Mission d'information sur l'action extérieure de la France

Réunion du 2 juillet 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Nous avons aujourd'hui la grande satisfaction et le plaisir d'accueillir M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Nous comptons sur ses lumières pour nous aider dans notre réflexion...

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Je suis ravi de l'existence de cette mission d'information, qui permet de discuter des enjeux de la recherche au Sud, de ses finalités et de ses modalités d'organisation, afin d'être le plus efficace possible.

Quand je suis arrivé aux responsabilités, j'ai étudié cette dimension de très près. Notre force de frappe, en matière de recherche publique pour le développement, est l'une des plus ambitieuses au monde - pour ne pas dire la plus ambitieuse au monde. Nous souffrons cependant d'un déficit de communication pour faire connaître aux Français le résultat de la recherche publique, même lorsque celle-ci est associée à des entreprises. Il s'agit donc d'un enjeu de légitimité.

Comment mieux connecter notre politique de développement avec la recherche publique ? Je ne prendrai qu'un seul exemple : nous accueillerons la conférence Climat en 2015, ce sera probablement la seule conférence multilatérale qui se déroulera en France pendant le quinquennat. Un des enjeux pour y associer les pays du Sud - notamment africains - est de s'assurer que nous traiterons convenablement la question de l'adaptation aux changements climatiques, particulièrement dans le domaine de l'agriculture, sujet auquel le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) est très attaché, mais que l'Institut de recherche pour le développement (IRD), à travers sa multidisciplinarité, peut aborder de manière plus large. Il est donc tout à fait légitime de mobiliser notre force de recherche publique pour préparer cette conférence, pour en faire un succès.

Or, sauf erreur de ma part, il n'existe pas de réelle discussion politique indiquant la direction dans laquelle chercher. Il ne s'agit pas d'une injonction politique, mais de mettre les choses en ordre de marche, de façon qu'il y ait une cohérence et que ces recherches, ces innovations et ces propositions nourrissent notre politique et nos succès, notamment diplomatiques.

En second lieu, je pense que les programmes de recherche ne sont pas suffisamment orientés vers les résultats. La fondation Gates, de ce point de vue, applique une méthode qu'il me semble intéressant d'étudier - non que je partage les positions de cette fondation, j'y suis même opposé quand il s'agit par exemple des OGM. Leur méthode, globalement, consiste à identifier les points de passage obligés pour obtenir un résultat et à se concentrer dès lors sur les verrous à lever pour avancer dans la bonne direction. Cette méthode vaut dans la lutte contre la malaria ou la tuberculose, ou encore dans la gestion de l'eau : la fondation Gates, constatant que notre système d'assainissement standard est impossible à déployer pour 9 milliards d'êtres humains, a focalisé ses recherches sur un mode d'assainissement applicable au Sud.

Je souhaiterais que l'on redéfinisse les objets de la recherche pour le développement sous forme de grands défis à résoudre, se déclinant comme autant de points de passage obligés, avant de mettre les compétences au service du projet. Nous avons par ailleurs la chance de disposer d'une base assez large pour avoir plusieurs objectifs.

Un autre enjeu est celui de la cohérence. La recherche - son orientation autant que ses résultats - n'est pas assez connectée aux politiques publiques. Cette connexion dépend des personnes, elle n'est pas institutionnalisée : les relations entre le CIRAD et l'Agence française de développement (AFD) ne font pas l'objet d'une charte, par exemple. Or, il est pour le moins paradoxal que le contribuable français finance la recherche, sans qu'elle soit déployée dans nos politiques publiques, financées elles aussi par le contribuable ! Nous pouvons faire en sorte que les équipes soient davantage associées à la conception des politiques publiques, à mobiliser la recherche pour contextualiser notre action, donc la rendre plus efficace. C'est dans ce sens que j'ai voulu inclure la recherche dans les Assises pour le développement, au titre du chantier consacré à l'innovation.

Au-delà des organismes dédiés, comme l'IRD ou le CIRAD, des outils comme le Fond français pour l'environnement mondial (FFEM), agrègent des initiatives très intéressantes en matière d'innovation et de recherche et développement.

