Mes chers collègues, nous nous réunissons ce matin afin d'avoir un échange de vues sur la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
Je devais initialement vous quitter à 10h30 pour me rendre à la remise à Jacqueline Gourault du rapport du Haut conseil à l'égalité (HCE) sur la parité dans les intercommunalités, mais cet événement a été reporté en raison d'une contrainte dans l'agenda de la ministre.
Nous aurons donc le temps, après cet échange sur la loi « prostitution », d'évoquer différents points d'agenda qui me semblent importants.
Je rappelle que la loi de 2016 a instauré le principe de pénalisation du client. Je rappelle aussi que, le 12 avril dernier, à l'initiative de Laurence Rossignol, dont je salue la vigilance, nous avons rassemblé pour une table ronde les principaux acteurs associatifs du parcours de sortie de la prostitution, une autre disposition phare de la loi de 2016 avec la suppression du délit de racolage.
Nous avons ressenti le besoin de ce débat entre nous ce matin à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) tendant à mettre en cause la conformité de la loi à la Constitution. La loi de 2016 serait en contradiction, d'après les auteurs de cette QPC, avec le droit au respect de la vie privée, la liberté d'entreprendre et le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.
Lundi 12 novembre, saisi par neuf associations et cinq « travailleurs du sexe », le Conseil d'État a décidé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel. Or cette saisine pourrait aboutir, si les juges constitutionnels le décident, à l'abrogation1(*) de la loi de 2016.
Je remercie Laurence Rossignol d'avoir attiré notre attention sur cette QPC, comme elle nous avait déjà encouragés à rencontrer les associations référentes en matière de sortie de prostitution, à l'occasion du deuxième anniversaire de la loi.
L'objectif, aujourd'hui, est de discuter ensemble des enjeux de la loi et des implications de la QPC : la prostitution, c'est important de le souligner, s'inscrit dans le continuum des violences faites aux femmes. Ce point ressort clairement des conclusions du rapport que la délégation, alors présidée par Brigitte Gonthier-Maurin, avait apporté au débat.
Le but de notre réunion de ce matin est également d'expliquer à nos collègues qui n'étaient pas parlementaires à l'époque les différentes étapes du parcours législatif de ce texte. Le dossier législatif que le secrétariat vous a envoyé pour préparer cette réunion montre très clairement que les travaux préparatoires ont pris du temps. Il faut aussi rappeler à quel point les débats parlementaires ont été clivants et jalonnés d'obstacles.
Dans un premier temps, je propose de donner la parole à celles de nos collègues qui ont largement participé au débat au Sénat.
Je pense plus particulièrement à Michelle Meunier, qui a été rapporteure de la commission spéciale, et à Laurence Rossignol, qui avait elle-même été rapporteure jusqu'à sa nomination au Gouvernement en avril 2014 (comme secrétaire d'État chargée de la Famille, des Personnes âgées et de l'Autonomie, auprès de la ministre des Affaires sociales et de la Santé) et dont nous connaissons l'engagement dans ce domaine.
Mes chères collègues, je vous donne la parole dans l'ordre que vous souhaitez.
Merci Madame la présidente. Nous allons vous faire une présentation à deux voix. Je cède immédiatement la parole à Laurence Rossignol qui va rappeler la philosophie générale de la loi, puis je vous parlerai de son examen parlementaire, qui fut long et clivant.
Je voudrais tout d'abord remercier notre présidente d'avoir accepté d'organiser cette réunion. Le débat parlementaire fut effectivement assez rude. J'aimerais revenir sur le contenu et l'historique de cette loi.
J'ai appelé publiquement pour la première fois à la pénalisation des clients de la prostitution dans une tribune publiée lors de la Coupe du monde de football, qui se tenait en 2006 en Allemagne, pays où la prostitution est légale et réglementée depuis 2002. On avait alors vu s'ouvrir à Berlin des « Eros Center » et on avait observé que la légalisation et l'encadrement de la prostitution avaient eu pour conséquence un accroissement spectaculaire de l'achat de services sexuels au moment de la Coupe du monde, ainsi qu'une hausse du nombre de personnes prostituées. Elles n'étaient pas seulement sorties de l'invisibilité et de la clandestinité : leur nombre augmentait, avec l'apport d'une « main-d'oeuvre » étrangère particulièrement précaire.
À partir de là, ce fut un très long combat, qui aboutit en 2016 grâce à l'adoption de la loi. Michelle rappellera les étapes de son examen parlementaire.
