La commission a entendu M. Philippe Mangin, président du conseil d'administration de la Coopération agricole française (Coop de France).
En préambule, M. Jean-Paul Emorine, président, a souhaité la bienvenue à M. Jean-François Mayet, sénateur, élu de l'Indre, nouveau membre de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Il a ensuite donné la parole à M. Philippe Mangin, président de Coop de France.
a indiqué que son organisation regroupait plus de 3 000 coopératives et 12 700 coopératives d'utilisation du matériel agricole (CUMA), représentant environ 40 % de l'agroalimentaire français. Sa part de marché varie toutefois selon les filières : elle est ainsi de plus de 70 % pour les grandes cultures mais de 35 % environ pour la collecte de viande bovine.
Approuvant l'accélération du calendrier d'examen du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, il s'est dit favorable dans l'ensemble à ses dispositions, estimant qu'elles apportent une réponse aux défis que doit relever l'agriculture française dans la perspective de la réforme de la politique agricole commune prévue pour 2013.
Il a considéré que l'agriculture devait faire face à deux difficultés majeures :
- l'insuffisante compétitivité du secteur : l'agriculture française perd des parts de marché en Europe comme dans les pays tiers, notamment en raison de coûts de production et de transformation plus élevés ;
- la nécessité pour la régulation d'agir à la fois au niveau national, au niveau européen et sur le plan mondial. À cet égard, il convient de demander la suspension des négociations concernant l'agriculture dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) car il est nécessaire, après la crise alimentaire de 2007-2008, de définir un nouveau cadre de régulation, qui devrait reposer sur la mise en place de stocks mondiaux afin d'éviter l'emballement des marchés. En Europe, la régulation des revenus, à laquelle contribuent les mesures favorables à l'assurance-récolte, doit s'accompagner d'une régulation des marchés qui s'appuie, d'une part, sur des stocks de régulation, d'autre part, sur la possibilité de mettre en place une clause de sauvegarde sur les importations de certains produits en cas de crise.
Abordant le contenu du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, M. Philippe Mangin a mis l'accent sur la contractualisation, qui permet de renforcer les organisations de producteurs et de mieux structurer la filière comme dans les autres pays européens. Une action de pédagogie doit être entreprise afin de dissiper les craintes des agriculteurs en leur expliquant que le contrat leur offrira une plus grande sécurité dans leur activité. Trois précisions devraient toutefois être apportées au dispositif du projet de loi :
- priorité est donnée à la contractualisation dans le cadre interprofessionnel : un décret ne doit intervenir qu'en cas de défaillance de l'interprofession ;
- les éléments essentiels du contrat doivent concerner le volume, la durée, qui peut être pluriannuelle pour certaines productions telles que le lait, et le prix. S'agissant de ce dernier, le champ de la contractualisation ne peut se limiter au producteur et au premier acheteur mais doit inclure le transformateur, voire le distributeur, afin de donner une visibilité au premier acheteur et de lui permettre de mieux s'engager ;
- les modalités de la contractualisation doivent prendre en compte les particularités des coopératives agricoles. Celles-ci devraient être réputées satisfaire aux obligations prévues par le projet de loi dès lors qu'elles ont remis leurs statuts et leur règlement intérieur à tous leurs adhérents.
En conclusion, M. Philippe Mangin a considéré que le présent projet de loi devrait permettre aux agriculteurs de se rapprocher des réalités du marché, dont les dernières réformes de la politique agricole commune les avaient quelque peu éloignés. Ils devraient ainsi être encouragés à investir dans l'industrie afin de mieux contrôler leur filière et de participer à ses bénéfices.
s'est dit en accord avec les propos de l'intervenant sur de nombreux points. Il lui a demandé si les coopératives souhaitaient bénéficier d'une représentation en tant que telles au sein des interprofessions. Il a également souligné la nécessité d'affirmer une position volontariste en matière d'assurance-récolte, enfin, il a souhaité connaître la position de Coop de France sur les relations entre fournisseurs et producteurs, s'agissant notamment des remises, rabais et ristournes.
a estimé que si la contractualisation constituait la base des principes de la coopération, il était possible de la renforcer encore. En particulier, l'ensemble des acteurs de chaque filière devrait être concerné par la contractualisation. Par ailleurs, il est indispensable que les agriculteurs investissent davantage dans l'outil de transformation afin de sécuriser les débouchés et de redistribuer la valeur ajoutée, comme par exemple dans le secteur du lin.
