EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS
Les amendements de coordination AFFECO.1 et AFFECO.2 sont adoptés.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Article 1er
L'amendement n° 13 supprime la justification de l'atteinte au libre choix du consommateur reposant sur le bon fonctionnement du terminal. Cela nous semble disproportionné, et de nature à fragiliser le dispositif. Si trop de liberté est laissée à l'utilisateur du terminal, cela rendra celui-ci non opérationnel. Il y a trois critères : la sécurité, le bon fonctionnement de l'appareil, et le respect de la loi. Pour être neutre, encore faut-il que le terminal fonctionne ! Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.
Article 2
L'amendement n° 12 rectifié renforce la transparence des algorithmes utilisés par les plateformes lors du classement des informations transmises aux consommateurs. Il nous paraît satisfait car l'article L. 111-7 du code de la consommation prévoit déjà l'obligation, pour les plateformes, d'informer les consommateurs sur « les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels le service permet d'accéder ». Retrait, ou avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12 rectifié.
Articles additionnels après l'article 3
L'amendement n° 10 permettrait aux entreprises d'agir contre les atteintes à la neutralité des terminaux et à l'interopérabilité des plateformes. Il est satisfait : retrait, ou avis défavorable. En effet, le nouvel article L. 108 permettrait à tout utilisateur professionnel de saisir l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) en cas d'atteinte à la neutralité des terminaux, et les nouveaux articles L. 109 et L. 113 permettraient à toute personne physique ou morale concernée de solliciter une sanction de la part de l'Arcep.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
L'amendement n° 4 a pour but de s'assurer que le principe de loyauté des plateformes, inséré par la loi de 2016 pour une République numérique, s'applique bien aux magasins d'application. Un magasin d'application est bien une plateforme en ligne au sens de l'article L. 111-7 du code de la consommation. Cet amendement est donc satisfait. Retrait, ou avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
Article 4
L'amendement n° 3 introduit une définition générale de l'interopérabilité, qui s'inspire du référentiel général d'interopérabilité applicable aux systèmes d'information de l'État. Cela nous semble intéressant. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3.
Articles additionnels après l'article 6
L'amendement n° 11 rectifié permet de qualifier de pratique restrictive de concurrence le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher l'interopérabilité des plateformes. Même avis que sur l'amendement n° 10, dont il constitue le pendant.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11 rectifié.
L'amendement n° 8 rectifié permet les actions de groupe pour manquement aux dispositions de la proposition de loi par une entreprise systémique. Il nous apparaît satisfait. L'Arcep peut déjà être très largement saisie, et les articles 3 et 6 de la proposition de loi prévoient que « l'Arcep peut, soit d'office, soit à la demande du ministre chargé du numérique, d'une association agréée d'utilisateurs ou d'une personne physique ou morale concernée, sanctionner » les atteintes au libre choix et à l'interopérabilité des plateformes. Retrait, ou avis défavorable.
L'objectif de cet amendement est de ne pas obligatoirement passer par l'Arcep. Il ne s'agit d'être suspicieux, mais on peut ne peut totalement exclure que les rapports de force internationaux puissent un jour influencer le traitement d'une affaire par le régulateur - fût-il indépendant ! Il faut élargir le champ des capacités à poursuivre par des personnes qui s'estimeraient lésées, entreprises ou citoyens.
Je précise que, à notre sens, le dispositif serait couvert par le code de la consommation, qui concerne tout manquement d'un professionnel à ses obligations légales, relevant ou non du code de la consommation à l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services.
Vraiment ? Il s'agit de services ou de biens. Là, c'est l'organisation d'un système qui est en cause en ce qu'elle rend difficile l'accès à des services. La formulation du droit en vigueur est ambiguë.
Nous aurons le débat en séance, mais la notion de service couvre les services numériques, donc il me semble que l'action de groupe du code de la consommation serait applicable.
Il faut rendre explicite la possibilité d'avoir recours à une action de groupe.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié.
Article 7
L'amendement n° 6 clarifie qu'il faudra bien que l'Autorité de la concurrence ait recours à un faisceau d'indices pour qualifier une entreprise de « structurante ». Un seul critère ne saurait être suffisant pour bien cibler le dispositif sur les géants du numérique. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6.
L'amendement n° 1 rectifié permet l'accès des agents habilités de l'Autorité de la concurrence aux principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu'aux données utilisées par ceux-ci. Avis favorable. Un amendement de même nature avait été intégré à la proposition de loi sur la lutte contre les propos haineux en ligne.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié.
