Commission des affaires européennes

Réunion du 5 avril 2016 à 18h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Je dois excuser le Président Jean Bizet, que vous aviez rencontré en janvier. En déplacement aujourd'hui, il ne peut malheureusement être parmi nous. C'est aussi une satisfaction de pouvoir échanger avec un compatriote occupant un poste de responsabilité important au sein de la Commission européenne.

Nous vous entendrons avec intérêt sur la stratégie globale de la Commission européenne en matière de commerce international. N'a-t-on pas fait preuve d'une certaine naïveté en ouvrant grands nos marchés quand nos partenaires s'attachaient à protéger les leurs, de façon souvent subreptice ?

Comme vous l'imaginez, les négociations du traité transatlantique sont au coeur de nos préoccupations. Nous avons mis en place un groupe de suivi avec la commission des affaires économiques. Nos collègues Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul sont nos rapporteurs.

La question de la transparence des négociations est posée. Nous n'avons pas accès aux documents de position de la partie américaine ni aux textes consolidés. Une nouvelle procédure très encadrée de consultation des documents européens a été mise en place à la demande de la Commission européenne. Nous ne pouvons les consulter que dans un local dédié au SGAE. Surtout, les documents sont disponibles exclusivement en anglais !

Nous souhaitons par ailleurs connaître votre évaluation sur le caractère mixte de l'accord. La Cour de Justice n'a pas encore rendu sa décision sur l'accord avec Singapour. Si l'accord était mixte et qu'un (ou plusieurs) parlement national s'y opposait, quelles seraient les conséquences?

Sur le fond, ce projet de traité soulève beaucoup d'inquiétudes. En particulier, avec la crise agricole que nous traversons, nos agriculteurs attendent des garanties très fortes. Nous voulons tout spécialement protéger nos indications géographiques. Notre ministre Matthias Fekl, que nous avons reçu le 8 mars, nous a indiqué que les résultats du douzième round semblaient peu encourageants. Les négociations seraient précisément bloquées sur l'agriculture et les indications géographiques. Quelle est votre appréciation? Quelles conclusions peut-on en tirer sur l'évolution de la négociation ?

L'Europe doit obtenir la levée des obstacles non tarifaires qui sont autant d'entraves à l'accès au marché américain. Qu'en est-il par ailleurs des services financiers ? Nous avons jusqu'ici été plutôt frappés par l'absence de propositions de la partie américaine, en particulier sur la question sensible de l'ouverture des marchés publics.

Nous sommes aussi intéressés de connaître votre analyse sur un autre sujet délicat et potentiellement lourd de conséquences économiques et sociales pour l'Europe : la reconnaissance à la Chine du statut d'économie de marché dans le cadre de l'OMC. Une décision devrait être prise d'ici la fin de cette année. Quels seront les critères de la décision ? Quel serait l'impact pour l'Union européenne d'une telle reconnaissance ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

Pour répondre aux questions-clé qui ont été posées, je commencerai par la stratégie commerciale globale de l'Union européenne. Oui l'Union européenne a une stratégie commerciale. Nous avons négocié des accords bilatéraux de haute ambition et d'autres, également de haute ambition, sont en cours de négociation. Pourquoi des négociations bilatérales ? On n'abandonne pas le multilatéral. Mais aujourd'hui l'accès au marché ne se gère pas dans les négociations multilatérales. On a voulu négocier en 2008 un accord multilatéral ambitieux. Mais ce fut finalement un échec. En particulier du fait de l'Inde mais aussi, dans une moindre mesure, des États-Unis et de la Chine. En tout cas pas à cause de l'Union européenne. Il est très peu probable d'obtenir des résultats ambitieux en matière d'accès au marché en multilatéral. Mais celui-ci reste essentiel pour fixer les règles du commerce international, avec un système de règlement des différends qui permet de les faire appliquer. Avec un processus d'appel et des jugements qui ont un effet obligatoire, sauf à encourir des sanctions. Il faut donc continuer à moderniser les règles en multilatéral. C'est ce qui a été fait à Bali en 2013 avec l'accord sur la facilitation du commerce et à Nairobi en 2015 où l'Union européenne a obtenu la fin des aides aux exportations agricoles, couvrant aussi les crédits exports, les aides alimentaires à des fins dédiées et l'activité des entreprises d'État. Un résultat intéressant sur les subventions horizontales, industrielles, les aides à la pêche et les subventions agricoles. Ces règles doivent être modernisées. Car 90 % de nos soutiens agricoles ne créent pas de distorsion au commerce. L'OMC reste pour nous importante mais nous n'aurons plus jamais le grand accord où tout est réglé. En revanche, le e-commerce, le numérique, l'investissement, la concurrence, ces nouveaux sujets à développer requièrent du multilatéral.

