Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 29 juin 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

Source

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission entend S. Exc. Tomasz Orlowski, ambassadeur de Pologne en France, sur les priorités de la présidence polonaise de l'Union européenne (audition conjointe avec la commission des affaires européennes).

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Avec le vice-président de la commission des affaires européennes, notre collègue Pierre-Bernard Reymond, nous sommes très heureux, Monsieur l'ambassadeur, de vous accueillir aujourd'hui au Sénat, pour cette audition conjointe de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes, consacrée aux priorités de la présidence polonaise de l'Union européenne.

Je voudrais également saluer la présence parmi nous du président du groupe d'amitié France Pologne du Sénat, notre collègue Yann Gaillard, à qui l'on doit notamment l'organisation, pendant l'été, dans le jardin du Luxembourg, de concerts de Chopin à l'occasion du bicentenaire de sa naissance.

Votre audition, qui renoue avec une ancienne tradition, vient à point nommé, car c'est à partir du 1er juillet, soit dans deux jours, que débutera la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne, qui s'achèvera à la fin de l'année. C'est la première fois que la Pologne exercera la présidence semestrielle du Conseil, depuis son adhésion à l'Union européenne en mai 2004. Or, si la présidence semestrielle du Conseil a perdu certaines de ses prérogatives, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne et la mise en place de la présidence stable du Conseil européen, elle demeure néanmoins un acteur essentiel du fonctionnement de l'Union européenne, notamment par sa capacité à donner les impulsions nécessaires et à faciliter les compromis au sein du Conseil.

Nous sommes donc très désireux de vous entendre nous exposer les priorités de la présidence polonaise.

Parmi ces priorités figure notamment le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune, à laquelle la France attache une grande importance, mais qui n'a guère progressé ces dernières années. Quelles sont les avancées concrètes qui pourraient être réalisées par la présidence polonaise sur ce sujet, alors que la plupart des pays européens ont réduit la part de leur budget consacrée à la défense ?

Nous aimerions également vous entendre au sujet de l'amélioration des relations avec la Russie. Vous avez co-signé une tribune remarquée dans le journal Le Monde avec votre homonyme, l'ambassadeur de Russie en France, où vous avez comparé la réconciliation polono-russe, après la tragédie de Smolensk, à la réconciliation franco-allemande. Pensez vous que ce rapprochement permettra réellement de renforcer les liens entre l'Union européenne et la Russie et que pensez vous de la situation de ce pays ?

Quel est votre sentiment à propos du « Partenariat oriental » et de l'évolution de vos voisins, comme l'Ukraine et la Biélorussie, ou d'autres pays, comme la Géorgie ou la Moldavie ?

Enfin, alors que nous célébrons cette année le vingtième anniversaire du « Triangle de Weimar », qui réunit périodiquement la France, l'Allemagne et la Pologne, que pensez vous du rôle de ce triangle et comment pourrait-il jouer un rôle plus important au sein de l'Union européenne ?

Voila plusieurs questions, mais je suis certain que Pierre-Bernard Reymond et d'autres collègues auront certainement d'autres questions à vous poser à l'issue de votre exposé.

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Tomasz Orlowski, ambassadeur de la République de Pologne en France

C'est un très grand honneur pour moi de pouvoir présenter devant vos deux commissions les priorités de la présidence polonaise de l'Union européenne et je voulais donc vous remercier pour votre invitation.

Avant d'évoquer ces priorités et de répondre à vos questions, je voudrais vous dire la très grande satisfaction de mon pays, à la veille de sa présidence du Conseil de l'Union européenne, pour la nomination d'une grande figure européenne, Mme Christine Lagarde, à la direction générale du Fonds monétaire international. La nomination d'une femme politique française, ancienne ministre du gouvernement français et d'une personnalité européenne de premier plan à la tête du FMI montre, en effet, que l'Europe est visible et qu'elle a un rôle essentiel à jouer sur la scène internationale.

A partir du 1er juillet, la Pologne exercera, pour la première fois depuis son adhésion à l'Union européenne, le 1er mai 2004, la présidence du Conseil de l'Union européenne.

Cela représente un moment particulier, car pour les Polonais, la perspective de l'adhésion à l'Union européenne était intimement liée à la volonté de retrouver leur place au sein de l'Europe, après la chute du communisme en 1989.

Forte de son expérience, qu'elle souhaite partager avec les autres Etats membres et partenaires, la Pologne souhaite donc placer sa présidence de l'Union européenne sous les auspices de deux mots d'ordre : la solidarité, qui est le nom du mouvement ayant permis de renverser le régime communiste, et l'optimisme, qui a permis de rendre possible ce qui paraissait aux yeux de beaucoup comme impossible.

Notre sentiment est qu'aujourd'hui, face à la crise, l'Union européenne a besoin à la fois de solidarité et d'optimisme, et que les deux se complètent mutuellement.

L'Union européenne a besoin de solidarité. Elle a besoin de solidarité à l'intérieur, entre ses Etats membres, entre les anciens et les nouveaux, entre les pays du Nord et du Sud, entre les régions riches et les régions pauvres, entre les villes et le monde rural. Elle doit aussi se montrer solidaire avec ses voisins du Sud ou de l'Est, et, plus largement, au niveau mondial. A cet égard, le fait que la présidence polonaise de l'Union européenne coïncide avec la présidence française du G8 et du G20 représente une réelle opportunité et nos gouvernements ont d'ores et déjà commencé à travailler ensemble et à se concerter étroitement.

Mais nous avons aussi besoin d'optimisme, car l'Europe connaît aujourd'hui un certain ralentissement, un manque de volonté, une absence d'enthousiasme. Or, seuls l'optimisme et une forte volonté politique seraient en mesure de relancer aujourd'hui le projet européen. Face aux pessimistes, nous voulons faire preuve d'optimisme. Nous pensons que l'Europe représente une réelle opportunité face à la crise économique et financière mondiale et qu'elle peut apporter une véritable plus-value.

Notre présidence se veut modeste et utile. Les priorités de la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne s'articulent autour de trois grands thèmes : la croissance économique, la sécurité et l'ouverture.

Ces trois priorités sont complémentaires. Il ne peut y avoir de croissance économique sans sécurité et sans ouverture au reste du monde, on ne peut s'ouvrir vers l'extérieur sans croissance et sans sécurité, et la sécurité dépend aussi de la croissance économique et des relations avec l'extérieur.

La première priorité porte sur l'intégration européenne en tant que source de croissance économique. Face à une situation économique et budgétaire très difficile, nous sommes convaincus que l'Union européenne, qui représente le plus grand marché et la première puissance commerciale, pourrait jouer un rôle de levier pour stimuler la croissance économique en Europe. Il nous semble en effet qu'une action au niveau européen peut avoir des effets d'économie d'échelle par rapport à des actions nationales.

Il nous faut tout d'abord remettre de l'ordre dans nos finances publiques, car c'est la condition de la confiance. L'Union européenne a tiré les conséquences de la crise financière : de nouveaux modes de gouvernance économique ont été mis en place, ainsi que de nouveaux outils, comme le mécanisme européen de stabilité, qui vise à éviter une éventuelle répétition de ces crises.

Nous pensons cependant qu'il faudrait maintenant passer à l'étape suivante et élaborer un nouveau modèle de croissance, qui permettrait à l'Union européenne de bénéficier dans les prochaines décennies d'une croissance économique suffisante pour assurer le bien-être de ses citoyens. Si l'Union européenne veut rester compétitive à l'échelle mondiale, elle ne peut pas se contenter de réformer ses finances publiques et de limiter les déficits budgétaires, mais elle doit impérativement engager des actions en faveur de la croissance.

L'achèvement du marché unique permettrait ainsi de réaliser des gains importants en termes de croissance économique, évalués jusqu'à 3 ou 4 % du PIB selon le rapport Monti.

Afin d'achever le marché unique, la Pologne souhaite, avec la Commission européenne, mettre l'accent, par exemple, sur la levée des obstacles au commerce électronique intra-communautaire, en supprimant les barrières nationales, techniques, administratives, juridiques ou financières, qui empêchent les opérations commerciales, comme les achats sur Internet entre les Etats membres.

La levée de ces obstacles, qui faciliterait la vie quotidienne des 500 millions de citoyens européens, aurait notamment un impact important pour les petites et moyennes entreprises.

La deuxième priorité concerne la sécurité. Même si la dimension militaire ne représente qu'un des aspects de la sécurité, je commencerai par ce sujet, qui nous tient particulièrement à coeur, à nous Polonais, comme à vous Français.

Quelles sont les raisons qui expliquent l'importance qu'attache la Pologne à l'Europe de la défense ? Je distinguerai trois raisons principales.

Tout d'abord, nous assistons au commencement d'un repli stratégique des Etats-Unis du continent européen, qui fait que l'Europe devra être en mesure d'assurer de plus en plus sa défense dans le futur.

Ensuite, dans un contexte marqué par une réduction sensible des budgets de la défense en raison de la crise, à l'exception notable de la Pologne, il est évident que ces réductions budgétaires devraient entraîner une coopération et des mutualisations accrues au niveau européen afin d'éviter les doubles emplois.

Comment expliquer, en effet, le nombre très élevé de projets industriels d'armement menés par les Etats membres et qui sont en concurrence ? Nous considérons qu'il serait souhaitable d'identifier quelques grands projets industriels en matière d'armement qui devraient être menés en commun et qui pourraient faire avancer la coopération industrielle en matière de défense au niveau européen.

La présidence polonaise souhaite donc travailler avec l'agence européenne de défense pour identifier certains projets présentés par des groupes d'Etats membres, procéder à une sélection d'ici la fin de l'année, et dégager quelques projets prioritaires au niveau européen.

Enfin, alors que j'entends encore souvent dire en France que la Pologne ne voit pas la politique de sécurité et de défense en dehors des Etats-Unis et de l'OTAN, je dois vous dire que l'évolution majeure de l'attitude de la Pologne à l'égard de l'Europe de la défense, ces cinq dernières années, a été facilitée par la décision courageuse du Président de la République française du retour de la France au sein du commandement intégré et des structures de l'OTAN. En effet, cette réintégration pleine et entière de la France au sein de l'OTAN a permis de lever le doute sur l'ambiguïté de la position française concernant les objectifs de la défense européenne, souvent perçue comme étant dirigée contre l'OTAN.

Les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du triangle de Weimar, c'est-à-dire la France, l'Allemagne et la Pologne, ont écrit une lettre à la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, afin de lui proposer une relance de la politique de sécurité et de défense commune, autour de quatre thèmes : le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations, le développement capacitaire, le développement des groupements tactiques et l'approfondissement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN. Cette lettre, dont nous attendons la réponse, constitue la « feuille de route » de la présidence polonaise en matière de politique de sécurité et de défense commune. A cet égard, le triangle de Weimar représente le meilleur cadre pour le renforcement de l'Europe de la défense.