Article 8 A
Même avis sur l'amendement n° 2 rectifié, qui concerne la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié.
L'amendement n° 14 étend l'interdiction des dark patterns à l'ensemble des plateformes, et non seulement aux plateformes structurantes. C'est un amendement intéressant : il faut que l'ensemble des acteurs du numérique soient soumis à ces dispositions.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 14.
Article additionnel après l'article 8
L'amendement n° 5 demande un rapport sur les effets de la loi pour un République numérique : avis défavorable, selon la jurisprudence constante du Sénat - quitte à interpeller le ministre en séance. La commission d'enquête sur la souveraineté numérique avait émis le souhait de procéder à une évaluation des dispositions relatives au numérique.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
Article 9
L'amendement n° 15 rectifié exige du Gouvernement qu'il fasse bien connaître au public les dispositions de la proposition de loi. Une telle disposition ne relève pas du domaine de la loi. Je vous propose de saisir le Président du Sénat afin que soit constatée l'irrecevabilité de cet amendement en application de l'article 41 de la Constitution. Cependant, dans l'hypothèse où cette proposition de loi deviendrait une loi, une telle campagne de communication serait bienvenue. Nous invitons l'auteur de l'amendement à évoquer ce sujet en séance.
La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 15 rectifié au titre de l'article 41 de la Constitution.
Article additionnel après l'article 19
L'amendement n° 7 modifie le régime de l'asile. Notre commission a arrêté que le périmètre de la proposition de loi se limite aux « mesures tendant à modifier le droit de la concurrence, de la consommation et de la régulation de nature économique en vue de favoriser le libre choix du consommateur en ligne ». En conséquence, et même si cet amendement aborde un sujet important, je vous propose de constater que cet amendement ne comporte pas de lien, même indirect, avec les dispositions restant en discussion et, en conséquence, de le déclarer irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je souhaite que nous puissions en débattre. En effet, ces systèmes sont si opaques que, le temps qu'on perçoive un dysfonctionnement, le préjudice est considérable. Au-delà de l'affaire Snowden, aujourd'hui, en Californie, certains salariés sont écartés des Gafam pour avoir manifesté des exigences éthiques. Les lanceurs d'alerte doivent être protégés. Dès 2013, le Conseil national du numérique a préconisé de voter des lois sur ce sujet.
La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 7 au titre de l'article 45 de la Constitution.
Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Enrique Martinez, directeur général du groupe Fnac Darty. Près de quatre ans après le rachat de Darty par la Fnac, le groupe est au croisement de plusieurs sujets d'actualité qui concernent notre commission, en particulier les nouvelles formes du commerce et les multiples enjeux du numérique.
Les différents travaux que conduit la commission convergent en effet vers le constat qu'il est au mieux inefficace, au pire contre-productif d'opposer frontalement le commerce en ligne et le commerce physique. Chacun peut et doit se nourrir des opportunités apportées par l'autre, à l'heure où les exigences des consommateurs évoluent rapidement. Alors que près de 20 % des ventes du groupe Fnac Darty sont réalisées en ligne, nous pouvons, je le crois, dire que vous partagez le même constat que nous !
Le plan stratégique intitulé « Confiance + », lancé à l'automne 2017, vise à créer la « plateforme omnicanale de référence en Europe ». Le groupe Fnac Darty a en effet développé une stratégie multipliant les canaux de vente, dans l'électroménager, l'électronique et les produits culturels, ce qui en fait le leader européen en la matière. Cette stratégie repose en France sur près de 570 magasins dits « numérisés », sur le développement d'offres de livraison et de collecte en magasin et sur le site internet, qui enregistre 20 millions de visiteurs uniques cumulés par mois.
Monsieur le directeur général, vous êtes ainsi particulièrement bien placé pour nous indiquer ce que vous pensez de la complémentarité entre commerce physique et commerce en ligne et sur les obstacles et enjeux de la transformation numérique. Vous pourrez également nous faire part de votre vision prospective de l'avenir du commerce. En bref, comment voyez-vous votre métier dans dix ans ?
Le groupe a fait le choix de diversifier son activité, notamment afin de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Au-delà du rachat de Darty, dont les produits sont complémentaires de ceux de la Fnac, on pense à l'acquisition de Nature & Découverte en 2019, afin d'intégrer le marché du bien-être. Pourrez-vous nous expliquer quelles sont les évolutions de ces exigences des consommateurs que vous considérez comme les plus structurantes, les plus incontournables ? En matière d'usage de produits culturels ou de bien électroniques, quelles sont les évolutions que vous constatez ?