En matière de recherche pour le développement, le débat est permanent entre la spécialisation et la transversalité, avec des architectures diverses pour la coordination. En matière d'agriculture, par exemple, la cohérence est-elle d'abord à rechercher dans l'articulation entre le CIRAD et l'INRA, ou bien entre le CIRAD et l'IRD ? Quelle coordination ? Je crois, ici, que nous devons, plutôt que jeter le bébé avec l'eau du bain, conforter et rendre plus partenariaux les organismes de recherche pour le Sud.

C'est tout l'intérêt de votre mission, qui arrive au moment de la première loi sur le développement. Celle-ci passera en conseil des ministres fin octobre, et sera envoyée au Conseil d'Etat fin juillet. Les choses peuvent ensuite continuer à évoluer. S'il existe des éléments de nature législative, nous les étudierons avec grand intérêt, sachant que le rapport annexé, qui n'a pas de valeur législative propre, est plus souple et forme, avec la loi, un paquet politique, même si, juridiquement, les deux objets sont différents. C'est pourquoi je serai ravi de pouvoir utiliser les conclusions de vos travaux dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Quelles sont les conditions de la recherche pour le développement ? S'agit-il forcément d'une recherche partenariale ? Comment mieux prendre en compte les besoins des populations et des sociétés ? Nous aimerions en savoir davantage au sujet du lien avec les sociétés et les hommes à qui l'on s'adresse.

Je me ferai l'avocat du diable en disant que l'une des critiques que l'on fait souvent à la recherche pour le développement est qu'elle a tendance à s'auto-justifier. Si l'IRD et le CIRAD sont des opérateurs d'excellente qualité, ils sont bien souvent en concurrence avec la recherche du Sud. Comment atteindre les objectifs d'expertise, tout en participant à l'amélioration des équipes de recherche et des institutions du Sud avec lesquels nous travaillons ?

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

C'est un débat récurrent. Je ne puis dire si les organismes de recherche fonctionnent suffisamment ou non en partenariat avec les équipes du Sud. La critique des équipes du Sud s'inscrit dans une logique d'acteurs, qui s'estiment insuffisamment pris en compte.

Qui définit les programmes de recherche ? Comment la valeur ajoutée est-elle partagée et transférée ? Je manque d'éléments pour vous répondre. Tout l'intérêt de votre mission est de pouvoir éclairer cet aspect des choses et de relever, à partir de quelques cas précis, les éventuels dysfonctionnements ou les éventuelles lacunes de la recherche partenariale.

Je ne puis réaliser ce type d'exercice à mon niveau. On entre là dans l'opérationnalité de la recherche, mais ma philosophie rejoint la vôtre.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Nous aimerions connaître votre position sur les différents scénarios de réforme possible : une fusion de l'IRD et du CNRS, en détachant complètement l'AIRD, avec des fonctions strictes d'agence de financement ? Un rattachement de l'AIRD à l'Agence nationale de la recherche (ANR), en veillant que le volet consacré à la recherche pour le développement ne se fonde pas trop dans des appels très généraux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Tous nos interlocuteurs ont constaté que certaines choses étaient à revoir dans l'AIRD, mais une partie d'entre eux se sont déclarés favorables à sa disparition pure et simple. Je suis très content d'entendre le ministre dire qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, sous peine de perdre certains atouts...

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Votre mission doit permettre d'améliorer les choses, en ne se privant pas d'être critique et en imaginant des solutions au-delà même de celles que nous suggèrent les inspecteurs. Ne vous interdisez aucune hypothèse et ne censurez aucune des pistes que vous pourrez proposer.

Pour ma part, je crois que nous gagnerons à mieux coordonner les opérateurs plutôt qu'à les supprimer et je ne suis pas sûr que la création d'une nouvelle structure autonome soit opportune, dans un moment où nous essayons, comme d'autres avant nous, de simplifier la technostructure. Pourquoi ne pas envisager un rattachement à l'ANR ? Si la recherche n'en est pas affaiblie, ce scénario pourrait être une solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Comment prendre en compte des populations concernées et de petits opérateurs, comme les organisations non gouvernementales (ONG), ou les collectivités territoriales, dont celles du Sud ?

L'Agence française de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a été très novatrice dans ce domaine, en prenant très vite en compte les malades à qui les politiques publiques étaient destinées...

