Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. C'est désormais entre nous par un rendez-vous régulier que nous dialoguons sur les conclusions du Conseil européen. Nous nous en félicitons. Comme je vous l'ai indiqué, nous souhaiterions aussi pouvoir instituer de semblables rendez-vous pour évoquer les suites de nos résolutions européennes dans les négociations en cours à Bruxelles et Strasbourg. Nos collègues sont légitimement très attachés à un tel suivi. J'ai fait un point récemment devant la commission sur le sort réservé à nos résolutions. Le rapport, que je vous ai adressé, relève les aspects positifs mais propose aussi des pistes d'amélioration dans notre dialogue avec le Gouvernement. Je souhaite que nous puissions concrétiser les différentes propositions qu'il comporte. Vous m'avez répondu par un courrier en ce sens, et je vous en remercie.
Le Conseil européen des 17 et 18 mars revêtait une importance particulière dans le contexte de la crise migratoire qui déstabilise l'Europe. L'Union européenne a arrêté les bases d'un accord avec la Turquie. Compte tenu de la position géostratégique de ce grand pays, un tel accord paraissait indispensable. L'Europe s'est beaucoup engagée pour répondre aux demandes turques. Mais peut-elle escompter en retour un engagement concret, une véritable mobilisation de la partie turque pour tarir effectivement ce flux massif de migrants qui convergent vers notre continent ?
Les principes qui figurent dans l'accord paraissent à première vue assez clairs. Mais beaucoup d'interrogations demeurent sur leur mise en oeuvre opérationnelle. Pouvez-vous notamment nous apporter des précisions sur l'engagement financier de l'Union ? Quels sont les montants prévus ? On a d'abord parlé de trois milliards, puis de trois autres... Quelles sont les conditions pour que ces sommes soient débloquées ? Nous restons par ailleurs dubitatifs sur la mise en oeuvre du principe « un migrant pour un migrant ». Comment fonctionnera ce mécanisme, qui ne pourra pas avoir un caractère automatique et qui devra bien intégrer l'examen des situations individuelles ?
La Commission européenne semble assez optimiste sur la libéralisation du régime des visas. La Turquie ne respecte que 35 des 72 critères de référence. A-t-on bien évalué la portée d'une telle libéralisation ? Est-il imaginable que la Turquie remplisse tous les critères d'ici juin comme semble l'envisager la Commission européenne ? On se souvient des rapports d'Hubert Haenel et de Robert del Picchia sur la Turquie ; à quelques années de distance, on a plutôt le sentiment d'avoir reculé.
La lutte contre les passeurs demeure une priorité. Le Conseil européen a évoqué la situation en Libye. Il a indiqué que l'Union se tient prête à soutenir le gouvernement d'entente nationale en tant que seul gouvernement légitime de la Libye y compris, à sa demande, pour lutter contre le terrorisme et gérer les migrations en Méditerranée centrale. Quelles sont les perspectives dans ce domaine ?
Nous entendrons également avec intérêt vos analyses sur les autres sujets abordés par le Conseil européen, en particulier la situation économique et les priorités stratégiques recensées dans l'examen annuel de la croissance Notre commission est particulièrement attentive à la situation difficile de notre agriculture. Nous serons donc intéressés par vos explications sur les orientations retenues par le Conseil européen dans ce domaine - un domaine que nous évoquons souvent au Sénat.
J'aimerais que vous fassiez passer le message à M. Phil Hogan qui commence, je pense, à prendre conscience de la dimension européenne de la crise. Où en est le travail de la task force ? Un rapport d'étape était prévu à mi-parcours. Le Conseil « Agriculture » du 14 mars a conclu à la nécessité d'une limitation de la production, mais sur une base volontaire et individuelle : il est clair que les pays du Nord, dont certains ont accru leur production jusqu'à 15 %, ne sont pas prêts à y souscrire. Telles sont les interrogations que je souhaitais vous soumettre.
Je vous remercie d'avoir bien voulu décaler cette audition, en raison du déplacement du Premier ministre, que j'accompagnais, en Belgique, pour y rencontrer le collège des commissaires mais aussi le Premier ministre belge, après les attentats. Ces nouveaux attentats ont montré que la menace était européenne : la réponse doit l'être aussi. Or, elle ne l'est pas suffisamment, pas plus que les décisions prises ne sont suffisamment suivies d'effet. C'est le cas pour le PNR (Passenger Name Record). Le Conseil, qui a pris en compte les demandes du Parlement européen en matière de protection des données a, sur nos instances, accepté d'accélérer les travaux des jurisconsultes pour établir les versions définitives des textes concernés, qui avaient fait l'objet d'un accord avec le Parlement européen en décembre dernier, afin qu'ils puissent être adoptés dès cette semaine. Nous souhaitons que le Parlement européen inscrive le PNR à l'ordre du jour de sa prochaine session plénière, la semaine prochaine, ou au plus tard à la session de fin avril.
La lutte contre le terrorisme exige une coordination accrue, et une meilleure mobilisation des outils existants. C'est un point sur lequel Bernard Cazeneuve n'a cessé d'insister, amenant le Conseil « Justice et affaires intérieures » à s'exprimer très fermement. L'utilisation des fichiers SIS, Europol, Écris - le fichier des casiers judiciaires - doit être systématique. Il faut assurer le contrôle aux frontières communes de toutes les personnes qui entrent dans l'espace Schengen et mettre en oeuvre l'ensemble des décisions prises en matière de coopération dans la lutte contre le terrorisme. Le ministre de l'Intérieur a également proposé, avec son homologue allemand, la création d'une task force européenne pour lutter contre les faux documents. Il s'agit d'envoyer des experts dans les pays de première arrivée. Nous demandons également que la lutte contre le financement du terrorisme soit intensifiée et que la directive sur les armes soit révisée sans retard.