Enfin, les enjeux de régulation propres au numérique vous concernent au premier chef. On pense aux sujets d'équité fiscale et règlementaire avec certains acteurs pure players du numérique, mais aussi à la nécessité d'accroître la transparence et la loyauté dans les relations entre places de marché en ligne et vendeurs professionnels. Vous avez devant vous la commission chargée de l'élaboration des lois concernant le commerce et la consommation. Quels sont aujourd'hui les freins législatifs à votre développement ?
Vous pourrez également nous dire comment votre groupe a appliqué la charte e-commerce signée sous l'égide du Gouvernement et expliquer l'impact de l'entrée en vigueur à venir du règlement platform to business.
Vous pourrez enfin nous dire comment votre groupe compte résister à long terme à la déferlante des géants du commerce en ligne que sont l'américain Amazon et le chinois Alibaba.
Je vous cède immédiatement la parole pour un propos liminaire, puis des questions vous seront posées par mes collègues, à commencer par M. Babary, rapporteur du groupe de travail sur les nouvelles formes du commerce.
Membre du groupe depuis vingt et un ans, j'en suis le principal dirigeant depuis 2017. Les défis sont énormes. En France, le commerce a été affecté, notamment ces deux dernières années, par certains mouvements dans des périodes critiques, dont les fêtes de fin d'année. Mais les difficultés tiennent principalement à l'énorme pression des acteurs mondiaux du digital, qui ont profondément modifié les règles du jeu dans le secteur de la distribution. Les pure players ont des moyens illimités leur permettant d'avoir des pertes importantes sur leur activité commerciale, ce qui n'est pas à la portée des acteurs du commerce traditionnel. Ils ont ainsi pu faire progresser très significativement la vente en ligne.
Nous avons en France et en Europe des champions de la distribution qui se battent pour rester présents sur les marchés. Ailleurs dans le monde, les acteurs du commerce traditionnel qui étaient un peu faibles ont disparu. Mais nous sommes confrontés à des fermetures de commerces physiques, et le phénomène risque de s'aggraver dans le futur.
Voilà quatre ans que la Fnac et Darty font partie du même groupe. C'était une chance inouïe pour créer un vrai champion de la distribution des produits électroniques, électroménagers et culturels. Cela nous a donné une taille suffisante pour pouvoir investir davantage sur l'expérience client et rester leader sur toutes nos catégories des produits en France. Le modèle que nous développons est complètement différent de celui des pure players. Notre réseau de magasins est extraordinaire. Nous continuons à le développer partout en France. Nous avons bâti un modèle complémentaire entre le physique et le digital.
Les clients veulent la simplicité et la facilité d'accès du digital. Mais l'expérience du magasin vient en complément. L'avantage concerne aussi l'économie et la responsabilité sociale des entreprises (RSE), car le coût des livraisons dans les centres-villes est élevé.
Le groupe est un acteur engagé de l'économie française et européenne. Nous prenons des initiatives pour qu'il puisse jouer un rôle de leader et de référent dans une économie de plus en plus circulaire. Nous avons 26 000 collaborateurs, dont 19 000 en France, et 600 magasins. Nous continuons à faire des ouvertures, grâce à une politique de développement de la franchise. Il a été décidé voilà quelques années de permettre à des entrepreneurs indépendants ayant souvent d'énormes problèmes économiques de s'associer à notre réseau. Cela a été un axe majeur de développement de notre activité.
Pour compléter notre offre, nous avons acquis Nature & Découverte, marque exemplaire, dont plus de 60 % des produits sont fabriqués en France, permettant de renforcer l'activité dans les magasins et sur internet. Nous développons l'enseigne dans d'autres pays.
Nous avons bâti des partenariats avec des groupes français, ayant constaté que, malgré notre taille, nos moyens étaient limités pour développer des activités ou des services. Les accords concernent des groupes comme Deezer, Orange ou Kobo.
Aujourd'hui, 20 % du chiffre d'affaires est généré en digital. Plus de la moitié de la volumétrie revient au magasin, permettant d'avoir un flux très significatif.
Nous avons un souci de qualité de l'expérience. Il y a plus de 5 millions de transactions par an, d'où un énorme besoin de formation et d'accompagnement.
