Commission d'enquête Evasion des capitaux

Réunion du 7 mars 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Mes chers collègues, nous accueillons MM. Michel-Pierre Prat et Cyril Janvier, auteurs du Petit dictionnaire de la fraude fiscale.

Messieurs, je rappelle que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relatif au fonctionnement des assemblées plénières, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Par conséquent, je vais vous demander de prêter serment.

Monsieur Prat, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Michel-Pierre Prat prête serment.)

Monsieur Janvier, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Cyril Janvier prête serment.)

Je vous remercie.

Je vous propose de commencer immédiatement par un exposé liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions, qui vous seront posées tout d'abord par le rapporteur de la commission d'enquête, M. Éric Bocquet, puis, naturellement, par les autres membres de la commission.

Vous avez la parole, monsieur Prat.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, nous sommes honorés de répondre à vos questions. Notre apport sera sans doute relativement modeste, dans la mesure où le Petit dictionnaire de la fraude fiscale que nous avons commis se voulait un simple ouvrage pédagogique. Il nous a été commandé en tant que tel, peut-être parce que nous avons été confrontés à ce type de sujet au cours de notre vie professionnelle. Cela dit, nous ne sommes pas des spécialistes.

Dans cet ouvrage, nous nous sommes attachés à donner un certain nombre de définitions, à être volontairement pédagogiques. Nous avons simplement fait un travail de recension des différents travaux existant sur le sujet. Ce n'est pas un ouvrage de la Cour des comptes. Je le redis, nous n'avons pas été mandatés par la Cour, il est très important de le savoir. Cela dit, bien sûr, en tant que magistrat ou attaché de la Cour, nous pouvons répondre à vos questions.

Nous avons voulu donner un certain nombre d'explications aux questions qui se posaient sur le sujet, auxquelles nous étions confrontés de par notre exercice professionnel - j'ai présidé la chambre régionale des comptes du Centre puis, jusqu'à ces derniers jours, la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes -, mais également, en ce qui me concerne, en tant qu'enseignant en finances publiques. J'ai donné de nombreuses conférences, au cours desquelles des questions relatives à la fraude fiscale étaient très souvent posées, alors que le sujet, jusque-là, était peu abordé.

Il y a en effet toujours eu beaucoup d'ouvrages sur la fiscalité au sens large, et sur les administrations du ministère des finances qui travaillent sur le sujet. Bien sûr, la Cour des comptes a comme référence les rapports qui ont pu être faits - j'en ai deux ici - par le Conseil des prélèvements obligatoires. Cette structure a travaillé sur le sujet dans la période récente, surtout à partir de 2007, date à laquelle elle a publié le rapport que vous connaissez, qui a été l'un des ouvrages de référence, dans la tentative nouvelle visant à mieux comprendre les problèmes de fraude fiscale.

Nous nous sommes efforcés de déterminer les différents domaines de la fraude, que nous avons explicités. L'intitulé de l'ouvrage est Petit dictionnaire de la fraude fiscale, mais, en réalité, il n'est pas constitué de définitions courtes, comme en comporterait un dictionnaire. C'est plutôt un abécédaire, mais l'éditeur voulait ce titre-là.

Nous avons voulu que l'ouvrage compte plusieurs entrées, parce que le terme de fraude fiscale recouvre des sujets beaucoup plus larges que la simple évasion. Je crois d'ailleurs savoir que la commission d'enquête voudrait travailler sur les problèmes d'évasion fiscale. Le terme enveloppe l'ensemble des sujets ayant trait à la volonté d'échapper, en quelque sorte, à un certain nombre de contrôles. Nous verrons aussi qu'il existe des problèmes liés aux comportements d'optimisation. Le contexte lui-même est donc évolutif, et dépend de ce que l'on veut regarder.

De plus, dans l'ensemble des travaux qui sont menés, il faut bien identifier ce qui relève de la part fiscale proprement dite de ce qui ressortit à la part sociale. Beaucoup de travaux menés sur les problèmes de la fiscalité sociale, liés en particulier à l'emploi, sont mis en avant. Nous avons, modestement, voulu contribuer à éclaircir un certain nombre de ces données de base.

Telle est la première observation que je tenais à formuler, laissant à Cyril Janvier le soin de vous donner par la suite quelques éléments tendant à expliquer le travail d'identification que nous avons voulu mener.

Je voudrais faire une deuxième observation. Comme il s'agit d'un ouvrage qui se voulait pédagogique - je vous ai dit qu'il faisait le point sur les principales définitions -, nous ne pouvions pas aborder les questions relatives aux manques pouvant exister dans la législation actuelle. Dans ce petit ouvrage, il ne s'agissait pas de se faire force de proposition ni de lancer des pistes de travail sur tel ou tel point. Il n'en demeure pas moins que, avec toute la prudence qui était la nôtre, nous avons mentionné, en utilisant le conditionnel, des points sur lesquels des questions méritaient d'être posées, même si nous exposions la réalité des faits à un moment donné.

Prenons un ou deux exemples, à commencer par la notion de paradis fiscal.

On le sait, un certain nombre de pays étaient répertoriés sur la liste noire de l'OCDE. Désormais, il n'y en a plus. Est-ce à dire qu'il n'y a plus de problèmes ? Non, il y en a encore, parce que la suppression du paradis fiscal dans la définition elle-même donnée pour l'occasion, ne supprime pas le fait, même si, d'un point de vue réglementaire, l'on pourrait dire que les pays concernés ne répondent plus aux critères qui ont prévalu pour établir la liste.

Dans ce cas précis, le but de l'ouvrage n'était pas de critiquer ni de proposer une autre définition. Nous nous sommes simplement permis d'employer le conditionnel pour que le lecteur puisse réfléchir sur le sujet et l'approfondir ultérieurement.

De la même façon - comment pourrais-je le dire de façon simple ? -, nous savons que notre administration fiscale est extrêmement importante, et performante. Mais, si la France, et son administration fiscale, est très bonne en matière de gestion de la fiscalité, lorsqu'il s'agit de mener des contrôles, en particulier pour lutter contre l'évasion fiscale vers d'autres pays, elle n'est peut-être pas allée aussi loin qu'elle le pourrait.

Même si nous ne l'avons pas évoqué explicitement, nous avons pu constater - je m'adresse ici aux parlementaires que vous êtes -, en travaillant sur notre ouvrage, en observant l'ensemble de l'organisation de l'administration et les résultats de son action, et en menant une comparaison avec d'autres pays, notamment certains voisins de la France qui, confrontés au même type de problèmes, ont entrepris des actions extrêmement sérieuses, qu'il y avait sans doute en la matière des sources de progrès sur lesquelles une commission d'enquête comme la vôtre pourrait travailler, ce que nous n'avons pas fait dans cet opuscule.

Voilà les deux observations principales que je voulais formuler.

Par ailleurs, en tant que magistrat ou attaché de la Cour, nous avons pu, dans notre parcours, être confrontés à ces sujets lors de nos enquêtes. J'ai par exemple - je vous le dis en aparté - mené le contrôle sur l'ARC, l'Association pour la recherche sur le cancer, il y a une dizaine d'années de cela, ainsi que sur d'autres organismes comparables. Or, dans l'exercice même de notre métier - je sais d'ailleurs que vous auditionnez d'autres personnes de la Cour, qui doivent avoir, je pense, une approche un peu similaire -, nous n'avons pas la possibilité d'accéder à toutes les informations. Il faut sans doute y voir l'effet d'un certain nombre de précautions méthodologiques, mais il n'est pas toujours simple, dans les contacts avec les pays étrangers, d'avoir connaissance de certains éléments.

Cela est surtout vrai quand nous avons à réaliser un rapport dans un délai limité. La notion de temps est ici importante. S'il faut effectivement plusieurs années pour obtenir un élément d'information, il n'est pas évident d'améliorer la connaissance que l'on peut avoir de telle ou telle procédure.

Je laisse la parole à Cyril Janvier pour peut-être préciser comment nous avons traduit dans ce petit ouvrage les deux points que je viens de vous indiquer.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, cet ouvrage avait vocation à faire la synthèse de ce qui existait et, notamment, à préciser un certain nombre de définitions, qui étaient parfois relativement floues. Cela nous a amenés à constater qu'il y avait, finalement, peu d'ouvrages ou d'articles qui abordaient le thème de la fraude fiscale et que, surtout, les éléments de définition pouvaient être mouvants, que les définitions elles-mêmes ne recouvraient pas tout à fait les mêmes réalités.

Nous nous sommes donc attachés à préciser certaines notions et, de fait, à tenter de couvrir le champ de la fraude fiscale et à en retracer l'ampleur. Or, ce faisant, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait très peu de matériau, si ce n'est le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, datant de 2007, dans lequel, pour donner une idée de l'ampleur de la fraude fiscale et sociale, champ plus large que la simple évasion fiscale, on évoque un montant se situant entre 29 milliards et 40 milliards d'euros.

Ce chiffre est repris dans l'essentiel des articles que nous avons pu compiler, ainsi que dans la presse et dans les ouvrages spécialisés. Nous n'avons pas eu l'impression qu'il existait beaucoup de travaux qui puissent ne serait-ce que confirmer ou préciser ce montant.

Nous avons par ailleurs souhaité préciser des notions qui étaient floues ou parfois utilisées les unes pour les autres. Je pense notamment aux notions d'optimisation et de fraude fiscales.

Nous nous sommes également attachés à préciser le fait que l'évasion ou la fraude fiscale ne sont pas - et de loin ! - l'apanage des particuliers. Sous couvert d'une optimisation fiscale et par le jeu de l'internationalisation de leurs structures, les entreprises participent à ce que nous appellerons une « diminution assumée » de leur matière imposable par des utilisations comptables de cette matière, ce qui peut, pour certaines, s'assimiler à une forme d'évasion fiscale, dès lors que l'objectif est très clairement de localiser une partie des bases imposables dans des paradis fiscaux.

La notion de paradis fiscal est extrêmement difficile à appréhender, parce que les définitions sont très diverses. La liste noire des paradis fiscaux, établie par l'OCDE, ne comprend donc plus aucun pays, M. Prat l'a dit. Cela paraît surprenant. Il existe également une liste grise établie par l'OCDE. D'autres institutions internationales ont établi des listes d'États assimilés à des paradis fiscaux.

Le droit français retient la notion d'État ou de territoire non coopératif, sans mentionner celle de paradis fiscal. Des organisations non gouvernementales ont leur propre liste, beaucoup plus large que celles de l'OCDE.

La définition du paradis fiscal est donc floue. De fait, les pays considérés comme étant des paradis fiscaux ne sont pas clairement identifiés, ce qui contribue à rendre plus difficile encore la définition. On a aussi constaté que les aspects comptables, notamment les aspects extrêmement techniques de la comptabilité, comme la notion de prix de transfert, pouvaient être un moyen de participer à une évasion fiscale ou, en tout cas, à une minoration de la base imposable.

Le calcul des prix de transfert est une matière extrêmement complexe, qui fait intervenir des experts-comptables et des grands cabinets internationaux, et qui rend le contrôle des modalités de fraude fiscale extrêmement difficile.

Ce travail de synthèse et de définition nous a donc permis de constater qu'il n'y avait pas de concepts généralement partagés, qu'il existait de gros problèmes de définition et, partant, de grosses difficultés à appréhender aussi bien la matière que l'efficacité des politiques de lutte contre la fraude fiscale, puisque le champ est extrêmement difficile à circonscrire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Je vous remercie, messieurs.

Vous allez maintenant répondre aux questions des membres de la commission.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Messieurs, je commencerai par deux ou trois questions pour engager l'échange, sur lesquelles je reviendrai peut-être par la suite. J'imagine que les membres de la commission d'enquête auront aussi des questions à vous poser.

Premièrement, l'année 2009 a, semble-t-il, constitué un tournant, en tout cas dans l'opinion publique, vis-à-vis de ces phénomènes, du fait de la crise. Je pense notamment au sommet du G20 de Pittsburgh, en septembre 2009, où furent annoncées des mesures de régulation relatives notamment aux paradis fiscaux. Pouvez-vous dresser le constat de l'évolution de la situation, voire de son amélioration depuis ces annonces ? Quelles sont les mesures qui ont été prises ? Y a-t-il eu, de ce point de vue, certains résultats ?

Deuxièmement, vous indiquez - on l'a d'ailleurs entendu dire par plusieurs sources différentes, et je pense pouvoir partager ce point de vue - que l'administration fiscale est efficace et fournit même un beau travail. Pour autant, les années de RGPP que l'on a vécues n'ont-elles pas pu nuire à l'efficacité des contrôles, même s'il nous a été dit, hier, que certains secteurs avaient été épargnés ? Des chiffres objectifs nous indiquent en effet que le nombre de contrôles a plutôt eu tendance à diminuer ces dernières années, compte tenu des suppressions d'emplois dans les services concernés.

Troisièmement - j'aborderai d'autres points dans un deuxième temps -, vous avez évoqué le cas de l'ARC. Ce n'est pas notre sujet, bien sûr, mais pourriez-vous développer les difficultés que vous avez pu rencontrer dans votre enquête, notamment du fait de la dimension internationale des associations ou fondations semblables à celle sur laquelle vous avez été amené à travailler ?

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Ces derniers temps, le sujet est effectivement devenu d'actualité, car les problèmes relatifs au déficit sont apparus cruciaux, tout comme la recherche d'un certain nombre de financements possibles pour y remédier. Cyril Janvier a évoqué des montants allant jusqu'à 40 milliards d'euros. À la limite, que ce soit 50 milliards ou 35 milliards d'euros importe peu : on sait qu'il s'agit d'une masse importante, corroborée par les études menées dans les pays voisins de la France. On retrouve à peu près, in fine, cette évaluation.

