Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à une audition relative à l'enquête de la Cour des comptes sur la dette du Centre national d'études spatiales (CNES) à l'égard de l'Agence spatiale européenne (ASE).
a tout d'abord rappelé que la commission avait demandé une enquête à la Cour des comptes sur les engagements du CNES dans les programmes de l'ASE, conformément aux dispositions de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). En effet, la forte augmentation de la dette du CNES à l'égard de cette agence, passée de 165 millions d'euros fin 2005 à 334 millions d'euros fin 2007, est susceptible de poser problème tant en termes de sincérité budgétaire que pour le maintien du leadership de l'industrie spatiale française en Europe. La Cour des comptes a remis son enquête à la commission en juillet 2008 mais la finalisation des négociations sur la conférence ministérielle de l'ASE, qui s'est tenue à La Haye les 25 et 26 novembre 2008, a empêché d'organiser l'audition « pour suite à donner » dès l'automne dernier.
M. Alain Hespel, président de la 2e Chambre de la Cour des comptes, a précisé que, du fait de ce décalage, l'enquête précitée n'est plus complètement à jour, la conférence ministérielle de La Haye ayant modifié la programmation de l'ASE et les engagements des pays membres à son égard.
Procédant à l'aide d'une vidéo projection, M. Michel Camoin, président de section à la Cour des comptes, a déclaré que la France occupe la deuxième place mondiale, derrière les Etats-Unis, dans le domaine spatial et que son effort en la matière repose sur le programme national du CNES, de l'ordre de 700 millions d'euros par an, sur sa contribution à l'ASE, de 685 millions d'euros par an, sur les programmes du ministère de la défense, d'environ 300 millions d'euros par an, et sur sa participation à des programmes multilatéraux, tel que Galileo, pour un montant annuel de 100 millions d'euros.
Il a indiqué que le contrat de plan liant l'Etat et le CNES pour la période 2005-2010 couvre trois domaines : l'accès à l'espace, les utilisations de l'espace et, enfin, la défense et la sécurité. Le cadrage financier de ce contrat prévoit, pour le programme « national » du CNES, un budget de 681,4 millions d'euros en valeur de 2004, majoré de 1,5 % par an. Aux termes de ce même document, la subvention à l'ASE s'établit à 685 millions d'euros courants par an sur la période, la dette du CNES à l'égard de l'agence devant être ramenée à zéro à fin 2010. Le plan à moyen terme du CNES, que la Cour des comptes a consulté lors de ses travaux, confirme cet objectif.
a précisé que les engagements des Etats membres de l'ASE résultent de programmes obligatoires, auxquels tous doivent souscrire en proportion de leur produit national brut, et de programmes facultatifs, auxquels ils déterminent librement leur souscription et leur quote-part. Avant la conférence de La Haye, les engagements de la France sur la période 2008-2015 s'élevaient à 2.357 millions d'euros, compte non tenu de la dette à fin 2007, laquelle atteignait alors 334 millions d'euros.
Puis M. Michel Camoin a déclaré que les travaux de la Cour des comptes conduisent à mettre en doute la capacité réelle du CNES à réaliser son objectif d'extinction de sa dette à l'égard de l'ASE à fin 2010. En effet, le plan à moyen terme élaboré en ce sens repose sur une présentation comptable favorable et sur plusieurs hypothèses improbables :
- des charges d'un montant de 100 millions d'euros relatives au programme d'accès européen garanti à l'espace (EGAS), réelles dès à présent mais dont l'ASE ne réclamera le paiement qu'en 2011, sont reportées à cette même année 2011 dans la comptabilité du CNES ;
- les prévisions d'appels de fonds de l'ASE sont fortement minorées sur la période 2008-2010, le CNES ayant expliqué à la Cour des comptes qu'il espérait la restitution de la trésorerie issue de versements de la France et inemployée par l'agence sur certains de ses programmes. Or, si certaines agences, comme l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), fonctionnent selon ces modalités, tel n'est pas le cas de l'ASE ;
- aucune provision n'a été constituée pour faire face aux dépassements de coûts de certains programmes de l'agence, alors même que de tels dépassements ne nécessitent pas d'autorisation des Etats souscripteurs s'ils restent dans la limite de 20 % du coût du projet initial ;
- certaines charges avérées, relatives, par exemple, à l'arrivée du lanceur russe Soyouz sur le centre spatial guyanais, et représentant un montant total de 117 millions d'euros, ne sont pas prises en compte par le CNES ;
- il en va de même pour d'autres charges « quasi certaines », comme la participation de la France à la station spatiale internationale (ISS), estimée à 65 millions d'euros par an dans les documents comptables du CNES, la Cour des comptes jugeant que les engagements passés devraient conduire à un niveau réel d'environ le double de cette somme.