a ensuite indiqué que, pour renforcer l'organisation économique des producteurs, elle préférait le regroupement des groupes coopératifs entre eux plutôt que leur rapprochement avec des groupes industriels privés. En outre, si les interprofessions « longues », c'est-à-dire réunissant l'intégralité d'une filière, sont souhaitables, le poids de l'amont des filières en leur sein doit rester prépondérant, dans la mesure où l'objectif de la politique agricole reste le maintien de la production sur le territoire. Enfin, si la régulation doit être envisagée aux trois niveaux, national, européen et mondial, une démarche plus fructueuse que la simple revendication du retrait des produits alimentaires des négociations de l'OMC pourrait être proposée : il s'agirait de mettre en avant les « facteurs légitimes » qui justifient les restrictions aux échanges de ces produits, à condition toutefois que les vingt-sept États-membres de l'Union européenne s'accordent sur cette stratégie.
Soulignant qu'il n'y avait pas d'agriculture à taille humaine sans coopératives, M. Marcel Deneux a remarqué que, en France, les filières les plus pauvres étaient dépourvues de coopératives, à l'inverse du secteur betteravier, plus rentable car organisé depuis les années 1930. La coopération constitue une des réponses au défi de l'organisation agricole, d'autant plus séduisante que les coopératives ne peuvent être délocalisées en raison de leur enracinement sur le territoire, mais son statut doit certainement évoluer pour des raisons de conformité avec le droit européen. Enfin, les règles concernant les groupements de producteurs pourraient évoluer afin de renforcer l'organisation de la production, en particulier dans le secteur de la viande bovine. En ce qui concerne les marchés à terme, leur accès devrait être réservé seulement aux opérateurs importants, compte tenu des risques qu'ils représentent. Par ailleurs, s'il est souhaitable de suspendre le volet agricole des discussions à l'OMC, cette suspension est loin d'être acquise aujourd'hui.
a ensuite considéré que, à côté des revendications de régulation, il était indispensable pour les agriculteurs de développer une démarche d'anticipation orientée vers la production de nouveaux produits, à forte valeur ajoutée.
a attiré l'attention sur la désespérance du monde agricole, en grand danger si sa situation économique ne s'améliore pas rapidement. Une des causes de la crise réside dans l'état des relations entre producteurs ou coopérateurs, d'une part, et grande distribution, d'autre part. Dès lors, la contractualisation doit inclure la grande distribution et offrir des prix satisfaisants à chacun des échelons de chaque filière, car l'industriel ou la coopérative ne pourront garantir un prix rémunérateur à leurs producteurs s'ils ne bénéficient pas eux-mêmes d'un prix rémunérateur, sauf à se mettre en graves difficultés économiques, ce qui ne réglera en rien la crise agricole.
a ensuite apporté les réponses suivantes :
- la coopération est généralement représentée dans les interprofessions soit au sein du groupe des producteurs soit au sein de celui des transformateurs. Or, les particularités de la coopération justifieraient qu'une place spécifique lui soit reconnue, sur le modèle de l'interprofession du lait. Par ailleurs, les interprofessions devraient être « longues », allant jusqu'à la grande distribution. La production devrait y garder une place prépondérante, et le pluralisme syndical devrait pouvoir être introduit au sein du groupe des producteurs. Mais l'ensemble de ces réformes ne pourrait intervenir que dans le respect du caractère privé des organisations interprofessionnelles ;
- la coopération est favorable au développement d'une couverture assurantielle plus large des agriculteurs et mène notamment une expérience pilote d'assurance du chiffre d'affaires. La combinaison des outils d'assurance et d'épargne individuelle, comme la dotation pour aléas (DPA), doit permettre à l'agriculteur de faire face aux crises en ayant une récolte d'avance. Toutefois, l'assurance ne saurait constituer la réponse unique à l'enjeu de la régulation des marchés agricoles ;
- comme l'a remarqué le Président de la République au salon de l'Agriculture, la loi de modernisation de l'économie (LME), si elle a promu la transparence, a aussi créé un déséquilibre en faveur des distributeurs et au détriment des producteurs. Ceux-ci se voient appliquer des pénalités exorbitantes sans rapport avec le préjudice subi par le distributeur, signent des contrats d'affaires sans contreparties réelles et hésitent à signaler les abus auprès de la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) de peur d'être déréférencés par la grande distribution. Des chartes éthiques devraient encadrer les pratiques de négociation ;