La Pologne figure parmi les pays qui ont une forte volonté de renforcer la politique de sécurité et de défense et qui consacrent une part importante de leur budget à la défense, puisque la part du budget consacré à la défense se situe en Pologne à 1,95 % du PIB, soit à un niveau proche du seuil de 2 % recommandé par l'OTAN, ce qui représente une exception en Europe, avec le Royaume-Uni, la France et, encore jusqu'à présent, la Grèce.

Toutefois, il ne faut pas s'attendre, dans ce domaine, à des miracles sous la présidence polonaise. En effet, les premières consultations que nous avons menées avec les différents Etats membres, ces trois derniers mois, montrent qu'il n'existe pas aujourd'hui de volonté unanime d'avancer en matière de défense européenne.

Ainsi, le ministre polonais des affaires étrangères voulait aller très loin dans ce domaine et mettre en place la « coopération structurée permanente » prévue par le traité de Lisbonne, qui permet aux Etats qui le souhaitent et qui répondent à certains critères, d'aller plus loin en matière de défense, mais nous avons dû finalement y renoncer dans l'immédiat devant les fortes réticences de plusieurs pays membres. Ceux-ci veulent d'abord voir ce que l'on peut faire à vingt-sept avant d'envisager une coopération limitée à un groupe d'Etat. Sous présidence polonaise, plusieurs séminaires thématiques devraient être organisés et élaborer une série de recommandations.

Parmi les priorités de la présidence polonaise, en matière de défense, figure le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations, et notamment l'amélioration de la gestion civile des crises, à la lumière de l'expérience de la crise libyenne, qui pourrait peut-être donner lieu à une mission humanitaire européenne, après la phase militaire de l'opération de l'OTAN.

Nous soutenons aussi l'idée d'un quartier général européen, mais comme vous le savez, cette proposition se heurte toujours à de fortes oppositions de certains Etats membres.

Nous souhaiterions également développer les groupements tactiques, sur le modèle du groupement tactique des pays du triangle de Weimar, afin qu'ils puissent servir de réserve opérationnelle pour les interventions de l'Union européenne.

En matière de politique étrangère, et en particulier les relations avec la Russie, je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir mentionné la tribune conjointe que j'ai co-signée avec mon ami, l'ambassadeur de Russie en France, et qui n'est que le reflet de la position de nos deux pays.

Aujourd'hui, la Pologne, rassurée par sa position en Europe, apaisée dans sa politique intérieure et extérieure, est désireuse de renforcer ses relations avec la Russie. Et, nous savons que, malgré les difficultés qui subsistent, cette volonté est également partagée par la Russie. Cette volonté de renforcer la coopération entre l'Europe et la Russie, face à des défis communs, nécessite un certain temps de maturation, mais constitue une nécessité, car l'Europe et la Russie ne peuvent pas être considérées comme des adversaires, mais comme des partenaires l'une de l'autre, dont la coopération a vocation à se renforcer à l'avenir.

Pour la Pologne, ce rapprochement avec la Russie représente un choix stratégique et, dans le même temps, un défi comparable à la réconciliation franco-allemande. Toutefois, il est indispensable, car il permettra de renforcer à la fois la sécurité de la Pologne et sa position au sein de l'Union européenne.

Le fait que la Russie soit entrée dans une période électorale, avec l'approche des élections législatives de décembre et des élections présidentielles de 2012, ne facilite pas les choses, et il ne faut pas s'attendre à des avancées spectaculaires sous notre présidence, mais la Pologne s'efforcera d'encourager le renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie sur le long terme.

Le Président de la République de Pologne, Bronislaw Komorowski, a déclaré récemment que la Russie devrait, à l'avenir, avoir la même place, pour la Pologne, que l'Allemagne, et que la Russie occupe déjà une place comparable à la France en Pologne, notamment sur le plan économique.

Je voudrais également dire un mot du partenariat oriental. Ce n'est pas un exercice anti-russe puisque nous nous efforçons, dans le même temps, de renforcer les relations entre l'Union européenne et la Russie. A l'image de ce que la France a proposé pour les pays de la rive Sud de la Méditerranée, la Pologne souhaite mettre en place un processus pour favoriser les échanges entre l'Union européenne et ses voisins orientaux, afin de soutenir la croissance, la transition interne de ces pays et leur développement. Nous voulons aussi développer la coopération régionale, mais aussi la diffusion des valeurs européennes. Il n'y a donc pas de différence, dans notre esprit, entre la politique de voisinage au Sud et à l'Est, mais une politique unique de voisinage, qui s'efforce de favoriser la paix et la stabilité aux frontières de l'Union européenne.

En conclusion, je voudrais dire que la Pologne fonde beaucoup d'espoirs sur le triangle de Weimar. Nous sommes convaincus que le triangle de Weimar constitue une réponse à un certain manque de volonté politique et à l'affaiblissement de la construction européenne. Dans l'Europe à douze ou à quinze, le couple franco-allemand jouait le rôle de moteur de la construction européenne. Aujourd'hui, dans l'Europe élargie, le moteur franco-allemand semble insuffisant pour permettre à l'Union européenne d'avancer et il semble manquer un troisième rouage à ce moteur, qui pourrait être la Pologne. Telle est en tout cas la volonté de la Pologne.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Comment la Pologne aborde-t-elle la négociation sur le cadre financier 2014-2020 ? Quelle importance respective apportez-vous aux budgets de la PAC et à celui de la cohésion ? Que pensez-vous du rabais britannique ? Etes-vous favorable à un budget qui représente 1 % du PIB européen ?

La crise financière a sans doute affaibli l'enthousiasme de la Pologne quant à son adhésion à l'euro. La monnaie polonaise s'est dévaluée assez sensiblement pendant cette crise, et cela n'est certainement pas étranger aux bonnes performances de l'économie polonaise. Mais la Pologne a aussi montré une solidarité remarquable, à la fois dans le sauvetage la Grèce et dans sa participation au pacte de l'euro-plus. Quelle est votre position s'agissant de l'euro ?

Les contreparties du deuxième plan d'aide à la Grèce comportent notamment l'obligation d'un certain nombre de dénationalisations. J'espère que beaucoup d'entreprises européennes pourront se porter candidates, et que la Grèce ne deviendra pas, à cette occasion, une péninsule chinoise en Europe, comme la vente du port du Pirée pourrait nous le laisser craindre

Debut de section - Permalien
Tomasz Orlowski

Nous allons présider durant la période où le débat sur les perspectives financières va s'ouvrir. La Commission va présenter ses propositions de cadre pluriannuel demain dans la matinée. Elles devront être acceptées par le Parlement européen. Ensuite on passera à des arbitrages entre les pays membres. Les débats entre les chefs d'État et de gouvernement n'auront donc sans doute pas lieu pendant la présidence polonaise, mais plutôt l'année prochaine.

Mais nous avons proposé d'organiser à l'automne un séminaire pour examiner les contours des volontés de pays membres, et voir comment il est possible de concevoir un budget qui ne serait pas uniquement d'économie et de rigueur, mais qui serait tout de même porteur de solidarité et d'ambition. Pour cela il faut considérer que les restrictions dans les budgets nationaux ne doivent pas nécessairement impliquer des coupes identiques dans les budgets communs. Mais il faut bien sûr tenir compte de la charge pour les pays, qui ne peut être augmentée. Nous pensons que l'idée émanant de la France et de l'Allemagne d'avoir un budget basé sur le principe de 1 % du PIB est un point de départ, qui permettrait de garder une certaine ambition, et de donner des moyens pour que l'Europe puisse préparer des échéances telles que la réforme de la PAC ou le projet Europe 2020 pour la compétitivité de l'économie européenne sur le plan global. Nous pensons que la PAC et la politique de cohésion ne sont pas contradictoires, qu'on peut dégager un compromis entre la France et la Pologne qui corresponde à nos besoins, qui sont compatibles. L'essentiel est la solidarité. Sans solidarité, c'est-à-dire sans transferts, il n'y a plus d'Europe.

C'est pourquoi nous remettons en question le rabais britannique. Pour nous, il est inacceptable à long terme. Vous ignorez peut-être que la Pologne est le 4ème contributeur du rabais britannique. C'est une question sur laquelle la France et la Pologne peuvent se retrouver.

La Pologne, par le traité d'adhésion, a accepté de se doter de l'euro. Nous n'avons pas de dérogation. Pour nous, la question de l'entrée dans l'euro est donc déjà tranchée. Le problème est : quand ? En 2007, le gouvernement avait fixé la date de 2011, mais la crise financière a fragilisé les finances publiques polonaises, nous empêchant d'atteindre les critères de convergence. Nous adopterons donc l'euro au moment où les conditions seront remplies, aussi bien pour l'Europe que pour nous. Nous examinerons en effet la situation des marchés financiers européens pour décider du moment opportun.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Depuis quelques années, la Pologne a marqué son intérêt pour la défense européenne. On a vu revenir des unités polonaises dans différentes opérations, et je considère que c'est très positif. Mais, en ce qui concerne votre appréciation sur le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN, je ne la partage pas, au vu des retombées pour notre pays. Nous savons que les autres pays se sont réjouis de notre retour dans le commandement intégré, car ils suspectaient la France de vouloir opposer une sorte de caucus européen aux américains. Tel n'a jamais été le cas. Nous avons toujours marqué notre solidarité à l'égard de l'Alliance atlantique, sur le plan budgétaire et dans le cadre des interventions. Les militaires français ont toujours été au rendez-vous. Une suspicion illégitime a été entretenue à l'égard de la France. Mais maintenant, je pense qu'il sera difficile de revenir sur notre retour dans le commandement intégré, quel que soit le résultat des prochaines élections.

J'ai noté l'importance que vous accordez au « trimoteur » Allemagne-France-Pologne. Comment ressentez vous l'accord franco-britannique en matière de défense ? Comment percevez-vous la mise ne place d'un bimoteur au cotés du trimoteur ? Est-ce qu'il n'aurait pas été plus utile, selon vous, d'avoir tout de suite un quadrimoteur ?

Debut de section - Permalien
Tomasz Orlowski

Nous connaissons les raisons qui ont poussé la France à se rapprocher du Royaume-Uni, et nous pensons que c'est une décision légitime, qui est de nature à pouvoir aussi contribuer au projet européen.

L'accord franco-britannique n'est pas contradictoire avec le triangle de Weimar, mais l'étendue de ce dernier est beaucoup plus vaste. Nous en avons parlé comme d'une enceinte de concertation qui doit aller bien au-delà de la politique européenne de défense. Le rapprochement franco-britannique concerne, quant à lui, des domaines bien précis, et est fondé sur des conditions objectives pour les partenaires, comme le fait d'avoir un siège permanent au Conseil de sécurité, de disposer de forces indépendantes de dissuasion nucléaire, et d'avoir des intérêts géostratégiques complémentaires. Mais on peut aussi penser que cet accord permettra de faire avancer l'Europe de la défense. Il n'est en effet pas dit que celle-ci doit naître d'un seul projet. Nous pouvons concevoir que plusieurs projets auront un jour la masse critique qui permettra à l'Europe d'avancer. Prenez l'exemple de l'Eurocorps, dont la Pologne est devenue le 7ème pays depuis 4 ans. La coopération franco-britannique, une fois renforcée et structurée, pourrait travailler avec d'autres pays au sein de l'Union dans l'accomplissement de missions confiées par l'UE.