Les événements ont douloureusement rappelé l'impérative nécessité de mieux organiser la sécurité de l'Union, son contrôle aux frontières et plus généralement, son action extérieure commune - politique étrangère, politique de défense, relations avec les pays tiers. Ces sujets occuperont une grande part de la réunion des ministres franco-allemands, demain.
Le Conseil européen de mars est traditionnellement consacré à l'économie, mais la question des migrations a été cette fois centrale ; il s'agissait de finaliser l'accord, dessiné début mars au cours d'une première réunion exceptionnelle, entre l'Union européenne et la Turquie. Les questions économiques ont cependant trouvé leur place, à la faveur d'un échange avec le président de la BCE, mais aussi autour de sujets que le Président de la République a souhaité y voir évoquer : l'agriculture, pour s'assurer de la bonne mise en oeuvre des décisions prises par le Conseil « Agriculture » du 14 mars ; la sidérurgie - sujet que le Premier ministre a de nouveau abordé, lors de son déplacement à Bruxelles, avec le collège des commissaires -afin que la Commission européenne, qui a d'ailleurs publié une communication allant dans notre sens, prenne toutes les mesures de défense commerciale pour faire face à la crise du secteur, qui ne tient pas seulement à une crise des marchés mondiaux mais aussi à une concurrence déloyale de la Chine. Le Président de la République a également souhaité que le Conseil européen reste très mobilisé pour la mise en oeuvre de l'accord de Paris sur le climat, qui entrera en vigueur une fois ratifié par 55 % des pays signataires, et se montre attentif à la pleine mise en oeuvre des travaux législatifs du cadre énergie-climat adopté fin 2014 - avec ses dispositions concernant le marché du carbone, l'efficacité énergétique, la diminution des émissions de gaz à effet de serre, la montée en puissance des énergies renouvelables - qui constitue la contribution de l'Europe à l'accord de Paris : il ne faudrait pas que les changements intervenus en Europe de l'Est conduisent à réduire ces ambitions.
L'essentiel des discussions a porté sur la crise migratoire et l'accord avec la Turquie. Cet accord, indispensable, est difficile à mettre en oeuvre. Il exigera de mobiliser énormément de moyens, en particulier en appui à la Grèce. Un tel accord était nécessaire : la fermeture de la route des Balkans entre la Grèce et la Macédoine crée un goulot d'étranglement, et quelque 52 000 réfugiés se trouvent aujourd'hui bloqués sur le territoire grec. Il était évident pour tout le monde que l'on ne pouvait laisser se reproduire en 2016 l'afflux qu'ont connu en 2015 des pays comme l'Allemagne, la Suède, l'Autriche. Même si d'autres pays, comme la France, n'ont pas connu un tel accroissement du nombre de réfugiés, il est clair que cette crise a un impact sur l'ensemble de l'Union européenne. En France, les demandes d'asiles ne sont certes passées que de 62 000 à 72 000, mais on sait ce qu'est la situation à Calais, qui vaut celle que connaît Vintimille.
D'où une prise de conscience générale quant à la nécessité de contrôler les frontières de l'Union et de créer les conditions pour que cesse un trafic meurtrier dans la mer Égée, en mettant en place, dans le respect de nos obligations d'accueil des personnes en besoin de protection internationale, un dispositif soutenable pour le système d'asile européen et s'appuyant sur une mobilisation plus large de la communauté internationale. Il s'agit d'éradiquer l'idée que le moyen d'être accueilli en Europe est d'utiliser les passeurs pour arriver illégalement sur le territoire européen - une idée qui alimente le trafic et expose à des conditions humanitaires de plus en plus inacceptables.
L'accord revêt ainsi deux aspects. Pour les migrants économiques, qui ne relèvent pas de l'asile, il s'agit de mettre en oeuvre l'accord de réadmission signé entre la Grèce et la Turquie, pour l'application duquel manquaient non seulement les conditions juridiques mais une véritable volonté. À présent, cet accord est mis en oeuvre, et la Turquie admet, dès lors qu'il est bien établi qu'un migrant est arrivé en Grèce de façon illégale depuis son territoire, qu'il soit reconduit en Turquie. Pour les migrants qui sont susceptibles de bénéficier du droit d'asile, en particulier les Syriens, les textes internationaux et les directives européennes relatives à l'asile exigent un examen individuel, avec possibilité de recours. On ne saurait les renvoyer que si la Turquie est reconnue « pays tiers sûr » et que l'on a l'assurance que les autorités turques ne renverront pas ces personnes vers leur pays d'origine, où leur sécurité serait menacée. La procédure est donc différente ; elle est plus longue. C'est pourquoi parmi les premières réadmissions, il n'y a pas eu de Syriens. Il faut savoir que plus de deux millions et demi d'entre eux se trouvent sur le territoire turc. Pour que la Turquie accepte de réadmettre y compris des Syriens, nous avons proposé d'ouvrir, en échange, une voie d'accueil de Syriens depuis la Turquie, afin de substituer aux passages illégaux une voie légale d'accueil des Syriens en Europe. Cela se fera dans le cadre des accords de relocalisation déjà passés au sein de l'Union européenne : une partie des 160 000 réfugiés à « relocaliser » depuis la Grèce, l'Italie - ou la Hongrie, qui n'avait pas accepté le système de répartition - pourront désormais venir aussi directement de Turquie. Il est en effet préférable qu'ils arrivent par des voies légales, après avoir été identifiés dans les camps de Turquie par le Haut commissariat aux réfugiés, plutôt que d'être incités à venir illégalement en Grèce pour pouvoir bénéficier du système de relocalisation. Ainsi, une part des 30 000 relocalisés que la France s'était engagée à accueillir viendront de Turquie. De même en Allemagne, où les premières relocalisations de ce type ont commencé ces derniers jours.