On distingue schématiquement trois postures sur la question de la prostitution :
- la position règlementariste est fondée sur la légalisation et l'encadrement de la prostitution et l'achat de services sexuels ; cela aboutit à la fameuse définition des « travailleurs du sexe » ;
- le prohibitionnisme, qui consiste à interdire la prostitution, ce qui revient à la pénalisation des prostituées (c'est par exemple le cas aux USA) ;
- et l'abolitionnisme, opposé au système prostitutionnel, qui veut agir sur la demande en pénalisant non pas les personnes prostituées, mais les clients.
J'ajouterai une quatrième posture, celle de l'hypocrisie - non assumée par les États mais très répandue, qui fut la situation française jusqu'à l'adoption de la loi de 2016. On se situait dans le camp des pays abolitionnistes, mais l'achat de services sexuels n'était en rien répréhensible par la loi. Il y avait eu un léger basculement vers le prohibitionnisme au moment de la loi sur la sécurité intérieure qui, en 2003, a créé le délit de racolage passif2(*) et a traité la question sous l'angle de l'ordre public et non sous l'angle social. Or la prostitution est un problème éminemment sociétal.
La proposition de loi déposée en décembre 2011 par Guy Geoffroy et Danielle Bousquet, puis Catherine Coutelle3(*), qui faisait suite à une mission d'information parlementaire, est fondée sur le principe abolitionniste. Elle présuppose que l'achat de services sexuels n'est pas acceptable dans une société moderne. L'objectif est non pas de combattre l'exercice de la prostitution, mais l'achat de services sexuels.
Je rappelle à cet égard que les victimes de la prostitution sont très majoritairement des femmes - dans une proportion de 90 % - et que 80 % des prostituées sont des personnes étrangères en situation irrégulière. De plus, 80 % des victimes de la traite des êtres humains le sont à des fins d'exploitation sexuelle.
Donc le mythe de la « prostituée au grand coeur », qui dispose librement de son corps et pour qui la prostitution est une activité relevant de la liberté individuelle, n'existe que dans les romans du XIXe siècle ! Dans la vraie vie, les prostituées sont des étrangères en situation irrégulière, victimes de la traite des êtres humains.
L'achat de services sexuels concerne essentiellement les femmes. Dès lors, et j'insiste sur ce point, la prostitution reproduit des représentations collectives qui vont au-delà de la prostitution elle-même.
Quand votre collègue de bureau va, entre midi et deux, acheter du sexe tarifé, à son retour au travail son regard sur les femmes qui l'entourent ne peut qu'être imprégné de ce qu'il vient de vivre et de faire ; que l'on puisse acheter du sexe tarifé signifie que les femmes sont à la disposition des hommes. La prostitution concerne donc l'ensemble des femmes.
Il est d'ailleurs révélateur de constater que, quel que soit notre statut social, nous nous sommes toutes fait au moins une fois traiter de « pute » dans notre vie, comme si toutes les femmes étaient potentiellement des vendeuses de services sexuels.
Légaliser l'achat de services sexuels, c'est donc admettre que toutes les femmes sont potentiellement des vendeuses de services sexuels, ce qui est profondément contradictoire avec l'idée que les hommes et les femmes puissent être égaux. De fait, la sexualité qui va avec la prostitution est très inégalitaire : elle repose sur l'idée que les hommes doivent avoir, à tout moment, la possibilité d'exercer une sexualité considérée comme irrépressible, sinon ils deviendraient méchants et agressifs... Cette justification de la prostitution - et même de ce qui la rend nécessaire - a pour corollaire une représentation de la sexualité des hommes et des femmes très différenciée.
Mais des discours de ce type ont forcément un impact aussi sur notre façon d'appréhender le viol et avec des arguments pareils, on trouve des circonstances atténuantes aux violeurs ! Ce n'est pas de leur faute, puisque leur désir est irrépressible !
Autre idée fausse : les femmes prostituées prendraient du plaisir dans la prostitution. Cela suppose que la sexualité féminine ne repose pas sur le désir des femmes. On nie le désir féminin. Dans cette logique, les femmes n'auraient aucun désir propre, leur seul désir étant de se soumettre au désir des hommes.
On voit donc que la question de la prostitution va très loin : la question de la vente de services sexuels n'est pas qu'une affaire de clients et de prostituées ; au contraire, c'est l'affaire de toute une société.
