La mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver a examiné le rapport de MM. Michel Billout, Jean-Marc Pastor et Marcel Deneux, rapporteurs.
a rappelé que la mission avait procédé, depuis le mois de janvier, à 32 auditions ayant permis d'entendre plus d'une cinquantaine de personnalités représentatives du secteur de l'électricité, dont le ministre chargé de l'énergie du gouvernement précédent, M. François Loos, divers experts et universitaires, ainsi que les représentants des gestionnaires de réseaux, de l'autorité de régulation, des organismes publics du secteur, des producteurs, des intermédiaires et fournisseurs et des consommateurs, industriels ou particuliers.
Estimant que la problématique avait ainsi été bien couverte, il s'est félicité qu'elle ait pu être inscrite dans une dimension européenne grâce aux déplacements de la mission à Bruxelles et dans six pays européens, à l'occasion desquels plus d'une centaine d'interlocuteurs ont été rencontrés. Il a également noté que les déplacements effectués en région parisienne et à Dunkerque avaient permis à la mission d'observer in situ des installations et des sites de production, donnant ainsi un caractère concret aux informations recueillies lors des entretiens.
Après avoir observé que la mission avait ainsi respecté les lignes directrices qu'elle s'était fixé, M. Bruno Sido, président, a indiqué que le rapport d'information était construit autour de trois parties qui, suivant « le trajet de l'électricité », abordent chacune l'un des trois domaines dans lesquels il convient d'agir pour garantir la sécurité d'approvisionnement électrique de la France : la production d'abord, le transport et la distribution ensuite, la maîtrise de la consommation enfin. Il a souligné que ces trois parties, bien que distinctes, relevaient d'un socle commun auquel lui-même et les trois rapporteurs adhéraient, et qui comporte un constat, deux observations et trois principes fondamentaux.
Il a ainsi fait le constat que le système électrique français fonctionne aujourd'hui correctement, dans un cadre garantissant aux consommateurs une fourniture d'électricité d'excellente qualité, avec une grande régularité et à un coût satisfaisant, remarquant que cela n'interdisait pas de réfléchir à la manière de garantir la sécurité d'approvisionnement électrique du pays à long terme.
Il a ensuite observé :
- d'une part, que l'électricité est un bien dont les caractéristiques intrinsèques sont si particulières qu'elles justifient pleinement les règles de service public qui lui sont traditionnellement imparties en France, et qu'elles semblent rendre inadaptées les règles habituelles de fonctionnement des marchés libéralisés ;
- d'autre part, que la France doit être d'autant plus attentive que la réflexion s'inscrit dans un cadre communautaire sur l'énergie récemment fixé par le Conseil européen, qui a retenu les deux autres axes de travail que sont l'amélioration de la compétitivité du marché et la lutte contre le réchauffement climatique, qui peuvent parfois s'avérer contradictoires avec l'objectif de sécurité d'approvisionnement.
Pour M. Bruno Sido, président, de ce constat et de ces observations résultent les trois principes fondamentaux du rapport. Il est absolument nécessaire pour la France de conserver une maîtrise publique dans le domaine électrique, et pour l'Europe, de bâtir un système où la régulation, par nature publique, permettra d'anticiper sur les problèmes et d'éviter les crises. Ensuite la composition des bouquets énergétiques des différents pays interconnectés n'est pas uniquement une question d'ordre national, et l'interconnexion des réseaux électriques doit faire primer les préoccupations de sécurité et de solidarité sur les intérêts commerciaux. Enfin un des aspects majeurs de la sécurité d'approvisionnement étant la maîtrise de la demande d'électricité (MDE), qui passe notamment par la gestion des « pointes », les mécanismes dits « d'effacement » ou encore l'efficacité énergétique des processus industriels, des bâtiments et des équipements, beaucoup de nos comportements doivent changer, non pas forcément pour moins consommer d'électricité, mais pour la consommer toujours mieux.
En conclusion, M. Bruno Sido, président, a émis le souhait que la mission s'accorde sur le même consensus que celui auquel ses collègues rapporteurs et lui-même sont parvenus.
