Mission commune d'information Agences de notation

Réunion du 23 mai 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • États-unis

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Je vous remercie, monsieur de Villeroché, de votre présence dont j'espère qu'elle nous éclairera sur les positions françaises au sujet du projet de règlement européen sur les agences de notation. Ces agences prennent une place de plus en plus grande car les sources de financement par les banques se sont restreintes : de plus en plus, l'économie et les collectivités se tournent vers les agences de notation, dans un contexte de croissance du marché obligataire.

Pourriez-vous nous résumer les positions françaises ? Existe-t-il des clivages importants dans l'Union européenne et la zone euro ?

La réglementation encadre-t-elle la responsabilité, sujet qui nous préoccupe beaucoup ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

La France a été précurseur dans le domaine de la réglementation des agences de notation, dès la crise de 2008, et pendant le G20 de Londres au printemps 2009, où elle a plaidé avec force pour un tel encadrement. Elle n'était pas la seule, les Etats-Unis ont également posé la question de la dépendance aux agences de notation. En Europe, le sujet est plutôt consensuel : il faut réguler. Sur la méthode, les clivages sont faibles, moins sensibles que dans d'autres domaines comme la régulation des banques, des assurances ou des hedge funds.

Plusieurs règlements européens ont d'ores et déjà été adoptés. Le premier date de 2009, il prévoit l'obligation d'enregistrement des agences de notations - 15 agences sont enregistrées à ce jour dont les trois les plus importantes - et traite des questions de transparence, de gouvernance et de conflits d'intérêt, en sortant du cadre strictement national. Il met également en place l'obligation d'informer l'entité notée 12 heures avant la publication de la note, de façon à pouvoir rectifier toute erreur matérielle.

Le second traite de la supervision directe de l'Autorité européenne des marchés financiers et organise le premier transfert de compétence : il est très novateur.

Le troisième est actuellement en discussion entre le Conseil et le Parlement européen. Il traite de la réduction de la dépendance aux notations. Je dois dire à ce propos que les pouvoirs publics, eux aussi, ont d'une certaine manière péché en fixant des règles qui imposaient aux banques, aux gestionnaires, de ne souscrire que des obligations cotées au maximum. Le règlement organise aussi la mise en place d'un régime européen de responsabilité civile. Ce nouveau régime européen de responsabilité civile pour faute lourde s'inspire de la loi française sur la régulation bancaire et financière : nous sommes fiers qu'un principe français ait inspiré une réglementation européenne dans un domaine où l'on se réfère simplement à la « liberté d'opinion ». Le règlement contient aussi des dispositions sur l'encadrement des notations souveraines, sur l'indépendance de l'actionnariat, il envisage de faire passer à une journée le délai de 12 heures - mais il existerait un risque de fuite plus élevé -. Il prévoit l'extension du champ du règlement aux rating outlooks et traite de l'épineuse question de la concurrence, qu'il faudrait encourager dans ce secteur. Or, plus on augmente les obligations à la charge des agences de notation, plus le coût d'entrée sur le marché est élevé. Le nombre d'agences de notation en Europe est trop faible. Nous ne sommes pas pessimistes pour l'avenir : nous avons déjà aujourd'hui une troisième agence. Mais il est difficile pour les pouvoirs publics de susciter la concurrence.

Voilà, en résumé, les principaux points de la réglementation européenne et la position française à leur égard.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Qui a défini le mandat de négociation de la France et quels sont les points d'arbitrage ? Votre nouveau ministre vous-a-t-il donné des instructions ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Nous négocions au nom du gouvernement français, nos positions sont validées par le ministre, mais nous n'avons pas encore eu d'échange avec le nouveau ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Pour que ces agences soient reconnues, il faudrait créer un climat de confiance, ce qui est loin d'être le cas actuellement. Comment le susciter ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