La période récente a donc permis de révéler ce problème, et de faire prendre conscience de son existence à tout le monde, au public comme aux spécialistes des finances publiques. Dans les années passées, en effet, ce n'était pas un sujet que l'on intégrait dans la recherche de recettes ou de moindres « non-recettes ». On considérait presque comme normal qu'il y ait un peu d'évasion.

Ces dernières années ont donc permis de mettre le sujet sur la place publique, même si les finances publiques ne sont pas la chose du monde la mieux partagée ! On pouvait néanmoins le ressentir à travers les interrogations qui nous parvenaient, la meilleure preuve étant que l'on nous a demandé un ouvrage sur le thème. Dans la sphère universitaire, où j'intervenais, beaucoup de questions m'étaient posées sur ce sujet.

Si donc la dernière période a permis une prise de conscience, ce fut sans que de véritables mesures destinées à maîtriser l'ensemble du phénomène soient adoptées pour autant. J'en vois la meilleure preuve - je ne sais pas si Cyril Janvier partage cette analyse - dans le fait que nous n'avons pas senti de modification du mode de fonctionnement des principales institutions chargées d'intervenir dans le contrôle.

Il est vrai que le ministère des finances, même extrêmement performant, a pu être pris par les problèmes liés à la fusion de la DGI et de la DGCP, entre autres. Au moment de dresser la liste de l'ensemble des acteurs, on a tout de même pu constater qu'énormément de services interviennent dans le domaine de la fraude fiscale. Peut-être ne communiquent-ils pas systématiquement entre eux ? Vous aurez une direction concernée uniquement par les problèmes internationaux ; une autre intervenant dans tel autre secteur et ainsi de suite.

Nombre de structures interviennent donc, quelque peu modestes par rapport à l'ampleur de la tâche, qui mériteraient peut-être de faire l'objet de mesures d'organisation afin de synthétiser le tout. J'outrepasse certainement mon rôle, mais, compte tenu de mon expérience, y compris, entre autres, dans les cabinets ministériels, je me rends compte qu'il s'agit là d'une vraie difficulté.

J'ai un ou deux exemples en tête. Je pense notamment à la mise en place du suivi des quelques personnalités qui ne sont pas à jour de leurs versements. Il s'agit surtout d'artistes ou de sportifs qui gagnent d'un seul coup des sommes importantes. Ils font appel à des cabinets de conseil, qui ne sont pas toujours du meilleur conseil, d'ailleurs ! Pour permettre ce suivi, le ministère a dû mettre en place une cellule vraiment particulière, qui faisait la synthèse de l'ensemble des informations, afin de tenter de résoudre les problèmes posés par ce phénomène.

On peut très souvent remédier à cette évasion fiscale, qui peut être voulue ou conseillée, d'ailleurs. En effet, on se rend compte assez fréquemment qu'elle n'est pas le fruit d'une démarche volontaire des intéressés. On leur avait simplement dit que ce serait mieux de faire des placements à l'étranger. Il n'y avait pas nécessairement de volonté de frauder absolument. Toujours est-il qu'il a fallu mettre en place une petite structure, qui aborde l'ensemble des problèmes et s'attache à savoir quels sont les revenus des personnes concernées, comment ces dernières s'y sont prises, quel type d'enquête a été mené sur leurs déclarations, et j'en passe.

Je pense donc que l'administration pourrait peut-être mettre ce sujet à l'ordre du jour, pour essayer d'acquérir une meilleure connaissance du phénomène.

Alors, y a-t-il eu sensibilisation ? La réponse est « oui ». De nouveaux outils ont-ils été mis en oeuvre ? Peut-être que, sur ce point, les parlementaires peuvent intervenir !

Voilà ma réponse à votre première question, monsieur le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

J'avoue tout d'abord mon ignorance. Je ne connaissais pas votre livre, qui me semble intéressant. En revanche, le terme de fraude fiscale qui figure dans le titre de votre ouvrage est très générique.

Je voudrais vous poser deux questions.

Tout d'abord, abordez-vous, dans votre livre, la situation aussi bien des entreprises que celle des particuliers, qui sont tout à fait différentes ? J'ai bien dit que je ne connaissais pas votre ouvrage, et la question peut donc paraître puérile. Je la pose néanmoins, d'autant je ne sais pas non plus si mes collègues ont lu votre livre.

Ensuite, vous soulevez une question d'importance, me semble-t-il, sur la différence entre l'optimisation et la fraude fiscales. Vous mentionnez ce service administratif qui, au sein de l'administration centrale, fait un peu la jonction pour mieux comprendre l'action de ces cabinets de « conseil », qui ne sont pas forcément dans l'illégalité, qui travaillent légalement, mais dans un contexte où existe une marge de manoeuvre permettant parfois de basculer dans ce qui reviendrait, sans que ce soit nécessairement le but recherché, à de l'évasion fiscale.

Il me semble que, d'après les propos que vous venez de tenir, vous évoquez la nécessité pour l'administration centrale de disposer d'un service qui serait, sans porter de jugement de valeur sur ce qui existe à l'heure actuelle, plus performant pour faire le départ entre optimisation et fraude. Il y a en effet des zones d'ombre d'un côté comme de l'autre. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Je garde en tête vos questions, monsieur le rapporteur !

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Nous avons bien abordé la question de la fraude des particuliers et des entreprises dans l'ouvrage. Il est certain que les modalités de fraude sont différentes.

Les particuliers vont moins pouvoir utiliser la palette offerte par le droit fiscal que les entreprises. Si la complexité du droit fiscal est réelle pour les particuliers, elle l'est encore plus pour les entreprises, qui peuvent, en fonction de leur taille et des conseils qu'elles ont les moyens de s'offrir, creuser la matière juridique, voire profiter de ses failles, de ses subtilités et agencer la présentation de leur activité de manière à optimiser.

La frontière entre l'optimisation et la fraude est extrêmement floue ; elle dépend de l'utilisation des textes. Si l'administration fiscale considère que leur utilisation est abusive, elle pourra décider qu'il y a un contexte de fraude. Si l'utilisation reste dans l'esprit de la loi, on est dans l'optimisation. Toujours est-il que les entreprises ont des conseils spécialisés en optimisation fiscale de façon plus généralisée que les particuliers. Ces deux points sont donc abordés.

Les entreprises utilisent largement l'internationalisation, qui leur offre la possibilité de faire remonter les bénéfices dans des filiales ou des sociétés mères situées dans des pays fiscalement plus favorables pour elles, sans pour autant parler de paradis fiscaux.

Dans l'ouvrage, nous avons pris l'exemple de Google, moteur de recherche universellement connu. L'essentiel des revenus de Google provient de la publicité, qui est plus ou moins ciblée. Le siège de Google Europe est situé en Irlande, puisque les revenus tirés de la publicité y sont moins taxés qu'ailleurs. Voilà déjà un début d'optimisation, fiscale pour le coup, même si l'on ne voit pas forcément très bien pourquoi le coeur de l'activité de Google pour l'Europe se situerait en Irlande !

Cela étant, l'organisation de Google est encore un peu plus subtile que cela. Google Irlande est en effet d'autant moins taxée que sa matière imposable est très faible. Google Irlande est peu rentable, essentiellement, semble-t-il, parce qu'elle achète à une autre structure de Google le droit d'utiliser la technologie du moteur de recherche, l'algorithme « Google Panda ». Ce dernier est facturé par une autre entité de Google, suffisamment cher pour que Google Irlande ne puisse pas réaliser de larges bénéfices, ce qui réduit d'autant la matière imposable irlandaise. La société de Google qui détient l'algorithme de recherche est, quant à elle, située aux Bermudes...

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bécot

Mes questions rejoignant celles de mon collègue, je ne vais non pas les répéter, mais simplement tenter de les compléter.

J'ai l'impression que la marge entre fraude et optimisation est de l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarettes. C'est un peu ce qui me gêne, car, à l'échelle européenne, nous n'avons pas tout à fait la même vision de l'optimisation et de la fraude. C'est ce qui nous a déjà été expliqué.

Il est vrai que, en matière d'optimisation, il est possible d'agir, puisque, finalement, cela dépend de nous, de la loi. Le législateur peut donc intervenir et faire en sorte, peut-être, de dissiper certaines zones d'ombre. Vous le disiez à l'instant, l'optimisation, grâce notamment au recours aux prix de transfert, ressemble presque à une évasion fiscale frauduleuse. Je crois qu'il y a matière à réflexion, afin, peut-être, d'apporter une définition par la loi. Il faut que nous essayions, tous, d'y voir un peu plus clair, cela ne fait aucun doute. Il est vraiment nécessaire de dresser une barrière claire entre les activités, de façon à ne pas dissuader les services fiscaux de taxer une entreprise.

Là encore, la France ne peut agir seule. Il faudrait qu'une disposition européenne soit instituée, ou que nos collègues européens fassent la même chose. Cela reviendrait, sinon, à se tirer une balle dans le pied. Pour nos entreprises, de plus, ce serait assez grave. Voilà toute la subtilité du problème.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Si vous me le permettez, monsieur le sénateur, je tempérerai la dernière partie de votre intervention. Les autres pays développés de l'Union sont confrontés au même type de problèmes. Ils ont travaillé, comme vous-même je suppose, sur ces questions. Certains ont même mis en place des éléments de compréhension presque plus importants que les nôtres. On ne peut donc pas dire que, si la France avançait dans le domaine, elle serait complètement précurseur et que son action nuirait à l'ensemble de nos entreprises.

C'est une idée que l'on rencontre parfois. Nous ne l'avons toutefois pas développée dans l'ouvrage, car nous nous sommes rendu compte que les pays développés confrontés à un manque à gagner du même type que la France - je pense à la Grande-Bretagne ou à l'Italie, pour qui c'est un sujet encore plus important - ont développé des travaux en ce domaine. Je ne parle pas, bien sûr, des pays d'accueil des capitaux, comme le Luxembourg ou la Suisse, qui se gardent bien d'évoquer le sujet !

En travaillant sur notre ouvrage, nous avons ainsi constaté, ce qui m'a d'ailleurs surpris, car je ne m'y attendais pas spécialement ou plutôt n'avais pas d'idées a priori, que d'autres pays avaient avancé sur le sujet. Vous voyez, monsieur le sénateur, cela répond en partie à votre question.

Des travaux sont donc menés en la matière, répondant à une vraie demande. Qu'ils aient abouti ou non à une traduction politique, c'est autre chose ! Je crois néanmoins qu'il existe des sources de progrès en ce domaine, sans que nous soyons pour autant des francs-tireurs isolés. En réalité, c'est un problème qui implique des sommes tellement importantes que tout le monde est amené à s'interroger.

Je voudrais apporter une deuxième précision. Nous nous sommes rendu compte qu'il était, naturellement, nécessaire d'adopter des textes législatifs pour aider à la maîtrise du phénomène. Néanmoins, la matière étant complexe, les administrations financières sont obligées de prendre des mesures par voie de circulaire ou autres qui font le bonheur des spécialistes de la fiscalité. Je crois donc que toute mesure déjà prise ou toute avancée future dans le domaine mériterait de faire l'objet d'un retour sur leur mise en pratique. Ce n'est pas le tout de voter un texte de loi. Il faudrait exiger, deux ou trois ans après son adoption, un compte rendu de la manière dont est traduite la volonté des élus sur le plan réglementaire strict, afin de savoir quelle circulaire, par exemple, a été adoptée et quelles en ont été les conséquences pratiques. Surtout en cette matière, le législateur mériterait d'avoir un retour.

La Cour des comptes s'est d'ores et déjà engagée dans un exercice similaire puisque, comme vous avez pu le lire dans le dernier rapport de la Cour, quand nous formulons une recommandation ou une observation, nous examinons les suites qui leur sont données.

Dans la matière qui nous occupe, je pense que ce serait également utile car certains, évidemment, se cachent derrière l'interprétation du texte proposée dans telle ou telle circulaire pour donner un conseil en matière d'optimisation. Il ne faudrait pas que la pratique des entreprises ou des cabinets de conseil deviennent l'élément de référence sur ce qu'il faut considérer comme la loi. Vous voyez jusqu'où cela peut aller !

C'est parfois ainsi que cela se passe. Nous avons rencontré le cas de figure dans quelques contributions : c'est non plus l'administration qui met en oeuvre le texte voté par l'élu, mais pratiquement les spécialistes qui décident de la manière dont il faut le comprendre. Cela peut arriver.

C'est pourquoi je suggérerais la mise en place de ce retour, en quelque sorte.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

S'agissant de l'ARC, nous n'en avons pas parlé dans notre ouvrage, mais, lorsque j'étais magistrat à la Cour des comptes, nous avons mené une enquête sur cette association. C'était d'ailleurs la première sur un organisme faisant appel à la générosité publique. En effet, ces organismes sont des structures privées qui, jusqu'alors, ne relevaient pas de la compétence de la Cour. Mais le législateur a décidé de modifier la loi, notamment parce que ces organismes se sont vu déléguer le pouvoir extraordinaire de délivrer des certificats de dégrèvement fiscal - compétence, depuis 1789, du Parlement, qui vote l'impôt -, pouvoir en contrepartie duquel ils ont l'obligation de rendre publics leurs comptes.

Vous vous en souvenez, cet épisode avait défrayé la chronique parce que notre enquête avait montré que, contrairement à ce qu'elle affirmait, l'ARC consacrait non pas entre 85 % et 90 % des fonds perçus à la recherche - 600 millions de francs par an, soit un peu moins de 100 millions d'euros -, mais 27 %.

Au début, nous avons été critiqués, et certains, notamment ceux qui étaient destinataires de ces fonds, nous ont reproché d'aller « embêter » l'ARC.

Par la suite, nous avons constaté que presque tout le monde ignorait les filières d'évasion fiscale utilisées par l'ARC pour transférer des fonds au Luxembourg, en Suisse et dans certains pays africains. Or nous n'avons pas pu obtenir, de la part des grandes banques françaises ayant autorité sur la place de Paris, les renseignements que nous demandions. Et c'est grâce au Parlement, qui a repris nos propositions, que nous avons eu le droit d'accéder à des informations couvertes par le secret bancaire. Nous avons pu alors constater ces transferts de fonds.