Le groupe a une politique forte de recrutement de jeunes, avec plus de 1 000 contrats en alternance en France. Les possibilités de développement de carrière offertes à des jeunes à faible formation jouent un rôle d'ascenseur social. En outre, la politique de promotion interne est très affirmée, surtout dans les magasins.
Nous sommes, je pense, les mieux placés de notre secteur s'agissant de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui représentent 38 % de nos effectifs. Le conseil d'administration est à parité, et il y a 40 % de femmes au sein du comité exécutif. De même, nous avons l'un des taux les plus élevés d'emploi de personnes handicapées, 5 %.
Les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux effets de l'activité sur la planète. Historiquement, Darty a été un des groupes les plus mobilisés au monde en la matière, réparant plus de 1,2 million de produits chaque année. Plus de 2 000 personnes sont exclusivement dédiées à cette tâche, soit à domicile, soit en atelier.
Nous avons intégré les nouveaux outils offerts par le big data. Le baromètre du service après-vente (SAV) permet d'informer les consommateurs sur la qualité attendue des produits. Nous avons introduit un label « choix durable » pour les produits dont la durée de vie sera la plus longue possible. Cela combine capacité à réparer et durabilité, y compris des pièces disponibles. Nous sommes ravis d'avoir amené certains industriels à prolonger, parfois à doubler la durée de vie des pièces détachées.
Des acteurs de taille bien plus importante peuvent avoir une politique de paiement des impôts complètement différente de la nôtre. Ils continuent ainsi à ouvrir des entrepôts en Europe ou en France avec des sommes que notre groupe dédie à ses obligations fiscales.
Ce n'est pas la seule distorsion. Les règles en matière d'utilisation des données des cartes bancaires des clients, selon que l'hébergement est en France ou ailleurs, par exemple au Luxembourg, procurent à d'autres des avantages d'utilisation et de simplicité sur les modes de paiement, alors que les mêmes pratiques sont interdites aux e-commerçants français. Ce n'est peut-être pas très visible au quotidien, mais les écarts sur les taux de transformation et la perte de bases clients sont énormes. Il sera de plus en plus difficile de se battre dans ces conditions. Les consommateurs, qui considèrent la simplicité des paiements comme un énorme avantage, ne comprennent pas que des acteurs comme la Fnac ou d'autres groupes ne proposent pas de tels services. C'est bien un problème de réglementation.
Face à la pression à laquelle ils sont soumis, les commerces physiques doivent se transformer. Certaines lois françaises n'intègrent pas encore complètement l'effet de l'e-commerce au regard de la concurrence.
Cela limite énormément la capacité de transformation intelligente du commerce physique, et les conséquences peuvent être désastreuses.
Sur certains sujets, le diagnostic est fait : la distorsion de concurrence est importante. La question est : comment le législateur est-il capable de soumettre tous les acteurs à des règles qui fassent que chacun, avec ses armes, puisse satisfaire ses clients ?
Merci de vos propos liminaires qui ont largement balayé les différents sujets.
Au fil des auditions de notre groupe de travail sur les nouvelles formes de commerce, il apparaît que les consommateurs se retrouveront demain autour d'une communauté de valeurs. L'acte d'achat constitue de plus en plus un acte citoyen qui a un sens. Les marques ne prospéreront que si elles réussissent à se différencier non seulement sur le prix et l'apparence du produit mais aussi, plus fondamentalement, sur le message que l'achat du produit véhicule. Qu'en pensez-vous ? Sentez-vous poindre cette tendance ? Comment en tiendrez-vous compte ?
La part du commerce en ligne dans le chiffre d'affaires est de 20 %. Est-ce un plafond ou au contraire, cette part pourra-t-elle croître massivement ? On constate que ce taux de 20 % se retrouve ailleurs.
Quels sont les avantages spécifiques du commerce physique, que vous conservez largement, qui le rendent non interchangeable avec le commerce en ligne dans l'esprit du consommateur ?
La livraison dite du dernier kilomètre sera-t-elle à la charge du consommateur, comme c'est le cas lorsqu'il va chercher son colis en point relais ou en magasin, ou à celle de l'entreprise, qui devra supporter le coût significatif de la livraison à domicile ?
Enfin, concernant la place de marché, quelle est la transparence de vos pratiques de classement des offres et de vos procédures de sanction d'entreprises cocontractantes : déréférencement, gel des fonds, etc. ?
