Monsieur le président, madame et messieurs les sénateurs, nous vous souhaitons la bienvenue dans la maison des outre-mer qui est un peu la vôtre.
L'annonce de la bascule de France Ô vers le numérique a provoqué chez nous un électrochoc. Nous avons dû gérer cela positivement. Nous avons été amenés à nous interroger sur ce que nous sommes, sur notre place dans le groupe et sur la place de l'outre-mer dans le pays. Alors que notre vocation est de faire des programmes, nous avons été amenés à trouver des réponses à ces questions. Au sein du groupe, nous avons pris conscience d'une méconnaissance réciproque : nous nous connaissions mal dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'information ou des programmes. À l'échelle du groupe, nous venons de vivre une expérience très enrichissante. Eu égard à mon ancienneté dans la maison, je pense que c'est la première fois que cet exercice est réalisé.
Nous avons eu la volonté de trouver des solutions crédibles et qui s'inscrivent dans la durée sur un type de dossier qui ne se présente qu'une fois tous les vingt ou trente ans. Nous avons essayé de gérer cette situation compliquée, dans la transparence, avec nos équipes, avec les partenaires sociaux - que vous allez rencontrer et qui portent nos inquiétudes comme celles des salariés - et avec vous, les élus. C'est notre avenir, à nous tous, qui se joue. Nous souhaitons que cette rencontre vous permette de visualiser cette France qui n'est pas dans l'hexagone, répartie un peu partout dans le monde, de comprendre comment nous faisons pour diffuser à la fois à Wallis-et-Futuna, à Mayotte, à La Réunion,... cette complexité qui est notre richesse.
Monsieur le directeur exécutif, les membres de notre Délégation sénatoriale aux outre-mer vous expriment leur reconnaissance de les accueillir aujourd'hui au siège de France Ô. Nous tenions beaucoup à cette visite en cette période charnière pour le devenir des outre-mer dans l'audiovisuel public.
À la suite de votre appel consécutif aux annonces de suppression de France Ô des fréquences hertziennes et du basculement sur le numérique, notre délégation avait tenu à vous recevoir, le 5 juillet dernier au Sénat, ainsi que des représentants des salariés et du collectif « Sauvons France Ô » après avoir auditionné la commission, constituée par le Gouvernement, qui nous avait assuré que rien n'était décidé. Nous avions fait ce travail préliminaire qui nous paraissait absolument nécessaire pour comprendre ce qui se passait. Par la suite, l'inquiétude suscitée par cette annonce, la confusion qui régnait autour de la notion de bascule vers une plateforme numérique et l'absence de garanties pour la prise en compte d'une réelle représentation des outre-mer dans l'espace audiovisuel public ont conduit notre délégation à se saisir pour faire toute la lumière sur ce sujet majeur que constitue la visibilité des outre-mer sur les ondes du service public, sans idée préconçue de la conclusion de nos travaux. La réforme de l'audiovisuel français, annoncée par le Gouvernement, est une réforme importante mais il nous fallait comprendre la place qui allait être accordée aux outre-mer et à France Ô. Nous avons ainsi désigné comme co-rapporteurs M. Maurice Antiste, sénateur de la Martinique, et Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, qui a également des attaches outre-mer. Le Gouvernement a également créé un groupe de travail - comprenant quelques parlementaires - dont les travaux ne sont pas en contradiction avec les nôtres dans la mesure où sa tâche principale est de définir les indicateurs capables d'évaluer ce qui se passera sur les chaînes publiques et les moyens du contrôle. Cependant, le choix de réunir ce groupe de travail le jeudi matin, jour de réunion des délégations sénatoriales imposé par le règlement du Sénat, rend notre présence très compliquée et a conduit certains d'entre nous à renoncer à leur participation.
Comme vous le savez pour avoir pu suivre l'audition en direct, nous avons ouvert nos travaux la semaine dernière en recevant au Sénat le ministre de la culture, M. Franck Riester. Nous avons entendu le même jour des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dont son président M. Olivier Schrameck. Nous entendrons demain Mme Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, puis ultérieurement les chaînes La 1ère, les producteurs... afin de nous rendre compte de la situation réelle et de formuler des propositions intéressantes.
Nous comptons aujourd'hui sur vous pour nourrir notre réflexion. Votre analyse de la situation, vos mises en perspective par rapport au passé comme vers l'avenir nous seront précieuses.
M. le directeur, vous nous avez dit que nous devions nous sentir ici chez nous. Je vous souhaite donc la bienvenue !
Si nous sommes ici chez nous, j'espère que nous ne serons pas SDF dans peu de temps ! Nous souhaitons que France Ô reste présente pour représenter tous nos territoires. Il faut garder espoir et j'espère qu'il n'est pas trop tard.
Votre visite nous honore. Je voudrais rappeler que la décision de fermer la diffusion hertzienne de France Ô a été prise par le Gouvernement l'été dernier. C'est une décision du Gouvernement et non de France Télévisions. Nous avons inscrit cette réforme dans un champ plus général de réformes que nous sommes en train de mener au sein de notre entreprise pour la rendre plus transverse et plus agile, en prenant soin de nous concerter avec les équipes et de consulter les salariés à tous les niveaux. Nous souhaitons tirer profit de cette décision pour mieux exposer les outre-mer sur nos différentes antennes, en partant du constat que la situation actuelle est insatisfaisante.
Votre visite d'aujourd'hui nous permettra de préparer au mieux votre audition de Mme Delphine Ernotte, sans empiéter sur ce qu'elle aura à vous dire, notamment en matière de propositions, de compensations et de suggestions de solutions. Nous souhaitons vous présenter aujourd'hui, de la façon la plus complète et la plus transparente possible, comment France Ô et les chaînes La 1ère travaillent ensemble à l'heure actuelle pour exposer la diversité des outre-mer.
L'offre de médias de référence des outre-mer du pôle outre-mer de France TV est constituée :
- du réseau des outre-mer La 1ère, avec 9 radios, 9 télévisions et 9 sites web, auxquels s'ajoutent plusieurs dizaines de médias locaux ;
- de la station France Ô, située à Malakoff, qui comprend une radio, une télévision, la plateforme France.tv et une offre de médias sociaux.
Les moyens techniques de chacun des sites ultramarins et de la station de Malakoff sont importants. Nous avons en général dans chaque station une régie et deux plateaux de télévision, deux studios et deux régies radio - spécificité du pôle outre-mer, avec une véritable histoire -, ce qui permet une continuité d'antenne 24 heures sur 24. Nous disposons de moyens de captation légers ou lourds pour des événements ou des spectacles avec des camions-régie ou des camions-radio. L'évolution de la technologie nous permet d'aller vers des moyens de plus en plus légers, nous rendant ainsi plus agiles et plus disponibles.
Nous disposons également de moyens de transmission légers de type parabole pour les informations et les directs, mais également de plus en plus de type 3G et 4G. Comme avec les téléphones portables, le son et les images passent par le réseau téléphonique et peuvent être transmis partout dans le monde. Les images d'une caméra équipée de ce système à Mayotte peuvent être réceptionnées sur les serveurs de Malakoff. Dans la mesure où cela nécessite un bon développement des réseaux de transmission des territoires - ce qui n'est pas toujours le cas - nous combinons les deux systèmes.
Nous disposons ensuite de toute une infrastructure de post-production images et son pour le montage, les infographies, le mixage.
Nos 9 stations, et Malakoff évidemment, bénéficient d'un équipement complet qui permet notamment de servir le programme d'information, avec un plan de renouvellement régulier. Ainsi, la Martinique dispose depuis peu d'un nouveau studio de radio. Nous faisons de plus en plus de radio filmée et sommes sur ce plan des pionniers.
La partie web est en plein développement, avec des services dédiés. Cela se traduit par la mise en place de social rooms, des espaces aménagés pour favoriser le dialogue dans lesquels nous utilisons des téléphones portables ou de petites caméras.
Malakoff est le centre principal de diffusion et d'échanges, avec 9 points d'échanges depuis les stations.
Depuis trois ans, nous rapprochons nos médias radio/télévision/web. Nous avons un directeur des contenus et un rédacteur en chef de l'ensemble des trois médias que nous ne séparons plus. Nous sommes une des télévisions les plus importantes dans le Pacifique et nous ne le valorisons pas assez. Il en est de même dans la Caraïbe et nous travaillons pour mieux assurer cette responsabilité régionale.
Nous cherchons à optimiser les transmissions planétaires. Le site de Malakoff n'est pas uniquement dédié à France Ô ; ses moyens sont mutualisés, mis à disposition des stations quand elles souhaitent alimenter des programmes ou en réaliser en commun. Pour cette mutualisation, il nous faut un maillage performant, ce que nous appelons « les contributions » - en amont de la diffusion -, c'est-à-dire un réseau d'échanges entre toutes les stations en temps réel, non visible par le public, des datas ou données médias. Ce réseau, géré par des nodaux techniques, est entièrement constitué de fibres optiques. Les bureaux locaux - comme à Koné en Nouvelle-Calédonie - sont reliés à la station principale de chaque territoire et ces stations principales sont elles-mêmes reliées avec le centre d'échanges de Malakoff au moyen de contributions principales par le réseau de fibres optiques. Concrètement, la station envoie un signal, récupéré par un opérateur choisi dans le cadre d'un appel d'offres pour 3 à 5 ans - le plus connu est TDF -, à Malakoff qui l'aiguille vers un autre territoire. À Malakoff, nous supervisons toutes les liaisons, souvent redondées par des boucles. Ainsi, les signaux de La Réunion peuvent nous parvenir par deux chemins. Ces boucles nous ont servi lorsque les fibres optiques qui nous reliaient à la Guyane ont été coupées pendant deux jours. Les solutions peuvent passer par les territoires voisins quand il y a des accords entre opérateurs ou par des liaisons satellites (récemment à Wallis-et-Futuna) ou, en dernier recours, par l'internet public, un peu moins fiable et un peu plus lent.
Tous les signaux sont envoyés à la tête de réseau et passent par Paris via le multiplexeur (MUX) d'un opérateur désigné dans le cadre d'un marché public avant d'être redirigés vers les 9 territoires, Nous avons recours aux satellites pour couvrir tous les territoires, notamment pour la Polynésie, avant que les signaux ne soient transmis par les émetteurs de TNT locaux. Les satellites alimentent également la diffusion directe pour les abonnés à des opérateurs satellites comme Canal+ ou Orange.
Il a fallu élaborer une solution technique nationale là où les décisions éditoriales sont locales. Le responsable éditorial fait la programmation et la diffusion est assurée techniquement par le réseau.