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Je crois que nous devons, de manière générale, renforcer la dimension participative dans notre politique de développement.

Qui élabore les projets auxquels nous contribuons financièrement ? La réponse n'est pas toujours facile, on le voit dans les politiques contractuelles avec les collectivités locales, il n'y a pas de raison que les choses soient plus faciles au Sud. Ce n'est pas une raison pour ne pas essayer, dès lors qu'il existe une volonté politique de la part du partenaire. Ensuite, il faut aller dans le sens du renforcement des capacités, conforter les processus qui y participent, en tenant compte des contextes de l'action - et la recherche peut nous y aider de façon très directe et très utile. Je souhaite travailler dans ce sens avec ATD Quart Monde, en faveur des populations les plus pauvres, car ces populations, c'est un paradoxe constant des études sur l'aide publique au développement, ne bénéficient quasiment pas de notre aide publique.

La prise en compte de la recherche est donc directement utile à l'action, des savoir-faire en résultent, il est très intéressant d'en tenir compte dans nos politiques de développement. Il serait également utile de fixer aux organismes publics un programme de recherche avec une vision politique : quel problème voulons-nous résoudre ? Dans quelle direction voulons-nous avancer ?

Je l'ai encore constaté il y a trois jours à Lyon lors des trente-cinq ans de Vétérinaires sans frontières (VSF) : les initiatives foisonnent mais les divers organismes forment un écosystème qui ne percole pas suffisamment. Des liens existent entre VSF et la direction de l'AFD, mais de façon peu organisée et nous gagnerions certainement à donner plus de direction à cet ensemble, des orientations plus explicites. C'est avec cet objectif que j'ai fait de l'innovation l'un des cinq thèmes des assises.

Votre mission intervient donc à point nommé, au-delà de la coordination politique du système de recherche et de développement. C'est, semble-t-il, le coeur du saut qualitatif que l'on doit opérer.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Je vais encore me faire l'avocat du diable. Une des difficultés des chercheurs, en particulier statutaires, réside dans le fait qu'ils défendent toujours très fortement leurs libertés, leur pré carré, et on a souvent beaucoup de mal à trouver des consensus avec eux, notamment sur leurs programmes.

Dès qu'il existe des intentions plus ou moins politiques, on constate souvent une très forte rétractation des chercheurs statutaires.

Comment, de votre point de vue, pourrait-on essayer de dépasser cette difficulté ?

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Nous rédigeons une charte de la recherche au service du développement, qui pourrait permettre de cadrer ce que l'on cherche et pourquoi on le cherche.

Quatre ou cinq thèmes peuvent faire assez largement consensus : nourrir le monde, lutter contre le changement climatique, améliorer la santé, etc.

Chaque thème est pluridisciplinaire. Nourrir le monde relève à la fois de questions rurales et urbaines, d'agriculture périurbaine, de circuits de distribution : il est donc normal de recourir à des économistes, des urbanistes, des agronomes. Mais notre idée, c'est de fixer quelques grands thèmes de recherche, qui sont incontournables pour résoudre le problème posé. Pour lutter contre le changement climatique, par exemple, il faut que l'agriculture réduise ses émissions de méthane, c'est un impératif. Les pays du groupe de Cairns et d'autres pays, dont nous sommes, continueront pour longtemps à s'opposer politiquement, à proposer des visions divergentes de l'agriculture, il n'en reste pas moins que la réduction de méthane est un impératif commun, qui impose de rechercher des solutions. Certaines seront bilatérales, d'autres trouveront leur place dans le cadre d'une politique de coopération, ou devront faire l'objet d'une négociation internationale serrée, mais toutes auront résulté de recherches que nous devons tous mener sans attendre.

On sait qu'il ne pourra y avoir d'accord sur le climat à Paris sur le segment agricole si l'on ne s'attaque pas au sujet du méthane dans l'agriculture. Mettons donc nos différents organismes de recherche sur ce projet, au Sud avec l'IRD, au Nord avec l'INRA. Travaillons avec les partenaires intéressés par ce sujet, comme la Nouvelle-Zélande, le Brésil et d'autres, et plaçons la recherche publique au service de cet objectif !

