Notre ordre du jour appelle l'examen des amendements sur le texte adopté par la commission sur la proposition de loi, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions agricoles en France et dans les outre-mer. Ce texte sera examiné en séance publique cet après-midi à partir de 18h30.
Deux amendements ont été déposés, un amendement du Gouvernement à l'article 1er et un amendement de notre collègue Jean-Jacques Panunzi, sur lesquels notre commission doit donner un avis.
Avant de donner la parole à notre rapporteur, Dominique Watrin, je voudrais vous indiquer que j'ai été informé hier soir tard de l'intention du Gouvernement de demander au Sénat de se prononcer, en application de l'article 44 alinéa 3 de la Constitution, par un vote unique sur l'ensemble du texte modifié par l'amendement qu'il présente, afin d'éviter une adoption définitive.
Je m'exprimerai en séance sur le sujet mais je trouve le procédé profondément désagréable. Vous aurez l'occasion de prendre la parole après notre rapporteur et ce soir en séance.
Article 1er
Je partage les propos de M. le président. Je m'exprimerai en séance, bien évidemment. Cette procédure, qui remet en cause le minimum de pouvoirs qui restait au Parlement, est certes constitutionnelle, mais elle a rarement été utilisée par le Gouvernement. Depuis 1959, il n'y a eu recours que six fois sur des propositions de loi. La dernière fois, c'était en 1993.
L'amendement n° 3 du Gouvernement, enregistré ce matin à 9h23, remplace l'année 2018 par l'année 2020 : je ne puis qu'y être défavorable. Le report de date est en totale contradiction avec l'esprit de la proposition de loi qui se voulait une réponse à une urgence sociale que nous connaissons tous. L'objet de l'amendement remet en cause la raison même de notre texte puisqu'il estime que la question du niveau minimum de pension sera l'un des enjeux importants du débat sur la mise en oeuvre du système universel de retraite. En renvoyant à la future réforme des retraites la détermination du niveau minimum de pension pour les non-salariés agricoles, cet amendement revient sur la mesure phare de la proposition de loi, qui était de le porter de 75 à 85 % du Smic. Le Gouvernement oppose donc une fin de non-recevoir à notre proposition alors que le niveau des pensions agricoles est des plus faibles. C'est inacceptable.
Le recours à l'article 44 alinéa 3 de la Constitution implique que le Gouvernement demande au Sénat de voter le texte avec son amendement. Si nous votons contre, nous repoussons le texte qui repartira en navette à l'Assemblée nationale où il sera enterré jusqu'au bon vouloir du Gouvernement. Si nous le votons, le texte ne sera pas conforme à celui de l'Assemblée nationale et il y retournera également pour y être oublié.
J'étais convaincu par ce texte, même si certains détails pouvaient être discutés. Alors que la réforme constitutionnelle est en cours, ce signal est plus que maladroit. Le Gouvernement entend-il brider l'initiative parlementaire et la démocratie ? Je suis scandalisé. Deux solutions s'offrent à nous : nous abstenir ou refuser de débattre de ce texte. La politique de la chaise vide peut avoir du bon. En démocratie, le dialogue et l'initiative parlementaire sont primordiales, surtout dans un régime semi-présidentiel. Si le pouvoir veut un régime présidentiel, qu'il le dise !
Alors que nous étions quasi-unanimes sur ce texte qui envoyait un message très fort aux agriculteurs, le revirement du Gouvernement nous interloque. La procédure utilisée est assez insupportable. Qu'entend dire le Gouvernement aux agriculteurs, alors que leur situation se dégrade ? Pouvons-nous refuser de voter ?
Tout comme mes collègues, je suis interloquée par cette décision. La semaine dernière, je vous disais que ce texte était une mise à l'épreuve du Gouvernement. Aujourd'hui, il nous somme de choisir entre la peste et le choléra.
Si nous nous abstenons, le Sénat passera une nouvelle fois pour un empêcheur de tourner en rond. Pourquoi ne pas organiser une conférence de presse avec M. Watrin pour exposer la situation ? Le Sénat doit clamer haut et fort que les droits du Parlement sont bafoués.
Une réaction du Sénat est indispensable. Cette méthode est démocratiquement dangereuse. La semaine dernière, nos hommes politiques se pressaient au Salon de l'agriculture et écrasaient une larme sur les conditions désastreuses des agriculteurs. Il n'aura pas fallu huit jours au Gouvernement pour revenir sur ses déclarations. Le Sénat a tout intérêt à démontrer qu'il prend en compte, au-delà des clivages politiques, l'intérêt général.
Mais je crois que le problème est bien plus important : après le recours régulier aux ordonnances, nous apprenons que le Gouvernement entend limiter le droit d'amendement des parlementaires.
Alors que la crise politique frappe l'Europe en son entier, la révision de notre Constitution doit passer par la voie référendaire pour que le peuple s'exprime une bonne fois pour toutes. On nous dit que les Français veulent moins de parlementaires et limiter les mandats dans le temps : cela reste à prouver.
Nous ne pouvons accepter ce recul rampant du pouvoir parlementaire : nous nous devons de réagir !
Marquons ce jour d'une pierre blanche : je vois sur tous les bancs de la commission se dégager un consensus. L'amendement du Gouvernement n'arrive pas dans un ciel serein : le rôle du Parlement est profondément remis en cause et il sera bientôt godillot. Ses initiatives sont vouées à ne pas prospérer. Le Sénat se doit de régir avec fermeté.
Notre travail de fond n'est en rien considéré par le Gouvernement. Protestons de façon solennelle.
Deux questions se posent : sommes-nous prêts aujourd'hui à verser 85 % du Smic à tous les salariés au titre du minimum vieillesse ? L'amendement du Gouvernement rappelle que la réforme du système des retraites va bientôt intervenir. En tant que rapporteur général, je me dois d'attirer l'attention sur l'importance du coût supplémentaire que cela représenterait.
La deuxième question tient à la méthode employée pour faire plier le Parlement, qui est révoltante. Nous devons réagir car nous ne pouvons pas être traités de la sorte. La ministre a le droit de nous mettre en garde, mais pas de cette façon.
Je demande au président de prendre contact avec la ministre pour lui dire qu'elle fait fausse route. Pour sortir de ce piège, nous devons prendre à témoin l'opinion publique.
Le Gouvernement ne veut pas de ce texte et, pour ne pas assumer son rejet, il a recours à une astuce constitutionnelle pour nous forcer à adopter une autre version : soit le Sénat refuse, et il sera dit que c'est de sa faute, soit il adopte l'amendement et il renvoie à une date ultérieure le débat.