Présentant la première partie du rapport, relative à la production d'électricité, M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, a tout d'abord rappelé que la politique de la France en la matière présentait deux particularités essentielles, à savoir :
- le choix d'une forte production d'origine nucléaire assurant les besoins nationaux en base, des fragilités existant cependant tant pour ce qui concerne les capacités de pointe que pour la répartition des unités de production sur le territoire ;
- la fixation de tarifs réglementés garantissant un niveau de prix adéquat.
Soulignant l'importance du contexte européen, le réseau de transport français étant largement interconnecté avec ceux de ses voisins, il a exprimé son inquiétude à ce sujet après les déplacements de la mission à l'étranger, les autorités publiques des six pays visités ne lui paraissant pas toujours conscientes de l'ampleur des enjeux :
- en Allemagne, la coalition gouvernementale est très divisée sur une question aussi essentielle que la production nucléaire, le problème de la dépendance à l'égard du gaz russe ne semblant susciter, en revanche, aucune préoccupation ;
- la Pologne produit 95 % de son électricité à partir de centrales thermiques fonctionnant, pour l'essentiel, au charbon, et craint que les obligations communautaires, matière de réduction d'émissions de CO2, ne soient de nature à freiner son dispositif économique ;
- le Royaume-Uni, qui s'est longtemps reposé sur ses réserves d'hydrocarbures en mer du Nord, paraît compter sur le marché pour envoyer les signaux nécessaires à la construction des nouvelles unités de production nécessaires. Il a toutefois relevé que, dans son Livre blanc sur l'énergie de mai 2007, le gouvernement britannique avait souhaité que les actuelles centrales nucléaires du pays puissent, le moment venu, être remplacées par de nouvelles unités nucléaires ;
- la Suisse, dont la production est équilibrée entre le nucléaire et l'hydraulique, bénéficie en outre de sa position centrale en Europe pour, le cas échéant, bénéficier des capacités de ses voisins ;
- l'Italie, dont la production est structurellement déficitaire, est, de plus, très dépendante du gaz russe ;
- l'Espagne, qui dispose d'une vision à moyen terme et d'un bouquet de production relativement équilibré, continue à demander une coopération accrue avec la France, notamment pour bénéficier de sa production nucléaire.
Constatant enfin que les capacités de production européennes allaient diminuer dans les années à venir si « rien n'était fait », alors même que la consommation était appelée à augmenter, M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, a estimé à 1.000 milliards d'euros le montant des investissements à réaliser en la matière au cours des 25 prochaines années, appelant à une « prise de conscience collective » de l'importance de ce sujet.
Puis, abordant la composition du bouquet de production électrique de la France, il a tout d'abord rappelé que le nucléaire en représentait 78 % du total et jugé que, seule, une entreprise publique (EDF) devait demeurer opérateur de l'ensemble des centrales en raison de la lourdeur des investissements, de leur durée sur le très long terme (jusqu'au démantèlement des centrales) et de l'importance des questions sociétales sous-jacentes. Il a ensuite indiqué que les centrales thermiques posaient d'abord la question de la sécurité de l'approvisionnement en énergie primaire, observant notamment que 97 % du gaz français étant importé, puis celle des émissions de CO2. Puis, après avoir rappelé l'engagement de la France à consommer, d'ici à 2020, 21 % de son énergie à partir de sources d'énergie renouvelables (ENR), contre 12 % en 2006, M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, a déclaré qu'un potentiel de croissance existait en matière d'hydraulique (notamment en envisageant la mise en place de « concessions de vallées » susceptibles de rationaliser la gestion des barrages), de stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) et d'éolien, tout en relevant que, s'agissant d'une production de base, cette dernière filière ne permettait pas de répondre au problème du manque de capacités de pointe.
Il en a conclu que la composition du bouquet électrique français devait évoluer dans le sens d'une diminution de la part relative du nucléaire, qui avait toutefois vocation à rester dominant, et d'une hausse de la part des ENR et des capacités de pointe. Puis, s'inscrivant dans une perspective plus large, il a mis en exergue la nécessité d'une réorientation de la politique électrique au niveau européen, au sein d'un « pôle européen de l'énergie » fonctionnant sur la base d'une réelle solidarité entre les pays, notamment pour les questions ayant trait aux ENR et au respect des engagements environnementaux.
