La commission a tout d'abord procédé à la désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte et du projet de loi relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et portant ratification d'ordonnances.
Elle a désigné MM. Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat, Patrice Gélard, Yves Détraigne, Bernard Frimat, Simon Sutour et Mme Eliane Assassi comme membres titulaires et Mmes Anne-Marie Escoffier, Jacqueline Gourault, MM. Dominique de Legge, Jean-Claude Peyronnet, François Pillet, Jean-Pierre Sueur et Jean-Pierre Vial comme membres suppléants.
Puis la commission a examiné le rapport d'information du groupe de travail sur la responsabilité civile.
a observé que la réforme du droit de la responsabilité, droit essentiellement jurisprudentiel, constituait avec celle du droit des obligations le prochain grand chantier de la rénovation du code civil, entreprise depuis plusieurs années avec les réformes successives du droit de la famille, du droit des successions et des libéralités, ou encore du droit des sûretés.
Il a rappelé que la première pierre de ce chantier avait été posée, à l'initiative de la commission, avec l'adoption de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
Il a enfin souligné qu'en constituant un groupe de travail sur la responsabilité civile, la commission avait souhaité anticiper une réforme essentielle pour la vie quotidienne des citoyens comme pour la compétitivité des entreprises.
a exposé que le groupe de travail avait procédé à une quarantaine d'auditions de représentants des milieux économique, judiciaire, universitaire, des administrations et de la société civile, avec pour base de travail l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription élaboré en 2005 par plusieurs universitaires sous l'égide de M. Pierre Catala, professeur émérite de l'université de Paris 2.
Il a indiqué que ces auditions avaient mis en exergue la nécessité d'une réforme du droit de la responsabilité civile, même si certaines personnes entendues auraient souhaité ne rien changer.
Il a observé que les règles extrêmement concises du code civil relatives à la responsabilité contractuelle (articles 1146 à 1155) ou extracontractuelle (articles 1382 à 1386) n'avaient guère été modifiées depuis 1804.
Il a toutefois souligné que le droit de la responsabilité civile avait fortement évolué et s'était sensiblement complexifié, au prix de nombreuses incohérences et d'une certaine insécurité juridique, sous le double effet du développement de la jurisprudence et de la multiplication, au coup par coup, de régimes particuliers tels que celui des accidents de la circulation ou celui des produits défectueux.
Il a ajouté que les évolutions en cours dans les autres pays et la volonté des institutions de l'Union européenne de créer un « cadre commun de référence » en matière contractuelle ne pouvaient être ignorées.
Enfin, il a estimé que le droit de la responsabilité civile ne parvenait pas, dans certains domaines, à atteindre sa pleine efficacité.
Présentant les premières recommandations du groupe de travail, M. Alain Anziani, co-rapporteur, a souligné l'importance du droit de la responsabilité civile qui trouvait à s'appliquer dans de nombreux actes de la vie quotidienne. Il a fait valoir que le groupe de travail s'était accordé sur une triple nécessité : celle de consolider la jurisprudence, de la clarifier sur les principaux points qui font encore aujourd'hui débat et d'intégrer un certain nombre d'innovations au régime juridique actuel.
Il a rappelé que la division du droit de la responsabilité civile entre les dispositions du régime général et un nombre très important de régimes spéciaux (plus de soixante-dix) était source de confusions, ce qui justifiait, d'une part, de recommander la suppression des doublons du régime général existant dans les régimes spéciaux et leur remplacement par des renvois, afin d'éviter les risques d'interprétations divergentes des règles communes et, d'autre part, d'affirmer le principe d'exclusivité d'application des régimes spéciaux par rapport au régime général.