Le centre technique de Malakoff centralise la programmation de chaque station et diffuse les programmes en temps réel. Chaque station a la capacité de faire sa propre programmation. Elle fait une liste, programme des émissions et leur ordre de passage ; tout cela est transmis à des serveurs qui diffusent les programmes. Si une intempérie intervient localement, nous sommes en mesure de prendre la main sur le programme pour diffuser un signal d'alarme ou d'alerte. Nous avons à Malakoff deux salles de diffusion et un nodal - lieu où nous faisons tous les routages de tous les signaux - que vous pourrez visiter dans l'après-midi.
À Malakoff, avez-vous la possibilité de modifier le programme d'une station locale ?
Nous pouvons répondre à une demande locale. Le reste du temps, nous n'intervenons qu'en cas d'urgence comme par exemple la survenance d'un attentat. Nous appliquons le principe de la centralisation technique et de la décentralisation de la ligne éditoriale.
Parmi nos principaux projets techniques, je peux citer :
- la relocalisation récente de la station de la Martinique sur cinq étages de la tour Lumina et la rénovation à venir de la station de Mayotte. À chaque fois, nous renouvelons l'ensemble d'une station avec les dernières technologies disponibles. Ce sont des chantiers de deux ou trois ans. Nous coordonnons l'ensemble, donnons les grandes orientations stratégiques en termes d'évolution et faisons le lien technologique avec les directeurs régionaux des stations dans le cadre d'un dialogue permanent ;
- depuis un an et demi, nous effectuons progressivement la bascule en HD de nos moyens de fabrication, de transport et de diffusion, hors TNT encore en Standard Définition (SD). Le système sera fonctionnel en septembre 2019. Les personnes qui reçoivent les signaux par satellite directement ou par fibre optique pourront avoir la HD qui arrivera au pied de l'émetteur TNT diffusant en SD ;
- la mise en place, dans les deux ans, de moyens de fabrication transmédia (numérique, radio et télévision) afin de mutualiser les ressources. Nous n'aurons plus une régie radio ou télévision ou web mais un outil de fabrication commun pour optimiser nos moyens, mutualiser nos ressources. À Malakoff, nous allons rebondir sur la fin de France Ô pour mettre ce sujet en avant et le déployer ensuite sur les autres sites. Notre volonté est d'avoir en 2021 un outil performant ;
- une optimisation des moyens spéciaux pour les catastrophes naturelles avec trois éléments : des téléphones satellitaires, un système léger constitué d'un ordinateur avec des antennes - utilisé sur les terrains de guerre - et un système intermédiaire composé d'une petite parabole portable de 30 kilogrammes qui intègre un routeur wifi permettant aux citoyens de communiquer avec leur famille et qui possède une capacité réelle en termes de datas.
La décision de s'équiper a été prise par le groupe à la suite du cyclone Irma.
Pour l'instant nous disposons de trois équipements. Nous en faisons tourner deux d'un bassin océanique à un autre sur les périodes cycloniques. Nous espérons pouvoir en acheter deux supplémentaires.
Le système est redondé mais si les satellites ne permettent plus d'assurer les liaisons, en dernier recours, nous avons la capacité, avec l'opérateur sur place, d'établir une commutation qui permet aux stations d'émettre directement sur les antennes TNT. Un test a été effectué l'année dernière en Guyane ; cela fonctionne mais il y a des procédures d'autorisation à faire valider. La radio est émise depuis la station.
Le Gouvernement entend réformer l'audiovisuel public et l'une de ses premières décisions consiste à supprimer France Ô de la TNT. Je constate que vous disposez déjà d'un réseau efficient de fibre optique. Son utilisation entraîne-t-elle des coûts supplémentaires ? J'ai rendu un rapport au Gouvernement sur la continuité numérique et les surcoûts liés à l'utilisation du téléphone dans la zone Caraïbe, dû au fait que ce sont des opérateurs étrangers - basés notamment à Miami - qui décident du prix de la communication téléphonique. Rencontrez-vous des blocages sur l'acheminement des signaux ? On nous a expliqué que le satellite était dépassé et qu'il fallait désormais tout passer par la fibre optique. Pourtant, les autres chaînes de l'audiovisuel public vont continuer à utiliser les satellites. Que va gagner le Gouvernement dans la disparition de la partie satellitaire ? Les réformes vont-elles améliorer quelque chose ? Prenez-vous en considération les petits moyens de communication tels que les réseaux sociaux, Whatsapp, Messenger qui ont énormément dépanné au lendemain de la catastrophe Irma ?
Dans son communiqué du 19 juillet 2018, le Gouvernement indiquait clairement l'objectif de libérer le canal hertzien de France Ô en métropole. Cette réforme ne touche pas les chaînes La 1ère. Il est indispensable de le rappeler. Au contraire, il nous est demandé de renforcer leur leadership. Mme Delphine Ernotte vous expliquera demain comment nous envisageons de procéder. Le fait de fermer le canal hertzien aura nécessairement des impacts sur les chaînes La 1ère car elles travaillent de plus en plus en synergie avec France Ô.
Dans son discours lors de la clôture des Assises des outre-mer, le Président de la République a considéré que France Ô servait trop souvent d'alibi ou de prétexte aux autres chaînes de France Télévisions pour ne pas mieux et davantage exposer les outre-mer. Nous sommes d'accord avec ce constat. L'objectif est de normaliser la présence des outre-mer dans les programmes, les fictions et l'information, d'acquérir un réflexe ultramarin. Que fait-on du canal hertzien qui sera libéré en même temps que celui de France 4 ? Ce n'est pas à France Télévisions d'avoir une position sur ce sujet. Les canaux hertziens relèvent du domaine public de l'État. C'est à lui de décider, sous le contrôle du CSA. Nous avons bien une petite idée, liée à la lutte contre les fausses informations : nous avons le sentiment que la France gagnerait à disposer d'un bloc de numérotation des chaînes d'information regroupé. Il faudrait également s'intéresser à la possibilité de diffuser en HD dans un certain nombre d'endroits, en utilisant mieux les fréquences hertziennes libérées.
Pour l'instant, non. La réforme nous bouscule et nous incite à rapprocher nos radios/télés/web. Nous pensions que la radio appartenait au passé mais nous nous sommes aperçus qu'elle est un instrument très important de conquête du web.
Radio France, service public, partenaire de France Télévisions, parle beaucoup de l'outre-mer. Chaque jour, nous fabriquons à Malakoff plusieurs produits de radio à destination de France info la radio, de France inter et de France bleue. Nous disposons d'une véritable marge de manoeuvre sur la radio nationale pour travailler sur la visibilité des outre-mer.
Les ultramarins, partout dans le monde, peuvent avoir envie d'accéder rapidement à des données, des informations et des images qui les concernent directement. N'y a-t-il pas un risque de dilution ? France Ô était identifiée. Comment les ultramarins feront-ils pour accéder aux informations relatives à leurs territoires sur les chaînes publiques ?
Une offre numérique sera mise en place. Notre réflexion sur le numérique est à trois niveaux : comment renforcer notre emprise locale car il en va de la cohésion de nos territoires ; comment être présents dans toutes les offres de France Télévisions ; comment créer un portail de l'outre-mer. Tout cela sera finalisé en mars.
Pourriez-vous nous adresser un organigramme détaillé des chaînes de France Télévisions ?
Pourrait-il y avoir un motif budgétaire non avoué dans la réforme de France Ô ?
J'ai quelques difficultés à vous répondre ; il faudrait poser la question au Gouvernement !
En effet, les salariés sont inquiets ; nous en parlerons avec eux en fin d'après-midi.
L'objectif de donner davantage de visibilité aux outre-mer est louable mais cela doit-il passer par cette réforme ?
Quelles garanties avons-nous ? Après avoir entendu le CSA, nous nous interrogeons sur ce qui se passera si les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous : qui prendra la décision de sanctionner si le cahier des charges n'est pas respecté ?
Ce point pourra être examiné demain lors de l'audition de Mme Delphine Ernotte.
France Télévisions est sans doute l'une des entreprises les plus régulées, les plus contrôlées en France. Nous rendons compte de notre activité de manière régulière, périodique au Gouvernement - à la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture - et au Parlement. La présidente Delphine Ernotte est auditionnée plusieurs fois par an par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat et nous sommes disposés à discuter avec vous des moyens de renforcer ce dialogue et ces méthodes de contrôle. Quant au CSA, il est sans doute l'un des régulateurs les plus méticuleux - parfois tatillon sur certains sujets - de ce que nous faisons. Si des éléments sont inscrits dans notre cahier des charges à l'issue de cette réforme, nous les respecterons. Nous rendons compte devant un conseil d'administration, le CSA, les assemblées parlementaires et leurs commissions permanentes.
Je vous propose de visiter maintenant nos locaux.
Visite des salles de diffusion et du nodal
Comme vous pouvez le voir, sur une playlist - que nous appelons « trafic » - fabriquée dans chaque station en fonction de sa ligne éditoriale, chaque ligne correspond à un programme ou un événement. Les éléments diffusés font appel aux programmes préalablement remontés sur Malakoff et indexés dans les serveurs. S'il s'agit d'un direct, une commutation automatique est mise en place sous l'oeil vigilant des techniciens - ici présents - et du chef de chaîne qui a une vision globale de la cohérence des programmes et peut intervenir en cas de problème.
Au cours des échanges, il est précisé qu'une banque de programmes a été créée à Malakoff. Elle achète, produit, échange des programmes et les met à disposition de chaque station. Chaque semaine, les stations vont dans cette banque de programmes, établissent leur grille et l'envoient vers Malakoff où elle est traitée informatiquement. Les programmes circulent entre toutes les stations mais ne sont pas ordonnancés de la même manière selon les jours de diffusion et les décalages horaires.
Je suppose qu'il existe une relation financière entre France Ô et chacune des stations. Le basculement de France Ô sur le numérique aura-t-il des conséquences en la matière ?
La banque de programmes est un investissement commun. Les chaînes savent ce qui est à leur disposition. Chaque station dispose d'un budget qui lui donne une autonomie de décision. Depuis trois ans, nous essayons de mettre en place un partage entre France Ô et les chaînes La 1ère. La disparition de France Ô aura un impact sur ce plan, d'où l'idée de sanctuariser un budget de coopération avec les stations et d'aide au développement du numérique.
Le risque est-il que les chaînes La 1ère disposent de moins de moyens ou de documents ou que la réforme ait pour conséquence de devoir leur donner un budget supérieur afin qu'elles puissent produire davantage elles-mêmes ?
Le risque est que l'on considère que les stations doivent adapter leurs ambitions au budget qui leur est alloué. Sur certaines opérations, il faudra toujours que des moyens complémentaires soient alloués aux stations et être attentif sur cette partie. La disparition de France Ô ne doit pas bloquer le dynamisme des chaînes La 1ère.