a ensuite abordé la problématique des prix de l'électricité, opposant le modèle européen du marché libre au dispositif français des tarifs régulés. Il a d'abord jugé qu'à une composition différenciée du bouquet électrique national devaient correspondre des niveaux de prix différents, et que la France n'avait pas vocation à devenir le « poumon nucléaire » de l'Europe. Il a ensuite observé que les clients ayant exercé leur éligibilité, à commencer par les plus gros consommateurs, souhaitaient à présent revenir aux tarifs régulés, l'instauration du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM) par la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie ayant partiellement répondu à cette attente. Il a expliqué qu'en effet, les prix du marché libre, qui se forment à partir des coûts de production de la dernière unité appelée, avaient beaucoup augmenté au cours des dernières années et dépassaient aujourd'hui largement les tarifs réglementés. De même, il a considéré que les industriels « électro-intensifs » avaient besoin d'une visibilité à long terme de la disponibilité et du coût de leur électricité, se félicitant, à cet égard, de la mise en place du consortium « Exceltium », et estimé opportun de permettre à certains électriciens de participer financièrement à la construction d'unités nucléaires avec EDF, sans pour autant devenir opérateurs.
a enfin évoqué les bourses d'électricité, jugeant nécessaire l'instauration de telles structures d'échanges, mais insistant sur le fait que leur finalité devait être physique (les besoins d'ajustement du réseau) et non spéculative, ainsi que sur le contrôle et la régulation qui devaient encadrer leur fonctionnement.
Indiquant en conclusion que le rapport contenait, pour la partie concernant la production, onze propositions, il a mis en exergue quatre d'entre elles : la création d'un pôle européen de l'énergie, le maintien des tarifs régulés, la mise en place, par chaque Etat de l'Union européenne, d'un bilan prévisionnel d'équilibre entre l'offre et la demande, et la possibilité d'associer d'autres électriciens qu'EDF au financement des centrales nucléaires, sous réserve que la gestion de la filière demeure sous le contrôle de l'opérateur public.
Evoquant ensuite la partie du rapport relative aux réseaux électriques, M. Michel Billout, rapporteur, a tout d'abord souligné que la sécurité de l'approvisionnement électrique était aussi une affaire d'acheminement, dès lors que l'électricité ne se stockant pas, il faut garantir à tout instant l'équilibre entre la production et une consommation très variable. Il a ainsi indiqué que les gestionnaires de réseaux faisaient face à plusieurs défis : le défi de l'Europe, le territoire national n'étant plus le seul espace pertinent pour ce qui concerne la sûreté des réseaux, le défi de l'investissement, les réseaux restant à développer et à améliorer, et le défi de l'adaptation à un nouvel environnement technique, en raison notamment du fort développement des moyens de production décentralisés.
Au sujet de l'Europe, M. Michel Billout, rapporteur, a constaté que, si la problématique de la concurrence ne se posait pas dans les mêmes termes que pour la production, les réseaux électriques constituant des monopoles de fait, la Commission européenne véhiculait malgré tout une idéologie libérale par deux canaux : la promotion d'un « modèle unique » de séparation patrimoniale entre producteurs et gestionnaires de réseaux de transport (GRT), d'une part ; l'appel au renforcement des interconnexions dans un but de développement du marché, d'autre part.
A cet égard, il a estimé que la sûreté des réseaux reposait sur le respect de contraintes physiques et souligné que l'interdépendance croissante entre GRT européens allait de pair avec le développement des interconnexions, au moins dans des zones synchrones telles que la zone Union pour la coordination du transport de l'électricité (UCTE), qui recouvre la majeure partie de l'Europe continentale, dont la France. Il a donc jugé indispensable de rendre contraignantes des règles de gestion des réseaux garantissant la sûreté de l'approvisionnement électrique des Européens et très coûteux leur éventuel non-respect. Compte tenu de ces mêmes réalités physiques, M. Michel Billout, rapporteur, a suggéré la création d'un centre européen de coordination de l'électricité qui, sans se substituer aux GRT nationaux, devrait être capable d'exercer une surveillance globale sur la zone UCTE et de détecter en amont tout risque de déséquilibre susceptible de se propager au-delà des frontières. Par ailleurs, il a estimé nécessaire d'assurer une régulation adéquate de tous les marchés pour garantir un fonctionnement conforme à l'intérêt de tous, considérant que l'exemple français pouvait servir à d'autres pays européens. Il a ajouté que la régulation des échanges transfrontaliers pourrait être assurée par un « ERGEG + », émanation de l'actuel groupe des régulateurs nationaux. Enfin, il a proposé de soutenir l'opposition au « modèle unique » de séparation patrimoniale entre producteurs et GRT et rappelé à cet égard que tous les intervenants avaient salué, devant la mission commune d'information, l'indépendance de Réseau de Transport d'Electricité (RTE) à l'égard d'EDF, efficacement garantie par la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
Abordant ensuite la question des investissements, M. Michel Billout, rapporteur, a déclaré que la poursuite d'un effort important apparaissait nécessaire, tant dans le réseau de transport que dans les réseaux de distribution.