Afin de garantir un accès plus aisé au droit de la responsabilité civile, il a proposé d'intégrer au code civil les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ; de privilégier la solution de la codification des autres régimes spéciaux dans les codes spécialisés susceptibles de les accueillir et de traduire, dans le code civil, l'acquis jurisprudentiel du droit de la responsabilité civile en sélectionnant les solutions qu'il convient de consacrer. Sur ce dernier point, il a notamment fait valoir que la nature éminemment prétorienne de ce droit ne permettait pas toujours au justiciable d'être suffisamment averti des règles susceptibles de s'imposer à lui.
Enfin, M. Alain Anziani, co-rapporteur, a indiqué que le groupe de travail souhaitait maintenir l'architecture actuelle du droit de la responsabilité civile, fondée sur la distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle. Il a ainsi exposé que cette distinction, si elle était ignorée de bien des droits étrangers, demeurait pertinente au regard de la nécessité de préserver l'économie des contrats et la volonté des parties de prévoir, le cas échéant, des clauses exclusives ou limitatives de responsabilité en matière contractuelle.
Il a exposé que le groupe de travail recommandait également de consacrer le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, en l'assortissant d'une exception au profit des victimes de dommages corporels, celles-ci devant pouvoir opter pour le régime de responsabilité qu'elles estiment être de leur intérêt.
Il a enfin ajouté qu'il convenait, même si cette hypothèse était sans doute très théorique, de permettre à un tiers au contrat de demander réparation du dommage causé par l'inexécution d'une obligation contractuelle sur le fondement soit de la responsabilité contractuelle, en se soumettant alors à l'ensemble de ses règles, soit de la responsabilité délictuelle, à la condition d'être en mesure de démontrer la réunion des conditions nécessaires à la mise en jeu de cette responsabilité.
et Jean-Jacques Hyest, président, ont estimé qu'une telle hypothèse pouvait se présenter en cas de dommages causés au voisin du maître de l'ouvrage par l'entrepreneur chargé de réaliser des travaux.
a ensuite présenté les recommandations du groupe de travail relatives aux conditions de la responsabilité civile.
Il a indiqué qu'il paraissait inutile d'introduire dans le code civil la notion de « préjudice collectif » dans la mesure où, d'une part, l'article L. 421-1 du code de la consommation reconnaît déjà l'existence d'un « préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs » et permet à certaines associations d'exercer les droits reconnus à la partie civile, d'autre part, la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement a créé un régime spécifique de réparation des dommages les plus graves causés à l'environnement ou aux espèces et habitats.
Il a également jugé inopportun de poser le principe abstrait d'une possibilité de condamnation immédiate de l'auteur d'un préjudice dépendant d'un événement futur et incertain. S'il a reconnu que la question s'était posée dans des affaires concernant des personnes devenues séropositives à la suite d'une transfusion sanguine mais dont il n'était pas certain qu'elles fussent un jour atteintes du syndrome d'immunodéficience acquise, il a souligné que l'affirmation d'un principe général poserait davantage de difficultés qu'elle n'en résoudrait, dès lors que les victimes ne seraient pas dispensées de se présenter à nouveau devant le tribunal pour obtenir la liquidation de leur droit à réparation.
a exposé que le groupe de travail préconisait d'inscrire dans le code civil les règles jurisprudentielles relatives à l'exonération, du fait de la victime, de la responsabilité de l'auteur d'un dommage en supprimant tout effet exonératoire lorsque la victime est privée de discernement. Il importe en effet, a-t-il déclaré, que les personnes qui pratiquent une activité sportive à risque comme le « canyonisme » sachent qu'en cas de dommage, elles ne pourront rechercher la responsabilité du maire qui aura respecté ses obligations légales et réglementaires, notamment de délimitation des zones à risque.