À titre d'anecdote, sachez que le principal transfert de fonds avait lieu à la fin de l'année parce qu'ils utilisaient comme couverture une entreprise de fabrication de jouets. De fait, personne ne s'étonnait de ces très importants transferts de fonds, en janvier, juste après la période des fêtes.

Nous n'avons pas pu obtenir d'informations sur les transferts de fonds vers le Luxembourg. En Suisse, l'association avait recours à un imprimeur pour la délivrance de fausses factures. Il nous a fallu attendre cinq années pour que, au décès de l'imprimeur, son héritière retrouve dans ses papiers des documents et nous confirme, très loyalement, le bien-fondé de nos soupçons.

Cet imprimeur tenant tous ses dossiers à jour, nous avons pu mener un travail d'enquête démontrant la réalité de ces transferts illégaux de fonds, avec aussi une présentation des comptes erronée. Nous avons également été aidés par l'administration française.

Comme vous le constatez, même pour un magistrat de la Cour des comptes, il est difficile d'accéder à certaines informations. Par exemple, au cours d'une enquête, nous ne pouvons mettre en cause telle ou telle personne que si elle est directement impliquée. Dans le cas de l'ARC, nous avons pu mettre en cause Jacques Crozemarie parce qu'il en était le président et parce qu'il était lié à l'enquête. C'est ainsi que nous avons pu obtenir des renseignements, sans pour autant pouvoir étendre notre champ d'intervention. Peut-être cela vaut-il mieux d'ailleurs, mais les magistrats sont astreints, comme d'autres, au secret professionnel, de même que certaines auditions effectuées dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire peuvent être secrètes.

Des progrès sont sans doute possibles et il est fort probable que le président de la première chambre de la Cour des comptes, que vous avez reçu hier, partage ce sentiment. Obtenir des renseignements n'est pas toujours simple, même en l'absence de mauvaise volonté de nos interlocuteurs. Mais, par exemple, il faut parfois interroger cinq ou six directions différentes, pour l'international, pour les entreprises servant de couverture. Ce constat n'est pas propre à l'enquête que nous avons menée sur l'ARC et nous rencontrons assez régulièrement ce type de situation.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Nous avons utilisé plusieurs rapports : outre celui du Conseil des prélèvements obligatoires, évidemment, le rapport de décembre 2010 du CCFD-Terre solidaire, sur l'économie déboussolée, qui, même s'il convient de prendre un peu de recul sur certaines des affirmations, contient des références chiffrées intéressantes sur la place des paradis fiscaux dans l'économie.

Sur un champ très complémentaire, mais légèrement différent de celui que nous avons abordé, on y distingue, d'une part, le rôle des paradis fiscaux et les modalités d'utilisation qu'en font les grands groupes internationaux ; d'autre part, le rôle des grands cabinets de conseil, qui a été évoqué tout à l'heure, dans l'élaboration d'une stratégie internationale d'optimisation fiscale par les grands groupes.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Mes interrogations rejoignant celles de mes collègues, j'essaierai de ne pas être trop redondant.

Comme on le voit, il est difficile d'établir une distinction entre fraude fiscale et évasion fiscale. Nous sommes là au coeur du problème. Ceux qui ont les moyens de s'offrir les services de bons conseillers fiscaux peuvent recourir à l'évasion fiscale - quand ce n'est pas à la limite de la fraude fiscale -, alors que les petites et moyennes entreprises, pour parler du monde de l'économie, n'ont pas ces facilités.

Ensuite, je considère que ces questions relèvent du législateur. J'entends bien ce que vous dites sur la problématique de l'application de la loi, mais je rappelle que le Sénat a créé une commission pour le contrôle de l'application des lois qui a notamment pour mission de vérifier que les décrets sont conformes à l'intention du législateur. Ce contrôle est absolument indispensable, sinon le Parlement ne servirait pas à grand-chose.

Je voudrais vous poser deux questions très précises, même si je ne suis pas certain que vous les ayez traitées dans votre dictionnaire, que je n'ai pas encore eu le plaisir de compulser - mais je ne dois pas être le seul !

Parlant des paradis fiscaux, vous avez fait référence à une liste noire, à une liste grise et aux États non coopératifs. Quelles différences existe-t-il entre ces trois notions ?

Par ailleurs, savez-vous si de grandes banques françaises disposent de succursales ou de filiales dans des pays figurant sur l'une de ces listes ? Il est important que nous le sachions.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

En réalité, ce que l'on appelle un État ou territoire non coopératif, un ETNC, c'est le paradis fiscal en droit français.

Il n'existait, dans le code général des impôts, aucune référence à la notion de paradis fiscal. Seule une instruction datant de 1973 y faisait vaguement allusion. À partir de 2009, on a parlé de « pays à régime fiscal privilégié », notion beaucoup plus large que celle de « paradis fiscal ».

Désormais, l'article 238-0 A du code général des impôts fait référence aux « États et territoires non coopératifs », dont la liste est dressée chaque année par décret, sachant qu'aucun d'eux ne peut, par définition, être membre de l'Union européenne. Le premier décret a été publié en janvier 2010 par le ministère de l'économie, après avis du ministère des affaires étrangères. De fait, des considérations diplomatiques, parmi d'autres, entrent en ligne de compte, qui peuvent réduire la portée de cette notion d'ETNC.

La notion de paradis fiscal, quant à elle, est générique : on considère comme paradis fiscal un État qui permet d'alléger singulièrement la matière imposable.

Plusieurs organismes ont dressé une liste de paradis fiscaux, la plus connue étant celle de l'OCDE, qui distinguait plusieurs niveaux entre les paradis fiscaux en fonction du degré de coopération des États : les États qui ne répondaient absolument pas aux demandes de coopération en matière fiscale étaient inscrits sur la liste noire ; les États qui se montraient plus coopératifs ou qui avaient signé des conventions de coopération avec d'autres pays étaient inscrits sur la liste grise, étant entendu qu'ils pouvaient en être retirés s'ils se montraient particulièrement volontaristes en la matière.

Aujourd'hui, la liste noire des paradis fiscaux établie par l'OCDE est vide, essentiellement parce que les pays qui y figuraient ont passé des conventions de coopération avec d'autres États. C'est ainsi que des pays qui figuraient sur cette liste noire, adoptant une démarche très utilitariste, se sont empressés de signer des conventions de coopération d'assistance fiscale avec d'autres paradis fiscaux, ou avec des pays comme le Groenland ou les Iles Feroe.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

À leur grande surprise !

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

L'esprit dans lequel ces listes avaient été dressées a été clairement détourné.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Cela étant, on ne peut pas considérer que ces pays sont désormais parfaitement parties prenantes aux échanges d'informations, parce que l'OCDE ne retient que le nombre de conventions passées et non la qualité, si je puis dire, du cosignataire.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

C'est vrai qu'il y a là une source de progrès, parce que si l'on retient simplement le nombre de conventions passées... Voilà des aspects pratiques que nous avons découverts chemin faisant. Cela étant, nos textes pourraient prévoir une définition un peu plus forte.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

S'agissant des établissements bancaires, nous avions noté que la BNP, par exemple, détenait 347 filiales dans des paradis fiscaux. Pour autant, nous ne prétendons pas que cette banque participe à l'évasion fiscale ; nous nous sommes bien gardés de juger, nous contentant de dresser un constat. D'ailleurs, la BNP n'est pas la seule dans ce cas, loin de là. Ainsi, la presse a rapporté hier que même La Banque Postale dispose d'une filiale au Luxembourg. Cela s'explique notamment par la présence, dans son portefeuille de gestion, de SICAV monétaires qui peuvent être de droit luxembourgeois.

Qu'un établissement bancaire dispose d'une filiale au Luxembourg n'est pas la preuve qu'il se livre pour autant à une opération de fraude fiscale ou d'évasion fiscale. Il ne faut pas généraliser. Pour autant, il nous a semblé que 347 filiales pour la BNP, cela faisait beaucoup.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

De surcroît, il est très facile de connaître le nombre de filiales que possèdent les banques dans tel ou tel pays, même si elles ne sont pas tenues de tenir un registre et même si cette information n'est pas publique en tant que telle. En rédigeant cet ouvrage, nous avons constaté que certaines banques en possédaient un nombre considérable. Peut-être conviendrait-il de vérifier le mode de fonctionnement de ces structures.

Voyez aussi les grandes entreprises. Nous sommes en période électorale et l'on parle notamment de Total, mais il doit être relativement aisé d'obtenir des informations sur bien d'autres groupes. C'est un constat que nous avons fait. L'existence d'une filiale à l'étranger peut être parfaitement légitime et rendre service aux adhérents, mais connaître son lieu d'implantation permet d'avoir une vision d'ensemble du métier de la banque.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

La liste des filiales que possèdent les multinationales, ainsi que leur répartition par pays, doit normalement figurer en annexe de leurs documents comptables. Toutefois, toutes les entreprises ne rendent pas publique cette répartition par pays, y compris certaines d'entre elles qui possèdent plusieurs milliers de filiales à l'étranger, le cas échéant dans des ETNC ou des paradis fiscaux au sens large. Toujours est-il que d'autres les localisent et c'est ce qui nous a permis de les citer.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bécot

Vous avez parlé de pays à régime fiscal privilégié. Qu'entendez-vous par là et, pour s'en tenir à l'Europe, considérez-vous que l'Irlande est à mettre au nombre de ces pays ?

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Nous avons simplement repris les termes de l'article 14 de la loi de finances pour 1974, qui retenait la notion de pays à « régime fiscal privilégié », sans autre forme de précision, par exemple sur les différences de taux ou sur un taux qui serait inférieur à un certain seuil. Cette absence de définition précise ouvre la voie à toutes les interprétations.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Cette notion est très subjective : elle vise des pays qui présentent des taux plus attractifs que ceux qui sont en vigueur chez nous, taux qui, évidemment, évoluent fortement avec les années. C'est pourquoi il faudrait procéder à une importante mise à jour. Un pays peut offrir un régime fiscal différent, privilégié, sans pour autant être un support d'évasion fiscale.

L'expression « régime fiscal privilégié », l'une des rares notions, en la matière, qui soient répertoriées dans le code général des impôts, est sans doute insuffisamment précise. Les termes « paradis fiscal », « pays à régime fiscal privilégié » et « État ou territoire non coopératif », parce qu'ils n'ont pas été forgés à la même époque, mériteraient sans doute d'être révisés pour une meilleure compréhension. Cette diversité des termes n'aide sans doute pas à déterminer les mesures qu'il conviendrait de prendre.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Cette question de la définition pose d'autant plus de problèmes qu'un pays peut afficher un taux d'imposition faciale tout à fait similaire à ses voisins et être néanmoins un paradis fiscal ; il suffit pour cela qu'il ait prévu des exonérations d'impôt sur les sociétés ou toute autre niche possible et imaginable, par exemple au profit des entreprises nouvellement créées et ce pendant cinq ans, exonérations dont certains pays européens ont fait grand cas.

Je le répète, même si un pays offre un taux d'imposition se situant dans la moyenne européenne, il suffit qu'il ait mis en place un certain nombre de niches pour devenir partiellement un paradis fiscal et favoriser, de la part d'entreprises, certains comportements assimilés.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bécot

C'est une incitation à la création d'entreprise...

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Je ne porte aucun jugement de valeur. Toute la question est de savoir s'il s'agit d'une incitation à la création d'entreprise ou d'une incitation à la localisation d'entreprise. Si vous créez ex nihilo une entreprise dans un pays qui pratique l'exonération de l'impôt sur les sociétés, c'est bien sûr une incitation à la création d'entreprise ; si une entreprise vient s'installer dans ce pays et y créer un nouvel établissement pour bénéficier de cette exonération, il en va différemment.

C'est toute la question de l'utilisation du système fiscal en vigueur et c'est toute la distinction entre optimisation fiscale et fraude fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

t, rapporteur. - Tout d'abord, vous établissez dans votre ouvrage une distinction entre les paradis fiscaux internationaux et les paradis de proximité. Est-ce une distinction simplement géographique ou bien chacune de ces deux catégories répond-elle à des caractéristiques particulières ?

Ensuite, plus généralement, tous les pays disposent d'un régime fiscal propre et c'est ce qui favorise, apparemment, l'évasion fiscale. Pour autant, il n'existe, à ma connaissance, aucun pays qui ne soit pas confronté à l'évasion fiscale, même dans le cas de régimes fiscaux très favorables. La taxation, pour ceux qui la subissent, est toujours trop importante. Aussi, je voudrais savoir si, véritablement, il existe, dans les pays concernés, une corrélation mécanique entre le niveau de taxation et les phénomènes d'évasion fiscale.

Enfin, la Cour des comptes insiste régulièrement sur les insuffisances du contrôle des comptabilités informatisées des entreprises. Pourriez-vous nous dire en quoi il consiste exactement et comment il pourrait être optimisé ?

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

La notion de paradis fiscal de proximité est purement géographique. La différence entre un paradis fiscal situé aux Antilles et un paradis fiscal situé en Europe tient uniquement à leur localisation géographique. Certains pays européens frontaliers de la France peuvent être considérés comme des paradis fiscaux, dans une même approche que Vanuatu ou Nauru.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Chaque pays dispose d'un régime fiscal spécifique, mais peut-on établir une corrélation directe entre évasion fiscale et niveau de taxation ? Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas le cas. En fait, tout dépend de la qualité du travail de vérification effectué par les administrations.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

C'est en tout cas ce que nous avons constaté. Ceux qui seraient tentés de recourir à l'évasion fiscale sont surtout attentifs aux moyens qui peuvent être mis en oeuvre pour les détecter. J'irai jusqu'à dire que ce n'est même pas la sanction qui peut être dissuasive, d'autant moins que celle-ci intervient vraiment en dernier ressort. En France, le but est avant tout de mettre fin à l'ensemble de ces opérations plutôt que de sanctionner de manière exemplaire.