Il est rappelé que l'apport de France Ô - financier ou par des programmes - a permis l'enrichissement des grilles des chaînes La 1ère, que des programmes achetés conjointement pour France Ô et les chaînes La 1ère sont intégrés dans la banque de programmes et qu'un programme de calculs devra être élaboré pour que personne ne soit lésé.
L'importance de maintenir l'indépendance des chaînes La 1ère a été rappelée.
Autrefois, il n'y avait pas de dialogue entre France Ô et les chaînes La 1ère. Depuis trois ans, nous montons des opérations communes. La disparition de France Ô va nous obliger à redéfinir ce qui relève du fonctionnement du pôle et ce qui relève de France Ô séparément.
Le basculement sur le numérique remettra-t-il en cause le contenu global que vous produisez chaque jour ?
Il faut inventer autre chose, consacrer des moyens à l'offre numérique qui représente l'avenir et maintenir l'appui aux stations. C'est la difficulté que nous avons devant nous.
La méthode qui consiste à supprimer d'abord une chaîne avant de définir le nouveau dispositif et ses moyens suscite de grandes inquiétudes.
La fermeture du canal hertzien de France Ô est prévue au plus tôt pour septembre 2020. Notre idée - et nous procédons de la même façon pour France 4 - est de profiter de cette période pour monter en puissance sur le numérique de sorte qu'il y ait un tuilage assez long entre l'époque où France Ô est encore maintenue et le déploiement du numérique pour permettre, au moment de la fermeture du canal hertzien, de renvoyer les spectateurs vers l'offre numérique.
Pendant cette période de montée en puissance sur le numérique, aurons-nous davantage de visibilité des outre-mer ?
La direction de France Télévisions a rappelé que l'objectif était de monter en puissance le plus rapidement possible de deux façons : en mettant l'accent sur le numérique pour que soient retrouvées de façon délinéarisée toutes les offres ultramarines géo-localisées par région, par type de programme et, d'autre part, en faisant en sorte qu'il y ait plus de présence ultramarine qu'aujourd'hui sur France 2, France 3 et France 5.
Permettez-moi d'exprimer une réserve : si on peut parler de gratuité pour la TNT, le numérique gratuit n'existe pas. Ne risque-t-on pas d'éliminer discrètement un public ?
Il faut ajouter l'existence de zones blanches dans des territoires qui ne sont pas équipés pour recevoir le numérique. La TNT était une alternative.
Il est rappelé aux sénateurs que dans les territoires ultramarins, la TNT - gratuite et universelle - ne sera pas fermée, que la réforme ne touche pas les chaînes La 1ère, mais vise au contraire à renforcer leur leadership.
France Ô a aussi un public dans l'hexagone !
La direction de France Télévisions a rappelé que ce public était parfois constitué de 50 000 téléspectateurs sur une journée et sur des programmes qui n'étaient pas ultramarins. Elle a précisé que les meilleures auditions de France Ô avaient été relevées lors de la diffusion des James Bond et que les contenus ultramarins resteront présents en hertzien sur France 2, France 3 et France 5, sur les chaînes La 1ère et, pour les ultramarins présents dans l'hexagone qui souhaiteront avoir accès au contenu des chaînes La 1ère, en numérique.
Retour dans la salle de réunion.
Nous souhaitons partager avec vous quelques éléments de connaissance de nos publics. Notre public est constitué des 2,7 millions d'habitants des outre-mer, d'environ 1 million d'ultramarins dans l'hexagone et de centaines de milliers « d'affinitaires ».
L'audience des télévisions des 6 territoires - hors Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon - est évaluée par Médiamétrie de une à trois fois par an. 5 chaînes parmi les 7 mesurées captent plus du quart du public de leur territoire. 3 stations, Guadeloupe La 1ère, Martinique La 1ère et Réunion La 1ère affichent une progression de leurs scores annuels moyens. La moins performante est la station Réunion La 1ère (10,8 %) qui doit faire face à une forte concurrence. Les stations de Mayotte (31,1 %), de Polynésie française (29,3 %), de Guadeloupe (26,2 %) de Nouvelle-Calédonie (23,6 %) et de Martinique (18,3 %) sont en position très dominante. La station Guyane La 1ère connaît un léger déclin (26,6 %). En 2018, 887 000 téléspectateurs regardent une chaîne La 1ère sur un jour moyen. L'audience cumulée est de 42,7 %.
Les journaux télévisés du soir sont suivis par un total de 651 000 téléspectateurs. 8 stations sont leaders sur l'information avec des parts d'audience de 50 % à 75 %. Les bonnes audiences des chaînes s'expliquent toujours par de très hautes performances des tranches d'information locale, dominant de très loin la concurrence privée. C'est le résultat d'une stratégie d'approche à 360° qui vise à élargir au maximum le spectre des supports TV/radio/numérique pour aller où se trouve le public, avec toutes les possibilités de l'atteindre. Sur chaque territoire, les structures des journaux peuvent varier : à La Réunion, le journal est mixte - international, national et régional - ; en Guadeloupe, il y a une tranche identifiée d'informations internationales et nationales puis une tranche exclusivement locale. Il n'y a pas que l'audience qui soit importante ; l'image que nous renvoyons et les valeurs d'une information - différenciée par rapport à nos concurrents - le sont aussi. Nous opérons dans des territoires à forte concurrence mais nous bénéficions de la visibilité et de la légitimité du service public.
Quand il se passe quelque chose d'important, les personnes reviennent vers les chaînes publiques. Notre crédibilité est supérieure à celle de nos concurrents. Nos scores d'adhésion tournent autour de 70 % à 75 %.
À La Réunion, même si nos téléspectateurs nous boudent un peu par temps calme, quand il se passe un événement important leur réflexe est de revenir. On l'a bien observé lors de la crise des gilets jaunes.
En 2018, trois radios La 1ère sont en tête sur leur territoire : Mayotte La 1ère (niveau record de 62,2 %), Guyane La 1ère (39,4 %) et Nouvelle-Calédonie La 1ère (21,2 %). Guadeloupe La 1ère (24,8 %) et Martinique La 1ère (20,6 %) consolident leurs scores, mais derrière RCI. 6 stations sont en progression, notamment celles de La Réunion (8,8%) et de la Polynésie française (12,6%). La maîtrise du créole, le partage de l'expérience sont les atouts des stations qui totalisent 450 000 auditeurs en outre-mer.
L'impact du virage éditorial sur les audiences de France Ô a été mesuré par Médiamétrie. Entre septembre et décembre 2017, la chaîne était mesurée à 0,4 point de part d'audience. Elle est passée à 0,5 point de janvier à juin 2018 puis à 0,7 point en juillet et août 2018 du fait d'événements sportifs importants - des championnats d'Europe de natation, d'aviron, de cyclisme (diffusion du tour cycliste de Guadeloupe), le tour des yoles en Martinique. À la rentrée, nous avons renforcé le virage éditorial ultramarin en exposant en première partie de soirée des émissions plus culturelles et musicales, et davantage de documentaires. En 2017, le volume de programmes évoquant les outre-mer était de 53 % ; il a encore augmenté en 2018 mais la contrepartie a été des audiences un peu plus faibles, à 0,3 point de part d'audience de septembre à décembre 2018.
Les indicateurs sur le numérique marquent une très forte progression de 7 % en 2018, avec 65,8 millions de visites quand on additionne toutes les pages web et mobiles des chaînes La 1ère. Année après année, nous fidélisons de plus en plus les internautes. Il y a une progression très forte en Martinique avec 20 166 000 visites et à La Réunion avec 9 313 000 visites. La Guadeloupe avec 12 204 000 visites, la Polynésie française avec 5 413 000 visites, la Nouvelle-Calédonie avec 5 492 000 visites et la Guyane avec 4 174 000 visites obtiennent également de bons résultats.
Le chiffre pour la Martinique est presque identique à celui des Hauts-de-France en métropole !
Le chiffre de 2018 est supérieur à celui de 2017 qui était déjà un record, en lien avec les événements cycloniques du bassin.
Les gens qui consultent l'offre numérique sont résident dans le bassin ultramarin mais également en métropole.
Les pourcentages d'audience des stations locales sont relevés au niveau régional ; ceux de France Ô sont-ils relevés pour l'ensemble des Français susceptibles de regarder la chaîne ou uniquement en métropole ?
Le panel qui correspond au 0,3 % d'audience de France Ô est calculé au niveau de l'hexagone. Dans les outre-mer, l'audience de France Ô, reçue par la TNT et le satellite, varie entre 2 et 4 %. Ce chiffre ne tient pas compte des replay.
Martinique La 1ère, c'est une télévision, une radio, du web et des pages Facebook. Nous disposons d'un média complet, avec la force d'une marque qui se déploie sur plusieurs supports.
Désormais, une personne qui n'a pu regarder le journal en direct peut le revoir en replay sur le numérique.
Cela démontre l'intérêt de notre stratégie à 360° et d'une approche globale de notre offre. L'image positive que nous avons su donner au numérique, considéré comme moderne, fluide et dynamique, rejaillit sur la télévision et la radio.
Je voudrais relever l'impact sociétal non négligeable du passage au numérique. Désormais, dans une famille, chacun regarde ce qu'il veut sur sa tablette.
Il nous faut réussir la stratégie du multi-écrans. La tablette ou le smartphone devront renvoyer vers des contenus complémentaires du programme de télévision. C'est déjà ce que font les jeunes qui utilisent simultanément les trois outils.
Il faut nous adapter aux usages mais également trouver des émissions et des programmes fédérateurs comme le sport, les divertissements, pour réunir devant un même écran plusieurs générations. Malheureusement, de telles émissions sont de plus en plus rares.
Les médias sociaux contribuent aux succès d'audience. Facebook, utilisé en complément de nos programmes compte 1,7 million d'abonnés sur l'ensemble de nos pages (avec un taux de progression annuelle de 14 %). De nombreux médias envient notre progression. 251 millions de vidéos ont été vues sur Facebook en 2018 - soit une augmentation de 9 % -, dont 10,5 millions en novembre à La Réunion. Les plus fortes contributions proviennent de La Réunion (46 396 922), de la Guyane (26 498 814) et de la Martinique (25 565 809) et nous notons une progression à Mayotte (avec 32 147 737 vues), notamment en raison des événements sismiques qui ont suscité de grandes craintes. Un quart de nos abonnés à Facebook sont des locaux - la moitié il y a deux ans - et nous touchons de plus en plus de monde soit dans les territoires voisins pour les Antilles (Haïti, Miami, le Canada...), soit dans le reste du monde.
