Commission des affaires européennes

Réunion du 19 juillet 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • hongrie
  • vin

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Il y a presque un an, notre assemblée avait voté à l'unanimité une proposition de résolution européenne, déposée par M. Gérard César et moi-même sous la présidence de M. Jean Bizet, pour nous opposer à certains aspects de la réforme de 1998 de l'OCM vin. Celle-ci prévoit une suppression des droits de plantation à compter du 31 décembre 2015 tout en accordant, aux Etats membres qui le souhaitent la possibilité de prolonger ces droits jusqu'en 2018. Elle avait provoqué le désarroi du monde du vin. Une absence de régulation ruinerait les efforts considérables consentis par les viticulteurs pour améliorer la qualité de leurs productions et les régions qui vivent du vin.

Les conseils municipaux ont voté des délibérations ; nous sommes tous sollicités dans nos départements viticoles, et ils sont nombreux en France, pour faire pression sur Bruxelles. Par parenthèse, j'excuse l'absence de M. Gérard César retenu dans son département par des obligations locales. Nous attendons de nos responsables qu'ils se battent pour le maintien de ces droits. Ce matin, j'entreprenais de sensibiliser à cette question le conseiller de l'Elysée sur les affaires européennes, M. Philippe Leglise-Costa. C'est par nos interventions conjuguées que nous obtiendrons des résultats.

Le Parlement européen a demandé le maintien d'une régulation dans le secteur vitivinicole, de même que seize Etats membres. Il manque 33 votes pour atteindre la majorité qualifiée. Rien n'oblige la Commission européenne à rouvrir des négociations sur un texte déjà adopté, mais si des Etats minoritaires n'ont juridiquement aucun moyen de peser sur la décision, des Etats majoritaires ont politiquement la capacité de le faire. Cela dit, le contexte est porteur. La nouvelle manière d'envisager les discussions européennes sans faire de différence entre grands et petits Etats, une notion dépourvue de valeur au niveau européen, peut préparer l'élargissement de notre socle de négociation.

En tant que responsable de la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, M. Eric Allain représente la France dans le groupe à haut niveau sur le vin, mis en place par le commissaire à l'agriculture, M. Dacian Ciolo°, au début de l'année. Ce groupe de réflexion, au niveau ministres-1, soit les directeurs généraux des ministères de l'agriculture, ainsi que les représentants des syndicats agricoles et des fédérations du négoce de vin, rendra son rapport à la fin de l'année. Il est très attendu. Il faut avoir la lucidité de le reconnaître, c'est probablement au sein de ce groupe de réflexion, même si les pressions politiques sont importantes, que se jouera l'avenir des droits de plantation de la vigne.

Debut de section - Permalien
Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au ministère de l'agriculture

L'actualité est marquée par le projet de réforme globale de la PAC. Les paiements directs, le découplage, l'OCM unique et les règles de régulation des marchés européens, la politique de développement rural, sont les sujets sur la table ainsi que la conditionnalité des aides. Si tout se passe bien, les discussions aboutiront au premier semestre 2013 dans un cadre budgétaire qui fait, lui-même, l'objet de négociations.

Parallèlement nous trouvons l'avenir des droits de plantation. L'esprit de la réforme globale de l'OCM vitivinicole en 2008 était de mettre ce secteur plus en phase avec l'évolution des marchés. D'où la suppression des droits de plantation.

Debut de section - Permalien
Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au ministère de l'agriculture

Pour la Commission européenne, ces droits faisaient obstacle à l'adaptation du secteur au marché et, donc, à la conquête de nouveaux débouchés.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Effectivement, c'était le discours tenu par la commissaire Mariann Fischer Boel, que j'avais eu l'occasion de rencontrer.

Debut de section - Permalien
Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au ministère de l'agriculture

La France était opposée à ce projet, comme d'autres pays. Malheureusement, nous n'étions pas assez nombreux pour empêcher son adoption. Pour autant, nous avions obtenu, d'une part, que son entrée en vigueur soit la plus lointaine possible - le terme approche néanmoins, ce qui explique le tour aigu que reprend ce débat -, d'autre part, un rapport d'évaluation de la réforme pour la fin 2012, une occasion de faire pression sur la Commission pour rouvrir les discussions.

Nous avons été entendus. Le ministre précédent avait convaincu plusieurs de nos partenaires. Devant la prise de position de seize Etats membres, la Commission a accepté la création d'un groupe à haut niveau (GHN). Ses travaux se concluront à l'automne, le commissaire prendra ensuite sa décision. Nous espérons évidemment un mouvement de sa part.

Avoir la majorité qualifiée n'a d'intérêt que politique. Or les pressions politiques ont leur intérêt, mais elles ont leurs limites. Dans le jeu européen, c'est la Commission européenne qui décide si elle leur donne, oui ou non, suite.

Le Parlement européen est clairement un allié de la France sur les droits de plantation de la vigne. Parmi les Etats membres qui suivent la France, on trouve surtout des pays producteurs, mais aussi des pays du Nord comme la Finlande. Cela peut paraître cocasse...

Debut de section - Permalien
Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au ministère de l'agriculture

Ils sont attachés à la régulation du potentiel de production, une politique qu'ils considèrent utile pour prévenir les crises sans rien coûter au budget européen. Quant au commissaire Ciolo°, il n'était pas allant au début. Son attitude, parce qu'il est pragmatique, a changé. Nous pouvons être raisonnablement confiants : il a décidé de former ce GHN, il a ouvert ses travaux qui sont aujourd'hui surtout techniques. Quant à la Commission, elle se livre peu ; difficile de déterminer sa position.

Sans forfanterie aucune, la France joue un rôle assez central dans la construction du consensus autour du maintien d'une régulation avec les quinze autres Etats membres. Pour autant, entre les positions de chacun, il y a des nuances de taille. Les Espagnols continuent de défendre, comme ils l'avaient fait lors de la réforme de 2008, une régulation pour les seuls vins à signe de qualité. Nous, nous refusons la libéralisation pour tous les vins, qu'ils aient ou non une appellation ou une indication géographique. Nous travaillons activement à bâtir une plate-forme commune au-delà du refus de la réforme de 2008. J'organise dès demain matin une réunion avec les Espagnols, les Italiens, les Allemands et les Portugais. Nous espérons y associer la Roumanie et la Grèce dans la mesure du possible.