J'en viens maintenant à votre question sur les comptabilités informatiques.

Ce sujet est nouveau. En effet, au moment de l'introduction de nouveaux progiciels de comptabilité, il a été considéré, dans un premier temps, que ces outils informatiques étaient une garantie contre tout risque d'erreur et qu'ils rendaient inutile toute investigation. Dans un second temps, non seulement on n'a plus fait totalement confiance aux états informatisés, mais encore on a constaté que des progiciels complémentaires avaient été créés permettant une présentation erronée des comptes. De fait, depuis une quinzaine d'années, la situation est beaucoup plus délicate.

En contrôlant les comptes de l'ARC, dont les progiciels de comptabilité étaient ultramodernes, j'avais découvert qu'ils utilisaient en réalité deux programmes de présentation qui n'étaient pas cohérents entre eux. C'est à ce moment que nous avons commencé à creuser les choses.

Ces progiciels visant à présenter des comptes erronés, surtout quand ils sont utilisés intelligemment, requièrent une compétence extrême des contrôleurs chargés de détecter les fraudes.

Debut de section - Permalien
Cyril Janvier, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

En décembre 2010, la presse s'était fait l'écho d'un logiciel équipant notamment les pharmacies et qui permettait, officiellement, de récupérer les erreurs de caisse sur la parapharmacie. Ainsi présenté, cela paraît bien anodin. Néanmoins, sous réserve de l'obtention du code administrateur, qui était fourni à la demande par l'éditeur, il était possible de récupérer l'erreur en effaçant totalement l'opération. De fait, entre la correction d'une erreur ou l'effacement pur et simple d'une vente, la frontière était extrêmement floue. Et il semble bien que les possibilités offertes par ce logiciel de procéder à des opérations de minoration fiscale ou à des corrections d'erreur aient été à l'origine de sa large diffusion parmi les pharmaciens.

Nous avions retenu cet exemple parce que la presse s'en était alors fait l'écho. Il n'est certainement pas isolé. Les possibilités d'intervention informatique sur les logiciels ne sont pas systématiquement traçables. Dans l'exemple que j'ai cité, on ne pouvait pas vérifier s'il y avait eu effacement. Et même quand ces opérations sont traçables, il faut pouvoir accéder à l'information, il faut avoir les compétences informatiques suffisantes pour exploiter des logiciels de plus en plus complexes, pour exploiter le système de gestion de bases de données retraçant l'ensemble des opérations, pour pouvoir le lire et l'analyser.

Cette complexité accrue soulève des difficultés particulières en cas de contrôle, d'autant que les délais sont plus contraints.

Debut de section - Permalien
Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale

Une personne mal intentionnée aura toujours quelques longueurs d'avance, mais pour un temps limité. En effet, si l'on fait appel à des spécialistes, il faut savoir que ce type de fraude est tout à fait détectable. Évidemment, la lutte contre cette fraude requiert une organisation et des moyens spécifiques, une meilleure coopération. C'est pour cette raison qu'il faut non pas compartimenter les compétences selon les types d'évasion fiscale, comme on a eu tendance à le faire dans le passé, mais plutôt les additionner. Le compartimentage n'est pas la meilleure des solutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Personne ne demande plus la parole ?...

Je vous remercie, messieurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Mes chers collègues, nous accueillons Mme Marie-Christine Lepetit, depuis peu chef de l'Inspection générale des finances, mais que nous entendons en tant que directrice, pour quelques jours encore, de la législation fiscale au sein de la Direction générale des finances publiques.

Madame la directrice, je vous rappelle, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En conséquence je vais vous demander de prêter serment.

Madame Lepetit, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Nous avons déjà eu l'occasion de procéder à l'audition d'un certain nombre d'intervenants dans la journée d'hier et aujourd'hui en début d'après-midi. Il apparaît que deux domaines intéressent plus spécialement la commission d'enquête : l'optimisation et la fraude fiscales. Sur ces deux sujets, madame la directrice, nous attendons avec impatience vos propos.

Vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Monsieur le président, ainsi que vous m'y invitez, je vais essayer, dans mon propos introductif, de mettre en perspective la vision des pouvoirs publics, notamment du Gouvernement, sur ces questions. Je serai naturellement ouverte à toute question, et j'espère pouvoir vous apporter le maximum de réponses.

Pour éviter toute ambiguïté, je précise, puisque je sais que vous comptez auditionner d'autres personnes travaillant au sein de la Direction générale des finances publiques, que ma responsabilité en tant que fonctionnaire à la Direction de la législation fiscale pour quelques jours encore se situe très en amont du processus dans la mesure où, vous le savez, la direction de la législation fiscale a, pour l'essentiel, deux rôles concernant les questions qui vous soucient.

Son premier rôle est une participation active - je l'illustrerai dans un instant - dans toutes les instances internationales qui ont à connaître des questions touchant aux relations fiscales entre pays, à la répartition des assiettes fiscales taxables, la lutte contre la fraude, l'organisation de la transparence des informations, etc. Il s'agit donc de tout le volet international.

Son second rôle, que vous connaissez sans doute mieux que moi compte tenu de vos fonctions dans cette noble enceinte, est l'aide au Gouvernement, et, je l'espère, un peu aussi au Parlement, dans l'élaboration de lois internes nouvelles.

C'est sur ces deux volets que je pense pouvoir éclairer votre commission d'enquête.

Pour tout ce qui concerne l'aval, pour employer un terme global, c'est-à-dire la question de l'application concrète des normes et des actions de surveillance des pratiques des entreprises ou, plus généralement, des personnes privées, je vous renvoie naturellement aux services de la Direction générale des finances publiques compétents, dont vous avez prévu, me semble-t-il, de rencontrer prochainement les représentants.

Par conséquent, je vous demande par avance de bien vouloir m'excuser si, sur certains sujets, je vous suggère de réitérer vos questions à des personnes mieux à même de vous apporter des réponses. Cela étant, il existe toujours une zone grise sur laquelle je m'aventurerai peut-être un peu, mais avec la prudence qui sied s'agissant de matières que je connais moins bien.

Je commencerai par un petit mot introductif général, avant d'évoquer plus spécialement le rôle en amont, à l'échelon international, et sur la législation interne.

Je voudrais rappeler ici la très grande intensification des actions tant internationales, multilatérales ou bilatérales, que françaises qui ont cours pour lutter contre tout à la fois la fraude et l'évasion fiscales - je préciserai ces « concepts » tout à l'heure - depuis trois ans.

Quand on examine la situation sur un plus long terme - je sais que, dans cette enceinte, c'est un exercice habituel -, on constate que la mobilisation internationale sur ces questions varie un peu dans le temps : alors que le rythme de ces actions s'était intensifié voilà une dizaine ou une quinzaine d'années, il a un peu ralenti.

Je crois pouvoir dire avec force aujourd'hui devant vous que, depuis octobre 2008, quand une grande réunion a été organisée à Paris par les ministres français et allemands, et le G20 du 2 avril 2009 dont chacun se souvient, nous connaissons, sur la scène internationale, un renforcement extrêmement net, puissant et effectif de la lutte contre les États non coopératifs et toutes les formes de concurrence dommageable en matière fiscale.

Cette lutte prend plusieurs formes : une diffusion de standards internationaux en matière de transparence, ainsi qu'un renforcement des outils mis à la disposition des administrations pour échanger ces renseignements de manière pertinente et effective.

Parallèlement, la France s'est dotée d'outils renforcés - je ne m'étendrai pas sur ce point, car il n'a plus de secret pour vous, car vous avez voté de nouveaux dispositifs tout au long de cette législature qui s'achève - tant sur les méthodes de taxation de l'assiette fiscale, celle-ci ayant tendance à s'évaporer vers des cieux plus cléments, qu'en ce qui concerne les mécanismes législatifs, également nécessaires pour renforcer les moyens de l'administration fiscale française en vue de surveiller les contribuables et leur pratique de la norme.

La question à laquelle nous devons répondre est la suivante : comment contrecarrer des transferts d'actifs hors de France pénalisant les caisses publiques françaises ? Plus spécifiquement, quelles sont les grandes étapes de l'évolution qui se poursuit depuis ce fameux G20 d'avril 2009 ?

L'acte fondateur, en quelque sorte, accompli lors de ce G20 - vous vous souvenez du rôle très important que la France y a joué avec les États-Unis et l'Angleterre, qui a beaucoup oeuvré en ce sens, et la condition qu'il a fallu poser notamment à la Chine -, a consisté à nommer les paradis fiscaux : c'est la pratique du « je nomme, je blâme », naming and shaming en anglais - pardonnez-moi cet anglicisme -, pratique qui comporte un effet de levier très fort. Le simple fait, pour un pays, d'être mis au ban de la communauté internationale, même sans que lui soient appliquées des mesures « de rétorsion », et d'être inscrit sur une liste - c'est bien de cela qu'il s'agit - suffit à produire chez lui un changement de comportement.

Par conséquent, l'acte fondateur a consisté en avril 2009, je le répète, à produire des listes, en particulier une fameuse liste noire de quatre États qui n'avaient pas pris l'engagement de respecter les standards internationaux en matière de transparence, et une liste grise comportant à l'époque les noms de trente-huit États ou territoires qui n'avaient pas mis suffisamment en place les standards en question et s'étaient contentés de bonnes paroles : ils n'avaient pas signé au moins douze accords ou conventions conformes aux standards de l'OCDE.

La France a produit parallèlement - vous le savez aussi, puisque le texte en question a été examiné ici - sa propre liste pour avoir une approche des territoires non coopératifs non pas franchouillarde, égoïste ou singulière, par principe ou par esprit français, mais par souci d'effectivité : l'important était non pas les relations qu'un territoire donné entretenait avec le Royaume-Uni ou les États-Unis, mais la façon dont ce territoire se comportait à l'égard de la France.

Vous avez donc transposé le concept, en quelque sorte, en créant une liste française des pays considérés comme territoires non coopératifs au sens du droit interne français, qui combine les listes OCDE - elles ont été actualisées depuis - et la situation des territoires en question en termes de signature ou d'engagement de signer et en termes d'effectivité s'agissant des échanges de renseignements avec notre territoire. Cela explique que notre liste soit un peu différente de celles de l'OCDE.

Nous avons ensuite, en France, pris le parti de sanctionner spécifiquement certains comportements ou certains territoires. Cette invitation à procéder à une dissuasion par des mesures fiscales appropriées avait été posée dès le G20, donc dès avril 2009, mais, à la différence des accords presque planétaires qui se sont multipliés - plus de sept cents accords, me semble-t-il, ont été signés depuis cette date -, elle n'a été mise en oeuvre que par un cercle beaucoup plus restreint de pays, parmi lesquels figure la France.

Je ne les détaillerai pas à ce stade, pour ne pas être trop longue et parce que nous pourrons y revenir si vous le souhaitez, mais j'évoquerai juste quelques mesures phare : le relèvement de l'ensemble des retenues à la source, au taux de 50 %, toutes les fois que des flux en direction des paradis fiscaux sont avérés ; des obligations documentaires en matière de prix de transfert ; des règles nouvelles pour taxer des profits réalisés hors de France dans certaines situations - je citerai, pour les techniciens, les articles 209 B et 123 bis du code général des impôts. J'ajoute que nous avons « tué » un certain nombre d'avantages fiscaux dans certaines juridictions, l'interdiction de disposer du régime mère-fille et de déduire certaines charges.

Cet ensemble de dispositifs - j'en oublie certainement - vient gêner, freiner l'évasion et la fraude fiscales, par des règles fiscales durcies à l'égard de ces juridictions - ce ne sont pas des sanctions proprement dites -, qui ont évidemment contribué, elles aussi, à renforcer la lutte en la matière.

Le travail s'est poursuivi au sein de l'OCDE, parce que, à côté du droit interne que j'évoquais à l'instant, il faut évidemment faire vivre et rendre plus effectives les règles que se sont fixées les pays à l'échelon international. Il convient en particulier de s'assurer de deux choses : d'une part, que les pays normalisent les situations et que les listes grise et noire vivent, et, d'autre part, que ces accords soient effectivement mis en oeuvre.

L'action de la France - je le dis d'entrée de jeu en fonction de la façon dont ont été formulées certaines questions, mais nous y reviendrons sans doute tout à l'heure -n'a pas consisté à créer un vaste système juridique « cathédralesque » - veuillez me pardonner ce néologisme - et à rentrer chez elle contente.

Notre objectif n'est pas de faire du droit, vous êtes plus compétents pour cela. Nous voulons vraiment aller vers de la transparence pour garantir à chaque pays, la France au premier rang, son droit d'imposer, donc de taxer ses contribuables, et d'exercer sa souveraineté fiscale avec la plénitude des moyens qui lui sont offerts.

Notre souci final, c'est bien l'efficacité du système fiscal. Pour cela, nous ne pouvions pas nous contenter d'une construction purement juridique ou faciale ; il nous fallait nous assurer que, derrière, s'enclenchait un processus. Mais qu'est-ce que l'enclenchement d'un processus ? Ce sont des accords, bien sûr, parce qu'il faut créer le contexte juridique, puis il faut s'assurer que les juridictions qui s'engagent au travers de contrats internationaux ajustent leur dispositif interne et que, en particulier, elles rendent les informations que d'autres pays leur réclameront non seulement disponibles mais aussi accessibles : dans certains pays, il y a des comptabilités, mais dans d'autres, il n'y en a pas ou l'administration fiscale n'a pas droit d'y avoir accès. Il faut que cette administration puisse ensuite communiquer ces informations.

Toutes ces étapes nous paraissent évidentes et représentent pour nous un tout, mais, quand on examine la situation pays par pays, on s'aperçoit que les législations sont fort différentes, les pratiques également. Il fallait donc, au-delà des accords signés de manière bilatérale, vérifier plus localement leur mise en place, et s'assurer que cette combinaison des conventions bilatérales et des modifications du droit interne aboutissait à un échange réel des données.