Grâce au numérique, notre visibilité va bien au-delà des frontières géographiques de chacun de nos territoires. Nous en sommes conscients et nous mesurons notre responsabilité par rapport aux programmes, à l'offre et au contenu que nous proposons. Nous souhaitons être reconnus comme les premiers experts de nos territoires. Quand France 3 en région fait un événement sur Facebook Live avec 2 500 personnes connectées en même temps, ils sont contents. À La Réunion, sur les événements liés aux gilets jaunes, 6 000 personnes ont été connectées en même temps partout dans le monde pour suivre ce qui se passait !
Enfin, Instagram compte 147 000 abonnés (+110 % en 2018), en majeure partie des 18-34 ans. Nous nous interrogeons sur notre capacité à fabriquer des contenus adaptés : on ne met pas sur Instagram un reportage de la télévision, il faut recréer un produit spécifique, avec une écriture spécifique pour ces jeunes. Cela nous incite à faire des efforts : sur l'information, l'année dernière plus de 70 % de nos journalistes du pôle outre-mer de France Télévisions ont bénéficié d'un programme de formation, soit plus de 7 000 heures de formation et plus de 300 000 euros qui ont été investis. Toutes les rédactions ont bénéficié, à un moment ou un autre, d'un programme de mise à jour numérique.
À La Réunion, comme dans d'autres territoires, lorsqu'un événement majeur se produit, la population se tourne vers les réseaux sociaux et la diffusion numérique pour avoir des informations instantanément.
Avant même la réforme de l'audiovisuel et depuis quelques années, nous avons pris en compte le fait qu'un téléspectateur est aussi un internaute et un auditeur qui choisit son média. Nous nous sommes réorganisés en conséquence. Le fait que nos territoires connaissent des diasporas fortes nous a incités à mettre l'accent sur le numérique. À la différence de nos collègues de France 3, nous sommes presque une télévision internationale car nos jeunes nous regardent de partout.
Cet effort concerne principalement l'information. Il devra porter à l'avenir sur les programmes.
Ce qui différencie les outre-mer de l'hexagone, c'est que nous agissons sous la pression démographique de nos populations. Si l'on met de côté la Martinique où la population vieillit, énormément de jeunes nous réclament de pouvoir vivre comme tous les jeunes de leur âge sur le territoire français ; c'est la force des événements qui nous oblige à évoluer, à inventer une nouvelle façon de fonctionner, à réinventer la place du service public auprès du public. Nous l'avons bien vu lors des crises, qu'elles se situent en Guyane ou à Mayotte : en avril 2017, au moment d'un épisode extrêmement tendu devant la préfecture de Guyane qui risquait d'être envahie par la population et les 500 frères cagoulés, nous avions un car de télévision avec un moyen d'émission traditionnel à l'entrée de la préfecture. En même temps, nous avions également des journalistes qui travaillaient sur Facebook avec leur smartphone. Nous avons fait le choix de ne pas déclencher le car de télévision et de nous appuyer sur notre expertise numérique en mettant sur l'antenne télé le signal émis à partir d'un smartphone. Plusieurs journalistes se sont relayés pendant plus de 3 heures 40 pour suivre cet événement. Nous avons eu plus de 6 millions de vues sur notre offre numérique.
En ma qualité de directeur de l'information, j'estime qu'il faut distinguer selon la temporalité de l'information. Il y a un temps différent pour raconter un événement et pour l'expliquer. Le numérique et la radio sont les médias de l'immédiateté. Parce que nos journalistes sont en direct, ce sont aussi des médias de la responsabilité la plus augmentée quant à l'impact de l'image diffusée. Il faut avoir conscience que chaque mot ou chaque image peut avoir un impact immédiat non seulement sur les gens qui, ce jour-là, sont devant la préfecture de Cayenne mais également sur ceux qui n'y sont pas et peuvent vouloir les rejoindre. Dans ce contexte, nous devons nous interroger sur ce qui peut pousser une personne à regarder en fin de journée un journal télévisé alors qu'au moment du générique elle a l'impression de déjà tout savoir. Le rôle de journal, complémentaire, est de décrypter les événements, de les mettre en perspective et de les analyser. Pour revenir sur les événements de Guyane, cette journée-là, il y a eu une grande quantité de messages toxiques qui ont été véhiculés. C'est donc la responsabilité du service public d'être présent sur le numérique pour contrer ces fake news, en expliquant ce qui est vrai et ce qui est faux. Si nous apportons l'antidote exclusivement à la télévision, et non là où a eu lieu la contamination, nous sommes inefficaces.
Sur Facebook, le critère est une durée minimale de visionnage de 15 secondes, mais le temps de consultation est souvent inférieur. Le temps d'écoute est lui de 3 ou 4 minutes.
Avez-vous déjà intégré l'idée de la disparition irréversible de la TNT ? Avez-vous imaginé que la décision pourrait être remise en cause ?
À partir du moment où la disparition de la TNT a été annoncée par le Gouvernement, nous avons préparé l'avenir en prenant en compte ce paramètre. Nos axes de travail portent sur les programmes ultramarins des chaînes hertziennes France 2, France 3 et France 5 et sur la meilleure manière de dynamiser le numérique.
L'annonce a constitué un choc pour nous, mais après il a bien fallu nous mettre au travail. Nous avons bataillé pour RFO Sat, puis pour France Ô. Nous avons vécu sur l'idée que la visibilité des outre-mer était portée par une chaîne du groupe.
Je ne l'ai pas été.
Nous comprenons tous le rôle de nos chaînes La 1ère auxquelles nous sommes attachés localement. Mais il faut tenir compte des ultramarins qui vivent hors de leurs territoires et de la population hexagonale. Le rôle de notre délégation sénatoriale a été de sensibiliser nos collègues hexagonaux aux problématiques des outre-mer. Nous avons de plus en plus de collègues qui sont intéressés par nos travaux. France Ô jouait le même rôle auprès de nos concitoyens et nous avons le sentiment que cette spécificité va être noyée dans les chaînes publiques. Ne risque-t-on pas de constater un phénomène de dilution ?
Nous voulons faire le pari inverse, en réfléchissant sur les moyens de maintenir notre présence sur les autres chaînes du groupe tout en disposant d'une force de frappe numérique. Pour le reste, c'est le Gouvernement qui décide.
Nous voulons comprendre ce que nous allons gagner mais également ce que nous allons perdre avec la disparition de la TNT. Quand un événement se produit dans les outre-mer, n'êtes-vous pas le meilleur relais dans l'hexagone ?
Il faut que l'événement soit présent sur les chaînes hertziennes qui resteront sur le numérique. Dans quelques années, le portail France.TV sera vraisemblablement la principale porte d'entrée du groupe France Télévisions et nous voulons être présents de manière bien marquée, avec un portail de l'outre-mer spécifique. Ensuite, nous voulons discuter genre par genre avec le groupe pour savoir ce que l'on peut mettre sur France 2 ou sur France 5. Par exemple, nous avons pris la décision de mettre la commémoration des 40 ans de Kassav sur France 2. Nous n'aurions pas eu ce débat avant l'annonce du Gouvernement. Ce qui importe, c'est la visibilité des outre-mer.
À quels pourcentages, pour quels types d'émissions, devrons-nous nous satisfaire de la présence des outre-mer sur les autres chaînes de France Télévisions ? De quelles garanties disposons-nous ? Qui parlera pour les outre-mer de ce que l'on voudrait voir comme contenu ? Une telle réforme suppose une réflexion en amont sur le nouveau paysage audiovisuel or, pour l'instant, nous n'avons aucune visibilité.
M. Georges Patient rappelait lors de l'audition du ministre M. Franck Riester que les ultramarins représentent environ 3,5 % de la population française et se demandait si l'outre-mer ne pourrait pas disposer d'un temps d'antenne proportionnel.
Au sein du groupe, nous avons été confrontés à une méconnaissance réciproque. Il nous faut apprendre à nous connaître et c'est la raison pour laquelle nous avons sensibilisé le directeur de l'information, Yannick Letranchant, au référendum en Nouvelle-Calédonie par exemple, et nous allons faire venir en mars tous les rédacteurs en chef de l'information pour travailler avec la rédaction nationale afin que les événements locaux ne soient pas vu uniquement avec un regard métropolitain. Ce que nous avons fait pour l'information, nous le faisons également pour les antennes. Avec Daniel Grillon, directeur des contenus du pôle outre-mer de France Télévisions, nous préparons une semaine de l'outre-mer pour le mois de juin. Nous demandons à toutes les chaînes, à tous les programmes de parler des outre-mer.
Les indicateurs sont une autre thématique. Ainsi, il faudrait s'intéresser au contenu des programmes de début de soirée. Nous voudrions qu'il y ait plus de fictions ultramarines car les fictions racontent des univers, des manières de vivre.
Permettez-moi de vous rappeler trois éléments : on ne touche pas aux chaînes La 1ère et au contraire, on les renforce dans toutes leurs composantes ; la présence de contenus ultramarins est systématisée sur les autres chaînes de France Télévisions ; on déploie le numérique pour permettre à tous les téléspectateurs qui sont également des internautes d'avoir accès partout à nos contenus à vocation ultramarine. La part d'audience moyenne de France Ô variait entre 0,3 et 0,8 %. Cela représente environ 55 000 téléspectateurs quotidiens. L'audience minimale de France 2, de France 3 ou de France 5 représente des centaines de milliers ou des millions de téléspectateurs. Des engagements chiffrés et mesurables des contenus ultramarins, dans tous les programmes et tous les genres, dans le flux, seront pris. Nous sommes prêts à discuter ensemble de ces engagements. La notion de quotas est sensible dans notre République ; par ailleurs, il faudrait éviter de créer des précédents par rapport à d'autres régions de France. Vous êtes la représentation nationale et nous avons besoin d'échanger avec vous pour que vous nous aidiez à construire ces indicateurs que vous pourrez contrôler régulièrement.
Nous avons compris que la décision du Gouvernement est définitive mais n'y aurait-il pas eu une autre méthode pour atteindre l'objectif recherché, sans chambouler France Ô ?
Ce qui nous importe, c'est la visibilité des outre-mer dans le cadre des décisions qui ont été prises. Nous avons diffusé une fiction « Le rêve français », autour du Bumidom ; elle n'a pas réalisé un bon score d'audience sur France 2, mais elle a été vue par 2 millions de téléspectateurs !
Les audiences de demain seront des audiences numériques.
Le terme de « réflexe outre-mer » parfois utilisé me paraît un peu péjoratif. Pourquoi avoir un réflexe pour moi et pas pour le Breton ? De même, la notion de convergence ne me satisfait pas. Les outre-mer sont des entités en tant que telles qui n'ont pas envie de converger ; elles veulent que l'État français les accompagne sur des chemins qui leur sont propres.