Je ne pense pas que l'on puisse envisager un quadrimoteur. En revanche, si nous avançons dans la cadre de Weimar, il nous faudra consulter nos amis britanniques pour savoir jusqu'où ils sont prêts à nous suivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Deux questions se posent aujourd'hui autour de Schengen. D'une part, le Conseil doit se prononcer sur une date éventuelle d'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie. Il y a des réticences dans certains pays. La Commission doit faire des propositions qui ne manqueront pas de susciter une discussion au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat.

D'autre part, se pose la question de l'éventuelle modification des accords de Schengen, avec les contrôles ponctuels aux frontières intérieures. Certains les critiquent mais d'autres les appliquent. On l'a vu entre la France et l'Italie.

Ces deux questions seront soulevées pendant votre présidence. Comment comptez-vous les gérer, sachant que la présidence suivante sera celle du Danemark, dont la position vis-à-vis de Schengen est bien connue ?

Debut de section - Permalien
Tomasz Orlowski

La formulation qui a été adoptée par le dernier Conseil européen nous convient amplement. Notre conviction première est que Schengen représente la réalisation de la libre circulation des personnes. Pour un pays qui a connu, il y a encore vingt ans, des frontières qui délimitaient le monde communiste, la libre circulation est une valeur très importante. Pour vous, elle s'est pour ainsi dire banalisée, comme pour mes enfants. Il faut comprendre notre vécu, nous sommes tous sensibles au fait que l'Europe sans frontière est un privilège. Tel est notre point de départ. Aucun amendement du code de Schengen ne doit entrainer la diminution de cette liberté si importante.

Mais on peut apporter des amendements à Schengen qui ne touchent pas à la libre circulation, en créant des conditions qui permettront d'aider les pays défaillants dans le contrôle des frontières. De telles mesures ne remettent pas en cause la libre circulation, mais ciblent les pays qui, pour des raisons objectives, ou subjectives, et c'est là le problème, ne sont pas en mesure d'assurer le contrôle de la frontière extérieure.

Nous avons deux cas de figure : le pays submergé, comme l'Italie, mais aussi le pays qui ne remplit pas ses engagements. Pour ce cas, il faudrait peut-être penser à un système, difficile à mettre en place, de sanctions. Mais, aujourd'hui, la question est surtout l'assistance aux pays qui ne sont pas en mesure de contrôler leurs frontières. Je souhaite ajouter que la Pologne est pays hôte de l'agence Frontex, et que notre ministère de l'intérieur l'aide au quotidien. Elle a sûrement trop peu de capacités par rapport à ses missions. Nous sommes donc satisfaits de son renforcement. Nous avons la conviction que Schengen doit être plus rigoureux avec les pays qui ne sont pas en mesure de remplir leurs obligations.

Et il ne s'agit pas uniquement de la Roumanie et de Bulgarie, qui sont otages de la situation, et vivent le retardement de leur entrée comme une atteinte à leur prestige national. D'ailleurs les pays les plus critiques commencent à s'apercevoir que ces pays ne sont pas seuls en cause, et paient aussi pour les insuffisances des autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Nous sommes tous interpellés par le dossier de l'euro-Méditerranée. Les événements de Libye et le printemps arabe devraient consolider une volonté euro-méditerranéenne. Peut-être faut-il l'équivalent d'un plan Marshall pour accompagner le mouvement vers la démocratie, par le nécessaire développement économique.

La Pologne envisage-t-elle l'ouverture de nouveaux chapitres de négociation avec la Turquie ?

Au sujet de la politique régionale et de la cohésion, quelle est la position de la Pologne sur les régions intermédiaires, pour une vraie politique de cohésion qui bénéficie à l'ensemble des régions, même si elles ne sont pas en dessous du seuil ? Dans ce domaine, est-ce que la Pologne soutient une politique européenne de la montagne ? Quelle sera la position de la Pologne au sujet de l'avenir de la PAC, qui préoccupe énormément les régions françaises ?

Debut de section - Permalien
Tomasz Orlowski

Nous voulons affirmer tout notre engagement en faveur de la Méditerranée. La Pologne souhaite aider à la transformation de la société civile. Nous aidons particulièrement la Tunisie. C'est un pays dont la taille convient à la Pologne, il est plus développé sur le plan des droits de l'homme et de la femme. Nous souhaitons avant tout y favoriser ce qu'on appelle la « deep democracy ». Lors de la transition démocratique à l'Est, très souvent on aidait les pays à rédiger leur Constitution, leurs lois électorales. Nous voulons davantage faire comprendre aux populations ce que signifie participer à la vie démocratique. C'est une expérience que nous avons acquise durant les 20 dernières années. Pour vous, c'est de l'histoire ancienne, vous y êtes habitués. Pour nous, c'est une expérience que nous avons vécue personnellement. Nous avons soumis l'idée, qui a été acceptée par le Conseil, d'une fondation européenne pour la démocratie. Elle sera un instrument pour favoriser l'émergence de la société civile dans les pays du Maghreb.

Un plan Marshall relève davantage du G8, cadre plus approprié pour créer ce genre d'investissements massifs en faveur de l'économie des pays en question. Il ne devra pas se limiter uniquement aux transferts financiers, mais favoriser aussi les 3 M : mobilité, marché et médiation. Sommes-nous prêts à ouvrir notre marché agricole à des produits venant du monde méditerranéen ? Il faut sans doute un plan Marshall, mais il faut aussi et surtout l'ouverture des marchés, et il faut faciliter la transition démocratique, pour que l'aide ne finisse pas dans les poches des catégories dont les membres sont aujourd'hui jugés pour corruption.

Nous souhaitons ouvrir le chapitre de la concurrence dans le cadre des négociations d'adhésion avec la Turquie. Nous avons pour cela le soutien de la France.

En ce qui concerne le statut des régions intermédiaires, nous regardons cette idée avec intérêt. Elle pourra rendre la politique de cohésion plus importante pour la Communauté entière, et lui assurer ainsi un plus large soutien. Mais le débat n'est pas encore assez avancé pour que nous disions si nous soutenons ou non.

Notre vision de la PAC est simple. Il faut favoriser l'intégration de l'agriculture européenne dans les marchés mondiaux, mais ne pas oublier les régions et les producteurs marginalisés. L'aspect environnemental, l'aménagement du territoire, et aussi l'aspect social sont des éléments de la réforme de la PAC. Nous ne voulons pas d'une politique orientée uniquement vers la production, et pas assez sur une reconnaissance du rôle civilisateur des agriculteurs dans leur région.

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission entend une communication de MM. Josselin de Rohan, Jacques Berthou et Mme Michèle Demessine sur le déplacement d'une délégation de la commission en Afghanistan du 20 au 24 juin 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Nous nous sommes rendus en Afghanistan avec Jacques Berthou et Michelle Demessine, du 20 au 24 juin dernier. L'objectif principal de notre déplacement était d'évaluer le processus de transition. Le 23 juin, le Président Obama a annoncé, comme il s'y était engagé, le début de retrait des troupes américaines envoyées en renfort, le « surge », il y a un peu plus d'un an. Le gouvernement français a, à la suite de cette annonce, indiqué également un début de désengagement militaire. La transition devant permettre, à terme, le désengagement par transfert des responsabilités aux autorités afghanes. Notre mission était particulièrement opportune.

Notre mission a été extrêmement complète et dense. Je tiens du reste à en remercier notre ambassadeur, M. Bernard Bajolet, ainsi que notre attaché militaire, le colonel Eric Fournier, pour la parfaite organisation de cette mission.

Elle nous a permis, durant les deux premiers jours, de rencontrer les responsables militaires et les troupes françaises et de nous déplacer sur le terrain, sur les FOB de Nijrab et de Tora. Nous avons également pu échanger avec les troupes de l'armée afghane qui sont associées aux troupes de la coalition occidentale, rassemblées dans la FIAS, à l'entraînement ou sur le terrain.

Les deux jours suivants ont été consacrés à des entretiens politiques à Kaboul. Nous avons ainsi rencontré le ministre des affaires étrangères, M. Zalmay Rassoul, et celui de la défense, le général Rahim Wardak. Nous avons également eu des entretiens très libres avec les commissions du Parlement bicaméral afghan. Enfin, nous nous sommes entretenus avec les responsables de la FIAS, notamment le général Gilles Fugier, le général David Rodriguez ainsi qu'avec le Haut représentant civil de l'OTAN, M. Simon Gass.

Je voudrais tirer les principaux enseignements de cette mission que nous pouvons articuler autour des quatre points suivants :

- la présence de la communauté internationale en Afghanistan, et, au sein de celle-ci, la participation française, est, et demeure, parfaitement justifiée. De ce point de vue, l'élimination d'Oussama ben Laden, si elle constitue un gain psychologique n'a pas véritablement d'impact sur le rapport de forces, même si le djihadisme international reste présent ;

- l'ensemble de nos interlocuteurs politiques ont particulièrement insisté sur la nécessité de ne pas procéder à un retrait précipité des troupes de la coalition occidentale, mais d'accompagner, selon le plan prévu par le sommet de l'OTAN à Lisbonne, le processus de transition, c'est-à-dire jusqu'en 2014 ;

- le processus de transition comporte des éléments positifs et d'autres qui le sont moins. Parmi les éléments positifs, nous avons été particulièrement frappés par les progrès remarquables accomplis par les Forces nationales de sécurité afghanes (FNSA), Armée comme Police. Par contre, en dépit d'une tendance positive, mais aussi parfois de reculs préoccupants, d'importants progrès sont encore à faire en matière de gouvernance, de lutte contre la corruption, de justice. De même, des interrogations se font jour sur le processus de réconciliation-réintégration ;

- enfin, le devenir de l'Afghanistan dépend aussi des relations régionales et, pour l'essentiel, de la politique du Pakistan et de l'évolution de ce pays ;

Je vais revenir sur chacun de ces points, mais je voudrais au préalable vous donner une rapide estimation de la situation sécuritaire en Afghanistan aujourd'hui, telle que nous avons pu la percevoir.

Le « surge » décidé par le président Obama et l'application de la stratégie de contre-insurrection (COIN), avec les grandes offensives qui ont été menées dans le Sud et l'Ouest, la persistance de l'action menée à l'est, en particulier par les forces françaises en Surobi et Kapisa, ont fait perdre à l'insurrection la capacité d'affrontement direct dont elle disposait en 2010. Par ailleurs, l'action des forces spéciales sur les dirigeants et l'utilisation des drones armés ont considérablement impacté les dirigeants de l'insurrection. L'efficacité de cette action se mesure au changement de stratégie des insurgés dont l'action se concentre sur les IED et les attentats, avec la multiplication des attentats suicides. Il faut du reste rappeler que l'essentiel des pertes civiles est dû à l'action des insurgés, même si les pertes collatérales sont encore trop nombreuses.

