La délégation procède à l'audition de Mme Andrée Rabilloud, vice-présidente de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et présidente de l'Association départementale des maires de l'Isère, maire de Saint-Agnin-sur-Bion, et M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président délégué de l'Association des maires ruraux de France, sur les modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi organique n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale tirant les conséquences en matière électorale des articles premier et 2 du projet de loi n° 60 (2009-2010) de réforme des collectivités territoriales, déposés sur le bureau du Sénat le 21 octobre 2009.
Nous avons déjà consacré de nombreuses auditions à l'impact sur la parité de la réforme territoriale et des modes de scrutin qu'elle propose, en particulier pour l'élection des conseillers territoriaux.
Le dispositif initialement envisagé par le Gouvernement - un scrutin mixte alliant scrutin majoritaire à un tour et une part de proportionnelle -, nous a paru constituer une grave menace pour la parité.
Depuis lors, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui propose de revenir au scrutin majoritaire à deux tours. Ces deux solutions ne sont, ni l'une, ni l'autre, favorables à la parité alors que celle-ci était devenue une réalité à laquelle on était attaché dans les conseils régionaux.
Je souhaite, par conséquent, recueillir le sentiment de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) à ce sujet et, éventuellement, entendre les propositions qui pourraient permettre de faire évoluer le mode de scrutin des conseillers territoriaux dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'objectif de parité.
Je commencerai par examiner le mode de scrutin tel qu'il a été initialement présenté, c'est-à-dire 80 % des conseillers territoriaux élus au scrutin majoritaire à un tour, les 20 % restants élus au scrutin proportionnel.
Puisque la représentation paritaire des femmes est garantie au scrutin proportionnel et aléatoire au scrutin majoritaire, la proposition la plus efficace au regard de l'objectif de parité serait d'augmenter le nombre de conseillers élus au scrutin proportionnel : rien, en effet, n'interdit de modifier, voire d'inverser, les proportions du scrutin mixte proposées.
Si, comme il est probable, le scrutin majoritaire reste prépondérant, il me semble que le seul moyen de garantir une représentation équilibrée au sein des conseils territoriaux serait de disposer d'un arsenal de sanctions suffisamment dissuasif pour encourager les partis politiques à présenter à parité des femmes à des positions éligibles.
Vos propos corroborent ceux que nous avons déjà entendus. Pour garantir un égal accès des femmes aux fonctions électives, l'alternative est simple : soit on privilégie le scrutin proportionnel, soit, si l'on adopte un mode de scrutin majoritaire, on demande aux partis politiques d'assumer leurs responsabilités. Comme les autres interlocuteurs, vous estimez que, pour les « encourager » en ce sens, il n'y a pas d'autre solution que les sanctions.
En effet, puisque, si j'en crois les chiffres, le scrutin mixte présenté dans le texte initial aurait pour effet de diminuer drastiquement le nombre de femmes élues dans les conseils territoriaux : de 48 % à l'heure actuelle dans les conseils régionaux, elles passeraient à 10 %.
Ne pourrait-on pas envisager un scrutin entièrement proportionnel, qui garantirait automatiquement l'application du principe de parité ?
Il me semble que cette solution, évidente en apparence, n'est, en réalité, pas si simple : certes, le scrutin proportionnel garantit davantage aux femmes une représentation équilibrée, mais une élection au scrutin uninominal, certes plus difficile, leur offre davantage de visibilité et de reconnaissance au plan local, car elles sont élues sur leur nom propre.
A titre personnel, je considère que la reconnaissance de mon mandat d'élue locale, qui m'a permis de briguer un mandat sénatorial, n'aurait pas été la même si je n'avais été d'abord élue au scrutin uninominal direct au conseil général.
Par ailleurs, la difficulté à constituer des listes paritaires rend concrètement complexe la mise en oeuvre du scrutin proportionnel.
Je veux bien que les femmes jouissent d'une plus grande visibilité dans l'exercice de leur mandat quand elles sont élues sur leur nom propre, mais encore faut-il que les hommes leur laissent la place. Or, les exemples d'hommes acceptant de se placer en seconde position dans un binôme restent rares.
Dans un courrier que j'ai adressé récemment à la Présidente, je proposais d'examiner une nouvelle modalité de présentation des candidatures mixtes au scrutin uninominal, qui donnerait les mêmes chances aux hommes et aux femmes : au sein d'un binôme mixte, l'électeur choisirait qui, du candidat ou de la candidate, serait le titulaire et le suppléant. Autrement dit, le choix reviendrait à l'électeur et non au parti politique. Mais je reconnais que ce système est complexe d'application.
Dans le même ordre d'idées, M. Charles Gautier avait envisagé de proposer aux électeurs d'élire un couple homme/femme, mais dans le cadre de la réunion de deux cantons, ce qui garantirait une représentation féminine équilibrée.