Je ne vois donc pas d'autre solution que de voter la proposition de loi et d'alerter l'opinion publique pour dénoncer cette astuce du Gouvernement. Au-delà de ce débat sur la retraite, nous devrons bien un jour nous pencher sur le problème beaucoup plus global du revenu des agriculteurs.
Certes, le Gouvernement n'est pas satisfait par ce texte, mais c'est la vie d'une démocratie parlementaire. La souveraineté appartient au Parlement, pas au Gouvernement.
L'enjeu de la révision constitutionnelle va bien au-delà des trois mandats successifs et je suis désolée de constater que la position du Sénat est réduite à ce seul aspect. Nous valons mieux que cela. La réforme du Gouvernement est une véritable machine antiparlementaire, notamment avec la réduction du droit d'amendement. Faisons savoir que nous défendons le parlementarisme et pas seulement les sénateurs.
Lorsque Mme Buzyn viendra devant notre commission ce soir, pourquoi ne pas faire une déclaration solennelle en début d'audition puis quitter la salle ?
Sur le plan de la procédure parlementaire, nous avons perdu, et il est logique que le Gouvernement ne veuille pas de cette proposition de loi, comme l'a rappelé notre rapporteur général. Mais le Gouvernement envoie des signaux négatifs au monde agricole, sans même parler de la révision constitutionnelle.
Cette confrontation dépasse le cadre de notre commission : le Bureau du Sénat ou les présidents de groupe se doivent de réagir. Une réaction politique au plus haut niveau s'impose. Essayons aussi de faire en sorte que le Sénat ne soit pas systématiquement ringardisé comme c'est le cas aujourd'hui.
Enfin, nous savons bien que l'arbitrage vient de plus haut : la ministre n'est pas seule fautive.
Je ne pensais pas que l'on arriverait aussi vite à l'illustration du débat d'hier soir. Nous sommes au coeur de la réforme constitutionnelle. Je constate un étrange parallèle avec la loi sur l'eau et l'assainissement qui a été adoptée à l'unanimité par le Sénat et qui est en train d'être détricotée par l'Assemblée nationale, suite à la pression du Gouvernement. J'incite mes collègues à lire la tribune de notre confrère Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, qui a parfaitement synthétisé le problème. Au-delà de ses discours consensuels, le Gouvernement veut passer en force lorsqu'un texte ne lui convient pas. Nous devons informer rapidement le président du Sénat de la situation. Ensuite, une tribune signée par tous les membres de la commission serait du meilleur effet.
Je me félicite du consensus qui se dégage au sein de notre commission. Les mots sont à la mesure de l'attaque qui est portée à la démocratie. J'ai entendu « recul de la démocratie », « procédure insupportable », « choisir entre la peste ou le choléra », « remise en cause fondamentale du Parlement »...
Maintenant, que faire ? Une protestation s'impose. Ce serait d'autant plus justifié que l'article 44 alinéa 3 a été très rarement utilisé depuis 1959, et c'était lorsque le Gouvernement constatait une obstruction parlementaire. Or, ici, le recours à cette procédure est annoncé avant même que le débat ait commencé.
Nous allons auditionner Mme la ministre à 16h45 : nous pourrons l'interpeller. Et dès avant, il serait bon de demander au président du Sénat de définir la meilleure riposte politique.
Je vais effectivement contacter le président du Sénat dès que nous aurons statué sur les amendements.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Intitulé de la proposition de loi
Comme l'amendement n° 1 le souligne, l'expression France continentale qui apparaît dans le titre ne regroupe pas l'intégralité de la métropole, notamment la Corse. Il serait plus judicieux de parler de France métropolitaine. Mais, comme le titre d'un texte législatif est dépourvu de portée normative, je suis défavorable à cet amendement tout en en reconnaissant sa pertinence.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°1.
- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -
Le 30 janvier dernier, personnels et directeurs d'Ehpad étaient en grève pour dénoncer leurs conditions de travail et, plus généralement, leurs difficultés à exercer correctement les missions de prise en charge des personnes âgées qui leur sont confiées.
La réforme de la tarification des établissements, sur laquelle notre commission avait déjà alerté, a été pointée du doigt mais elle n'est pas seule en cause. Le diagnostic est connu : les personnes accueillies dans ces établissements sont globalement plus âgées qu'avant et leur autonomie plus limitée, tandis que les moyens consacrés à l'autonomie ont certes progressé mais sans que cela se traduise toujours de façon concrète en effectifs sur le terrain.
Nos concitoyens souhaitent une socialisation accrue du financement de ce risque alors que les reste à charge sont élevés, voire inaccessibles pour certaines familles. C'est pourquoi le président a demandé à notre collègue Bernard Bonne, rapporteur pour le secteur médico-social, de travailler sur la situation des Ehpad et de nous rendre ses conclusions.
Vous avez bien voulu me confier, en tant que rapporteur du médico-social, une mission dont vous avez estimé à juste titre que l'actualité - brûlante - commandait la réalisation. En effet, le 30 janvier dernier, les personnels travaillant en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se sont rassemblés à la faveur d'une mobilisation unique dans leur histoire pour dénoncer unanimement les conditions dans lesquelles ils s'acquittaient de leurs tâches.
À la racine de cette exaspération, nous retrouvons un phénomène auquel l'exposition médiatique récente a donné une certaine notoriété, alors qu'il travaille le secteur de la prise en charge des personnes âgées depuis maintenant deux ans : la réforme de la tarification des Ehpad. L'enjeu, sous ses aspects techniques, est de grande importance.
Permettez-moi de décrire le budget d'un Ehpad. Trois sections tarifaires, trois financeurs distincts. La première section - environ 30 % du total - qui finance les interventions médicales requises par les résidents les plus dépendants, est abondée par l'agence régionale de santé sur des crédits de l'assurance-maladie. C'est par elle que la réforme de la tarification a commencé, en prévoyant dans la loi portant adaptation de la société au vieillissement un forfait global de soins fondé sur le Gir moyen pondéré soins (GMPS). Pour la quasi-totalité des établissements, le passage des anciennes dotations issues des reconductions historiques à ce nouveau forfait-soins se traduit par une hausse de leurs moyens.
C'est la deuxième section - environ 20 % du total - financée par le conseil départemental et spécifiquement consacrée au soutien de la personne dépendante dans l'accomplissement des actes de la vie quotidienne, cristallise les contestations. Là aussi, les pouvoirs publics ont proposé que soit substitué aux dotations historiques, calculées sur la base de l'Apa versée à l'établissement, un forfait global à la dépendance qui, contrairement au forfait global de soins, intègre dans son calcul un coefficient variable selon les territoires : le point Gir départemental. Outre le problème important que soulève l'institutionnalisation d'une couverture de la dépendance différenciée selon les départements, le nouveau forfait global à la dépendance pose une difficulté que n'avait pas soulevée le forfait global aux soins : selon le niveau du point Gir départemental, le passage des dotations historiques au forfait entraîne pour de nombreux établissements, publics pour la plupart, une baisse significative de leur budget dépendance. La redéfinition du forfait dépendance ayant été conçue à budget départemental constant, les autres établissements, privés non lucratifs et privés commerciaux, ont par conséquent vu le leur augmenter.