J'en profite pour rappeler que la France est aujourd'hui le premier contributeur aux relocalisations, devant la Finlande. Ce mécanisme, dont j'avais eu l'occasion de dire qu'il démarrait trop lentement, est aujourd'hui opérationnel, et nous incitons les autres États membres à faire de même. C'est la contrepartie de la demande faite à la Grèce de ne pas laisser repartir ceux qu'elle enregistre dans les hotspots. Même problématique avec l'Italie, où les migrants en provenance de Libye restent très nombreux - plus de 400 personnes par jour sont encore secourues au large des côtes libyennes et acheminées soit vers Lampedusa soit vers les ports de Sicile.
Quelles sont les contreparties à cet accord avec la Turquie ? En premier lieu, ainsi que vous l'avez rappelé, une aide de 3 milliards d'euros, dont il a été convenu qu'elle pourrait être abondée, si nécessaire, du même montant, d'ici à la fin 2018. Je rappelle que ce financement ira à des projets dûment identifiés, destinés à améliorer l'accueil. Pour l'instant, il en est identifié à hauteur de 250 millions - aide à l'hébergement, à la scolarisation, accompagnement sanitaire, etc.
En ce qui concerne la libéralisation des visas, les conclusions du Conseil européen fixent un objectif de calendrier, en juin, mais il est assorti de critères : 72 doivent être remplis, concernant les procédures, la sécurité des documents et plus généralement, le régime de visas proprement dit, sachant que celui que pratique la Turquie est aujourd'hui très différent du nôtre pour les citoyens venant des pays du Maghreb. C'est un des problèmes auxquels nous avons été confrontés avec les immigrations illégales en provenance de la mer Égée : on n'a pas seulement vu arriver des réfugiés syriens, mais aussi des migrants venus d'Afghanistan, du Pakistan, ainsi que des Maghrébins, venus en charter à Istanbul ou Ankara pour embarquer, via des passeurs, vers la Grèce. J'y insiste, le processus de libéralisation des visas ne pourra aboutir que si les critères sont remplis et qu'un risque migratoire n'y est pas attaché - il ne s'agit pas de régler un problème d'un côté en en créant un de l'autre.
S'agissant, enfin, de l'ouverture de chapitres dans les négociations d'adhésion, sujet que nous avons souvent eu l'occasion d'évoquer ensemble, il a été décidé d'ouvrir le chapitre 33, ce qui, contrairement à d'autres chapitres ouverts auparavant, n'aura guère d'impact que symbolique, puisqu'il est relatif aux dispositions budgétaires. Ce chapitre ne fait pas partie de ceux sur lesquels Chypre a mis son véto en réaction au refus de la Turquie de ratifier le protocole d'Ankara, au moment de son adhésion. Nous sommes soucieux de ne pas perturber les négociations inter-chypriotes, qui ont beaucoup avancé ces derniers mois, et de ne pas mettre en difficulté les autorités de la partie grecque.
Au cours des quatre dernières années, ce n'est guère que le troisième chapitre ouvert : il n'y a pas de changement fondamental dans le processus. D'autant que l'ouverture de chapitres ne préjuge pas de l'issue de la négociation : la question de l'adhésion n'est pas plus à l'ordre du jour aujourd'hui qu'hier.
Pour aider la Grèce, nous avons décidé, conjointement avec l'Allemagne, d'apporter une importante contribution aux agences sur place, Frontex et l'EASO, le bureau européen d'appui à l'asile. La France a envoyé un peu plus que prévu - 323 fonctionnaires, interprètes, juges, experts de l'asile sont en place -, l'Allemagne un peu moins. Là encore, nous sommes le pays dont la contribution est la plus importante. Dès lors que nous appelons de nos voeux une communautarisation de la gestion de nos frontières communes et souhaitons la mise en place de gardes-frontières européens, nous nous devons d'apporter une aide aux pays les plus exposés : la Grèce ne peut pas faire face toute seule. De même, au plan humanitaire, nous allons mettre en oeuvre l'accord prévoyant un financement, par le biais du programme Écho, à hauteur de 700 millions d'euros, dont 300 millions dès cette année, pour aider la Grèce à faire face à la situation dans les camps, à Idomeni, au Pirée ou dans les îles grecques, et manifester ainsi notre solidarité, sachant que la situation des migrants qui s'y trouvent ne va pas se régler en quelques semaines. Je me rendrai en Grèce et en Turquie dans deux jours, avec le président en exercice du Conseil et plusieurs de mes homologues, pour y rencontrer les autorités, dont le Premier ministre, et nous nous rendrons dans un camp proche d'Athènes pour manifester notre solidarité et évaluer les difficultés et les besoins. Il est important d'être présent tout au long du processus.