Je vous propose de nous entretenir en visioconférence avec Mme Sylvie Gengoul, directrice de Guadeloupe La 1ère, puis M. Gora Patel, directeur de Réunion La 1ère.
Mme Sylvie Gengoul, directrice de Guadeloupe La 1ère. - La plateforme numérique « Alerte Guadeloupe », mise en place l'an passé, vise à informer la population des risques majeurs auxquels la Guadeloupe et l'espace caribéen sont exposés. Cette plateforme numérique, en adéquation avec les exigences de proximité, de continuité et d'adaptabilité du service public, née de la volonté de Wallès Kotra, répond à notre exercice de responsabilité sociale. À la suite d'Irma, c'était pour nous une obligation et un devoir de mettre en place ce service public majeur qui répondait à trois besoins urgents : prendre en compte les risques climatiques dans l'arc antillais - situé dans la seule zone rouge de l'espace national - ; organiser la solidarité ; réunir trois cultures cloisonnées : la sagesse populaire qui se transmet de génération en génération, la parole officielle et institutionnelle qui manque parfois d'ancrage local et la culture scientifique souvent enfermée dans la technicité.
« Alerte Guadeloupe » a pour objectif de faire dialoguer ces trois paroles, d'accompagner les populations dans leur envie de créer du lien, de partager et d'être solidaire, et de mettre à disposition le matériel nécessaire, notamment pour prévenir car la prévention est essentielle. Ce guichet unique a pu être mis en place grâce au partenariat de l'État, de la région, du BRGM, de la DEAL, de l'observatoire sismologique, de l'université des Antilles, d'associations ou encore d'ONG.
Nous avons été présents dans l'urgence et nous répondons aujourd'hui à des questions intemporelles ou ponctuelles, mettons en ligne des éléments d'actualité comme récemment le plan ORSEC volcan en relation avec l'activité de la Soufrière. Nos audiences sont bonnes avec 900 000 pages vues cumulées, dont 300 000 le premier mois.
Ce qui a été réalisé en Guadeloupe va être décliné dans les autres territoires. Je vous propose de donner la parole à M. Gora Patel, directeur de Réunion La 1ère, station partie à la reconquête de son public grâce au numérique avec le Grand raid et, depuis, la mobilisation des gilets jaunes.
M. Gora Patel, directeur de Réunion La 1ère. - Je crois pouvoir dire que nous avons évité une émeute au plus fort de la crise des gilets jaunes. La ministre des outre-mer avait pris l'engagement de réaliser une visioconférence en direct avec les gilets jaunes, depuis la préfecture, avant de rentrer à Paris. Tout au long de la journée, ordres et contre-ordres se sont succédé. À 16 heures, un mouvement s'est formé devant la préfecture et on nous a demandé s'il nous était possible de prendre la main rapidement pour réaliser un Facebook live afin d'éviter une catastrophe. Nous avions 30 secondes pour prendre une grave décision. Nous ne savions pas qui serait en face du préfet et de la ministre. Avec mes collègues et en plein accord avec notre hiérarchie à Malakoff qui nous a soutenus, nous avons pris la décision d'accepter. Cela nous a réussi car nous sommes apparus rapidement comme la chaîne de radio, de télévision et du numérique qui a su accompagner le mouvement des gilets jaunes depuis le début et donner la parole aux Réunionnais. La concurrence était battue, Radio Freedom, présentée comme la radio du pays, était inaudible et Antenne Réunion, qui a de gros intérêts économique à La Réunion, avait disparu de l'horizon ; de son côté, le service public avait montré son efficacité et nous étions restés professionnels en évitant tout dérapage.
Je voudrais faire une remarque sur l'accessibilité et la visibilité des Îles du Nord sur la plateforme évoquée par Mme Gengoul. Guadeloupe La 1ère ne couvre que de grands événements, par exemple le passage du Président de la République, ou des faits divers. Sa présence n'est pas quotidienne à Saint-Martin alors qu'il y a des reportages sur Marie-Galante, sur la Désirade ou sur Les Saintes. J'aurais aimé que Guadeloupe La 1ère soit présente lorsqu'il y a des sujets difficiles, mais aussi lorsqu'il y a des sujets qui revalorisent le territoire. À ce jour, je n'ai pas vu un seul sujet qui revalorise le territoire de Saint-Martin.
La plateforme a été inaugurée à Saint-Martin et il y a énormément de Saint-Martinois qui s'y connectent. Chaque semaine, une équipe reste pendant 2 jours sur le territoire. Elle traite de tous les sujets et pas uniquement les faits divers.
Je ne connais pas votre plateforme. En période de crise, nous avons vu arriver chez nous des équipes nationales qui oubliaient l'existence de la chaîne régionale qui aurait pu faire le travail pour un coût probablement moindre. Face à la réforme qui s'annonce, quel est l'état de votre réflexion ? Quels risques craignez-vous, quels sont vos espoirs et quelles opportunités entrevoyez-vous ?
Il est important que les Français, d'une façon générale, aient une idée la plus complète possible de ce qu'est leur pays. L'outre-mer faisant partie de la communauté nationale, il est important qu'elle ait une visibilité sur les grandes chaînes. Chaque chaîne a sa logique mais, par exemple, il serait important que France 2 s'intéresse à la grande journée mémorielle organisée en Guadeloupe autour du Mémorial ACTe en septembre. Nos territoires sont des pays à part entière, qui ont des choses à dire au reste du monde. Il est important de disposer d'un espace qui présente tout cela. Contrairement aux métropolitains, nos compatriotes ne peuvent pas retrouver leurs racines en quelques heures ; ils sont a minima à 8 heures d'avion. Parce que nous sommes des pays qui ont des choses à dire, que nos compatriotes ont besoin de se connecter, il faut une visibilité qui permette aux ultramarins, à ceux qui s'intéressent à nous, à ceux qui ne nous connaissent pas de pouvoir avoir accès à nos contenus.
Pour résumer la pensée des sénateurs, que pensez-vous de la disparition de France Ô ?
Étant l'un des doyens de cette maison, j'ai eu à connaître les raisons qui ont amené à la création de RFO Sat. J'ai vu l'outre-mer acquérir une reconnaissance à travers l'exposition de sa culture, des fictions ou des documentaires. J'ai vécu 15 ans dans le 15e arrondissement de Paris. Quand je croisais mes voisins - en grande majorité des métropolitains blancs - je recevais très souvent des félicitations pour la qualité des programmes de découverte des outre-mer que concoctait France Ô ! France Ô a rempli sa mission depuis sa création. Sylvie Gengoul a parlé de la Guadeloupe. Je suis à la tête d'une direction régionale qui est à la porte d'un bassin francophone de plusieurs millions d'habitants. Nous avons la francophonie en partage dans cette partie du monde. Ce qui se passe aujourd'hui à Madagascar - avec un nouveau président de la République proche de la France -, à l'île Maurice, dans une partie de l'Afrique est une opportunité à saisir par la France - et donc pour la télévision publique de notre pays - pour construire quelque chose en commun dans cette zone de l'océan Indien. Nous ne devons pas manquer le rendez-vous de l'audiovisuel public. Si nous n'occupons pas cette place, la Chine la prendra.
La question du rayonnement de nos bassins est fondamentale. France Ô avait ce rôle de complémentarité.
Je remercie Mme Gengoul et M. Patel.
L'important n'est pas simplement d'avoir plus d'espace mais également de savoir ce que l'on dit de l'outre-mer, comment on le dit et qui le dit. Le référendum en Nouvelle-Calédonie a été un bon exemple de la coordination qui prend forme au sein du groupe, un test de notre capacité à travailler ensemble. Un an avant le référendum du 4 novembre, les directions de Nouvelle-Calédonie La 1ère et de l'information (France info, France 2, France 3 et France Ô) se sont coordonnées. Cela s'est traduit par l'immersion dans la rédaction de Nouméa de plusieurs journalistes de France 2 et de France 3. Les équipes de reportage étaient mixtes : le reporteur de France 2 travaillait avec un cameraman de chez nous ; il montait son sujet dans nos locaux en discutant avec nos équipes. Nous avons connu des équipes parisiennes qui débarquaient chez nous pour raconter les pires côtés de nos territoires. Une page spéciale de 3 heures a été diffusée sur France info, ainsi qu'une journée spéciale sur France Ô, après la diffusion de notre soirée électorale. Une couverture en temps réel a été mise en place sur les fils d'actualité de Franceinfo.fr et la1ere.fr. Nous avons parlé de la Nouvelle-Calédonie, et pas uniquement à travers le prisme de ce qui ne va pas mais pour expliquer que ce scrutin, au-delà des aspects locaux, était une partie de l'histoire de France qui s'écrivait. Lors de la soirée électorale, nous avons fait la démonstration de notre capacité à construire une nouvelle façon de travailler ensemble. À chaque fois que nous apprenons quelque chose, nous le consolidons et essayons de l'utiliser lors d'un événement ultérieur. Ainsi, notre expérience en Nouvelle-Calédonie a été utile pour gérer la crise des gilets jaunes à La Réunion. Nous avons fonctionné de la même façon avec France 2, France 3 et France info : c'est une journaliste de La Réunion qui a fait les duplex pour le 20 heures de France 2. Nous cherchons à être reconnus comme les experts de nos territoires.
Il est parfois compliqué de mélanger nos équipes : le journal de France 2 est un peu considéré comme un sanctuaire par la rédaction de la chaîne. Il faut briser les carcans.
Nous comprenons le rôle fondamental du nouveau vecteur. Nous craignons que la disparition d'une chaîne dédiée ne revienne à noyer ce qu'elle faisait. Vous avez abordé la notion d'expertise et de sincérité de la présentation. Mon île est souvent présentée comme la terre des riches : les riches sont les touristes qui viennent chez nous, ce ne sont pas les habitants.
Le plus mauvais coup porté récemment à vos territoires a été porté par une chaîne commerciale privée.
France Ô mène une politique événementielle volontariste marquée par une programmation dédiée aux événements de l'agenda des outre-mer : FIFO, nouvel an chinois, carnavals, abolition de l'esclavage, Heiva, Dipavali, Tours cyclistes, Foire de Bourail... Nous sommes le premier diffuseur de spectacles vivants et de programmes musicaux et le 2e diffuseur de documentaires de France Télévisions. Les documentaires représentent un enjeu de visibilité et de mémoire des outre-mer ; ils sont réalisés par des équipes qui connaissent leurs territoires ; ils constituent une forme de bibliothèque extraordinaire, d'INA des outre-mer. Si vous enlevez la production des documentaires du pôle outre-mer - produits soit par France Ô, soit par les chaînes La 1ère, soit par l'ensemble -, vous perdez la possibilité d'accroître la richesse de nos bibliothèques.