J'ai eu le sentiment, en discutant avec le Conseil scientifique du FFEM, que les missions de cet organisme n'étaient financées que si les projets étaient innovants. Si nous ne choisissons pas de répondre aux grands enjeux que nous avons définis, nous nous laisserons piloter par les opportunités !

En tant que ministre, je ne connais pas la contribution de la recherche publique française à la lutte contre la faim dans le monde, en faveur du climat, ou de la santé : c'est dommage, même sur le plan de la légitimité ! Les liens entre la recherche et les politiques de développement ne sont pas assez établis, alors que la recherche en question représente quelque 370 millions, c'est regrettable.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Je l'ai ressenti lorsque j'étais ministre de la coopération : nous parlions très peu de recherche ! On retrouve cette situation à l'échelle européenne, alors que la cohérence et la coordination sont pourtant fondamentales.

Comment pourrait-on y remédier, en matière de grands sujets internationaux, chaque pays gardant bien entendu sa spécificité ?

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Je partage tout à fait ce diagnostic et c'est bien pourquoi j'ai voulu les Assises. La concertation, me semble-t-il, n'est pas allée assez loin et nous devons remettre l'ouvrage sur le métier ; votre mission sera donc, de ce point de vue, la bienvenue.

A l'échelon européen, la programmation conjointe progresse : nous en sommes à une coordination avec une quarantaine de pays hors UE, alors qu'il y a un an seulement, nous nous coordonnions pour seulement quatre pays pilotes. L'objectif, c'est de parvenir à coordonner nos calendriers et nos interventions dans soixante-dix à quatre-vingt pays.

Ensuite, notre organisation est originale : la France fait une grande place aux accords bilatéraux, nous disposons d'organismes de recherche dédiés, là où nos partenaires passent souvent par le système multilatéral. Nous devons faire de cette spécificité, une condition de notre succès, renforcer cet atout, et ne surtout pas le dénigrer, ni le banaliser. Pour ce faire, il faut le rendre plus cohérent et l'intégrer davantage dans les différents écosystèmes, dont ceux du Sud.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

La bonne gestion des fonds publics est un impératif incontournable. Si l'on ne parvient pas à répondre aux grands défis auxquels les pays du Sud sont confrontés, nous allons au-devant des plus extrêmes difficultés, ne serait-ce que pour des questions d'évolutions démographiques. Le réveil sera douloureux !

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Jusqu'où pousser la doctrine politique en matière de programme de recherche ? Je rencontre régulièrement les responsables des agences, mais il reste des questions sensibles.

Je pense aux OGM : nous venons de décider que l'AFD ne financera plus l'achat, ni la promotion d'OGM, car nous considérons que les OGM ne sont pas la solution adaptée tant ils créent des dépendances envers les producteurs, donc envers les pays développés - des agriculteurs abandonnent les OGM pour ce fait, y compris aux États-Unis. Cependant, des recherches sont conduites en laboratoire : n'est-ce pas contradictoire ? J'en suis le premier conscient, mais je crois que, tout en tenant le principe d'interdiction pour l'exploitation et tout en refusant de financer tout ce qui a trait aux OGM dans les pays du Sud, nous devons entendre également ceux qui s'inquiètent du fait que l'on interdise toute recherche. Je crois donc au volontarisme politique, mais le dialogue politique impose aussi de respecter les options auxquelles je m'oppose à titre personnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

L'OCDE évalue à 300 millions d'euros la somme que la France consacre à la recherche dans le cadre de l'Aide publique au développement (APD) : confirmez-vous ce chiffre ?

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Il s'agit plutôt de 370 millions d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

La France contribue largement aux fonds multilatéraux : y a-t-il là des marges d'action pour la recherche ?

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Votre intention serait-elle de diminuer notre participation aux fonds multilatéraux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Bien sûr que non, mais je m'interroge sur nos capacités à mobiliser davantage ces fonds au bénéfice de la recherche pour le développement.