Comme le montre la diapositive qui vous est projetée, la stratégie de l'Alliance consiste à élargir progressivement les poches de sécurité, et à les relier les unes aux autres dans la zone dite le « ring » qui entoure le centre de l'Afghanistan et où est concentré l'essentiel de la population. Il s'agit également de sécuriser les axes de communication et de commercialisation ainsi que les zones de production. L'objectif est de protéger la population, de lui donner les conditions sécuritaires du développement et de repousser les insurgés dans les zones inhabitées ou non productives. C'est une stratégie globale qui consiste à installer les éléments constitutifs d'un Etat de droit : autorités légales, police, justice....

La question fondamentale qui se pose est de savoir si, comme nous l'avons connu en Algérie, la victoire militaire que revendique le commandement ne s'accompagne pas d'une défaite politique. En d'autres termes, un colonel de l'armée américaine, Dan Williams, résumait la guerre en Afghanistan en disant : « victoires tactiques, impasse stratégique ». La difficulté de la stratégie de contre-insurrection, qu'ont du reste souligné nos collègues britanniques de la chambre des Communes dans un rapport récent de février 2011, serait l'incapacité de trouver une autorité afghane crédible pour occuper l'espace créé par les succès tactiques de la FIAS. De ce point de vue, l'action française en Surobi et Kapisa constituerait plutôt un contre-exemple, puisque des autorités locales, police, justice, ont pu être implantées, et les axes sécurisés, tandis que des actions de développement (électrification, eau...) étaient entreprises grâce à l'action combinée de trois acteurs : le pôle de stabilité français, les actions civilo-militaires (CIMIC) et les projets mis en oeuvre par la Provincial reconstruction team (PRT) américaine.

Face à ces interrogations, nous avons pu constater la confiance des responsables militaires de la FIAS, comme le général Rodriguez ou le général Gilles Fugier, mais aussi du général Maurin, commandant de la Task Force La Fayette (TFLF), et de son état-major, ou encore du ministre de la défense, le général Wardak. Il n'en demeure pas moins, comme le reconnaissait ce dernier, que le niveau des affrontements a progressé mécaniquement de 20 à 30 % du fait de l'intensification des opérations, dans le cadre du Surge qui a permis de lancer des opérations dans des zones précédemment sous contrôle des insurgés. Les généraux américains constatent qu'alors qu'en 2010 les insurgés avaient l'initiative, aujourd'hui leur situation s'est considérablement dégradée et que le rapport de forces s'est inversé. Quoi qu'il en soit, face à la forte cohérence de la stratégie militaire, nous ne pouvons que constater la résilience de l'insurrection. Il y a, de plus, un aspect où les insurgés excellent, c'est la communication dont ils font une arme redoutable. De ce point de vue, je crois que la nôtre est perfectible. La situation est également fragile de fait de la lassitude des opinions publiques occidentales, mais aussi afghanes, et du contexte électoral que nous connaissons. Enfin, il est vrai que le redressement de nos finances publiques est également une question d'indépendance et de sécurité nationales. C'est dans ce contexte complexe et difficile à appréhender dans toutes ses multiples facettes que s'est inscrite notre mission.

J'en viens à présent au premier point de mon intervention sur la persistance des raisons qui nous ont conduits à intervenir en Afghanistan.

1 - Les raisons qui ont conduit à l'intervention occidentale en 2001 sont toujours valables.

L'intervention américaine, puis de l'OTAN, en Afghanistan, à partir de 2001, à été naturellement déclenchée par les attentats du 11 septembre et la volonté de faire en sorte que ce pays ne soit plus une base pour le terrorisme international et pour Al Qaeda. S'il est exact qu'Al Qaeda a dominé le gouvernement taliban de l'époque, qu'il finançait, ce mouvement était déjà considérablement affaibli au moment de l'élimination d'Oussama ben Laden. Cet événement n'apporte pas de fait nouveau aux raisons de notre engagement. Il est néanmoins une vraie victoire psychologique sur les talibans. En revanche, d'autres mouvements très radicaux s'inscrivant dans le jihad global et ayant pour certains une capacité de projection en Europe et aux Etats-Unis ont pris le relais, qu'il s'agisse de mouvements pakistanais (LET - Lashkar-e-Toiba, TTP - Tehrik-e-Taliban, etc) ou de mouvements turcophones (MOI - Mouvement islamique d'Ouzbékistan ou UJI - Union du jihad islamique) présents dans le nord de l'Afghanistan, notamment.

Quels sont nos objectifs en Afghanistan ? Ils me paraissent extrêmement clairs et clairement affichés. J'en vois trois principaux :

 · en premier lieu, éviter que ce pays ne redevienne une base pour le terrorisme international. Outre l'importance grandissante des mouvements que je viens de citer, une menace extrêmement sérieuse provient des jihadistes originaires d'Europe, présents dans les zones tribales des FATA (Federally administered tribal areas) au Pakistan. Le risque de voir l'équivalent des FATA en Afghanistan doublerait le risque actuel. Mais surtout qu'il ne soit pas un foyer d'instabilité régional et mondial. La déclaration du Sommet de Lisbonne, en novembre 2010, établit un lien clair entre la sécurité future de l'Alliance et la sécurité future de l'Afghanistan. L'insécurité et l'instabilité de l'Afghanistan impactent la sécurité en France. C'est la principale justification de notre intervention aux côtés de nos alliés.

 - en deuxième lieu, contribuer à l'établissement d'un Afghanistan souverain, indépendant, démocratique, sûr et stable.

- enfin, stabiliser le Pakistan et faire en sorte qu'il ne soit pas un facteur de déstabilisation.

Quelle est notre stratégie pour atteindre ces objectifs ? Depuis la réunion de l'OTAN à Bucarest en 2008, cette stratégie porte un nom : l'Afghanisation. Elle s'inscrit dans un processus : la transition. C'est une stratégie globale qui consiste à aider les Afghans à prendre progressivement en charge leur propre sécurité et à construire un État. C'est indiscutablement aussi une stratégie de sortie, ce qui ne signifie nullement un abandon, puisque l'OTAN et les puissances occidentales s'inscrivent dans un partenariat de long terme avec l'Afghanistan, établi à Lisbonne. De même, les Américains tout comme l'OTAN sont en train de négocier un partenariat stratégique dont l'existence est importante pour montrer aux insurgés la pérennité de l'engagement de la communauté internationale et donc la vanité de leurs efforts.

Cette stratégie globale s'inscrit dans une analyse d'ensemble au sein de laquelle l'action militaire est l'un des éléments mais non le seul. Nous avons été intéressés par le fait que la FIAS, tout comme l'armée américaine, distingue 4 ennemis de l'Afghanistan :

- l'insurrection,

- la faible gouvernance,

- les réseaux criminels,

- les mauvaises pratiques internationales.

Pour la mise en oeuvre de cette stratégie, nous nous sommes fixé une date à Lisbonne : « À l'horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l'ensemble de l'Afghanistan ». La décision de l'OTAN indique de la manière la plus expresse que « la transition sera soumise au respect de conditions, pas d'un calendrier, et qu'elle n'équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS. »

2 - Deuxième point : le processus de transition est amorcé sur le terrain

Première remarque liminaire sur les principaux acteurs de la transition : nos quatre mille hommes.

Pour assurer leur mission nous avons pu constater que nos troupes sont bien équipées et particulièrement motivées en dépit des pertes douloureuses qu'elles subissent. Il y a un réel changement par rapport à ce que nous avions pu constater lors de nos précédentes missions. En particulier l'arrivée sur le théâtre des hélicoptères Tigre, du Rafale, du VBCI, la modernisation des VAB, en particulier avec les tourelleaux téléopérés, le canon César, l'équipement individuel du fantassin, les progrès en matière de numérisation du champ de bataille ....contribuent puissamment à l'efficacité de nos actions. Il faut également souligner les prodiges qu'effectuent les équipes de maintenance et de MCO. A cet égard, il faut saluer les performances du bataillon logistique, le BATLOG que nous avons visité au camp de Warehouse.

Il reste certes des améliorations à apporter, notamment en matière de drones et d'hélicoptères lourds, mais, globalement parlant, les matériels mis à disposition de nos hommes sont de premier ordre. Nous avons pu une nouvelle fois constater la tenue et le moral de nos troupes, à tous les niveaux, qui font honneur à la France. Comme le disait le général Maurin, commandant le la Task Force Lafayette, nos troupes sont à l'image de la France. C'est une vérité que nous ne soulignons pas assez.

S'agissant de la transition, je vous rappelle que le processus d'élection des provinces ou des districts est amorcé au niveau local. Après avoir été avalisée par l'OTAN, la décision finale de transfert des responsabilités relève de la présidence afghane. Le président Karzaï a arrêté en mars la liste des premières provinces qui feront l'objet de la transition.

Le processus de transition était prévu initialement en quatre tranches, très récemment passées à six sur un rythme de deux par an : deux en 2011, deux en 2012 et deux en 2013, toutes les troupes combattantes étant théoriquement parties fin 2014.

Il est important de comprendre que la transition est un processus qui s'inscrit dans le temps (18 à 24 mois) et qu'elle s'organise en quatre phases dont le déroulé permet un transfert progressif des responsabilités en matière de sécurité aux FNSA et un retrait des troupes de la coalition :

- Phase 1: maintien de toutes nos capacités en appui des FNSA

- Phase 2 : maintien d'une force de réaction rapide et d'appuis

- Phase 3 : maintien d'appuis

- Phase 4 : conseil

Dans la zone sous responsabilité française, nous estimons que la Surobi pourra être inscrite en tranche 2 pour un début du processus d'ici la fin 2011 (phase 1) et donc une phase 2 vers mars 2012. Nous avons pu constater sur place que ce processus est possible. L'une des missions de la relève qui vient d'arriver, armée par le 152ème régiment d'infanterie de Colmar, que nous avions rencontré à l'entrainement à Canjuers, sera de terminer la pacification de la vallée d'Uzbeen.

Pour la province de Kapisa, où les conditions de la transition ne sont pas encore réunies, nous visons une annonce dans la troisième ou la quatrième tranche, pour un début du processus en juillet ou en fin 2012. Ce qui achèverait notre mission dans cette province un an ou un an et demi plus tard.

Nous nous inscrivons donc bien dans le calendrier décidé par l'OTAN à Lisbonne puisque, si ce processus n'est pas retardé, cela nous conduit à terminer la transition en zone française courant 2014.

Afin de tenir ces délais sans perte de cohérence, il faudrait redéployer les troupes libérées de Surobi en Kapisa. Ce schéma n'exclut pas des retraits limités dont les termes ont précisément été énoncés par le Président de la République. Si toutefois le chiffre d'un retrait portant sur 1 000 hommes était confirmé, il me semble qu'il serait de nature à modifier profondément les conditions de notre intervention.