L'ensemble de cette analyse, c'est-à-dire la vérification que ces conditions étaient réunies sur le plan du droit interne et que s'enclenchaient effectivement des échanges, c'est tout le travail mis en oeuvre dans le cadre du Forum mondial installé à l'OCDE, qui rassemble un peu plus de cent pays et qui a engagé la mise en place d'une revue par les pairs. Vous le savez, c'est la France, plus exactement François d'Aubert, qui préside le groupe de revue par les pairs.

Cette revue pays par pays vise, en phase 1, à regarder le fonctionnement du droit interne sous tous les aspects que je viens d'envisager, et, en phase 2, à vérifier que les échanges réels démarrent et s'effectuent en fonction des engagements juridiques pris par les pays.

Lors du G20 qui s'est tenu à Cannes l'hiver dernier - la France était présidente à l'époque -, un premier bilan des travaux de ce Forum a été effectué : déjà les deux tiers des pays ont fait l'objet d'un premier examen, certains juste en phase 1, d'autres d'ores et déjà en phase 1 et en phase 2. Des progrès sont constatés : certains des États qui rencontraient des problèmes ont commencé à apporter des correctifs ; en outre, des pays sont sur la bonne voie et d'autres paraissent avoir fait un sans-faute, en tout cas ne souffrir aucune critique : ils sont au nombre de huit, si je me souviens bien, parmi lesquels la France, qui figure parmi les bons élèves.

Le travail du Forum mondial va naturellement se poursuivre, puisque, dans le communiqué qui a été publié à l'issue du G20 de Cannes, vous trouverez un encouragement à l'égard du Forum à poursuivre son travail, qui doit s'achever en 2014 et permettre, à cette échéance, d'avoir passé en revue l'ensemble des pays, y compris ceux qui ne sont pas membres du Forum et dont l'examen serait jugé utile, et de réaliser des progrès, pas seulement faciaux mais bien effectifs.

Voilà comment nous essayons de faire vivre les listes de l'OCDE.

La France a par ailleurs développé ces dernières années, en parallèle - j'irai plus vite sur ce point, car vous avez eu communication, me semble-t-il, des rapports du Gouvernement -, une politique visant à favoriser la signature de conventions ou d'accords, et nous produisons, dans le cadre du projet de loi de finances annuel, un rapport décrivant l'avancement de ce réseau conventionnel - il a dû être porté à votre connaissance ces derniers mois -, qui nous sert à faire vivre la fameuse liste de paradis fiscaux que j'évoquais tout à l'heure.

Je voudrais dire, en complément de ce rapport, que nous avons le souci - c'est à mettre à l'actif de la France, car tous les pays n'ont pas eu cette pratique, et nombre d'entre eux s'en sont mordu les doigts -, dans le cadre des négociations, d'avoir une lecture stricte et même renforcée des modèles de l'OCDE - l'article 26 du modèle de convention de l'OCDE ainsi que le modèle d'accord d'échange d'informations -, en veillant, lorsque nous négocions et que nous paraphons ces accords, que la couverture concerne l'ensemble des impôts - les standards laissent une certaine flexibilité et certains pays ne sont pas forcément toujours regardants sur ce point - et que nos échanges portent sur l'ensemble des informations et pas seulement sur celles qui sont aisément disponibles entre les mains de l'administration fiscale.

Nous veillons également, dans nos accords, à poser des clauses interdisant que les États avec lesquels nous contractons puissent tirer argument de leur propre législation interne pour nous empêcher d'obtenir des informations. Je ne prendrai qu'un exemple parmi d'autres : nous sommes attentifs à ce que l'absence d'utilité d'un renseignement pour l'administration du pays requis, alors que nous en avons besoin, ne puisse pas constituer un obstacle à la communication et à l'échange d'informations. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

Nous avons vraiment le souci, dans le cadre d'un accord international, de bloquer les dispositions du droit interne du pays avec lequel nous contractons qui viendraient gêner l'échange de renseignements ; nous prévoyons même la possibilité d'intervenir sur place. Nous veillons donc tout particulièrement à obtenir un conditionnement très précis et assez strict.

D'ailleurs, lors de la discussion qui s'est nouée autour des accords dits « Rubik » qu'ont signés l'Allemagne et le Royaume-Uni avec la Suisse, nous avons été étonnés de constater que ces deux pays se « gargarisaient » - pardonnez-moi ce terme -, en tout cas trouvaient intéressant, dans le cadre de ces accords, d'avoir pu obtenir de la Suisse de meilleures conditions d'échange de renseignements. Pourtant, nous nous sommes aperçus, après vérifications, qu'ils n'avaient obtenu que les standards de l'OCDE, ceux-là même qu'ils n'avaient pas réussi à obtenir dans le cadre des accords bilatéraux classiques !

Par conséquent, nous avons déjà ce que l'Allemagne et le Royaume-Uni souhaitent obtenir avec les fameux accords Rubik. Je dis cela pour illustrer mon propos, à savoir que la France veille à négocier des accords sérieux et efficaces.

Depuis 2009, nous avons signé vingt-huit accords d'échange de renseignements, dont vingt-cinq sont entrés en vigueur, deux nouvelles conventions fiscales, et neuf avenants.

J'anticipe sur une question que vous pourriez me poser : ces accords, avec leurs exigences, produisent-ils le résultat escompté ? Nous avons bien sûr commencé, une fois les accords nouveaux entrés en vigueur, à interroger les pays pour tester ces accords et faire progresser notre contrôle fiscal et notre capacité à faire rentrer de l'argent dans les caisses. J'empiète sur les compétences de mes autres collègues de la Direction générale des finances publiques - ils vous en parleront bien mieux que moi -, et les premiers éléments vous sont restitués dans le rapport que j'évoquais tout à l'heure, qui contient d'ores et déjà quelques statistiques sur le nombre de requêtes, sur leur répartition par pays et sur les premiers retours dont nous disposons.

Les effectifs restent modestes. Entre janvier et août 2011, nous avons procédé à 230 requêtes et, lorsque nous avons établi nos statistiques, nous ne disposions encore que de 30 % des réponses environ.

Cet échantillon, assez partiel et assez provisoire, commence à révéler les potentialités du mécanisme, mais aussi ses limites, et met au jour les perfectionnements que nous souhaiterons lui apporter.

En particulier, certaines juridictions peuvent être tentées de nous répondre que nous leur demandons des informations qui - ce sont les termes du modèle OCDE - ne sont « pas vraisemblablement pertinentes ».

Ou bien, nous constatons que certaines juridictions informent systématiquement les contribuables que l'on s'intéresse à leur cas, ce qui n'est pas toujours très heureux. Bref, nous commençons à avoir un acquis de l'expérience, nous permettant de perfectionner notre mécanisme et de le rendre plus efficace.

Si j'insiste sur ce sujet, c'est bien pour souligner que le processus mis en oeuvre est extrêmement concret et qu'il va dans le sens de l'efficacité.

Je terminerai mon propos introductif - je constate qu'il est très difficile d'être concis sur un tel sujet, pardonnez-moi - par le volet interne.

Au-delà des mesures de rétorsion qui visent les paradis fiscaux et les pays à fiscalité privilégiée, je vous rappelle que, sur des questions qui ne portent ni nécessairement ni spécifiquement sur ces pays, nous avons introduit de nouveaux outils, dans le champ des règles de taxation comme dans celui des outils du contrôle.

Dans le champ des règles de taxation, deux mesures me semblent particulièrement dignes d'intérêt, même si d'autres pourraient vraisemblablement être citées : je n'en ai pas établi la liste exhaustive. Ces deux mesures sont récentes.

Il s'agit, premièrement, de l'exit tax, créée l'année dernière, à la charge des personnes qui viendraient à délocaliser leur domicile fiscal hors de France et qui, lorsqu'elles disposent d'importants portefeuilles de valeurs mobilières, subissent à compter du 3 mars 2011 une taxation des plus-values latentes du fait de ces sorties du territoire.

Deuxièmement, le même texte a introduit de nouvelles possibilités de taxer, à la fois à l'occasion des mutations par décès et dans un cadre ressemblant à l'ISF, les sommes placées en trusts.

De longues années durant, nous avons éprouvé de grandes difficultés à appréhender les trusts qui, comme vous le savez, n'existent pas en tant que tels en droit français : il existe une fiducie dont, en réalité, les finalités sont très spécifiques et qui n'a pas le caractère général des trusts à l'anglo-saxonne. Nous avions donc beaucoup de peine à caractériser les trusts que nous rencontrions chez les foyers que nous contrôlions au regard du droit de propriété français. Du coup, nous avions du mal à appliquer nos impôts patrimoniaux.

L'année dernière, le Parlement a retenu l'adoption d'un dispositif créant un impôt sans qu'il soit nécessaire de se préoccuper des effets en droit de propriété des trusts : on ne se demande donc plus si les trusts sont discrétionnaires ou autre. Les caractéristiques des trusts sont écartées au bénéfice d'un dispositif exclusivement fiscal, permettant d'assurer un fonctionnement tant des droits de succession que de l'ISF conforme à nos règles standard.

Voilà les dispositifs que je souhaitais citer. Ils sont très importants et - si j'en juge par le nombre d'avocats qui nous contactent sur ces sujets - leur portée est tout à fait concrète.

Enfin, vous avez bien voulu adopter des dispositions qui affutent les armes des services fiscaux dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales : je pourrais en citer un assez grand nombre, mais je laisserai à Philippe Parini le soin de les détailler et de vous expliquer comment ils ont permis de renforcer cette lutte.

Je citerai simplement, pour illustration, les tout derniers, qui ne sont pas encore parus au Journal officiel, mais qui ont été votés par la représentation nationale, en particulier le renforcement des sanctions en cas de non-déclaration de comptes à l'étranger.

Je pourrais en évoquer d'autres en remontant plus loin dans le temps, dans la mesure où plusieurs générations de dispositifs se sont succédé. Ainsi, le Parlement a également allongé les délais de prescription dans certaines situations, afin de donner du temps aux contrôles fiscaux internationaux, pour que ces derniers puissent se dérouler dans de bonnes conditions.

Voilà les quelques éléments que je tenais à évoquer afin de vous expliquer quelle a été la stratégie française, à la fois à travers des processus internationaux, multilatéraux et bilatéraux, et dans le cadre de sa politique de droit interne. Je le répète, pour ce qui concerne l'application de ces mesures, je vous ai livré quelques bribes sur des sujets dont j'ai eu à connaître mais, bien évidemment, il reviendra à Philippe Parini et à ses services de vous éclairer sur ces questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Merci, madame la directrice, de cet aperçu très complet de l'action de l'administration de notre pays dans ce domaine.

Je donne la parole à M. le rapporteur, qui aura le privilège de poser les premières questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Madame la directrice, j'ai écouté votre propos avec attention. Vous évoquez un tournant en 2009, une évolution des pratiques et un durcissement des règles.

Premièrement, ces règles ont-elles été durcies de la même manière et indifféremment dans tous les pays, dans tous les paradis fiscaux ? Certains pays ne l'ont-ils pas fait ? Si nous sommes en pointe, d'autres sont-ils en retard, à la traîne, réticents ou résistants ?

Avez-vous pu évaluer les effets du durcissement de ces règles ? Vous avez brièvement évoqué ce point : s'il est peut-être encore trop tôt pour procéder à une évaluation chiffrée, de premiers effets sont-ils déjà perceptibles ? Très concrètement, avons-nous recouvré des recettes ? Les contribuables concernés ont-ils adapté leurs comportements à cette nouvelle réglementation ? Et, du point de vue des échanges de renseignements, la situation a-t-elle également évolué positivement ?

Deuxièmement, vous venez d'évoquer les délais de prescription. Nous avons eu l'occasion d'aborder ce sujet au cours des auditions précédentes. En décembre dernier, nous avons effectivement allongé ces délais en les portant à dix ans pour l'ensemble des actifs détenus à l'étranger. M. Lamorlette, que nous avons auditionné hier, recommande quant à lui un délai de quinze ans. Apparemment, ce délai s'élève même à trente ans aux États-Unis. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Troisièmement, l'annexe sur les contrôles fiscaux des filiales détenues à l'étranger par les entreprises françaises qui, apparemment, n'est pas parvenue au Sénat, aurait dû nous être transmise. Nous souhaitons donc savoir si ce document nous sera communiqué rapidement, dans la mesure où il pourrait constituer un outil intéressant.

Quatrièmement, et très concrètement, à ma connaissance, le groupe LVMH dispose de cent quarante entités réparties dans des paradis fiscaux à travers le monde. En pratique, comment vous attaquez-vous à ce type de situation pour maîtriser la fiscalité de l'entreprise en question, compte tenu de cette très large répartition des actifs sur l'ensemble de la planète ? Il s'agit là d'un véritable sujet.

On nous l'affirme de toutes parts - et je veux bien l'admettre -, le travail de l'administration fiscale française est bon, l'outil dont nous disposons obtient des résultats. En revanche, on pointe du doigt le cloisonnement existant entre les différents services chargés des contrôles. Partant, n'y a-t-il pas lieu d'assurer une meilleure coordination au sein de l'administration fiscale, afin d'améliorer les résultats, en termes d'efficacité ?

Voilà une première série de questions, d'autres suivront sans doute dans un second temps.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Monsieur le rapporteur, j'ajouterai tout d'abord une précision que j'aurais dû apporter d'entrée de jeu : étant donné que le sujet de votre commission est très vaste, j'ai pris le parti de cibler mon propos introductif sur la question des territoires non coopératifs et de la transparence.