Lorsqu'on élève nos enfants, on essaie de leur inculquer des valeurs qui leur permettent de vivre en société, selon certains codes, pour en faire des gens bien. On leur apprend qu'on ne vole pas les bonbons à la boulangerie, même s'ils nous font envie, qu'on règle ses conflits autrement qu'à coups de poing dans la cour de récréation... Et on apprend aussi à nos garçons que le corps des femmes n'est pas à leur disposition, même s'ils ont l'argent pour se le payer. Parallèlement, on apprend à nos filles que le respect de leur corps et de leur sexualité sera un élément important de la construction de leur identité et de leur personnalité. Dès lors que la prostitution est admise, il est difficile d'inculquer ces valeurs : admettre qu'il est possible pour les enfants des autres d'acheter un acte sexuel, mais le refuser pour les siens, est totalement contradictoire.
Autre argument : aujourd'hui, les associations qui travaillent avec les personnes prostituées constatent que ces dernières sont soumises à une violence sexuelle quotidienne. Dès lors qu'il n'y a pas de désir, la prostitution est, à mon avis, un viol tarifé. Dans cette démarche, le client va passer outre la question du consentement sexuel de la femme en payant. Le consentement s'achète ainsi avec de l'argent. Ce n'est pas qu'une vue de l'esprit. Quand on s'entretient avec des femmes prostituées, toutes disent travailler avec la peur au ventre à chaque instant. Il faut en avoir conscience, elles se soumettent à des violences sexuelles quotidiennes et répétées.
Par ailleurs, il faut savoir qu'une proportion significative - entre deux tiers et trois quart, les statistiques ne sont pas très précises - a elle-même été victime de violences sexuelles dans l'enfance. Ainsi, la prostitution arrive souvent après un parcours de vie de disqualification de soi-même, de son corps. C'est après avoir été mises à la disposition d'un adulte, étant enfants, que ces personnes tirent une mésestime d'elles-mêmes qui peut les conduire à la prostitution.
Voilà pourquoi je considère que la prostitution n'est pas une question de liberté individuelle, contrairement à ce que prétendent les auteurs de la QPC, mais une question sociale qui concerne la condition des femmes et la représentation de la sexualité des femmes et des hommes.
Je n'ai pas parlé du proxénétisme, car tout le monde est d'accord pour le condamner. Mais il ne suffit pas de lutter contre le proxénétisme.
Un autre mythe sur lequel je veux porter votre attention est celui de la fille qui travaille seule en free-lance, quand elle le veut. Cela arrange les clients de penser que la fille est consentante, mais ce n'est pas la vérité. On assiste aujourd'hui à une hausse spectaculaire et inquiétante de la prostitution des jeunes filles mineures. Les policiers parlent du syndrome « Zahia ». Or toutes ces jeunes filles ont un proxénète derrière elles. La prostitution est exercée, dans la quasi-totalité des cas, dans un cadre de proxénétisme.
Or si on veut combattre l'achat de services sexuels, si on pense que la prostitution ne peut être un projet de société durable, il faut tarir la demande, agir à la source. Les clients ne sont pas des pervers ou des malades qui auraient besoin de se défouler. On peut d'ailleurs discuter pour savoir si une partie de l'humanité est destinée à permettre à l'autre partie de se défouler, soit disant pour protéger les autres. Dans cette logique, la prostitution serait nécessaire, sinon il y aurait des viols. C'est un argument scientifiquement inopérant. Il n'y a aucune corrélation entre la prostitution et le nombre de viols, contrairement à ce que certains voudraient faire croire.
Le client de prostituées est monsieur tout le monde. Il a un siège bébé à l'arrière de sa voiture et il va au bois de Boulogne pour se faire faire une fellation après avoir déposé les enfants à la crèche. Pourquoi se priverait-il, si c'est à portée de main et que c'est agréable pour lui ? La prostitution est une sexualité dépourvue de tout préliminaire et de toute obligation de respect de l'autre. Même pas besoin de parler ! D'où la loi sur la pénalisation des clients, pour tarir la demande.
La QPC est portée par Médecins du Monde et le STRASS (syndicat du travail sexuel). Je m'attendais à une telle démarche, dans la mesure où la loi n'a pas n'a pas fait l'objet d'un recours au Conseil constitutionnel au moment de son adoption. Je pensais que cette QPC viendrait d'un client. Elle se fonde sur la liberté d'entreprendre. Or la seule liberté d'entreprendre qui soit en jeu est celle des proxénètes, pas des prostituées.
Ils invoquent aussi le droit à la vie privée. Mais la prostitution est par définition un déni de la vie privée - on parle d'ailleurs de « fille publique » pour désigner les prostituées. La seule liberté de la vie privée que l'on protège, c'est celle du client et du proxénète !
Pour moi, ces deux arguments sont donc irrecevables.
Enfin, il faut être conscient que si la loi était abrogée, cela constitutionnaliserait en quelque sorte le droit d'acheter le corps d'autrui. Quels verrous constitutionnels demeureraient alors pour s'opposer à la GPA ou à la vente d'organes ?