- l'interdiction des remises, rabais et ristournes en cas de crise devrait être soutenue ;
- la modernisation des coopératives passe par des rapprochements entre coopératives, qui ont commencé à s'opérer, avec le soutien du ministère de l'agriculture et la mise à contribution du fonds stratégique d'investissement (FSI). Par ailleurs, l'amélioration de la gouvernance des coopératives est une des priorités de Coop de France. Enfin, les coopératives doivent effectuer des efforts plus importants dans l'investissement industriel, facteur du dynamisme de l'agriculture française ;
- les agriculteurs ont été conduits à investir dans des matériels agricoles, pour des raisons essentiellement fiscales : il serait nécessaire de réorienter les aides fiscales vers l'investissement industriel, à travers la création d'un plan d'épargne professionnelle agricole (PEPA), promu par Coop de France ;
- si l'agriculture française a manqué le virage de la grande distribution dans les années 1970, elle ne doit pas rater celui de la biomasse et de la chimie verte et blanche qui apportent des compléments de ressources, comme en Allemagne où les producteurs de lait résistent à la baisse des prix en produisant du biogaz. L'association des agriculteurs et des coopératives aux pôles de compétitivité est également souhaitable, de même que la mise en place de nouveaux outils de capital risque ;
- les marchés à terme doivent rester réservés aux grands opérateurs ;
- si Coop de France souhaite la disparition des organisations de producteurs non commerciales (OPNC), des blocages importants empêchent de la mettre en oeuvre : l'article 8 du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui prévoit une clause de rendez-vous en 2012 sur ce sujet, constitue donc un bon compromis.
a souligné que, si la LME avait eu des effets positifs sur le raccourcissement des délais de paiement et la diminution des marges arrières, le bilan de ce texte n'est pas positif en ce qui concerne le partage de la valeur ajoutée. L'entrée de la grande distribution dans les interprofessions n'améliorera pas le fonctionnement des filières. Il serait préférable d'agir pour une modification des règles communautaires de concurrence en matière agricole afin de modifier les rapports de force. Il appartient aux prochaines réunions du G8 et du G20 d'orienter les négociations agricoles au sein de l'OMC, dont la pause actuelle n'a pas vocation à durer éternellement, et de promouvoir l'idée de stocks mondiaux de sécurité.
Évoquant la disparition des quotas laitiers, M. Jean Boyer a souhaité connaître les actions devant être entreprises et s'est interrogé sur la possibilité de transposer en Europe le modèle de gestion du marché laitier du Canada.
a souligné l'importance cruciale que prendra, à l'avenir, la gestion de l'alimentation de l'humanité, qui risque de conduire à des tensions géopolitiques. S'agissant des relations entre les producteurs et les distributeurs, il a considéré que la situation avait encore empiré depuis la mise en oeuvre de la loi de modernisation de l'économie.
a fait part de ses réserves au sujet de la contractualisation, celle-ci se fondant sur un rapport de force qui risque de ne pas être favorable aux producteurs. Il s'est dit favorable à la mise en place de stocks et a souhaité que soit menée une étude sur le degré d'intégration du monde agricole. Il s'est enfin demandé si les coopératives ne devaient pas évoluer vers un statut de société coopérative ouvrière de production (Scop).
a regretté que le producteur soit toujours la variable d'ajustement des filières agricoles. Dénonçant avec force le comportement de la grande distribution, il a demandé à l'intervenant si Coop de France était favorable à l'indication sur les étiquettes du prix payé au producteur.
a opposé la contractualisation, rapport de force entre les distributeurs et des agriculteurs regroupés ou non, à la régulation qui permet de fixer des volumes et un prix, celle-ci lui paraissant être le meilleur système.
a demandé à l'intervenant sa position sur la réforme du cahier des charges des indications géographiques protégées (IGP), regrettant que ce label puisse être attribué à des produits dont une partie seulement est transformée sur le territoire. Il l'a également interrogé sur les relations entre les coopératives et les banques.
S'agissant des labels de qualité, M. Gérard César a demandé si on ne pouvait pas limiter le nombre de contrôles sur une même exploitation de la part des organismes de certification et de contrôle.