C'est une question difficile. Ce sont les utilisateurs des agences de notation qui décident de leur faire confiance ou non. Depuis 2008-2009, on constate que certains investisseurs, échaudés par la notation AAA des produits structurés, des subprimes, ne se reposent plus entièrement sur les agences de notation : nous n'avons qu'à nous en féliciter. Cela montre la nécessité d'une régulation. Les investisseurs veulent comprendre les risques et si nous parvenons à faire en sorte que d'autres éclairages interviennent, les agences auront retrouvé la place qui doit être la leur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Avez-vous échangé avec vos homologues anglais et allemands ? Peut-on parler d'une concordance de vues avec les Allemands ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Oui, avec les Allemands, c'est plus difficile avec les Anglais, même si nous ne sommes pas sur ce point autant divisés que sur d'autres. Le travail avec l'Allemagne fonctionne bien. Le fait que les Américains et le G20 aient réagi à la toute-puissance des agences de notation a aussi créé une dynamique plus consensuelle au sein des régulateurs financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Quelle est la position de la France sur la rotation des agences ? Quelles sont vos instructions à ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

La France y est favorable, sans en attendre de miracles. Le Conseil, dans un consensus, a décidé de commencer par les produits les plus complexes (la retitrisation), là où le risque est le plus élevé. L'avantage de la rotation, c'est qu'elle permet une plus grande concurrence. Mais il ne faudrait pas que cette rotation ne concerne que les seules agences de notation installées au détriment des nouvelles. Il existe d'autres solutions à examiner, le recours aux appels d'offres par exemple.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

S'il existe un consensus au niveau européen, y compris avec les Anglais dont la philosophie est pourtant différente de la nôtre, pourquoi Moody's a-t-elle choisi de contracter sous la loi anglaise pour ce qui concerne le régime de responsabilité ?

Peut-on espérer une règlementation commune de part et d'autre de l'Atlantique, malgré les différends sur la responsabilité des agences, entre ceux pour qui la note est une opinion, et ceux qui veulent réglementer ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

La responsabilité est le sujet qui nous divise le plus et nous nous flattons d'avoir eu gain de cause avec les Britanniques, qui se sont finalement ralliés à nous au sein du Conseil. Les Anglo-saxons opposent à la responsabilité la liberté d'opinion. Le texte européen est très proche de la loi française, nous nous en réjouissons.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Et que penser du choix de Moody's qui décide de contracter sous la loi britannique, si les règles sont les mêmes des deux côtés de la Manche ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Le règlement européen est d'application directe.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Espérez-vous que les Etats-Unis se rallient à la position européenne sur la responsabilité ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Je ne saurais rien affirmer. Je doute qu'ils modifient le Dodd Frank Act.

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

J'observe la plus grande prudence sur ces questions. L'évaluation du Dodd Frank act est complexe et fait polémique aux Etats-Unis. Cependant, je ne crois pas que la nouvelle réglementation européenne puisse susciter une nouvelle législation aux Etats-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Les agences de notation sont supranationales, elles sévissent partout dans le monde : pourquoi n'y aurait-il pas une réglementation universelle ?

Le principe d'équivalence peut-il être mis en place pour connaître le degré d'engagement et de responsabilité d'une agence de notation, quel que soit le lieu d'où elle formule son analyse ? Les Anglais serait-ils prêts à l'accepter ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Les grands principes des agences de notation ont été fixés au G20 de Londres. Le principal enjeu est de réduire la dépendance à leur égard dans les réglementations qui encadrent les gestionnaires de fonds, banques assurances, marchés. Les Etats-Unis sont d'accord. Mais la méthode n'est pas claire. Le régime européen de responsabilité constitue une avancée.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Vous soulignez la volonté de réduire le poids des agences de notation. Or, il semble qu'il se passe l'inverse avec les nouvelles réglementations ...

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

La dépendance est une mauvaise chose quand un acteur s'effondre suite à la dégradation automatique de sa note AAA. Quand la note est un élément parmi d'autres, que le régulateur demande aux entités de faire leur propre évaluation du risque, on réduit la dépendance aux agences.