Il y a deux visibilités : celle de produire et de mettre sur les antennes nationales des sujets sur l'outre-mer et celle des équipes. Cela concerne aussi bien la production de documentaires que l'information. Je voudrais vous citer l'exemple du Grand oral de France 2, une nouvelle émission qui est une forme de concours d'éloquence. France Télévisions, à notre initiative, a décidé qu'il y aurait un - en l'occurrence, c'est une femme qui a été sélectionnée - candidat ultramarin parmi les 10 candidats sélectionnés. Ce qui semble simple à définir est en réalité extrêmement complexe à mettre en oeuvre. Les chaînes La 1ère ont fait des sélections mais, rien qu'en production, le tournage des portraits des personnes retenues coûte beaucoup plus cher que celui d'un candidat métropolitain. Nous avons fait travailler la production locale, ce qui est un avantage pour les producteurs d'outre-mer. La visibilité des outre-mer est multiple : elle inclut ce que font nos équipes et ce que font les producteurs dans les territoires.
Je voudrais également attirer votre attention sur le concours de chant Zik Truck, avec des hommes et de femmes qui ont candidaté et des stations La 1ère ont organisé ces événements. France Ô portait ce programme, avec une finale à Paris retransmise sur France Ô et les chaînes La 1ère. Au moment où le linéaire de France Ô s'arrêtera, quelle part du budget des programmes investis dans France Ô tous les ans restera au service de la visibilité des outre-mer sur les antennes de France télévisions, qu'elles soient numériques ou linéaires, en soutien massif aux chaînes La 1ère ? Ce concours est symbolique de ce que peut être la force du pôle outre-mer. Il faudra que nous gardions sur le numérique un certain nombre d'investissements bénéficiant à la fois, comme le fait France Ô, à la visibilité des outre-mer, aux chaînes La 1ère et au travail de nos équipes.
Il est compliqué d'afficher des quotas et je n'apprécie pas ce concept qui serait extrêmement dommageable. En revanche, lors de la transformation de France Télévisions, il faudra faire en sorte qu'il n'y ait pas que des Bretons, des Strasbourgeois..., mais également des Guyanais, des Réunionnais... dans les équipes qui pensent les programmes. Il faudra intégrer une partie du travail de nos équipes dans les autres chaînes du groupe et dans les rédactions. Il faudra bien prendre en compte la visibilité des programmes et celles des équipes. C'est l'un des aspects positifs de la réforme. Un exemple : un club de Martinique a brillé dans les éliminatoires de la coupe de France de football, mais son match n'a pas été retransmis pour une raison très simple : au sein de la conférence de rédaction, au moment de la sélection des matchs retransmis sur un multiplay, personne n'a songé à cette équipe ! Personne n'a imaginé que nous allions donner le match à Eurosport, distribué par Canal+, nous interdisant une diffusion par Martinique La 1ère. La visibilité des programmes est bien un travail à mener en permanence, avec des équipes « multiculturelles » ou géographiques.
L'expertise et le savoir-faire de France Ô sont reconnus. Quand vous produisez, vous donnez également du travail à des producteurs locaux. Vont-ils trouver leur place dans la nouvelle architecture ?
Nous avons eu cette discussion avec le syndicat des producteurs. Les engagements pris restent acquis. Une production sera maintenue, des investissements vont se poursuivre. Tout se joue sur la sanctuarisation du budget. Arrêter France Ô est une chose ; conserver le budget en est une autre.
Dans l'univers du documentaire, comme dans celui du divertissement, nous passons régulièrement par des producteurs locaux pour répondre aux besoins de nos grilles. Comme nous, ils sont vigilants et nous avançons de concert. Nous sommes des partenaires de la filière de production locale.
Si les audiences de France Ô constituent un sujet sensible, il faut noter que certains de ses documentaires ont été primés alors que nos budgets sont nettement plus faibles que ceux de certains concurrents. France Ô fait un travail de qualité. Il faut irriguer les antennes numériques comme les autres antennes. C'est le travail que nous entamons au sein de la direction générale des antennes pour faire en sorte qu'au cours des 3 ou 4 mois qui viennent une place soit trouvée - à la fois naturellement et de façon volontariste - pour les productions, notamment documentaires, sur les autres chaînes du groupe.
Je voudrais vous rappeler le planning du travail en cours. Nous commençons à dessiner la structure de l'offre que l'on souhaite mettre en avant. Nous allons affiner la co-construction avec des entretiens en interne. Un séminaire est prévu en février avec tous les directeurs régionaux et éditoriaux pour finaliser cette offre. En mars, nous disposerons d'une synthèse définitive de la vision de l'offre. Les options fortes qui se dessinent portent sur la revendication d'un portail de l'outre-mer, comme ceux de France Télévisions sport ou de France Télévisions culture. Nous affinons le contenu, tant en services qu'en informations ou en dérivés de nos programmes. On peut imaginer que les documentaires que nous continuerons à produire trouveront leur place, que ce soit en format work in progress sur le web ou en déclinaison façon « web-doc ». Des écritures nouvelles sont à inventer pour maintenir le lien avec nos internautes et continuer à avoir une meilleure exposition de l'outre-mer en dehors des antennes.
L'enjeu est de trouver comment faire mieux avec le numérique. Nous avons défini trois niveaux de préoccupation : renforcer nos chaînes La 1ère ; être présent dans toutes les offres du groupe, en le « colonisant » ; disposer d'un portail spécifique.
Nous voulons garder un budget pour accompagner nos stations et être en mesure d'avoir une ambition numérique. On ne peut pas avoir d'ambition numérique sans budget supplémentaire.
Il y a une grande marge de progression en matière de visibilité des chaînes La 1ère dans leur environnement régional. L'essentiel de la Caraïbe est anglophone : un créneau est à prendre.
Nous partageons votre remarque. Nous avons porté le festival du documentaire de l'ensemble de la Polynésie qui aura lieu dans deux semaines en Polynésie française. Alors que nous sommes souvent des donneurs de leçon et prétendons montrer ce que nous faisons, les 200 documentaires présentés par les Fidjiens, les Australiens,... nous apprennent à respecter les gens qui sont autour de nous et à construire des choses ensemble. Nous devrions procéder de la même manière dans la Caraïbe.
Nous pourrions établir un parallèle avec le ministère des outre-mer : le regroupement des outre-mer au sein d'un ministère dédié est-il le meilleur moyen de défendre nos territoires ?
La visibilité des outre-mer ne doit pas être seulement appréhendée au niveau des programmes et des documentaires. La diversité de la population devrait se retrouver dans la diversité des présentateurs de la télévision. Qui porte cette réflexion ? Christine Kelly a disparu ; Harry Roselmack fait quelques apparitions,... Le CSA l'a rappelé : quel est l'intérêt de former nos jeunes s'ils ne trouvent pas de travail ?
La question des visages est extrêmement importante et constitue un enjeu de citoyenneté. Comment je me reconnais dans l'autre ? C'est la question de l'altérité. Depuis plusieurs années, systématiquement, le présentateur joker qui intervenait pendant les vacances venait de France 3. L'une des batailles que nous avons gagnée a été d'imposer des ultramarins dans ce vivier de présentateurs des journaux nationaux : Catherine Gonier-Cléon, de la Martinique, pour les journaux de France 3, Sophie Gastrin, de La Réunion, présente Télé matin sur France 2... Nous avons mis un pied dans la porte et veillons à ce qu'elle ne se referme pas. Nous repérons les talents. Il est normal que le final cut pour le choix du présentateur appartienne aux chaînes mais nous voulons qu'il ne soit pas possible de dire que l'on ne savait pas et que l'on nous donne des explications quand une personne n'est pas retenue.
Monsieur le directeur exécutif, je ne voudrais pas jouer au maître du temps mais nous devrions peut-être clore cet entretien pour entendre les représentants des salariés.
Je remercie une partie de l'équipe qui va nous quitter et nous allons accueillir les représentants des salariés.
Entretien avec des représentants des salariés
Mesdames, messieurs, fin juin 2018, notre délégation a été alertée sur l'avenir de France Ô. Elle s'est immédiatement saisie de la problématique en entendant, le 5 juillet, des membres de la commission de concertation sur la réforme de l'audiovisuel public puis M. Wallès Kotra ainsi que des représentants des salariés et du collectif « Sauvons France Ô ».
À la suite de la décision du Gouvernement de supprimer France Ô de la TNT, notre délégation a décidé de mener une étude sur la représentation et la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public national. Elle a nommé rapporteurs M. Maurice Antiste, sénateur de la Martinique, et Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne.
Nous avons auditionné le ministre de la culture, M. Franck Riester, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), M. Olivier Schrameck. Demain, nous auditionnerons la présidente de France Télévisions, Mme Delphine Ernotte-Cunci. Nous entendrons ensuite les directeurs des chaînes La 1ère ainsi que les producteurs avec lesquels vous travaillez.
Si le pouvoir de décision appartient au Gouvernement en la matière, nous tenions à vous entendre aujourd'hui car nous souhaitons prendre vos inquiétudes en considération.
De nombreux journalistes, techniciens et personnes de l'administration nous ont dit que cette rencontre était utile mais qu'il serait encore préférable que vous reveniez pour entendre tous les salariés et visiter les locaux - la régie, la rédaction, le nodal et les plateaux - comme ont pu le faire, la semaine dernière, des députés.
Nous prenons bonne note de votre message. Il nous faudra trouver une date, avant la remise de notre rapport.
Nous avons le sentiment que le calendrier qui avait été indiqué n'a pas été respecté. La concertation a été escamotée et la décision hâtive. Entre le moment où les projets ont été évoqués et la sentence du 9 juillet, le temps du débat n'a pas eu lieu. Nous savons ce que le Gouvernement veut supprimer et avons du mal à cerner l'alternative évanescente qui nous est proposée. On nous demande de lâcher la proie pour l'ombre.
Sauf si la législation change sur des points importants, notamment en ce qui concerne l'éligibilité aux financements du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), nous craignons que la disparition d'une chaîne hertzienne comme France Ô ait mécaniquement des répercussions sur la capacité des producteurs de monter les financements de leurs projets et de continuer à fournir les chaînes La 1ère.