Le commerce de demain portera, comme cela a toujours été le cas, sur les valeurs. Les clients cherchent du sens, de la confiance, face à un hyper-choix qui les perd parfois. Il est fondamental de proposer des marques de confiance. Toutefois, nous constatons que les clients ont parfois des comportements contradictoires : ils déclarent être sensibles aux valeurs, mais ce n'est pas toujours décisif lors du choix final, hypersensible au prix. Le phénomène de prix n'a jamais été aussi présent qu'aujourd'hui, quand la comparaison est immédiate, à portée de téléphone. Oui, il faut donner du sens, mais des marques qui ne sont pas aussi éthiques ou bienveillantes que d'autres peuvent quand même l'emporter par le prix.
Nous avons lancé nos sites internet en 1999. Ces derniers temps, la pénétration du commerce en ligne a progressé de 1 point par an. Dans les secteurs où la différence de prix entre commerces physique et en ligne n'est pas si importante, la pénétration de ce dernier est moins grande. Il y a une corrélation directe entre pénétration du commerce en ligne et prix plus bas. C'est ainsi que le e-commerce s'est imposé dans beaucoup de pays.
Deux facteurs sont à considérer pour modéliser l'évolution de la pénétration du commerce en ligne : la limite du modèle de vente à perte qui impose une pression trop forte sur les prix de certains secteurs d'activités, et la capacité de résistance des acteurs du commerce physique. Le commerce en ligne a aussi progressé là où le commerce physique a disparu, entraînant une perte de choix. Un consommateur qui ne dispose plus de librairie mais veut continuer à lire est obligé de passer par une plateforme.
La livraison constitue un sujet majeur. La loi Lang sur le livre a autorisé la facturation des frais de livraison à un centime, la gratuité étant interdite. Si l'on applique cette offre à l'ensemble du secteur, pour les commerçants en ligne, il est très difficile d'absorber des frais de livraison de plus en plus chers, si ce ne sont pas les magasins qui assurent le rôle de point de retrait. Nous avons cet avantage sur les commerçants uniquement en ligne. C'est une distorsion de concurrence.
Nous sommes très attentifs au phénomène de place de marché. Beaucoup d'acteurs hébergent des commerçants installés hors de l'Union européenne, en Chine ou ailleurs en Asie, qui vendent des produits à des tarifs impossibles, parfois plus bas que ceux auxquels mon groupe les achète. Ce n'est pas normal. Il existe probablement un manquement de déclaration de la TVA. Nous avons signé l'an dernier la charte de déontologie du Gouvernement sur le sujet. Nous soutenons sa mise en exécution.
Le point de vigilance concerne les plateformes de place de marché qui ne sont pas hébergées en France : que faire avec une plateforme italienne qui vend en France des produits chinois ou thaïlandais ? Le commerce en ligne provoque des distorsions de concurrence très significatives. À nous de trouver les bonnes règles du jeu pour rétablir la concurrence.
Merci pour vos propos introductifs. Je suis très heureux de cette audition car Fnac-Darty est un très beau groupe, dont les résultats sont exceptionnels. Disons-nous tout : selon une étude interne, lors des dix dernières années, vous avez perdu 40 % de salariés. La transformation du métier a des conséquences sur l'emploi. Vous vous êtes séparés d'un certain nombre de secteurs, notamment des disquaires, et vous vous réorganisez.
Avec les grands capitaines d'industrie, nous débattons souvent de la fiscalité. Pour ma part, je pense que les cotisations sociales qui financent notre modèle social font de la France l'un des pays les plus compétitifs. Une fois de plus, disons-nous tout : combien de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) le groupe Fnac-Darty a-t-il reçu en cinq ans ? Le montant doit s'élever à des dizaines de millions d'euros. À quoi ont-ils servi ?
Je sais que vous tenez à votre réseau de magasins. Les salariés disent que ces derniers sont de plus en plus des showrooms pour des clients qui achètent finalement sur Internet, et qu'ils ont perdu des compétences. Aujourd'hui, les vendeurs sont polyvalents, ils sont équipés de tablettes et vendent plus d'assurances que de livres - vous avez d'ailleurs été épinglé sur les assurances par 60 Millions de Consommateurs. Le passage au modèle Internet s'accompagne-t-il forcément d'une perte de savoir-faire et de conseils aux clients ?
Monsieur le président-directeur général, vous avez indiqué être un acteur engagé. À la délégation sénatoriale aux entreprises, nous menons une mission sur les entreprises responsables et engagées, allant bien au-delà de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), dans les domaines du bien-être des salariés, de l'éthique financière, de l'environnement et des droits humains dans toute la chaîne de fournisseurs. Quelle est la politique de votre groupe en la matière ?