En amont, nous avons cherché à rapprocher les positions de la production et du négoce pour aboutir à une position française claire en tenant compte de la position de la Commission. Cette dernière n'acceptera pas d'en revenir au statu quo ante. Pour elle, maintenir les droits de plantation remettrait en cause l'équilibre global de la réforme de l'OCM vitivinicole, qui comprend des éléments positifs. Je pense aux enveloppes nationales, qui financent des actions pour l'amélioration de la production ou la conquête de nouveaux marchés et des mesures plus intelligentes que les aides à la distillation pour surmonter les crises successives du secteur. Les acteurs de la filière française l'ont bien compris, contrairement aux Allemands. Eux veulent que rien ne bouge : le maintien des droits de plantation, un point c'est tout.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Merci pour cet éclairage très intéressant sur les négociations à Bruxelles. Il en ressort que la majorité qualifiée n'est pas forcément le Graal...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Je ne comprends pas pourquoi il est si difficile de réunir la majorité qualifiée... A priori, la plupart des Etats membres ont intérêt à maintenir les droits de plantation, y compris ceux qui ne produisent pas. C'est le bon sens ! S'il y a surproduction, l'Europe devra financer des aides à la distillation. Seuls les pays qui produisent en grande quantité du vin de valeur peu élevée, telles la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce, ont logiquement une autre position.

Debut de section - PermalienPhoto de Yann Gaillard

Les vignerons de mon département ne m'ont pas saisi, sans doute parce que la production bénéficiant d'une appellation d'origine n'est pas en cause. Envisage-t-on le maintien des droits de plantation pour ces seuls vins ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Les écologistes ont toujours soutenu les droits de plantation. Il faudra trouver un compromis. Pour une approche sélective, la Commission ne semble pas vouloir retenir de critères de qualité. La qualité environnementale de la production ou la taille des exploitations seraient-elles des critères négociables ?

Debut de section - Permalien
Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au ministère de l'agriculture

Monsieur de Montesquiou, l'Europe n'a plus de dispositif obligatoire de distillation financé par la Commission. En cas de crise de surproduction, il revient aux Etats membres de prendre éventuellement de telles mesures.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

L'Europe sera appelée à la rescousse, d'une manière ou d'une autre !

Debut de section - Permalien
Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au ministère de l'agriculture

Les Etats membres qui ne produisent pas de vin ou en produisent en quantités faibles sont pour la plupart libéraux. Leur approche est idéologique : sans caricaturer leurs propos, tout doit être piloté par le marché. Le respect de critères sociaux et environnementaux ? Peu leur importe. Nous devons trouver un point de sortie avec eux en maintenant une régulation du potentiel de production, tout en acceptant que celle des pays capables de prendre de nouveaux marchés croisse un peu. Ce point fait désormais consensus en France.

Monsieur Gaillard, la France souhaite le maintien d'une régulation pour les vins, quels qu'ils soient. Pourquoi ? Parce que les compartiments ne sont plus étanches dans le marché du vin. Sauf peut-être pour le champagne, le roi des vins et le vin des rois ! Que les élus de l'Aquitaine n'en prennent pas ombrage, la concurrence est rude sur certains segments entre vins avec appellation et vins sans appellation. Il faut donc maintenir les droits pour tous à moins de mettre en péril les 50 % de la production viticole française sous signe de qualité.

Monsieur Gattolin, les aspects environnementaux font partie du cahier des charges européen, non de la régulation de la mise sur le marché qui est l'objet des négociations. En revanche, la Commission, pour établir le rapport d'évaluation de l'OCM vitivinicole, a interrogé les Etats membres sur les effets de la fin des droits de plantation. Avec d'autres, nous avons fait valoir les conséquences environnementales et sociales lourdes de cette réforme : un appauvrissement de la filière, un nivellement par le bas, la destruction des paysages. Le vignoble alsacien de 15 000 hectares, qui est historiquement remonté sur les coteaux, fait vivre 2 000 agriculteurs et l'industrie touristique. Si l'on levait les restrictions, 100 viticulteurs produiraient les mêmes quantités dans la plaine. Une catastrophe pour l'économie des coteaux et la beauté des paysages ! Nous avons sollicité les experts les plus réputés pour appuyer ce constat largement partagé par les pays producteurs, mais moins par nos amis libéraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Sans être Madame Soleil, pouvez-vous nous dire quelles sont nos chances de revenir sur la réforme de 2008 ou d'obtenir la prolongation des délais ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Sans être un spécialiste de la question, j'ai écrit un rapport sur les signes de qualité et suis un amateur de vin. La France est adepte des indications géographiques protégées (IGP). Le Nouveau monde a une autre approche, celle des marques. Faut-il s'en inspirer pour conquérir de nouvelles parts de marché ? Puisque les droits de plantation entrent dans la réforme globale de la PAC, avez-vous réfléchi à des monnaies d'échange ?

Debut de section - Permalien
Eric Allain, directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires au ministère de l'agriculture

Non, je ne suis pas Madame Soleil... Des objectifs inatteignables seraient la prolongation des délais, que pas grand monde ne défendrait, ou le retour au statu quo ante. Il y a une voie étroite, entre libéralisation et reconduction des droits, pour une évolution intelligente du système, cela fait l'objet d'un consensus à l'exception, peut-être, du négoce. Elle consiste en une régulation pour les vins avec ou sans IGP tout en mettant au point un outil pour autoriser une augmentation maîtrisée du potentiel de production sur un certain nombre d'années. Une telle respiration répondrait à la demande des libéraux : plus de production pour frapper à la porte de la Chine et, demain, de l'Inde. La définition de cet outil devra associer les différents maillons de la filière, des producteurs aux négociants. Cette plate-forme, qui est à affiner, ménagerait aussi un régime de minimis pour les petits producteurs de vin comme la Pologne ou la Grande-Bretagne qui, avec moins de 50 000 hectares de vigne, ne représentent pas une menace sérieuse dans les dix ans à venir. Quoique, avec le réchauffement climatique, le Kent pourrait bientôt produire du pinot noir ! Enfin, plus important pour les pays libéraux, nous nous engageons à harmoniser les règles de gestion, en particulier de transfert. Très hétérogène, le système actuel de pilotage ne va pas sans difficulté : l'on ferait ainsi droit à certaines critiques de la Commission.