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Nous devons travailler davantage la question du déploiement des résultats de la recherche dans notre politique d'aide au développement. C'est valable pour les organismes publics de recherche, comme pour les petites ONG ou même pour le FFEM. Comment assure-t-on la diffusion des projets ? Qui analyse les conditions de réussite et de déploiement ? Il faut mieux connecter nos politiques publiques de développement et la recherche, de sa programmation à la diffusion de ses résultats. L'institution d'un Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) devrait nous permettre des progrès dans ce sens. Ce conseil sera créé par le prochain comité interministériel, il comprendra un collège consacré à la recherche, qui sera le lieu d'articulation entre les grandes priorités de l'action et celles de la recherche, le lieu d'élaboration de l'agenda : les parlementaires y auront toute leur place.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

On nous a dit que les pays émergents recevaient de plus en plus de bourses par rapport aux pays les moins avancés ou intermédiaires. Confirmez-vous cette tendance ? Comment l'expliquer ?

Debut de section - Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Les effets démographiques peuvent jouer. Il sera intéressant de s'intéresser aux proportions.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

A l'initiative de Mme Ango Ela et de son groupe, nous explorons, en matière d'action extérieure de la France, le rôle de la recherche dans le cadre de notre politique de développement.

La mission que vous exercez et les fonctions qui sont les vôtres sont au coeur du dispositif entre le développement, la lutte contre le sida et la recherche - qui est indispensable. Nous attachons donc une grande importance à votre audition.

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Sidaction est une association créée en 1994 par un collectif de chercheurs soignants et de personnes directement touchées par le VIH. Nous avons dès le départ soutenu la recherche, via des appels d'offres que nous relançons tous les ans, et qui sont ouverts à toutes les disciplines de la recherche sur le VIH.

La force de Sidaction, c'est d'être un collectif réunissant tous les acteurs de la lutte contre le sida ; nous soutenons également des associations en France, et avons des partenaires dans les pays en développement, où nous aidons à des actions de terrain portées par les partenaires locaux.

Nous finançons des recherches à travers deux dispositifs. Le premier concerne l'aide aux équipes, leur fonctionnement, leur équipement et leur personnel technique. Le second consiste en des bourses à de jeunes chercheurs.

Ces deux types de financement sont ouverts à toutes les disciplines, de la recherche fondamentale en virologie et en immunologie, à la recherche clinique, en passant par la recherche en sciences sociales.

Les deux dispositifs représentent 3 millions d'euros annuels. C'est une contribution entièrement liée à la générosité publique, nos fonds étant à plus de 95 % issus de collectes auprès du grand public, via des opérations médiatiques comme Sidaction.

Un dixième de cette somme environ va dans des pays en développement, quand des chercheurs du sud sont associés à des chercheurs français, sachant que nous ne versons de crédits qu'à des récipiendaires français : le versement et la gestion des fonds sont toujours de la responsabilité d'un organisme français. Nous finançons uniquement des organismes publics ou des associations à but non lucratif traitant de recherche.

Nous avons cependant souhaité faire évoluer cette règle et, à partir de cette année, l'appel d'offres est ouvert à des demandes directes de structures du Sud, susceptibles de gérer directement les fonds sous réserve qu'elles apportent la preuve d'une expérience de gestion de fonds obtenus auprès de bailleurs internationaux. C'est une première et nous verrons si des structures en bénéficieront.

Globalement, en 2012, nous avons versé aux équipes de recherche 800 000 euros pour 65 projets, dont 130 000 euros pour dix projets significatifs se déroulant dans les pays en développement.

Nous intervenons essentiellement dans des pays francophones, mais pas exclusivement : Bénin, Cameroun, Mali, Maroc, République du Congo, Thaïlande, Togo. La seule condition est la collaboration avec une équipe française. Nous avons également des projets multipays.

Les bourses aux jeunes chercheurs représentent la majorité de nos interventions. En 2012, 2,4 millions d'euros ont été versés pour des contrats de travail de jeunes chercheurs. Les employeurs ont tous des structures en France.

En 2012, douze jeunes chercheurs ont reçu des fonds pour conduire des projets dans des pays en développement. Nous ciblons des profils à partir du doctorat, mais on y trouve aussi des post-doctorants. Nous finançons aussi, dans ce type de projet se déroulant en Afrique ou en Asie, des médecins qui ont déjà un parcours de praticien, mais s'orientant vers la recherche.

Dans les pays en développement, il s'agit essentiellement de projets dans le domaine des sciences sociales, de l'épidémiologie et de la recherche clinique. En revanche, la recherche fondamentale n'est pas représentée, bien que Sidaction finance majoritairement des projets de ce type. Ceci dépend des demandes qui viennent du terrain...