L'agenda bilatéral de l'Union européenne, c'est le TTIP, mais pas seulement. Et il y a quelques résultats, la Commission n'est pas naïve... Prenons l'accord avec la Corée. C'est l'accord le plus ambitieux, en vigueur depuis cinq ans. Quelles conséquences ? Les exportations européennes ont augmenté de 70 % en cinq ans en Corée. Nous y sommes passés de 9 à 13 % de parts de marché. D'un déficit de 10 milliards d'euros à un excédent de 10 milliards d'euros. Nous dégageons même un surplus avec la Corée dans le secteur automobile, où nos exportations ont triplé, et « l'invasion » annoncée des petites voitures coréennes ne s'est pas produite. Avec de tels résultats, des négociateurs naïfs peuvent continuer de négocier.

Nous négocions des accords bilatéraux pour créer de la croissance et de l'emploi. S'ils sont bien gérés, ils produisent de la croissance et de l'emploi. Pour l'Union européenne, où la demande interne et l'investissement ne sont pas très élevés, le commerce est utile. Il faut savoir que demain, 90 % de la croissance se fera hors d'Europe.

Il y a aussi la négociation avec le Japon - avec l'Inde et le Mercosur même si ceux-ci sont plus compliqués. L'accord avec le Vietnam ne présente pratiquement pas d'asymétrie en notre défaveur, sauf pour une transition spécifique pour l'élimination des droits de douane. Mais près de 99 % des lignes tarifaires sont libéralisées. Un accord en particulier positif sur les marchés publics et les services.

Le TTIP fait partie de cette stratégie. Par rapport à d'autres négociations, il s'agit d'aller plus loin dans la convergence réglementaire, sans baisser en aucune manière le niveau de protection des consommateurs. Il s'agit d'aller vers un accord sur de grands principes et faire en sorte que les régulateurs des deux parties puissent coopérer. Vers des accords sur l'analyse des risques et sur la manière de les gérer. En veillant surtout à ne pas réduire le rôle des législateurs de part et d'autre. Ce serait inacceptable pour les deux parties. C'est l'originalité du TTIP.

Le 12e round a-t-il été peu encourageant ? Il y a eu des progrès du côté américain sur la réglementation. En particulier sur la coopération réglementaire, dans les secteurs automobile et pharmaceutique notamment, qui sont une priorité pour l'Union européenne. Il faut éviter de dupliquer les audits des entreprises pharmaceutiques. Il s'agit de se mettre d'accord sur de bonnes pratiques. Cela permettra des économies. Il en va de même pour les reconnaissances d'équivalence sur les voitures.

Il existe entre les États-Unis et l'Union européenne des normes et des systèmes différents mais pour l'avenir, il est possible de trouver des solutions compatibles qui ne soient pas des obstacles au commerce.

Cette négociation est plus avancée aujourd'hui sur la négociation tarifaire que sur les services et les marchés publics, qui sont essentiels pour nous. Nous n'irons pas plus loin sur les réductions tarifaires s'il n'y a pas de progrès vers une ambition équivalente sur les marchés publics et les services. Et sur les marchés publics, nous en sommes encore loin, très loin. Il n'y aura pas de conclusion de cet accord sans un résultat satisfaisant sur les marchés publics. Les concessions réciproques doivent être équilibrées.