Il a ainsi indiqué que le réseau de transport devait assurer le bouclage des « péninsules électriques » françaises (Bretagne et Provence - Alpes- Côte d'Azur), à défaut de pouvoir installer sur place les capacités de production idoines, et développer certaines interconnexions nécessaires à l'amélioration de la sécurité d'approvisionnement électrique des Européens, notamment les liaisons France - Espagne, sans, pour autant, se suréquiper pour des raisons de marché. Constatant que la principale difficulté pour développer ce type d'infrastructures résidait dans la longueur des procédures et la multiplication des recours, ces difficultés étant accrues pour les travaux internationaux tels que les interconnexions, il a préconisé :
- pour ce qui concerne la France, d'étudier les moyens d'accélérer les procédures préalables à la construction de nouveaux ouvrages (sans remettre en cause ni les décisions de justice, ni la légitimité de la réglementation environnementale) ;
- et, au niveau européen, de mettre à l'étude la création d'une procédure de déclaration d'utilité publique européenne pour de grandes infrastructures intégrées d'intérêt supérieur pour l'ensemble du continent.
S'agissant des réseaux de distribution, il a estimé qu'il fallait, là aussi, augmenter l'effort financier afin de moderniser les lignes et de renforcer l'enfouissement des lignes à basse et moyenne tension. Abordant enfin l'adaptation des réseaux au développement de la production décentralisée, en particulier de la production éolienne, M. Michel Billout, rapporteur, a tout d'abord observé que si l'éolien, dont la technologie est mature, était indispensable au respect des objectifs français en matière d'énergies renouvelables, sa croissance n'était pas sans poser problème. A propos de la gestion de l'aléa de production, il a fait référence à une étude détaillée de RTE annexée à son bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande de 2005 qui montre que, bien que la France dispose de trois régions de vent quasiment indépendantes, un parc d'une puissance installée supérieure à 10 GW compliquerait fortement la gestion du réseau. Il a donc proposé de ne pas aller au-delà de cette limite, remarquant que cela autorisait déjà un quintuplement du parc actuel. Puis, ayant rappelé que les enquêtes de l'UCTE et de l'ERGEG sur l'incident du 4 novembre dernier avaient souligné que les unités de production décentralisées, en particulier les éoliennes, avaient aggravé la crise en se déconnectant ou en se reconnectant automatiquement, et donc brutalement, au réseau, il a proposé de durcir les normes de construction et de connexion de ces unités. Enfin, il a estimé nécessaire que les procédures de communication et les plans de sauvetage entre GRT et gestionnaires de réseaux de distribution soient révisés pour prendre en compte la montée en puissance de la production décentralisée, en particulier le fait que les réseaux de distribution allaient dès lors devenir parfois injecteurs d'électricité sur le réseau de transport.
A l'issue de cette intervention, M. Daniel Raoul s'est demandé en quoi la séparation patrimoniale serait gênante pour EDF si l'indépendance de RTE était réellement assurée dès à présent. En réponse, M. Bruno Sido, président, évoquant une récente discussion à ce sujet avec M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE, a souligné l'intérêt du profil financier d'un GRT capable d'apporter des ressources stables à sa maison mère, ainsi que les problèmes, notamment comptables, que pourrait poser la sortie des infrastructures de réseau du bilan du groupe EDF. Puis M. Daniel Raoul, ayant de nouveau exprimé son scepticisme, voyant dans cette question un « problème de pouvoir », M. Michel Billout, rapporteur, a rappelé que le système actuel fonctionnait à la satisfaction de tous les acteurs du marché, M. Bruno Sido, président, ajoutant que la Commission européenne elle-même avait reconnu que ce système convenait à la France, et Mme Nicole Bricq concluant cet échange en soulignant l'importance des enjeux attachés à cette question.