Il est dès lors devenu commun d'accabler cette réforme tarifaire de tous les maux et d'en faire la principale responsable du mal-être qui sévit dans les établissements, frappant autant les résidents que les personnels. Je souhaite apporter plusieurs tempéraments importants à ce postulat, qui s'est exagérément répandu et qui a profité d'un effet d'optique opportun pour se présenter à l'opinion comme l'alpha et l'oméga de la crise du secteur.
Afin d'éviter tout malentendu, j'affirme que le principe - mais uniquement le principe - de la réforme tarifaire est sain et vertueux. Il ne s'agit en effet ni plus ni moins que de rationaliser autour de critères objectivables les dotations d'argent public attribuées aux établissements d'accueil de personnes âgées, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. La réforme pèche dans ses modalités et son calendrier d'application.
Un premier diagnostic nous paraît devoir être posé. Nous avons voté deux PLFSS qui accompagnent une réforme en profondeur de la contractualisation des établissements et services médico-sociaux, autrement dit leur passage progressif au régime du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM). Attentifs au rythme de cette réforme, nous l'avons toujours accueillie favorablement, en ce qu'elle ouvre aux établissements signataires de nouvelles marges de manoeuvre de gestion budgétaire, leur permettant notamment de fondre certains éléments des différentes sections tarifaires entre eux et de conserver le bénéfice des éventuels excédents d'exploitation. En toute logique, il aurait paru souhaitable d'attendre que l'ensemble des Ehpad soient armés de ce nouvel outil contractuel, et munis de la souplesse de gestion qu'il confère, avant de réformer les modalités de leur tarification.
Or, le Gouvernement mène ces deux réformes de front, en parallèle, sans voir tout le profit qu'il pourrait tirer, pour la bonne mise en oeuvre de la seconde, de la pleine application de la première.
Par ailleurs, la réforme tarifaire des Ehpad, négligeant de s'attaquer à la structure même de leur financement, voit nécessairement une partie de ses effets neutralisés. Il est urgent de mettre fin à cette aberration budgétaire et gestionnaire du cofinancement des structures médico-sociales. Elle n'est que le reflet d'une incapacité historique à qualifier l'autorité compétente en matière de prise en charge de la dépendance. La situation actuelle dénoncée par les personnels et par les familles de résidents n'est autre que le résultat de cette indécision, laquelle ne peut désormais plus être maintenue.
Pour clore ce chapitre de la réforme tarifaire, la troisième section de financement des Ehpad, n'a fait pour l'heure l'objet d'aucune réforme alors qu'elle est le siège des dérives les plus dangereuses : la section hébergement - 50 % du total. Elle finance les prestations d'accueil hôtelier et ménager et reste théoriquement à la charge du résident. Elle concentre l'essentiel de ce qu'il est courant d'appeler le « reste à charge ». Celui-ci affiche des niveaux particulièrement élevés, malgré les efforts des conseils départementaux pour contrôler les tarifs journaliers pratiqués par les établissements et maintenir un niveau élevé de places habilitées à l'aide sociale, par ailleurs mis à mal par les effets de la réforme tarifaire.
Parmi les raisons de ce reste à charge important, il y en a une immédiatement identifiable et difficilement justifiable : la récupération sur la succession des résidents des sommes versées par le département au titre de l'aide sociale à l'hébergement. Attachés à la transmission de leur patrimoine, les résidents préfèrent s'acquitter de tarifs journaliers de haut niveau plutôt que de grever l'héritage de leurs descendants du montant d'une aide sociale. Or cette récupération sur succession ne représente que 30 à 60 millions d'euros sur l'ensemble du territoire, recette suffisamment négligeable, à mon sens, pour qu'il soit apporté une modification substantielle au dispositif actuel. Je propose que soit relevé de façon significative le seuil de récupération de ces sommes.
Les difficultés rencontrées par les Ehpad ne se résument cependant pas à la réforme tarifaire. Cette dernière a permis l'expression d'un mal-être plus profond, plus lointain, qui reflète une crise structurelle du modèle de ressources humaines de ces établissements. Animé par un personnel administratif composé de cadres de santé, un Ehpad comprend un personnel soignant qui tourne autour de trois pivots - le médecin coordonnateur, l'infirmier et l'aide-soignant - ainsi qu'un personnel technique de service hospitalier.
Il me semble qu'outre le sujet prégnant du contour de leurs missions et du rythme de leur travail, un problème trop longtemps occulté réside dans l'indicateur statistique qui définit les besoins en personnel soignant de chaque établissement : le Pathos moyen pondéré (PMP), principale composante du GMPS que j'évoquais plus haut. C'est le PMP qui détermine le forfait global de soins, lequel servira pour sa majeure partie à couvrir les dépenses de personnel. Si le PMP ne reflète pas fidèlement et pertinemment les besoins réels en soins requis par les résidents, la dotation de soins qui en découle ne suffira pas à assurer les dépenses en personnel soignant nécessaires. Or c'est un constat auquel ma mission m'a conduit : sans vouloir être trop technique, le PMP présente des biais importants, susceptibles d'imparfaitement traduire les profils thérapeutiques des résidents en ETP correspondants. Voilà donc par quoi toute refonte du modèle des ressources humaines doit commencer : la définition d'un nouveau paramètre de dotation budgétaire, plus rigoureux et centré sur les profils de soins.
Venons-en maintenant aux missions proprement dites du personnel, et à celles inexplicablement réduites du médecin coordonnateur. Relégué à des tâches essentiellement administratives, ses attributions se limitent à l'organisation générale du programme de soins délivrés par l'établissement, et ne prévoient d'acte de prescription individuelle que dans les cas d'extrême urgence. Médecin institutionnel et strictement collectif, le statut du médecin coordonnateur a été soigneusement distingué de celui du médecin traitant du résident qui, bien qu'extérieur à l'établissement, reste seul titulaire du pouvoir de prescription. Parce qu'historiquement la maison de retraite se voulait prolongement, et non substitution au domicile, la rupture du lien individuel unissant le patient au médecin de famille au profit d'un médecin d'établissement participait sans doute de l'impression fâcheuse d'une mise en institution de nos aînés.
