La réunion est ouverte à 9 heures.
La commission entend M. Marwan Lahoud, président d'Airbus Group SAS et directeur général délégué d'Airbus Group.
Monsieur le Président, nous sommes très heureux de vous accueillir ce matin pour la première fois devant notre commission.
Je rappelle brièvement votre parcours pour nos collègues. Après de brillantes études - Polytechnique, École nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace - vous intégrez la délégation générale pour l'armement (DGA), au ministère de la défense. Recruté par l'Aérospatiale à la fin des années 90, vous participez à la création d'EADS dont vous deviendrez responsable France en 2012, avant donc d'être nommé directeur général délégué à la stratégie et au marketing du groupe Airbus.
Vous allez bien sûr faire le point sur la situation de ce dernier, qui se porte bien puisqu'il a engrangé 15 milliards de dollars de commandes fermes au dernier salon du Bourget. Une délégation de la commission s'y était d'ailleurs rendue. Cela représente dix ans de commande !
Vous nous direz comment votre groupe entend y faire face, et s'il dispose des moyens, matériels et humains, nécessaires. Le manque de ressources humaines dans le secteur pourrait constituer une difficulté ; vous nous direz comment vous pensez le surmonter.
L'aéronautique et le numérique ont désormais partie liée. Airbus Defence and Space a ainsi été sélectionné pour la production de 900 satellites au profit de la société OneWeb, qui entend mettre en place une constellation satellitaire pour diffuser internet dans le monde entier. Vous nous donnerez votre « vision du futur » en ce domaine.
Enfin, quelques semaines après la fin de la COP 21, qui s'est d'ailleurs tenue au Bourget, vous nous direz un mot des contraintes environnementales, et des progrès que réalise votre groupe. 70 % de votre recherche y est directement liée, avez-vous déclaré. Vous nous expliquerez quels en sont les objectifs.
Mais je vous laisse tout de suite la parole pour permettre ensuite l'échange de questions avec mes collègues sénateurs.
Merci Monsieur le Président. Je suis très heureux d'être là ce matin. Je souhaite bien évidemment vous exposer les succès d'Airbus, et de la filière aéronautique et spatiale de façon plus globale, mais également pointer les questionnements et les inquiétudes auxquels elle est confrontée, ainsi que les moyens qu'elle se donne pour y faire face.
Airbus est un moteur de croissance pour l'industrie française et européenne. S'il est le chef de file de la filière aéronautique et spatiale, cette réussite est bien celle de cette dernière, dont toutes les composantes s'articulent parfaitement.
De 2001 à 2012, notre chiffre d'affaires global est passé de 30 milliards d'euros à plus de 60 milliards, dont 27 réalisés en France. Pour 2015, les estimations sont à la hausse. Airbus est le leader mondial sur le marché des avions commerciaux, des hélicoptères, lanceurs et satellites. Pour ce qui est du secteur de la sécurité et de la défense, avec 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires, nous sommes dans le peloton de tête mondial, dominé par trois géants américains, et en première position en Europe.
Airbus est le premier partenaire industriel de l'État français pour les armées. Présent sur le théâtre de nombreuses opérations armées particulièrement difficiles, il est numéro un en Allemagne et en Espagne, et numéro deux au Royaume-Uni, juste derrière British Aerospace (BAE). Il ne faut donc pas perdre de vue l'importance de notre présence sur ce marché militaire.
Des commandes supplémentaires ont été passées en décembre, dans le cadre de la révision de la loi de programmation militaire, au regard des priorités opérationnelles. Sept hélicoptères tigres, six hélicoptères de transport pour l'armée de terre et huit ravitailleurs MRTT ont été notamment notifiés ce même mois, ces derniers étant multirôles, faisant à la fois du ravitaillement et du transport logistique. Avec Thalès Alenia Space, nous avons reçu une commande conjointe de système de communication par satellite pour les armées, Comcast.
Nous constituons le fer de lance des exportations nationales. Nous avons livré à ce titre 321 avions commerciaux en 2015. L'excédent de la filière dans son ensemble est passé de 10 à 23 milliards d'euros entre 2001 et 2014, tandis que le déficit commercial de la France est passé dans le même temps de 2 à 54 milliards d'euros, soit deux évolutions à l'opposée.
Les effectifs ont augmenté d'un tiers dans le même temps. Ils étaient 139 000 fin 2014, dont 37 % sont implantés en France. Sachant qu'à chaque emploi direct correspond un emploi indirect (via la sous-traitance) et un emploi induit (pour les infrastructures nécessaires à la vie des salariés). On comptabilise 27 400 salariés du groupe en Midi-Pyrénées, 9 250 en Ile-de-France et 9 200 en Provence-Alpes-Côte d'azur (PACA).
Pour ce qui est de l'aviation commerciale, Airbus a reçu plus de 1 000 commandes en 2015, ce qui représente pas moins de dix années de production, et a livré 635 appareils, contre 629 l'année précédente. Le solde net entre les commandes et les livraisons est donc fortement positif.
Sur ces 635 avions livrés, 491 étaient des A 320, cet appareil constituant notre « best-seller », dans ses versions classique comme néo. Il permet d'utiliser de 15 à 20 % de carburant en moins, comme quoi préoccupations économiques et écologiques se rejoignent dans notre filière. 70 % de la recherche et développement de notre groupe est d'ailleurs liée à des préoccupations environnementales, comme vous l'avez souligné Monsieur le Président.
Les livraisons d'A 350, notre nouveau long courrier, se sont élevées à 14 exemplaires. Nous ambitionnons d'en livrer au moins 50 en 2016, et une dizaine chaque mois en 2018. Cela représente un véritable défi pour nous et nos sous-traitants.
S'agissant des A 380, 27 ont été livrés en 2015. Nous avons enregistré à cette occasion trois nouvelles commandes, dont je vous tairai le nom du client car il souhaite l'annoncer lui-même. Ce modèle a entraîné un véritable changement d'approche dans la relation-client : de nombreux voyageurs souhaitent emprunter cet avion, quelle que soit la compagnie aérienne qui le propose.
Les prévisions à long terme sont positives pour le secteur aérien, puisque le trafic devrait augmenter de 4,6 % par an durant les vingt prochaines années. Cela représente un besoin de 32 600 nouveaux avions, soit, par projection de nos parts de marché actuelles, 16 000 pour notre groupe. Ces évolutions ont des soubassements sociétaux, le voyage aérien constituant le symbole de l'entrée dans la classe moyenne. L'Inde et la Chine sont au tout début de ce phénomène, qui implique un potentiel de croissance phénoménal pour le secteur.
J'en viens à présent à l'espace. Sans que l'on en ait bien conscience, il fait partie de la vie de tous les jours : imaginez les conséquences catastrophiques d'une coupure généralisée des satellites sur toute la planète ! Il occupe 18 000 personnes chez nous, et représente un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros, soit 10% de celui du groupe. En 2015, nous avons fourni six Ariane V et fait lancer cinq satellites de télécommunication que nous avons réalisés.
Le paysage a fortement évolué dans ce secteur, avec l'apparition de nouveaux acteurs privés. Alors que l'espace n'était pas une industrie comme les autres auparavant, car les retours sur investissement n'y étaient pas garantis, ces nouveaux opérateurs ont démontré qu'il pouvait en être autrement. Ils nous ont poussés à revoir notre stratégie, ce qui s'est traduit par le lancement du projet Ariane VI et la création de Airbus Safran Launchers.
Le projet de One Web que vous avez cité, Monsieur le Président, illustre cette transformation spectaculaire du secteur : il donne lieu, pour la première fois, à la fabrication de satellites en série, là où il n'y avait avant que du « sur mesure ». Il y a là un défi technologique et industriel extraordinaire ; il correspond bien à l'esprit pionnier habitant notre industrie, celui-là même qui m'a fait la choisir, car elle inspire le rêve et la passion.
Le comité de concertation État-industrie sur l'Espace (COSPACE) a été instauré en 2013 par la ministre en charge de la recherche de l'époque, Mme Geneviève Fioraso. Les acteurs privés et publics du secteur s'y retrouvent pour coordonner leurs décisions, ce qui est une très bonne chose.
