Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 4 mai 2016 à 11h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La commission examine le rapport de M. Michel Mercier et le texte qu'elle propose sur le projet de loi n° 574 (2015-2016) prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence vient d'être déposé sur le Bureau du Sénat. Son rapporteur est également celui du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Monsieur Mercier, pouvez-vous nous rendre compte du travail réalisé sur ce dernier texte avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Nous avons préparé avec le président Dominique Raimbourg et M. Pascal Popelin la commission mixte paritaire qui se tiendra mercredi prochain. Le Sénat a adopté ce texte à une très large majorité, avec seulement 29 votes contre. Si nous souhaitons aboutir à un accord, les deux parties doivent faire leur part du chemin, même si un rapprochement est possible sur la plupart des sujets. J'ai indiqué que je ne pourrais céder sur l'article relatif à la « perpétuité réelle », le seul à avoir fait l'objet d'un scrutin public au Sénat, à la suite d'un long débat, et adopté avec seulement trente voix contre. Je ne me sens pas le droit d'abandonner cette position du Sénat. Vous connaissez les autres points sur lesquels nous aurons à faire des efforts. Nous n'avons pas conclu d'accord préalable global et nous nous rencontrerons à nouveau mardi prochain ; j'espère que ce sera l'occasion d'avancer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Le Sénat a adopté ce texte avec une large majorité, certes, mais l'Assemblée nationale aussi...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Dans chaque assemblée, les groupes politiques ont fait des efforts. Continuons dans cet esprit. Sur l'article relatif à la perpétuité réelle, j'avais souligné, en commission, que consulter les victimes au bout de trente ans serait techniquement compliqué ; et que subordonner la décision du juge de l'application des peines à l'avis conforme d'une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation pourrait être anticonstitutionnel et ce, même si nous avions voté le texte pour trouver un accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

En effet, je l'ai rappelé. Cette commission de magistrats a longtemps existé. Il y a quelques années, M. Dominique Perben, alors garde des sceaux, en avait proposé la suppression. Je trouve assez beau et républicain que les socialistes ne veuillent pas toucher à son oeuvre ! Tels sont les aléas de la vie politique... Il reste quelques jours pour parvenir à un accord. Si les victimes ne sont plus là, on ne leur demandera rien. Nous écrivons le droit, mais nous sommes aussi une assemblée politique, et le jour n'est pas encore venu qu'une occurrence nécessite d'utiliser ces dispositions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Venons-en au projet de loi prorogeant l'état d'urgence.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

S'agissant du projet de loi de prorogation de l'état d'urgence, l'essentiel a été dit hier lors de l'audition du ministre. Depuis le 15 novembre 2015, nous vivons sous l'état d'urgence. Les conditions posées par la loi de 1955 sont connues : un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public. Or le terrorisme est un risque imminent, mais diffus.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Difficile d'affirmer qu'il n'y aurait plus de risque terroriste. Les événements récents à Bruxelles ou dans des villes africaines montrent que les organisations terroristes peuvent frapper partout. Douze projets d'attentats terroristes ont été déjoués en France depuis 2013.

La future loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme armera les pouvoirs publics pour faire face au risque terroriste et conduira à abandonner les pouvoirs extraordinaires de police administrative de l'état d'urgence. Difficile d'en sortir sans avoir mis en place ces outils. Aucun d'entre nous ne veut prendre ce risque.

Le Gouvernement propose de proroger de deux mois, jusqu'au 26 juillet 2016, un état d'urgence allégé, sans perquisitions administratives, comme le permet la loi de 1955. Dans un premier temps, l'état d'urgence a permis aux forces de l'ordre et aux services de trouver les renseignements nécessaires pour répondre à une menace imminente. Désormais, les perquisitions administratives ne sont plus d'un grand effet. Si de nouveaux actes relevant de la loi pénale sont commis, des perquisitions judiciaires seront possibles.

Est-il pertinent ou non d'aller vers cet état d'urgence renouvelé ? Veillons à ne pas désarmer l'État tant que nous ne l'avons pas réarmé avec la nouvelle loi, qui ne sera pas appliquée avant la fin juin. Je vous propose donc d'approuver le projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Le risque est réel ; il n'est pas imminent mais permanent ! Pour qu'il soit imminent, il faudrait une accélération, que la situation soit encore plus dangereuse que maintenant. Ce n'est pas le cas.