Force est pourtant de constater que l'incapacité prescriptrice du médecin coordonnateur, souvent spécialisé en gérontologie, connaisseur intime des dossiers individuels des résidents pour avoir donné un avis à leur admission, fait figure de bizarrerie. Outre la simple logique qu'il y aurait à habiliter à prescrire un médecin présent sur place, même à temps partiel, je suis persuadé que cela permettrait de limiter les doublons dommageables entre dépenses couvertes par le forfait global de soins et dépenses de soins de ville auxquelles les consultations de médecins extérieurs donnent inévitablement lieu.
Pour ce qui est du personnel infirmier et des aides-soignants, sur lesquels repose l'essentiel de l'accompagnement quotidien des résidents, un mal-être profond, exprimé le 30 janvier dernier, s'est emparé d'eux du fait d'un alourdissement et d'une intensification de leurs tâches. La plupart des acteurs associatifs que nous avons auditionnés, le président Alain Milon et moi-même, nous ont fait part de leur désir de voir respectées les promesses faites il y a plus de dix ans par le plan de solidarité grand âge (PSGA) d'un ratio « 1 personnel pour 1 résident ». Même si nous nous associons à ce souhait, il ne nous paraît pas réaliste de nous y cantonner en l'état actuel de nos finances publiques ; c'est pourquoi l'essentiel des propositions que je formule en la matière se situent à périmètre financier - et donc à dépenses de personnel - constants. Parmi elles, l'affirmation de dispositifs expérimentaux, qui sont insuffisamment encouragés. Je pense notamment à l'astreinte infirmière de nuit, qui permet de mutualiser certains coûts et surtout d'éviter les hospitalisations d'urgence inutiles, mais aussi à l'extension indispensable au médecin coordonnateur des actes de télémédecine inscrit à la nomenclature générale des actes prescrits. Il me paraît par ailleurs indispensable d'ouvrir aux gestionnaires d'établissements la possibilité d'assouplir, toujours avec l'accord des personnels concernés, certains modes d'organisation du travail. Dans certains cas, l'épuisement ressenti et la possible maltraitance qui peut en découler viennent de plages horaires paradoxalement soit trop réduites, soit trop saccadées et entrecoupées de temps de repos trop courts. Lorsqu'elles rencontrent le souhait des personnels concernés, et uniquement à cette condition, les possibilités d'aménagement du temps de travail doivent pouvoir être pleinement mobilisées par les directeurs, ce qui n'est actuellement pas le cas en raison des rigidités variables selon qu'ils gèrent des établissements publics - où les conditions sont encadrées par décret - ou privés - où elles figurent au sein de différentes conventions collectives.
Une fois posés ces constats et formulées ces propositions de court terme, il m'était impossible de ne pas engager une réflexion plus stratégique sur les impérities manifestes que présente l'offre d'hébergement des personnes âgées dépendantes. Le ressenti exprimé n'est pas que de surface mais va chercher ses racines dans les inadéquations profondes d'un modèle, que je n'ai fait qu'esquisser au début de mon intervention.
Première inadéquation : la dérive sanitaire d'établissements d'hébergement qui sont initialement censés camper un « lieu de vie » et non un « lieu de soins ». Certes, l'entrée de plus en plus tardive en établissement des résidents d'Ehpad a mécaniquement entraîné une augmentation de leur niveau de dépendance et donc un impératif de l'équipement médical de leur nouveau lieu de résidence. Mais je déplore que l'élévation nécessaire du degré de médicalisation de l'hébergement pour certains cas de dépendance importante ait servi d'étalon pour toute l'offre de prise en charge des personnes âgées. Depuis 2014, ce sont des centaines de millions d'euros qui sont explicitement consacrés par chaque PLFSS à la « médicalisation des Ehpad », sans qu'aucun crédit ne soit formellement consacré au développement des solutions intermédiaires d'habitat. Plus grave encore, l'augmentation du forfait global de soins qu'a permise l'intégration du GMPS à son calcul ne s'est nullement traduite par une réduction à due concurrence des dépenses de soins de ville auxquelles les résidents continuent d'avoir recours. L'augmentation du plafond du forfait global de soins ne s'est nullement traduite par une diminution des dépenses de soins individuelles prescrites par ailleurs. D'où la question que je pose aujourd'hui d'une « surmédicalisation » de certains établissements, qui ne remplissent plus leur mission première d'accompagnement de la dépendance, à laquelle s'est substituée une simple mission de veille sanitaire, au demeurant assurée par des personnels légitimement peu motivés par cette perspective.
La loi ASV a créé les résidences-autonomie, comme élément d'une offre d'hébergement intermédiaire entre les anciens foyers-logements, ouverts à des personnes autonomes mais ne désirant plus vivre seules, et l'Ehpad, théoriquement réservé aux cas de dépendance les plus aigus. L'idée était très bonne, et offrait par ailleurs plusieurs opportunités de repenser le financement du grand âge. Quel dommage qu'elle soit aussi négligée par les administrations chargées de flécher les crédits médico-sociaux et qui, de ces deux qualificatifs, semblent parfois oublier le second !
Cette nécessité de repenser le financement du grand âge, certains d'entre vous y ont récemment fait appel en rappelant les débats engagés à propos du fameux « cinquième risque ». Il est urgent de rouvrir ce dossier, sans quoi les réformes paramétriques les mieux intentionnées du monde ne connaîtront pas pleinement d'effet.
La réflexion que je propose d'engager sur la réforme du financement de la dépendance afin d'assurer sa pérennité reposerait sur trois grands principes : premièrement, la clarification des compétences des différents acteurs publics. De toute évidence, le cofinancement des structures d'hébergement pour personnes âgées est un vecteur de complexité qui entrave la gouvernance et complique l'implantation de ces établissements. C'est pourquoi je propose une clarification des compétences autour de la répartition tarification-planification de l'offre : la première reviendrait à l'échelon national, afin de garantir l'homogénéité de la couverture financière de la perte d'autonomie prise au sens large (soins et dépendance) sur le territoire, tandis que la seconde relèverait du conseil départemental, mieux à même d'identifier les besoins à l'échelon local et d'apporter son soutien aux personnes dans le cadre de l'aide à l'hébergement.
En deuxième lieu, je proposerai de mettre fin à la forfaitisation de la dotation dépendance versée aux établissements : le financement des établissements par le versement de dotations forfaitaires calculées à partir des besoins constatés présente le risque réel d'une sélection à l'entrée des résidents les moins dépendants (donc, budgétairement parlant, les moins « rentables » pour l'établissement) et désincite la structure d'accueil à développer le niveau d'autonomie global. L'idée d'un financement par forfait, initialement voulue pour faciliter le pilotage budgétaire des structures, ne semble pas toujours rejoindre l'intérêt personnel de la personne prise en charge. Je préconise donc que le financement de la dépendance repose davantage sur la solvabilisation de la personne accueillie, conformément au modèle de la résidence autonomie, qui peut à la fois bénéficier du forfait global pour les dépenses de soins et qui pour le reste de ses dépenses s'appuie sur les contributions des résidents, soutenus par le versement individuel et non plus forfaitaire de l'APA.