Monsieur Bizet, notre handicap principal pour la conquête de nouveaux marchés tient davantage à notre capacité de mise sur le marché et à la force de frappe marketing. D'ailleurs, l'approche par les marques n'est pas antagoniste avec celle des IGP, je vous renvoie aux grandes maisons de champagne... Depuis des années, nous accompagnons le monde vitivinicole pour une meilleure organisation de la mise sur le marché à travers le regroupement des interprofessions, un mouvement bien amorcé dorénavant en Languedoc-Roussillon.

Des monnaies d'échange ? Ce n'est pas l'esprit. L'idée est de tenir une plate-forme commune avec un maximum d'Etats membres pour conserver une minorité de blocage jusqu'au bout des négociations. On verra comment cela s'articule avec la négociation globale de la réforme de la PAC en 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Il y a marque et marque... En Amérique du Nord, la mise en avant des cépages fonctionne bien. Mon département produit des vins merveilleux, mais mal identifiés. La marque Sud de France, que Georges Frêche, l'ancien président de région avait lancée, leur a donné une visibilité. Reste que l'intendance doit suivre...

Cette audition nous a donné un bon aperçu de la mécanique européenne. Nous avons l'espoir que les perspectives soient plus positives en fin d'année. Nous sommes dans notre rôle en examinant les suites que le Gouvernement donne à nos propositions de résolution européenne. En l'occurrence, il nous a entendus ! Sans faire de la politique politicienne, le nouveau contexte européen, avec l'arrivée de François Hollande, me semble favorable. Pour autant, c'est un sentiment personnel...

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Si l'on pouvait avoir le même combat pour les quotas laitiers...

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Mon sujet sera moins glorieux que celui du champagne, mais le détachement des travailleurs dans le cadre d'une prestation de services est l'objet de l'attention continue du Sénat depuis trois ans, et de notre commission en particulier. Ma communication de ce jour se justifie par l'adoption le 23 mars dernier par la Commission européenne d'une proposition de directive relative à l'exécution de la directive de 1996 en vigueur sur le détachement des travailleurs. La directive de 1996 resterait inchangée, mais son exécution serait améliorée et son interprétation précisée.

Avant de poursuivre, un rappel de l'état du droit et de l'historique de ce dossier est nécessaire.

Qu'est-ce-que le détachement de travailleurs et quel est le droit applicable ?

L'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) consacre le principe selon lequel les Etats membres doivent garantir la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union. Cette liberté fondamentale comprend le droit pour un prestataire établi dans un Etat membre de détacher temporairement des travailleurs dans un autre Etat membre aux fins d'y prester un service. Par exemple, une entreprise de BTP polonaise qui décroche un contrat en France et qui envoie sur place des travailleurs polonais le temps de la mission.

Cette liberté ne doit pas être confondue avec la liberté de circulation des travailleurs ou la liberté d'établissement. Elle se distingue en particulier de la liberté de circulation des travailleurs par le fait que les travailleurs retournent dans leur pays d'origine après l'accomplissement de leur mission.

Afin de prévenir le risque de « dumping social », la directive 96/71 du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs précise les règles minimales en vigueur dans le pays d'accueil qui doivent s'appliquer aux travailleurs détachés. Ce « noyau dur » garantit ainsi aux travailleurs détachés le respect par leur employeur, pendant le détachement, de certaines règles protectrices de l'Etat membre d'accueil.

Ces règles doivent être fixées par la législation du pays d'accueil ou par des conventions collectives déclarées d'application générale. Il s'agit notamment de celles relatives au temps de travail, aux congés, au taux de salaire minimum, à la sécurité et la santé au travail ou au travail intérimaire.

Toutefois, la Cour de justice a semblé ébranler cet édifice protecteur.

Par trois arrêts récents en 2007 et 2008 - les arrêts Viking, Laval et Rüffert -, la Cour de justice a donné le sentiment de revenir en arrière. D'une part en limitant strictement la définition du noyau dur de règles impératives. D'autre part, en plaçant l'exercice du droit à l'action collective - le droit de grève notamment - sous les fourches caudines des libertés économiques fondamentales garantie par les traités.

Ces arrêts ont suscité de nombreux commentaires contradictoires quant à leur portée. Certains y voient une remise en cause fondamentale de la directive de 1996. D'autres considèrent que ces arrêts pointaient surtout l'inadaptation du modèle de relations sociales des pays du nord de l'Europe à la directive de 1996.

Je ne développe pas plus l'analyse de ces arrêts. Je vous renvoie aux précédentes interventions sur ce sujet devant notre commission. Ce qui est certain en revanche est que ces arrêts ont suscité un grand émoi auprès des syndicats qui y ont vu une porte ouverte au dumping social. Surtout, ces arrêts venaient s'ajouter au constat de l'application partielle de la directive de 1996. Les raisons invoquées sont multiples : définition insuffisamment précise du détachement, contrôles trop rares, coopération déficiente entre les administrations des Etats membres...

Depuis, la Confédération européenne des syndicats défend l'idée d'une révision de la directive de 1996 ainsi que l'insertion d'un protocole social dans les traités.

Les grandes étapes de ce dossier au Sénat

Tout d'abord, le 10 décembre 2009, le Sénat rejetait en séance publique la proposition de résolution européenne n° 66 (2009-2010) portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs. Cette proposition était initiée par le groupe socialiste, et en particulier notre collègue Catherine Tasca et moi-même. La proposition demandait en particulier la révision de la directive de 1996 et la modification des traités.

Le rejet du texte par le Sénat était moins motivé par des objections de fond que par des considérations d'opportunité. La majorité de l'époque, et notre ancien collègue Denis Badré qui était rapporteur, estimait que rouvrir la directive de 1996 ferait courir le risque d'un abaissement du niveau de protection minimale.