L'État a les moyens de faire son travail. Personne n'a pu prouver que telle disposition permise par l'état d'urgence était indispensable pour faire face aux risques. Je vois dans cette prorogation des motifs surtout psycho-politiques... Je n'avais pas voté l'ultime reconduction, je persisterai dans cette position et voterai contre l'avis du rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe Béchu

Je veux dire mon désarroi. À Angers, nous avons la chance, comme notre président de commission, d'accueillir la troisième étape du Tour de France...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Les deux premières étapes se dérouleront dans la Manche...

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe Béchu

Le Gouvernement nous propose de prolonger l'état d'urgence. Or, il y a quelques jours, le préfet m'a indiqué qu'aucun CRS, aucun renfort des forces de l'ordre n'était prévu pour cette arrivée d'étape qui rassemblera 30 000 personnes : ses services sont déjà en surcharge capacitaire. Alors qu'on devrait assurer une sécurité renforcée pour des événements de grande ampleur, on va faire moins que par le passé ! Je ne comprends pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Le Gouvernement propose une prolongation de l'état d'urgence mais je ne trouve pas dans le texte du projet de loi mention de l'abandon des perquisitions administratives. Va-t-il déposer un amendement, ou le rapporteur l'a-t-il prévu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je me suis posé la même question. L'article 11 de la loi de 1955 prévoit qu'en cas de prorogation, il est nécessaire de préciser expressément que l'on maintient les perquisitions administratives.

Par ailleurs, on voit que les mesures de renseignement et de répression prises pour prévenir le terrorisme n'ont pas grand-chose à voir avec l'état d'urgence. L'état d'urgence permet d'interdire des manifestations ou des réunions publiques, de recourir à des assignations à résidence et à des perquisitions administratives. Actuellement, ce n'est pas l'état d'urgence qui assure notre sécurité. Le jour où il sera levé, il peut être immédiatement rétabli en cas de nécessité...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C'est d'ailleurs ainsi qu'il a été déclaré dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015. La prorogation de l'état d'urgence n'est pas une nécessité technique, elle sert davantage à souligner que la vigilance des Français et la mobilisation des forces de l'ordre sont intactes. Cela ne doit pas nous empêcher de penser à la sortie. Nous devrons développer une pédagogie de la sortie de l'état d'urgence : nos concitoyens ne devront pas penser que la menace terroriste a disparu, ni que les moyens des services de police, de gendarmerie ou de renseignement seront réduits. Ce qui nous protège aujourd'hui, ce sont nos forces de l'ordre et nos services de renseignement, plus que l'état d'urgence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Le Gouvernement sait depuis un certain temps qu'il voulait demander la prorogation, la situation n'a pas évolué soudainement ! Il aurait pu le prévoir plutôt que de bouleverser d'un coup notre ordre du jour pour y ajouter ce texte... Nous examinons un texte qui n'est même pas officiellement imprimé ! Faites-le remarquer au Gouvernement. Il prend le Parlement à la gorge, sans aucun égard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

La Conférence des présidents a accepté cette modification, parmi tant d'autres, à l'ordre du jour. Je voterai cette prolongation. C'est une question d'intime conviction et de confiance, non pas un raisonnement juridique absolu.

M. le président a raison de dire que notre sécurité repose sur bien d'autres choses que l'état d'urgence. Je vote en marquant ma confiance envers ceux - Président de la République, Premier ministre, ministres - qui ont une mission de responsabilité sur des questions aussi lourdes.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Monsieur le président, je ne suis pas persuadé que vos propos seraient compris de nos concitoyens, qui pensent que l'intérêt de l'état d'urgence est d'autoriser le Gouvernement à mener un certain nombre d'actions, comme des perquisitions, pour détecter des risques. Nous devrons faire oeuvre de pédagogie pour les persuader que la sortie de l'état d'urgence ne réduira pas leur niveau de sécurité. Trouvons des moyens pour garantir la sécurité et pour que l'état d'urgence ne soit pas un coup d'épée dans l'eau.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je me suis mal fait comprendre. J'ai rappelé ce qu'était l'état d'urgence. Le texte qui nous est soumis exclut les perquisitions administratives mais conserve la possibilité d'interdire des manifestations ou réunions publiques - possibilité qui n'a quasiment pas été utilisée. On peut le déplorer, alors que certaines manifestations encombrent les places de nos villes, non sans dérives... La loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme accroîtra les moyens de droit commun qu'utilise le Gouvernement, sauf nouveaux attentats nécessitant un rétablissement de l'état d'urgence et des restrictions à la liberté d'aller et de venir. Un jour viendra où l'état d'urgence n'aura plus aucune valeur ajoutée pour améliorer la sécurité des Français.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