S'agissant des règles propres aux accidents de la circulation édictées par la loi du 5 juillet 1985 dite « loi Badinter », M. Alain Anziani, co-rapporteur, a précisé que le groupe de travail préconisait, d'une part, d'assimiler les accidents de chemin de fer et de tramway aux autres accidents dans lesquels un véhicule terrestre à moteur est impliqué, d'autre part, d'assimiler le conducteur aux autres victimes d'un accident de la circulation.
a souligné que le groupe de travail n'était pas favorable à la généralisation de la jurisprudence relative aux accidents de chasse, en vertu de laquelle la responsabilité solidaire des membres identifiés d'un groupe peut être engagée pour un dommage causé par un membre indéterminé de ce groupe. Il a estimé que l'énonciation d'une telle règle pourrait avoir des effets pervers, par exemple en permettant de rechercher la responsabilité solidaire de simples manifestants pour des bris de vitres par un groupe de « casseurs » non identifiés.
a indiqué que le groupe de travail était favorable à la consécration du régime général de la responsabilité du fait des choses mais souhaitait remettre en cause la jurisprudence subordonnant la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur à un simple fait causal de ce dernier, au profit de l'exigence d'une faute. A titre d'illustration, il a jugé anormal qu'il soit possible d'engager la responsabilité des parents d'un enfant mineur ayant causé un dommage à autrui lors d'un match de rugby alors qu'il respectait les règles du jeu, mais non celle de l'adulte ayant causé le même dommage dans les mêmes circonstances.
Enfin, M. Alain Anziani, co-rapporteur, a indiqué que le groupe de travail préconisait :
- de supprimer l'exigence d'une cohabitation avec l'enfant pour la mise en jeu de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur ;
- de maintenir la règle prétorienne suivant laquelle la responsabilité civile du préposé ne peut être recherchée que s'il a commis un abus de fonction ou certaines infractions pénales ;
- de ne pas retenir le principe d'une responsabilité sans faute du fait d'un état de dépendance économique, qui permettrait par exemple la mise en cause d'une société mère pour un dommage causé par l'une de ses filiales, car cela remettrait en cause les principes généraux du droit de la responsabilité civile.
Sur les effets de la responsabilité, M. Laurent Béteille, co-rapporteur, a souligné la nécessité de créer pour la victime d'un préjudice non corporel une obligation de diminuer ou de ne pas aggraver son dommage, cette obligation n'étant qu'une obligation de moyens, appréciée in concreto eu égard aux circonstances et à la personnalité de la victime. Il a précisé que le groupe de travail réuni autour de M. Pierre Catala avait présenté la même proposition qui reprend une disposition déjà existante dans certains droits étrangers, notamment en common law. Il a noté que l'obligation ainsi créée existait déjà en droit français des assurances et qu'elle présentait un intérêt moral puisqu'elle engageait la victime à agir pour ne pas laisser son préjudice empirer.
Développant la recommandation n° 24 prônant les dommages et intérêts punitifs en cas de fautes lucratives, il a rappelé que cette proposition, issue du rapport du groupe de travail de M. Pierre Catala, était elle aussi inspirée du droit anglo-saxon et qu'elle avait suscité au cours des auditions un certain nombre d'oppositions tranchées, notamment de la part des représentants des entreprises. Il a estimé qu'elle présentait un intérêt certain dans trois cas : celui, illustré par les atteintes répétées à la vie privée de certaines personnes publiques perpétrées par les journaux à scandale, des fautes lucratives pour lesquelles le gain obtenu est supérieur au coût de la réparation du préjudice ; celui de la contrefaçon pour laquelle il peut être réclamé au contrefacteur des dommages et intérêts forfaitaires qui prennent en compte le profit qu'il a pu tirer de sa contrefaçon, sans que cela remette en cause le principe de la réparation intégrale du préjudice subi par la victime ; et celui du droit de la consommation dans lequel un préjudice d'une trop faible ampleur pour entraîner une action en responsabilité individuelle est répété à grande échelle au bénéfice de l'entreprise responsable.