Enfin, je suggère une mobilisation accrue du patrimoine immobilier des résidents : il me semble en effet important que la personne âgée accueillie en établissement puisse mobiliser les ressources tirées non seulement de ses revenus mobiliers, mais aussi de son patrimoine immobilier, qui reste le plus souvent immobilisé et insuffisamment rentabilisé. Plusieurs dispositifs pourraient alors être envisagés : outre la suppression des avantages fiscaux liés à la détention par une personne âgée résidente en Ehpad d'un bien immobilier non occupé, le Gouvernement pourrait développer des mécanismes incitatifs à la signature de viagers ou, et surtout, de baux locatifs préférentiels.
Parvenu au terme de cette mission, je suis plus que jamais persuadé que les enjeux soulevés par la situation des Ehpad vont bien au-delà des aspects actuellement retenus par l'exposition médiatique des mobilisations de personnels. Les chantiers auxquels la ministre des solidarités et de la santé ne peut désormais plus se soustraire sont déterminants et touchent à l'un des plus grands défis qu'il nous faut relever : la prise en charge, dans la dignité, de nos aînés.
Je tire un coup de chapeau au rapporteur, qui, avec son expérience à la tête d'un département, a su traduire la réalité du terrain, ce que les administrations sont parfois en peine de faire. Lors de la loi ASV, j'avais prévenu le gouvernement que le changement de paradigme budgétaire, avec l'instauration de l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRP) et le CPOM posait bien des difficultés.
Reculer la mise en oeuvre de la réforme tarifaire me paraît a priori de bon sens, mais si l'on recule encore la réforme dans le temps, le gouvernement ne mettra plus les moyens prévus. Je ne mets pas en cause la réforme mais ses modalités d'application, et je salue les propositions intelligentes du rapporteur.
Les recours sur successions dissuadent les personnes âgées qui ont une petite ferme agricole de demander une aide sociale, car elles craignent pour leur maigre patrimoine. Il est légitime cependant de maintenir ce recours lorsque, en dépit de très petites retraites, les personnes ont un patrimoine important - des mesures de viager, alors, sont intéressantes, comme toute solution pour gager les biens sans les vendre.
Que le médecin coordonnateur soigne, voilà qui me semble d'un redoutable bon sens, d'une grande évidence...
Alors que la désertification se poursuit, c'est une bonne solution, compréhensible. Mme Cohen, avec qui j'avais mené une mission sur les urgences, sera d'accord avec moi : l'intervention du médecin coordonnateur évitera des hospitalisations gériatriques d'urgence : trop souvent, les personnes âgées finissent leur vie aux urgences. Merci, par conséquent, de ces vraies propositions. Enfin, la proposition, décoiffante, de coupler dépendance et soins pour les personnes en hébergement, me convient.
C'est un travail exceptionnel et très clair. Je suis médecin coordonnateur dans des établissements sociaux pour jeunes handicapés : qu'il soit le médecin traitant évite la sur-médicalisation et n'empêche pas qu'il fasse rapidement appel aux spécialistes en cas de besoin.
Le CPOM manque de flexibilité parce qu'il s'étend sur cinq ans, alors que les personnes entrent en Ehpad en moyenne à 85 ans, et y restent en moyenne deux ans et demi : une durée de trois ans serait donc mieux mieux adaptée.
Chez moi la multiplication des équipes mobiles a permis de maintenir chez elles les personnes âgées dépendantes le plus longtemps possible. Cette prise en charge à domicile pourrait se faire en lien avec l'Ehpad proche. Les 50 millions d'euros pour les établissements en difficulté s'ajoutent, nous dit-on aux 100 millions existants mais dont 72 millions sont destinés à accompagner la réforme de la tarification : 28 millions seulement étaient prévus pour les Ehpad en difficulté.
Le médecin coordonnateur est le plus compétent pour s'occuper des personnes âgées en établissement. Généralement, la personne âgée en maison de retraite est la dernière patiente de la journée, voire de la semaine, dans le cahier de rendez-vous du généraliste... Tant mieux, donc, si le coordonnateur intervient !
Des communes ont lancé des projets d'habitat partagé, mais le montage financier est très difficile : il serait pourtant intéressant de développer ce volet. Et la formation du personnel hospitalier, très peu qualifié pour s'occuper des personnes âgées, devrait être accentuée.
Ce rapport est très clair, sur un sujet compliqué ! J'adhère pleinement à la proposition relative au médecin coordonnateur. On connaît les dérives, qui ont un coût important et qui sont au préjudice des patients...
L'infirmière de nuit d'astreinte ne prendra jamais de responsabilité médicale : le système risque de perdre en efficacité sans médecin d'astreinte, joignable 24 heures sur 24 ; faute de prévoir cela, la médicalisation des établissements sera un échec.
Les conventions tripartites du passé ont laissé place aux CPOM et aux EPRD, et les dotations budgétaires intègrent maintenant le Pathos moyen pondéré : mais celui-ci, fixé à l'arrivée de la personne, n'est pas révisé ensuite, alors que l'entrée en établissement tient précisément à l'existence de polypathologies et que l'état de la personne se dégradera rapidement - on sait qu'elle vivra en moyenne deux ans et demi dans l'établissement. Il y a là un préjudice pour la tarification. L'EPRD est intéressant comptablement, mais il traduit le passage d'une logique de la demande à une logique de l'offre... En outre, un directeur d'établissement m'a montré les dossiers à remplir : c'est effrayant. Où est la simplification ?
Le recours sur succession ne doit pas conduire à pénaliser les petits patrimoines : ce sont souvent les plus pauvres qui veulent absolument léguer quelque chose à leurs héritiers.
Je salue ce travail rondement mené, grâce à une expertise manifeste du rapporteur sur la question. Toutes les problématiques sont mentionnées. Il faut effectivement insister sur la qualité et le nombre des professionnels du quotidien, qui ont une place centrale. La formation des aides-soignants est un problème, car ce métier n'est pas valorisé, peu attrayant, si bien que face à la pénurie, les établissements font appel à des vacataires qui n'ont pas les qualifications pour travailler auprès des personnes très âgées. Le référentiel existe mais il est bloqué par le Gouvernement. En raison des coûts qu'engendrerait le passage d'agents de la catégorie C à la catégorie B. Cela devrait bien sûr s'accompagner de moyens supplémentaires.