L'espace est un investissement d'avenir, dans lequel il faut poursuivre nos efforts. À cet égard, la conférence interministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA) fin 2016 se doit d'être un succès. Nous devons en effet notre situation actuelle aux investissements continus que nous avons réalisés, et qui se sont élevés à un millième de notre produit intérieur brut (PIB), soit un montant très raisonnable au regard de leurs retombées fortement positives.
Je voudrais à présent énumérer les facteurs clefs du succès pour notre industrie :
- un effort de R&D conséquent. Il s'est élevé à 3,4 milliards d'euros en 2014, soit 5,5 % du chiffre d'affaires. Ces financements devraient se pérenniser, et même continuer d'augmenter en valeur absolue. 38% de la R&D autofinancée est réalisée dans notre pays, où nous sommes le huitième plus important déposant de brevets, après Safran mais devant Thalès.
Il faut maintenir notre avance technologique, notamment face aux pays émergents, d'où vient la principale menace. Ils possèdent en effet des ressources humaines parfaitement qualifiées, des moyens financiers, une économie dynamique, et investissent massivement. À cet égard, le crédit d'impôt recherche (CIR) a démontré son importance ; il convient donc de le maintenir, voire de le développer, tout comme le panel d'avances remboursables contenu dans le programme d'investissements d'avenir (PIA). Notre réussite ne nous autorise pas, en effet, à relâcher nos efforts en la matière.
Par exemple, pour AIRBUS Helicopters, nous avons lancé de nouveaux programmes - hélicoptères X4, puis X6 - en partenariat avec l'État.
Dans la R&D militaire, nous ne pourrons rivaliser sur chaque équipement avec les États-Unis ; il nous faudra en revanche investir là où nous sommes les plus performants.
- une filière solidaire et intégrée. L'ensemble de ses membres est intéressé à son succès collectif. C'est le sens de l'action du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), que je préside jusqu'en 2017, et qui réunit à un rythme mensuel les présidents de ses sociétés-membres ;
- une forte présence sur les marchés émergents. Dans l'aéronautique civile, un quart de notre carnet de commande provient ainsi du Moyen-Orient, et un autre quart d'Asie-Pacifique. Nous créons de fortes capacités de production en Chine et aux États-Unis pour l'A 320. Il ne faut pas avoir peur de gérer un appareil de production à l'échelle mondiale. C'est l'approche que nous avons chez Airbus, mais c'est aussi celle de toute la filière, et notamment de nos petites et moyennes entreprises (PME), extrêmement dynamiques ;
- une forte visibilité sur l'avenir. Il faut résolument s'y tourner. La recherche et l'innovation, le renouvellement de nos ressources humaines sont essentiels. Or, dans nos sociétés, les métiers techniques n'ont pas la cote. Il nous faut prendre à bras le corps la révolution numérique ; c'est le sens de l'initiative que nous avons prise en 2015.
Merci Monsieur le Président, il est particulièrement réconfortant d'entendre le responsable d'un groupe industriel aussi important que le vôtre faire ainsi part de ses succès et motivations. Je vais à présent passer la parole à nos collègues.
Je voudrais tout d'abord dire notre fierté d'avoir une industrie aéronautique si florissante car que serait notre balance commerciale sans Airbus ? Vos besoins en personnel seront importants dans les années à venir pour accompagner votre développement. Quelle est votre politique de recrutement et de formation et à quelles difficultés éventuelles êtes-vous confrontés en la matière ? À l'heure où l'on parle beaucoup d'apprentissage, avez-vous des propositions dans ce domaine ?
En novembre dernier, le Sénat a examiné et rejeté une proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères sur laquelle votre groupe nous avait fait part de son inquiétude. Au-delà de vos engagements en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), avez-vous mis en place des procédures de surveillance de vos sous-traitants pour mesurer les incidences sociales et environnementales de leurs activités ?
Je rappellerai que l'aéronautique est le premier poste excédentaire de notre balance commerciale, devant la viticulture. L'aviation civile sera confrontée, d'ici à 2030, à des défis technologiques de très grande ampleur ainsi qu'à un doublement du trafic. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le Président, ce sont ainsi 32 000 avions qui devront être livrés sur la période, dont 9 000 appareils à grand rayon d'action. Cet horizon 2030 sera aussi une date charnière puisqu'il s'agira de lancer, à cette période, les successeurs des avions qui sont actuellement sur le marché. Doit-on s'attendre à une forme de « continuité innovante » ou à des ruptures technologiques fortes en matière d'architecture ou de motorisation des appareils pour répondre aux contraintes croissantes de réduction des consommations, des émissions de gaz à effet de serre ou encore de bruit ? Ces évolutions doivent se préparer dès maintenant car si nous figurons aujourd'hui parmi les champions, qu'en sera-t-il dans quinze ans ? Vous êtes d'ores et déjà confrontés à la concurrence américaine, bientôt chinoise, ces derniers investissant massivement dans la recherche alors que, dans le même temps, les financements de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) ne cessent de baisser depuis 2010.
Monsieur le Président, je tiens d'abord à saluer vos qualités de manager ainsi que la vision stratégique et de long terme que vous développez, ce dont nos entreprises manquent trop fréquemment. Quelles mesures attendez-vous de l'État pour améliorer la compétitivité des entreprises ? En matière de formation, vous avez été conduit à développer, à Toulouse, une formation interne alors que vous aviez proposé de mettre des managers à disposition des centres de formation des apprentis, à titre gracieux. À quelles difficultés êtes-vous confrontés pour former et recruter ?
Nous ne pouvons qu'être fiers d'un secteur aéronautique en pleine dynamique industrielle et dont les carnets de commandes atteignent des niveaux historiques. Vous avez parlé de la part de rêve et de passion qui existe encore dans votre industrie ; j'ajouterai la part d'audace et d'esprit pionnier dans cette réussite. Il est vrai que la conjoncture est favorable, avec un prix du pétrole très bas, et l'on assiste à une résorption des emplois non pourvus à l'échelle de la filière, ce qui devrait conduire à recruter environ 10 000 personnes en 2016. S'agissant d'Airbus, combien de recrutements prévoyez-vous, quelle est votre échelle des salaires et comment répartissez-vous vos bénéfices ? Dans les régions où Airbus est peu présent - je pense au Nord notamment -, des partenariats sont-ils envisageables pour étudier des implantations ?
Il y a malgré tout un paradoxe : il n'y a jamais eu autant d'avions à produire et pourtant les équipementiers et les sous-traitants sont inquiets dès lors qu'ils doivent investir massivement dans leur appareil industriel sans pour autant bénéficier dès à présent de l'augmentation des cadences. Ces PME sont-elles en mesure de répondre aux exigences croissantes des grands donneurs d'ordres ? Quels enseignements peut-on tirer de l'exemple allemand, où les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont bien plus nombreuses ?
Enfin, vous avez évoqué l'expérience avec Uber pour tester la possibilité de transposer ce modèle au secteur des hélicoptères. Pensez-vous que cette expérimentation puisse déboucher sur un modèle commercial probant ?
Il y a une dizaine d'années, votre prédécesseur, Louis Gallois, était venu rencontrer les élus lorsque le groupe connaissait des difficultés majeures. Un certain nombre de territoires se sont engagés, à commencer par le département de la Somme qui a construit une piste aéroportuaire pour permettre à Airbus de poser ses avions-cargos et pérenniser ainsi l'usine de Méaulte. Aujourd'hui Airbus va mieux grâce à des équipes performantes et qui savent anticiper, et nous nous en réjouissons. Mais ce sont désormais les territoires qui souffrent, en particulier le Nord-Pas-de-Calais-Picardie qui dispose pourtant d'un vrai passé industriel. Pouvons-nous espérer des retours d'investissements ? Comment comptez-vous trouver les salariés adaptés à votre développement ? Enfin, vous avez indiqué que les clients choisissaient de plus en plus souvent le modèle d'avion sur lequel ils souhaitaient voyager : vos choix stratégiques futurs intègreront-ils les désirs des passagers ?
Nous avons souvent reçu des responsables de grandes entreprises dont le discours n'était pas toujours en adéquation avec les résultats, ce qui n'est pas le cas avec Airbus. Pour répondre à vos perspectives de développement, de nouvelles implantations sur le territoire sont-elles prévues ou la modernisation ou l'extension des sites existants suffira-t-elle ?