J'adhère à ce qui vient d'être dit. Ayons une attitude responsable dans la situation actuelle. Je voterai cette reconduction. Argument subsidiaire : la cohérence. La dernière fois, nous avions jugé que la prorogation était justifiée en l'absence d'outils juridiques de procédure pénale pour faire face à la menace, dans le cadre d'un État de droit. Ces outils n'existent pas encore, puisque les textes ne sont pas encore publiés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

L'Euro 2016 sera un événement exceptionnel appelant des mesures exceptionnelles. Les mesures de sécurisation de l'accès aux stades ne sont pas dictées par l'état d'urgence. La difficulté tient surtout aux rassemblements sur le domaine public, autour d'écrans géants. Dans le cadre de l'état d'urgence, les obligations particulières du préfet en la matière sont très utiles. Il s'imposait donc de proroger l'état d'urgence pour la durée de l'Euro, et jusqu'à la fin du Tour de France. La conjonction de la menace et de ces manifestations exceptionnelles justifie que les forces de l'ordre soient mobilisées et que les préfets puissent intervenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L'excellente proposition de loi de Guillaume Larrivé renforçant la lutte contre le hooliganisme vise notamment à lutter contre les débordements dans le cadre de l'Euro 2016. Nous l'avons votée et notre texte a été définitivement adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le Gouvernement justifie en partie la prorogation de l'état d'urgence par l'Euro 2016. Vous avez raison de rappeler que cette loi aura également un impact important.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Peut-on considérer qu'il y a péril imminent ? Il existe bien une menace terroriste grave, monsieur Collombat : à Argenteuil, deux jours après les attentats de Bruxelles, un attentat a été déjoué.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Dans son avis, le Conseil d'État estime qu'il y a bien péril imminent au sens de la loi de 1955 en raison de la conjonction entre une menace terroriste persistante d'intensité élevée et la concomitance de deux grands événements sportifs, avec un risque d'atteinte grave à l'ordre public.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

L'état d'urgence ne suspend pas les libertés publiques, ni le droit de manifester - on le voit tous les jours ! L'opinion publique a du mal à comprendre qu'en période d'état d'urgence, la liberté de manifester, voire de casser, perdure - mais nous sommes dans un État de droit.

M. Béchu pose une vraie question : cet été, de nombreuses manifestations sportives et culturelles, d'importance variable, se dérouleront dans nos collectivités. Je n'administre qu'une toute petite ville mais nous organisons un festival qui rassemble chaque année environ 12 000 jeunes autour du plan d'eau. Le préfet nous a indiqué qu'il n'y aurait pas de forces de police mais qu'il fallait clore l'espace et ne laisser que deux entrées... Nous devrons supprimer la manifestation, faute de moyens. L'état d'urgence ne crée pas de forces de police, il ne règle pas tout. Plus vite nous voterons la nouvelle loi armant les autorités judiciaires et administratives, plus vite nous sortirons de l'état d'urgence, sans avoir besoin de le proroger à nouveau en juillet. Je confirme mon avis favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C'est un bon argument que de lier la sortie de l'état d'urgence avec l'entrée en vigueur concomitante de la loi qui renforce les pouvoirs de la police et de la justice pour lutter contre le terrorisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Si l'imminence du péril consiste en la coexistence de la menace et d'événements exceptionnels, il est irresponsable d'organiser ces événements ! Supprimons-les !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Supprimons aussi les congés payés cette année, c'est très dangereux de partir en vacances !

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

À titre personnel, j'estime que les propositions du président Bas dans le cadre de la révision constitutionnelle, que le Sénat avait suivi, sont la meilleure des réponses, dans le cadre de la loi de 1955, pour défendre les libertés publiques dans un régime juridique de légitime défense de la démocratie. Je suis fatigué des postures trop faciles. Le Sénat avait entièrement fait son travail ce jour-là. Je voterai la prorogation des deux mains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mes chers collègues, je constate qu'aucun d'entre vous n'a, à ce stade, déposé d'amendements et le rapporteur ne propose aucune modification. Nous procédons donc au vote.

Le projet de loi est adopté sans modification.

La réunion est levée à 12 h 30