Devant le groupe de travail, Mme Delphine Ernotte-Cunci a annoncé vendredi dernier la fermeture des plateaux de Malakoff. Cela a été une mauvaise surprise et je me demande ce que cela préfigure. Compte tenu de l'injonction qui a été faite à France Télévisions de réduire sa voilure, de la mise sur la table par la direction de la procédure de rupture conventionnelle collective, avec l'objectif de faire disparaître 1 000 postes sur 9 000 d'ici 2022, les établissements qui ont des projets de développement auront peut-être plus de facilités à conserver leurs emplois que ceux qui - comme le nôtre, avec la disparition d'une chaîne - sont dans une phase de réduction des activités.
À la CGT, nous estimons que les quotas sont indispensables pour assurer la visibilité des outre-mer. Nous attendions la nomination du nouveau président du CSA pour lui demander d'exiger des quotas, non pas d'une manière globale mais sur la journée qui pourrait être, par exemple, découpée en six tranches, avec des quotas pour chacune d'entre elles. Leur respect devra faire l'objet d'une évaluation afin de contraindre France Télévisions à respecter cette visibilité.
Il faut également que les outre-mer n'apparaissent pas uniquement sous l'aspect du tourisme mais aussi dans des programmes généralistes ou qui traitent du social, dans des programmes de fiction... Il faut que, dans les éditions des journaux télévisés, quand on parle d'une petite ville, elle ne soit pas seulement choisie dans l'hexagone. La thématique de la pêche peut, par exemple, être abordée au travers du prisme des sargasses. Les outre-mer ne doivent pas être évoqués uniquement lorsqu'il s'y produit des faits graves. Nous disposons de magazines de société qui tournent autour des outre-mer. Ils pourraient être repris sur les chaînes nationales. Si nous produisions davantage, Malakoff deviendrait le fournisseur de programmes des chaînes nationales. De ce fait, nous en revenons à la problématique du CNC évoquée par M. Givodan.
France Télévisions a pour projet de mettre en place une plateforme Salto qui permettra de diffuser en direct les 9 stations La 1ère d'outre-mer. Il nous faut la garantie que ces flux soient disponibles gratuitement pour l'hexagone. À l'heure actuelle ils arrivent en direct à Malakoff. Nous pourrions les diffuser sous réserve d'un accord avec les fournisseurs d'accès. Aujourd'hui, de l'hexagone, je peux voir les directs de France 3 Corse ou France 3 Bretagne via mon fournisseur d'accès. Le problème est que le service n'est pas gratuit. Nous manquons à notre mission de service public.
En résumé, pour nous, la visibilité des outre-mer repose essentiellement sur trois points : des quotas, la possibilité pour Malakoff de fournir les chaînes nationales en programmes et rendre les flux des premières accessibles gratuitement sur l'hexagone, via une plateforme numérique ou le réseau hertzien.
La diversité des personnes est sensée être déjà traitée et je ne l'inclus donc pas. Nous avons quelques outils pour la favoriser. Toutefois, cette problématique, abordée timidement depuis 2009, mériterait d'être renforcée. Dans les nominations, comme dans les représentations, la diversité est peu visible !
Je rejoins Didier Givodan quand il dit que cette annonce de la fermeture de la chaîne France Ô est prématurée. On a mis la charrue avant les boeufs. Aujourd'hui, nous ne sommes pas capables de nous projeter dans le futur et de savoir ce que nous allons faire. Si vous me le permettez, je dirai que la décision d'annoncer la fin d'une chaîne, sans réfléchir à l'impact que cela aura sur l'hexagone comme dans les outre-mer, est irresponsable.
Aujourd'hui, France Ô est une source importante des programmes diffusés dans les outre-mer. Elle est un fer de lance des faire savoir des ultramarins qui vivent en hexagone et ailleurs dans le monde. Nous sommes les seuls à faire cela. On nous fait des promesses de visibilité demain sur France 2, France 3 ou France 5. Pourquoi n'est-ce pas déjà le cas ?
À Malakoff, nous avons une spécificité, une spécialité. Nous avons déjà été dépouillés de RFO. Vouloir nous « diluer » sur les chaînes généralistes France 2, France 3, France 5, c'est très bien ; néanmoins, dans ce cas, il faudra que nous soyons présents au même titre à l'antenne. Quand vous allumez votre box, vous avez la possibilité de voir les France 3 régions. Ce ne sera pas le cas pour les outre-mer.
Les termes « d'injonction budgétaire » ont été utilisés lors de l'audition de Mme Delphine Ernotte-Cunci. Le nerf de la guerre est là, tout le monde le sait. La vraie raison n'est pas relative à l'audimat. Si tel avait été le cas, sans vouloir dénigrer des camarades, nous aurions attiré l'attention sur la chaîne info. Si on avait voulu que nous fassions de l'audience, on nous aurait donné de vrais budgets ! Celui de France Ô est de 25 millions d'euros ; celui de la grille de France 2, sans compter les sports et les informations, est de 500 millions d'euros.
Comment définir la diversité ? S'agit-il des hommes et des femmes, des grands et des petits ? Depuis 2005 et les émeutes dans les banlieues, on nous a demandé de la prendre en compte. Aujourd'hui, on nous demande de faire autrement.
Nous pourrions changer de ligne éditoriale, faire de l'audience. Je voudrais vous donner un exemple : France Télévisions a eu les droits pour la diffusion des championnats d'Europe de natation. France Ô a diffusé tous les éliminatoires qui n'étaient pas attractifs. À partir des quarts de finale, France 2 et France 3 ont pris le relais. Les deux chaînes ont fait de l'audience. Nous en aurions fait aussi si nous avions assuré cette diffusion.
Je peux vous donner un autre exemple : il y a quinze jours ont eu lieu les 32e de finale de la coupe de France de football. L'équipe l'Aiglon du Lamentin jouait contre Orléans. France Télévisions a diffusé tous les autres matchs, sauf celui-ci !
Pour évoquer la présence des outre-mer sur les chaînes publiques, le ministre de la culture a évoqué la météo. Les outre-mer ne sont pas que la météo !
Et dans ce cas, une seule température et un soleil pour chaque territoire ! On parle de France Ô comme d'une chaîne alibi, on nous donne la météo comme un petit os à ronger...
La météo représente 7,5 secondes par bassin, juste avant le journal mais jamais après. TF1 le fait depuis des années et le fait mieux que nous.
Je pense que la décision d'arrêter France Ô est précipitée. On nous assure que les outre-mer auront de la visibilité sur les chaînes généralistes sans nous dire comment, où et qui fera. Aujourd'hui, alors que nous sommes des spécialistes des outre-mer, nous ne participons pas à la météo diffusée sur France 2. Cela nous fait peur pour l'avenir.
Je suis journaliste et j'ai été amené à interviewer certains d'entre vous. Je voudrais vous donner un autre exemple. Le 3 février 2017, il y a eu les attentats au Carrousel du Louvre. Nous étions une cinquantaine de télévisions, de toutes les nationalités. Je me trouvais entre deux collègues de France 2 et de TF1 qui me connaissaient bien. Ils m'ont demandé pourquoi je me trouvais là. Quand je leur ai expliqué que, parmi les quatre militaires de la force Sentinelle présents sur les lieux, il y avait un ultramarin, tous deux m'ont interrogé : « C'est quoi un ultramarin ? ». Je mets au défi Mme Delphine Ernotte-Cunci de faire changer les mentalités sur France 2 et France 3. Je suis moi-même un ancien de ces chaînes. Aucun chef de service, aucun rédacteur en chef ne diffusera des sujets sur l'outre-mer. Il n'y a que nous qui connaissons nos neuf spécificités. Nous avons voyagé, nous avons fait des reportages dans ces territoires. Il faut qu'il y ait un ouragan Irma ou des mouvements sociaux pour que les gens de France 2 et de France 3 aillent dans les outre-mer. Comme à Mayotte ou en Guyane, ils n'y vont que quand ça pète !
Nous avons des chargés de production sur le site de Malakoff. Mais quand France Ô diffuse la Fed Cup, on nous alloue un chargé de production du siège, en doublon, au cas où les nôtres ne sauraient pas faire. Nous avons de grandes craintes pour notre avenir.
La fracture numérique est une vraie question. La bascule de France Ô ou des programmes ultramarins vers le numérique va poser des problèmes dans l'hexagone et plus encore dans les outre-mer. La difficulté de nos interlocuteurs à définir le numérique nous pousse à dire que la décision est prématurée. On ne sait pas ce qu'on va mettre, comment et qui va le faire, sur quelle plateforme. Il faudrait prendre son temps, faire les choses sereinement, avoir un projet qui tienne la route, consulter tout le monde.
Je voudrais évoquer le plan de rupture conventionnelle collective annoncé sur 1 000 équivalents temps plein (ETP). Le site de Malakoff comptait 511 salariés en 2011. Il n'en compte plus aujourd'hui qu'un peu plus de 300. Des services entiers quittent Malakoff pour le site EOS d'Issy-les-Moulineaux ou pour le siège, libérant ainsi de la place. Que fera-t-on de celle-ci ? Je n'ai pas eu de réponse à mes questions.
Il faudra également s'interroger sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) de l'entreprise. La question de la GPEC de France Ô va se poser. Demain, que feront les salariés de Malakoff ? Aujourd'hui, on ne sait pas.
Quel est le type de pays dans le monde où l'on supprime des chaînes ? C'est une fenêtre sur l'outre-mer qui va se fermer définitivement. C'est un déni de démocratie. Dans dix ans, un président dira peut-être qu'une chaîne pour 5 millions d'ultramarins - 3 dans les outre-mer et 2 dans l'hexagone - serait une bonne idée. Mais il sera trop tard pour revenir en arrière. Tout le système que nous avons mis des années à bâtir va s'écrouler. Il n'y a que vous, députés et sénateurs, qui puissiez changer cela.
Lors de l'annonce du plan de fermeture, un certain nombre de personnes ont compris que France Ô ne serait plus diffusée sur la TNT mais qu'il y aurait une chaîne sur internet. L'illusion s'est dissipée mais l'équivoque demeure. On a expliqué qu'il s'agira de programmes accessibles à la demande, en fonction des horaires, comme des podcasts. Mais comme il ne sera plus nécessaire de produire du temps d'antenne pour une chaîne 24 heures sur 24, je crains que le volume produit ne soit inférieur à celui qui servait à alimenter la chaîne France Ô.
La bascule vers le numérique ne va concerner que quelques personnes. Que va devenir le personnel de France Ô ? La réforme impactera également les autres personnes qui travaillent sur les outre-mer. Si le plateau ne tourne plus, que deviendront les techniciens ?
Quelle est votre marge de manoeuvre face à cette décision du Gouvernement ?