Cette idée, qui revient à élire un homme et une femme dans le cadre d'un grand canton réunissant deux circonscriptions cantonales actuelles, pousserait plus loin encore l'élargissement du territoire des cantons.
L'idée de proposer un « couple » homme/femme pour un grand canton me semble, en effet, une idée intéressante, au regard de l'objectif de la réforme, consistant à fusionner les circonscriptions existantes pour proposer quinze élus au moins par département.
Bien qu'intéressante, cette idée risque d'être difficile à appliquer. Il me semble en effet politiquement complexe de solidariser le vote, alors que, dans les deux cantons ainsi réunis, les rapports de force politiques ne sont pas toujours les mêmes.
Je tiens, tout d'abord, à indiquer que l'Association des maires ruraux n'a pas de position officielle concernant le scrutin des conseillers territoriaux. Je m'exprime donc ici moins en tant que vice-président de cette association qu'en tant que coauteur d'un rapport de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales relatif aux modes d'élection du conseiller territorial qui sera publié prochainement : nous sommes confrontés à la quadrature du cercle. Il me semble que, quel que soit le mode de scrutin retenu, les effets du scrutin sur la constitution de majorités stables restent aléatoires au niveau de la région : en effet, les mécanismes qui encouragent la constitution de majorités au niveau des départements risquent fort de se neutraliser à l'échelon régional. Dans ces conditions, même si le projet de réforme prétend favoriser le niveau régional, c'est l'échelon départemental qui en sortira renforcé.
Au fur et à mesure que les auditions avancent, ma perplexité à l'égard de ce projet de loi grandit.
Je vous rappelle qu'après le vote de la commission des lois de l'Assemblée nationale, la semaine dernière, le nouveau scrutin proposé est le scrutin majoritaire à deux tours. Je vous encourage vivement à suivre ces débats en séance à l'Assemblée nationale à partir du 25 mai prochain.
Je m'étonne que l'Assemblée nationale débatte actuellement du mode de scrutin des conseillers territoriaux, alors qu'il devait d'abord être examiné par le Sénat !
Je vous rappelle que, initialement, deux projets de loi consacrés à la réforme territoriale avaient été déposés par le Gouvernement. Le premier (n° 60) ne traitait pas des modes de scrutin qui faisaient l'objet d'un texte distinct (n° 61). Un amendement du groupe centriste a toutefois introduit dans le projet de loi n° 60, au cours de son examen devant le Sénat, un dispositif précisant les principes que devait respecter le mode de scrutin, y compris la parité. C'est cet article I A nouveau que le Gouvernement modifie aujourd'hui pour introduire un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui n'est satisfaisant ni pour la constitution de majorités, ni pour le respect du pluralisme politique. J'ajoute que certains députés de la majorité proposent, en outre, de défendre une proposition de loi limitant à deux le nombre de candidats pouvant se maintenir au second tour.
Il n'en reste pas moins que cette procédure, qui permet à l'Assemblée nationale d'examiner en premier un dispositif radicalement différent n'est pas respectueuse du Sénat.
Je vous rappelle que le Sénat débattra du texte, en tout état de cause, fin juin en deuxième lecture.
Comment favoriser la parité aux élections municipales ?
Pierre-Yves Collombat. - Je vais vous donner lecture de l'extrait du communiqué relatif à la motion adoptée par les maires ruraux de France réunis en assemblée générale le 18 avril 2010 : « S'agissant de l'élection des conseillers municipaux, l'AMRF réitère sa demande qu'il soit mis fin à l'élection de personnes non candidates et au panachage qui se réduit trop souvent à un petit règlement de compte entre « amis » au détriment de la cohérence d'un véritable projet pour la commune. Cette modernisation, absolument nécessaire parce que porteuse de plus de respect de la démocratie, ne doit laisser aucune commune sur le bord du chemin. C'est pourquoi elle se prononce en faveur de l'extension du mode de scrutin applicable aux communes de plus de 3 500 habitants, non pas seulement aux communes de plus de 500 habitants, mais à toutes les communes quelle que soit leur taille. Il serait en effet dommage d'exclure de cette modernisation plus de 20 000 communes françaises. »
J'ajoute que, conscient des difficultés techniques que risque de poser cette extension, au moins en ce qui concerne les communes de moins de 500 habitants, nous avions exploré deux pistes. La première était d'imaginer que les communes de moins de 500 habitants pourraient présenter des listes incomplètes : cette solution n'est, à la réflexion, pas la bonne car elle ne fonctionne pas dans l'hypothèse où sont présentées à la fois des listes complètes et incomplètes. La deuxième voie à laquelle avait pensé le bureau de l'Association consisterait à réduire le nombre de conseillers municipaux : de neuf à sept pour les communes de moins de 100 habitants, et de onze à neuf pour celles de moins de 500 habitants. Cette suggestion n'a pas été retenue par l'assemblée générale : mais à l'usage, les choses peuvent évoluer. De toute façon, le mode de scrutin actuel n'est plus acceptable.