Je salue la clarté du rapport, d'autant que les auditions auxquelles j'ai assisté n'étaient pas vraiment limpides...
Le rapport distingue de façon bienvenue les mesures de court terme et celles de moyen terme. Au titre des mesures de court terme, on pourrait aussi porter de 72 ans aujourd'hui à 75 ans la limite d'âge des médecins coordonnateurs. Cela éviterait des carences dans certains établissements. Un alignement des calendriers des multiples financeurs serait également souhaitable, car les collectivités peuvent parfois être réduites à faire l'avance des fonds, sur les dotations des ARS notamment...
Pour le personnel, le temps partagé, séquencé ou partiel me semble une bonne idée, à condition qu'il soit concerté car les intéressés perçoivent des salaires d'environ 900 euros par mois. Il s'agit souvent de femmes seules avec des enfants...et le temps saccadé, séquencé ne peut donc se concevoir qu'assorti d'un revenu décent. Cela fait partie des enjeux de la renégociation du temps de travail. Quant aux droits sur succession, l'aide sociale, précisément, est un droit mais elle emporte aussi des devoirs. C'est la double peine : le reste à charge est conséquent pour la famille, qui subit aussi le recours sur succession. Dans mon département, nous avons d'ailleurs essayé de mettre ce principe de réciprocité entre bénéficiaires et collectivité en oeuvre pour le RSA, ce qui a fait monter au créneau un certain nombre de personnes. Mais le principe vaut pour la dépendance mais également pour les autres aides sociales dispensées par les départements.
Les auditions des syndicats de personnel ont été utiles, et cette mission a été très bien menée. Nous avons beaucoup appris, au lendemain d'une mobilisation sans précédent des personnels des Ehpad. Hélas, ils ont reçu une fin de non-recevoir lorsque leurs représentants syndicaux ont demandé à être reçus par la ministre. Des réponses sont pourtant urgentes, et très attendues.
Les difficultés des établissements sont-elles liées ou non à la réforme ? Le principe d'une égalité de traitement des établissements est vertueux. Mais si le groupe CRC n'a pas voté la réforme (il a été le seul dans ce cas), c'est que cette nouvelle ambition est prévue... à enveloppe fermée ! Chaque fois que l'on habille Paul, plus exactement Korian, groupe d'Ehpad privés où le prix de journée est de 130 euros, on déshabille Pierre, en supprimant des postes dans les Ehpad publics où le prix de journée est de 80 euros. Il faut suspendre l'application de la réforme pour repenser ses modalités de mise en oeuvre.
Le plan de solidarité grand âge visait un taux d'encadrement équivalent à celui en vigueur pour le handicap : un encadrant pour un résident. Nous en sommes encore loin, et loin aussi des standards européens. Dans les hôpitaux, les Ehpad, les directeurs disent qu'ils sont obligés de faire des choix : la maltraitance n'est pas volontaire mais institutionnelle, lorsqu'il est impossible par exemple de donner une douche régulièrement à chaque patient. La situation est inacceptable. Il est également indispensable de monter en qualification : la toilette est faite par des personnes qui ne sont pas formées aux bons gestes envers les personnes très âgées.
Il y a consensus syndical sur la nécessité de monter le plus vite possible à 0,8 encadrant, et dans un délai raisonnable à 1. Il est par ailleurs du ressort de la solidarité nationale, et plus spécifiquement de la sécurité sociale, de financer la dépendance. Nous étudierons les 24 propositions, nous approuvons certaines d'entre elles, d'autres sont plus inquiétantes, je songe à la proposition n° 12 sur les conditions de travail ou la n° 9 sur la délégation de compétence et le recours au financement fiscal.
Le manque de personnel est criant, il faut soutenir et renforcer la formation, et embaucher des personnes plus mûres, non des très jeunes.
Les établissements embauchent qui se présente ! Ils n'ont pas l'embarras du choix !
Il y a aussi l'âge d'admission en Ehpad qui est peut-être à revoir. Certains handicapés, qui ont moins de soixante ans, ne peuvent plus être pris en charge par leurs parents vieillissants et ne trouvent pas de place dans les maisons de retraite. Le sujet a-t-il été évoqué durant les auditions ?
La loi ASV a apporté quelques crédits à l'aide à domicile, via la reconnaissance des aidants et les résidences-autonomie. Les personnes néanmoins veulent rester chez elles, et les hébergements temporaires, les accueils de jour, les résidences-autonomie ont donc une audience limitée. Les résidents qui arrivent dans les Ehpad sont déjà très dépendants. Un mot du médecin coordonnateur : il appelle le médecin traitant pour discuter du patient, les choses se passent bien le plus souvent ! Et s'il y a trop de prescriptions, il faut une éducation globale sur le sujet. Pourquoi ne pas décider de fixer une limite à cinq médicaments par jour et par patient ?
Une infirmière de nuit d'astreinte pour plusieurs établissements, cela n'a aucun intérêt, sauf celui de consommer des crédits. Une présence de 14 ou 16 heures par jour, en revanche, oui, cela a du sens, pour préparer le coucher comme le lever.
Un mot sur le PMP et le GMPS : la loi ASV n'a rien fait pour les Ehpad, mais elle a apporté une formule mathématique extraordinairement complexe. Il faut revenir sur ce point car les directeurs et leurs interlocuteurs dans les ARS passent un temps infini à ces calculs.
J'ai rencontré les syndicats, les directeurs d'établissement, dans mon département : le problème le plus crucial est le manque de bras. Mon Ehpad compte 86 lits, avec un GMP à 730, et seulement 0,56 encadrant par pensionnaire. Passer à 0,7 coûterait 1,2 milliard d'euros, c'est une grosse somme, mais il faut le faire. Le lever, la toilette, les repas, les changes : le personnel est lancé dans une course perpétuelle. Les aides-soignants souhaitent être mieux encadrés par les infirmiers. Il faut arrêter d'embaucher d'autres professionnels et se concentrer sur ces deux catégories. Le plan Bas de 2006 visait 1 pour 1. Parvenir à 0,7 serait déjà un progrès formidable.
Je salue cet excellent travail de croisement et de transversalité des problématiques. Les Ehpad sont un monde à part dans le médico-social. Aujourd'hui, l'absentéisme est très important en raison du vieillissement du personnel, qui ne peut plus manipuler les personnes grabataires. Sur l'âge minimum des patients, 60 ans, je m'interroge moi aussi : où placer les personnes victimes d'AVC à 55 ans ? C'est l'état de dépendance, non l'âge, qui devrait primer.