Alors que nous critiquons souvent cette Europe dont l'évolution n'est, selon nous, pas toujours favorable aux peuples, je note que la belle réussite d'Airbus est, avec celle d'Ariane, le résultat d'une coopération européenne réussie entre États. Quel type de relations entretenez-vous avec vos sous-traitants, notamment les plus petits d'entre eux qui souffrent souvent du non-respect des délais de paiement ou des exigences du « toujours moins cher » de leurs donneurs d'ordres ? Vous avez évoqué la hausse du nombre d'appareils à construire dans les années à venir : quelles sont les parts respectives liées au renouvellement de la flotte actuelle et à l'augmentation du trafic ? Quelle est la durée de vie moyenne d'un avion et comment la problématique environnementale est-elle prise en compte ? En matière de ressources humaines, pouvez-vous nous en dire plus sur votre politique de formation ? La création d'une co-entreprise entre Airbus et Safran aura des conséquences sur l'emploi : plutôt que de supprimer des postes, Airbus ne serait-il pas en capacité d'intégrer ces compétences et ce savoir-faire ?
La réussite industrielle d'Airbus est exemplaire et c'est en effet une très belle illustration de ce que peut produire la coopération européenne. On parle souvent de Toulouse et de Bordeaux mais il ne faut pas oublier Nantes et Saint-Nazaire - je rappellerai qu'un avion-cargo Beluga fait chaque jour le trajet vers Toulouse. Lors de notre récente visite sur place, nous avons pu constater que les métiers industriels d'aujourd'hui n'avaient plus rien à voir avec ceux d'hier, ne serait-ce qu'en termes de propreté des installations, de recherche ou de formation. Concernant l'A 380, les commandes sont-elles à la hauteur de vos espérances ? Vous avez indiqué consacrer 3,4 milliards d'euros par an à la recherche, soit 5,6 % de votre chiffre d'affaires. Cet effort d'investissement sera-t-il suffisant pour faire face à la concurrence des pays émergents ? Vous avez aussi précisé que 38 % de votre R&D est réalisée en France, qu'en est-il pour l'Allemagne ?
Dans le domaine spatial, nous dépendons de plus en plus des satellites dans notre vie quotidienne mais quelles sont vos recherches en matière de sécurisation des données ?
En regardant la composition de vos organes de direction, je ne vois aucune femme. Un effort particulier est-il fait pour promouvoir la parité hommes-femmes ?
Pour faire décoller et atterrir les 32 000 avions à construire dans les prochaines années, encore faut-il disposer d'aéroports. Or, un certain projet d'aéroport, pour lequel l'ensemble des processus démocratiques ont été respectés, reste attendu depuis plusieurs dizaines d'années. Je profite donc de cette occasion pour rappeler mon attachement à la réalisation, dans les meilleurs délais possibles, de cet aéroport du grand Ouest.
Les sous-traitants dans nos territoires ruraux sont confrontés à de grands enjeux. Vous travaillez à la fiabilisation de votre chaîne de fournisseurs, ce qui pose la question de la structuration et de la taille de ces entreprises. Quelles sont les marges de progression en matière de travail en réseau des sous-traitants ? M. Lucereau, président du comité AERO-PME du GIFAS, indiquait récemment que « si l'année 2015 a été contrastée pour les PME, l'année 2016 sera difficile ». Quel rôle les collectivités territoriales peuvent-elles jouer ? Les nouvelles régions doivent élaborer des schémas régionaux de développement économique. Seriez-vous disposés, si l'on vous sollicite, à être associé à ces réflexions ? Compte tenu de votre réussite, pensez-vous que l'État pourrait tirer des enseignements de votre modèle de développement au profit des filières en difficulté ?
Je me joins aux félicitations de mes collègues : Airbus est pour nous une fierté et une source d'inspiration. Je note que votre entreprise sait se remettre en cause et j'en veux pour preuve la création, décidée en quelques semaines et mise en place en quelques mois, de la co-entreprise Airbus Safran Launchers, qui est un challenge très important et qui permettra de sauvegarder des emplois. Comment recrutez-vous, parmi vos collaborateurs, les profils non ingénieurs ? Vous avez parlé d'un esprit « start-up » mais comptez-vous vous rapprocher d'un modèle d'organisation « à la Google » pour attirer, en particulier, cette fameuse « génération Y » ? Enfin, pouvez-vous nous dire un mot de vos concurrents, notamment de Boeing et de Space X, avec son projet de lanceur réutilisable ?
Quelle est votre stratégie de développement sur le marché chinois - on annonce un besoin de 6 000 nouveaux avions - et que pensez-vous du nouvel avionneur chinois, Comac ? La montée en cadence est un vrai challenge alors que vous avez dû faire face à certains retards de livraison, par exemple dans les cabines d'avion. Quels sont les axes d'amélioration ?
Ariane VI doit assurer, pour demain, la compétitivité des lanceurs européens. Le choix d'un modèle cryogénique pour le premier étage a été retenu mais êtes-vous sûr qu'un tel modèle, plus cher à produire qu'un modèle à poudre, voire moins fiable puisqu'aucun lanceur à poudre n'a jamais fait défaut sur cette composante, garantira la rentabilité de votre co-entreprise avec Safran alors que votre concurrent Space X avance à grands pas, malgré quelques déboires, vers un lanceur ultra-compétitif ?
Je m'associe à mon tour aux félicitations qui vous ont été adressées. Pouvez-vous nous rassurer sur les transferts de technologie à destination de la Chine ? Dans quelle mesure le coût d'un chercheur français est-il compétitif par rapport à celui de son homologue allemand et quel est l'impact réel du CIR, auquel votre entreprise est très attachée ?
Ma petite ville, qui est malgré tout une préfecture, dispose d'un grand terrain d'aviation. L'État, qui est présent à votre capital, se soucie de moins en moins d'aménagement du territoire. Pensez-vous avoir un rôle à jouer en la matière ? Notre territoire a bien des atouts à faire valoir : une main d'oeuvre peu chère et bien formée, des prix bas, une très bonne qualité de vie, etc.
Je salue moi aussi le dynamisme de votre entreprise, qui fait la fierté et l'honneur de la France. Le sujet ayant été évoqué par mon collègue Yannick Vaugrenard, confirmez-vous qu'en cas de transfert de l'aéroport, vous auriez toujours besoin du maintien d'une piste à l'aéroport de Nantes Atlantique ?
La formation et le recrutement ont été évoqués à de nombreuses reprises et je m'en réjouis car s'il y a un sujet qui m'empêche de dormir, c'est bien lorsque je pense à nos successeurs et à ceux qui feront l'entreprise dans vingt ans. Pour maintenir une formation scientifique et technique de grande qualité, Airbus et le GIFAS ne ménagent pas leurs efforts pour soutenir la filière et tout particulièrement les écoles d'ingénieurs. Certains de nos cadres y donnent bénévolement des cours, nous finançons des projets et le GIFAS a décidé d'attribuer une dotation d'1,5 million d'euros par an aux écoles d'ingénieurs en aéronautique.
Concernant la place des femmes, le déficit de recrutement féminin dans les filières techniques et scientifiques est grand. Il serait très facile de remplacer l'un de nos directeurs hommes par une femme mais la problématique n'est pas celle-là : alors qu'à treize ou quatorze ans, les jeunes filles sont excellentes en science, elles ne s'engagent pas dans des études scientifiques en considérant que « ce n'est pas pour elles ». Pour remédier à cette situation, nous allons dans les collèges pour expliquer l'intérêt de ces métiers et dire qu'il y a des débouchés. Chez Turkish Aerospace Industries, la majorité des ingénieurs sont des femmes car c'est pour elles une voie d'émancipation.
Au-delà des ingénieurs, nous avons aussi besoin d'opérateurs, c'est-à-dire des techniciens supérieurs qui ont souvent un bac technologique, et pas seulement dans le domaine informatique - des chaudronniers, des soudeurs, etc. Pour les recruter, nous organisons des formations, nous avons un très bon lycée à Toulouse par exemple ou de très bons accords dans la Somme avec l'Éducation nationale et les collectivités territoriales. Il faudrait généraliser ces partenariats et permettre à une filière qui le souhaite de s'organiser pour former, sans multiplier les autorisations. C'est parfois un parcours administratif semé d'embuches et je crois beaucoup à la coopération avec les collectivités.