a enfin évoqué la question de la maîtrise de la consommation d'électricité, impératif majeur pour assurer la sécurité d'approvisionnement, dans la mesure où elle permet, à la fois :
- de relâcher les contraintes financières, techniques et politiques pesant sur l'augmentation des capacités de production et de transport. Produire, puis transporter l'électricité coûte très cher et prend beaucoup de temps, alors que le potentiel de maîtrise de la demande peut être rapidement mobilisable ;
- de réduire la dépendance énergétique de la France, que ce soit en énergies fossiles ou en uranium ;
- d'entraîner des économies à long terme pour les ménages et les industriels ;
- et enfin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, ce qui favorise la préservation de l'environnement et de la santé humaine.
Insistant sur ce quadruple atout de la maîtrise de la demande d'électricité (MDE), M. Marcel Deneux, rapporteur, en a tiré comme idée-force que la meilleure électricité est encore celle qui n'est pas consommée.
Après avoir rappelé que la France, à travers la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) du 13 juillet 2005, a déjà pour objectif d'améliorer son intensité énergétique finale, c'est-à-dire le rapport de la consommation sur le PIB, de 2 % par an à partir 2015, puis de 2,5 % par an après 2030, il s'est félicité de ce que cette vision soit partagée par l'ensemble des pays de l'Union européenne, qui se sont fixé pour objectif de réduire de 20 % la consommation énergétique de l'Europe par rapport aux projections pour l'année 2020. Soulignant que si chacun s'accorde sur cet objectif, les moyens pour y parvenir sont cependant plus discutés, il a observé que les auditions en France, comme à l'étranger, avaient démontré que le jeu du marché et le niveau des prix ne suffiraient pas à déclencher les investissements nécessaires en matière d'efficacité énergétique. Estimant que cette incapacité du marché à inciter à la maîtrise de la consommation imposait la mise en place d'une politique publique comprenant des mesures à la fois économiques, institutionnelles et réglementaires, il a indiqué que les trois domaines principaux d'intervention à privilégier sont l'efficacité énergétique des bâtiments, l'utilisation d'équipements vertueux et la modification du comportement des consommateurs.
En matière d'efficacité énergétique des bâtiments, M. Marcel Deneux, rapporteur, a rappelé que, leur consommation représentant près de la moitié de l'énergie finale utilisée en France, principalement en raison du chauffage, il fallait absolument encourager l'isolation des bâtiments. Après s'être félicité du développement des certifications et noté qu'il serait absurde que les particuliers soient incités à faire des travaux pour économiser l'énergie et que l'offre ne suive pas, il a proposé l'établissement d'un plan national de la formation des professionnels de la performance énergétique du bâtiment, prévoyant notamment une coordination entre l'ensemble des acteurs publics et privés de la filière.
S'agissant de l'incitation des particuliers et des entreprises, il a proposé de modifier l'assiette et certains taux du crédit d'impôt dédié aux économies d'énergie, d'exonérer les bâtiments disposant du label « haute performance énergétique » (HPE) et «haute qualité environnementale» (HQE) de tout ou partie des droits de mutation et d'ouvrir un prêt à taux zéro pour les dépenses réalisées sur des bâtiments existants ayant pour objet de réduire la consommation d'énergie. Enfin, convaincu que l'Etat doit d'autant plus montrer l'exemple que l'investissement est rentable, il a proposé de créer un fonds de déclenchement des investissements immobiliers efficaces en énergie pour les bâtiments publics et d'obliger parallèlement l'Etat à construire tout nouveau bâtiment en suivant la démarche HQE ou le label HPE.
S'agissant de l'utilisation d'équipements vertueux, M. Marcel Deneux, rapporteur, a insisté sur le développement des équipements domestiques blancs et bruns, dont la hausse de la consommation est importante, et sur la faible efficacité énergétique de l'éclairage à incandescence, dont le remplacement par des technologies modernes équivaudrait pourtant à la suppression d'une tranche nucléaire... Estimant que la réglementation était insuffisante dans ce secteur, il a proposé de soutenir auprès de l'Union européenne les projets d'une TVA réduite sur les produits écolabellisés et d'une limitation de la puissance des veilles des appareils « blancs » et « bruns » à 1 watt, mais aussi d'interdire la vente d'ampoules à incandescence sur le territoire national dès 2010. Il a enfin suggéré que les aides attribuées par l'Etat et les collectivités territoriales aux entreprises soient conditionnées au respect de certains critères relatifs à la MDE.