Avant d'être adoptée, la loi a suivi un parcours législatif qui a duré deux ans et demi. Comme vous le savez, une commission spéciale a été créée pour examiner le texte, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Le président de la commission fut d'abord notre collègue Jean-Pierre Godefroy, sénateur socialiste, tandis que Laurence Rossignol était nommée rapporteure. J'ai pris sa suite après sa nomination au gouvernement.
Je peux témoigner que le débat a été extrêmement compliqué, y compris au sein de chaque famille politique, à l'image de la société d'ailleurs. Ces divisions n'ont pas épargné le mouvement féministe : voyez l'attitude du Planning familial, par exemple.
À la commission spéciale, nous avons entendu les associations de terrain, comme le Mouvement du Nid.
Sur les quatre volets que prévoit la loi, celui qui concernait la répression du proxénétisme et celui qui avait trait à la prévention et à l'éducation étaient consensuels.
En revanche, le parcours de sortie de la prostitution et la pénalisation du client étaient beaucoup plus clivants.
Le texte voté par le Sénat était en contradiction avec la philosophie du texte initial, puisque nos débats ont conduit à la fois à la suppression du délit de racolage et à la suppression de la pénalisation du client, ce qui était incohérent.
De surcroît, l'examen du texte a pris beaucoup de temps, car son inscription à l'ordre du jour n'était pas une priorité. J'ajouterai que le président de la commission spéciale et moi étions en désaccord sur la pénalisation du client. Par la suite, Jean-Pierre Godefroy a démissionné et a été remplacé par notre collègue Jean-Pierre Vial.
Le texte a fini par être voté au terme d'un parcours que je qualifierais de laborieux, en avril 2016. Les premiers décrets d'application ont été pris assez rapidement. Dans mon département - la Loire-Atlantique -, dès le mois de juillet, la commission prévue par la loi a été installée et nous comptons actuellement une dizaine de parcours de sortie de la prostitution. Si chaque département avait mis en place ces instances, on ne pourrait pas remettre en cause l'efficacité de la loi comme c'est le cas.
Nos débats en commission ont été faussés par certaines auditions, au cours desquelles s'est exprimée par exemple une vision idyllique de ce métier, dont l'exercice serait un vrai plaisir. Or ce n'est pas un métier, mais une violence faite aux femmes. Pour conclure, je voudrais dire que n'est pas le plus vieux métier du monde, c'est la plus vieille violence faite aux femmes.
Je vous remercie pour ces deux présentations éclairantes et complémentaires. Il y a toujours une manière détournée de revenir sur ces sujets, tant les stéréotypes sur la sexualité des femmes et des hommes sont ancrés dans notre société.
Merci à nos deux collègues. Pour ma part, j'ai été choquée par la façon dont s'est déroulé le débat parlementaire. Lorsque je suis arrivée au Sénat (j'ai été élue en 2014), le texte avait déjà été voté par l'Assemblée nationale. Les choses se sont révélées beaucoup plus compliquées au Sénat, y compris au sein de nos groupes politiques. Les sujets sociétaux sont propices à de tels clivages. Cette loi n'a que deux ans et elle est déjà mise à mal. Il était très utile que vous nous fassiez tous ces rappels. La QPC va-t-elle nous obliger à en repasser par ces débats difficiles ? Je suis peinée de constater que dans cette procédure, le Nid se retrouve seul face à neuf associations. Qui pourrait soutenir le Nid au Conseil constitutionnel ? Devons-nous créer un collectif pour être entendus ? Nous ne disposons que d'un délai très bref pour agir.
Si la prostitution est un métier, dans quelles écoles l'apprend-on ? Quelle est la formation ? Quels sont les diplômes ? Je veux bien qu'on m'éclaire !
Les implications d'une éventuelle abrogation de la loi seraient terribles.
L'un des arguments avancés par les détracteurs de la loi est que les prostituées payent l'impôt. Mais nous le voyons bien dans nos communes, le fait que des constructions soient illégales n'empêche pas que l'on prélève l'impôt sur ces bâtiments !
Comment pouvons-nous participer au débat sur la QPC ?
La discussion avait son importance. Comment la délégation pourrait-elle porter un message commun ? Nous allons en débattre. Il conviendrait de savoir si toutes les sénatrices présentes aujourd'hui auraient voté la loi en 2016. Si nous voulons mener une action commune, il faut que nous constations un accord entre nous sur ce sujet.