En réponse aux intervenants, M. Philippe Mangin a apporté les éléments suivants :
- dans le contexte des règles de commerce internationales, il ne faut pas s'attendre à la possibilité de réintroduire le principe de préférence communautaire ;
- le droit de la concurrence risque de défavoriser les organismes français en les empêchant de constituer des entités de taille suffisante face aux concurrents européens ;
- dans la filière laitière, la France est allée au-delà des exigences européennes en s'interdisant une augmentation de la production ; le modèle canadien ne peut toutefois pas être envisagé pour l'Europe, en raison de l'impossibilité d'obtenir un accord des vingt-sept États membres en faveur d'une gestion administrative de la production de lait ;
- les coopératives sont un rempart contre la délocalisation ; une participation des agriculteurs au capital des usines, qui pourrait être encouragée sur le plan fiscal, favoriserait l'implantation de celles-ci dans les territoires ;
- la question de l'alimentation humaine, qui est passée au second plan pendant les discussions relatives au climat, doit être portée non seulement par le monde agricole mais aussi par tous les participants au débat public et notamment les intellectuels ;
- s'agissant de la relation avec les distributeurs, il est important de reconstruire une relation directe avec le consommateur, notamment par un retour vers les circuits courts et de proximité.
S'agissant des labels de qualité, M. Michel Prugue, président de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), a rappelé les modalités de la mise en place au niveau européen des appellations d'origine protégée (AOP) et des IGP. L'AOP est attribuée à un produit dont la production, la transformation et l'élaboration ont lieu dans une aire géographique déterminée, tandis que les critères de l'IGP sont plus larges et peuvent concerner une partie de la production ou de la transformation. La Commission européenne fait aujourd'hui face à un afflux de demandes de labellisation et souhaite adapter les critères. S'agissant des procédures de contrôle des exploitations, l'INAO étudie la possibilité de mettre en place une visite unique, un organisme effectuant alors des contrôles pour le compte d'un autre organisme.
La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements déposés sur le texte n° 324 (2009-2010) qu'elle a adopté pour la proposition de loi n° 183 (2009-2010), tendant à autoriser les consommateurs finals domestiques d'électricité et les petites entreprises à retourner au tarif réglementé d'électricité.
a souligné le caractère consensuel de cette proposition de loi, qui a été adoptée à l'unanimité des membres de la commission.
A l'article unique, la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 1 de M. Roland Courteau et des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à permettre aux consommateurs domestiques de gaz naturel de revenir au tarif réglementé, lorsqu'ils ont dans un premier temps opté pour le tarif de marché.
a rappelé que la consommation d'énergie absorbe 15 % en moyenne du revenu des ménages modestes, mais 6 % seulement du revenu des ménages plus aisés, et souligné la grande volatilité des tarifs du gaz naturel, qui justifie une réversibilité complète.
A l'article unique, la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 2 de M. Xavier Pintat, tendant à corriger une erreur matérielle de rédaction.
A l'article unique, la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 3 de M. Xavier Pintat, tendant à proroger jusqu'au 31 décembre 2015 l'accès au tarif réglementé d'électricité pour les nouveaux sites de consommation d'une puissance supérieure à 36 kilovoltampères. M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a considéré que cet amendement pose à juste titre la question de la continuité juridique entre la date butoir du 1er juillet 2010 et la date de promulgation de la future loi relative à la nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME), mais a jugé excessive la prorogation pour cinq années qu'il propose. Il a estimé préférable de ne proroger le dispositif que jusqu'à la fin de l'année 2010, date à laquelle la loi NOME sera entrée en vigueur.
La commission a alors adopté un amendement présenté par le rapporteur, tendant à proroger jusqu'au 31 décembre 2010 l'accès au tarif réglementé d'électricité pour les nouveaux sites de consommation d'une puissance supérieure à 36 kilovoltampères. M. Daniel Raoul s'est déclaré dubitatif quant au calendrier proposé. M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a indiqué que le projet de loi NOME, qui vient d'être transmis au Conseil d'Etat, devrait être adopté en Conseil des ministres à la mi-avril, pour être discuté en première lecture par l'Assemblée nationale à la fin du mois de mai, et par le Sénat avant l'été. Cet échéancier indicatif permettrait une seconde lecture devant chacune des deux assemblées à l'automne, pour une adoption définitive avant le 31 décembre 2010.