En ce qui concerne le comportement des consommateurs, M. Marcel Deneux, rapporteur, a indiqué que des mesures très concrètes pouvaient rapidement modifier leurs habitudes. Soulignant tout d'abord l'importance que revêt l'information, il a proposé d'apposer des affichettes rappelant les principales recommandations en matière d'économies d'énergie dans les administrations, les écoles et les entreprises, et d'inscrire dans le cahier des charges de France Télévisions et de Radio France l'obligation de diffuser des émissions consacrées à la maîtrise de la consommation énergétique. Puisque consommer mieux permet de dépenser moins, il a ensuite mis en exergue l'intérêt de favoriser la transparence des coûts, notamment ceux de l'électricité de pointe, par l'obligation de pose de compteurs intelligents. Enfin, soutenant la solution innovante que constituent les certificats d'économie d'énergie, il s'est exprimé en faveur d'un renforcement des objectifs lors de leur reconduction en 2009.
Rappelant que consommer mieux ne signifiait pas consommer moins, et estimant que cet objectif peut être atteint par un panel de mesures qui participeront chacune de l'objectif général, il a jugé que c'est par une politique des petits pas, se traduisant par des petits gestes allant tous dans la même direction, que la France parviendrait à maîtriser la consommation d'électricité et à desserrer la contrainte qui pèse sur ses capacités de production et de transport.
En conclusion, M. Bruno Sido, président, a indiqué que 40 propositions avaient été formulées par les rapporteurs sur les problématiques évoquées. Convaincu que la sécurité d'approvisionnement nécessite l'indépendance énergétique, et donc une régulation forte, il a regretté que ce souci ne soit pas partagé en Europe, après avoir rappelé que les errements du système électrique californien étaient dus à l'insuffisance de la régulation. Concluant que la Commission européenne faisait fausse route en pensant que l'électricité est un bien comme les autres pouvant être soumis aux seules lois de la concurrence, il a recommandé que le gouvernement s'appuie sur la qualité globale du système électrique français pour témoigner par l'exemple à ses partenaires que la foi absolue de l'actuelle Commission dans les vertus du marché devait, dans ce secteur particulier, connaître des tempéraments.
Un débat s'est ensuite engagé entre les membres de la mission.
Après avoir salué la qualité du rapport, M. Pierre Laffitte a souhaité que ses conclusions soient largement diffusées, notamment à l'attention de la Commission européenne, et qu'un colloque international soit prochainement organisé sur cette problématique de la sécurité d'approvisionnement. Faisant ensuite part de sa conviction que l'indépendance énergétique est un impératif géo-politique majeur, il s'est inquiété de ce que certains pays européens soient particulièrement dépendants du gaz russe et, singulièrement, de Gazprom. Il a enfin proposé que soient rappelés dans le rapport les temps de construction des différents types de centrales électriques et des lignes à haute tension, ainsi que l'intérêt grandissant du solaire thermique.
Après avoir salué le travail effectué par la mission et indiqué qu'elle partageait beaucoup des analyses du rapport, notamment s'agissant de la politique communautaire en matière de prix et de sécurité d'approvisionnement, Mme Dominique Voynet a exprimé diverses réserves en émettant les remarques suivantes :
- la panne de novembre dernier, liée à une erreur humaine, rappelle que la formation continue est d'une importance capitale en matière de gestion des réseaux électriques. Mais la question de la formation se pose également dans les secteurs de l'efficacité énergétique des bâtiments et de la production décentralisée d'électricité : or, seules, quelques régions ont engagé des nouvelles formations dans les domaines du chauffage ou de l'isolation ;
- le fait que le maintien du nucléaire soit présenté comme une garantie de l'indépendance l'empêche d'adopter le rapport et, même si les principaux problèmes relatifs aux déchets et au démantèlement sont évoqués, la question de la prolifération n'est malheureusement pas abordée ;
- le rapport précise à raison que les EPR, centrales nucléaires de troisième génération, n'apportent pas de différences de nature par rapport aux anciennes centrales, mais uniquement une amélioration de l'efficacité ; sont en revanche plus contestables le lien établi entre l'usage du combustible appelé « mox » et l'intérêt de construire des EPR, ainsi que les estimations de la hausse du rendement entraînée par ces centrales ;
- les marchés du pétrole et de l'uranium ont des fonctionnements assez proches et l'idée selon laquelle le recours au nucléaire pourrait renforcer l'indépendance de la France vis-à-vis des hydrocarbures n'est pas étayée. En outre, la question du lien entre le prix du pétrole et celui de l'électricité en France lui semble faire l'objet d'analyses contradictoires dans deux parties du rapport ;
- dans les zones où un problème d'acheminement de l'électricité se pose, notamment en Provence-Alpes-Côte-d'azur, il faut poser la question des capacités de production régionales autant que celle des moyens de transport, notamment du fait des pertes d'électricité liées à son transport sur de longues distances.