Vous m'avez interrogé sur les ruptures technologiques de l'avion de demain. Il s'agit là d'une question complexe et j'ai l'habitude de dire que le seul qui ait le droit de se tromper dans une entreprise, c'est le patron de la stratégie, tant la prévision est difficile ! L'avion commercial à l'horizon 2030 ressemblera sans doute encore à l'avion actuel : une cabine, un cockpit, un gouvernail, une paire d'ailes et des moteurs sous les ailes. Mais l'on voit bien que l'on atteint les limites de ce modèle et qu'au-delà de 2030, l'avion de ligne changera de forme. Parmi les axes de recherche figure la poursuite de la réduction des émissions et des consommations et l'on peut à cet égard se réjouir qu'en matière d'aviation, l'écologie et l'économie aillent de pair. Il faudra sans doute radicalement changer les formules de moteurs et même si la recherche en la matière n'est pas mûre, on peut citer par exemple les travaux sur l'« open rotor », c'est-à-dire un turboréacteur non enfermé dans une nacelle et qui ressemblerait en quelque sorte à un moteur à hélices. Il existe d'autres approches prometteuses telles que l'utilisation d'une boîte de vitesse dans la motorisation Pratt & Whitney de la version Neo de l'A 320, qui est en fait un jeu de réducteurs permettant d'optimiser la puissance.
Nous sommes très mobilisés autour de l'ONERA, qui est un établissement public très utile, même si ses crédits sont en train d'être coupés. Nous travaillons avec son président au renouvellement des équipes.
S'agissant de la chaine de production, les seuils sociaux, et plus encore fiscaux, constituent un obstacle à son développement, contrairement à un pays comme l'Allemagne. Fort heureusement, nous bénéficions d'un bon climat social dans notre filière, du fait de sa bonne santé économique. Nous pouvons ainsi traiter nos problèmes en interne.
Le CIR permet de conserver un avantage compétitif au profit du chercheur français par rapport à son homologue allemand. Sans cette dépense fiscale, l'effort de recherche serait naturellement attiré vers d'autres partenaires européens, notamment l'Allemagne.
Quel est le temps de travail respectif des salariés du secteur dans chacun des deux pays ?
En termes réels, un salarié travaille une heure de plus seulement en Allemagne qu'en France. Mais le système de concertation allemand permet davantage de souplesse au plan local en cas de pic de production.
S'agissant des pays émergents, notre objectif est bien de rester devant eux, ce qui va nécessiter une forte détermination et d'importants investissements. Il va falloir ainsi innover sur les produits, mais aussi l'offre de services, l'information, la maintenance...
Notre principale attente à l'égard de l'Etat réside dans une plus grande prévisibilité de son action, notamment fiscale, afin de pouvoir mieux planifier nos décisions.
Dans le domaine spatial, la démarche d'un opérateur comme Space X force le respect et l'admiration. Elle est de même nature que celle des Européens lançant, à la fin des années 70, le projet Ariane.
Le lanceur récupérable est un sujet ancien. Son succès dépendra d'éléments techniques, mais également économiques : le nouveau lancement doit être rentable. Nous y travaillons.
Ariane VI sera compétitif. Le débat entre poudre et combustible cryogénique a été tranché, les ingénieurs ayant travaillé sur ce sujet de façon parfaitement objective.
Airbus est en train d'expérimenter un service de transport à la demande par hélicoptère avec Uber. Il existe de nombreux hélicoptères privés aux États-Unis, il y a donc là un marché à explorer. Nous le ferons avec l'esprit d'une start up, consistant à savoir renoncer si l'essai ne semble pas fructueux.
Boeing se porte bien, d'un point de vue commercial comme financier : il vend de nombreux avions, est soutenu par le Pentagone... Comac est quant à lui un concurrent avec lequel il va falloir compter, et qui sera compétitif d'ici une décennie à l'export.
Je conclurai en rappelant que le facteur clef de la réussite de notre groupe reste la qualité.
Nous devons désigner un rapporteur pour avis sur la proposition de loi favorisant l'accès au logement social pour le plus grand nombre. J'ai reçu les candidatures de Mme Primas et de M. Bosino.
En déposant cette proposition de loi, nous pensions que la commission des affaires économiques serait saisie au fond. Il n'en est rien, et le rapporteur pour la commission des finances sera M. Dallier. Au moins pourrions-nous rédiger le rapport pour avis. Je suis déçu que d'autres candidats se soient manifestés.
Ce texte portant sur des questions financières, sa transmission à la commission des finances n'a pas même fait l'objet d'un débat au niveau de la présidence. Ne pas être rapporteur donne une plus grande liberté de ton...
C'est un peu facile ! Je n'ai rien contre Mme Primas, mais il serait de bonne pratique, en ce début d'année, de nommer rapporteur pour avis un membre du groupe qui a déposé la proposition de loi.
Nous aurons un texte déposé par le groupe CRC, dont les deux rapporteurs seront d'autres groupes. La règle n'est-elle pas d'attribuer au moins un des rapports au groupe auteur de la proposition de loi ?
Il n'existe pas de règle en ce sens, cela a pu arriver pour certaines propositions de résolution.
La loi Macron avait des incidences financières non négligeables, ce qui n'a pas empêché que notre commission d'être saisie au fond. Le groupe qui dépose un texte doit avoir au moins le rapport pour avis. De plus, ce texte relève plus de notre commission que de celle des finances.
Je regrette que notre commission ne soit pas saisie au fond : en matière de logement, quel texte n'a pas d'incidence financière ? Je reconnais bien là la dérive imposée par Bercy : la logique n'est plus de loger les Français mais de placer son argent. Pas étonnant que le système soit en crise ! L'aide à la pierre va bientôt disparaître et la politique du logement ne relèvera plus de notre commission. Avec les crédits d'impôts ou les aides fiscales, les trois quarts des politiques publiques seront traitées par la commission des finances ! C'est grave. Il faut que nous le disions haut et fort.
De plus, il serait normal que le groupe CRC ait un rapporteur, qui pourrait confronter son point de vue avec celui de la commission des finances.
Nous avons déjà eu ce débat la semaine dernière sur l'attribution de ce texte à la commission des finances.
La commission désigne Mme Sophie Primas en qualité de rapporteur pour avis sur la proposition de loi n° 256 (2015-2016) favorisant l'accès au logement social pour le plus grand nombre.
Nous sommes saisis en première lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux réseaux des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA). Ses dispositions, dont la majeure partie avait déjà été examinée dans le cadre de la discussion de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, permettent aux réseaux des CCI et des CMA de poursuivre l'entreprise de rationalisation et de mutualisation engagée depuis plusieurs années.
Depuis près de dix ans, des efforts considérables ont été fournis par ces deux réseaux pour se réorganiser autour de l'échelon régional. Les CCI ont toujours eu un ancrage territorial et une influence variables, liés aux caractéristiques du bassin économique dans lequel elles évoluent et à la qualité de leurs ressortissants. Ce n'est qu'à compter de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises qu'un réseau mieux coordonné de chambres a pu se développer. Mais c'est surtout la loi du 23 juillet 2010, relative aux réseaux consulaires, qui a donné l'élan et les moyens nécessaires à la structuration des CCI autour de l'échelon régional, conduisant à une régionalisation à la carte. Cette loi a renforcé les compétences propres des CCI régionales (CCIR), a assuré les moyens d'une coordination entre les stratégies régionales des chambres et l'application locale des politiques nationales et a posé un principe de mutualisation, au niveau régional, des fonctions exercées par les membres du réseau.
De création plus récente, les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) ont été organisées autour de l'échelon départemental, mais la loi du 23 juillet 2010 a également entendu faire de l'échelon régional le niveau structurant de leur réseau en permettant trois modes de regroupement : la réunion des chambres départementales au sein d'une chambre régionale des métiers et de l'artisanat (CRMA), structure de coordination et de mutualisation des fonctions supports des chambres départementales, qui conservent leur personnalité juridique comme la majeure partie de leurs compétences ; la création d'une chambre de métiers et de l'artisanat de région (CMAR), établissement public unique se substituant aux chambres départementales mais composé de sections départementales ; enfin, un dispositif mixte faisant cohabiter, dans une même région, d'une part, une CMAR issue de la fusion de certaines chambres départementales et, d'autre part, des chambres départementales conservant leur statut juridique et l'essentiel de leurs compétences - on parle alors de CMAR partielle.