Aujourd'hui les tensions sur les marchés financiers sont fortes, et ce n'est pas la réglementation qui empêchera les tensions. Les agences de notation ont suffisamment de poids pour jouer un rôle pro- ou contra-cyclique.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Les négociations en cours à Bruxelles ont-elles une chance d'aboutir avant la présidence danoise ? Que pensez-vous d'une agence publique européenne ? L'agence Roland Berger renaît de ses cendres en Allemagne : qu'en dites-vous ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Les négociations européennes sont en bonne voie, le trilogue est engagé, on peut espérer aboutir d'ici cet automne. Nous avons de la sympathie pour le projet Roland Berger, d'autant plus qu'il est soutenu. Quant à une agence publique européenne, il n'existe pas de consensus à ce sujet. Des conflits d'intérêts seraient inévitables, puisqu'elle serait amenée à noter des Etats. Elle a peu de chance de voir le jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Plus il y a de règles, plus on rend difficile la création de nouvelles agences. Peut-on imaginer une défiscalisation, pendant trois ans par exemple, ou est-ce contraire au droit de la fiscalité européenne ?

Les Etats-Unis ont aujourd'hui le monopole des agences de notation. Quels sont les moyens dont nous disposons pour susciter des vocations chez nous, qui leur feraient contrepoids ? Ce serait l'intérêt politique de l'Union Européenne.

Il faudrait inciter à la création d'agences privées - une agence publique serait suspecte de donner son avis sur la dette des Etats. Mais créer une agence coûte cher : 300 millions au départ.

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

On pourrait s'inspirer du système de co-commissariat aux comptes qui fonctionne dans l'audit et a permis de préserver un bon niveau de concurrence, en obligeant les grandes entreprises à recourir à deux commissaires aux comptes. Dans d'autres pays, où ce système n'existe pas, on constate une dépendance plus forte aux quatre grands cabinets d'audit anglo-saxons.

Cette approche pourrait être transposée aux agences de notation. Le règlement prévoit déjà pour les produits structurés une double notation. Il me semble que ce système est plus susceptible d'encourager la concurrence que la création de niches fiscales, qui par ailleurs poserait problème au niveau international.

A terme, ce qui comptera, c'est la crédibilité de la notation.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Puisqu'il existe trois agences, c'est un système de chaises musicales.

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

L'expérience du co-commissariat aux comptes montre que beaucoup d'entreprises choisissent un cabinet d'audit français et un cabinet anglo-saxon.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Un mot sur les difficultés de financement des collectivités territoriales. Les banques sont de plus en plus réticentes à leur égard et les encouragent à se tourner vers le marché obligataire. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Nous sommes très vigilants sur ce sujet. Les collectivités territoriales doivent impérativement trouver à se financer, d'autant que la taille de ce marché - les besoins sont évalués à environ 20 milliards d'euros par an- -n'est pas susceptible d'entraîner un risque systémique. L'attitude des banques s'explique par le retrait de Dexia, qui assumait 40 % de ce marché, et une réticence des banques à prendre le relais. Nous avons cependant obtenu des engagements de leur part. Le gouvernement pour sa part s'est engagé à fournir 5 milliards d'euros, dont 2 milliards sont débloqués. Nous faisons attention à ce que les banques n'en profitent pas pour se désengager : le marché obligataire peut être un recours, mais il ne doit pas être le seul. Je peux vous assurer de notre grand volontarisme à ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

J'ai le sentiment que les Anglo-saxons, au travers du Dodd Frank Act notamment, s'exonèrent des règles prudentielles posées par Bâle 2 et 3 et Solvency II. Nous obligeons les banques européennes à thésauriser 9 à 10 % en fonds propres. Est-ce que nous ne nous mettons pas nous-mêmes dans une situation de distorsion de concurrence vis-à-vis de nos partenaires d'outre-Atlantique ? Avec ces règles, je crains que les entreprises et les collectivités locales françaises ne rencontrent demain des difficultés à trouver des fonds.

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

La question est fondamentale. Nous soutenons la nécessité pour les banques d'avoir plus de fonds propres : la crise a suffisamment démontré le besoin d'un secteur bancaire solide. L'impact des règles est plus important en Europe qu'aux Etats-Unis car le financement y est plus intermédié. Il n'y a pas vraiment de distorsion de concurrence au sein de l'Union européenne.