a ensuite regretté que :
- l'affirmation du ministre de l'industrie, citée dans le rapport, selon laquelle le recours au nucléaire entraîne un gain de 10 milliards d'euros, ne soit pas suffisamment discutée par les rapporteurs car, a-t-elle estimé, ce postulat ne repose sur aucun fait probant ;
- le constat selon lequel la MDE est un impératif ne conduise pas les rapporteurs à y consacrer la première partie du rapport, et non la dernière, et que les solutions relatives à la décentralisation de la production d'électricité ne soient pas suffisamment développées, alors qu'elles peuvent permettre de répondre à la question de la pointe ;
- les problèmes liés à la forte utilisation du chauffage électrique ne soient pas davantage expliqués dans le corps du rapport ;
- que les rapporteurs aient omis de rappeler que le faible prix du tarif, et son caractère unique sur tout le territoire, ont longtemps freiné le développement des ENR.
après avoir remercié les rapporteurs, a quant à elle fait part de deux réserves sur les propositions du rapport :
- l'une portant sur la proposition n° 28, concernant l'exonération de droits de mutation des bâtiments disposant du label HPE et HQE, soulignant le dynamisme de cette recette fiscale, très appréciée des collectivités territoriales ;
- l'autre portant sur la proposition n° 1, relative à l'élaboration obligatoire, par chaque Etat membre de l'Union européenne, d'un document prospectif d'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, dont la Commission européenne devrait effectuer la synthèse au plan communautaire dans le cadre d'un Pôle européen de l'énergie. Estimant qu'il y avait là deux idées qui n'étaient pas vraiment liées, elle a jugé que la constitution d'un Pôle européen de l'énergie devait se faire soit sur la base de propositions des Etats membres, soit à partir d'un mandat donné par le Conseil européen à la Commission européenne, cette seconde solution emportant sa préférence.
après avoir félicité les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux, a reconnu l'équilibre du rapport, notamment sur la question du nucléaire, et rejoint Mme Dominique Voynet sur les besoins en termes de formation professionnelle dans le domaine des ENR. Il a ensuite demandé des éclaircissements au sujet de la proposition n° 4, concernant les « prérogatives claires » dont devrait disposer RTE pour lui permettre de prévenir tout risque de déséquilibre entre l'offre et la demande au niveau régional, estimant que RTE en disposait déjà. Puis, concernant la proposition n° 20 préconisant d'augmenter les investissements dans les réseaux de distribution, il a souligné les difficultés de réparer les pannes sur les lignes électriques enfouies pour estimer que l'objectif ne devait pas être d'enfouir l'ensemble des lignes à basse et moyenne tension. Il a également déclaré que la proposition n° 34, relative à l'interdiction de la vente d'ampoules à incandescence sur le territoire national en 2010, mériterait d'être davantage étudiée au regard de la nocivité environnementale des ampoules à basse consommation révélée par une récente étude. Enfin, il a demandé à M. Pierre Laffitte sur quels terrains pourraient être installés les équipements de solaire thermique qu'il avait évoqués.
a répondu qu'il était prévu d'en poser, par exemple, sur les toits des hypermarchés, Mme Dominique Voynet ajoutant qu'un tel équipement, d'une surface d'environ 20.000 m2, pouvait déjà être visité en Seine-et-Marne.