L'agriculture n'est pas une variable d'ajustement, elle est un objectif en soi. L'aspect défensif ne doit pas à lui seul faire notre position. L'Union européenne a aussi des intérêts offensifs importants. L'Union européenne dégage aujourd'hui près de 20 milliards d'euros d'excédent agroalimentaire avec le reste du monde. Sur les produits laitiers, nous avons des intérêts offensifs, étant plus compétitifs que les États-Unis. Sur les obstacles non tarifaires ? Nous n'envisagerons le démantèlement des droits sur les produits laitiers que si les États-Unis reconnaissent l'équivalence avec la pasteurisation « grade A ». Il en est de même pour les fruits et légumes, objets d'obstacles non tarifaires. Il est ainsi impossible d'exporter des pommes ou des poires aux États-Unis, sauf à répondre à des conditions extrêmement difficiles.

Tout cela doit se faire en protégeant les consommateurs. Nous n'importerons jamais de poulet chloré ni de porc à la ractopamine ou de la viande aux hormones. Pour la viande bovine mais aussi de volaille et la viande porcine, il faudra trouver des solutions sur la base de contingents tarifaires à des quantités raisonnables.

On ne donnera jamais, dans les accords bilatéraux, plus que ce que l'on était prêt à donner dans un cadre multilatéral de l'OMC. Il y a des limites très claires.

Il faut trouver des équilibres. L'Union européenne est prête à conclure cette négociation en 2016 si l'accord est ambitieux, équilibré et réaliste, mais il faut un mouvement de la partie américaine. Les indications géographiques sont prioritaires. Il est hors de question qu'un accord soit conclu si aucune protection sérieuse et accrue n'est obtenue sur nos indications géographiques.

Sur la transparence. On est ici, pour l'Union européenne, devant la négociation commerciale la plus transparente jamais vue dans le monde. Mme Cecilia Malmström a voulu que tous les textes de l'Union européenne soient publiés. Les parlementaires ont accès à des analyses spécifiques qui ne sont pas publiques. Même les textes consolidés doivent être accessibles en salle de lecture pour les ministères concernés, les parlementaires nationaux et européens. Certes, ces textes sont très généralement en anglais. Des administrateurs peuvent aider à expliquer le contenu des textes. L'important, c'est de comprendre la stratégie de négociation, explicitée sur le site de la Direction Générale du Commerce, où il y a libre accès à tous nos textes.

Sur la mixité de l'accord. Il est extrêmement probable que le TTIP sera considéré comme un accord mixte si on a un niveau d'ambition suffisant sur la coopération réglementaire ou les règles anti-corruption.

Le reste des accords fait l'objet d'une analyse juridique proposée par la Commission. Jusque-là, le Conseil des ministres s'est toujours prononcé, à l'unanimité, sur la mixité des accords. Sauf si la Cour de Justice devait en décider autrement sur l'accord avec Singapour, on restera sur cette position. L'application provisoire ne couvre que les compétences exclusives ou les compétences partagées que les États membres s'accordent à exercer conjointement.

Sur les services financiers, il faut améliorer le dialogue réglementaire entre régulateurs eux-mêmes. Que chacun ait la même évaluation du risque. Il y aura un réel intérêt à améliorer le dialogue entre régulateurs. Actuellement, il n'y a pas d'accord confirmé sur l'intégration des services financiers dans le TTIP mais nous en poursuivons l'objectif.

La Chine « économie de marché ». Tout d'abord, la Chine n'est pas une économie de marché.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Il y a des pays qui ont signé cette reconnaissance...