Il y a quatre mois, vous avez annoncé le lancement de Darty Max, un service inédit d'abonnement à la réparation pour tout le gros électroménager. C'est une étape importante dans la mutation du modèle économique du groupe, qui prévoit l'embauche de 300 techniciens réparateurs dans les trois prochaines années. Vous faites le pari d'une consommation plus responsable, pour faire de la réparation un business d'avenir. Vous vous engagez vers l'économie circulaire. Quel est le bilan de Darty Max depuis son lancement ? Quel est, par exemple, le taux de produits réparés ?
Ma question porte sur l'obsolescence programmée, grave problème. Certaines personnes que je connais ont acheté un superbe téléviseur, qui, au bout de six ans, n'est pas réparable alors qu'il est presque neuf. Avant, les téléviseurs duraient vingt ans. Heureusement que l'économie sociale et solidaire existe pour réparer ce qui n'est qu'un problème de carte mémoire. Dans certains endroits, ces téléviseurs sont broyés. Quel gâchis écologique ! Quel coût pour les familles ! J'espère que la réparabilité sera un argument de vente. Les nouvelles générations ne veulent plus de l'obsolescence programmée. Il faut faire comprendre qu'il vaut mieux acheter un appareil ménager réparable, qui coûtera moins cher à la famille et sera meilleur pour la planète.
La course à l'e-commerce aura-t-elle des conséquences sur les centres villes ? La Fnac sert parfois de locomotive, dans les coeurs de ville. Elle est un lieu de rencontres, d'activités culturelles. Avez-vous un projet pour réinvestir les centres villes, dans les grandes villes mais aussi les villes moyennes ? Elles ont besoin de votre présence.
Aujourd'hui, on estime que la consommation énergétique du numérique représente à elle seule l'équivalent de la moitié de la consommation d'énergie du secteur du transport aérien. Dans quelques années, celle-ci devrait même dépasser l'énergie consommée par l'ensemble du secteur des transports.
C'est pourquoi je me demande s'il n'est pas risqué de tout miser sur le numérique : après tout, l'acceptabilité sociale dont il bénéficie pourrait tout à fait s'inverser, notamment si les effets du dérèglement climatique s'accentuaient.
Prenons l'exemple du développement des magasins de vente en vrac. Ce modèle est l'exact inverse de celui du numérique : il ne repose sur aucune commande ni aucune livraison. En fait, le consommateur fait le choix de se déplacer pour acheter un produit dans son contenant. On trouve derrière ce modèle l'acte militant et citoyen de certains consommateurs qui luttent contre les effets nocifs du numérique et des emballages.
Selon vous, le « tout numérique » et ses immenses plateformes logistiques continueront-ils à se développer de façon irrémédiable, ou les évolutions sociétales pourraient-elles favoriser l'émergence d'un modèle alternatif ?
Monsieur Martinez, vous êtes un patron conquérant, ce qu'il faut saluer. Cela étant, je fais partie de ces personnes qui défendent les libraires et les disquaires indépendants de centre-ville, lesquels souffrent aujourd'hui. Ma question est simple : quel avenir voyez-vous pour les commerces indépendants de centre-ville ?
Vous n'avez pas évoqué l'implantation du groupe Fnac-Darty dans l'enceinte des magasins Carrefour. S'agit-il d'opérations purement conjoncturelles ou est-ce le début d'un rapprochement structurel, voire financier ?
Dans votre rapport de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) de 2018, vous vous définissez comme un acteur économique, social et culturel dans les territoires, et même un acteur important du tissu local. Ce propos sonne bien à nos oreilles, mais qu'est-ce qui vous distingue vraiment de vos concurrents en termes d'ancrage local ?
Autre question : comment pourrez-vous maintenir, voire développer l'attention très vertueuse que vous portez au tissu local, sachant que le secteur du numérique est en progression constante ? Quelles actions envisagez-vous pour préserver le commerce traditionnel et les centres-villes ?
Pour m'être rendu dans l'un de vos magasins dernièrement, monsieur le directeur général, j'ai pu constater une évolution de la relation que les employés de votre groupe entretiennent avec les clients : aujourd'hui, vos équipes passent plus de temps à tenter de vendre un produit assuranciel qu'à conseiller les clients sur leur achat. J'aimerais connaître la part que représente ce type de produit d'assurance dans le chiffre d'affaires du groupe.
