix aujourd'hui. Dans de nombreux territoires, nous n'avons plus de bouchers, de reprises de commerces ou d'exploitations. Nous avons remis l'alternance et l'apprentissage au goût du jour, en en faisant une filière d'excellence. Les MFR sont adaptées à cette voie et je compte sur vous pour que vous nous indiquiez ce qui pourrait en améliorer le fonctionnement.
Au-delà des financements du ministère, quels financements recevez-vous des régions ? Constatez-vous des différences entre les régions ?
Avez-vous des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et comment cela se passe-t-il ? Il s'agit d'un sujet important dans l'enseignement agricole public.
Je connais les MFR depuis 55 ans et elles demeurent un exemple de la pratique à conduire pour les enfants en marge de l'école afin de les porter vers la réussite. En outre, les MFR ont eu le mérite de résister au moment où personne ne voulait de l'apprentissage.
Je vous demande de nous faire part clairement des besoins des MFR pour savoir comment les accompagner. Beaucoup d'enfants abandonnent l'école à 15 ans parce qu'ils ne sont pas faits pour cela et ils découvrent l'envie d'apprendre en travaillant. C'est le secret des MFR. Notre devoir est de dire au ministère de l'agriculture et aux régions qu'il faut vous donner des moyens. Les MFR sont respectées mais elles ne disposent pas toujours des moyens dont elles ont besoin.
Dans les Deux-Sèvres, le département est un partenaire très actif des MFR. Cela mérite d'être souligné car ce n'est pas le cas partout. En ce qui concerne les opérateurs de compétences (Opco), nous savons que la réforme de la formation et de l'apprentissage a quelques difficultés à se mettre en place. Comment cela se passe-t-il pour vous avec les Opco ?
Quelle est votre relation avec la filière agricole ? Comment arrivez-vous à vous adapter à ses besoins alors que vous accueillez de moins en moins d'enfants d'agriculteurs ? Avez-vous le sentiment d'être en phase avec ce que recherchent les agriculteurs ? Expriment-ils leurs besoins et arrivez-vous à y répondre ?
Vous êtes exemplaires en ce qui concerne le taux d'insertion. Votre grande force réside dans cette réussite. Vous ne recevez pas que des enfants en marge de la scolarité et l'alternance est une chance, y compris dans l'enseignement supérieur. Les jeunes vont dans les MFR pour leur excellence et leur taux d'insertion.
Merci pour ces questions qui montrent votre intérêt pour notre réseau. Nous pourrons compléter nos réponses par écrit.
Je voudrais en préambule mieux présenter les jeunes qui viennent en MFR. Ils sont souvent considérés comme des jeunes en difficulté, mais c'est davantage le système conventionnel qui est en difficulté avec eux. Un jeune est dit brillant s'il a de bonnes notes, sinon on le dit en difficulté. Or, en MFR, les élèves ont un vrai projet de vie professionnelle et acquièrent une vraie maturité pour entrer dans le monde du travail. Avec la pédagogie de l'alternance, ils deviennent brillants. Ils sont au centre d'un trépied constitué des parents, du monde professionnel et de la MFR. Ce système fonctionne bien car les élèves sont très encadrés et suivis. Les MFR accompagnent également les parents.
Pendant qu'il est en entreprise, le jeune a toujours du travail à faire à la maison. Nous lui donnons la chance d'aller en stage dans plusieurs exploitations, dans plusieurs pays, de vivre dans des familles et de rencontrer de nombreuses personnes. La pédagogie de la rencontre est la pédagogie des MFR. Cela peut fonctionner avec tous les jeunes et certains qui sont brillants au sein de l'Éducation nationale viennent aussi en MFR. Nous développons même des Maisons familiales semi-urbaines. La réponse se trouve dans les territoires et les MFR répondent à leurs demandes. Nous avons de bonnes relations avec les territoires, les mairies, les conseils départementaux et régionaux. Les MFR ne peuvent pas exister sans se faire connaître. S'agissant des financements, l'association finance ses murs mais elle bénéficie pour ses investissements de l'aide des départements, qui continuent à intervenir, et des régions au titre des lycées, avec des variations suivant les régions.
