La commission procède à l'examen des amendements au texte n° 22 (2013-2014) établi par la commission des lois sur le projet de loi n° 855 (2012-2013), en nouvelle lecture, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, et portant sur les articles 3 sexies, 10 quinquies A, 11 bis AA, 11 bis DA, 11 quinquies, 11 decies A, 11 decies et 11 undecies.
Le Sénat va examiner en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, pour lequel la commission des lois nous a délégué au fond huit articles. Notre commission doit aujourd'hui rendre un avis sur les amendements extérieurs déposés sur ces articles.
En effet. Par ailleurs, il me semble utile de porter à votre connaissance quatre autres amendements qui relèvent du champ de notre avis en première lecture et au sujet desquels nous pourrons avoir un échange de vues.
Article 3 sexies
L'amendement n° 22, que je dépose à titre personnel, aménage à la marge l'article introduit par Eric Bocquet. Le concepteur, l'éditeur, le distributeur d'un logiciel frauduleux seraient solidairement tenus au paiement des droits rappelés consécutivement aux fraudes commises au moyen de leur produit, et ils seraient passibles d'une amende égale à 15 % du chiffre d'affaires provenant de la commercialisation de ces logiciels ou des prestations réalisées.
Il convient de rassurer les éditeurs : c'est bien la commercialisation de logiciels frauduleux qui serait passible de sanctions, non le détournement par les usagers. Ma rédaction vise à prendre en compte de manière explicite la bonne foi des éditeurs de logiciels et prévoit une modulation de l'amende en fonction de la gravité des faits.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 22.
Article 11 bis AA
L'amendement n° 3 fait obligation aux grandes entreprises de fournir leur comptabilité analytique, pour faciliter le suivi de leur politique de prix de transfert par l'administration fiscale. Déjà déposé par notre collègue Eric Bocquet en première lecture, il est devenu l'article 11 bis AA, qui a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Le projet de loi de finances pour 2014 en traitera, à l'article 15. Sur la suggestion du Gouvernement, les députés ont donc accepté de reporter le débat.
Si un grand débat a lieu à l'occasion de la discussion budgétaire, il paraît effectivement raisonnable de demander le retrait de l'amendement.
Il y a des liens étroits entre les dispositions de l'article 15 du projet de loi de finances pour 2014 et l'article 1er de ma propre proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale des entreprises multinationales...
La commission demande le retrait de l'amendement n° 3.
Article 11 bis DA
Les amendements n° 1 de M. Marini et n° 4 de M. Bocquet - encore la communauté de vues... - visent à renforcer la procédure d'abus de droit. Pourrait être qualifié d'abusif un montage dont le motif serait « essentiellement » fiscal, et non plus « exclusivement » fiscal.
L'amendement n° 4 de M. Bocquet rétablit l'article adopté en première lecture, supprimé par l'Assemblée nationale ; l'amendement n° 1 du président Marini recentre, lui, le dispositif sur les grandes entreprises, qui sont à l'origine des abus de droits les plus préjudiciables. Il cherche à préserver ainsi la sécurité juridique des petites entreprises.
L'initiative est bien entendu excellente, et ces amendements auront le mérite d'attirer une fois de plus l'attention sur ce sujet de première importance. Le Gouvernement a toutefois indiqué vouloir expertiser le dispositif en profondeur ; un groupe de travail a été annoncé par le ministre du budget. Il est sans doute préférable de ne pas précipiter les choses. Demandons l'avis du Gouvernement, ce sera l'occasion pour lui de redire ses intentions devant nous.
Article 11 decies A
Les deux amendements identiques n° 8 et n° 5 visent à rétablir l'article 11 decies A, adopté par le Sénat à l'initiative de notre collègue Jean Arthuis.
Il s'agit de mettre fin à la pratique de certains acteurs de la grande distribution qui perçoivent des « marges arrière » par le biais d'entités localisées à l'étranger, notamment au Luxembourg. Ces groupes contournent leurs obligations, tant commerciales que fiscales.
Chacun convient de l'importance de ce sujet. L'intention est bonne. Mais la rédaction pose bien des difficultés d'application. Nous en avions débattu en séance publique et avions choisi de voter cet amendement. Le Gouvernement s'est montré ouvert à un travail sur cette question. Rappelons en séance notre volonté. Puis nous demanderons peut-être l'avis du Gouvernement, pour ne pas reculer par rapport à notre position de première lecture.
Je souhaiterais maintenant vous donner mon avis sur des amendements qui entrent dans le champ de nos compétences, même s'ils ne portent pas sur les articles qui nous ont été délégués au fond.
À l'article 3 bis B, l'amendement n° 20 complète les informations disponibles dans le registre public des trusts créé par l'Assemblée nationale. M. Bocquet souhaite que le registre rende compte « de l'évolution et de la valeur des biens déposés au sein des trusts ».
Je ne veux pas suggérer une position ou une autre à la commission. J'appelle votre attention sur le fait que l'intention est compréhensible, mais la mise en oeuvre extraordinairement complexe ! Difficulté technique, d'abord, concernant un simple fichier déclaratif. Problème de confidentialité, également, et de respect du secret fiscal.
À l'article 10, mon amendement n° 21 reprend celui que notre commission avait adopté en première lecture sur la recevabilité des preuves d'origine illicite.
L'article 10 autorise l'exploitation des preuves illicites dans une procédure de contrôle fiscal, mais à la condition qu'elles aient été transmises régulièrement à l'administration. L'Assemblée nationale a élargi cette possibilité à tous les droits de communication reconnus à l'administration, alors que la commission des lois du Sénat veut la restreindre à la seule transmission par l'autorité judiciaire et à l'assistance administrative internationale. Autrement dit, la liste HSBC, qui comporte les noms de tant de fraudeurs, pourrait être utilisée si elle a été transmise par les autorités suisses ou allemandes, mais pas si elle l'a été par un salarié.
Nous savons que la fraude fiscale représente plusieurs dizaines de milliards d'euros. Il faut donc exploiter le maximum d'informations disponibles. La commission des lois, dans ses grands principes, y sera opposée. Mais je suis partisan de rappeler notre souci des finances publiques.
J'y suis, bien sûr, favorable. J'ai même déposé un amendement de repli, n° 19.
Il montre la continuité entre nos préoccupations. En proposant de rétablir la rédaction de l'Assemblée nationale, vous élargissez le champ des possibles, vous étendez la condition de transmission régulière à l'ensemble des droits de communication dont dispose l'administration - cela représente tout de même une quarantaine de procédures... Si mon amendement était rejeté, je serais favorable à celui-ci, qui va beaucoup plus loin que la rédaction, restrictive, de la commission des lois du Sénat.
L'expérience HSBC l'a prouvé, l'état du droit n'est pas satisfaisant du point de vue des finances publiques. Nous engageons donc tous les collègues à voter l'amendement n° 21 et à défaut l'amendement n° 19.
À l'article 11 sexies, l'amendement n° 18 vise à rétablir le passage de trois à six ans du délai de prescription du délit de fraude fiscale. Rétabli par l'Assemblée nationale, il a été à nouveau supprimé par la commission des lois. Mme Benbassa réitère sa proposition. Compte tenu de la complexité du délit de fraude fiscale et du temps nécessaire à son traitement par les agents de l'administration, cet allongement du délai de prescription me semble légitime. L'amendement correspond parfaitement à l'esprit du projet de loi, qui vise à renforcer les moyens de la lutte contre la fraude fiscale.
Chacun est libre ! Ces considérations ne sont pas des avis, puisque nous n'avons pas de délégation sur ces articles, mais de simples guidelines, des conseils pour le vote de demain.