a considéré que l'institution de dommages et intérêts punitifs présentait dans ce cadre une réelle utilité, à la condition qu'on y fixe un certain nombre de limites. Il convient notamment de les réserver à quelques contentieux spécialisés, dont seraient exclus les litiges intervenant dans le champ du droit de la consommation qui relèveraient plutôt de l' « action de groupe » dont la recommandation n° 23 propose de définir le régime. De la même manière, les deux rapporteurs se sont entendus sur la nécessité d'assigner un montant maximum aux dommages et intérêts punitifs en fonction des dommages et intérêts compensatoires sans s'accorder cependant sur le quantum à retenir. Ils ont en outre proposé de permettre au juge de choisir à qui seront versés les dommages et intérêts punitifs entre la victime, un fonds d'indemnisation ou le Trésor public. M. Laurent Béteille, co-rapporteur, a enfin évoqué un problème connexe, celui du caractère assurable ou non des dommages et intérêts punitifs.
S'attachant à la question de l'évaluation du préjudice, il a souligné que le groupe de travail proposait d'obliger le juge à procéder à une évaluation distincte pour chaque chef de préjudice allégué sans pouvoir, sauf pour les dommages de plus faible montant, se limiter à une évaluation in globo, « toutes causes de préjudice confondues ». Il a par ailleurs précisé que, conformément aux attentes exprimées en ce sens par la plupart des associations de victimes, il convenait à la fois de prévoir l'adoption d'un barème national d'invalidité qui puisse servir de référence au juge dans son évaluation du dommage, de privilégier le versement de la réparation sous forme de capital pour les dommages de plus faible ampleur, et de conforter la possibilité offerte au juge, lorsqu'il décide le versement d'une rente indexée, de déterminer cet indice et de prévoir, le cas échéant, les conditions de la révision de la rente.
En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, président, qui l'interrogeait sur la recommandation n° 22 du groupe de travail relative à l'indemnisation du préjudice par le juge pénal, M. Laurent Béteille, co-rapporteur, a fait valoir que les juridictions pénales se montraient plus sévères que les juridictions civiles dans l'évaluation des préjudices non corporels et qu'il convenait de remédier à l'inégalité ainsi créée.
a relevé que les recommandations les plus innovantes étaient celles relatives à l'instauration des dommages et intérêts punitifs et à la création de l'action de groupe. Il a estimé que la première apportait une réponse adaptée aux problèmes posés par la faute lucrative et la seconde, qui requérait un examen attentif, à ceux posés par certaines ententes en matière de télécom.
Marquant son accord avec ces recommandations qui ne réservent pas nécessairement le bénéfice des dommages et intérêts punitifs aux victimes du dommage, M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que, d'ores et déjà, l'autorité de la concurrence infligeait des amendes élevées aux opérateurs qui ne respectaient pas les règles en matière de concurrence et il s'est prononcé pour ce type de sanctions financières.
En réponse à la demande d'éclaircissement formulée par M. Pierre-Yves Collombat sur la possibilité pour un tiers au contrat de fonder son action en responsabilité sur l'inexécution d'une obligation contractuelle, M. Alain Anziani, co-rapporteur, a précisé qu'elle pouvait jouer lorsqu'un tiers était directement intéressé aux conséquences d'un litige existant entre deux contractants.
s'est par ailleurs demandé si, plutôt que d'instaurer des dommages et intérêts punitifs, il ne convenait pas de proportionner la réparation du préjudice au gain que le responsable du dommage tire de la faute qu'il commet.
Soulignant la nécessité de prévoir des garde-fous en la matière, M. Laurent Béteille, co-rapporteur, a rappelé que la solution de l'amende civile était parfois préférée à celle des dommages et intérêts punitifs. Il a estimé qu'en dessinant des perspectives pour la réforme du droit de la responsabilité civile, le rapport d'information avait pour objet d'ouvrir le débat sur le sujet et non de le clore.
a considéré que le rapport portait sur un sujet important, susceptible de concerner chacun dans sa vie quotidienne, et il a appelé à une modernisation du droit de la responsabilité civile qui porte remède à la tendance croissante des justiciables à agir sur le plan pénal pour obtenir une réparation efficace de leur préjudice.
A l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport d'information.