L'audition qui suivra, du ministre de la défense, permettra d'en clarifier les termes. Je vous rappelle néanmoins le contenu du communiqué de l'Elysée :

- le processus de transition des responsabilités de sécurité au profit des autorités afghanes se poursuivra jusqu'en 2014, conformément aux objectifs de Lisbonne ;

- la France reste pleinement engagée avec ses alliés aux côtés du peuple afghan pour mener à son terme le processus de transition ;

- compte tenu des progrès enregistrés, elle engagera un retrait progressif de renforts envoyés en Afghanistan, de manière proportionnelle et dans un calendrier comparable au retrait des renforts américains. Ce retrait se fera en concertation avec nos alliés et avec les autorités afghanes.

Disons les choses clairement, si l'on doit faire le même travail avec moins d'effectifs cela risque de se traduire que par un allongement des délais de pacification et de stabilisation en Kapisa et par une augmentation des risques pris par nos troupes. Cette augmentation des risques résulte du fait que la perte de cohérence est plus que proportionnelle à la baisse des effectifs. Ainsi un retrait de 25 % peut il avoir un impact très supérieur sur le niveau opérationnel.

Pour terminer sur ce point, l'ensemble de nos interlocuteurs afghans, civils ou militaires, ont particulièrement insisté sur le fait qu'un retrait brusque des troupes de la coalition internationale était impérativement à éviter car il remettrait en cause l'ensemble du processus et ne profiterait qu'aux insurgés. Tous ont souligné que, si des progrès remarquables ont été faits par les forces de sécurité afghanes, la montée en puissance de celles-ci, pour prendre le relais de la sécurité sur le terrain, ne pouvait pas être accélérée. L'idée selon laquelle le retrait des troupes de la coalition serait compensé et, au-delà, par des troupes de l'ANA, est extrêmement optimiste aujourd'hui. Il convient donc, selon nos interlocuteurs afghans unanimes, de s'en tenir strictement au calendrier de Lisbonne.

2 - Points forts et points faibles du processus de transition

A - la montée en puissance des forces de sécurité afghanes (FNSA)

Le principal point fort du processus de transition c'est l'indéniable montée en puissance des forces nationales de sécurité afghanes, élément central de l'afghanisation.

C'est sans doute le grand succès de la FIAS. Par rapport à la mission que nous avions effectuée fin 2009, les progrès sont spectaculaires et tout à fait encourageants. Ils sont, bien évidemment la condition sine qua non de la transition.

L'objectif à attendre pour octobre 2011 est de 305 600 hommes pour l'ensemble des forces de sécurité dont 171 600 pour l'Armée nationale afghane (ANA) et 134 000 pour la police nationale (ANP).

La devise qui préside à cette formation est « Shohna ba Shohna », c'est-à-dire « épaule contre épaule ». Elle décrit bien l'état d'esprit de cette coopération. Notre délégation a pu s'entretenir avec les responsables français du programme EPIDOTE et assister au Kabul Military Training Camp (KMLT) à des séances de formation et à des exercices de l'ANA. Ces démonstrations nous ont permis de constater non seulement la qualité et l'efficacité de la formation mais aussi la motivation des hommes et la confiance entre formateurs et formés.

A Nijrab comme à Tora, les unités françaises passent progressivement du système des OMLT (Operational Mentor and Liaison Team), ce qui signifie, en français, Equipe de Liaison et de Tutorat Opérationnel, où des militaires français suivent des unités afghanes pour les conseiller, à un véritable partenariat où toutes les opérations sont faites en commun et de plus en plus dirigées avec les militaires afghans au sein de véritables binômes.

C'est ainsi que s'effectue un travail d'état-major au niveau des deux brigades et que les groupements tactiques sont binômés avec leurs homologues afghans (kandaks). Au niveau des compagnies afghanes, elles sont soit binômées avec une compagnie française, soit conseillées par une équipe française (OMLT).

L'objectif de la mission est de passer par quatre étapes qui vont de la formation en passant par le conseil, qui requiert toujours une assistance, au « mentoring » où celle-ci est considérablement allégée pour aboutir au « monitoring » sans assistance.

Ce sont les Etats-Unis qui supportent la principale responsabilité de la formation (opération NTM-A) en soulignant, à juste titre, que si la quantité est importante, la qualité est impérative. Un effort particulier est fait dans trois domaines : la formation des officiers, l'alphabétisation et la précision des tirs.

En matière d'équipement, 7,7 milliards de dollars ont été consacrés depuis 2009 et une enveloppe supplémentaire de 4,9 milliards est prévue. Le coût global de la mission NTM-A est de 1,4 milliard de dollars par mois, ce qui est relativement peu rapporté aux 110 milliards qui sont dépensés chaque année pour l'Afghanistan. Dans la période de post-transition, on estime que les besoins de fonctionnement se monteront à 8 milliards de dollars par an. Se posera donc la question de la soutenabilité financière à long terme.

Bien que cette mission de formation soit indéniablement une réussite, des progrès sont encore à faire, notamment sur les questions de planification des opérations, de gestion des appuis ou encore de logistique, qui justifient la poursuite de l'effort entrepris. Une aide sera toujours nécessaire, en particulier pour ce qui concerne l'appui aérien et l'appui feu, ou encore en matière de partage du renseignement.

Il faut également souligner la persistance d'un taux d'attrition trop élevé, estimé à 2,7 % dont le maintien à ce niveau pourrait mettre en péril les objectifs de progression quantitatifs des FNSA. Enfin, dernière difficulté : la composition ethnique de ces forces. L'objectif est d'avoir une armée interethnique, mais les pesanteurs et l'histoire rendent cet objectif difficile à atteindre.

Dans ce domaine de la formation, la France, avec l'opération EPIDOTE de formation des officiers et des formateurs, obtient des résultats remarquables qu'il convient de saluer.

Une des questions qui se posera, à terme, sera la transformation de cette armée de contre-insurrection en une armée de défense nationale au format plus resserré, adapté aux menaces du nouvel Etat. Mais nous n'en sommes pas encore là ! J'observe que l'aboutissement du processus de réconciliation devrait avoir des conséquences positives puisqu'il permettrait non seulement de s'assurer de la cohésion des forces de sécurité et de leur loyauté mais aussi de limiter, voire de supprimer l'attrition.

De même, nous avons pu constater le travail remarquable fait par nos gendarmes au sein des POMLT (Police Operational Mentor and Liaison Team).

Jean Faure, notre rapporteur Gendarmerie, et Jacques Gautier s'étaient rendus sur place l'année dernière et nous avaient fait un rapport circonstancié sur l'action de nos gendarmes. Deux écoles de police sous responsabilité de la Gendarmerie sont en place à Mazar et à Wardak. Pour cette dernière dans des conditions de sécurité précaires sur lesquelles nous avons attiré l'attention du général Rodriguez.

Le développement de la police est une condition essentielle de la sécurisation. Elle s'accompagne d'un changement d'image et de comportement de la police afghane auprès de la population. Beaucoup reste encore à faire, en particulier pour lutter contre la corruption et le racket auxquels se livrent certains policiers.

Une initiative extrêmement intéressante a été prise depuis août 2010 : la création d'une police de proximité, l'ALP (Afghan local police).

Recrutés au niveau local avec l'accord des « barbes blanches », ces policiers sont des habitants des villages dont ils assurent la sécurité et l'autodéfense. Ils s'inscrivent néanmoins dans une chaîne de commandement du ministère de l'intérieur représenté par le chef de la police du district. Ils n'ont pas de pouvoirs de police judiciaire. Ce sont des auxiliaires de sécurité de la police nationale. Il existe aujourd'hui 14 districts de l'ALP qui comptent 2 800 « policiers locaux ». L'objectif est de 10 000. Cette police de proximité est particulièrement efficace pour défendre les intérêts de la population au plus bas niveau de proximité. Les talibans ont bien identifié que cette nouvelle structure constituait une menace pour eux et ils l'attaquent.

Un des points importants que nous avons pu relever lors de notre mission sont les progrès indispensables faits en matière de coordination. La coordination entre tous les acteurs de la sécurité (ANA, ANP, ALP) est assurée par des OCC (operational coordination center) aux différents niveaux administratifs : régional, provincial et de district. Notre action vise à encourager la coordination et le dialogue entre les différents acteurs de la sécurité.

La conclusion que nous pouvons tirer est que la montée en puissance des forces de sécurité afghanes est une réalité. Ce succès rend la transition crédible mais les aspects sécuritaires de ce processus global ne sont pas les seuls à prendre en compte.

Les progrès trop lents en matière de gouvernance et de lutte contre la corruption menacent la bonne fin du processus.

B - des progrès trop lents en matière de gouvernance

La gouvernance est un aspect particulièrement important pour s'assurer du caractère durable des transferts et donc de la pérennité des efforts que nous consentons. La construction d'un État en Afghanistan est un véritable défi puisque, historiquement parlant, il n'a jamais connu d'autorité centrale. La première perception de l'autorité par les afghans, et je dirais la plus importante, est au niveau local, d'où l'importance de la coopération aux niveaux décentralisés.

La constitution afghane adoptée par la Loya Jirga constitutionnelle est sans doute trop centralisatrice. Une étape de déconcentration, plus qu'une décentralisation, qui serait peut être encore prématurée, devrait être étudiée. Il me paraît en tout cas évident qu'il faut développer les niveaux locaux d'autorité et de décision même si cette direction ne convient pas aux responsables politiques actuels désireux, au contraire, d'exercer un pouvoir très centralisé et de plus en plus personnel.

a - la tentation du coup d'Etat institutionnel rampant

Après une élection présidentielle très contestable puisqu'elle n'a pas connu de second tour alors que le président Karzaï était en ballotage, les élections législatives ont été entachées par des fraudes et de très nombreuses contestations. La commission des plaintes électorales, dont il faut souligner la fermeté, a ainsi invalidé 10 % des élus dont des proches du président. Ce dernier a institué, en représailles, un tribunal spécial, composé de cinq juges, chargé d'enquêter sur les conclusions de la commission électorale indépendante et de la commission des plaintes. De même, le procureur général, proche du président, a diligenté des enquêtes pour fraude et abus de pouvoir contre les membres de ces deux commissions. Il s'agit bien évidemment de tentatives du président Karzai pour modifier le résultat des élections qui ne lui convient pas. Comme l'a indiqué récemment M. Staffan de Mistura devant notre commission, le président Karzaï a longtemps refusé de venir inaugurer la nouvelle assemblée législative. Cette assemblée, la Wolesi Jirga, a connu une modification importante de sa représentation ethnique, avec une baisse très significative du nombre des parlementaires d'origine pachtoune du fait des invalidations et du faible taux de participation en raison des conditions de sécurité dans le Sud pachtoun. Ceci est naturellement à l'origine des fortes tensions entre le président et l'assemblée. Selon les experts, une réforme du système électoral est impérative pour établir un véritable pluralisme politique en Afghanistan et permettre la structuration de la vie politique à travers des partis. C'était l'une des ambitions du Dr Abdullah Abdullah, que nous avons auditionné cette année, qui n'a pas réussi une percée électorale.

Le conflit entre le Parlement et le président est ouvert, comme nous avons pu le constater lors des entretiens que nous avons eus avec les commissions parlementaires.