Un an et demi après, Denis Badré a souhaité reprendre ce dossier. Entre-temps, le rapport de Mario Monti sur la relance du marché unique appelait de ses voeux une initiative législative pour clarifier le droit applicable, restaurer l'image du marché unique auprès de nos concitoyens et rassurer les partenaires sociaux.

Ce travail de Denis Badré a abouti à l'adoption à l'unanimité de la résolution du Sénat n° 111 du 11 mai 2011 (le groupe CRC s'abstenant). Que demandait en substance cette résolution ?

l'adoption rapide d'un texte, en complément de la directive, qui contraindrait les Etats membres à coopérer pour lutter contre les fraudes et le non respect de la directive ;

de vérifier la réalité de l'activité des entreprises qui détachent des salariés dans un autre Etat membre, afin de lutter contre la pratique des entreprises « boîte aux lettres » ;

de sanctionner les entreprises ne respectant pas leurs obligations, en particulier en créant une clause de solidarité du donneur d'ordre lorsqu'un sous-traitant ne respecte pas la législation.

Cette résolution du Sénat était moins ambitieuse que la proposition de résolution de 2009. Il n'était plus question de réviser la directive ou les traités, seulement de préciser l'application de la directive pour en assurer le respect effectif.

La proposition de la Commission européenne

Le 23 mars dernier, la Commission européenne a donc présenté deux textes conformément à ses engagements.

Le premier est la proposition de règlement dit Monti II et qui a fait l'objet du premier carton jaune des parlements nationaux au titre de la subsidiarité.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

un événement souligné par le président du Sénat en séance lors du débat préalable au Conseil européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

J'ai observé que mes interlocuteurs considèrent cette proposition de règlement comme quasi-enterrée.

Le second texte qui nous intéresse aujourd'hui est la proposition de directive relative à l'exécution de la directive de 1996 en vigueur sur le détachement des travailleurs.

Que contient-elle ?

Tout d'abord, il faut relever que la stratégie retenue est celle suggérée par la résolution du Sénat. Ne pas rouvrir la directive proprement dite (droit constant), mais préciser certains points.

Ensuite, les principales dispositions sont les suivantes :

- afin de lutter contre la pratique des entreprises « boîtes à lettres », l'article 3 dégage une série d'éléments permettant de caractériser la réalité de l'implantation d'une entreprise dans son Etat d'établissement ;

- afin de s'assurer de la réalité du caractère temporaire du détachement, le même article 3 énumère des éléments d'appréciation indicatifs ;

- le chapitre II renforce et précise l'accès à l'information des travailleurs détachés ;

- le chapitre III crée les conditions d'une coopération administrative plus efficace et systématique entre les Etats membres. Ainsi, l'article 6 crée une obligation pour chaque Etat de répondre aux demandes d'information d'un autre Etat dans un délai maximum de 15 jours. En cas d'urgence, le délai est ramené à 24 heures. A cet égard, il faut d'ailleurs relever que certains Etats comme la Pologne ont déjà fait de gros efforts et collaborent très bien avec notre administration.

- Le chapitre IV précise les obligations que l'Etat d'accueil peut imposer sans porter atteinte à la libre prestation de services. L'Etat d'accueil peut ainsi imposer à l'employeur de déclarer préalablement les travailleurs détachés, de tenir le contrat de travail et les fiches de paie à disposition, y compris dans une version traduite pas trop longue.

- Le chapitre V dispose que chaque Etat doit permettre aux syndicats d'engager une procédure judiciaire ou administrative pour le compte ou à l'appui du travailleur afin de faire respecter la directive. En outre, l'article 12 instaure un principe de responsabilité solidaire des donneurs d'ordre dans le cas où un sous-traitant direct ne rémunère pas les employeurs détachés au taux de salaire minimal conformément à la directive.

Que penser de cette proposition de directive ?

De manière générale, cette proposition de directive d'application constitue un progrès. Elle va dans le bon sens, même si certaines dispositions peuvent encore sembler insuffisantes. Ce texte systématise et harmonise la coopération entre les Etats membres. Il désigne très clairement les entreprises « boîtes à lettres » ou les faux détachements comme étant des pratiques illégales.

Si la perception du texte est globalement positive, la Confédération européenne des syndicats demeure néanmoins assez critique.

La CES souhaiterait ainsi des critères plus précis et impératifs pour identifier les entreprises « boîtes à lettres » et les faux détachements. Le texte actuel s'en tient au faisceau d'indices et laisse aux Etats membres le soin d'apprécier en fonction de chaque situation de fait. Mais à vouloir être trop précis, on prend aussi le risque de favoriser les fraudes et détournement et de lier les mains des inspecteurs du travail.

La CES juge aussi la clause de solidarité du donneur d'ordre insuffisante. En effet, le texte limite sa portée au seul secteur de la construction. On voit mal au nom de quoi les autres secteurs seraient exclus de ce dispositif. Une autre insuffisance est due au fait que le texte limite la responsabilité au sous-traitant direct, ce qui exclut complètement la sous-traitance en cascade. Là encore, on peut rejoindre en partie les critiques de la CES, d'autant que la directive de 2009 sur l'emploi de travailleurs étrangers sans titre contient une clause de solidarité du donneur d'ordre qui s'étend à toute la chaîne de sous-traitance, dès lors que le donneur d'ordre est au courant de ces pratiques illégales. La cohérence du droit de l'Union invite donc à adopter des dispositifs similaires.

D'autres améliorations pourraient encore être apportées. Par exemple, autoriser les syndicats à engager des procédures judiciaires ou administratives sans l'approbation du travailleur. Des inquiétudes existent aussi sur l'inclusion des travailleurs intérimaires dans le champ de cette proposition. Ce point reste à expertiser, car les travailleurs intérimaires sont dans le champ de la directive de 1996.

La question du délai de réponse des administrations aux demandes d'autres Etats membres mérite aussi d'être approfondie. 15 jours est un délai efficace, mais très ambitieux. Ne faut-il pas mieux prévoir un délai un peu plus long, mais qui pourra être respecté ?