Quelques exemples de sujets de recherche dans le domaine des sciences sociales, qui est très vaste : dépistage, méthodes de calcul de l'incidence dans les différents pays, suivis de cohortes... Ces dernières années, plusieurs projets ont notamment traité de la prise en charge en milieu rural. Ces projets sont portés par Médecins sans frontières (MSF), qui s'adresse parfois à nous pour des cofinancements. D'autres sujets concernent les co-infections, comme l'hépatite et le paludisme, ou des évaluations médico-économiques à propos de la stratégie de traitement antirétroviral.

D'autres projets portent sur les problématiques liées à l'adolescence. Un des sujets prioritaires de ces dernières années est aussi la question de l'homosexualité, en lien avec la lutte contre le VIH en Afrique.

En matière d'appel d'offres, notre fonctionnement est, je pense, assez exemplaire. Nous travaillons avec un comité d'experts multidisciplinaires, tous bénévoles et choisis parmi les plus qualifiés dans leur domaine. Ils se réunissent deux fois par an pour examiner les demandes de financement. Une évaluation très spécifique est d'abord établie suivant le domaine de recherche des projets ; des rapporteurs sont attribués à chaque projet avant la discussion multidisciplinaire. Elle est très riche et donne lieu à un avis collégial, soumis à notre conseil d'administration, qui prend quant à lui la décision financière.

Nous soutenons deux autres projets importants en lien direct avec la recherche et les pays du Sud. Ainsi notre université d'été, créée par l'association Aides en 1995 et que nous organisons depuis 2005, est l'occasion pour des jeunes chercheurs du monde entier de se retrouver lors d'une formation francophone qui dure une semaine. Ce modèle unique de formation pluridisciplinaire s'adresse à de jeunes virologues, immunologistes, cliniciens, sociologues, anthropologues, qui commencent leur carrière dans la recherche sur le VIH. Ils y trouvent un contact avec des disciplines qu'ils ne connaissent pas, même les intervenants sont enthousiastes et souhaitent continuer à participer. L'édition 2013 se tiendra mi-octobre, dans le Sud de la France. Nous avons déjà sélectionné une douzaine de participants de pays en développement.

Enfin, le dernier projet dont je souhaite vous parler date un peu, mais a été évalué dernièrement, fin 2012. Il s'agit du projet « Informed Consent » - « Ethique dans la recherche » - visant à renforcer l'engagement communautaire dans les questions de recherche sur le VIH en Afrique subsaharienne. Il s'est déroulé entre 2006 et 2010 dans une dizaine de pays africains. Il a été soutenu en partie par l'Agence nationale de recherche sur le Sida (ANRS) et évalué dans quatre pays, fin 2012. Le rapport est à votre disposition si vous le souhaitez.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Comment déterminez-vous vos programmes de recherche et comment les articulez-vous avec la recherche médicale classique française ? En quoi considérez-vous que tel programme est meilleur qu'un autre pour permettre à la lutte contre le sida de progresser ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Un comité d'experts bénévoles de vingt-six personnalités expertise les dossiers candidats et les décisions résultent du débat. La réponse est favorable pour 20 à 30 % des demandes d'aide et environ 40 % des bourses, c'est très sélectif.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Existe-t-il un échange permanent d'informations entre ce que vous faites et la recherche médicale ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Bien entendu. Notre comité compte des virologues, des immunologues, des cliniciens, qui sont en première ligne et qui connaissent fort bien les priorités de la recherche. Ils sont aussi en première ligne dans d'autres commissions, comme à l'ANRS, avec laquelle nous collaborons directement. Nos appels d'offres ont des caractéristiques un peu différentes, tout comme les montants qui sont attribués, mais il existe une certaine complémentarité. On peut par exemple financer du personnel pour un projet de recherche soutenu par l'ANRS.

Nous intervenons parfois pour financer le post-doctorat d'un jeune chercheur, après que l'ANRS a pris en charge son doctorat, ou pour une dernière année de thèse, lorsque les possibilités de l'ANRS ont été épuisées.