Si l'on ajoute aux tentatives du président Karzaï, pour contester le résultat des élections, sa volonté de contourner le Parlement en convoquant une Loya Jirga pour entériner le projet de partenariat avec les États-Unis, on se trouve en présence d'une véritable tentative de coup d'Etat constitutionnel. De son côté, la Wolesi tarde à donner son aval à la composition du gouvernement.

Lors de notre visite au Parlement, nos interlocuteurs ont également souligné la qualité et l'importance de la coopération menée avec nos assemblées et, en particulier, avec le Sénat. La poursuite de cette coopération est tout à fait souhaitable.

b - la persistance du fléau de la corruption

Second point faible du processus de transition, nous ne pouvons que déplorer vivement le manque de volonté politique du gouvernement afghan et du président Karzaï lui-même pour lutter contre la corruption. Ce mal endémique s'inscrit dans l'histoire et dans les moeurs, mais quand on sait que la montée en puissance du réseau Haqqani et des talibans s'est faite en partie en exploitant le ressentiment de la population face à une attitude du gouvernement central considérée à juste titre comme prédatrice, on comprend l'importance de la lutte contre la corruption. Nos alliés et nous-mêmes devons faire pression sur le président Karzaï pour que des progrès significatifs interviennent dans ce domaine.

Selon l'assemblée parlementaire de l'OTAN, on estime que près de 2,5 milliards de dollars de pots-de-vin ont été versés en Afghanistan sur une période d'un an, ce qui représente environ un quart du PIB du pays. Quoi qu'il en soit, les sommes sont très importantes, comme en témoigne l'affaire de la Kaboul Bank, dont les deux principaux actionnaires sont un frère du président Karzaï et un frère du vice-président, le maréchal Fahim, qui laisse un trou de 900 millions de dollars. La corruption est un phénomène généralisé en Afghanistan qui touche toutes les couches de la société jusqu'au plus haut niveau.

La corruption profite aux talibans qui peuvent à juste titre souligner la perte de légitimité d'une administration et d'un gouvernement prédateur pour son propre peuple. Elle favorise le développement des réseaux maffieux.

Avec la réforme du système judiciaire, dont l'inexistence profite également aux talibans, il n'y aura pas d'avancées en matière d'Etat de droit sans une lutte efficace contre la corruption. En matière judiciaire, la justice traditionnelle permet, sur le terrain, de résoudre de très nombreuses affaires en matière de droit de la famille, de propriété de la terre, de partage de l'eau. On estime que cette justice traditionnelle, dite « justice des talibans », traite 80 % de l'ensemble des affaires judiciaires, au civil comme au pénal. Il est impératif de mettre sur pied une justice indépendante et impartiale sans pour autant « casser » l'exercice de la justice traditionnelle, mais en l'incorporant dans un système original propre à l'Afghanistan.

A ce propos, il convient de signaler une des opérations menées par le Pôle Stabilité, qui consiste dans le financement d'un projet mettant en lien les systèmes de justice (officiel/traditionnel) dans les trois districts de Nijrab, Tagab et Surobi . Nous consacrons 500 000€ à ce projet.

Il existe néanmoins, depuis 2008, une Haute autorité de contrôle de la lutte contre la corruption, ainsi qu'une Cellule spéciale sur les infractions majeures (MCTF) et une Unité spéciale d'enquête (SIU) qui manifestent une certaine indépendance envers les responsables politiques qui cherchent naturellement à les discréditer. La communauté internationale doit les protéger et les encourager.

Comme en matière de drogue, la question qui se pose pour la communauté internationale est de savoir comment, et surtout jusqu'où nous pouvons aller dans la pression sur le président Karzaï et les autorités politiques. Comme l'indiquait notre collègue portugais Vitalino Canas, dans un récent rapport parlementaire de l'OTAN : « Bien qu'il ne soit pas réaliste d'espérer une totale éradication de la corruption dans ce pays, la vraie réussite serait de la ramener à un niveau où elle ne permettrait plus de financer l'insurrection ».

c - un processus incertain de réconciliation-réintégration

La transition ne peut connaître le succès si, en parallèle, une réconciliation entre les Afghans n'intervient pas. Il me paraît évident, comme le soulignent nos amis allemands, qu'il n'y aura pas de victoire militaire sans solution politique, comme il n'y aura pas de réintégration réussie sans réconciliation véritable. Lors de la conférence de Kaboul nous avons fixé des conditions à cette réintégration : la renonciation à la violence, le rejet du terrorisme et la reconnaissance du cadre constitutionnel, le respect des droits de l'homme, notamment le droit des femmes, l'absence de liens avec à Al Qaïda. Il faut impérativement veiller au respect de ces conditions. Il existe un acquis à respecter. Dans le cas contraire, ce seraient dix ans d'efforts qui seraient anéantis.

Nous avons pu constater qu'un certain nombre de pays, comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne par exemple, tout comme le gouvernement afghan où l'ONU, sont en pourparlers plus ou moins officiels avec des groupes talibans et des responsables insurgés. La difficulté principale étant, du reste, de vérifier la représentativité des interlocuteurs qui se présentent.

Il existe un Haut conseil pour la paix (HCP), institué en octobre 2010 afin de faciliter les contacts avec la rébellion.

Si la réconciliation et le dialogue sont incontournables, on peut s'interroger sur les difficultés d'identifier, de contacter et d'entamer des négociations avec des responsables insurgés que, par ailleurs, les forces spéciales s'évertuent chaque nuit à éliminer.

Enfin, comme nous l'ont confirmé l'ensemble de nos interlocuteurs, l'attitude du Pakistan est fondamentale pour la réussite du processus de réconciliation. Or, rien ne permet d'affirmer que le double jeu pakistanais va cesser. Le refroidissement certain des relations avec les États-Unis après l'élimination d'Oussama ben Laden, ressentie comme une humiliation nationale par l'armée et les services secrets, ne permet pas un optimisme excessif. Par ailleurs, la perspective du retrait des forces de la coalition internationale devrait plutôt inciter le Pakistan, tout comme les talibans, à mettre en pratique le dicton selon lequel : « vous avez la montre, nous avons le temps ».

S'agissant de la réintégration, un programme a récemment été mis en place en ayant recours à des incitations financières que les puissances occidentales financent par un fonds fiduciaire. Il est important de comprendre que le programme de réintégration est fondé sur une idée de s'occuper non des insurgés mais des projets de développement des communautés qui acceptent de réintégrer des insurgés. Les chiffres qui nous ont été cités portent sur la réintégration de 1 850 personnes, et d'un stock équivalent en cours de traitement. Si ces chiffres sont avérés et si l'estimation de la rébellion à 30 000 hommes l'est également, ce processus serait encourageant.

d - le cas du Pakistan

Un Afghanistan stable ne peut exister sans un Pakistan stable. La solution de la question afghane passe par un indiscutable renforcement du dialogue régional. C'était déjà la conclusion de notre précédent rapport d'information. Nous ne pouvons qu'être préoccupés par la fragilité du gouvernement pakistanais, par la montée en puissance de l'extrémisme islamiste et par l'ambiguïté -tout le monde aura compris que c'est un euphémisme- de l'armée pakistanaise et de ses services de renseignement vis-à-vis des talibans et, en particulier, du réseau Haqqani. Afin d'amener le Pakistan à ne plus soutenir des mouvements armés qui luttent contre les forces de la coalition, il faudrait que nous renforcions le dialogue franco-pakistanais sur l'Afghanistan en y associant le Royaume Uni, les Etats-Unis, des dirigeants politiques, les chefs de l'armée et des services secrets. Mais il faut aussi rassurer le Pakistan et l'intégrer pleinement dans le jeu régional. Comme le suggère M. de Mistura dans une analyse très fine devant notre commission : « En réalité, l'affaire Ben Laden montre que ce pays joue sur deux tableaux. J'estime nécessaire de lui offrir des contreparties politiques effectives en Afghanistan, car les Pakistanais ne croient ni aux garanties internationales, ni aux accords écrits. La condition à poser ? Qu'ils cessent de jouer à la politique du pire. La volonté commune de 47 pays de retirer leurs soldats dans la dignité offre au Pakistan une vraie carte à jouer. L'histoire de Ben Laden a provoqué un réveil. Les Américains veulent en parler avec les Pakistanais. Mais il ne faut pas seulement leur dire qu'on a compris leur jeu : il faut aussi se mettre à leur place, comme toujours en politique : ils n'ont aucune raison d'abattre leur dernière carte sans contrepartie.

Aucune solution n'est envisageable en Afghanistan sans le Pakistan. On peut le regretter, non l'ignorer. »

Mais cela n'exonère pas les autres puissances régionales de contribuer, elles aussi, à la stabilité de la zone et à la lutte contre l'islamisme radical. Les pays voisins de l'Afghanistan ont une responsabilité majeure et nous ne pouvons nous satisfaire de la non-implication de pays comme l'Inde, la Chine, les Républiques d'Asie centrale et, bien sûr, de l'Iran. Il faut qu'il soit clair que 2014 est une date qui oblige ces pays à s'impliquer dans le dossier et à veiller à ce que l'Afghanistan ne soit pas un foyer de troubles permanents, ceci est dans leur intérêt bien compris.

La France, comme les autres pays membres de la coalition, s'inscrivent dans ce contexte de transition, qui aboutira, nous l'espérons, à la transformation de notre engagement, au-delà de 2014, vers des missions d'assistance civile. Mais ne nous faisons pas d'illusions, même si la transition est une réussite, notre engagement est un engagement de long terme qui supposera une présence résiduelle de la coalition au-delà de 2014 et la poursuite du soutien économique et financier du pays. Cela est du reste très clairement énoncé par le Président de la République quand il indique que la France restera en Afghanistan, aux côtés de ses alliés, aussi longtemps qu'il le faudra.

C'est tout l'objet de la négociation de partenariat stratégique avec les Etats-Unis et avec l'OTAN qui, contrairement à ce qui se prépare, ne doit pas attendre le résultat des négociations bilatérales Etats-Unis-Afghanistan pour commencer à négocier son rôle et sa place dans le futur de ce pays. C'est aussi tout l'enjeu sur le rôle que doit jouer une Europe trop peu présente et trop peu visible en dépit du talent et des efforts du représentant spécial de l'Union européenne, M. Vygaudas Usacka, ancien ministre des AE de Lituanie, que nous avons rencontré et qui a donné davantage de visibilité et de cohérence à la présence européenne. C'est, enfin, un enjeu pour notre coopération bilatérale pour laquelle, comme d'habitude, nous avons beaucoup d'ambition mais peu de moyens.