Le mouvement de rationalisation initié reste inabouti, notamment en raison de l'absence de caractère contraignant des schémas régionaux d'organisation. Le rapport de MM. Jean-Claude Lenoir et Claude Bérit-Débat en juillet 2014 a ainsi démontré que la réorganisation des réseaux pouvait se heurter à une volonté d'autonomie encore très marquée des chambres infrarégionales. Or, la poursuite de la rationalisation des réseaux est rendue nécessaire par l'érosion des ressources publiques octroyées aux réseaux : par les CCI, la baisse des recettes issues de la taxe pour frais de chambres a été de l'ordre de 35 % entre 2012 et 2016 ; pour les CMA le plafonnement de la taxe pour frais de chambre a baissé de 12,5 % entre 2013 et 2016. Enfin, la nouvelle carte des régions implique une réorganisation des réseaux des CCI et des CMA. Le principe d'une structuration des réseaux au niveau régional a en effet pour conséquence de rendre inévitables des fusions de CCIR ou de CMAR ou une modification des CRMA ou CMAR dans les nouvelles grandes régions.
Afin d'approfondir cette rationalisation, le Gouvernement a déposé, au cours de l'examen du projet de loi Macron, des amendements insérant plusieurs articles additionnels - rédigés de concert avec les têtes de réseaux - relatifs à la gouvernance des CCI et des CMA, et adoptés sans opposition par les deux chambres. Dans sa décision du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel a néanmoins estimé que ces dispositions devaient être censurées, étant dépourvues de lien avec les dispositions initiales du projet de loi. La loi a donc été promulguée sans ces articles. Le Gouvernement a cependant indiqué, au lendemain de cette décision, qu'il présenterait au Parlement, dans les meilleurs délais, un texte reprenant la substance des dispositions censurées : tel est l'objet du texte déposé à l'Assemblée nationale le 25 novembre dernier.
Cette reprise n'est toutefois que partielle. L'article 303 censuré de la loi Macron permettait, avant même le 1er janvier 2016, de procéder à des regroupements de chambres pour tenir compte de la nouvelle carte régionale. Pour mettre en oeuvre ces dispositions, une adoption rapide s'imposait. Le Gouvernement a donc choisi, sur ce point, d'intervenir par ordonnance, ce que lui permettait l'article 136 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Par une ordonnance du 26 novembre 2015, il a introduit les dispositions nécessaires à une recomposition des CCI et des CMA avant le 1er janvier 2016. Sur son fondement ont pu être opérées plusieurs fusions de CCIT et de CMA.
L'article 1er du projet de loi, qui traite des CCI, rend opposables et prescriptifs les schémas directeurs adoptés par les CCIR. Il prévoit également le cumul des mandats de président d'une CCI départementale d'Ile-de-France et de président de la CCIR de Paris-Ile-de-France, l'augmentation du nombre d'élus au sein des chambres afin d'y assurer une meilleure représentation de tous les territoires, et des schémas d'organisation des missions dans chaque CCIR, opposables aux chambres territoriales ou départementales rattachées. Il prévoit aussi que la représentation d'une CCI au sein de la CCIR à laquelle elle est rattachée est uniquement fonction de son poids économique.
L'article 2, relatif aux CMA, réduit le nombre d'établissements du réseau afin d'assurer des économies d'échelle par des mutualisations. Il prévoit ainsi la création de chambres de métiers et de l'artisanat interdépartementales (CMAI), mettant un terme aux CMAR partielles. Il définit enfin les conditions dans lesquelles les chambres peuvent décider de se regrouper, tout en préservant les spécificités du droit local alsacien et mosellan pour les chambres du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, et de la Moselle.
Les dispositions qui figuraient dans le texte adopté par le Parlement en juillet 2015 relatives à la fixation provisoire du nombre des élus des CMA dans les nouvelles régions n'ont pas été reprises. Pour éviter de potentielles contestations, le Gouvernement a, en effet, préféré conserver une égalité de traitement pour l'ensemble des élus des CMA, dont les mandats sont donc tous maintenus dans le cadre de la nouvelle organisation régionale. À l'Assemblée nationale, le projet de loi n'a donné lieu qu'à une modification de fond à l'initiative du Gouvernement : la ratification sans modification de l'ordonnance du 26 novembre 2015. C'est désormais l'article 3 du projet.
Ce texte s'inscrit dans une démarche de rationalisation par renforcement de l'échelon régional, rendu nécessaire par le nouveau poids des régions dans notre organisation territoriale. On peut en partager l'objectif, mais l'effet immédiat de l'approfondissement de cette réorganisation, couplée à la réduction des ressources des réseaux, sera d'abord une réduction importante du personnel des chambres : rien que pour le réseau des CCI, 1 660 départs volontaires ont eu lieu en 2015 ; un plan de départ du même ordre est à prévoir dans les années à venir. Compte tenu du niveau de chômage, c'est regrettable. Néanmoins, si cette rationalisation permet effectivement un meilleur accompagnement des entreprises, et donc un développement de l'emploi marchand, elle mérite d'être soutenue.
En outre, d'une ambition très mesurée, ce texte n'épuise pas toutes les problématiques que soulève l'organisation consulaire actuelle. Pourtant, il doit être adopté rapidement : les réseaux attendent ces mesures depuis plus de six mois, par le seul fait d'une regrettable erreur de procédure parlementaire commise par le Gouvernement. Si quelques personnes auditionnées ont émis des réserves sur des dispositifs très circonscrits, toutes ont insisté sur la nécessité d'une adoption rapide afin que la campagne pour les élections consulaires, qui auront lieu au dernier trimestre 2016, s'ouvre dans un environnement juridique stabilisé. Dans ces conditions, je ne vous soumets pas d'amendements et vous propose d'adopter le présent projet de loi sans modification.
Cela dit, la commission doit réaffirmer dans son rapport l'approche qui doit être suivie dans le cadre de la réorganisation des réseaux. Vu le renforcement des prérogatives de l'échelon régional, il faut insister sur la nécessité de maintenir une offre de services de proximité. La mutualisation des moyens entre les chambres ainsi que la centralisation de certaines prises de décision au niveau régional ne doivent pas réduire les implantations locales et le maillage territorial des réseaux consulaires. Il est donc essentiel que, dans la définition de leurs documents de planification, cet objectif de service aux entreprises et de formation au plus près des acteurs ne soit pas perdu de vue. Cette nécessité est encore renforcée après l'institution des grandes régions.
Le droit positif, modifié par le projet de loi, offre une large palette de solutions pour que le lien avec les territoires soit maintenu. La carte du réseau des CCI doit-elle nécessairement être calquée sur la carte infrarégionale ? En l'absence d'obligation d'un échelon départemental, la réorganisation des CCI au sein d'une même région peut en effet aboutir, selon le choix des élus consulaires, à ce que l'un des départements de la région soit dépourvu d'un établissement public ayant pour ressort le territoire de ce département. Tel est le cas, par exemple, du département de l'Orne, où la fusion de la CCIT d'Alençon avec la CCIT de l'Eure afin de créer la CCIT Portes-de-Normandie, d'une part, et celle de la CCI de Flers-Argentan avec les CCI Centre-et-Sud-Manche et Cherbourg-Cotentin, afin de créer la CCIT Ouest-Normandie, d'autre part, intervenues au 1er janvier 2016, laissent le territoire ornais dépourvu d'une CCIT propre.
Mais d'autres projets de réorganisation devraient aboutir à la même situation : en Alsace, où il est prévu une CCIT unique par fusion des trois CCIT actuelles (CCIT Strasbourg-et-Bas-Rhin, CCIT de Colmar, CCIT de Mulhouse) ; en Pays-de-la-Loire, où il est envisagé une fusion entre la CCIT de la Sarthe et la CCIT de la Mayenne. Ils n'en constituent pas moins, à ce stade, des exceptions, le découpage infrarégional du réseau opéré depuis 2010 ayant en général retenu comme ressort territorial les départements et la présence d'une CCIT par département.