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

la question est : que se passe-t-il sur l'anti dumping ? Ensuite il y a une crise grave, très grave, sur l'acier, en raison des surcapacités chinoises. Nous avons besoin d'une défense anti-dumping efficace. On ne peut pas prendre en compte les coûts chinois qui sont manipulés et très différents de coûts obtenus en situation de marché. Mais il existe un protocole d'accession de la Chine à l'OMC dont, le 11 décembre 2016, tombe la disposition qui prévoit le recours automatique à l'assimilation des prix chinois à ceux de pays dits analogues (Inde, Brésil...). Il faut respecter nos engagements internationaux. Et nous n'avons pas intérêt à engager une guerre commerciale avec la Chine. Rappelons-nous la séquence sur les panneaux solaires chinois et la riposte anti dumping chinoise contre les vins européens. Il faut trouver des solutions efficaces et éviter une situation impossible avec la Chine. La Commission fera, ou ne fera pas une proposition mais continuer comme avant serait une attitude réductrice. Il faut concilier le respect des engagements internationaux avec les protections anti-dumping.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Vous montrez qu'il y a une évolution positive dans la négociation. Mais je m'interroge sur trois points.

D'abord, sur le principe, je constate que l'usage du français a pratiquement disparu dans la négociation. Ensuite, si vous nous avez bien décrit les attentes européennes, que veulent les États-Unis ? Enfin, dans les négociations entre blocs géographiques, il faut être conscient des rapports de force. Dans l'industrie ferroviaire, par exemple, l'Europe est très performante, certes, mais que pèsent nos grands groupes face à la Chine qui investit massivement dans ce secteur - y compris en Europe - alors que le marché chinois, lui, est fermé ? Nos plus grands groupes « pèsent » 6 milliards d'euros, l'équivalent chinois, 24 milliards, quatre fois plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

À vous entendre, tout est simple. Pourtant, à l'usage, cela l'est beaucoup moins. Les sénateurs peuvent aller au SGAE et consulter les pièces. Pourquoi ne pas les mettre directement à disposition des parlementaires ? La transparence y gagnerait. Vous êtes en charge de la négociation européenne, mais chaque État est surtout intéressé par ce qui le concerne directement. Que pèsent les pays dans cette négociation ? Il faut toujours rappeler les rapports de force. Certes, les marchés américain et européen sont comparables, en termes de demande, mais les capacités d'offre sont différentes. La surface agricole américaine est de 372 millions d'hectares, contre 140 millions en Europe et 30 millions en France. Un rapport de 1 à 12. C'est comme si un jardinier dans son jardin était en compétition avec un légumier de plein champ. Toutes les négociations internationales doivent prendre en compte ces rapports de force et de capacité. Enfin, la France est très attachée aux signes de qualité - AOP/IGP - et je crois que l'Union a bien pris en compte cette position. Mais les perspectives sur l'élevage sont beaucoup moins bonnes. Ouvrir le marché à 300 000 tonnes de viandes américaines peut être dévastateur et peut faire disparaître ce qui reste de vie agricole dans des régions en voie de désertification.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Quelle est la position de la Commission sur la Cour commerciale internationale, censée être compétente sur les différends en matière d'investissements internationaux ? Comment va se dérouler l'arbitrage final sur la mixité de l'accord commercial avec les États-Unis ? La Commission doit-elle attendre la position de la Cour de justice européenne ? Le Conseil n'a-t-il pas, lui aussi, une légitimité dans cette matière ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

L'intervention du Conseil dépasse le mandat de négociation donné à la Commission !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Cette question intéresse pourtant directement le Conseil !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Je me dois de faire part de mon expérience et donner acte de l'effort de transparence. Je me suis rendu au SGAE afin de consulter les comptes rendus. Je les ai trouvés complets, rédigés de façon claire, permettant de se faire une bonne idée de l'évolution de la négociation. J'ai été surpris par la diversité des sujets qui peuvent aller des AOP jusqu'aux filtres à ultra-violet.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

Cela intéresse l'industrie cosmétique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

En dépit de cet effort de transparence, je m'interroge sur l'accompagnement économique de la négociation, notamment sur les études d'impact. Certes, le bilan de l'accord avec la Corée paraît positif, mais les États-Unis sont un partenaire autrement plus puissant. Dans ce contexte, la négociation peut-elle être favorable à l'Union européenne ? En matière agricole, les documents diffusés aux États-Unis montrent que l'accord serait très bénéfique aux agriculteurs américains et que les Européens vont perdre.