On a entendu beaucoup de protestations à ce sujet, en particulier dans les petites communes. Avez-vous tranché le débat pour l'ensemble des communes ?
Nous avons eu un vrai débat, et nous avons tranché. Souvenons-nous que l'AMRF, dans les années 1990, a été très en avance au sujet de l'intercommunalité qui suscitait, à l'époque, beaucoup de débats au sein de la majorité des communes rurales. Peut-être, aujourd'hui, est-ce un peu la même chose. Nous avons été guidés par deux considérations : le mode de scrutin actuel des petites communes n'est plus supportable ; il fallait cesser, en matière de mode de scrutin de traiter à part les communes rurales.
J'ai entendu un représentant de votre association qui, à titre personnel, préconise le scrutin proportionnel à partir de 1 500 habitants. Par ailleurs, avez-vous des chiffres permettant de mesurer la situation actuelle en matière de parité dans les petites communes ?
Personnellement, je remplis mon sixième mandat et je constate que le seuil du tiers de femmes est aisément atteignable. Il est, en revanche, beaucoup plus difficile d'aller au-delà.
On constate donc globalement une progression de la parité - y compris, d'ailleurs, dans mon département qui n'est pas de tradition particulièrement féministe -.
Ce qui est fondamental, c'est le problème de la disponibilité et du statut des élues qui doivent concilier l'exercice de leur mandat avec leurs autres tâches professionnelles et familiales.
J'ai fréquemment entendu le discours de maires ruraux qui s'inquiétaient de l'étroitesse du vivier de femmes pour trouver des candidates potentielles. Je ne veux pas sous-estimer ces difficultés pratiques, mais je me suis aperçu que leurs arguments reproduisaient exactement ceux avancés autrefois par les opposants au scrutin de liste paritaire dans les villes de 3 500 habitants, alors que le vivier y était plus large. En fin de compte, je crois que, peu à peu, la situation s'améliorera en zone rurale. Sur la base de mon expérience, je constate d'ailleurs que, dans mon département, on est passé, en 1990, d'une situation où il était difficile de trouver des candidates, à un stade où se manifeste aujourd'hui une compétition entre les femmes qui briguent un mandat.
J'observe cependant que, dans mon département, le nombre de candidatures féminines a diminué par rapport aux élections précédentes.
et Mme Gisèle Printz. - Les femmes ne sont pas suffisamment aidées dans les multiples tâches qu'elles doivent remplir.
Il faut résoudre les problèmes concrets de statut, de formation, d'aide et d'accompagnement des femmes élues, d'autant que le nombre de mères isolées se multiplie.
La recommandation de l'Association des maires ruraux de France, qui propose l'extension aux petites communes du scrutin de liste applicable dans les autres communes me paraît intéressante. J'avais d'ailleurs déjà défendu un amendement en ce sens.
Mon département compte 730 communes : dans les petites communes, il ne sera pas simple d'élaborer des listes complètes, et l'impossibilité de rayer le nom d'un candidat créera des obstacles.
J'estime souhaitable d'harmoniser les mécanismes applicables à l'ensemble des communes, ce qui aura pour effet de revaloriser à la fois les petites communes et leurs élus, tout en luttant contre la frustration ambiante que l'on peut aujourd'hui percevoir. Un strict respect des proportions conduirait, s'il y a 15 élus pour gérer une commune de 500 habitants, à avoir 1 500 élus pour une ville de 50 00 habitants : c'est évidemment excessif. Il ne faut pas tomber dans ces excès et réfléchir aux moyens de mieux mobiliser un nombre d'élus plus restreint, en leur confiant à chacun des missions plus importantes.
Peu à peu, la place de l'intercommunalité se développera et deviendra prépondérante.
En réponse à la question posée par les parlementaires de la délégation, je précise que le pourcentage de femmes présidentes d'intercommunalités se limite à 2 ou 3 %.
Statistiquement, dans nos départements, j'observe qu'il n'est pas rare que, dans les scrutins avec panachage, le nom le plus fréquemment rayé de la liste soit celui du maire ou de l'adjoint chargé des travaux qui a pu s'attirer des inimitiés dans l'accomplissement de sa mission.
Je crois également utile, dans le débat, de s'interroger sur les incidences d'une éventuelle diminution du nombre des conseillers municipaux à l'égard de leur représentation dans les instances intercommunales.
Je vous annonce l'inscription à l'ordre du jour des travaux du Sénat, les 22 et 23 juin prochain, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes (n° 340, 2009-2010) et de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste (n° 118, 2009-2010) ; nous avons dû beaucoup insister pour parvenir à ce résultat, et je suis intervenue en ce sens, à votre demande, auprès de M. Président du Sénat. Je me réjouis de ce résultat : vous vous souvenez que les violences conjugales ont été déclarées « grande cause nationale 2010 ». Nous désignerons notre rapporteur la semaine prochaine.