a ensuite évoqué les conséquences de la programmation décidée lors de la conférence ministérielle de La Haye, cette actualisation ne figurant pas dans l'enquête remise à la commission par la Cour des comptes après délibération. Le montant total des nouveaux engagements souscrits par la France s'élève à 2 233 millions d'euros, le plan à moyen terme du CNES faisant apparaître un engagement de 1 872 millions d'euros à ce titre à l'horizon 2018. Dans ces conditions, la dette à l'égard de l'ASE ne pourra être apurée à la fin de l'année 2010 et elle devrait alors s'élever à 484 millions d'euros. En revanche, dans l'hypothèse d'une participation financière de la France portée à 770 millions d'euros par an à compter de 2011, une extinction de cette dette est possible à la fin de 2015, sur la base d'une estimation réaliste des engagements qui pourraient être pris à l'occasion des deux prochaines conférences ministérielles de l'ASE.
après avoir souligné le caractère stratégique de la recherche spatiale et l'équilibre de l'effort français en la matière entre programme européen, programme militaire, programme national et programmes multilatéraux, a rappelé le fort élan donné par la présidence française de l'Union européenne, qui s'est notamment traduit par un engagement « sans précédent » des Etats membres de l'ASE lors de la conférence ministérielle de La Haye : plus de 10 milliards d'euros d'engagements nouveaux, dont 2,3 milliards d'euros pour la France. Cet effort français, qui bénéficiera à l'industrie nationale en vertu du principe du « retour géographique » selon lequel fonctionne l'agence, profite à l'ensemble de l'Europe, la participation des industriels français étant souvent nécessaire pour qu'un projet puisse se concrétiser. Il est donc nécessaire de ne pas diminuer l'investissement de la France au sein de l'ASE.
a indiqué que la dette portée par le CNES à l'égard de l'ASE trouve son origine dans la politique mise en place pour le retour en vol d'Ariane 5 après l'échec de ce lanceur, en décembre 2002. Deux réponses structurelles sont apportées à cette question de fond :
- d'une part, la signature d'un contrat d'achat, par Arianespace, d'un nouveau lot de lanceurs devant lui permettre d'atteindre l'équilibre financier sans subvention ;
- d'autre part, la mise en place d'une mission confiée à MM. Yannick d'Escatha, président du CNES, Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, qui a pour objet de définir la position française sur l'avenir des lanceurs européens et leurs conditions d'exploitation.
L'apurement de la dette accumulée sera le fruit d'une gestion rigoureuse et de l'octroi des moyens financiers nécessaires. Ainsi, dans le cadre de la loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, la subvention versée au CNES au titre de la participation de la France aux programmes de l'ASE s'établit à 685 millions d'euros en 2009 et en 2010, mais à 770 millions d'euros en 2011. Sur cette base, et dans l'hypothèse d'une augmentation ultérieure de cette subvention de l'ordre de l'inflation, la dette devrait être soldée à la fin de l'année 2015.
après avoir salué la qualité des travaux de la Cour des comptes, a précisé que certaines différences pouvant apparaître entre les échéanciers du CNES et de l'ASE résultent de l'actualisation plus régulière par le CNES (sur une base bisannuelle) de l'estimation des annuités de paiement futures dues par la France au regard de l'état d'avancement des programmes de l'agence.