Je voudrais insister sur le climat délétère qui a sous-tendu le débat parlementaire et qui fut assez inédit. On a constaté des divergences dans tous les groupes politiques. Au Sénat, l'inscription à l'ordre du jour était compliquée. Nous qui étions favorables à la loi nous sommes battues, en dénonçant une forme de domination de l'homme sur la femme. Des arguments hallucinants, renvoyant à la sexualité « irrépressible » des hommes, ont été portés au débat, nous en étions sans voix ! Dans l'esprit de certains de ces collègues, il semblait naturel et normal que la femme soit un objet à la disposition des hommes.
En tant que chef de file dans mon groupe sur ce texte, j'ai notamment été heurtée par l'attitude provocatrice d'un de nos collègues : la tension a parfois été très aiguë.
Comment pourrions-nous soutenir le Nid ?
Pourquoi les associations ayant déposé la QPC militent-elle pour abroger la loi ?
D'un côté, la loi produit ses effets, puisqu'il semblerait qu'elle tarisse la demande. Mais d'un autre côté, les opposants à la loi parlent d'un danger accru pour les personnes prostituées. Les réticences ne viennent-elles pas du fait que la loi ne va pas assez loin dans le volet « réinsertion professionnelle » ?
Quant à la liberté d'entreprendre, invoquée par les auteurs de la QPC, cela ne nous viendrait pas à l'esprit de justifier le trafic de drogue par ce principe...
Je vous remercie d'avoir fait cette alerte sur la QPC, car je n'en avais pas mesuré toutes les implications. Je peux témoigner que les débats internes aux groupes politiques ont été vifs. Ce fut le cas au RDSE. Nous avons reçu les différentes associations qui militaient contre le texte en préparation et qui contestaient le principe de pénalisation du client. Je n'imaginais pas que les opposants à la loi iraient jusqu'à déposer une QPC...
Comment peut-on dire que les prostituées ressentent du plaisir dans une relation sexuelle tarifée ? C'est une énormité ! Ce type de raisonnement peut aller très loin : il n'est pas sans incidence sur la manière dont on appréhende, par exemple, les relations sexuelles entre un adulte et un jeune mineur.
Il y a encore du travail à mener sur l'éducation des enfants, sur le respect du corps des femmes.
Gardons-nous de tout ce qui pourrait justifier des horreurs au nom des besoins sexuels de certains hommes.
Je suis d'accord pour mener une action commune au nom de la délégation.
Avec cette QPC, nous risquons un retour en arrière. Il nous faudra beaucoup d'énergie pour continuer le combat.
Existe-t-il des éléments sur l'utilité des stages prévus par la loi ?
Merci pour vos éclairages. J'ai rencontré des représentants du Nid à Saint-Germain-en-Laye. Au-delà de ce qu'on peut ressentir en tant que femme, je me demande si nous ne devrions pas changer de stratégie. Dès qu'on évoque le sujet de la prostitution, on sent de la tension, y compris de la part de femmes. Tous les hommes ne se reconnaissent pas dans ce que sous-tend la loi, et certains peuvent même se sentir agressés. Sur le fond, je partage vos arguments, mais j'ai une vraie interrogation s'agissant de la stratégie à adopter. Évidemment, l'argument des pulsions irrépressibles des hommes n'est pas valable. Mais est-il pour autant pertinent de stigmatiser les hommes ?
Comment extraire ces femmes inaudibles de la situation de violence dans laquelle elles se trouvent ? Je souhaitais créer des logements dans mon département pour les accueillir, mais nous n'avons rien pu mettre en place. Les maires étaient d'accord, mais nous avons été rattrapés par des questions de fiscalité et d'urbanisme.
Personnellement, je pense que nous nous trompons de stratégie en risquant de stigmatiser les hommes. En revanche, le fait que les personnes prostituées subissent une violence est à mon avis un argument audible. Il faut nous mobiliser pour les réinsérer dans la société, mais c'est très compliqué au niveau local.
Les propos de Laurence Rossignol, de Michelle Meunier et de Maryvonne Blondin me rappellent l'ambiance et le déroulement des débats et les moments très pénibles que nous avons alors vécus, qui allaient bien au-delà de simples tensions et confinaient à la violence, certaines d'entre nous ayant été prises à partie par des collègues.
Je souscris à l'idée de Marie-Pierre Monier que la délégation constitue un collectif. Nous devrions pouvoir être entendues.
Quant à l'application de la loi du 13 avril 2016, j'ai compris que les moyens affectés à sa mise en oeuvre ne sont pas suffisants.
Habitant à côté d'un des hauts lieux de la prostitution parisienne, le bois de Boulogne, je peux vous assurer que jour et nuit, l'activité n'y a pas cessé ! On voit des voitures de police qui patrouillent, mais ça s'arrête là, semble-t-il...