Pour conclure, ce texte est globalement positif. Il répond à plusieurs préoccupations exprimées par notre Haute assemblée. La clef est la mise en place d'une coopération étroite entre les administrations nationales pour permettre de vrais contrôles sur place et faire appliquer les sanctions. Le texte crée les conditions pour cela, encore faut-il que les crédits consacrés aux administrations responsables ne soient pas sacrifiés en ces temps de disette budgétaire. L'enjeu est important, car le détachement de travailleurs ne cesse de croître. En France, il concerne entre 300 000 et 400 000 travailleurs, dont un tiers seulement est déclaré conformément à la loi française.

A ce stade, je ne propose donc pas de résolution. Le Sénat s'est déjà exprimé à plusieurs reprises. Cette appréciation pourra être révisée, s'il s'avère que les négociations prennent une tournure préoccupante.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Merci pour ce point d'étape. Les propositions de résolutions doivent effectivement être plutôt réservées aux cas où nous souhaitons marquer une opposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Mon rapport a été rédigé au retour d'une mission dans le pays où nous avons surtout rencontré des acteurs économiques et des journalistes, ainsi que le président du groupe d'amitié France-Hongrie. A Bruxelles, nous avons rencontré des responsables de la Commission, et, à Paris, les ambassadeurs de Hongrie, de Roumanie et de Slovaquie en France.

Pays miné par une crise à la fois politique et économique, la Hongrie a fait le choix en avril 2010 de l'alternance à l'occasion des élections législatives. Après huit années d'opposition, le Fidesz, formation de centre-droit, dirigée par Viktor Orbán, ancien Premier ministre de 1998 à 2002, était invité à reprendre la direction du gouvernement. Il dispose, à cet effet, d'une majorité des deux tiers au Parlement. Il convient cependant de relativiser la portée du succès du Fidesz, le deuxième tour des élections législatives étant marqué par un taux d'abstention atteignant 53 %.

Un tel succès a été interprété par la nouvelle équipe comme un blanc-seing pour une réforme en profondeur du pays. Alors que la priorité pouvait logiquement être accordée à la situation économique, la « révolution par les urnes » s'est principalement traduite par l'adoption d'une nouvelle Constitution et l'adoption d'une série de lois remettant en question le cadre habituel de protection des droits de l'Homme. La crise économique que traverse le pays a, quant à elle, été envisagée à l'aune d'une vision idéologiquement marquée, rompant avec le libéralisme jugé responsable de la crise pour redonner à l'Etat le plus de marges de manoeuvre.

Attardons-nous, dans un premier temps, sur cette « révolution par les urnes » portée par le Premier ministre. Je ne vous cache pas mon inquiétude quant aux contours de celle-ci. Certes, il ne nous appartient pas de juger de l'opportunité, pour un pays, de réviser sa Constitution. Néanmoins, si l'on peut regretter, comme l'a indiqué la Commission de Venise que le processus de consultation de toutes les forces politiques hongroises et de la population ait été largement insuffisant, le problème majeur tient plus, selon moi, à l'économie générale du texte et aux valeurs auxquelles il fait référence.

Avant la description du fonctionnement des institutions, la nouvelle Loi fondamentale insiste ainsi sur ces valeurs hongroises dans un vaste Préambule composé de trois chapitres, faisant appel à l'histoire, à la religion et à la morale. Ce Préambule, auquel la Cour Constitutionnelle peut se référer dans ses décisions, intègre ainsi des références à la Sainte Couronne, à la notion abstraite de Constitution historique mais aussi à la protection du droit à la vie ou à la définition du mariage.

A la lecture de cette introduction, deux points ont particulièrement retenu mon attention.

Premier point : la relecture du passé que prône l'actuelle équipe gouvernementale. Il n'est pas anodin que le Constituant ait changé le nom officiel du pays de République de Hongrie en Hongrie, sans autre mention. Le gouvernement Orbán souhaite que le pays renoue avec sa glorieuse histoire, celle d'avant le traité du Trianon de juin 1920. Il fait appel à ce passé pour mieux justifier une stratégie d'indépendance nationale qui se décline à tous les niveaux, politique comme économique. Faut-il s'étonner dès lors que le Premier ministre compare, le jour de la fête nationale, l'occupation de son pays par les Habsbourg et la situation actuelle de la Hongrie au sein de l'Union européenne ? J'ai également relevé que si le texte constitutionnel considère comme nulle et non avenue la période communiste, ce qui n'est d'ailleurs pas sans poser quelques difficultés juridiques, il est beaucoup plus tolérant à l'égard de la régence de l'amiral Horty entre 1920 et 1944, régime autoritaire, membre de l'Axe et ayant adopté très tôt une législation antisémite.

Second point : la conception particulière des droits de l'Homme qu'a mise en avant le Constituant. Une Loi fondamentale ne saurait, par essence, fixer, de façon définitive, certaines « valeurs » quand celles-ci ne bénéficient pas d'un consensus sur leur définition au sein de la société et sont donc susceptibles d'évoluer avec le temps : il en va ainsi de la définition du mariage ou de la protection du foetus dès sa conception. Il y a, par ailleurs, lieu de s'interroger dès lors que le texte constitutionnel n'incorpore pas un certain nombre de principes. Je pense notamment à l'interdiction de la peine de mort ou à la lutte contre les discriminations en raison de l'orientation sexuelle.

La promotion de la grande Hongrie passe également par l'attribution de la nationalité hongroise aux membres des minorités magyares au sein des pays voisins, ce qui n'est pas sans susciter d'inquiétudes au sein de l'espace Schengen. 1,6 million de personnes d'origine hongroise vivent à l'étranger. Elles représentent ainsi près de 10 % de la population slovaque et 7 % de la population roumaine. Le texte constitutionnel apporte par ailleurs son soutien aux minorités hongroises pour mettre en place des « organes collectifs d'autogestion ». Cet appui peut être assimilé à une véritable ingérence dans les affaires internes de deux partenaires de la Hongrie au sein de l'Union européenne.