En guise de conclusion, il me paraît fondamental que les efforts et les sacrifices consentis par notre pays et nos soldats, qui paient le prix du sang, ne soient pas remis en question par les interrogations et les pressions, pourtant légitimes, de nos opinions publiques. Il ne s'agit pas de faire un bilan de notre action, que je juge pour ma part très positive, comme, du reste, l'ensemble de nos interlocuteurs afghans. A un moment où des négociations sont en cours avec les insurgés, ou tout au moins une partie d'entre eux, à un moment où le pouvoir afghan semble tenté par certaines remises en causes, par des compromis permettant, selon eux, une meilleure réintégration ou une réconciliation plus aisée, il nous faut être très fermes pour préserver les acquis des 10 dernières années en matière d'Etat de droit, de défense des droits de l'homme et de la femme afghane, et de démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Je partage très largement les analyses et les conclusions du président de Rohan, même si je serai un peu moins optimiste. Nous avons eu une mission très complète et très intense au cours de laquelle tous les sujets ont été abordés sans tabous, que ce soit par les civils ou les militaires.

La première chose que j'ai pu constater c'est l'aggravation des conditions de sécurité. Les incidents en Afghanistan ont progressé de 30 % par rapport à 2010. La situation est tendue, même à Kaboul. Les pertes subies par nos troupes en témoignent et je tiens, à ce sujet, à saluer leur courage et la qualité de leur préparation, ce qui n'exclut pas de percevoir un sentiment d'inquiétude.

Deuxième constatation, depuis ma précédente visite, en accompagnant le président du Sénat, je constate un changement de stratégie. Tout a été recentré sur la formation des forces de sécurité afghanes, alors que nous attendons aussi des progrès significatifs en matière de gouvernance, de lutte contre la corruption et le trafic de drogue. Beaucoup d'interrogations demeurent sur la montée en puissance de l'ANA, hors de son spectaculaire bond quantitatif, puisque les effectifs ont progressé de 90.000 hommes en un an. Il existe aussi un problème d'attrition et, visiblement, les questions d'équilibre ethnique persistent. La police et l'ANA ne s'entendent pas et il y a encore, me semble t-il, beaucoup de problèmes de corruption.

Troisième constatation : le rôle central que joue le Pakistan, évoqué par tous nos interlocuteurs. L'ensemble des opérations des insurgés sont dirigées de ce pays et les responsables de la FIAS ont même précisé l'utilisation de certaines usines d'engrais dont les composants sont utilisés pour la fabrication des IED.

S'agissant des discussions qui existent avec les insurgés dans la cadre de la réconciliation, cela reste très embryonnaire et sans grande consistance. La réintégration est par contre un processus plus prometteur. Dans ces contacts, il est vital de ne compromettre en rien les acquis sur les droits de l'homme, singulièrement des femmes, l'éducation etc...

La poursuite du processus après 2014 suscite bien des interrogations. L'impression que j'ai est que seuls existent les Américains et le gouvernement afghan. Dans les négociations sur ce que doit être la coopération après 2014, l'OTAN est absente. Notre position pour l'après 2014 sera un grand sujet de débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Je reviens d'Afghanistan avec une impression très favorable sur la compétence et la formation de nos soldats, mais aussi avec la certitude qu'il est de notre devoir de bien les épauler, que la Nation reconnaisse leurs efforts comme le Parlement le fait. En dépit de progrès encore à réaliser en matière de drones et d'aéromobilité, les forces françaises sont très bien équipées. En particulier le dispositif de guerre électronique est extrêmement intéressant.

L'après 2014 suscite évidemment beaucoup d'inquiétudes. Si les Etats-Unis négocient un partenariat stratégique avec le gouvernement afghan, qu'en est-il de l'OTAN et quelle place la France aura-t-elle dans le dispositif ?

De nos entretiens parlementaires je retiens un souhait que la France soit plus active et plus présente en matière de coopération et que nous répondions plus aux appels d'offres, que nous investissions plus dans ce pays.

Enfin, dernière forte interrogation : quelle est la capacité réelle du gouvernement afghan à gouverner ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je félicite les missionnaires pour la qualité de ce rapport. En tant que rapporteur sur les questions de développement, je souhaiterais connaître les attentes en matière de coopération, de santé en particulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Sur ce point, les questions de coopération, pourtant fondamentales, n'étaient pas l'objectif de notre mission. Nous n'avons pas rencontré l'ONU -en dehors de l'audition de M. de Mistura- pas plus que les ONG ou l'Union européenne. Toutefois, j'ai évoqué tout à l'heure l'action de développement que nous menons en Kapisa et Surobi à travers les projets mis en oeuvre par le pôle de stabilité, la coopération civilo-militaire et la PRT américaine dans cette zone. Ces aspects seront développés dans notre rapport écrit, en particulier pour les réalisations en matière d'électrification, d'agriculture ou d'irrigation.

Dans le domaine de la santé, l'hôpital militaire de Warehouse, que nous avons visité, traite un certain nombre de cas de grands blessés civils ou militaires, mais il n'est qu'un hôpital de transit, certes extrêmement bien équipé et servi, mais qui ne dispose pas d'un grand nombre de lits. Il travaille en liaison avec l'hôpital militaire afghan de Kaboul qui dispose d'une capacité de 400 lits.

Il faut citer également la remarquable réalisation de l'hôpital mère-enfant de Kaboul. D'une manière générale il est à mettre à l'actif de l'action internationale la création d'infrastructures de santé qui n'existaient pas auparavant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Je veux également souligner l'importance du lien Armée-Nation. Avec le ministre de la défense, j'ai assisté à l'hommage de la Nation aux soldats, notamment à Florian MORILLON du 1er régiment de chasseurs parachutistes (1er RCP) de Pamiers. Les questions qui sont posées témoignent d'un besoin de mieux repréciser les objectifs de notre engagement. Nos soldats sont bien préparés et fiers d'aller en Afghanistan. Rien ne serait pire qu'un départ dans la précipitation.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Vous avez parfaitement raison. Vis-à-vis de nos soldats et de leurs familles ce serait indigne. Le Sénat s'associe pleinement aux sacrifices de nos militaires et une minute de silence a été observée hier au début de la séance.

Enfin la commission auditionne M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur l'Afghanistan.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Avec nos collègues Jacques Berthou et Michelle Demessine, nous revenons d'Afghanistan où notre mission avait comme objectif principal d'évaluer le processus de transition. Nous avons pu constater avec admiration le courage, l'endurance et le professionnalisme de nos troupes sur place. Nous avons participé à la cérémonie militaire et rendu un hommage au soldat Florian Morillon à Nijrab.

Notre mission s'est déroulée concomitamment à l'annonce, par le Président Obama, du retrait des 33 000 hommes du « surge » en deux étapes. Les autorités françaises ont également annoncé une réduction de nos effectifs sur place. L'objet de cette audition est de vous demander des éclaircissements sur cette annonce et sur la stratégie qui sera menée.

Nous avons compris, sur le terrain, que si nous retirions nos troupes de Surobi, du fait de la transition, il était plus ou moins entendu qu'elles seraient réaffectées en Kapisa afin d'appuyer les troupes qui y opèrent et de réduire la durée des opérations qui permettront, à terme, le transfert de la responsabilité en matière de sécurité aux troupes afghanes dans cette province. Ce dispositif général avait l'aval de la FIAS. Il a néanmoins fallu convaincre les Etats-Unis que les conditions de sécurité en Surobi permettaient de l'inscrire dans la tranche de la transition sans pour autant affecter nos capacités en Kapisa.

Comment le dispositif français va-t-il être affecté ? Ces réductions porteront-elles sur le soutien, sur l'opérationnel ? Il est bien évidemment fondamental que ce retrait n'affecte en rien la sécurité de nos troupes.

La seconde chose que je voudrais souligner est que la stratégie internationale vise à substituer en 2014 l'intervention actuelle par un partenariat de long terme. Celui-ci est en cours de négociation entre le gouvernement afghan et les Etats-Unis. Nous sommes préoccupés par la négociation du partenariat qui devrait exister également à l'OTAN, puisque le représentant civil de l'Alliance, Sir Simon Gass, nous a clairement indiqué qu'il attendait la conclusion des négociations entre les Etats-Unis et l'Afghanistan pour savoir quoi faire. La France et le Royaume-Uni, contributeurs importants de la coalition internationale, peuvent-ils accepter cela ? Ne peut-on prendre une initiative pour ne pas laisser s'imposer les conditions résiduelles du partenariat des Etats-Unis avec ce pays ? Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont vous envisagez le rôle de la France en Afghanistan après 2014 ?

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre de la défense les anciens combattants

Je voudrais tout d'abord souligner l'effort particulier de votre commission pour aller sur place et écouter les différents acteurs en Afghanistan. Votre action témoigne de l'utilité et de l'efficacité de la démarche parlementaire.

La situation en Afghanistan a évolué sous deux angles principaux.

La pression militaire sur le terrain s'était d'abord beaucoup accentuée. Je vous rappelle qu'après le sommet de l'OTAN, à Bucarest, en 2008, la France a décidé d'augmenter les effectifs de ses troupes. Nous sommes ainsi passés d'environ 1 500 hommes, sur la période 2002-2005, à 2 000 hommes en 2007 et, après Bucarest, à une progression qui nous amène aujourd'hui à un effectif de 4 000 hommes. Les Etats-Unis ont procédé, de leur côté, au «surge », en décembre 2009, en affectant 33 000 soldats supplémentaires aux effectifs de la coalition internationale, dans le cadre de la FIAS, les portant ainsi à plus de 100 000 hommes. Je vous rappelle que ces effectifs s'ajoutent à l'opération strictement américaine, « enduring freedom », qui compte plus de 15 000 hommes. En 2008, nous faisions face à une situation critique pour le gouvernement Karzaï dont nous pouvions craindre l'affaiblissement alors qu'il faisait face à de grandes difficultés. Ce sont celles-ci qui ont conduit la coalition internationale à accentuer son effort.

Le 22 juin, le Président Obama a annoncé un retrait de ces 33 000 hommes en deux phases : 10 000 en 2011 et 23 000 en 2012, et ces retraits ont été rendus possibles par les succès militaires remportés sur le terrain.

Le deuxième facteur de changement tient aux relations entre l'Afghanistan et ses voisins, et notamment le Pakistan. Ce changement de nature résulte des conditions de la disparition d'Oussama Ben Laden.

Je rappelle que l'armée nationale afghane (ANA) atteindra 305 600 hommes en octobre prochain, dont 170 600 soldats et 135 000 policiers. Au sommet de Lisbonne, en novembre 2010, l'OTAN a indiqué que le processus de transition pourrait s'achever en 2014. S'agissant des responsabilités de notre pays en Afghanistan, nous avons créé les conditions qui permettent d'envisager la transition du district de Surobi et le transfert de sa sécurité aux forces de sécurité afghanes à partir de 2011. Cette transition s'effectuera en parallèle à la montée en puissance du Kandak afghan dont les effectifs devraient atteindre 4 200 hommes.

Après la décision du Président Obama, le communiqué publié par l'Élysée fait état d'un retrait progressif de renforts envoyés par notre pays à partir de 2008, c'est-à-dire potentiellement sur les 1 000 hommes supplémentaires qui ont été déployés après le sommet de Bucarest. Le communiqué précise que ces retraits se feront en étroite concertation avec nos alliés et avec les autorités afghanes. Vous comprendrez que, pour des raisons de sécurité évidentes, on ne puisse donner aujourd'hui ni le calendrier, ni les effectifs qui seront concernés.