Il est vrai que nous nous inquiétons de l'attitude des Etats-Unis sur Bâle 3 et Bâle 2,5. Les autorités américaines disent qu'elles vont appliquer les recommandations mais les acteurs du marché ne tiennent pas le même discours.

Cela ne nous dissuadera pas d'appliquer les règles de Bâle pour notre compte. En France, le crédit d'entreprise se porte bien, il est moins cher que dans la zone euro et plus dynamique que la croissance française. Je vous renvoie aux statistiques de la Banque de France. Espérons que la tendance ne s'inverse pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Le problème de Dexia n'explique pas à lui seul la pénurie de financement des collectivités territoriales : les règles de Bâle 3 ne prévoient pas de régime adapté aux collectivités territoriales. Si le chiffre de 20 milliards d'euros ne comporte pas de risque systémique, raison de plus pour prévoir une législation spécifique qui permette aux collectivités territoriales de se financer sans passer par le marché obligataire. J'admets qu'on réclame davantage de fonds propres pour les banques, mais la faillite de Dexia n'est pas une affaire de fonds propres. Il y a eu un problème de liquidité, et pas de solvabilité.

Il suffirait d'interdire aux banques de proposer des financements à long terme à partir de fonds de court terme - ce qu'a fait Dexia et que nous, collectivités locales, payons aujourd'hui-.

Je suis maire d'une petite commune de 20 000 habitants, je n'ai pas la possibilité d'aller sur le marché obligataire ! J'ai absolument besoin des banques. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de ne pas mettre sur le même plan les besoins des collectivités territoriales et ceux des entreprises.

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Pour le Trésor, il est inadmissible que les collectivités territoriales éprouvent des difficultés à trouver des financements. Leurs besoins, 17 milliards d'euros, sont tout à fait à la portée du secteur bancaire français. Dexia apportait 7 milliards, et une dizaine de banques les 10 milliards restant. Nous avons obtenu des banques qu'elles fournissent la même somme cette année. Avec le complément de 5 milliards d'euros fourni par le gouvernement, le financement atteindra le même niveau que les années précédentes.

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Je partage votre analyse sur le fait qu'il s'agit davantage d'un problème de liquidité que de solvabilité. Le vrai enjeu consiste à trouver des ressources longues dans le bilan bancaire. On demande aux banques d'assurer un flux minimal. Il est vrai que ce marché nous angoisse ; beaucoup d'élus se plaignent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je ne suis pas inquiet en ce qui concerne l'harmonisation européenne et les règles qui se mettent progressivement en place. C'est le travail de notre commissaire européen Michel Barnier et il va dans le bon sens.

En revanche, les distorsions de concurrence avec les Etats-Unis risquent de perdurer, voire de s'amplifier : notre excès de régulation leur profite, ainsi qu'aux fonds asiatiques. Dans un monde de compétitivité croissante, je crains que les bonnes intentions qui nous animent au niveau européen, ne finissent par nous pénaliser.

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

Je partage tout à fait votre analyse. En Europe, nous avons besoin d'un secteur bancaire bien régulé. Aux Etats-Unis, le financement est moins intermédié, le besoin de régulation est moins fort.

Les Américains ont toutefois signé les communiqués du G20 et des accords de Bâle. Le gouvernement n'est pas dans une optique de non-régulation, mais beaucoup d'observateurs du marché prétendent le contraire.

Enfin, je souligne qu'on nous fait parfois un mauvais procès : l'Europe appliquerait mal les accords de Bâle. C'est tout à fait inexact.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Quel jugement portez-vous sur la nouvelle agence européenne ? A-t-elle les moyens de mettre en place une véritable régulation au niveau européen ?

Debut de section - Permalien
Hervé de Villeroché

La France a soutenu la création d'une agence de régulation. Nous sommes optimistes à son sujet. Elle fait un bon travail sur les agences de notation.