D'autre part, en réponse aux remarques de la Cour des comptes sur l'absence de prise en compte par le CNES de « charges certaines », il a fait valoir que les comptes du CNES ne traduisent que les conséquences financières des décisions votées par la France. Ainsi, lors des travaux de la Cour des comptes, la programmation relative à l'ISS n'était votée que jusqu'à la mi-2008, ce qui explique qu'aucun engagement sur la station spatiale internationale n'apparaissait alors au-delà de cette échéance.
Enfin, à propos du programme EGAS, il a confirmé que les comptes du CNES n'enregistrent cette charge que pour la date d'appel de cette somme par l'ASE, c'est-à-dire pour l'année 2011.
Après avoir remercié la Cour des comptes pour la qualité de ses travaux, M. Christian Gaudin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », a souhaité savoir si le prochain contrat Etat - CNES traduirait l'engagement des pouvoirs publics d'éteindre la dette de la France à l'égard de l'ASE et permettrait, de manière générale, de financer la participation réelle du CNES dans les programmes de l'agence.
En réponse, M. Julien Lagubeau, conseiller technique du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, a expliqué que le montant de la dotation versée annuellement au CNES jusqu'en 2011 est déjà connu, du fait de l'adoption de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 précitée, et qu'il s'élève à 770 millions d'euros. Ce chiffre s'appuie sur des hypothèses de dépenses raisonnables et sur une évolution des recettes au rythme de l'inflation. Il est prévu d'intégrer l'effort du « rebasage » en 2011.
s'est ensuite interrogé, d'une part sur la trésorerie de l'ASE, et d'autre part sur la manière dont cette agence concilie le « retour à l'euro près » des sommes versées par les Etats avec l'optimisation de son budget. Il fait part de sa crainte que le fonctionnement de l'ASE n'illustre une « Europe des égoïsmes nationaux ».
a tout d'abord souhaité répondre à la Cour des comptes en indiquant que tout dépassement de financement d'un programme facultatif nécessite une décision, la « règle des 120 % » correspondant au seuil à partir duquel un Etat peut se désengager financièrement d'un programme facultatif.
Puis il a indiqué à M. Christian Gaudin que la trésorerie de l'agence est effectivement importante compte tenu de « l'étanchéité » financière de chaque programme qui correspond à un seul budget. Les prévisions budgétaires annuelles concernent 80 programmes et sont calculées de manière à disposer de marges de manoeuvre sur chacun d'entre eux, afin de pouvoir financer, le cas échéant, les différentes étapes industrielles. En outre, le niveau de la trésorerie de l'agence dépend du montant et du rythme des versements des Etats.
Il a expliqué que la dette de la France a été « vertueuse d'un point de vue programmatique » car elle a permis de remettre à niveau Ariane 5 et d'assurer le succès commercial de ce lanceur. En outre, cette dette n'a jamais inquiété la direction de l'ASE compte tenu, premièrement, des assurances données par la France sur le remboursement de cette dette, deuxièmement de l'absence d'impact de la dette sur le fonctionnement normal de l'agence, et troisièmement de la régularité des versements de la France, qui règle toujours au 1er janvier le solde de la dette de l'année précédente, la dette ne réapparaissant qu'au cours du second semestre de l'année.