L'Assemblée nationale et le Sénat auront à se prononcer sur la réforme globale de l'audiovisuel. Les aspects règlementaires relèvent du pouvoir propre du Gouvernement. Le Gouvernement a fait le choix de mener cette réforme sans réaliser d'étude d'impact. Nous nous sommes saisis du sujet et nous allons entendre tout le monde. C'est la raison pour laquelle nous vous avons demandé d'être libres de votre parole. À l'issue de nos travaux, nous ferons des préconisations concrètes, précises et réalistes qui pourront être reprises par le Gouvernement ou les parlementaires.
Vous parlez de préconisations ; il n'y a donc pas d'obligations ?
L'Assemblée nationale et le Sénat votent la loi et contrôlent l'action du Gouvernement. Mon souhait est qu'il ne soit pas trop tard et que le Gouvernement accepte, avant de décider trop vite, d'écouter le Sénat.
Après un temps de réflexion, la Délégation sénatoriale aux outre-mer présentera son rapport. Nos réflexions sont transversales parce que les sujets ultramarins nous unissent et transcendent les courants politiques. Si nous estimons que les décisions du Gouvernement ne vont pas dans le bon sens, notre objectif sera de chercher à les infléchir. À l'avenir, on ne pourra pas dire que la délégation n'avait pas prévenu des risques de la réforme.
Je crois comprendre que vous allez dans le même sens que nous.
Nous partons avec beaucoup d'optimisme et espérons convaincre le Gouvernement.
Je tiens à insister sur l'inquiétude du personnel devant les risques de disparition de la chaîne. Autrefois, à l'époque de RFO, nous diffusions, sur France 3, 90 minutes de programmes. Un journal était diffusé tous les jours à midi. Si on veut augmenter la visibilité des outre-mer sur les grandes chaînes « nobles », il est opportun de ne pas diminuer le volume de diffusion.
Le journal diffusé tous les jours à midi réunissait 1,5 million de téléspectateurs.
Bien que la notion d'audience soit à prendre avec prudence, on nous oppose le fait que France Ô est tellement spécifique que la chaîne n'est regardée que par 60 000 personnes. Si les informations étaient basculées sur une chaîne publique, regardée par plusieurs millions de personnes à la fois, celles-ci seraient incitées à s'intéresser davantage aux événements évoqués.
Il est dommage que cette visibilité sur France 3, autrefois France 3 outre-mer, ait été supprimée ! Les téléspectateurs n'étaient pas tous des ultramarins. Ils regardaient notre journal comme ils regardaient le journal de France 3.
Les deux axes peuvent être complémentaires. Avoir, sur une chaîne généraliste, des fenêtres - quitte à ce qu'elles renvoient vers des portails complémentaires - ne dispense pas d'avoir une chaîne dédiée. Permettez-moi de faire un parallèle avec France culture ou Arte. C'est comme si on nous proposait de fermer France culture, sous prétexte que la station a une audience relativement restreinte, pour mettre de la culture sur France inter ; ou de fermer Arte en raison de son audience qui n'est pas très élevée. Conserver France culture n'empêche pas de mettre de la culture sur France inter.
Dans le cahier des charges des chaînes publiques, il y avait une obligation à prendre en compte l'ensemble des territoires, y compris les outre-mer. France Ô était l'alibi des autres chaînes pour ne pas respecter cette obligation. Votre position consiste à préconiser de conserver les deux voies de diffusion et à imposer aux chaînes publiques de respecter le cahier des charges.
Le cahier des charges actuel n'est pas respecté. Le nouveau le sera-t-il davantage ? Le régulateur a failli à son rôle en ne rappelant pas les chaînes à leurs obligations.
Si on veut que nous fassions de l'audience, c'est très facile : qu'on nous donne des programmes et des moyens ! Nous ne pouvons pas faire 35 % d'audience avec un budget de 25 millions d'euros.
La sitcom de France 2 « Un si grand soleil » coûte 35 millions d'euros. À lui seul, ce feuilleton est supérieur de 10 millions à la totalité du budget de France Ô !
Dans le nouveau CSE qui a pris la place des anciennes instances, nous sommes 11 élus. Nous avons également des représentants syndicaux de FO, du SNJ, de la CGT, de la CFDT, de la CGC et de l'UNSA.
Tout à fait.
Nous avons eu, il y a quelques années, des programmes comme « Couleurs sports » qui faisaient de l'audience. Ce magazine, une fois par semaine, donnait les résultats de tous les outre-mer avec un invité qui avait le temps de s'exprimer. Il a disparu. La plupart des sportifs sont issus des outre-mer ; il faudrait en tenir compte.
Je voudrais revenir sur la question des plateaux. La fermeture des plateaux de Malakoff, annoncée par Mme Ernotte-Cunci, liée à la fermeture de la chaîne, rendra très difficile la poursuite de la production sur le site. Cela aura nécessairement un impact sur les chaînes La 1ère.
Je n'ai pas entendu cela. À mon avis, cela n'est pas prévu.
La présidente l'a annoncé lors de la réunion du groupe de travail.
Sur le site de Malakoff, nous avons de beaux plateaux, de vrais moyens de production, une régie de diffusion renouvelée de fond en comble il y a un an et demi. Nous pouvons réaliser un journal 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 quoi qu'il se passe sur la planète. Nous rayonnons sur tous les océans, malgré les contraintes du décalage horaire. Il y a eu, pendant un moment, un projet qui visait à faire de Malakoff la roue de secours du siège en cas de crue de la Seine. Nous pouvons encore prendre le relais ; nous le faisons régulièrement avec toutes les stations des outre-mer. C'est le cas en ce moment avec la Martinique, victime d'un problème technique. Nous reprenons leur antenne à la volée.
Pour ne parler que de l'information, tous les reportages produits à Paris, en banlieue ou dans tout le reste de la France sont envoyés dans toutes les régions, quotidiennement. Nous disposons d'un service habilité à le faire. Demain, nous ne pourrons plus le faire.
C'est pour cela que votre annonce de fermeture des plateaux nous surprend. On ne peut pas améliorer une infrastructure, un site pendant des années, pour ensuite tout supprimer du jour au lendemain ! La partie des documentaires, des reportages ne devrait pas être concernée par les transformations annoncées par le Gouvernement. Dès lors que l'on maintient tout cela, on maintient aussi des moyens, y compris des moyens humains.
Lors de son élection, j'ai suivi toute une journée le sénateur Thani Mohamed Soilihi pour réaliser un portrait. Je l'ai fait comme d'autres ont pu le faire pour des sportifs, des comédiens dans l'hexagone. Demain, nous ne pourrons plus le faire.
Le site de Malakoff est au service des outre-mer, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Si nous ne sommes plus là, qui le fera à notre place ?
En parallèle, nous voyons bien les mouvements de centralisation des fonctions support, des ressources humaines, des rédactions (Info 2015), de la direction des programmes qui s'opèrent vers la tour EOS d'Issy-les-Moulineaux ou le siège. Nous craignons de nous retrouver bien seuls dans l'immeuble ! Vous devinez bien notre crainte...
Ce qui semble immuable ne l'est pas forcément. Autrefois, nous avions en face de nous le siège de France 3 Île-de-France. Tout le monde a été rapatrié au siège au motif que cela était plus rationnel. Dans un premier temps, la direction a assuré que France 3 Île-de-France resterait une direction régionale, au même titre que celle de Marseille ou de Strasbourg, mais au sein du groupe. Puis la direction a relevé que la station n'avait plus besoin d'une entrée à part, qu'il convenait de ne pas doublonner les services administratifs, tout comme les services techniques. Maintenant, on leur donne l'assurance qu'ils vont garder une rédaction spécifique, mais on commence à dire aux cameramen qu'ils ne devraient pas réaliser des sujets uniquement sur l' Île-de-France. À terme, la spécificité de cette station, au nom de la rationalisation et des contraintes économiques, va disparaître. Pour l'instant, Malakoff est un morceau plus gros à avaler mais qui nous dit qu'un jour on ne nous dira pas qu'il serait plus rationnel de mettre tout le monde dans le même local ? Le service maison, fait pour Wallis, Saint-Pierre, Saint-Barthélemy, Saint-Martin... risque de disparaître avec une structure nationale.
Nous entendons vos inquiétudes. Nous en avons également. En quelques jours, nous sommes passés d'une situation où nous entendions dire que rien n'était décidé, qu'une commission allait étudier le sujet, à celle de l'annonce de la fermeture puis de la transformation de France Ô.
Nous avons la chance de bénéficier de spécificités ultramarines qui ne disparaitront pas aussi facilement que celles de France 3 Île-de-France ; plus que jamais, les ultramarins veulent que leurs particularités soient reconnues. Nous, élus de ces territoires, c'est notre raison d'être ici, nous sommes engagés pour eux.
Le mot de discrimination est peut-être fort, mais comment expliquer le fait que toutes les chaînes régionales pourraient être visibles sur une box, hormis celles des outre-mer ? Pourquoi arrêter la diffusion sur la TNT qui reste du service public ? Si on nous oppose l'audimat, alors pourquoi garder une chaîne d'information qui fait moitié moins d'audience ? L'argument est de dire que nous ne sommes pas dans le diktat de l'audimat pour la chaîne info. Mais l'argument vaut pour les outre-mer. Quelle est la logique ?
Est-ce que l'audience a une importance pour le service public ? La mission est d'être au service du public.
Si le service public n'intéresse que dix personnes, ce n'est pas une bonne chose non plus.
Mais les spécificités de ces dix personnes concernent tout le monde. Ce n'est pas parce que dix personnes ont des cultures différentes qu'elles doivent être ignorées. La France n'a pas de couleurs ; elle est forte de ses diversités. Je regrette que l'on n'en tienne pas compte.
Les mesures d'audimat sont différentes selon qu'elles sont nationales (0,6 %) ou relevées dans nos territoires (jusqu'à 4 %). Pourquoi tenir compte de l'un et non de l'autre ?
La même chose n'est pas faite pour France 3.
Il faudra clarifier cela, mais il n'a jamais été question de fermer les plateaux de Malakoff. Ils sont au service de l'outre-mer, de France info, des 9 stations locales. Malheureusement, nous n'aurons pas le temps de faire une visite des étages de notre site aujourd'hui.
Merci de nous avoir écoutés, en espérant que vous nous avez entendus.
Pourrions-nous envisager une autre réunion, avec les salariés ?
Nous allons nous concerter avec les rapporteurs pour vous proposer une date. Cependant, chacun doit être bien conscient de notre situation. Nous rendrons compte fidèlement des propos que nous entendons, prenons note de toutes les propositions. Il ne faudrait pas que les personnes que nous rencontrerons puissent penser que nous sommes capables de sortir de réunion en se disant que nous avons réglé le problème.
N'ayez aucune inquiétude à ce sujet. Le but est bien d'échanger avec les salariés.