Je le souligne en prévision d'autres questions potentielles, et afin de mieux situer les réponses que je vais vous apporter dans un instant, j'aurais également pu traiter d'une question complémentaire, plus générale : comment s'organise le droit de taxer dont dispose un pays ? Ce droit porte sur des capitaux et des flux financiers à destination des paradis fiscaux, mais aussi vers d'autres pays de l'Union européenne, ou vers les États-Unis, notamment.

S'il importe en effet de considérer la question de l'évasion et de la fraude fiscales internationales vis-à-vis de pays qui adoptent des comportements, à mes yeux condamnables, d'évitement et de concurrence déloyale, en refusant la transparence ou en mettant en place des législations tout à fait offensives, il convient, au-delà, d'observer que notre pays, comme tous les autres, s'inscrit dans un contexte juridique et économique fait de règles internationales, où le droit de taxer est encadré. Il est donc important de comprendre les mécaniques à l'oeuvre.

Cette précision n'apporte pas de réponse directe mais elle vise à bien situer le sujet dont nous traitons, et peut-être, dans quelques instants, à développer un propos sur ces questions, tout à fait importantes sans être autonomes pour autant, naturellement.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Dans ce cadre, comment caractériser les actions menées ou non par les différents pays ?

Les règles générales de répartition du droit de taxer entre pays n'ont pas connu d'évolution radicale au cours des dix dernières années.

La question générale que je viens d'évoquer s'inscrit donc dans un mécanisme de discussion qui prend principalement sa source dans les travaux de l'OCDE, mais aussi, pour une petite part, dans ceux de l'ONU. Comme vous le savez, ces deux grandes organisations développent des modèles de répartition du droit de taxer entre pays, et, lorsque l'on observe l'action menée au cours des dernières années, tant par l'OCDE que par l'ONU, on voit certes que les règles ont évolué, mais sans pour autant engendrer une évolution radicale.

Nous constatons que les pays, qu'ils soient membres ou non de l'OCDE, appliquent assez généralement ces règles, que celles-ci découlent du modèle de l'OCDE ou du modèle de l'ONU. Aujourd'hui, dans l'économie ouverte que nous connaissons, on n'observe donc pas de dissonances considérables : au contraire, on constate un assez bon partage, et une certaine universalité des règles.

Toutefois, quand on approfondit la question, on vérifie que le diable se niche bien dans les détails : si vous avez l'occasion de rencontrer les représentants des entreprises, ils vous expliqueront que, face aux États qui prétendent tous taxer tout, les firmes sont souvent placées dans des situations de double imposition, que cela ne va pas, que tous les pays ne comprennent pas les règles de la même manière, etc. Bien sûr, il existe des frottements ! Mais il existe également des procédures d'arbitrage pour les régler.

Si j'en juge par la croissance du nombre de procédures amiables que nous gérons, ce constat m'encourage à considérer que ces règles fonctionnent et que le mécanisme est effectif.

En résumé, les règles générales de partage du droit de taxer n'ont pas connu de changements radicaux, et les pays manifestent une assez bonne communauté de vues, même si, je le répète, des États ont un peu de mal à appliquer et à admettre certaines règles, en particulier, le principe de pleine concurrence, que certains vont jusqu'à contester.

S'agissant, plus spécifiquement, des modifications, cette fois-ci radicales, qu'a enclenchées le G20 en 2009, la situation est différente : c'est tout l'objet du Forum que de tenter d'analyser chaque pays de manière détaillée, avec la même méthode, afin de déterminer s'ils sont ou non au standard.

Je vous renvoie, pour le détail - je n'ai pas le rapport avec moi - au travail rendu public par le Forum qui s'est tenu au cours des jours précédant le G20 de Cannes. Ce document traduit exactement le point que les travaux du Forum avaient alors atteint - nous étions en novembre 2011. Le constat est le suivant : nous avons examiné cinquante-neuf pays, parmi lesquels quinze présentent des carences sérieuses et qui, du coup, ont été priés de modifier leur législation, faute de quoi ils ne pourraient faire l'objet d'un examen en phase 2. Il n'était donc pas question d'une automaticité effective, il fallait avant tout que ces pays modifient leur droit interne.

Sur ces six pays, quatre se sont adaptés très vite, en particulier la Belgique, qui a aboli son secret bancaire. Ainsi, on dispose d'une traduction tout à fait concrète : on examine la situation des pays, on constate les carences et on détermine les États qui se conforment ou non. Et, tant qu'ils ne sont pas devenus de bons élèves, les pays sont mis au ban et critiqués.

À ce stade, on observe que ces mesures produisent des effets, étant donné que les pays engagent une évolution de leur droit, mais ce n'est pas à vous que je vais expliquer que l'élaboration de la loi demande du temps, notamment le temps de préparer les esprits et d'expliquer, sans compter que, parfois, une révision constitutionnelle est même nécessaire.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Ainsi, on observe un assez bon degré d'effectivité.

Ensuite, un certain nombre de juridictions présentaient des défauts, y compris quelques grands pays de l'OCDE. Ces États sont en train de les corriger. Comme je le soulignais il y a quelques instants, il y a également les bons élèves.

Globalement, à ce stade, notre appréciation est donc positive. En effet, d'entrée de jeu, un nombre important de pays ont été « passés au tamis » ; on n'a ni abouti à la conclusion d'une application laxiste des règles chez les grands et dure chez les petits - on aurait pu tout avoir ! - ni attribué une bonne note à cinquante-huit pays sur cinquante-neuf, en en toisant un seul, pour faire joli et pour prétendre que nous avions bien travaillé : on observe une véritable gradation.

C'est d'ailleurs parce que nous disposons de cette gradation, et que nous savons dire : « Vous, ça va » ; « Peut mieux faire » ; « Médiocre », ou « Tout à fait insuffisant », que nous acquérons une véritable crédibilité et une réelle effectivité. Ce résultat est lié à l'homogénéité de la méthode employée, et au fait que nous nous inscrivons dans un processus en mouvement. Une fois qu'une photographie est prise, les pays savent qu'ils pourront obtenir, non plus la mention « Passable » mais la mention « Très bien ».

Cette méthode permet de s'inscrire dans une dynamique créant, pour les pays, une « envie » de se conformer et d'aller dans le sens des standards.

Si vous me le permettez, je compléterai cette réponse par une réflexion sur les accords Rubik. De fait, Rubik est une démarche qui est venue perturber - j'emploie ce terme fort à dessein - les mesures lancées par le G20 de 2009. Pourquoi ? Parce que ce G20 de 2009 se fonde sur un postulat : nous vivons dans un monde économique ouvert ? Très bien ! Des règles de partage doivent être imposées ? Très bien ! Mais, pour que ce système fonctionne, il faut que nous garantissions de la transparence, une concurrence loyale et une vérité, afin de savoir où l'on en est.

Le G20 a donc posé un acte fort et complémentaire, affirmant que la régulation de ce système d'économie ouverte passe par la transparence. C'est précisément cette transparence qui légitime la souveraineté de chacun. Je l'affirme de manière assez forte, pour mieux faire apparaître, par contraste, la différence avec Rubik.

Qu'est-ce que Rubik ? Il s'agit de deux projets d'accord bilatéral - de fait, ces textes ne sont pas encore ratifiés par les Parlements concernés - entre l'Allemagne et la Suisse d'une part, le Royaume-Uni et la Suisse, de l'autre. Quelles sont les dispositions de ces projets ? Elles sont simples : « Nous, nous préférons opérer une retenue à la source et, ce faisant, nous renonçons à la transparence ». Cette politique est donc totalement différente de la nôtre, c'est pourquoi j'emploie le verbe « perturber ».

En effet, ces textes signifient que deux grands pays partenaires de la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont choisi, via Rubik, de privilégier l'encaissement immédiat d'un certain nombre de livres ou d'euros, contre la renonciation - le renoncement, même - à la transparence, objectif des politiques internationales menées en la matière depuis 2009. C'est un axe et une tentation extraordinairement forts.

Sur ce point, la France a réaffirmé sa position, que traduit le rapport que le Gouvernement vient de vous transmettre sur ce sujet,...

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

et qui correspond, de manière détaillée, aux propos exacts qu'ont tenus au banc les deux ministres de Bercy : nous ne voulons pas de cela, nous voulons la transparence, et nous sommes prêts à renoncer - car voilà ce que cela signifie ! - à des entrées d'argent dans les caisses qui, en fait, correspondent à une amnistie dont on tait le nom. A contrario, nous considérons que la transparence constitue l'avenir et doit fonder une bonne politique, un bon instrument de régulation de cette économie ouverte dans laquelle nous nous inscrivons.

C'est extrêmement important de garder cette idée à l'esprit. En effet, lorsque l'on observe ce que font nos voisins, on considère à la fois leurs droits, leur politique et leur stratégie dans le concert de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Je suis contrainte d'avouer que nous avons été surpris de cette position assez différente et dissonante de deux grands pays avec lesquels nous travaillons en étroite liaison, et dont l'un - l'Allemagne - nous avait même un peu aidés à relancer ce dispositif. De fait, en octobre 2008, le ministre français et son homologue allemand de l'époque avaient réuni un certain nombre de grands pays pour évoquer ces sujets.

Le débat enclenché autour de ces accords est assez lourd, notamment au niveau de l'Union européenne : la Commission est plus qu'inquiète et soupçonneuse. L'OCDE, quant à elle, est ennuyée, et constate bien que, même si les accords Rubik préservent prétendument les échanges de renseignements, ces textes ne s'emboîtent tout de même pas de manière très heureuse dans la stratégie de transparence mise en oeuvre depuis plus de trois ans maintenant.

Pour notre part, nous espérons que ce débat permettra de dégager une solution par le haut. Observez la loi FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act : par cette disposition unilatérale, les États-Unis affirment qu'ils souhaitent de l'échange automatique d'informations, de la transparence non pas quérable mais portable. Ils sont donc carrément de l'autre côté du cheval !

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Les Américains ont raison, sinon sur les modalités du moins sur le principe, au sens où ils restent campés sur les exigences de transparence et où ils les rendent effectives par nature, l'application de ces mesures étant automatique et informatisée.

Pour notre part, nous espérons que les doutes que la communauté internationale commence à exprimer au sujet de Rubik, et que l'on voit émerger dans certains pays - en Allemagne, notamment, les accords sont contestés - et les démarches qui, par ailleurs, se poursuivent concernant l'échange automatique, permettront de renforcer la politique de transparence, et que l'on n'encouragera pas au laxisme et à la facilité certains qui pourraient être tentés de fermer les yeux, de prendre un peu d'argent, considérant que tout va mieux comme cela. Cette logique, qui est celle de Rubik, est, à mes yeux, à la fois contestable et assez court-termiste.

J'ai très largement dépassé les limites de la première question, pardonnez-moi.

Concernant les filiales à l'étranger et l'application de l'article 209 B du code général des impôts, je vous précise que je ne suis pas chargée des travaux correspondants : cette question relève du service chargé du contrôle fiscal, auquel je vais transmettre votre question et qui, je le suppose, vous répondra lors de l'audition prévue à la fin de ce mois.

Monsieur le rapporteur, vous souhaitez également obtenir un éclairage concernant la question de la surveillance des paradis fiscaux. Bien évidemment, je n'évoquerai pas de cas particulier.

Sur ce point, je relève le mouvement impulsé à la fois à l'échelle internationale et au niveau français, visant à renforcer considérablement les obligations de transparence à la charge de ceux qui ont des activités ou des flux avec des paradis fiscaux ou des pays à fiscalité privilégiée.

Pour évoquer plus spécifiquement le cas français, nous avons une exigence d'information publique à l'égard du monde financier, lorsque des entreprises développent des activités dans les paradis fiscaux. Plus globalement, en droit fiscal et non plus dans le strict cadre du code monétaire et financier, nous avons créé une obligation documentaire concernant les prix de transferts, laquelle présente deux volets.

Premièrement, on dispose d'un volet général : au-delà d'une certaine taille, les entreprises sont toutes tenues de tenir à la disposition de l'administration fiscale une documentation précise et détaillée concernant leur politique de prix de transferts.

Deuxièmement, pour les territoires non coopératifs, cette obligation est renforcée, étant donné que, pour ce qui concerne les paradis fiscaux, il est obligatoire de transmettre des détails quant aux flux et non plus simplement quant aux principes généraux.

Ces outils permettent à l'administration fiscale d'interroger et de questionner les grands groupes, en s'assurant que les mécanismes de droit d'imposer fixés par la France ont été correctement mis en oeuvre.

Vous avez évoqué un cloisonnement des services, point sur lequel je ne m'attarderai pas. Ce n'est pas notre perception des choses ! Nous savons très bien qui est compétent sur quoi. Par conséquent, un travail commun peut être réalisé à deux, à trois ou à quatre voix.

S'agissant des deux rapports que j'ai cités - sur les conventions fiscales et sur Rubik -, ils ont été rédigés à la fois par les négociateurs des conventions et par ceux qui sont chargés de l'assistance administrative. Très concrètement, ces derniers questionnent les juridictions sur des cas particuliers, notamment des redressements en cours. Les uns et les autres ont travaillé main dans la main, chacun conservant bien sûr sa compétence. Il n'y a pas une espèce de « grand tout » administratif, et il me semble que les choses se font avec fluidité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Je vous remercie, madame. Nous allons maintenant passer aux questions.

La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Je souhaite vous remercier de votre intervention, madame, et vous poser brièvement quelques questions.

Je voudrais partager votre optimisme ! Bien que je ne demande qu'à être convaincu par ce que vous venez de dire, je reste pourtant quelque peu dubitatif.

Premièrement, vous avez évoqué les accords signés avec certains États devenus coopératifs, alors qu'ils ne l'étaient pas précédemment. Or, à l'occasion d'une précédente audition, a été soulignée la facilité, pour quelques États non coopératifs, de devenir coopératifs dès lors qu'ils passaient des accords avec des pays dont c'était devenu la spécialité, en particulier le Groenland et les îles Féroé. Une telle situation ne risque-t-elle pas de poser problème, si l'on se réfère à l'accord intervenu au niveau du G20 ?