La préparation du sommet des pays des Balkans occidentaux qui se tiendra en juillet à Paris est aussi l'occasion de rencontrer les membres des gouvernements de ces pays. Nous avons ainsi rencontré le Premier ministre albanais à Tirana la semaine dernière, car la préoccupation concerne à présent les nouvelles routes qui pourraient s'ouvrir. J'ai évoqué la situation en Libye. On peut craindre que les passeurs essaient de réouvrir une voie passant par la mer Adriatique et l'Albanie pour rejoindre l'Italie. Pour y parer, une coopération opérationnelle doit s'établir entre l'Albanie et l'Italie. Je crois qu'il existe aujourd'hui une volonté commune, et la façon dont les pays des Balkans occidentaux ont réagi à la crise, dans un esprit très européen, sans attitude démagogique ni décision unilatérale mérite d'être saluée. Il est vrai que la Macédoine a décidé de fermer sa frontière, mais elle l'a fait sous la pression de l'Autriche et de quelques autres pays qui lui ont fait comprendre qu'ils n'accepteraient plus les migrants en transit. Quant à l'Albanie, elle coopère aujourd'hui pleinement, tant sur les questions migratoires que de sécurité - un problème très sensible dans cette région.
J'en arrive à la Libye, où la situation a beaucoup évolué ces derniers jours puisque, comme vous le savez, le président du Gouvernement d'union nationale issu des négociations à l'ONU, M. Sarraj, s'est installé à Tripoli et a progressivement rallié le soutien d'un nombre croissant de municipalités et de milices. Nous l'avons beaucoup aidé en faisant adopter par l'Union européenne des sanctions contre les présidents respectifs des parlements de Tripoli et de Tobrouk qui refusaient l'un et l'autre de se rallier. Il reste qu'au plan légal, et selon les termes prévus par l'ONU dans sa médiation, il faut encore que la Chambre des représentants, dernier parlement élu, qui siège à Tobrouk, soutienne par un vote majoritaire ce Gouvernement d'union nationale. Or, pour l'instant, si beaucoup de membres de ce parlement se sont déclarés en sa faveur, certaines composantes importantes de la Cyrénaïque refusent encore de se rallier et la Chambre n'a pas pu se réunir pour manifester son soutien par un vote. Nous allons continuer à pousser pour que ce Gouvernement assoie son autorité sur le territoire libyen, et puisse ainsi contribuer à la lutte contre l'État islamique, installé autour de la ville de Syrte, mais aussi passer, en tant qu'autorité légitime, un accord visant à lutter contre l'immigration irrégulière. Même s'il est difficile de disposer d'une évaluation précise, il est aujourd'hui établi que plusieurs dizaines de milliers de migrants, amenés par des passeurs dans le nord de la Libye, cherchent à s'embarquer pour l'Europe. Les marines européennes sont en alerte et nous avons besoin, pour lutter contre les trafiquants, de passer un tel accord avec le Gouvernement libyen - sachant qu'obtenir celui du Conseil de sécurité n'est guère envisageable eu égard aux positions de la Russie.
En ce qui concerne l'agriculture, même s'il est vrai que l'accord du 14 mars repose sur des engagements volontaires, il était important d'obtenir une telle exception aux règles du marché intérieur, grâce à l'activation de l'article 222.
Nous sommes convenus de la nécessité d'assurer un suivi des effets de cet accord sur le marché. Pour répondre à la crise de surproduction, une coopération entre les États membres est indispensable, en même temps qu'une action visant à trouver de nouveaux débouchés sur les marchés extérieurs - ce qui passe par la négociation avec la Russie, pour une levée de son embargo sanitaire - et une réflexion sur les mécanismes structurels. S'il n'est pas question de revenir aux quotas laitiers, on ne peut pas non plus faire comme si la suppression des outils de régulation ne menait pas à une impasse pour l'agriculture européenne. On a vu, ces dernières semaines, en Grande-Bretagne même, des manifestations d'agriculteurs, preuve que le problème n'est pas propre à la France. Nous avons sur ce plan largement emporté la conviction au sein du Conseil « Agriculture » et du Conseil européen, et même le commissaire Hogan a désormais une vision plus tempérée.
Merci, monsieur le ministre, de prendre le temps de cet échange avec le Parlement. N'a-t-on pas entendu un membre du Gouvernement auquel vous appartenez déclarer qu'il serait bon qu'un débat ait lieu au Parlement avant et après tout Conseil européen ? Il est de fait important que nous puissions être écoutés en amont. C'est à quoi nous nous employons, dans le cadre des règles fixées par la Constitution.
Ce que vous avez indiqué sur le PNR et la protection des données personnelles est, pour le rapporteur que j'ai été, une bonne nouvelle. Pour l'adoption du PNR, vous nous indiquez que l'on compte désormais en semaines, grâce aux avancées sur la protection des données personnelles, dont le Parlement européen faisait une condition. Je m'étonne, au passage, d'avoir vu ce matin la commission des lois voter des dispositions contraires au règlement sur la protection des données personnelles, considérant que puisque celui-ci n'était pas encore adopté, elle pouvait les voter pour le temps restant à courir. Curieuse logique, qui mériterait quelques ajustements d'ici la séance d'avril, date à laquelle le règlement, d'application immédiate, aura été voté...