J'ajoute une question pratique : comment se déroule concrètement la négociation ? Y a-t-il un système de « sherpas » délégués par les États membres, un contrôle politique ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

Concernant l'usage du français, il faut voir la réalité telle qu'elle est. Je suis déjà assez ancien au sein des services de la Commission, et j'ai vécu les étapes de l'évolution linguistique. Le français a été la langue diplomatique jusqu'aux années 50 et a été une langue d'usage jusqu'à la présidence de Jacques Delors. Il y a eu incontestablement un déclin. Le premier tournant a été l'adhésion de 1995 (Autriche, Suède, Finlande) qui a entraîné un basculement des usages. Le deuxième tournant a été les adhésions de 2004. Dix nouveaux membres. L'anglais s'est imposé. La France a « raté le coche ». Le français n'a pas disparu pour autant. À la Commission, les textes sont travaillés et adoptés en trois langues (anglais, français, allemand). L'adoption formelle après le processus législatif est toujours en 23 langues.

Risque-t-on de céder aux États-Unis ? Les deux ensembles sont de taille comparable et savent défendre leurs intérêts. Pour ce faire, il faut aussi comprendre les objectifs du partenaire et établir une relation de confiance. Mais le prétendu abandon des positions européennes et la naïveté des négociateurs européens sont des légendes. Nous conclurons quand la négociation sera mûre.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

L'Union européenne compte 28 États membres. Nous ne serons jamais un État fédéral.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

En tout cas, pas à un horizon visible. À court terme, l'avenir de la construction européenne n'est pas dans un transfert de compétences. Il faut s'attacher à faire fonctionner ce qui existe.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Le référendum britannique va nous obliger à réfléchir à l'avenir. Il faudra des initiatives pour renforcer un noyau dur.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

Il n'y a pas de plan B en cas de sortie du Royaume-Uni. L'objectif est le maintien du pays dans l'Union. S'il y avait une sortie, ce serait un gros problème autant pour les Anglais que pour les Européens. Il faudra certainement des initiatives mais le modèle purement fédéral est hors de portée. Je rappelle que la France avait été un des pays les plus opposés à cette idée de noyau dur, en 1994. Les Allemands poussaient au contraire en ce sens. Mais les choses ont changé, les plats ne repassent pas deux fois.

Je reviens aux objectifs américains, qu'il me faut comparer aux objectifs européens. Les Américains ont des objectifs sur les services et les droits de douane, notamment en agriculture. Mais ils connaissent nos limites et n'attendent pas une libéralisation totale.

C'est en particulier le cas sur la viande. Pour répondre à une préoccupation de M. Jean-Paul Emorine, il y a bien une quantité disponible de 300 000 tonnes de viandes bovines pour l'ensemble de nos négociations, mais certainement pas de 300 000 tonnes de viandes bovines américaines. Ce contingent inclut le contingent de 46 000 tonnes avec le Canada.

Sur les services, les Américains attendent la libre circulation des données dans le respect des données privées. Les Européens attendent plutôt des ouvertures en matière de transport maritime et aérien et de télécommunications. Il y a également un intérêt mutuel pour l'ouverture des marchés publics.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Quid de l'industrie pharmaceutique, de la chimie ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

La chimie est intéressée par la partie tarifaire. La pharmacie, beaucoup moins, car les droits de douane sont très faibles, les préoccupations portent plutôt sur la régulation. On n'arrivera pas à une reconnaissance des équivalences entre le système européen REACH et le système américain TSCA.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Pourquoi pas une acceptation de la réciprocité ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

Les positions sont globalement un peu figées. Il y a une avancée concernant les audits d'entreprises pharmaceutiques de part et d'autre. Avant une exportation, un audit fait en Europe serait reconnu par les États-Unis et réciproquement.