a jugé le rapport « très intéressant », indiquant notamment qu'il permettait de mieux comprendre l'origine de la panne du 4 novembre 2006. Après s'être félicitée des conclusions favorables à la maîtrise publique et avoir estimé que la diversité des politiques des pays européens en matière d'électricité était problématique, elle a considéré que le rapport abordait de façon satisfaisante tant la question de la politique de l'énergie au niveau européen que le sujet des efforts à mener dans le domaine du « mieux consommer », faisant part, à cet égard, de la difficulté des élus locaux à lutter contre le « tout électrique » pour le chauffage des bâtiments neufs. Elle a ensuite déclaré partager les réserves de Mme Nicole Bricq sur la proposition n° 28 relative à l'exonération des droits de mutation des bâtiments disposant du label HPE ou HQE, tout en reconnaissant ne pas être en mesure de faire une proposition alternative, et soutenir la proposition n° 36 visant à inciter les salariés à économiser l'électricité sur leur lieu de travail. Enfin, après avoir souhaité que le rapport soit mis à la disposition de l'ensemble des acteurs du débat européen sur l'énergie, elle a indiqué qu'à titre personnel, elle ne soutenait pas la proposition n° 40 relative à l'allongement de la période d'heure d'été, estimant qu'elle nuisait notamment à l'équilibre de vie des enfants.
après avoir félicité les rapporteurs pour la qualité de leurs analyses, a précisé que la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), présidée par M. Xavier Pintat, avait lancé un ambitieux programme de formation à destination de l'ensemble des acteurs publics du secteur de l'électricité afin de les aider à mieux appréhender le nouveau paysage de l'électricité en France et en Europe. Il a ensuite regretté l'absence dans le rapport d'un chapitre consacré à la recherche dans le domaine de l'électricité, jugeant que nombre des réponses aux problèmes actuels viendraient de la recherche, notamment en matière d'émissions de CO2. Puis, ayant également estimé que la proposition relative aux droits de mutation posait problème car, les collectivités territoriales étant prescriptrices en matière de normes HPE et HQE, une telle mesure aurait un « effet déprimant », il a enfin suggéré d'utiliser davantage la disposition de « l'énergie réservée » figurant dans la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique.
Après avoir rappelé que le rapport n'avait pas pour ambition de traiter dans le détail tous les sujets relatifs à l'électricité, mais de répondre à la problématique de l'approvisionnement à un horizon perceptible de 15 à 20 ans, M. Bruno Sido, président, a souligné, s'agissant de la proposition d'exonération des droits de mutation sur certains bâtiments, que les pertes pour les collectivités territoriales seraient en tout état de cause, eu égard à nos règles constitutionnelles, compensées par l'Etat, et que cela constituerait une réelle incitation pour construire selon des normes favorisant les économies d'énergie. Il a également indiqué que la clarification des prérogatives de RTE demandée par la proposition n° 4 visait essentiellement le pouvoir d'organiser directement des appels d'offre dans les régions déficitaires.
Sur la proposition n° 20, M. Michel Billout, rapporteur, a précisé que l'enfouissement n'est pas préconisé pour l'intégralité des lignes basse et moyenne tension, mais seulement pour certaines lignes, afin de combler le retard qui sépare dans ce domaine la France de ses voisins européens, et notamment de l'Allemagne. Il a noté que la question du choix entre la production locale et le développement des réseaux était très importante et que les pays européens n'y répondaient pas forcément de la même façon.
Après avoir souligné que le rapport évoquait le problème de la consommation liée au chauffage électrique, M. Marcel Deneux, rapporteur, a émis l'hypothèse que l'exonération des droits de mutations pourrait sensibiliser les collectivités territoriales à la problématique des économies d'énergie.
Puis la mission :
- sur proposition de MM. Bruno Sido, président, et Jean-Marc Pastor, rapporteur, a modifié le libellé de la proposition n° 1 pour en préciser le contenu, conformément aux remarques de Mme Nicole Bricq ;
- sur proposition de M. Bruno Sido, président, a complété le libellé de la proposition n° 4 relative aux prérogatives de RTE afin de le clarifier ;
- sur proposition de MM. Bruno Sido, président, Marcel Deneux, rapporteur, et Jackie Pierre, a modifié la proposition n° 28 afin de prévoir la modulation des droits de mutation, et non leur exonération, pour les bâtiments HPE et HQE.
La mission a enfin adopté le rapport, Mme Dominique Voynet votant contre.