J'en viens à l'accord avec la Turquie. Je comprends le souci de realpolitik dont se prévaut l'Union, mais dans certaines limites. À l'heure où le comportement de la Turquie est à cent lieues des principes de l'Union, on ouvre des chapitres dans les négociations d'adhésion ! Tout en disant qu'on n'est pas près de les fermer, mais enfin... Et l'on fait miroiter une libéralisation des visas. Je me réjouis que le Président de la République ait été ferme sur ce point, déclarant clairement que les 72 conditions devraient être remplies. Quand on sait qu'à peine plus d'une trentaine le sont aujourd'hui, on mesure le chemin à parcourir. Surtout, on renvoie des malheureux vers un pays dont on dit qu'il est sûr alors qu'il l'est, au vrai, de moins en moins. Quand on voit la manière dont le régime traite la population kurde et le peu de cas qu'il fait de la liberté de la presse, avec les procès de journalistes en cours, on est porté à s'interroger. Il est vrai que l'Union, à petite voix, s'est manifestée, de même que le Gouvernement et le Président de la République français, mais peut-on oublier ce qui se passe à la lisière de l'Arménie, dans le Haut-Karabagh, où la Turquie ne cesse de souffler sur les braises, sans parler de Chypre, où 40 000 soldats sont cantonnés ? Et cela dans un pays membre de l'Union européenne ! « Selon que vous serez puissant ou misérable... » On accepte de la Turquie ce que l'on accepterait de personne. Je sais bien que lorsque l'on est en charge de l'exécutif, il faut faire sa part à la realpolitik, mais je ressens tout de même un malaise. Un malaise qui vient aussi des images difficiles que l'on a pu voir de ces migrants arrivés en Grèce et que l'on renvoie. C'est difficile à supporter, même si l'on sait ce qu'est le monde d'aujourd'hui.
Ce qui ne m'empêche pas de me réjouir de la bonne nouvelle concernant le PNR. Je n'oublie pas que cela fait quatre ans déjà que nous avons entendu Mme Reding sur ce sujet, avec la commission des lois. Les processus européens sont longs, et il se passe beaucoup de choses dans l'intervalle...
Je partage votre sentiment, mais nous sommes un peu pris en tenaille. La dernière initiative en date de la Turquie, sur le Haut-Karabagh, est particulièrement choquante. On sait les rapports difficiles entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ; ce n'est pas le moment que le grand voisin turc incite l'Azerbaïdjan à faire ce qu'il ne faut pas faire.
Je rejoins Simon Sutour. S'il a fallu chercher une solution à une situation devenue intenable en Grèce, c'est parce que l'Union à vingt-huit a été incapable de définir une politique commune et que certains pays comme la Hongrie ou l'Autriche ont entrepris unilatéralement de fermer leur frontière, incitant les pays des Balkans à faire de même.
Le fait est que le moment est loin d'être le meilleur pour passer un accord avec la Turquie. Peut-on réellement faire confiance à M. Erdogan ? La pression va être très forte sur la contrepartie des visas. Car la question fondamentale, pour le président turc, n'est pas celle des trois ou six millions d'euros promis, mais bien celle-là. La France sera-t-elle à même d'y résister ? Nous verrons.
Quelle sera l'efficacité d'un accord par lequel on traite l'effet sans traiter la cause ? Fermer une route ne règlera pas le problème. On va très probablement voir se rouvrir la route libyenne, à un moment où la Libye a besoin de stabilité, mais aussi se développer la route de l'Adriatique, sans parler d'autres voies que l'on ne soupçonne pas encore. Faudra-t-il, à chaque fois, trouver un accord avec des pays qui sont loin de partager nos valeurs ?
Quant aux modalités de cet accord, elles ont de quoi surprendre. Échanger un migrant contre un autre dans le respect du droit international, selon un traitement individualisé ? C'est là une idée qui demandera beaucoup d'investissement et de temps.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC a demandé et obtenu la création d'une mission d'information, qui se mettra en place à la fin du mois. Il ne s'agit pas de donner des leçons, mais de permettre au Parlement de jouer son rôle de contrôle. On sent bien que cet accord ne suffira pas à régler la question et qu'il faut approfondir sérieusement la réflexion.
Je partage beaucoup des inquiétudes exprimées et m'inquiète de l'effet contagieux sur les pays des Balkans candidats à l'adhésion. Alors qu'ils ont à juste titre le sentiment d'avoir été laissés un peu seuls face à l'afflux de réfugiés, ils nous voient traiter avec la Turquie sans poser beaucoup d'exigences.
Fermer les yeux en demandant à la Grèce de considérer la Turquie comme un pays tiers sûr, où l'on peut tranquillement renvoyer un certain nombre de réfugiés, revient à considérer que la situation interne de la Turquie n'est pas si dramatique que cela. Si l'on n'est pas ferme sur l'État de droit, comment, après cela, adresser des remarques à la Hongrie ou à la Pologne ? La realpolitik, c'est constater des différences tout en identifiant des intérêts communs avec l'autre partie, permettant d'agir de concert. Or, cet accord fait tout le contraire. Chaque entité a intérêt à l'accord, certes, mais pour des raisons différentes et avec des objectifs différents. Cela ne fera qu'aggraver les incompréhensions. Il suffit de comparer ce qui s'écrit dans la presse européenne sur la Turquie et ce qui s'écrit dans la presse turque sur l'Europe pour comprendre que l'on diverge de plus en plus. Ce que disent de l'accord les responsables turcs est préoccupant. Comment, face à de tels décalages, espérer régler ensemble un problème ? Sans compter que pour les Balkans, il est d'autant plus déconcertant de constater que la même semaine où cet accord est signé, la Cour pénale internationale acquitte M. Vojislav Seselj.