Concernant l'accès aux marchés publics. Nous avons de gros intérêts, notamment sur le ferroviaire. Aujourd'hui, les entreprises européennes peuvent participer aux appels d'offres, à condition d'utiliser du matériel américain. Cela n'a aucun sens. Cette question de l'ouverture des marchés publics concerne également le marché chinois. Il y a de gros enjeux. L'Allemagne a un poids important dans ce domaine.

Je sais gré à M. Bonnecarrère d'avoir rappelé comment fonctionnait l'accès aux documents publics.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

L'Union européenne prépare une série de documents. Des notes intermédiaires de négociation et des textes consolidés lorsqu'un sujet a pratiquement abouti. L'accès est libre. Les notes intermédiaires sont les plus accessibles car elles permettent de comprendre le déroulement de la négociation. D'ailleurs, le bureau de représentation de la Commission à Paris est à la disposition des parlementaires français.

M. Jean-Paul Emorine a rappelé le déséquilibre dans le potentiel de l'offre agricole. L'Union européenne est très compétitive à la fois sur les productions brutes et sur les produits de l'industrie agroalimentaire. Plus les produits sont transformés et meilleurs on est. Les intérêts agricoles dépendent des filières. Sur la viande bovine, les limites de la négociation sont étroites, et l'Union européenne est dans une position défensive. C'est le contraire sur le lait. Une baisse des droits de douane américains permettrait d'augmenter les exportations européennes, mais le principal obstacle est lié aux normes, notamment la pasteurisation.

Concernant le règlement des différends sur les investissements, nous avons approuvé un nouveau modèle. Les Américains étaient plutôt sur un système d'arbitrage professionnel. L'Union européenne a préféré un système juridictionnel avec possibilité d'appel et des juges indépendants. Le système reprend le dispositif adopté avec le Canada et le Vietnam.

La mixité de l'accord TTIP ne doit pas être un problème. L'Union européenne est une union de droit. Il y a un accord sur le principe même d'un accord mixte, mais des désaccords sur les lignes de partage. La Cour de justice devra se prononcer.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

La Cour devrait appliquer ce qui a été décidé par le Conseil.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

Il faut attendre la position de la Cour. Dans le passé, le Conseil s'est prononcé à l'unanimité sur ces questions. La Commission en tirera les conclusions.

Comment se passent les négociations ? Nous avons un « chef de négociation », un négociateur espagnol expérimenté. Mais il y a une vingtaine de chapitres spécialisés. Sur chacun, il y a un « lead négociateur ». Au niveau politique, la négociation relève de Mme Malmström, commissaire européen.

L'étude américaine sur les gains supposés de l'accord dans le domaine agricole doit être commentée et relativisée. Tout dépend des hypothèses. Les Américains sont partis d'une libéralisation totale des trois marchés qui les intéressent au premier chef : la viande bovine, les volailles, le porc. Cela inclut l'ouverture du marché européen aux viandes américaines, telles que les viandes aux hormones. À l'inverse, les Américains sont partis de l'hypothèse du maintien de leurs protections non tarifaires. Tout ouvert d'un côté, tout fermé de l'autre. À l'exception des barrières sur les importations de fruits et légumes qu'ils seraient prêts à lever. Évidemment, dans ces conditions, l'accord serait très favorable aux Américains. L'apport serait de 9 milliards d'euros pour les Américains et de 2 milliards pour les Européens. Mais comme je l'ai dit, tout dépend des hypothèses de départ. L'ouverture totale des marchés est un leurre. L'accès aux viandes aux hormones est exclu. Nos études montrent des avantages partagés et équilibrés. Je rappelle qu'aujourd'hui, les exportations européennes se montent à 16 milliards d'euros, contre 8 milliards d'importations.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Pour préciser les études d'impact, avez-vous une vision plus précise par pays ? L'accord avec la Corée s'est accompagné de gros investissements coréens en Slovaquie par exemple. Les conséquences des accords sont variables selon les pays.