Qu'il s'agisse de la France ou des pays en développement, il existe peu d'alternatives en matière de projets de recherche sur le VIH, qui relèvent soit de l'ANRS, soit de Sidaction, toutes proportions gardées, bien entendu.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Un expert du conseil scientifique peut-il aussi faire partie d'une équipe qui dépose un projet pour obtenir un financement ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Oui, mais il existe des règles très strictes, surveillées notamment par la Cour des comptes. Une personne faisant partie du comité, impliquée dans un dossier, ne peut être rapporteure et sort de la salle pendent la discussion plénière.

Cette règle de base vaut aussi pour d'éventuels conflits d'intérêts. C'est pourquoi le choix des rapporteurs est un moment très délicat. Une commission permanente se réunit pour les désigner.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Pourquoi vous être interdit de financer directement les partenaires du Sud ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

C'est d'abord parce que nous n'avions pas les moyens de suivre des laboratoires que nous ne connaissions pas, implantés dans des pays de développement. Pour chaque projet financé, nous effectuons un contrôle d'utilisation des fonds sur le long terme. Il est plus facile de l'exercer sur des structures françaises et nos finances ne nous permettent pas des missions de contrôle dans tous les pays où sont menés des projets de recherche.

Nous exerçons systématiquement un contrôle d'utilisation des fonds, ainsi que des audits annuels. Nous sélectionnons chaque année une douzaine de structures pour ce faire. Nous essayons de cibler les projets les plus complexes du point de vue de la gestion des fonds, afin de tester notre façon de fonctionner.

Depuis dix ans que je suis à Sidaction, on n'a pas mis en évidence de détournements dans la gestion des fonds attribués à la recherche. Les seuls soucis que l'on peut avoir concernent l'utilisation d'une enveloppe sur une ligne budgétaire différente, ou un projet proche mais non identique...

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Considérez-vous que le niveau des recherches, par rapport à l'ampleur de la pandémie, permet de gagner du terrain ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Nous sommes encore loin du but ! On a toujours l'impression, notamment dans le domaine de la recherche, que le virus a une longueur d'avance. Notre contribution est une goutte d'eau pour les pays en développement, mais elle est essentielle et très appréciée.

De petits investissements sur le terrain peuvent avoir des retombées très importantes. On a fait, ces dernières années, des études bibliométriques à partir des publications issues des travaux financés par Sidaction : les résultats étaient très bons. Nous avons fait appel à la même cellule d'évaluation que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Une des publications qui est ressortie de la première étude était issue d'un travail financé au Malawi au sujet de l'extension de l'usage des antirétroviraux en milieu rural.

Ce travail de recherche appliquée sur le terrain a eu un impact très important en termes de transmission de connaissances.

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Nous n'avons pas beaucoup d'échanges sur le plan de la recherche, mais les programmes internationaux sont menés en étroite collaboration.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Comment les résultats des recherches conduites au Sud sont-ils utilisés ? Que deviennent-ils ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Ils sont valorisés par des publications scientifiques. Sidaction ne revendique pas la propriété des résultats, nous le précisons dans toutes les conventions. C'est aux chercheurs et aux structures d'accueil d'en assurer la promotion auprès de la communauté scientifique. Nous essayons cependant de vulgariser ces résultats auprès du grand public, par différents moyens de communication - supports dédiés aux donateurs, reportages diffusés au moment d'opérations médiatiques. Nous tâchons également d'être présents dans les grandes conférences internationales et d'y soutenir la participation de jeunes chercheurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Vous favorisez également la mobilité des étudiants doctorants et post-doctorants entre le Nord et le Sud. Avez-vous des difficultés particulières pour les financer ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Nous n'avons aucune contrainte liée à la nationalité. Nous essayons d'offrir à ces jeunes chercheurs les meilleures conditions d'accueil possibles. Nous effectuons souvent un travail d'accompagnement, afin qu'ils puissent obtenir un contrat de travail le plus rapidement possible.

Je peux cependant témoigner de quelques difficultés dans l'obtention des visas. C'est pourquoi nous fournissons aux consulats et aux ambassades tous les documents nécessaires pour suivre les formations. L'année dernière, nous avons exceptionnellement réussi à avoir tout le monde lors de l'université d'été, mais une ou deux personnes peuvent malheureusement se voir refuser leur visa à la dernière minute.