Il y a manifestement un gros problème d'organisation des ressources humaines. Dans les établissements publics, celui qui décide du recrutement n'est pas, en dernier ressort, celui qui travaillera avec le nouveau venu. Or, si le président du conseil départemental et le directeur ne s'entendent pas, c'est très ennuyeux pour le fonctionnement de la structure.
Enfin, M. Watrin a parlé de maltraitance : mais c'est terminé, aujourd'hui on parle, dans l'agglomération lyonnaise, de bientraitance !
Oui, mais cela coûte cher et il faut rédiger des rapports à tout propos, si bien que les professionnels passent un temps infini à gratter du papier au lieu d'être sur le terrain. Si nous parvenions à un rapport de 1 à 2 entre les encadrants et les patients, je serais déjà content ! Heureusement qu'il y a les stagiaires, les contrats de professionnalisation, l'apprentissage. Ces postes attirent des jeunes non qualifiés, mais qui peuvent être formés ! Les obligations de gestion sont aujourd'hui inadéquates par rapport aux dotations accordées. À périmètre constant, sans priorité affichée dans le budget de l'État, on n'y arrivera pas...
Je suis réservée sur le rôle que vous voulez donner au médecin coordonnateur : une personne peut accepter un hébergement en Ehpad à la condition de conserver son médecin généraliste.
Les grandes difficultés du personnel soignant se répercutent sur les résidents. Contrairement à ce que l'on observe à l'étranger, il n'existe pas en France de norme minimum d'encadrement. Il y a 55 professionnels pour 100 résidents, quand il en faudrait 80.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
Nous avons testé dans ma commune une solution intermédiaire d'habitat, la résidence pour personnes âgées à caractère social. La sécurité sociale a versé une aide pour l'achat d'une plateforme de services. Maîtresse de maison, animatrices, accompagnatrices de contrats en alternance, en tout 35 personnes sont présentes nuit et jour. Il s'agit de retarder la dépendance, et c'est un modèle nouveau à La Réunion, de nombreuses municipalités sont venues visiter la résidence. Le bailleur a construit sur la ligne budgétaire unique (LBU), et les personnes paient un loyer (modique) grâce à l'allocation logement.
Merci au rapporteur Bonne. Il n'y a rien de plus complexe que le financement du médico-social, et je félicite ceux de nos collègues qui le comprennent ! Chaque réforme s'accompagne d'une nouvelle usine à gaz, et les résultats sont rarement ceux que l'on attendait. C'est une charge redoutable pour les ARS, les départements, les établissements : le temps passé à étudier et monter les financements croisés, c'est autant de moins consacré aux résidents. Pourquoi ne parvient-on pas à simplifier cela ? Le mystère reste entier pour moi... pour nos concitoyens, les Ehpad sont synonymes de nombre de places insuffisant, prix de journée trop élevé, maltraitance. La réalité est pourtant différente, les places existent... mais surtout dans le privé, où elles sont coûteuses. Il y a trois catégories d'établissements, publics, privés non lucratifs, privés lucratifs, et dans ces derniers le taux de rentabilité est très élevé, c'est un placement en or ! Forcément, pour y arriver, on comprime les coûts, à commencer par les frais de personnel. Absence d'investissements publics, établissements confiés au secteur privé : ce sont de mauvaises orientations.
Pourquoi n'avez-vous pas débloqué de l'argent quand vous étiez secrétaire d'État aux personnes âgées ?
Parce qu'il n'y en avait pas ! Quant aux fonctions du médecin coordonnateur, j'ai buté sur le corporatisme, qui a bloqué toute nouvelle discussion. Certaines propositions du rapporteur conduisent à réduire les dépenses d'assurance maladie, mais ces sommes ne reviendront pas au secteur médico-social ! Bien entendu, les choses ne sont pas si simples, en raison des différences locales concernant la démographie médicale. Mais il faut effectivement ouvrir au médecin coordonnateur la possibilité de prescrire.
Enfin, sur la reprise sur succession, on ne saurait en attendre des fortunes. M. Daudigny signale ainsi que dans l'Aisne, 25 % des résidents perçoivent l'aide à l'hébergement ; bien peu d'entre eux ont un patrimoine que l'on peut récupérer...
Il n'y aura aucune solution sans financements massifs nouveaux, pas de financement des Ehpad sans créer le cinquième risque. Celui-ci suppose des cotisations nouvelles, si bien qu'aucun gouvernement n'a voulu s'y atteler.
Je ne crois pas qu'il y ait de maltraitance de la part du personnel, pourtant épuisé, à bout. En revanche, la maltraitance quotidienne, c'est ce que l'on donne à manger aux résidents. Comment s'étonner ensuite de la sous-nutrition, de la dénutrition ?
L'idée du cinquième risque a été abordée sous la mandature de M. Sarkozy. Mais quand j'ai proposé à la secrétaire d'État, Mme Delaunay, de retravailler sur la question, je n'ai pas été très bien accueilli.
Chaque Ehpad a une histoire, et il n'est pas facile de gérer ce type d'établissements, lorsque l'on attend les accords de la tutelle et les fonds au milieu de l'année seulement...
L'hébergement représente la moitié du budget. Les départements ne parviennent plus à tout financer, les établissements ont donc pour instruction d'augmenter de 0,3 % le prix de journée, et les directeurs doivent établir leurs budgets sur cette base. Les statuts professionnels sont divers, des agents de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale cohabitent dans une même équipe, sans cohérence des primes et rémunérations...
À l'époque des contrats de plan État-région, les charges d'investissement étaient couvertes à 80 %, elles ne pesaient pas sur le prix de journée. Il en va différemment aujourd'hui, faute de financements publics disponibles. Les maires ont tous voulu leur maison de retraite à 50 lits, sans soins, mais à présent il faudrait 70 places...
Le médecin coordonnateur devrait prioritairement s'attacher à établir un lien avec l'hôpital voisin. Il faut une bonne harmonie entre les deux. Mais bien sûr, si l'hôpital se situe à 50 kilomètres, cela pose problème.
Un rapport de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie comme les travaux du Sénat ont plaidé pour le cinquième risque. Je m'y suis beaucoup engagé... Mais le débat de ce matin le montre, nous n'avons toujours pas de réponse face à l'allongement de la vie. Le cinquième risque était ambitieux : il s'agissait d'un droit universel à une aide en cas de perte d'autonomie, pour toute personne et quelle qu'en soit la cause. Mais cette idée a buté sur la crise de 2008 et aucun des gouvernements successifs n'a réussi à la développer.
Pour l'heure, on réduit le nombre de postes dans les établissements publics, on en crée dans les établissements privés. Pourrait-on avoir des explications sur ce point ?