S'agissant « du retour à l'euro près », M. Jean-Jacques Dordain a estimé que cette règle, à laquelle l'ensemble des Etats membres sont attachés, n'empêche pas l'industrie spatiale européenne de se montrer compétitive au niveau mondial. Ce retour n'est pas « à l'euro près », les industriels des Etats membres n'étant assurés de percevoir « que » 94 % des sommes versées. D'autre part, la gestion des retours géographiques a été facilitée par la mise en place, en 2005, d'une méthode de calcul globale permettant une relative mise en concurrence des industriels au sein de chaque programme.
s'est félicité que la dette du CNES accumulée à l'égard de l'ASE ne porte pas préjudice à l'influence de la France dans le domaine spatial.
s'est interrogé sur la compatibilité de la programmation issue de la conférence de la Haye avec le leadership de l'industrie spatiale française en Europe, la part de l'Allemagne étant supérieure de trois points à celle de la France.
établissant une analogie avec le cas de la société Airbus, s'est inquiété de l'éventualité d'un transfert de technologies-clés de la France vers l'Allemagne, pays dont il a considéré qu'il a une politique industrielle plus affirmée.
a affirmé que la France conduit une réelle politique industrielle en matière spatiale, appuyée par un corpus industriel très compétitif. Toutefois, chaque conférence ministérielle reprend dans sa programmation des projets qui recoupent plus ou moins les intérêts industriels des Etats. Ainsi la conférence de La Haye répond aux priorités allemandes avec l'ISS, alors que les conférences ministérielles précédentes ont davantage été axées sur les champs de compétence français, tels que les lanceurs. De même, si le développement complet d'Ariane 5 était décidé lors de la prochaine conférence, la balance pencherait à nouveau en faveur de la France. En tout état de cause, il convient de ne pas confondre la contribution des Etats dans le cadre de la programmation d'une conférence et les flux annuels de ces mêmes Etats qui sont nécessairement différents compte tenu de l'échelonnement du financement des précédentes programmations.
a ajouté que l'activité de l'ASE ne repose pas, pour les trois prochaines années, sur la programmation de la conférence de la Haye, mais prioritairement sur la mise en oeuvre des programmes décidés en 2003 et 2005. Concernant la conférence de La Haye, le différentiel entre l'Allemagne et la France s'explique non par une diminution de la participation française mais par une augmentation de la contribution allemande.
Répondant à M. Jean-Pierre Plancade, il a estimé que l'agence ne peut pas être comparée à Airbus, qui est une société commerciale privée régie par des règles distinctes de l'ASE.
a précisé que le choix des programmes s'effectue en relation avec les industriels. Il a estimé que la France et l'Allemagne parviennent à concilier de manière satisfaisante leurs intérêts, comme en témoigne le financement des futurs Météosat de troisième génération (MTG), finalement fixé à part égale entre les deux pays.
S'agissant de la contribution du CNES à l'ASE, le montant a été établi de façon à ne pas recréer une nouvelle dette en garantissant la soutenabilité des ressources. En outre, le financement de l'ASE devrait être mieux assuré puisque, dans le prochain contrat pluriannuel du CNES, seront intégrés et provisionnés les engagements des conférences ministérielles de l'ASE, ce qui constitue un réel progrès méthodologique. Enfin, il convient de noter que le leadership de la France n'est pas discutable au vu du niveau de sa participation au sein de l'agence.
s'est interrogé sur le périmètre et le budget de l'agence ainsi que sur le lien entre la constitution de la dette du CNES à l'égard de l'ASE et le succès du programme relatif à Ariane 5.
En réponse, M. Jean-Jacques Dordain a indiqué que l'ASE regroupe désormais 18 pays, soit les 15 pays de l'Union européenne avant l'élargissement de 2004, auxquels s'ajoutent la Suisse, la Norvège et la République tchèque. 90 % du financement de l'agence est assuré par 6 pays (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne, Belgique), ce qui témoigne de la concentration de l'industrie spatiale européenne. Sur un budget total d'environ 3 milliards d'euros par an, la part de la France varie entre 22 % et 25 %. S'agissant enfin du programme Ariane, la moitié du financement étant pris en charge par la France, il était inconcevable d'arrêter le programme par manque de moyens financiers, d'où le recours à la dette.
A l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.