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Une année, c'est une Camerounaise qui n'a pu venir ; l'année dernière, nous avons pu « récupérer » un Sénégalais.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Où vous situez-vous dans l'architecture de la recherche et de la lutte contre le sida, par rapport à l'ANRS, au ministère de la santé, au ministère du développement ou au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ? Etes-vous consultés, au sens large, par les pouvoirs publics ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Nous avons une position privilégiée avec nos interlocuteurs scientifiques, car nous sommes là depuis vingt ans.

Les chercheurs du Sud ont beaucoup d'attentes, qui sont parfois déçues du fait de nos faibles moyens et des limites de notre appel d'offres.

Nous avons de très bonnes relations avec l'ANRS, nous essayons de planifier un travail commun, de nous rencontrer régulièrement autour de thématiques et d'échanger des informations. Nous organisons ensemble certains événements, par exemple lors de la conférence de Kuala Lumpur sur la qualité de vie et la qualité de soins.

Sidaction est plus connu des ministères pour ses actions en France et dans les pays en développement, mais moins pour les aspects liés à la recherche. Nous avons cependant beaucoup travaillé avec le ministère de la recherche sur le financement des jeunes chercheurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

On ne peut que se féliciter de l'évolution de Sidaction et de sa volonté de faire en sorte que les équipes des pays du Sud soient plus autonomes et mieux reconnues. Comment votre travail peut-il renforcer leur structuration ? Beaucoup d'équipes françaises travaillent main dans la main avec celles du Sud, qui n'ont pas toujours les mêmes facilités. Pour quelles raisons vous ouvrez-vous au financement direct des pays du Sud - en dehors de la possibilité de vérifier les comptes ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Notre force réside dans la multiplicité de nos interventions. Grâce aux programmes internationaux, nous connaissons mieux nos partenaires potentiels du Sud.

Nous intervenons également dans la formation des chercheurs, grâce à l'université d'été des jeunes chercheurs mais aussi, depuis des années, grâce au soutien de formations au Sud, en direction de représentants communautaires, mais également de soignants. Je pense notamment au Diplôme universitaire (DU) de Ouagadougou, que nous soutenons depuis des années. On retrouve donc tout naturellement parmi les chercheurs potentiels, qui peuvent aujourd'hui adresser des demandes directes à Sidaction, des personnes passées par ces parcours.

Notre atout tient au lien qui existe entre les différents acteurs, dont certains possèdent des données de grande qualité mais qui n'ont pas les ressources internes pour bien les exploiter et transmettre leurs connaissances. Des projets de recherche intéressants pourraient ainsi émerger.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Quelles recommandations préconiseriez-vous pour renforcer la coopération avec le Sud ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

La formation est essentielle, celle des acteurs du Sud, mais aussi celle de la relève au Nord.

Je crois également qu'il faut soutenir la recherche fondamentale au Sud. Aujourd'hui, le Sud est souvent exploité en termes de recherche clinique ou en sciences sociales, alors qu'il y a certainement des ressources humaines en matière de recherche fondamentale. Je pense notamment à du personnel technique qui travaille dans des laboratoires de virologie, et qui a beaucoup d'expérience. Il peut évoluer vers la recherche fondamentale, s'il est accompagné d'une bonne formation.

Nous défendons également beaucoup la multidisciplinarité, des chercheurs et des soignants.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Vos ressources s'élèvent-elles toujours à 20 millions d'euros ?

Debut de section - Permalien
Paola de Carli

Hélas, non ! Elles ne sont plus que d'environ 17 millions d'euros et ont connu une certaine baisse.

Nous essayons de pérenniser notre action sur certains secteurs. Nous avons réduit toutes nos enveloppes. La recherche a également été touchée, mais nous n'avons pas l'intention de nous désengager d'un terrain particulier. Nous ne réduirons pas a priori le financement de projets en Afrique ou en Asie.

A l'échelon des programmes internationaux, nous avons dû concentrer les zones géographiques mais, en matière de recherche, nous conserverons un appel d'offres ouvert. Nous serons plus sélectifs pour rester présents sur tous les terrains.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

C'est indispensable. Je vous remercie chaleureusement pour votre coopération.