Il reste que cela se conjugue pour créer une situation qui ne va pas aider les Balkans à progresser vers l'Union européenne.
Quant aux modalités de l'accord, elles me semblent faire bon marché d'un certain nombre de principes attachés au droit d'asile. Le rapprochement familial pourra être remis en cause, en Allemagne ; les recours ne seront pas suspensifs ; les demandeurs d'asile en Grèce sont de fait enfermés dans des camps. Il y aurait bien des choses à dire sur les conditions dans lesquelles tout cela se met en place.
Quant à l'aide financière à la Turquie, quand on sait que moins de 20 % des réfugiés sont dans des camps, les autres étant disséminés dans la population, on peine à comprendre comment elle sera utilisée à bon escient.
Au-delà de ces sujets d'inquiétude, on peut se demander ce qu'il va advenir du règlement de Dublin. Entend-on revoir le principe de l'État de première arrivée ? Selon quelle cohérence ? Pouvez-vous nous fournir des éléments sur la position de la France ?
Je n'ai que quelques mots à dire : l'accord est pour moi pleinement justifié et les chefs d'État et de Gouvernement ont bien fait de le conclure. Cela s'appelle gouverner.
Je comprends les interrogations que soulève la mise en oeuvre de cet accord. J'avais d'ailleurs insisté, avant sa conclusion, sur l'exigence de respect du droit - respect du droit des gens et de nos engagements internationaux, respect de notre droit interne. Face à la situation qui s'installait, il fallait mettre en place une alternative. C'est ce qui justifie cet accord. Le vice-président Timmermans, lors de nos débats préparatoire, a utilisé une image parlante : au cours de l'année 2015, une véritable autoroute d'immigration irrégulière s'est ouverte, qui commençait, avant d'emprunter la route des Balkans, par une traversée de la mer Égée dans des conditions aussi meurtrières qu'en Méditerranée : si la distance à parcourir est moindre, le flux de personnes entassées sur des bateaux pneumatiques est tel que c'est en permanence que l'on voir mourir de petits Aylan.
Une réalité s'est également imposée à nous : la fermeture de la frontière de la Macédoine, à la demande des autres pays des Balkans et de l'Autriche. En Allemagne, même si les autorités n'ont jamais promu une telle solution, la pression montait, non seulement en Bavière, premier Land d'arrivée, mais partout ailleurs, en vertu d'un système de répartition très solidaire. Il était devenu inimaginable de laisser la situation se reproduire en 2016. Ce système, lié à une insuffisance de la lutte contre l'immigration illégale et les trafiquants en Turquie, finissait par envoyer un signal non seulement aux réfugiés syriens mais à bien d'autres, en Afghanistan, au Pakistan et dans certains pays d'Afrique où cette route était perçue comme la façon d'entrer en Europe. Le sens profond de cet accord est de mettre fin à ce système et de faire passer le message que ce n'est pas de cette façon que l'on peut arriver en Europe. Il est vrai que les images que l'on a vues peuvent être dures, et c'est pourquoi nous devons être très attentifs aux conditions juridiques dans lesquelles s'organisent les réadmissions, mais il doit être clair, y compris pour les Syriens, qu'il y a d'autres façons d'arriver en Europe, en déposant une demande auprès des organismes de l'Union européenne en charge, en Turquie, en Jordanie, au Liban, tandis qu'à l'inverse, arriver illégalement en Grèce n'ouvre pas un droit au séjour. Cela suppose, pour fonctionner, que la Turquie déploie, dans le cadre de cet accord, un effort beaucoup plus important pour lutter contre les organisateurs de ce trafic, non seulement au départ des côtes turques mais aussi sur son territoire - car ces filières s'organisent depuis la frontière syrienne ou bien encore les grandes villes, où l'on arrive par avion avant de gagner la côte. On note déjà une diminution importante du nombre de traversées, même si le chiffre reste encore trop élevé : comme le faisait remarquer la Grèce, les 300 réadmissions intervenues lundi ont été plus que compensées, le même jour, par l'arrivée de 400 nouveaux entrants. Quel est notre but ? C'est bien qu'à terme, les gens cessent de partir, et qu'il ne soit plus nécessaire de procéder à autant de réadmissions. Quand on parle avec les autorités australiennes, qui ont été confrontées à des vagues importantes de migrations, on constate que le système mis en place, que nous avons d'abord considéré avec beaucoup de scepticisme...
En effet. On constate que ce système s'est révélé efficace et qu'aujourd'hui, plus un bateau n'accoste. Lorsqu'un bateau est intercepté, les migrants sont renvoyés, dans le cadre d'accords passés avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Cambodge. S'ils veulent accéder à l'immigration, ils doivent s'enregistrer dans le système d'immigration légale. L'Australie est un pays qui continue d'accueillir beaucoup de migrants, y compris européens, mais il n'y a plus de naufrages au large de ses côtes. Personne n'ira payer un passage s'il sait qu'il n'y a aucun moyen, par cette voie, d'accéder à l'Australie. Il est vrai que le contrôle sera plus complexe en Europe, pour des raisons géographiques, mais telle est bien l'idée.