J'ai deux autres questions. Tout d'abord, la France est-elle de taille à résoudre les problèmes de distorsion de concurrence auxquels elle fait face, ou une réponse européenne est-elle indispensable ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas que le développement du commerce en ligne aura des conséquences encore plus brutales pour le secteur, notamment parce que celui-ci promeut une expérience sans visage ? Cet essor du numérique ne fragilise-t-il pas le secteur productif et industriel dans des proportions encore inconnues ?
Pour finir, je souhaite vous interroger sur votre politique d'assortiment. Vous travaillez dans des secteurs d'activité où évoluent de grosses entreprises, mais il en existe aussi de plus petites, des entreprises locales et des PME : développez-vous des actions spécifiques vis-à-vis de ces entreprises et comment les mettez-vous en valeur dans votre offre, qu'elle soit physique ou numérique ?
Comment se répartit la valeur au sein de votre entreprise entre le numérique, le physique et les services ? À défaut de réponse, disposeriez-vous de chiffres globaux sur la répartition de la valeur dans votre secteur d'activité ?
Autre point : les règles d'urbanisme en vigueur en France posent-elles des difficultés pour l'implantation de vos magasins en centre-ville ? Les règles actuelles ne vous semblent-elles pas trop rigides ?
Dernière question plus à la marge : vous avez parlé tout à l'heure d'un label de réparabilité et de durabilité des produits que vous vendez. Comment comptez-vous en garantir l'indépendance ? Envisagez-vous, par exemple, de partager ce label avec des concurrents ? Comment le déconnectez-vous de vos considérations en termes de marge, de rentabilité et de création de valeur ?
Monsieur le Sénateur Gay, je vous le confirme, mon groupe affiche de bons résultats, malgré une activité qui a été perturbée en France ces deux dernières années. Les grèves ont en effet coûté au groupe 45 millions d'euros en 2018 et 70 millions d'euros en 2019. Ce constat objectif est regrettable. En 2019, les marges de l'entreprise n'ont très légèrement augmenté que grâce à l'intégration des activités des magasins de l'enseigne Nature & Découvertes.
Le groupe Fnac-Darty compte aujourd'hui 26 000 collaborateurs. Beaucoup des métiers exercés ont évolué. Je pense en particulier aux disquaires et libraires que nos magasins continuent d'employer, malgré la profonde transformation du secteur. Au total, le groupe présente un solde net positif d'emplois, notamment grâce à l'intégration des franchisés.
L'entreprise a pu investir grâce aux dispositifs d'allégement des charges sociales que vous avez évoqués. Elle a ainsi investi près de 140 millions d'euros pour la transformation de ses points de vente, de ses outils digitaux, et l'ouverture de nouveaux espaces logistiques.
Les acteurs du secteur, tout comme Fnac-Darty, sont contraints à des efforts très significatifs pour rester dans la course à l'innovation que les clients nous réclament, face à des grands groupes capables d'investir des milliards d'euros dans les mêmes territoires et pour les mêmes produits. Nous n'avons d'autre choix que d'investir, sinon nous disparaîtrons.
Le nombre de nos magasins continue d'augmenter : entre 70 et 90 magasins de petite ou moyenne taille ont été créés ces cinq dernières années, y compris de petits magasins de centre-ville, car les clients veulent des services et de la proximité. Nous cherchons à adapter notre modèle au plus près des besoins.
La politique RSE du groupe est très volontariste. Nous nous sommes engagés à réduire d'au moins 30 % notre empreinte carbone à l'horizon 2030, avec une politique très ciblée sur le transport. Par ailleurs, nous devons investir pour prolonger la vie des produits autant que possible et construire un modèle économique de la réparation incluant les fabricants, les réparateurs et les clients. Le groupe Fnac-Darty est capable de porter ce mécanisme complexe.
Le programme Darty MAX propose aux clients la réparation illimitée de tous nos produits. C'est un moyen d'encourager la consommation responsable.
Pour qu'une telle démarche soit économiquement viable, il nous faut former nos équipes et entretenir un dialogue permanent avec les fabricants pour qu'eux-mêmes investissent dans la durée de vie des pièces. Nous stockons plus de 40 000 pièces différentes pour la réparation des produits qui nous avons vendus.
À rebours des discours sur l'obsolescence programmée, nous constatons que les produits sont de plus en plus réparables, et parfois par les consommateurs eux-mêmes ! Nous recevons 2 millions de contacts clients par an concernant un problème avec un produit. Plus de la moitié de ces problèmes sont résolus par téléphone, car il s'agit souvent non pas d'un dysfonctionnement mais d'un mauvais usage.