Le Préambule traduit assez bien, à mon sens, l'ambition du gouvernement Orbán : réaffirmer l'importance de la communauté nationale pour répondre au ressentiment d'une large partie des Hongrois à l'égard d'une politique de libéralisation et d'ouverture du pays qui ne s'est pas traduite, selon elle, par une élévation du niveau de vie. La Hongrie, qui était à l'avant-garde de la démocratisation et de la modernité économique au sein de l'ancien bloc de l'Est, est désormais en retard par rapport à d'autres. Si la nation et ses valeurs sont plus fortes que l'individu en Hongrie, elles sont aussi un message adressé à une Union européenne jugée atone : celle-ci va progressivement devenir, selon le Premier ministre, « comme l'alcool : elle est source d'inspiration en vue de la réalisation de grands desseins et empêche ensuite leur réalisation ».

Venons-en maintenant à l'étude du fonctionnement des institutions. La nouvelle Loi fondamentale réaffirme le caractère parlementaire du régime. L'essentiel du pouvoir exécutif revient au Premier ministre, élu, comme le Président de la République, par l'Assemblée nationale. Le chef du gouvernement ne peut être renversé que si un successeur est désigné. L'initiative des lois est partagée entre le gouvernement et le Parlement.

La principale objection sur le texte constitutionnel relevée par la Commission de Venise tient au renvoi trop fréquent à des lois organiques - une cinquantaine - pour préciser certaines dispositions. Je note également la porte ouverte laissée à la création sans limite d'autorités de régulation, dont la légitimité démocratique est contestable, et surtout l'impossibilité pour la Cour constitutionnelle d'examiner un texte ayant un impact sur le budget tant que la dette publique dépasse 50 % du PIB, ce qui est le cas actuellement puisqu'elle atteint 82 % du PIB.

Plus que le dispositif constitutionnel, c'est, à mon sens, la pratique du pouvoir qui me semble sujette à caution. La multiplication des lois organiques plus délicates à adopter et donc à réviser, ne sera pas, ainsi, sans incidence, à l'avenir, sur la possibilité pour une autre majorité de réformer le pays dans une autre direction. La réforme électorale récemment adoptée devrait, par ailleurs, permettre de reconduire le Fidesz aux responsabilités en 2014. Cette réforme prévoit notamment de ramener le nombre de députés de 386 à 199. Ce resserrement devrait limiter toute remise en cause de l'autorité du Premier ministre au sein du Fidesz. Compte tenu des mécanismes de désignation des membres de différentes instances - Cour constitutionnelle, magistrats, Banque centrale, médiateurs - ce double effet resserrement / reconduction de la nouvelle loi électorale devrait permettre à l'ensemble des organes de l'Etat d'être de la même couleur politique que le parti actuellement au pouvoir. Il y a lieu, dès lors, de s'interroger sur la capacité à voir certains contre-pouvoirs institutionnels jouer pleinement leur rôle. Le régime monocaméral atteint, ici, ses limites.

Pour clore le volet politique, je souhaiterais revenir sur les lois organiques ou lois cardinales adoptées depuis l'arrivée au pouvoir du Fidesz. Il est regrettable qu'un certain nombre de questions fiscales ou sociales ne relèvent pas de la loi ordinaire. Un Parlement doit en effet posséder une certaine marge de manoeuvre en vue d'accompagner l'évolution d'une société. Or toute révision des lois organiques suppose un vote à la majorité des deux tiers. Le législateur pourrait se trouver à l'avenir dans l'impossibilité de réformer telle ou telle disposition faute d'accord dépassant la majorité simple.

La Hongrie connait un véritable marathon législatif depuis 2010, 360 lois ont été adoptées en un an. Elles permettent de préciser les contours de la révolution idéologique entreprise par le gouvernement. Ce rythme effréné est, selon le Premier ministre, dicté par la crise. C'est d'ailleurs là, à ses yeux, la grande différence avec la Commission européenne, créée à une époque « paisible » et agissant toujours lentement, conduisant l'Union européenne à marcher « à reculons ».

Trois réformes ont attiré l'attention de la Commission européenne et du Conseil de l'Europe. Elles concernent la justice, la protection des données et les médias.

La réforme de l'appareil judiciaire annoncée par le gouvernement hongrois s'est traduite par l'adoption de deux lois en novembre dernier, l'une concernant l'organisation et l'administration des tribunaux et l'autre le statut et la rémunération des juges. Le premier texte supprime le Conseil de la magistrature existant pour le remplacer par une structure, l'OBH, où la décision appartient en réalité à une seule personne : son président, nommé pour 9 ans par le Parlement. L'épouse d'un parlementaire européen issu du Fidesz, connu pour sa contribution à la nouvelle Loi fondamentale et proche de l'actuel Premier ministre, a ainsi été désignée par les députés. Celle-ci dispose d'une autorité complète sur l'administration, la gestion et le contrôle des tribunaux. Elle propose notamment au Président de la République les candidats au poste de juge. Par ailleurs, au delà de ses fonctions d'administratrice des tribunaux hongrois, la présidente de l'OBH est habilitée à confier une affaire à une autre juridiction. A la suite de la Commission de Venise, la Commission européenne s'est émue de cette concentration de ses pouvoirs et a envoyé une demande de précisions au gouvernement hongrois. Les amendements au texte que celui-ci a fait adopter dans la foulée sont néanmoins limités.

La Commission européenne a saisi la Cour de justice au sujet de la réforme du statut des juges. Le texte prévoit en effet de baisser l'âge de départ en retraite des juges de 70 à 62 ans avec effet immédiat. 236 juges sont ainsi radiés des cadres cette année. Le soupçon de purge est d'autant plus fort que le texte prévoit un relèvement progressif de l'âge de départ en retraite dès 2013. La Cour constitutionnelle hongroise a finalement annulé cette disposition le 16 juillet dernier, l'estimant contraire au principe d'indépendance de la justice. La Commission européenne entend désormais surveiller la façon dont sera appliqué cet arrêt.

La Commission européenne a également saisi la Cour au sujet de l'Agence de protection des données qui a remplacé le contrôleur de la protection des données, dont le mandat a été de fait brutalement interrompu.