Deuxièmement, considérez-vous que des pays qui nous sont proches - le Luxembourg, Andorre et Monaco - sont devenus très coopératifs ? Quelle est votre analyse en la matière ?

Troisièmement, l'information nous a été donnée récemment que BNP Paribas, qui occupe tout de même une place très importante dans le système financier national, disposait de trois cent quarante-sept filiales implantées dans des paradis fiscaux. De quels moyens de vérification comptable disposons-nous pour connaître les raisons qui poussent une grande banque comme celle-ci à avoir des filiales dans des paradis fiscaux ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

J'essaierai de répondre vite, car je m'aperçois que je suis affreusement bavarde sur ces questions, mais nous avons beaucoup travaillé ces dossiers et il m'est difficile d'être concise !

Il est extrêmement facile de répondre à votre première question, monsieur le sénateur. La France a décidé de ne pas se contenter des critères de l'OCDE. Les pays non coopératifs peuvent signer ce qu'ils veulent avec le reste du monde, ce qui nous importe, c'est ce qu'ils font avec nous ! S'ils ne communiquent pas avec nous, nous considérons qu'il s'agit de territoires non coopératifs, et toutes les dispositions de droit interne trouveront à s'appliquer.

Mais une telle réponse est sans doute un peu trop facile. Ainsi, même dans le cadre international, le fameux critère de 2009, historique, des douze accords avait beaucoup contrarié la communauté des fiscalistes, qui savaient que les stratégies de contournement étaient très aisées à mettre en oeuvre. De facto, ce critère a donc très rapidement été dépassé, grâce à l'enclenchement des travaux du Forum, lesquels font foi désormais.

J'évoquais tout à l'heure le compte rendu global publié à l'occasion du G20. Toutefois, si l'on veut connaître très exactement ce que le Forum a constaté sur un pays donné, les rapports par pays sont publics et accessibles. On dispose vraiment d'une documentation extrêmement riche et pertinente. Selon moi, cela illustre la qualité du processus mis en oeuvre. Espérons que cela ira au bout avec la même énergie !

Pour ce qui concerne les pays plus proches, qui ont pu, pour certains d'entre eux, nous donner du souci par le passé, les situations des trois que vous avez cités sont assez différentes.

Monaco, pour l'administration fiscale française, n'a pas forcément été le pays le plus difficile ; les règles fiscales et les outils, typiquement français, que nous avons avec la Principauté sont très particuliers, et ce de longue date. En réalité, la Principauté a posé davantage de problèmes à d'autres États, qui ne bénéficiaient pas des mêmes facilités et des mêmes règles. Comme vous le savez, Monaco a engagé une démarche de transparence et fait plutôt partie des pays en bonne voie, au sens où ils ont normalisé leur situation.

Concernant Andorre, la situation était différente, puisque, historiquement, la Principauté n'avait quasiment pas d'impôts, en tout cas directs. À la suite de travaux réalisés, me semble-t-il, par M. Landau, Andorre a modifié ses lois fiscales internes et s'est engagée également dans un processus de conclusion d'accords. Aujourd'hui, Andorre n'est plus citée parmi les mauvais élèves, au contraire.

Pour le Luxembourg, l'histoire diffère encore. Voici un pays fondateur de l'Union européenne, à la réputation théoriquement bonne, mais dont le comportement en matière d'épargne est celui d'un affreux petit canard, pour ne pas dire plus !

Depuis 2008, la directive Épargne est en situation de blocage absolu, par la faute de deux pays, l'Autriche et le Luxembourg, lui-même meneur en la matière. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la Belgique, qui était le troisième larron, est devenue bonne élève, puisqu'elle a supprimé le secret bancaire. S'agissant de l'épargne, le Luxembourg et l'Autriche campent sur leur position, à savoir le maintien du secret et la retenue à la source, plutôt que d'adopter une démarche de transparence. Je rappelle qu'il s'agit de pays fondateurs historiques de l'Union européenne ! C'est inouï !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Et ils vont accueillir le MES, le mécanisme européen de stabilité !

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

La pression exercée sur ces pays ne s'est pas relâchée. La sempiternelle défense des ministres luxembourgeois est la suivante : « Vous ne pouvez pas me faire ça ! Cela reviendrait à vider ma place financière ! » Ils s'efforcent de gagner du temps.

La première directive Épargne, dont le champ d'application était assez étroit, remonte à 2003. Comme prévu, nous en avons dressé le bilan en 2008 : il s'est logiquement révélé décevant. La Commission a alors produit une proposition de modification visant à en étendre le champ d'application, notamment aux produits d'assurance vie et aux flux d'épargne transitant par des sociétés intermédiaires, du type trust et fiducie. Cela relevait du bon sens ! Il s'agissait non pas de leur demander un quelconque durcissement, mais de retenir un champ normal d'échanges de renseignements entre pays européens, c'est-à-dire entre gens de bonne compagnie, du moins je le crois. Et le processus est bloqué ! Nous sommes toujours soumis à la règle de l'unanimité...

La façon dont ils cherchent à gagner du temps est absolument extraordinaire ! Ils se déclarent prêts à agir, mais font valoir qu'ils n'avanceront pas tant que les autres n'en auront pas fait de même. Ils mettent ainsi en place ce qu'ils appellent des « conditionnalités externes », en nous disant : « Mandatons la Commission, pour discuter de la même chose avec la Suisse et le Liechtenstein. Quand tous les autres seront d'accord, nous le serons aussi ! Vous ne pouvez pas nous demander d'agir avant la Suisse. ».

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

N'observe-t-on pas une évolution ou est-on toujours face à une situation de blocage ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Pour ma part, je pense qu'il y a un vrai blocage. Ne soyons pas naïfs, même en Europe, les égoïsmes persistent. Nous-mêmes pouvons parfois en faire preuve.

En matière de lutte contre l'évasion fiscale, il me semble toutefois que le temps est venu. Nous sommes ridicules parce que nous promouvons, parallèlement, une politique de transparence et d'exigence.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

La règle de l'unanimité devrait disparaître dans le nouveau traité.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

On n'y est pas ! Par ailleurs, cette règle de l'unanimité n'est pas seule en cause. La libre circulation des capitaux pose également problème. Excusez-moi de cette digression ; je tire le fil et tout le pull-over est en train de se détricoter ! Il ne fallait pas m'inviter, mesdames, messieurs ! (Sourires.)

La règle de libre circulation des capitaux est extrêmement étonnante. Elle n'était pas faite pour la fiscalité, il faut bien le dire. Elle a été posée sans aucune contrepartie vis-à-vis du reste du monde et elle est interprétée par les juges de manière totalement extensive pour ce qui concerne son champ d'application. Ainsi, l'année dernière, vous avez dû le lire dans la presse, il nous aurait fallu subventionner l'immobilier locatif à Berlin ou ailleurs au nom de la liberté de circulation des capitaux, ou encore faire du mécénat au fin fond de je ne sais où, sur le dos des contribuables français, en vertu de la même règle. Ne me demandez pas le rapport entre ces deux choses, je ne le comprends pas moi-même !

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

La règle de non-unanimité changera tout de même beaucoup de choses !

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Et je n'évoquerai pas la libre circulation des capitaux au niveau mondial !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

La troisième interrogation de M. Vaugrenard portait sur les filiales des banques françaises implantées dans des paradis fiscaux.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Cela renvoie à ce que je disais tout à l'heure, à savoir que les dispositions du code monétaire et financier aux termes desquelles les établissements financiers français doivent faire figurer dans leurs comptes des éléments d'information sur leurs filiales implantées à l'étranger, sont bien appliquées. On sait donc que BNP Paribas possède trois cent quarante-sept filiales à l'étranger. Forcément, une telle information permet d'assurer une surveillance en la matière.

Quelles sont les raisons d'une telle situation ? Il faudrait interroger les responsables. Quand j'examine les législations des pays concernés, je me dis que ces questions sont loin, très loin d'être uniquement d'ordre fiscal. Doivent également être pris en compte, outre les aspects économiques - certains pays sont connus pour être de grandes places spécialisées -, les règles juridiques.

J'évoquais tout à l'heure le Luxembourg. Aujourd'hui, quantité d'assurances vie sont contractées au Luxembourg, les règles juridiques afférentes y étant plus flexibles qu'en France, notamment.

En réalité, les explications permettant de comprendre une situation économique sont plurielles, ce qui est logique.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Madame Lepetit, je formulerai une remarque et vous poserai une question.

Loin de moi l'idée de vouloir dédouaner le Royaume-Uni ou l'Allemagne du choix « court-termiste » que vous avez évoqué, mais on ne peut s'empêcher de relever - un ancien journaliste nous l'a confirmé hier -, qu'il existe, au Royaume-Uni, une longue tradition d'investigation journalistique sur ces questions. Par ailleurs, en Allemagne, depuis ces dix dernières années, la guerre entre Der Spiegel et Focus s'est jouée notamment sur la question de savoir lequel de ces deux hebdomadaires sortirait le premier des informations sur ce sujet. Par conséquent, peut-être y a-t-il un lien entre la posture adoptée par ces pays et l'existence d'une presse extrêmement effervescente informant sur ces questions.

Ainsi, sur ce dossier, que pensez-vous du rôle de la presse en général, tout particulièrement de la presse économique ?

Cette presse est dans une position extrêmement délicate. En effet, elle a le devoir de financer des organes d'expression libres, lesquels, en principe, font des investigations libres sur des sujets variés, sans toutefois aborder de trop près des questions qui touchent au coeur de la compétitivité des entreprises.

Avez-vous un point de vue sur le sujet ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Est-ce que je dispose d'un joker, monsieur le président ?

C'est une question difficile. En règle générale, je n'ai pas le sentiment que la presse soit bridée quand elle a envie d'écrire une méchanceté en matière de fiscalité ou de donner son point de vue. Récemment, un journal a écrit que l'exit tax ne marchait pas en France, ce qui est complètement faux ! J'ai dû quereller les journalistes ! Tout cela pour dire que, quand ils ont envie d'écrire, ils écrivent !

Quand je lis des chroniques portant sur les travaux de l'OCDE, les actions des ONG et les pressions que celles-ci exercent au sein de l'OCDE, en particulier s'agissant des paradis fiscaux, je ne trouve pas que la presse française soit muette, laxiste ou absente. Pour autant, je ne dispose pas forcément du benchmark international et de points de comparaison. Ce que je vis, en tant que fiscaliste, et ce que je connais des chantiers ouverts ici ou là, je le lis aussi dans le journal.

En revanche, il est vrai que la France possède certaines spécificités. Nous sommes marqués par la Seconde Guerre mondiale, et les questions de dénonciation et de révélation sont traitées d'une façon qui n'est pas forcément semblable à celle que l'on rencontre à l'étranger. Nos techniques de contrôle fiscal, le rôle de l'administration fiscale et les mécanismes de sanction administrative diffèrent de ce qui prévaut ailleurs dans des organisations faisant davantage appel aux juridictions. Cela structure aussi les comportements, c'est certain.

Je pense ici à la liste HSBC. Notre réaction concernant l'usage de fichiers obtenus dans des conditions curieuses se distingue de celles que l'on pourra observer à l'étranger.

Selon moi, de telles spécificités ne sont pas propres à la presse. Elles relèvent davantage d'une culture française, qui fait qu'une même situation produit un résultat, des effets ou des commentaires différents.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

La parole est à M. Louis Duvernois.

M. Louis Duvernois. - Des intervenants précédents nous ont indiqué, sauf erreur de ma part, que le site de l'OCDE ne faisait plus référence aux pays coopératifs ou non coopératifs. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

La parole est à Mme Marie-Christine Lepetit.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Cela fait des mois que l'on a demandé à l'OCDE de supprimer sa liste des États ayant signé au moins douze accords. En effet, celle-ci est aberrante, dès lors que le Forum a travaillé !

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Il nous semble que la bonne appréciation des paradis fiscaux est désormais celle du Forum.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

L'absence de cette référence donnait l'impression d'un acte volontaire. Vous nous apportez une explication tout autre, que nous prenons en considération.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Il faudrait demander à l'OCDE si mon interprétation est la bonne, mais je pense que tel est le cas.

Il était assez étrange, et parfois même gênant, que l'OCDE maintienne sur son site une liste dont la pertinence était plus que sujette à caution. En effet, certains pays, avec lesquels nous menions des discussions bilatérales, nous faisaient valoir qu'ils étaient bien notés par l'OCDE. Il fallait alors leur expliquer les raisons pour lesquelles la France ne s'en satisfaisait pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

Il s'agit donc bien d'une question à explorer.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Il est assez logique et tout à fait positif que les travaux du Forum aient avancé suffisamment pour passer à l'étape suivante.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Vous avez évoqué une convergence entre les listes. Existe-t-il toujours une liste française ou y a-t-il eu réellement convergence ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Je me suis mal exprimée : il y a non pas convergence, à proprement parler, mais bien cohérence.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Oui. Il est d'ailleurs prévu en loi interne que celle-ci soit actualisée tous les ans. L'arrêté de cette année est sur le point d'être publié.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Nous avons vraiment l'intention de mettre cette liste à jour en fonction de l'état le plus récent de nos relations avec chacun des pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

Vous avez évoqué, sans toutes les énumérer, les mesures mises en oeuvre pour lutter contre l'évasion fiscale. Vous nous avez dit qu'elles sont nombreuses. Disposez-vous d'une évaluation de leurs résultats ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Il faudrait que vous posiez cette question à Philippe Parini. C'est lui qui suit en détail l'évolution non seulement des contrôles fiscaux, mais aussi du comportement déclaratif spontané. Il vous répondra certainement qu'il est encore un peu tôt.