Y a-t-il lieu d'interdire cette situation ou de la limiter ? L'esprit de la réforme de 2010 était d'inciter les CCI à se regrouper en adoptant des stratégies territoriales que, compte tenu des caractéristiques des bassins économiques concernés, les élus consulaires considéraient comme les plus pertinents, quand bien même elles ne s'avéreraient pas en stricte adéquation avec le territoire des départements. Il est essentiel que le choix des élus consulaires reste guidé par la volonté de continuer à assurer une offre de proximité sur l'ensemble du territoire de la région, ce qui devrait conduire, en l'absence d'une CCIT dans un département, à l'institution d'une CCI locale voire d'une délégation de la CCIR, structures non dotées de la personnalité morale mais qui relaieront les actions de la CCIR dans le département. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause la souplesse d'organisation et l'autonomie reconnues depuis 2010 aux CCI, en imposant juridiquement que chaque département d'une même région dispose d'une CCIT, d'une CCIL, ni même d'une délégation de la CCIR. Il est préférable de s'en remettre sur ce point à la sagesse des élus consulaires, sous le contrôle de l'autorité de tutelle, - le ministre de l'économie - qui doit approuver les schémas directeurs.
Au-delà de la nécessité d'instituer des synergies au sein de chacun des réseaux consulaires, il faut souligner l'intérêt d'une meilleure coordination des réseaux consulaires entre eux : réseau des CCI, réseau des CMA et réseau des chambres d'agriculture dont j'ai souhaité auditionner les représentants.
Il ne s'agit pas de prôner une fusion de réseaux qui ont chacun leur légitimité propre et des domaines d'action spécifiques. Pour autant, ces réseaux ne doivent pas se regarder comme des concurrents - comme c'est malheureusement parfois le cas - mais comme des partenaires à même de développer des coopérations qui peuvent prendre plusieurs formes : regroupements d'antennes au sein d'une même implantation géographique, afin de favoriser un maillage plus dense des trois réseaux sur le territoire ; mise en commun de certaines fonctions supports ; développement d'offres communes, par exemple en matière de formation. Néanmoins, ces mesures appellent moins de nouveaux dispositifs juridiques qu'une volonté, sur le terrain, de mettre en place des solutions adaptées lorsque le service aux entreprises peut s'en trouver amélioré. De telles coopérations peuvent certainement être mises en place plus facilement dans certains territoires que dans d'autres, mais il faut encourager les réseaux à collaborer sur le terrain, comme ils le font, notamment, en Seine-et-Marne ou dans l'Oise.
Merci pour ce travail approfondi. Cet important projet de loi reprend des dispositions de la loi Macron qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel.
En 2010, les CCI et les CMA ont connu de profonds bouleversements s'agissant de leurs ressources fiscales. Aujourd'hui, il est question de régionalisation. Je suis plus que dubitatif sur cette nouvelle centralité régionale. Dans ma région, les CCI ont créé des écoles d'ingénieur et proposé de multiples formations tandis que les CMA développaient l'apprentissage. Avec cette réforme, c'est la fin des acteurs locaux, et donc des actions qu'ils mènent. Mon amendement, certes symbolique, maintient les représentations locales. Au niveau national, des gages ont sans doute été donnés aux plus tonitruants des intervenants. Je ne pourrai voter ce texte qui va à l'encontre de mes convictions.
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente -
J'ai été président d'un groupement inter-consulaire et responsable départemental : à ce titre, je rends hommage à l'action quotidienne des chambres consulaires. Avec cette réforme, ces chambres s'interrogent sur leur avenir. Certes, il faut des structures régionales pour répondre aux nouvelles grandes régions. Encore faudra-t-il qu'elles recouvrent les mêmes aires géographiques, ce qui ne semble pas toujours le cas. Dans ma région, la Franche-Comté souhaite fusionner avec la Bourgogne, mais l'inverse n'est pas vrai.
Comment, demain, être efficace sans proximité ? Le Gouvernement n'essaye-t-il pas de supprimer définitivement l'échelon départemental ? Voyez l'état des finances des départements qui, cette année, ne pourront participer aux actions des CCI. C'est à se demander si les sénateurs vont continuer à être élus par les départements ! Ce texte ne traite pas des chambres d'agriculture qui travaillent déjà beaucoup avec les régions. Pour toutes ces raisons, je ne le voterai pas.
Lors de l'examen de la loi Macron, les mêmes inquiétudes avaient été exprimées. Néanmoins, nous avions voté à l'unanimité le texte proposé aujourd'hui aussi bien en commission qu'en séance publique.
La dimension régionale est tout aussi importante que la proximité. Je rappelle qu'en l'absence de délégation par département, il existera au moins une CCI territoriale départementale : la proximité sera donc assurée. D'ailleurs, au niveau national, les CCI et les CMA, qui attendent ce texte avec impatience, s'y sont engagées. Or, sans vote conforme, ce texte n'entrera en application que dans deux ou trois ans. Ne décevons pas l'attente des chambres consulaires.
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -
Je suis très réservé sur ce texte. Tout à l'heure, le président d'Airbus nous a dit les difficultés que ses sous-traitants avaient à recruter dans les territoires ruraux, qui souffrent d'une fuite des cerveaux. Avec la nouvelle organisation des CCI et des CMA, ce sera encore pire. Nous sommes en train d'accumuler, et peut-être même d'organiser, les fractures dans nos territoires.
Pour avoir été pendant plus de 26 ans président d'une chambre d'agriculture, je sais que les projets ne voient le jour que lorsqu'ils sont portés par une volonté commune. Depuis longtemps, nous avons travaillé avec les CCI et les CMA alors qu'aucun texte ne nous y obligeait. Ne pourrait-on reporter notre vote pour éviter d'adopter trop brutalement ce texte ? Donnons du temps au temps.
Les chambres consulaires n'ont pas attendu la loi pour mutualiser certaines actions et faire des économies. Je comprends néanmoins l'urgence à voter ce texte qui, pourtant, concourt à la dévitalisation de nos territoires. Les moyens des CCI et des CMA fondent comme neige au soleil. Le président d'Airbus rappelait ce matin l'importance de la formation professionnelle, que les CCI pilotent à des coûts souvent inférieurs à d'autres réseaux. Je suis très inquiète pour l'avenir des chambres consulaires.
Un article de la loi Macron prévoyait un fonds de péréquation pour les petites CCI. Une fois créé, il a surtout bénéficié à la CCI de Paris Ile-de-France tandis que la CCI de la Lozère, pour ne citer qu'elle, n'a rien perçu. Les capitales régionales vont attirer les richesses au détriment de la ruralité.
Je partage l'avis de mes collègues. Les nouveaux conseils régionaux doivent établir des schémas régionaux de développement économique. Or, ces schémas sont loin d'être adoptés : ainsi, en région Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine, les élus vont mettre au moins deux ans avant d'y parvenir. Ensuite, par délégation des régions, les départements devront s'inscrire dans ces schémas. Il est donc urgent d'attendre avant de figer les structures régionales des chambres consulaires.
Notre groupe est opposé à ce texte qui, comme pour l'organisation territoriale, organise la pénurie et le toujours moins. Tous les partenaires des chambres consulaires, du Medef aux organisations syndicales, sont opposés à ce texte, faute de concertation préalable. Cette réforme aura un sérieux impact sur l'emploi dans les CCI qui emploient 30 000 salariés.
Nous devons maintenir l'activité consulaire dans les territoires ruraux. La question des départements ayant été traitée par la loi NOTRe, tout va donc se jouer entre les régions et les intercommunalités, qui ont tout intérêt à travailler avec les chambres consulaires. Préférons le dialogue au diktat des grandes régions.
Je m'abstiendrai sur ce texte. Nous faisons fausse route en voulant imposer à tous les mêmes règles : pourquoi ne pas tenir compte des projets, du dynamisme et des particularités de chacun ?
J'ai rencontré les présidents des CCI de mon département et de ma région : tous m'ont dit attendre ce texte. D'ailleurs, les deux tiers des participants à l'assemblée générale de CCI France l'ont approuvé. Le rôle des CCIT, dotées d'une personnalité morale et juridique, sera valorisé. Les difficultés financières des CCI proviennent en très grande partie des prélèvements opérés par l'État. Les CCIR décideront des grandes orientations tandis que les CCIT auront un rôle de proximité. Ne soyons pas en décalage avec les attentes du terrain.