La Fnac est un acteur historique de centre-ville, et les difficultés que rencontrent les commerces de centre-ville nous inquiètent beaucoup. Il y a quelques années, le groupe avait porté une initiative forte en faveur de la libéralisation du commerce le dimanche. Or la situation n'a malheureusement pas évolué, ce qui crée une distorsion de concurrence. La revitalisation des commerces de centre-ville passera par l'ouverture des commerces le dimanche, plébiscitée par les consommateurs. Elle devra se faire sur la base du volontariat, et en proposant un paiement juste de nos collaborateurs pour qui le travail le dimanche constitue un effort.
Dans beaucoup de secteurs de notre activité, nous sommes face à des acteurs mondiaux. S'il est très difficile d'avoir une politique de diversité dans les secteurs de l'électronique ou de la téléphonie où les acteurs asiatiques ou américains sont dominants, nos équipes travaillent pour que les productions françaises soient protégées et favorisées dans les domaines de l'édition, de la vidéo, du cinéma ou de la littérature. Par ailleurs, nous menons également des actions visant à promouvoir les produits et services proposés par des start-up sur nos plateformes de vente.
S'agissant de notre label, la méthode que nous employons est transparente et nous l'avons mise à la disposition des différents ministères. Elle servira peut-être un jour à la création d'un label national. De même, depuis plus de trente ans, le laboratoire Fnac note la qualité des produits en toute indépendance.
Nous avons ouvert un espace Darty dans deux magasins Carrefour pilote. Si l'Autorité de la concurrence nous donne son accord, nous étendrons ce dispositif dans une trentaine de supermarchés Carrefour. L'enjeu est de proposer une offre qualitative et compétitive dans des secteurs d'activité que les hypermarchés ont du mal à développer de manière satisfaisante et économiquement soutenable. En revanche, nous n'avons pas de projet d'intégration financière avec ce groupe.
S'agissant des vendeurs indépendants, l'activité de livres de la Fnac date de 1974 et elle n'a jamais mis les libraires indépendants en difficulté. En revanche, le digital a changé les règles du jeu. En cinq ans, Amazon a fait plus de mal aux libraires indépendants que la Fnac en quarante ans. C'est un peu différent pour les disquaires, qui ont souffert de la numérisation de la musique. Le format disque a vu ses parts de marché fortement réduites, mais l'activité de vinyles se développe. Il y aura toujours de la place pour quelques bons disquaires. Notre activité ne tue pas les vendeurs indépendants, mais elle vient en complément.
Aujourd'hui, tout produit doit être accompagné d'une offre de services et d'accessoires. Notre offre de services inclut à la fois la vente de billets de spectacles, d'assurances, d'extensions de garantie, de packs multimédia, de contenus digitaux, etc. C'est une activité importante dans notre modèle économique, mais elle ne représente que 10 % de notre activité.
J'en viens à la question de la distorsion de concurrence. Lorsque nous avons appliqué le règlement général sur la protection des données (RGPD), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) nous a assurés que tous les acteurs, y compris ceux qui n'étaient pas hébergés en France, seraient soumis à la même règle.
Plus d'un an et demi après, ce n'est toujours pas le cas. Or une telle distorsion de concurrence peut entraîner le développement de paradis réglementaires et la disparition du secteur en France. Il nous faut donc passer à l'action : si nous sommes incapables d'imposer les mêmes règles à nos voisins, il faudra en libérer les acteurs français.
Le tout digital n'est pas un bon modèle, et d'ailleurs, pour l'heure, ce n'est pas un modèle économique soutenable. Nous pensons qu'il faut trouver une combinaison harmonieuse entre le digital et le physique. La croissance de l'e-commerce entraîne une croissance exponentielle des emballages et suremballages, et donc de déchets. Il faut encadrer les acteurs de l'e-commerce pour que les règles du jeu soient équitables et il faut que les commerçants proposent à leur client une belle expérience dans leur magasin afin de rester au centre de la relation.
Peut-être pourriez-vous communiquer davantage sur votre préoccupation environnementale. Nous ne sommes pas dans une logique de confrontation mais d'équilibre où le numérique aura sa place. Dans certains de nos territoires, les Français n'ont pas accès à la Fnac et à Darty autrement que par le numérique.
Je vous remercie pour la franchise de vos réponses.
La réunion est close à 11h10.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.