Nous avons environ 2 400 hommes déployés en Kapisa et Surobi, qui effectuent un travail remarquable, par nature précaire. Il est évident que tout signal d'un retrait serait un facteur aggravant sur la sécurité locale. Sur les 4 000 hommes dont nous disposons en Afghanistan, un certain nombre se sont engagés dans des opérations de stabilité et de développement. Nos objectifs et la direction de notre action sont clairs : il s'agit de passer la main en Surobi. En Kapisa, le processus n'est pas achevé et la situation peut évoluer rapidement pour des raisons extérieures à l'Afghanistan. Je constate, en particulier, que les talibans sont sur la défensive et que leurs forces sont en déclin en 2011 par rapport à 2010, y compris en Kapisa, où les affrontements directs ont diminué d'environ 25 %, même si le nombre des IED a progressé. Le second facteur extérieur est qu'à la suite de l'élimination de Ben Laden, les pressions s'exercent sur le Pakistan pour qu'il clarifie sa position. Au travers des échanges croisés entre les autorités pakistanaises et afghanes, nous comprenons que la situation évolue. Pour nous, l'important est de ne pas se précipiter et de ne pas prendre de risques qui pourraient menacer l'excellent travail effectué par nos militaires.

Quelle sera la situation après 2014 ? J'observe que le conflit entre l'Inde et le Pakistan existera toujours, pour des raisons qui dépassent largement la question du Cachemire. Le point positif est qu'il me semble que les doubles jeux sont aujourd'hui plus difficiles. Et nous avons un devoir de coopération avec les pays de la région, dans la mesure où ils démontrent une attitude constructive. Toutefois, il est évident que la France n'est pas la clé de voûte de la coalition et qu'elle ne peut, du reste, l'être.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Je tiens à rendre, à mon tour, hommage à nos soldats et nous nous réjouissons également de la libération de nos deux compatriotes journalistes.

Monsieur le ministre, la conclusion que je tire de vos propos est que la France s'est adaptée au calendrier américain. Nous aurions souhaité une décision en amont et, depuis longtemps, s'agissant de la diminution de nos troupes en Afghanistan. Que constatons-nous sur le terrain, où je me suis rendu il y a une dizaine de jours avec l'assemblée parlementaire de l'OTAN : les Américains décident et on exécute. Nous sommes à leur remorque, alors que, politiquement parlant, il eut été préférable d'anticiper. La décision française a-t-elle été discutée avec nos partenaires européens ? Y a-t-il une coordination européenne ?

Vos propos rejoignent les analyses du général Bentegeat, qui déclarait récemment devant l'IHEDN que les motivations de notre intervention en 2002 -éliminer le sanctuaire terroriste afghan- étaient aujourd'hui caduques, car le foyer de ce terrorisme s'est déplacé au Pakistan. Selon lui, le problème n'est pas de partir à moitié ou de rester à moitié mais de sauver la face.

Sur la montée en puissance de nos effectifs, la décision relève entièrement du Président Sarkozy, puisque nous avons constaté que les effectifs ont été portés à 1 600, peu après l'élection présidentielle de 2007, et multipliés par deux un an plus tard pour atteindre aujourd'hui 4 000 hommes.

Sur le dialogue avec les talibans, je voudrais donc vous demander si la France est associée. Savons-nous ce qui se passe ?

S'agissant de la diminution de nos troupes, on peut certainement trouver les quelques centaines d'hommes sans pour autant déstabiliser nos troupes en Kapisa et Surobi. Il existe un vrai besoin de transfert de ces troupes combattantes sur les actions de formation. C'est du reste ce qu'ont prévu de faire nos alliés canadiens.

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Nous entretenons bien évidemment un échange permanent avec nos alliés européens et au sein de l'OTAN. Ce débat se tient en particulier à chaque réunion des ministres de la défense de l'OTAN que préside le secrétaire général, M. Rasmussen, et auxquelles participe le général Petraeus.

L'Allemagne, qui est notre principal partenaire en Europe, a annoncé son retrait d'Afghanistan dès 2011 et de l'ensemble de ses troupes combattantes en 2014. Le Canada retirera ses troupes combattantes au 1er juillet 2011. Le Danemark effectuera un retrait progressif de ses 750 à 650 hommes. Les Pays-Bas ont retiré leurs forces combattantes depuis 2010 et la Belgique envisage de réduire de 50 % ses effectifs, tandis que la Slovénie a annoncé un retrait total.

Vous avez parfaitement raison de souligner l'importance de basculer vers la formation, tout simplement parce que, en formant les policiers et des soldats afghans, on aide à construire un État, ce qui n'est pas le cas quand on fait le travail à leur place. Mettre l'accent sur la formation c'est bâtir dans la durée.

S'agissant de l'amorce de négociation et la participation au débat politique, notre pays a ses propres filières au travers de l'action de notre ambassadeur, M. Bernard Bajolet. Je ne crois pas que les Etats-Unis attendent de notre pays qu'il donne son avis sur l'évolution de la démocratie afghane.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Faure

Le principe fondamental est naturellement que les peuples doivent déterminer leur propre destin et avoir la liberté de s'administrer par eux-mêmes. Il me semble que la situation actuelle est en contradiction avec ce principe. Nous donnons l'impression de suivre les Etats-Unis, qui agissent en gendarme du monde et imposent leur propre conception de la démocratie. Après l'élimination d'Oussama Ben Laden, ne convient-il pas de revenir à nos valeurs, de centrer l'attraction sur la formation et d'organiser notre retraite ?

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre de la défense des anciens combattants

Personne ne conteste le bien-fondé de notre décision d'accompagner les Etats-Unis en 2001, même si nous pouvons regretter que la période de 2001 à 2008 n'ait pas été mise à profit et qu'on se soit retrouvés avec un risque de retour des talibans et l'effondrement du gouvernement Karzaï de l'époque. Ces risques nous ont conduits à réagir à la réunion de Bucarest en décidant d'augmenter les effectifs des troupes de la coalition occidentale.

Cette stratégie a porté ses fruits puisque nous constatons aujourd'hui l'émergence d'un État et la marginalisation des talibans qui sont sur la défensive. De plus, l'évolution des relations entre le Pakistan et l'Afghanistan est positive. La situation est aujourd'hui favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés ont souligné l'influence considérable du Pakistan sur le jeu afghan. Toute solution devra passer par le Pakistan. Or je constate aujourd'hui que les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan traversent une crise à la suite de l'élimination d'Oussama ben Laden. La diplomatie française ne pourrait-elle prendre une initiative et jouer un rôle de facilitateur ?

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre de la défense et les anciens combattants

Sur cette question, qui ne relève pas de mes compétences, je ne peux que vous renvoyer au ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Si l'on doit se féliciter de l'amélioration des équipements militaires au profit des troupes en Afghanistan, nous constatons également que l'opinion publique française réagit mal aux pertes en vies humaines. Quels enseignements tire-t-on de ces pertes pour modifier la tactique ou la stratégie et les prévenir ?

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre de la défense et les anciens combattants

Chaque incident fait l'objet d'une enquête de l'état-major, avec un examen extrêmement attentif des circonstances, afin que nous puissions progresser dans la prévention et la sécurité de nos troupes. Des progrès très importants ont été faits dans le domaine des matériels, et en particulier dans celui du déminage et des contre-mesures électromagnétiques. Mais également, le taux de décès par balles, rapporté au nombre de blessés, a été divisé par trois en 10 ans. Je rends ici hommage aux performances de notre Service de Santé ; les pertes sont en effet limitées par cette spécificité de l'armée française, qui est la médicalisation de l'avant.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le ministre, je vais vous remercier d'avoir répondu une fois de plus rapidement à notre demande d'audition. Je voudrais vous dire quelque chose, ce sera probablement l'une des dernières occasions que j'aurai de le faire.

Si vous sollicitez des soldats français, ils se battront, parce qu'ils sont très bien formés, ils sont courageux et qu'ils ont le sens de la mission et c'est ce que nous avons pu encore vérifier.

Mais ils ont le droit de savoir où on les mène et on n'a pas le droit de leur raconter des histoires. Si vous leur dites : Oussama Ben Laden est mort, on n'a plus rien à faire ici, alors il faut les ramener tout de suite. Parce que, effectivement, il est mort. Al-Qaïda n'a plus l'influence considérable en Afghanistan qu'il a eue dans le passé. Les Américains ont les moyens de retrouver, avec des drones, sans exposer beaucoup de monde, les chefs d'Al-Qaïda délocalisés au Pakistan ou ailleurs. Malheureusement nous ne pouvons pas en faire autant puisqu'ils ont des moyens que nous n'avons pas.

Nous sommes présents en Afghanistan parce que nous voulons construire un Etat afghan capable d'assurer la souveraineté et l'indépendance de ce pays, éviter qu'il devienne un Etat narcotrafiquant, parce qu'il a tous les moyens d'être l'Etat le plus narcotrafiquant de la planète en raison de l'ampleur de la culture et du trafic de drogue, et qu'il est encore loin de ne pas être un abri pour les fondamentalistes, parce qu'il y a quand même un certain nombre de talibans extrêmement nocifs, comme le groupe Haqqani ou comme le groupe du Mollah Omar qui sévissent en Afghanistan. Alors je crois que c'est un peu court de dire aux gens : « écoutez, tout simplement Ben Laden étant parti, vous restez là quand même ». Non ils restent là pour autre chose. Il faut bien expliquer pourquoi.

Et puis, si on retire les troupes, je vous le répète, il faut le faire de manière telle que cela n'affecte pas la sécurité de nos soldats. Parce que, là, il y aura des comptes à rendre si tel est le cas. Dans l'expression publique, il faut prendre les précautions qu'il faut, de nature à ne pas donner le sentiment à des gens qui se sont fait « trouer la peau », passez-moi l'expression, que ça n'a servi à rien. J'ai entendu certaines déclarations qui permettent d'en douter. Et ce que je vous demande, c'est de bien prendre cela en compte, parce que nous avons vu des soldats là-bas qui sont très soucieux de savoir ce que leurs compatriotes, qui sont en France, pensent de leur combat et de ce qu'ils font. Ils ressentent très durement le sentiment qu'au fond c'est une guerre lointaine, c'est une guerre un peu morte, c'est une guerre qui est menée par des professionnels et sans lien avec l'opinion française.

Alors je crois qu'il faut être extrêmement prudent. Il ne s'agit pas seulement d'aller, les uns et les autres, rendre hommage à des soldats qui ont été tués, il faut aussi faire comprendre que nous comprenons le sens de leur combat et que nous sommes solidaires de l'action qu'ils mènent là-bas et que nous savons ce qu'ils font. Si nous ne faisons pas ça, il faut arrêter ça tout de suite, et les rapatrier, parce que nous n'avons pas le droit de les exposer plus longtemps pour quelque chose que le peuple français ne comprendrait pas ou ne veut pas comprendre et qui n'a pas le soutien de ses chefs.

Je crois que là-dessus c'est moralement très important.