Il faut prendre conscience du déséquilibre des parties et de l'imbroglio des situations. Les États-Unis sont une force politique mais leur marché est fractionné entre États fédéraux. C'est le contraire en Europe : l'Union est un nain politique mais le marché est très intégré. La négociation est déséquilibrée et tourne vite au marché de dupes. Quand l'Union européenne ouvre un marché, c'est un boulevard pour le partenaire. Quand les États-Unis font une concession, il faut tout recommencer, État par État.

L'Union européenne doit être très attentive à l'évolution de la Chine. La nouvelle « route de la soie » est une façon de dégager ses surplus. Les enjeux sont considérables.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Voilà plusieurs années que je réclame des études d'impact plus précises. J'entends avec plaisir qu'elles sont annoncées pour la fin d'année. Les premières études étaient trop générales et tablaient sur un supplément de croissance de 0,5 % et 300 000 emplois. Mais la Commission ne peut négocier sans prendre en compte les attentes de l'opinion. Il y a une attente sur les conséquences précises de cet accord. Ce sont les parlementaires nationaux qui sont sollicités au premier chef.

Je partage l'analyse de nos collègues sur le déséquilibre. Un accord donne l'accès au marché européen, tandis que tout reste à faire au niveau des États américains. La construction européenne a créé un marché intérieur fluide. C'est un avantage considérable pour les Américains. Mais la Commission doit tenir compte des réactions des opinions publiques nationales. Il est impératif de disposer d'études d'impact nationales. Cela se fait au Canada, avec une étude province par province. Le paradoxe est que vous dites que l'Union européenne n'est pas une structure fédérale, mais les études d'impact nationales ne sont pas faites. Attention également à ne pas confondre les consultations d'experts et les consultations citoyennes. Faire fi des opinions publiques ne peut conduire qu'à de graves désillusions.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce à la Commission européenne

Les investissements coréens en Slovaquie préexistaient. Ce n'est pas une conséquence de l'accord commercial. La France a également bénéficié de cet accord. Je reconnais qu'il nous faut travailler sur les études d'impact. Sur l'impact économique, social, environnemental. Sur l'impact ex ante et ex post. C'est un grand chantier qui est mené par la Commission. Il nous faut des résultats pays par pays et par secteur.

Les premiers travaux montrent que certains pays sont très gagnants à l'accord - Autriche, Belgique. L'Allemagne est également gagnante. La France est dans la moyenne des résultats.

Il faut prendre en compte l'opinion publique. La Commission le fait, bien sûr, par l'intermédiaire de la représentation politique. Les États de l'Union fonctionnent sur un modèle de démocratie représentative. La Commission se présente et rend compte aux élus. Nous expliquons ce que nous faisons. Il est vrai qu'il y a un grand nombre de contre-vérités autour de ce TTIP. Encore aujourd'hui, une tribune d'un critique gastronomique dans Le Figaro comprend des affirmations inexactes. Après, tout est répété en boucle. C'est pareil sur le règlement des différends en matière d'investissements. La présentation courante était que les multinationales pourraient s'attaquer aux règlements européens, dûment adoptés par le législateur européen. C'est faux. Il faut un dialogue avec le citoyen et la Commission le fait en se présentant devant les élus. Mais on ne peut pas organiser un référendum tous les matins à chaque étape de la négociation. Les dossiers sont très complexes. Nous défendons l'intérêt européen, et l'intérêt des États en fait partie. En particulier, il est clair que l'agriculture n'est pas une variable d'ajustement.

La réunion est levée à 20 h 05.