Cela m'attriste et me navre, tant pour les femmes qui s'y livrent à la prostitution que pour les hommes qui n'ont pas encore compris que dans une société égalitaire, une partie de l'humanité n'a pas le droit d'acheter les services sexuels auprès d'une autre.
J'ai suivi le processus législatif d'adoption de cette loi avec Maud Olivier, alors députée de l'Essonne, qui s'y est grandement impliquée.
La première réflexion que ce texte m'a inspirée est que certaines de ses dispositions allaient mettre les prostituées en danger. Les clients, pour éviter d'être verbalisés, les amèneraient à exercer dans des endroits isolés où elles risqueraient de subir des violences.
J'ai entendu des personnes prostituées dire qu'elles assument leur activité et affirmer qu'elles l'exercent de manière indépendante, et non sous la coupe d'un proxénète.
J'ignore en revanche quelle proportion elles représentent et si ces femmes appartiennent plutôt aux anciennes générations de prostituées. Il est essentiel que les prostituées retissent des liens avec les forces de police. Pourquoi n'arrive-t-on pas à arrêter les proxénètes, ces esclavagistes, qui sont pourtant connus et oeuvrent au sein de réseaux d'exploitation dont les proies sont souvent des femmes étrangères ?
Si je suis étonnée que des associations aient déposé une QPC, je pense que cette loi demeure perfectible sur le volet portant sur la protection des prostituées, mais aussi sur son volet pénal qui se trompe peut être de cible.
Je souhaite rappeler que les dispositions de la loi de 2016 ne concernent pas seulement la pénalisation du client, mais comportent aussi un volet sur la prévention et sur le parcours de sortie de la prostitution.
Les dispositions de la loi qui sont aujourd'hui attaquées concernent la pénalisation du client et sont motivées par le fait que la prostitution serait un mal nécessaire pour satisfaire la sexualité « irrépressible » des hommes.
Les arguments évoquant la mise en danger des prostituées liée à la pénalisation du client ont été récurrents pendant les débats. De plus, qualifier l'activité prostitutionnelle de « métier » est difficilement audible : qui en effet songerait à y orienter ses propres enfants ?
La prostitution est une composante de la traite des êtres humains !
Ces observations et interrogations ont été largement reprises, notamment par l'association Médecins du Monde pendant le long processus législatif de plus de deux années. La situation des personnes prostituées était-elle meilleure avant l'adoption de la loi du 13 avril 2016 ? Je ne le pense pas. Les dangers encourus persistent, le nombre de meurtres de personnes prostituées ne baisse pas, et la prostitution demeure fondamentalement une violence faite aux femmes.
Si l'on veut bien se rappeler qu'un trafiquant cherche avant tout à maximiser son profit quel que soit l'objet de son trafic - drogue, médicament, armes, alcool, femmes -, pour un proxénète, une personne prostituée n'est pas une personne humaine, mais juste un prénom que l'on déplace pour rapporter de l'argent. Le proxénète se détournera des activités devenues moins lucratives en raison des risques encourus.
Les personnes prostituées n'étaient pas moins menacées avant cette loi. Celle-ci adresse un signal fort aux générations futures : l'interdiction de l'achat d'un acte sexuel !
Beaucoup demeure encore à faire, notamment sur les stages de sensibilisation des clients : selon le témoignage d'une ancienne prostituée qui anime de tels stages, la moitié des stagiaires environ prennent conscience à cette occasion de ce qu'ils ont fait et disent qu'ils ne recommenceront pas. C'est déjà une avancée !
Constate-t-on une diminution du nombre d'actes de prostitution depuis l'adoption de la loi du 13 avril 2016 ?
Les associations à l'origine de la QPC font état d'une baisse très sensible des revenus des personnes prostituées, le nombre de clients ayant fortement diminué, ce qui témoigne de l'efficacité de cette loi ; demeurent les irréductibles, parfois violents envers les personnes prostituées.
Des collectivités ont installé des panneaux dissuasifs avec une signalétique appropriée rappelant l'interdiction d'achat d'actes sexuels aux clients de prostituées.
La ville de Valence a installé de tels panneaux avec des pictogrammes rappelant cette interdiction ainsi que les peines encourues par le contrevenant.
La commission départementale de sortie de la prostitution est mise en place par le préfet ; y siègent notamment le procureur de la République et des associations. Les parlementaires n'en sont pas membres, mais j'estime qu'il serait intéressant que des élus y participent.