Le système d'échange « un pour un » ne saurait être automatique. Car nous devons montrer qu'il existe une voie légale qui passe par le dépôt d'une demande en Turquie, au Liban ou en Jordanie. On ne saurait indexer cette possibilité sur le nombre de personnes réadmises, autrement dit sur le nombre de ceux qui arriveraient frauduleusement sur les côtes grecques. Même en l'absence d'arrivées illégales, dont nous souhaitons qu'elles se tarissent, on acceptera des entrants. Il faut donc souhaiter que l'on arrive au-delà du un pour un. Dans le cadre des relocalisations, nous pouvons accueillir 72 000 personnes au cours des deux prochaines années. Il faut montrer clairement que cette voie est ouverte, alors que l'autre est fermée. Il est cependant fort possible que parmi les Syriens qui continueront d'arriver en Grèce, au terme de l'examen individuel qui aura lieu, sachant que la procédure restera dans un premier temps suspensive, certains ne soient pas renvoyés en Turquie. C'est la justice qui le décidera. Qu'est-ce qui nous permet de considérer que la notion de « pays tiers sûr » nous autorise à ne pas examiner leur demande d'asile et à renvoyer des réfugiés en Turquie, pour y déposer une demande d'asile par voie légale ? C'est que cette notion de pays sûr n'est pas à comprendre au sens qui est le sien dans le régime d'asile européen. Elle signifie que le pays tiers concerné peut offrir une protection internationale conforme aux règles de la Convention de Genève : que les demandeurs n'ont pas à craindre pour leur vie ou leur liberté en raison de leur origine ou de leur religion, et qu'ils ne subiront pas dans ce pays les conditions qui les ont fait fuir leur pays d'origine. La Turquie est le premier pays d'accueil de réfugiés syriens dans le monde : entre 2,5 et 2,7 millions de Syriens s'y trouvent. Et la communauté internationale considère qu'ils y ont trouvé refuge. Les y renvoyer est tout autre chose que les renvoyer en Syrie. Il faut évidemment s'assurer qu'ils n'y subissent pas un traitement inhumain et que prévaut bien le principe qui veut qu'ils ne soient pas refoulés vers leur pays. Un syrien kurde qui demanderait l'asile en Europe et qui serait identifié comme un proche du parti de l'union démocratique, le PYD, l'organisation syrienne proche du PKK, que combattent ardemment les autorités turques, peut être exposé à un risque. D'où l'exigence d'une procédure individuelle et d'un suivi précis des conditions dans lesquelles cet accord sera mis en oeuvre.
S'agissant de la protection des données, il est vrai, ainsi que l'a souligné Simon Sutour, que le processus a été long. Aujourd'hui, le Comité des représentants permanents, le Coreper, a lancé la procédure écrite, au terme de laquelle, c'est à dire vendredi prochain, si aucune opposition ne s'est déclarée, le texte sera considéré comme adopté par le Conseil des ministres. Il ira ensuite devant le Parlement européen, qui souhaite, comme vous l'avez rappelé, une adoption conjointe avec le PNR. Nous insistons désormais auprès du Parlement européen pour que ce soit fait avant la fin de ce mois. Plus aucune raison ne s'y oppose : il est face à ses responsabilités.
La Commission européenne a émis ce matin deux séries de propositions, l'une sur le paquet « frontières intelligentes », visant à renforcer les dispositifs technologiques communs de contrôle, qui va dans le sens de nos préconisations et ne devrait poser aucun problème, l'autre sur le règlement de Dublin, sur lequel s'interroge Jean-Yves Leconte. Sur ce point, la Commission a volontairement laissé deux options ouvertes. L'une serait d'aller vers un mécanisme automatique, qui pose le problème de la responsabilité de l'État de première entrée ; l'autre, qui s'inspire de ce que nous avons fait avec le système de relocalisation, tendrait à conserver le principe de Dublin - qui veut que le pays de première demande soit responsable du traitement de la demande d'asile - sauf en situation exceptionnelle de crise où l'on pourra procéder à une répartition dès lors qu'une décision collective serait prise en ce sens. Nous considérons que si l'on sort de cette dernière logique, on s'expose à voir tel ou tel État membre décider, pour des raisons qui lui sont propres, de laisser venir les réfugiés, tandis que la règle voudrait ensuite qu'ils soient automatiquement répartis.
Un système de garde-frontières européens donne précisément une capacité d'intervention si un pays est défaillant.
La Commission n'exclut pas que le mécanisme soit lié à la mobilisation des gardes-frontières européens. On peut en effet imaginer que si une décision commune de la Commission, du Conseil et de l'État membre concerné est prise pour mobiliser les gardes-frontières, alors est mis en oeuvre un système de répartition automatique. Mais ce n'est pas sans contradiction car cela peut entraîner des difficultés à mobiliser les gardes-frontières, du fait de l'opposition d'États membres qui ne voudraient pas de la répartition automatique. Alors que l'on cherche à mutualiser le contrôle des frontières, est-il prudent de créer des conditions qui pourraient rendre une mobilisation commune difficile ?
C'est pourquoi nous plaidons pour une mise en oeuvre d'ensemble : un contrôle fort aux frontières communes, une solidarité avec les États confrontés à une situation d'urgence, passant par des moyens humains et des relocalisations, lesquelles ne doivent pas pour autant créer un appel d'air. Veillons à la cohérence de ce que nous mettons en oeuvre.