Ces établissements de soins sont d'abord des établissements de vie. Il convient d'avoir une vision plus large des besoins des personnes. Le personnel d'animation et d'accompagnement peut modifier la vie quotidienne, comme une animatrice l'a fait dans un établissement que je connais : les habitants de la commune ont découvert ces résidents, qui sont enfin sortis dans les rues... Bien sûr, le personnel soignant était moins disponible pour les soins, mais la qualité de vie y a gagné. Il en va de même pour la prévention.
Merci pour cet excellent rapport. Certes, la mission du médecin coordonnateur doit être revue, mais je suis quelque peu en désaccord avec la huitième proposition qui prévoit de « proscrire le cas de cumul de fonctions de médecin coordinateur et de médecin traitant d'un résident ». En zone rurale, il est parfois difficile de recruter un médecin coordonnateur dans un établissement. En outre, lorsqu'il est en activité, il peut avoir quelques patients dans l'établissement. Comment lui interdire de prescrire ?
Merci d'avoir rappelé que les projets de loi de financement de la sécurité sociale ne consacraient aucun crédit au développement des solutions intermédiaires d'habitat. Je regrette qu'on oublie toujours l'accueil familial regroupé.
L'accueil familial existe depuis longtemps mais il n'est pas encouragé. L'accueil familial regroupé est une solution intermédiaire entre le domicile et l'établissement. Il serait bon de l'évoquer dans ce rapport.
Ce sujet a intéressé tout le monde. La mission a duré moins d'un mois : les auditions ont donc été limitées. Nous nous étions fixé comme objectif de proposer des solutions à court et moyen terme, mais nous savions que cela ne règlerait en rien le problème de fond de la prise en charge des personnes âgées. La principale question tient au financement : nous devrons donc reparler du cinquième risque.
J'ai proposé quelques mesures et je suis d'accord avec la plupart des solutions que vous avez préconisées. En ce qui concerne les recours sur succession, les personnes âgées ont du mal à en accepter l'idée. Je propose de modifier le seuil de recouvrement sur succession en le faisant passer de 46 000 euros aujourd'hui à 300 000 euros.
Vous m'avez interrogé sur les établissements à but lucratif qui bénéficient de dotations et des modifications des tarifications. Pour ce qui concerne les soins, tous les établissements ont perçu un surplus de dotations. En revanche, les départements ont été obligés de calculer un point Gir à moyen constant. Ils ont donc pris l'ensemble des dépenses et ils les ont réparties au niveau des établissements, quel que soit leur statut, d'où l'augmentation des dotations versées aux structures privées à but lucratif.
Je propose de simplifier la double tarification, qui impose une entente obligatoire entre les présidents de département et l'ARS. Il me semblerait préférable de confier l'ensemble des dépenses de soin et de dépendance à l'ARS tandis que le contrôle du prix de l'hébergement et de l'aide sociale serait du ressort du département.
Pour les Ehpad, qui sont de plus en plus médicalisés et reçoivent des personnes de plus en plus dépendantes, il serait logique que les dotations soient globalisées.
J'ai été à une époque médecin salarié d'établissement. Ensuite, ce ne fut plus possible et à chaque fois que je me déplaçais, je remplissais une feuille de soins et mes soins de ville étaient facturés. Puis le médecin coordonnateur a été créé, mais sans droit de prescrire, alors qu'il connaît les patients, ce qui est vraiment paradoxal.
Aujourd'hui, les médecins traitant effectuent leurs consultations en Ehpad en fin de journée, quand ils en ont le temps. Le personnel attend leur venue, sans savoir à quelle heure elle interviendra. Ce n'est pas sain. Les médecins de famille ont quasiment disparu aujourd'hui : souvent ils sont regroupés et ils disposent de fichiers communs de patients. Il faut donc permettre au médecin coordonnateur de prescrire également. Les médecins traitants ne s'en offusqueront pas, loin de là. Je vois dans cette réforme une source d'économie considérable et beaucoup plus de sérénité pour le personnel.
Le métier d'aide-soignant mérite d'être mieux reconnu et revalorisé. Mais c'est aujourd'hui impossible à moyen constant, sauf à le prévoir dans le temps.
Il faut éviter autant se faire que peut l'hospitalisation des personnes âgées. Mieux vaut faire intervenir des personnels d'astreinte dans les établissements que de déplacer les personnes.
Encourageons l'habitat partagé et les résidences-autonomie, d'autant qu'aucune autorisation des ARS n'est nécessaire.
Lorsque j'étais responsable des affaires sociales de mon département, il avait été question de supprimer les résidences-autonomie...
Tout à fait. Aujourd'hui, tel n'est heureusement plus le cas : on cherche à éviter la médicalisation, même si les crédits fléchés des ARS n'y incitent pas.
L'infirmière de nuit n'est certes pas la solution idéale et n'évitera pas le recours au médecin. Mais elle permettra de tranquilliser les personnels non compétents pendant la nuit. Je rappelle que tous les services d'urgence reposent sur les Samu entre minuit et huit heures du matin. Cela coûterait une fortune de faire appel aux Samu dans les Ehpad.
Il faut ouvrir aux médecins qui n'ont plus envie d'exercer en libéral le rôle de médecin coordonnateur... mais avec une limite d'âge.
L'accueil dans les Ehpad de personnes handicapées dès l'âge de 50 ou 55 ans ferait faire des économies, car le département règle les journées de ces personnes.
Vous avez obtenu les réponses à toutes vos questions. Je vais mettre aux voix la publication de ce rapport.
Nous n'approuvons pas forcément l'intégralité du rapport mais nous souhaitons qu'il soit publié.
La publication du rapport d'information est autorisée.
À l'avenir, il nous faudra travailler sur le financement de la dépendance.
Suite à vos réactions sur l'amendement du Gouvernement sur la proposition de loi relative à la revalorisation des retraites agricoles, j'ai procédé à diverses consultations. Certains présidents de groupe y étant hostiles, la réunion qui avait été envisagée entre eux et le président du Sénat n'aura pas lieu.
Mieux vaut donc voter ce texte amendé et attendre de voir la position qu'adoptera l'Assemblée nationale.
J'ai bien compris - et je partage - la colère de chacun car le Gouvernement ne montre pas de grande considération pour le Parlement. Le débat de ce soir aura lieu et il ne sera pas facile. N'oubliez pas non plus que les ministres doivent faire preuve de solidarité gouvernementale.
Je ne suis pas d'accord ! Les ministres sont nommés par le président de la République et par le Premier ministre alors que les parlementaires sont élus. Ils n'ont de compte à rendre qu'à leurs électeurs. Mon groupe votera ou s'abstiendra sur ce texte, mais il ne votera pas contre.
Merci pour ces consultations mais, en définitive, il ne se passera rien.
La réunion est close à 11h55.