Le mythe des prostituées libres et heureuses d'exercer cette activité arrange les clients ! L'achat de services sexuels revient à considérer que le corps des femmes est à la disposition des hommes et que leur désir n'a pas d'importance.
Je ne connais aucune prostituée qui souhaite voir ses enfants le devenir, à la différence des avocats, médecins ou professeurs, qui souscrivent bien volontiers à l'idée que leurs enfants exercent la même profession qu'eux.
L'idée d'une prostitution libre et consentie est infirmée par les quelques chiffres que j'ai déjà cités : 80 % de prostituées sont des femmes étrangères en situation irrégulière et 80 % des victimes de la traite le sont à des fins d'exploitation sexuelle.
Que certaines personnes se livrent à la prostitution comme l'expression d'une manière de vivre leur sexualité, je veux bien le concevoir, mais cette manifestation de la diversité des comportements sexuels demeure extrêmement marginale et ne doit pas détourner du traitement de la question sociale de la prostitution, qui concerne le plus grand nombre des prostituées.
Les dispositions de la loi sur la pénalisation du client posent avant tout un interdit : on n'achète, ni ne loue, ni ne vend le corps d'autrui ! C'est l'expression d'un « cliquet civilisationnel » : le rapport au corps est déterminant dans les inégalités entre hommes et femmes.
La prostitution est une activité dangereuse par nature, le client considérant avoir tous les droits parce qu'il paye. De fait, les femmes prostituées ont une espérance de vie proche de celle des SDF, car supporter vingt à trente passes journalières exige d'user d'alcool, de drogue et de se plonger dans un état d'oubli de soi-même et de dissociation permanente. Georges Brassens l'exprime fort bien dans sa chanson « La complainte des filles de joie ».
La prostitution produit un chiffre d'affaires de 130 milliards d'euros au niveau mondial, dont 3,2 milliards en France, qui enrichit surtout les proxénètes, partout présents. Mais les prostituées n'en reçoivent qu'une part infime ; les personnes exerçant en indépendantes restent quant à elles très peu nombreuses.
Il s'agit du troisième trafic le plus lucratif, après la drogue et les armes.
Je souscris totalement aux propos de Laurence Rossignol, mais comme l'a indiqué Laure Darcos, des articles de presse se font l'écho de paroles de prostituées qui affirment jouer le rôle d'amante, voire de psychologue, auprès de clients qui ne trouveraient plus leur épanouissement sexuel dans leur couple. De tels articles légitiment au sein du public la prostitution et battent en brèche le travail législatif qui a été effectué sur ce sujet. Comment faire ?
Je travaille sur ce sujet depuis la Coupe du monde de football de 2006 en Allemagne ; que n'ai-je entendu ! J'ai néanmoins tenu bon, même si la prostitution arrange tout le monde, n'ayons pas peur de le dire. De plus, autoriser l'achat de services sexuels, c'est finalement tolérer en quelque sorte le viol, car le consentement ne s'achète pas avec de l'argent...
Que pouvons-nous faire à l'égard de cette QPC ?
Dans cette procédure, seules peuvent être parties aux débats contradictoires le Gouvernement, représenté par le Secrétaire général du Gouvernement (SGG) sur la base d'un dossier proposé par la Chancellerie, et les associations telles que le Nid, qui vont produire des mémoires.
J'ai demandé à être entendue en tant qu'ancienne ministre par le Conseil, mais cette démarche ne s'intègre pas dans la procédure.
De fait, nous comptons sur les associations, dont le Mouvement du Nid, pour défendre les dispositions contestées de la loi du 13 avril 2016. Nous espérons aussi que les membres du Conseil comprendront que la constitutionnalisation du droit d'acheter le corps d'autrui, au-delà de la question de la prostitution, libérerait ensuite tout verrou constitutionnel à la gestation pour autrui (GPA) ou à la remise en cause de la gratuité des dons d'organes.
J'ai pour ma part été invitée à la première réunion de la commission de mon département, à laquelle participait le syndicat des hôteliers, qui peut jouer un rôle d'alerte dans la lutte contre le proxénétisme.
Dépénaliser l'achat de services sexuels priverait les forces de police de points d'entrée dans les réseaux : les enquêteurs m'ont confirmé que cette loi était très utile, en particulier pour lutter contre la prostitution des mineurs.
L'objectif des associations telles que le STRASS ou Médecins du Monde, qui sont à l'origine de la QPC, est d'instaurer le réglementarisme comme en Allemagne ou en Hollande, où la prostitution est légalisée. Les personnes prostituées y sont des « travailleurs sexuels » disposant d'un statut et dont l'activité est encadrée dans des « Eros Center ».