Le dossier le plus épineux concerne sans doute les médias, que Viktor Orbán considère, avec l'Union européenne et les hauts fonctionnaires, comme les responsables de ses échecs électoraux en 2002 et 2006. La loi sur les médias est entrée en vigueur un an avant la nouvelle Constitution, en janvier 2011. Examinée en moins d'un mois, ce texte imposant - 200 pages - porte sur les conditions d'exercice de tous les médias audiovisuels mais aussi électroniques ainsi que sur la presse écrite. Elle institue notamment une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH) dotée de nombreux pouvoirs dont le contrôle des sources des journalistes ou l'attribution de fréquences. Elle dispose également du droit de sanctionner les médias qui ne respecteraient pas l'obligation de fournir une information équilibrée. Sous la pression de la Commission européenne et de la Cour constitutionnelle hongroise, le texte a finalement été amendé pour mieux garantir la protection des sources et supprimer la référence à une information équilibrée.

Cette révision du texte originel aura pris un an et demi au total. Entretemps, s'est développée une certaine autocensure au sein des médias hongrois, contribuant à un appauvrissement réel du contenu qu'ils proposent. La fusion prévue par la loi au sein d'une même entité des médias publics a conduit au licenciement, officiellement pour motifs économiques, de 500 journalistes. Les organes de presse classés dans l'opposition rencontrent quant à eux de nombreuses difficultés, qu'il s'agisse des obstacles administratifs de la radio Klubradio pour renouveler sa fréquence ou la baisse des recettes publicitaires pour certains journaux, les investisseurs étant encouragés à acquérir des encarts publicitaires au sein d'organes proches du pouvoir.

En dépit des procédures accélérées lancées par la Commission sur la question des juges ou sur celle de l'agence de protection des données, le temps profite au gouvernement hongrois pour laisser s'installer sur place un cadre favorable à ses intérêts. On assiste à une véritable appropriation de l'Etat.

Venons-en maintenant à la situation économique et financière de la Hongrie. La philosophie économique du gouvernement Orbán se résume pour l'essentiel à une contestation du libéralisme, jugé responsable de la crise que traverse le pays depuis près de dix ans. A la dérégulation, le Premier ministre oppose le retour de l'Etat dans le domaine économique au travers d'une politique industrielle volontariste censée relancer la croissance. Viktor Orbán entend, à cet effet, s'inspirer du modèle des dragons du Sud-Est asiatique, quand bien même la réalité économique de son pays est toute autre.

Le retour de l'Etat dans la sphère économique et la rupture avec le libéralisme se sont également traduits par l'adoption de dispositions tendant à favoriser l'éviction d'entreprises étrangères dans le secteur des services. Cette forme de « patriotisme économique » suppose que les sociétés locales peuvent aisément se substituer aux autres, essentiellement européennes. Celles-ci sont accusées d'abuser de positions dominantes et de capter, pour ne pas dire piller, une partie de la richesse nationale.

Cette position se traduit par de nombreuses mesures vexatoires : dénonciation de contrats - c'est le cas de Suez à Budapest - adoption d'une législation visant spécifiquement les activités des entreprises étrangères, taxes sur les chiffres d'affaires des grands groupes étrangers, le tout au mépris du droit de la concurrence de l'Union européenne. La Commission européenne envisage de lancer une procédure d'infraction dans un certain nombre de domaines : distribution, activités postales ou tickets restaurant. Il convient néanmoins de relever que toute démarche, même dans le cadre d'une procédure accélérée, conforte le gouvernement hongrois. Le temps que devrait mettre la justice européenne est forcément trop long pour des entreprises qui sont, sur place, progressivement asphyxiées.

Ces entorses aux règles du marché intérieur peuvent conduire à s'interroger sur la sincérité de l'engagement européen du gouvernement. Le double langage tenu à Bruxelles et à Budapest par le Premier ministre ou ses ministres atteste d'un euroscepticisme croissant. Le soin d'inscrire dans la Constitution le fait que le forint constitue la monnaie du pays dénote un peu plus cet état d'esprit. L'objectif d'une adhésion à terme à la zone euro était pourtant une opportunité envisagée par le précédent gouvernement à moyen terme.

La stratégie assumée d'éviction des sociétés étrangères n'est pas sans conséquence sur la croissance puisqu'elle crée les conditions d'une insécurité juridique pour tout investisseur. Il n'est pas anodin que les investissements se soient ainsi effondrés depuis deux ans, obérant toute relance de la croissance. La Hongrie devrait même enregistrer une contraction de son PIB en 2012.

Le secteur bancaire a, dans le même temps, été frappé par différentes mesures, censées tout à la fois permettre au gouvernement d'augmenter ses recettes et afficher vis à vis de la population une certaine fermeté à l'égard du monde financier, jugé pour partie responsable des difficultés économiques rencontrées par le pays. On notera ainsi la création d'une taxe de solidarité et d'une taxe de crise, la nationalisation des fonds de pension relevant du deuxième pilier retraite, le moratoire sur les saisies immobilières ou la mise en place d'un dispositif de remboursement anticipé des prêts hypothécaires en devises.

Ces mesures peuvent laisser songeur au regard de la forte dépendance du financement de l'économie locale à l'égard des banques étrangères mais aussi de la détention par ces établissements de bons du trésor hongrois.

La politique fiscale du gouvernement laisse également sceptique. Un impôt unique sur les revenus, sans progressivité, avec un taux de 16 % a été instauré. Le gouvernement a dans le même temps majoré de 18 % le salaire minimum pour compenser l'effet de cette flat tax sur les bas revenus, jusque là exonérés. Face au manque à gagner fiscal - 1,8 milliard d'euros -, alors que le pays voit sa dette publique dépasser 80 % du PIB, le gouvernement a décidé d'augmenter sa taxe sur les jeux, le tabac, l'alcool et le gazole. Il a dans le même temps introduit une contribution fiscale exceptionnelle pour toute personne touchant plus de 750 € par mois - le salaire moyen atteignant 450 € mensuels - et augmenté la TVA de 25 à 27 %. Signe des temps, il expérimente même une taxe sur les chiens de race non-hongroise. De telles mesures annulent l'effet de relance attendu de la flat tax. On relèvera par ailleurs que cette flat tax a été adoptée dans le cadre d'une loi organique.