Notre système d'asile a sans doute besoin d'évoluer. Cela passe par une évolution du règlement de Dublin mais ce n'est là qu'un aspect. Il faut aussi que les listes des pays sûrs soient les mêmes - on a déjà avancé en ce sens, notamment pour les pays des Balkans, ce qui règle en grande partie le problème des demandes d'asile injustifiées en provenance d'Albanie ou du Kosovo ; au reste, les pays des Balkans en sont d'accord, et considèrent que ce n'est pas de cette façon que doit se régler la question de la liberté de circulation avec l'Union européenne. Les règles d'asile doivent également être harmonisées et une réflexion engagée sur les politiques d'immigration. Car l'existence de nettes différences entre les États membres dans les règles sociales attachées aux demandes d'asile n'est pas sans effets secondaires, les migrants se dirigeant plus volontiers vers les États ou le traitement des demandes traîne en longueur, ou bien encore où la prise en charge est meilleure.
Si l'on veut gérer l'espace commun, préserver les acquis de la liberté de circulation de Schengen et être cohérents dans notre politique d'immigration et d'asile, nous devons rapprocher nos législations. La révision du règlement de Dublin n'est pas seule en cause, et notre dialogue avec l'Allemagne est appelé, sur ce point, à se poursuivre. La répartition automatique n'est pas la formule magique, il faut une cohérence d'ensemble. Y compris dans la coopération avec les pays tiers. Après le sommet de La Valette, nous devons nous assurer que l'on offre à ces pays, et en particulier aux pays d'Afrique, de vraies perspectives de codéveloppement et d'immigration légale. Au Sénégal, au Niger, en Éthiopie, ce n'est pas un problème d'asile qui se pose, mais bien d'immigration économique. Si l'on veut créer une alternative à l'immigration clandestine, il faut, là aussi, qu'existe une voie d'immigration légale. C'est une question majeure, sur laquelle l'Union européenne doit avancer.
Au sein de notre commission, Simon Sutour et Louis Nègre travaillent sur ces questions, en effet indissociables du reste.
Merci de vos propos clairs. Sur ce sujet complexe, on doit se garder de toute démagogie. Je dois dire que bien qu'étant un adepte forcené du couple franco-allemand, je n'ai guère apprécié que la Chancelière s'engage sans concertation dans la voie qu'elle avait unilatéralement choisie : un appel d'air qui allait se transformer en courant d'air, pour faire un méchant jeu de mots. Schengen n'était pas préparé à un tel afflux et la solidarité entre les États membres s'en est trouvée écornée mais lorsque le bateau a tangué, nous avons été nombreux à considérer que c'était un marqueur de l'Union, un acquis essentiel à préserver. Ma sensibilité économique me porte à ajouter qu'alors que la négociation sur le traité transatlantique est en cours, ce n'était pas le moment de rétablir des frontières intérieures. Une étude de France Stratégie montre au reste que cela représenterait 10 milliards de charges supplémentaires par an pour la France.
On peut comprendre la réaction initiale aux accords avec la Turquie, dont les standards sont loin de ceux de l'Union européenne, mais le fait est que nous n'avions pas le choix. Et ainsi que vous y avez insisté, notre action commune, chaotique dans un premier temps, est en cours de rationalisation. Il y a des procédures, il y a des règles, tel est le message à envoyer dans un monde globalisé où les mouvements de population sont inévitables. Que des enfants puissent perdre la vie dans l'aventure est inadmissible. J'espère que nous abordons, désormais, une période plus sereine.
Un mot, pour finir, sur l'agriculture. Il nous intéresserait de savoir comment la task force va travailler.
Je pourrai vous adresser les résultats de l'évaluation qu'avec le ministre de l'agriculture nous menons, pour un premier bilan de l'accord du 14 mars. Plus généralement, je me tiens à votre disposition pour consacrer certains de nos échanges, comme vous le proposez dans votre rapport, au suivi des résolutions adoptées par le Sénat.
Je vous en remercie, cela répondra à une demande forte de nos collègues.
Une résolution sur l'agriculture était cet après-midi en débat dans l'hémicycle. Même si ce n'était pas une résolution européenne, j'ai été surpris que nous n'en ayons été à aucun moment saisis.
Nos propositions de résolution européenne s'adressent au Gouvernement mais, peut-être du fait d'un manque de diligence dans le suivi, nous avons de plus en plus tendance à adopter des avis politiques, s'adressant directement à la Commission européenne - qui répond parce qu'elle en a l'obligation. J'appelle votre attention sur ce point, dans un souci de bonne répartition des rôles.
La proposition de résolution en débat cet après-midi, qui touchait à l'important sujet de l'assurance récolte, est arrivée en séance sans être passée ni par notre commission ni par la commission de l'économie. Je m'interroge sur une telle procédure. Quelle peut en être la force ?
Cette proposition de résolution était débattue par le Sénat au titre de l'article 34-1 de la Constitution. Dans le cadre de cette procédure, il n'y a pas d'examen préalable en commission. Peut-être le coup était-il un peu politique ? Il n'est guère heureux de faire de la politique sur le dos des agriculteurs, qui souffrent beaucoup.
Que dire, à ce compte, de la proposition de loi que vous avez présentée ? Restons mesurés.
Monsieur le Ministre, il nous reste à vous remercier.
La réunion est levée à 18 h 30.