Ce qu'il faut comprendre, c'est que la légalisation conduit paradoxalement à l'explosion du business, car les clients en quête de transgression se tournent davantage vers la prostitution illégale impliquant des mineurs ou des prostituées étrangères victimes de la traite des êtres humains. Sachons-le, la traite des êtres humains prospère dans les pays où la prostitution est réglementée et légalisée.
Cet échange sur la loi du 13 avril 2016 nous conduit, semble-t-il, à des points de vue partagés. La réponse apportée par le Gouvernement à une question orale que j'ai posée sur la mise en place des commissions départementales précisait qu'un certain nombre de ces commissions avaient été installées. Je vous invite donc à vous adresser aux préfets de vos départements pour accélérer la constitution de ces commissions.
La volonté politique est nécessaire pour appliquer cette loi, qu'il s'agisse de l'installation des commissions départementales, de la pénalisation du client, de l'organisation de stages de sensibilisation ou des moyens affectés au parcours de sortie de prostitution. Nous devons donc rester très vigilants !
Mettre en place une commission départementale ne suffit pas, encore faut-il que les associations invitées à y siéger disposent des financements suffisants pour assurer leur mission d'accompagnement du parcours de sortie de la prostitution.
Nous avons une totale légitimité à interpeller l'exécutif sur ces thématiques, d'autant que les violences faites aux femmes sont la grande cause du quinquennat.
Je ne suis pas persuadée qu'une QAG soit le meilleur vecteur pour faire avance ce dossier.
En effet, une tribune présenterait l'avantage de mobiliser celles et ceux de nos membres qui souhaitent s'investir dans cette question.
La date limite de dépôt des mémoires auprès du Conseil constitutionnel est fixée au 3 décembre prochain. Les présidents de la République, de l'Assemblée nationale et du Sénat peuvent être entendus par le Conseil dans le cadre de l'examen d'une QPC. Un des arguments qui pourrait être développé par ces autorités est que la constitutionnalisation du droit d'acheter le corps d'autrui fait disparaître tout verrou constitutionnel à la GPA ! Nous devrions peut-être attirer l'attention de notre président sur ce point.
À défaut de pouvoir intervenir dans la procédure de la QPC, nous devrions mener une action médiatique pour contrebalancer les points de vue exprimés par les détracteurs de cette loi.
J'ai interpellé le préfet de mon département sur la mise en place de la commission, sans succès. Pourtant, la gendarmerie départementale fait état d'une inquiétude concernant la prostitution des mineurs. Il semblerait que des mesures puissent être annoncées dans l'Yonne sur ces sujets au début de l'année prochaine.
Pour conclure nos échanges, je propose de solliciter notre président et de publier une tribune, qui pourra être co-signée par celles et ceux qui le souhaitent.
J'en viens aux points suivants de notre ordre du jour.
Je voudrais vous informer de la montée en puissance d'un débat sur la parité dans les intercommunalités, qui semble marquer le pas depuis les fusions encouragées par la loi NOTRe, résultat de la très faible proportion de femmes maires (20 %). Ce constat est partagé par les observateurs.
J'ai ainsi été sollicitée dans le cadre du Congrès des maires, pour intervenir le 21 novembre lors d'une séquence dédiée à la présentation des conclusions du groupe de travail de l'Association des maires de France sur la parité dans les intercommunalités. J'ai également été invitée à participer à une table ronde sur ce même thème, le samedi 24 novembre, lors des Journées nationales de l'association Élues locales, présidée par Julia Mouzon. De plus, le HCE rend public aujourd'hui un rapport sur la parité dans les intercommunalités.
Il me semble donc important que notre délégation participe à ce débat en prolongeant la réflexion que nous avons esquissée dans le rapport publié en juillet sur le projet de loi constitutionnelle.
J'en viens à l'autorisation de publier les actes de notre colloque du 18 octobre sur Les femmes pendant la Grande Guerre, dont vous avez eu communication en amont de cette réunion. Je constate que nous sommes unanimes à valider la publication de ce document.
Nous nous retrouverons donc jeudi 6 décembre dans la salle Clemenceau, pour notre table ronde sur les violences faites aux femmes handicapées. Cette manifestation est organisée à l'occasion du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.
* 1 Le Conseil constitutionnel dispose de trois mois pour répondre à cette QPC.
* 2 La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a modifié le code pénal pour créer, à l'article 225-10-1 une nouvelle infraction, le délit de racolage passif, ainsi défini : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ».
* 3 Proposition de loi visant à responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme, présentée par Mme Danielle Bousquet M. Guy Geoffroy, députés (Assemblée nationale, n° 4057, 7 décembre 2011, XIIIe législature).