Du fait des restrictions budgétaires, les CCI doivent évoluer pour rester opérationnelles. Je regrette que nous devions avancer à marche forcée alors que la poursuite du dialogue aurait permis de rapprocher les points de vue. Comme l'a dit mon collègue Bertrand, il faut revoir la péréquation pour mieux répartir les financements.
Pour préparer ce texte, j'ai auditionné les représentants des chambres consulaires. Comme vous, je m'inquiète de cette réforme pour les CCI, notamment dans les territoires ruraux. Mais à quoi serviraient des CCI sans budget ?
La plupart des présidents de CCI et de CMA sont favorables à ce texte et ne partagent pas les inquiétudes qui viennent d'être exprimées. Si nous n'adoptons pas ce texte conforme, nous perdrons plusieurs années.
Sans vote conforme du texte par le Sénat, une commission mixte paritaire se réunira. Pourquoi parler d'un retard de deux à trois ans ?
De toute façon, les schémas régionaux de développement économique ne seront adoptés que dans plusieurs années. Attendons qu'ils le soient avant de fixer l'organisation des chambres consulaires.
Le président de CCI France indique que « la bonne organisation des prochaines élections consulaires en octobre 2016 dépend de l'adoption de ces mesures le plus tôt possible. Les nouveaux schémas directeurs des CCI devront être votés en février pour respecter la date du 31 mars 2016 pour la fixation des règles de l'élection et la composition des collèges électoraux ». Il nous faut donc aller vite. À l'assemblée générale de CCI France, 76 % des membres présents ont voté le texte que nous examinons et qui a déjà été adopté lors de la loi Macron, inspirée sur ce point par les travaux de nos collègues Lenoir et Bérit-Débat. Malgré les craintes qui viennent d'être rappelées, nous avions été quasi-unanimes à voter ces dispositions.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'amendement n° COM-3 propose de s'en tenir à l'organisation actuelle du réseau des CCI en Ile-de-France, en préservant les CCI de Seine-et-Marne et de l'Essonne de toute remise en cause de leur statut auquel elles n'auraient pas consenti. En votant cet amendement, nous donnerions des idées aux autres CCI. Néanmoins, les dispositions générales du code de commerce sur les CCI et les dispositions spécifiques à l'Ile-de-France laissent planer une difficulté d'interprétation. Je m'en remets à la sagesse de la commission.
L'amendement n° COM-3 n'est pas adopté.
Les amendements identiques n° COM-1 et COM-4 prévoient la présence d'une structure de CCI par département au sein de chaque région, selon deux modalités : soit il n'existera qu'une CCI de région et aucune CCI territoriale et, dans ce cas, une délégation de la CCI de région devra être instituée dans chaque département ; soit la CCI de région coexistera avec des CCI territoriales et, dans ce cas, une CCI territoriale sera instituée dans chaque département. Si l'on peut comprendre la volonté de maintenir des implantations des CCI dans chaque département, un cadre aussi rigide remettrait en cause le principe de la réforme de 2010, qui laissait aux élus consulaires le choix du réseau le plus pertinent, eu égard aux caractéristiques économiques des différents bassins d'activité. Sagesse.
Les amendements identiques n° COM-1 et COM-4 sont adoptés.
L'article 1er est adopté ainsi modifié.
Article additionnel après l'article 1er
Les amendements identiques n° COM-2 et COM-5 prévoient que les dispositions qui confèrent aux schémas directeurs un caractère opposable aux CCI infrarégionales ne sont pas applicables aux schémas adoptés avant l'entrée en vigueur de ce texte. Il serait difficile de concevoir, juridiquement, que des schémas directeurs arrêtés antérieurement à l'entrée en vigueur de ces dispositions puissent acquérir une portée obligatoire du fait de l'article 1er. Cette mesure constituerait certes une clarification, même si elle n'est pas indispensable. Sagesse.
Les amendements identiques n° COM-2 et COM-5 ne sont pas adoptés.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
Article 3 (nouveau)
L'article 3 est adopté sans modification.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements est repris dans le tableau ci-après :
Soit il est décidé qu'il n'existera qu'une CCI de région et aucune CCI territoriale : dans ce cas, une délégation de la CCI de région devra être instituée dans chaque département de la région ;
Soit il est décidé que la CCI de région coexistera avec des CCI territoriales : dans ce cas, une CCI territoriale devra être instituée dans chaque département. Adopté M. P. LEROY 4 Cet amendement tend à imposer la présence d'une structure de CCI par département au sein de chaque région, selon deux modalités :
Soit il est décidé qu'il n'existera qu'une CCI de région et aucune CCI territoriale : dans ce cas, une délégation de la CCI de région devra être instituée dans chaque département de la région ;
La proposition de résolution européenne (PRE) n° 282, présentée par Mme Gisèle Jourda et moi-même, concerne les effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques (RUP). Nous l'avons présentée le 10 décembre 2015 à la délégation sénatoriale aux outre-mer, avec notre rapport d'information de 90 pages dont le titre, Sucre des régions ultrapériphériques en danger, résume bien la situation : il nous faut sauver cette filière vitale des méfaits d'une politique commerciale européenne dogmatique.
La conclusion des négociations sur un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam nous a décidés à agir. La principale phase de négociation a pris fin le 4 août dernier, mais nous n'avons été alertés qu'en octobre sur le fait qu'une clause accordait un contingent de 20 000 tonnes de sucre au Vietnam en incluant les sucres spéciaux de manière assez vague et imprécise. Jusqu'alors, les négociations avec l'Afrique du Sud désignaient - à juste titre - les sucres spéciaux comme produits sensibles devant être protégés.
Ce sujet comporte plusieurs facettes, juridiques, institutionnelles, douanière, dont la principale est sa dimension économique, autour de laquelle est organisée notre analyse. Depuis sa création, notre commission privilégie le bon sens et les réalités de terrain. Comme le préconise le rapport Gallois, elle soutient la montée en gamme pour surmonter nos difficultés économiques tout en préservant nos équilibres sociaux.
C'est exactement l'esprit de notre proposition de résolution. Pendant des décennies, l'Union a opportunément soutenu la modernisation de la filière sucrière ultramarine et son positionnement stratégique sur les sucres haut de gamme. Il serait absurde de ruiner ces efforts en ouvrant brutalement à des pays où le coût de la main d'oeuvre est dix-neuf fois moins élevé qu'en Europe un boulevard pour se positionner sur ces sucres spéciaux. Cela risque de détruire, au détour de quelques accords commerciaux, une filière sucrière qui est à la fois un socle pour les territoires ultramarins et un investissement à long terme conçu pour approvisionner le consommateur européen en produits de qualité.
Pour nos départements d'outre-mer, la canne à sucre est un secteur vital, qui mobilise un tiers de la surface agricole utile, représente 40 000 emplois et constitue l'un des principaux produits d'exportation. Proportionnellement, fragiliser ce poumon économique serait comme si l'on menaçait trois millions d'emplois dans l'Hexagone. En réalité, l'enjeu est bien plus important, car le taux de chômage ultramarin est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. De plus, cela concernerait non seulement l'activité des bassins agricoles mais aussi l'emploi industriel et les unités de recherche associés à la production de sucre, sans oublier l'activité de transport induite pendant six mois de l'année par les plannings de récolte. Enfin, la filière agro-industrielle y fabrique du sucre mais valorise aussi les coproduits destinés à l'alimentation animale, la distillation du rhum, la fertilisation des sols et la production d'énergie. Ces coproduits représentent 10 à 30 % de l'électricité consommée à La Réunion, selon la période de récolte. La valorisation de la canne est huit fois plus élevée lorsqu'on produit du sucre : il a donc une complémentarité entre ces usages mais pas de substitution. Mieux adaptée que le café ou les épices au climat des zones de production ultramarines, la culture sucrière est l'un des socles de la structuration sociale et économique des outre-mer ainsi que de leur identité.
Or les accords commerciaux risquent de porter un coup fatal à la filière sucrière ultramarine, comme l'aurait sans nul doute montré l'étude d'impact économique qui aurait dû être faite par la Commission européenne avant qu'elle ne s'engage dans la négociation du traité avec le Vietnam et avec tous les autres pays producteurs de canne à sucre. A l'heure actuelle, les 260 000 tonnes de sucre produits dans les DOM ont un accès garanti au marché européen. En effet, depuis 1969, et même après la réforme de 2005, le marché réglementé par l'Union européenne comporte une garantie de prix minimal assortie de quotas qui limitent la production ainsi que les exportations. Si les productions des outre-mer n'ont jamais atteint les quotas autorisés, essentiellement en raison de l'exiguïté des territoires, la production en Europe continentale a été bridée.