Vous m'avez interrogé sur l'internat. Chez nous, l'internat est très pédagogique. Les jeunes aiment être en internat, ils y ont une vie après la classe, aident dans le service mais développent aussi les contacts avec les intervenants et les moniteurs. La vie de groupe se construit à ce moment-là. Les parents interviennent parfois dans certaines veillées, de même que l'UDAF (union départementale des associations familiales), le pompier ou le maire. L'internat est nécessaire mais la covid-19 nous met en difficulté.
Pour le recrutement de 2021, les MFR organisent leurs portes ouvertes en individuel. Le jeune vient avec ses parents, ils échangent avec les équipes. Nous espérons que cette situation sanitaire ne va pas durer trop longtemps.
Le savoir-être fait partie de notre intitulé : Maison familiale rurale d'éducation et d'orientation. Nous construisons le professionnel mais aussi la personne dans la société. La vie de groupe permet de grandir en maturité. La posture se construit dans l'engagement, dans ce que nous appelons l'éducation au monde et aux autres.
L'idée véhiculée des élèves en difficulté est le mal de l'enseignement professionnel et de l'orientation. Je suis ingénieur agronome et j'ai commencé ma formation en MFR. À l'époque, mes parents avaient été convoqués par un professeur pour que je n'y aille pas... Nous avons réalisé un recueil des parcours des anciens élèves et certains ont suivi des masters. Notre formation n'est pas verticale, les jeunes font des détours. Par respect pour les élèves en formation professionnelle, il faut que ce discours change.
J'en viens à l'orientation. Nous sommes présents dans l'apprentissage en dehors du secteur agricole. Nous avons été associés à la réforme de l'apprentissage de 2018, car nous sommes reconnus comme des acteurs clés. Nous avons été associés à des réflexions sur Parcoursup, sur Affelnet et sur les dispositifs d'orientation. Grâce à cet effort mené sur l'apprentissage, les MFR sont référencées dans tous les dispositifs d'orientation. Il s'agit d'un combat à mener pour l'ensemble de l'enseignement professionnel.
Pour le recrutement 2021, nous constatons que les effectifs ont baissé dans l'enseignement agricole, pour les raisons que nous avons évoquées, mais nous avons gagné 4 000 apprentis hors du champ agricole. Une MFR a la particularité d'être située en milieu rural et de posséder, pour la plupart d'entre elles, un contrat avec le ministère de l'agriculture. Pour maintenir ce réseau, les difficultés de financement du ministère de l'agriculture ont obligé les MFR à diversifier leur activité sur l'apprentissage, la formation continue, la location de locaux, les repas de la cantine de l'école communale, etc. Dans son territoire, la MFR est un lieu de formation qui capte différents financements, au titre de différentes actions. C'est ce qui a permis de conserver ce maillage. Si nous avions bénéficié de la seule intervention du ministère de l'agriculture, nous aurions moitié moins de MFR aujourd'hui. Pour maintenir notre action en milieu rural, il nous faut une palette de financeurs et d'actions.
Concernant les salariés, nos équipes sont très investies. Leurs revendications portent sur les conditions de travail et la rémunération, comme tout salarié, mais il y a surtout une demande pour compléter les équipes car nous travaillons souvent à flux tendu. Les améliorations de budget espérées nous permettront d'embaucher pour desserrer l'étau.
Concernant les AESH, nous faisons tout pour qu'ils soient intégrés dans nos équipes pédagogiques, qu'ils ne soient pas nommés sur plusieurs établissements. Nous avons des discussions avec le ministère pour conserver la dotation pour les AESH et éviter la mise à disposition de postes partagés.
Merci pour votre contribution qui nous servira beaucoup dans le cadre de notre mission. Dans le débat que nous avons mené hier sur la sécurité globale, il a été question de la démission des parents et de jeunes en déshérence. Le témoignage des actions des MFR aurait permis d'éclairer notre discussion à certains moments.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 56.