L'augmentation de la dette publique intervient alors que les besoins de refinancement de l'Etat hongrois dans les deux années à venir sont très élevés et coïncident avec le début de remboursement du prêt FMI mis en place en 2009 : l'Etat doit ainsi rembourser 4,7 milliards d'euros en 2012, soit environ 4 % du PIB. Au total, le gouvernement hongrois devrait lever 15,2 milliards d'euros sur les marchés, soit plus de 15 % du PIB. Les deux tiers de ces bons devraient être libellés en devises étrangères. Compte tenu de la dégradation du forint sur les marchés, en raison notamment de la politique économique mise en oeuvre, le refinancement devient de plus en plus coûteux et délicat pour le gouvernement hongrois.

C'est dans ce contexte qu'il a formulé fin novembre une demande d'aide auprès du FMI et de l'Union européenne. L'ouverture des négociations n'a pu intervenir qu'il y a quelques jours, le Fonds comme la Banque centrale européenne demandant au préalable une révision de la loi sur la banque centrale de Hongrie qui limitait fortement son indépendance. Les amendements au texte ont été adoptés le 6 juillet dernier. La Commission européenne entend, par ailleurs, conditionner le versement effectif de l'aide à une révision des lois organiques sur la justice.

Il y a un paradoxe à voir revenir la Hongrie devant le Fonds monétaire et l'Union européenne, le gouvernement Orbán ayant rompu les négociations avec les représentants de ces institutions à son arrivée au pouvoir au nom de l'indépendance économique du pays.

En réalité, la voie politique empruntée depuis deux ans aboutit à une impasse. Le gouvernement a fait de l'idéologie le principe de toute réforme et s'est écartée des standards européens. Le repli identitaire du gouvernement, son esprit de revanche voire son révisionnisme, son volontarisme économique à la fois archaïque et brutal ou le double langage à l'égard de l'Union européenne ne peuvent apparaître comme des solutions permettant au pays de sortir de la crise qui le fragilise depuis près de dix ans.

L'adhésion à l'Union européenne suppose un certain nombre de devoirs, allant du respect des droits de l'Homme à celui des libertés économiques, en passant par l'absence de provocation à l'égard de ses partenaires. La Hongrie ne s'affranchit pas clairement de ses devoirs, elle y déroge en partie ou biaise l'application de ces principes, jouant sur la lenteur d'une réponse communautaire.

La Commission européenne, gardienne des traités, se doit d'aller vite tant la situation actuelle n'est déjà plus en adéquation avec les canons européens. Et je crois que l'Union européenne devrait sérieusement envisager l'application de l'article 7 du Traité.

Celui-ci dispose qu'en cas de violation grave et persistante par un Etat membre « des valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l'Homme, le Conseil statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l'application des traités à l'Etat membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet Etat membre au sein du Conseil ».

La question mérite d'être posée, car il n'est pas possible, à mon avis, de laisser perdurer une situation qui ne peut satisfaire les démocrates européens, gauche et droite confondues.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Merci de ce propos clair et vigoureux. La situation hongroise est particulièrement grave et mériterait à mon avis des sanctions de la part de l'Union européenne. Au-delà des libertés, des droits de l'Homme et la situation économique, ces comportements inacceptables déstabilisent l'Europe centrale. Attention à ne pas revenir aux nationalismes d'avant 1914, ce serait ingérable ! N'oublions pas que l'éclatement de la Yougoslavie, c'était il y a vingt ans à peine. J'approuve la fermeté de ce rapport car nous sommes devant des évolutions dangereuses pour l'Europe centrale, et pour l'Europe toute entière.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

J'ai beaucoup d'amis en Hongrie où j'ai travaillé après le changement de régime au développement de groupes de presse. J'y avais également rencontré Viktor Orbán, au moment de la création du Fidesz sous le régime communiste. A cette époque, c'était un homme charmant, avec une vision très libérale de la société... J'ai repris récemment contact avec des journalistes qui avaient vécu en France et étaient rentrés en Hongrie : comme vous le notez, ils ne s'expriment plus depuis quelques temps et ont tous fermé leur page Facebook. Une espèce de terreur s'installant, une chape de plomb semble s'abattre sur eux. On se demande à quand une police politique ?

Alors que la Hongrie avait connu une vraie libéralisation, l'évolution est navrante. Autre sujet de préoccupation, la conception élargie de la nationalité risque, comme l'a souligné Bernadette Bourzai, de déstabiliser l'ex-Mitteleuropa. Soyons vigilants, je pense par exemple à la situation de la Slovénie dont j'ai rencontré l'ambassadrice à Paris. Tout le monde loue le parcours extraordinaire de la Pologne ou de la Slovaquie, mais certains pays semblent faire marche arrière et l'on ne peut que s'inquiéter du peu de moyens et de la faible volonté de l'Europe. Elle pose des questions, reçoit des réponses partielles, obtient des aménagements très en deçà des principes d'appartenance à l'Union. Certains principes fondamentaux du Traité de l'Union européenne sont bafoués.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Les procédures engagées par la Commission de Venise ou par la Commission européenne auprès de la Cour de justice n'aboutiront que dans un ou deux ans. Et pendant ce temps, ça continue ! Je m'inquiète moi aussi des risques de déstabilisation animés par la volonté de revenir à la Hongrie d'autrefois. Au cours des discussions, mes interlocuteurs m'ont sans cesse reparlé du traité du Trianon.

Le ministre des affaires européennes m'a répondu hier que l'Europe pourra régler le problème, mais je suis sceptique et très inquiet des conséquences, y compris en Roumanie, en Slovaquie et peut-être au-delà. D'ailleurs, depuis mon retour, la presse a relaté de nouvelles dérives.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Il faut toujours voir le côté positif des choses. Si l'Europe n'existait pas ou si ce pays n'en était pas membre, où en serait-on ? Elle constitue un progrès, un contrepoids, même si l'on ne va pas assez loin.

A l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport d'information.