En effet, les outils de droit interne, ainsi que le dispositif d'accords et de conventions, renouvelé et mis en conformité avec les standards, sont assez récents et leur effectivité est toute jeune. Je l'ai dit tout à l'heure, vingt-cinq nouveaux accords sont entrés en vigueur, pour les plus anciens depuis un an et demi ou deux ans et, pour les plus récents, depuis trois mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

Quand disposera-t-on des premiers « indices de performance » ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Nous avons déjà le nombre de requêtes que nous avons déclenchées, réparties par pays, et les premiers taux de retour. Ces chiffres sont contenus dans le rapport que nous vous avons transmis. Toutefois, Philippe Parini pourra vous communiquer des chiffres plus récents. Je sais que nous avons approfondi nos contacts avec la Suisse, parce que nous souhaitions que l'interprétation de l'accord bilatéral soit plus conforme à nos voeux. Vous pourrez aller plus loin sur cette question avec M. Parini.

Les choses bougent, c'est sûr, mais il est encore trop tôt pour dire si la volumétrie est suffisante et si une « routine » est vraiment en train de s'installer.

Il me semble que nous devons approfondir la question de l'échange automatique. Je suis convaincue que, au moins entre anciens pays historiques de l'OCDE, c'est la voie la plus commode et la plus naturelle. Pourquoi diable de grands pays comme le Royaume-Uni, la France ou les États-Unis auraient-ils besoin de recruter des batteries de fonctionnaires pour interroger un à un les contribuables ? Il suffit de disposer de formats de fichiers semblables. Puisque nous avons décidé d'être transparents, autant automatiser l'échange de données, d'autant que cela fait partie des possibilités du standard. Développons-les !

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

Ma deuxième question concerne la stratégie choisie par le Royaume-Uni et l'Allemagne, dont il est évident qu'elle s'oppose à cette recherche d'harmonisation fiscale que nous souhaitons dans le cadre de la construction européenne.

Il n'en demeure pas moins que la France fait cavalier seul, alors que sa position est tout à fait défendable et compréhensible au plan multilatéral.

Dans un tout autre domaine, mais avec un résultat identique, cela me fait penser à l'attitude qu'ont adoptée certains États vis-à-vis de la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle, signée en 2005 sur l'initiative de la France. Cette convention fut adoptée à l'unanimité moins deux pays, les États-Unis et Israël, lesquels se sont ensuite employés à multiplier les accords bilatéraux pour contrer cette convention multilatérale...

D'une certaine manière, la démarche du Royaume-Uni et de l'Allemagne est identique. La position politique, au sens non partisan du terme, retenue en matière de fiscalité par ces deux pays importants pour la France, au sens où ils sont membres de l'Union européenne, vous semble-t-elle acceptable, madame ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

J'y vois surtout une marque de pragmatisme. Ces pays ont de gros problèmes de finances publiques et la Suisse vient leur proposer un chèque, le droit d'adresser des requêtes pour 500 contribuables par an et des ressources garanties dans le futur grâce à la retenue à la source.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Je pense qu'une orientation sera arrêtée en commun avec les autres partenaires européens.

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

J'ai pour l'instant considéré dans mes propos que les deux projets d'accord étaient semblables. En réalité, ce n'est pas le cas. Après un examen minutieux, l'accord britannique paraît un peu plus respectueux des principes et des standards internationaux que l'accord allemand, et ce pour deux raisons.

En premier lieu, l'accord britannique semble mieux préserver le droit d'échanger de l'information, nonobstant le mécanisme de retenue à la source. Il est en effet plus prudent sur les possibilités d'échanges d'informations en cas de fraudes et protège mieux le droit pour le Royaume-Uni d'interroger la Suisse que l'accord négocié par l'Allemagne. En conséquence, il assure une meilleure articulation entre la logique pragmatique, strictement budgétaire, et la logique de transparence.

En second lieu, et je ne doute pas que vous serez sensibles à cet argument, mesdames, messieurs les membres de la commission, il permet un meilleur respect de la législation interne du Royaume-Uni, en particulier l'application des taux élevés en vigueur là-bas. En cela, il s'articule mieux avec la directive Épargne, puisqu'il permet de continuer à taxer ceux qui se trouvent dans cette situation à un taux supérieur à 40 %, conformément au droit britannique. À l'inverse, en Allemagne, même les contribuables qui ne jouent pas le jeu de la transparence ne seront pas taxés à 35 %, comme le prévoit la directive Épargne, mais à 26,375 %, c'est-à-dire au taux en vigueur en droit interne allemand.

L'accord britannique offre donc un meilleur respect des règles fiscales internes, ce qui me semble très important.

Au-delà des questions de principe qu'ils soulèvent, notamment au regard de l'amnistie - j'ai déjà évoqué ces questions devant vous tout à l'heure, et Valérie Pécresse a eu l'occasion de les développer bien mieux que moi au banc des ministres -, les accords Rubik ont pour inconvénient de bloquer la personnalisation de l'impôt. Avec de tels accords, comment appliquer l'ISF ou un impôt éventuellement progressif ? Cela nous est impossible puisque la Suisse prélève un taux uniforme, les yeux fermés, sans dire s'il s'applique à M. Dupont ou à M. Durand.

D'où la perplexité de la France, dont l'objectif de droit interne est autre. Nous prétendons continuer à appliquer des impôts à caractère personnel sur les revenus de l'épargne et sur le patrimoine. Par ailleurs, nous continuons à penser qu'il est pertinent d'avoir un dispositif qui puisse être adapté dans le temps. Avec Rubik, la législation interne est bloquée par un accord international bilatéral. Dès lors, que faire si, demain, le Parlement change d'avis ? Faudra-t-il repartir en négociations ? Cela n'est pas satisfaisant.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Je voudrais tout d'abord vous poser une question, madame.

Les États-Unis disposent d'une législation visant les contribuables qui trouvent un État d'accueil fiscalement plus compréhensif. L'administration américaine calcule ce que le contribuable aurait dû payer s'il était resté aux États-Unis, retranche de cette somme la part qu'il a acquittée dans le pays d'accueil et lui réclame la différence. Si le contribuable en question ne veut pas payer, la sanction peut aller jusqu'au retrait de la nationalité américaine. À moins que nous n'ayons déjà des dispositifs voisins, ne serait-il pas intéressant pour le Parlement d'étudier la possibilité d'adapter ce type de législation à la France ?

Je voudrais également faire une observation. Après le G20, on a vu que les Suisses étaient furieux - c'est le moins que l'on puisse dire - d'être classés au nombre des « pays gris ». On se demande pourtant, concrètement, ce qui les gênait vraiment. En réalité, c'est surtout l'opinion publique suisse qui n'a pas apprécié d'être ainsi désignée à la vindicte internationale. C'est toute la différence entre la Suisse et d'autres pays comme le Luxembourg, où l'opinion publique n'existe pas, puisque 80 % des habitants vivent de la finance.

Je pense donc que ces micro-États constituent un problème spécifique, et qu'il sera très compliqué pour les Européens de vouloir mettre au pas les paradis fiscaux tout en tolérant en leur sein un État qui, selon toutes les informations dont nous disposons, est un véritable paradis fiscal.

La solution réside sans doute dans la modification du traité européen, et il me semble à cet égard que le traité négocié avec les Vingt-Cinq contient des avancées.

Comment voulez-vous être crédible dans le reste du monde si vous tolérez chez vous le système que vous prétendez combattre ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Après avoir beaucoup critiqué la Suisse, je voudrais nuancer quelque peu mon propos.

Il est certain que la Suisse défend très bien ses intérêts. Mais peut-on le reprocher à un pays dont les atouts géographiques sont par ailleurs limités ? Il me semble que cette attitude est parfaitement légitime.

En outre, même si ses positions restent parfois excessives, la Suisse a incontestablement fait des progrès. Elle commence à fournir des éléments qu'elle ne communiquait pas auparavant. Elle a ainsi accepté de délivrer des informations, alors que l'on ne communique pas le nom du contribuable, ce qui est nouveau.

Cela ne se fait pas sans difficultés, ni sans réticences, mais la Suisse avance dans le bon sens. Il nous faut aussi savoir être opiniâtres, convaincants et efficaces sur le plan diplomatique. Nos efforts commencent à produire des résultats. Ils sont certes insuffisants, mais nous allons persévérer.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

C'est surtout leur opinion publique qui pousse les Suisses à se conformer aux normes de l'OCDE ! Il suffit de lire la presse pour s'en apercevoir !

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

S'agissant des questions de territorialité, il faut avoir en tête qu'il existe deux modèles de taxation.

Certains pays taxent, par principe, les revenus ou les profits sur une base mondiale - c'est ce que vous avez décrit - puis soustraient le montant de l'impôt déjà acquitté à l'étranger, tandis que d'autres pays taxent uniquement les revenus ou les profits qui trouvent leur source sur leur territoire national, selon le principe dit de territorialité restreinte.

Il faut noter que le principe choisi détermine aussi le contenu des conventions fiscales qui seront négociées, signées et ratifiées entre États. Si l'on veut changer de principe, il faut donc non seulement changer les règles internes, mais aussi tout le réseau conventionnel.

La France a fait le choix de la territorialité restreinte, c'est-à-dire qu'elle taxe les profits qui trouvent leur source sur son territoire. Si nous voulions, demain, taxer, fût-ce marginalement, les profits réalisés aux États-Unis, en Irlande, au fin fond de l'Afrique noire, en Chine ou ailleurs, il faudrait renégocier plus de cent conventions fiscales, ce qui prendrait entre dix et vingt ans. C'est pourquoi nous avons été amenés, ces derniers mois, à préciser que, s'il était possible de changer de système, cette modification serait longue et complexe à mettre en oeuvre.

En France, un seul dispositif permettait, au choix des contribuables et sous réserve d'un agrément ministériel, d'inverser la règle et d'organiser un dispositif de taxation mondiale. Il s'agissait du bénéfice mondial consolidé, mais il a été supprimé voilà quatre mois par le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Un an après avoir affirmé le contraire !

Pouvez-vous nous dire, madame, quel est le régime le plus courant, en Europe et dans le monde ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Environ 90 % des États ont opté pour une territorialité mondiale, les autres pour une territorialité restreinte. Mais, comme j'ai pris soin de le préciser à l'instant, le réseau conventionnel adossé à ce principe nous empêche de changer très rapidement de système, il faut que la représentation nationale en soit consciente.

Par ailleurs, je ne suis pas sûre qu'un tel changement soit de nature à renforcer l'attractivité de la France : nos taux d'imposition étant plutôt plus élevés qu'ailleurs, les profits réalisés dans le reste du monde seraient davantage taxés qu'aujourd'hui, ce qui pourrait faire fuir les uns et les autres. Je livre cet élément à votre sagacité, mesdames, messieurs les sénateurs...

Vous avez également cité le lien de nationalité, qui, par définition, ne vaut que pour les contribuables personnes physiques. À ma connaissance, les États-Unis sont les seuls au monde ou presque à avoir un système de taxation fondé sur la citoyenneté. De telles règles ne s'appliquent pas en France. En revanche, nous imposons les personnes physiques selon le principe de la territorialité mondiale. Qu'il s'agisse de l'ISF ou de l'impôt sur le revenu, un résident français est taxé sur son revenu et son patrimoine mondial, avant application des conventions en vigueur. Mais cette territorialité mondiale n'est pas liée à la citoyenneté comme aux États-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Vous avez évoqué l'exit tax, madame, soutenant qu'elle donnait des résultats, contrairement aux affirmations de certains journalistes. Même s'il s'agit d'un dispositif assez récent, puisqu'il date de moins d'un an, pouvez-vous d'ores et déjà nous communiquer des chiffres ?

Vous annoncez également la parution prochaine de la liste mise à jour des territoires non coopératifs. Y a-t-il des scoops ou des nouveautés sur cette liste ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Sur le premier point, nous ne disposons pas encore de chiffres, car le système de taxation des plus-values mobilières en France est déclaratif et les données concernant l'année N ne pourront être connues que l'année N+1, en l'occurrence lorsque les prochaines déclarations d'impôt sur le revenu auront été remplies, en mai ou en juin.

Quoi qu'il en soit, tous les contribuables qui ont quitté la France entre le 3 mars et le 31 décembre 2011 devront déclarer cette année leurs éventuelles plus-values latentes, sous réserve que leurs portefeuilles dépassent les valeurs fixées par le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Une simulation n'a-t-elle pas été réalisée sur la base des chiffres de l'année précédente ?

Debut de section - Permalien
Marie-Christine Lepetit, chef de l'Inspection générale des finances, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques

Il aurait été très difficile d'en établir une, car nous ne disposions pas de données spécifiques sur les portefeuilles pour apprécier s'ils dépassaient ou non le seuil fixé depuis par le législateur.

Par ailleurs, il faut comprendre que ce dispositif permettra, pour partie, de recouvrer certaines sommes et, pour une autre partie, de mettre en sursis l'imposition, avec des garanties dans certains cas. On aura donc un très large spectre de situations suivant que les contribuables sont partis vers certains pays ou vers d'autres, et selon qu'ils sont partis pour des motifs professionnels ou sans motifs particuliers.

Les données seront disponibles à l'automne, une fois que les déclarations auront été récupérées et exploitées.

Enfin, s'agissant de la liste, il n'y a pas de scoop, car l'arrêté se contente de tirer les conséquences des accords entrés en vigueur l'année précédente. Nous devons juste nous assurer d'avoir bien caractérisé les évolutions des différents pays. Un processus interministériel s'est engagé avec le Quai d'Orsay ; il devrait aboutir dans quelques jours.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Hier soir, le Président de la République a fait des annonces sur l'imposition des activités des entreprises françaises à l'étranger. Vous semblez dire que ce n'est pas possible ou que c'est compliqué. Quel est exactement votre point de vue sur la question, madame ?

C'est, me semble-t-il, le candidat qui s'est exprimé hier soir. Si vous le voulez bien, monsieur le président, je vais finalement utiliser mon joker sur cette dernière question.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Il me reste à vous remercier, au nom des membres de la commission, madame la directrice.