À partir de 2017, ces quotas seront supprimés et le marché du sucre sera totalement libéralisé. La production de sucre des DOM n'aura donc plus d'accès garanti au marché européen. C'est un choc important, dont les effets ne seront pas les mêmes sur le sucre blanc et sur les sucres spéciaux. Environ 60 % des 260 000 tonnes de sucre produites outre-mer sont transformés dans les raffineries européennes pour y devenir du sucre blanc, après quoi il n'est plus possible de les distinguer du sucre de betterave. La suppression des quotas en 2017 mettra ce sucre ultramarin en concurrence avec le sucre de betterave ou le sucre de canne en provenance des pays tiers face aux chaînes d'hypermarchés et aux grands utilisateurs industriels. Les outre-mer rencontreront alors des problèmes de compétitivité.
En effet, la filière européenne et, en particulier, métropolitaine s'est mise en ordre de marche pour préparer la fin des quotas par une stratégie d'augmentation de la production et d'amélioration de la productivité : depuis 2005, près de la moitié des sucreries ont été fermées et 40 % du personnel a été licencié. Les acteurs ultramarins ont beaucoup moins de marges de manoeuvre : leur compétitivité-prix est obérée par des surcoûts liés à l'éloignement, au vieillissement rapide des installations en raison du climat et aux normes de sécurité particulières imposées par des phénomènes cycloniques récurrents. L'autre moyen de faire baisser le prix serait d'augmenter la production mais, si la recherche scientifique et la sélection variétale ont amélioré les rendements, l'augmentation des surfaces cannières n'est pas envisageable dans les DOM, en raison de la faible superficie des territoires, du relief accidenté et de la pression foncière urbaine.
Bref, la bataille va être rude pour les sucres blancs, ce qui rend vitale la préservation des débouchés des sucres spéciaux, d'où notre proposition de résolution. En effet, 40 % de la production des outre-mer concernent des sucres de qualité supérieure, dits sucres spéciaux. Environ 60 % d'entre eux sont consommés en Europe sous forme de « sucre roux de canne », essentiellement par les fabricants de produits diététiques et les confituriers. L'autre partie devient du sucre roux vendu dans les hypermarchés, sous différentes marques. Ces sucres spéciaux ne peuvent pas être concurrencés par le sucre de betterave, nécessairement blanc, mais le risque vient des produits provenant de pays dont les coûts de production et les normes environnementales sont très différents des nôtres. Comme 80 % du sucre mondial est issu de la canne, beaucoup de pays producteurs convoitent le marché européen des sucres spéciaux, plus rémunérateur que celui des sucres blancs.
Certes, comme le fait observer la Commission européenne, la production actuelle de sucres spéciaux au Vietnam se limite à quelques tonnes par an. Mais ce pays produit environ 1,5 million de tonnes de sucre de canne, dont il est exportateur net depuis 2013. Surtout, il dispose - grâce à des Réunionnais ! - des technologies et du savoir-faire pour fabriquer rapidement des sucres roux, avec un salaire brut dix-neuf fois moins élevé qu'en France.
Il faut remédier donc à la fragmentation des négociations commerciales européenne et éviter qu'elles ne sapent les bases du développement ultramarin. C'est pourquoi cette proposition de résolution présente une méthode globale, avec plusieurs volets. D'abord, elle suggère d'aménager l'accord avec le Vietnam pour aboutir au moins à un contingent réduit de 280 tonnes de sucres spéciaux. Ce point est encore en discussion : l'accord de principe avec le Vietnam ayant été obtenu, il s'agit de lever les derniers obstacles techniques et d'établir la version finale du texte. Le Vietnam compte 90 millions d'habitants. Ce pays est en pleine croissance, mais en matière agricole, le libre-échange reste une vue de l'esprit, comme en témoignent les nombreux contingents tarifaires qui sont prévus par cet accord.
Mais la question ne se limite pas au Vietnam et il faut éviter un précédent fâcheux pour la suite des accords européens puisque l'échec du multilatéralisme conduit à la multiplication des accords régionaux et bilatéraux. Une dizaine est ainsi actuellement en cours de négociation. En outre, d'importants volumes de sucre sont illégalement importés au Vietnam en provenance de Thaïlande et pourraient donc se retrouver sur le marché européen. La nomenclature douanière relative aux sucres doit être précisée car la notion de sucre roux est aujourd'hui mal cernée et le risque de confusion pourrait bénéficier aux fraudeurs. Sur les quatre lignes tarifaires concernées, il est toujours possible de trouver une faille.
La proposition de résolution exhorte à plus de cohérence entre la politique commerciale de la Commission européenne et ses politiques de développement agricole et ultramarin : appliquons l'article 349-3 du Traité, qui prévoit des mesures spécifiques de compensation des handicaps pour les outre-mer. Ce texte appelle le Gouvernement à faire pression sur les services de la Commission pour que les intérêts spécifiques des RUP soient systématiquement pris en compte dans ses négociations commerciales. Il rappelle aussi l'exigence de transparence et d'information des Parlements nationaux sur les négociations en cours : nous l'avions déjà dit à propos des discussions sur le Traité Transatlantique. Nous insistons particulièrement sur la nécessité d'études d'impact préalables sérieuses.
Jeudi dernier, la commission des affaires européennes a adopté cette proposition de résolution en y apportant quelques précisions sur la publication par la Commission européenne des textes des négociations d'accord de commerce et d'investissement : nous n'avons été alertés que tardivement de cet accord. Je vous propose d'adopter ce texte qui comporte 42 alinéas.
L'Histoire est un éternel recommencement ! Le 18 janvier 2011, M. Doligé et moi-même déposions une proposition de résolution dénonçant l'indifférence de la Commission européenne pour les effets sur les territoires d'outre-mer des accords commerciaux qu'elle passait. Il s'agissait à l'époque d'accords avec des pays d'Amérique latine : un accord multilatéral signé en décembre 2009 à Genève prévoyait une baisse progressive des droits de douane sur la banane dollar, et un accord de libre-échange avec les pays andins avait été annoncé en mars 2010 par la Commission européenne. Nous demandions alors que les marchés des RUP concernées soient mieux protégés par le renforcement des clauses de sauvegarde, que les baisses de revenus des producteurs soient compensées, que des mesures facilitant le développement agricole endogène soient prises et que la Commission européenne réalise systématiquement une étude d'impact préalable sur les RUP - ce qui a été accepté dans le mémorandum signé en mai 2010 aux Canaries. Et voici que de nouveau nous débattons d'une proposition de résolution européenne dénonçant les effets collatéraux d'accords de libre-échange passés entre l'Union et des pays tiers, qui menacent le coeur des économies ultra-marines.
Oui, la Commission européenne a une démarche dogmatique. Les départements d'outre-mer peuvent sembler de petits territoires, ils sont étroitement associés aux débuts de la production du sucre. Les îles à sucre attiraient, au 17ème et au 18ème siècle, les grandes puissances européennes, dont les langues se sont mêlées sur place aux parlers africains. La canne à sucre évoque l'Histoire de la venue du peuple noir en Amérique. On nous disait, il y a cinquante ans, qu'il fallait concentrer nos efforts sur la banane pour compenser le développement du sucre de betterave. Puis, la banane fut attaquée - alors même que sa qualité était devenue telle qu'on l'appelait la « banane des droits de l'homme » - car la Commission européenne a refusé de tenir compte des réalités. Pourtant, sa culture est aussi fondamentale que celle du sucre pour notre économie : La Réunion produit 90 000 tonnes de sucre à elle seule. Heureusement, les accords ne sont pas encore signés. Je soutiens entièrement cette proposition de résolution. En 2011, le Sénat m'avait apporté son soutien unanime sur la banane.
N'oublions pas que l'article 349 du Traité, que la Commission européenne rechigne à appliquer, protège les spécificités des territoires d'outre-mer. J'espère que vous nous soutiendrez.
La commission adopte la proposition de résolution européenne à l'unanimité.
La réunion est levée à 12 h 25.