Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 6 avril 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de M. Nicolas de Rivière, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui, pour la première fois, M. Nicolas de Rivière, qui vient d'être nommé directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes.

Pour ceux d'entre vous qui ont participé aux missions que notre commission effectue chaque année à New York aux Nations unies il n'est pas un inconnu puisqu'il a occupé jusqu'en juillet 2010 les fonctions de représentant permanent adjoint auprès des Nations unies à New York.

Votre biographie a été distribuée. Je ne décrirai donc pas votre carrière si ce n'est pour constater que vous l'avez commencée dans la direction dont vous prenez aujourd'hui la tête et que votre bref passage dans le secteur privé a été interrompu par un appel à travailler au cabinet du ministre des affaires étrangères, M. Dominique de Villepin.

J'ai souhaité que vous nous fassiez part de votre vision de nouveau directeur des Nations unies du Quai d'Orsay et que nous fassions un point sur les dossiers que notre pays gère à l'ONU. Lors de nos visites à New York, nous avons pu constater que l'activité de notre représentation permanente à l'ONU est considérable et d'une très grande efficacité pour défendre les intérêts de notre pays et de l'Union européenne. On le voit bien, récemment, avec l'adoption des résolutions du Conseil de sécurité n°1973 sur la Libye et n°1975 sur la Côte d'Ivoire. L'importance de la tâche qui incombe à l'équipe, autour de notre ambassadeur, M. Gérard Araud, est à la dimension de ce qu'est l'ONU. C'est-à-dire une organisation internationale universelle qui couvre l'ensemble des relations internationales et où, dans un monde globalisé, il est vital d'être présent, actif et reconnu.

L'action que notre pays a menée avec le Royaume-Uni et l'appui du Liban pour faire adopter la résolution 1973 est naturellement exemplaire. C'est un très grand succès diplomatique, non seulement parce qu'il a permis d'éviter un massacre en Libye, mais il constitue aussi une importante avancée du droit international, avec la reconnaissance du devoir de protéger les populations civiles et de sa sanction, par l'action internationale, quand les gouvernements sont défaillants à le respecter.

Mais, au-delà de coup d'éclat et de la vitrine qu'est le Conseil de sécurité, c'est le travail quotidien au niveau de l'ensemble du système des Nations unies, que ce soit en matière de paix et de sécurité. Je pense notamment aux opérations de maintien de la paix, d' état de droit, de questions économiques, sociales et environnementales, de francophonie, ou encore, pour les enjeux de la réforme de l'ONU, qui contribue à l'influence de la France.

La participation à cette énorme machine internationale et le maintien de notre rôle nécessitent un travail et une attention de tous les instants dont nous sommes parfaitement conscients. La complexité de cette mécanique vous a d'ailleurs conduit à éditer un « Guide des Nations unies » qui est un auxiliaire précis et précieux.

C'est indiscutablement à l'ONU et dans les organisations internationales que notre diplomatie se joue dans un cadre multilatéral. Il est donc particulièrement important que nous suivions de manière précise le déroulé des négociations dans les organisations internationales, que ce soit au sein du système de l'ONU ou ailleurs. Nous aurons du reste, à la fin du mois, une audition consacrée aux négociations sur le désarmement.

Nous ne pourrons aborder aujourd'hui que quelques uns des thèmes principaux, mais je souhaite que nous ayons des rendez vous réguliers avec vous-même ou avec vos collaborateurs pour informer la commission et prendre connaissance, en amont de leur adoption, des enjeux des négociations multilatérales. Je vous laisse la parole.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes - Les Nations unies sont une priorité constante de notre politique étrangère depuis 1945, quels que soient les gouvernements.

Les principes et les valeurs de la Charte des Nations unies gardent aujourd'hui toute leur pertinence, qu'il s'agisse du maintien de la paix, des droits de l'homme ou bien encore du développement et de la lutte contre la pauvreté.

La direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie, dont je viens de prendre la direction il y a quelques mois, dispose d'une équipe d'environ 70 agents. Elle anime un réseau important, en particulier au siège des Nations unies à New York, où la représentation permanente de la France compte une équipe de 80 personnes environ, mais aussi avec des représentations auprès des autres organes ou institutions spécialisées des Nations unies, à Genève, en particulier pour les droits de l'homme, à Vienne, à Rome pour la problématique de l'alimentation, à Montréal, à Nairobi pour les questions d'environnement et à La Haye pour la justice internationale. La principale tâche de notre direction est d'élaborer une position française et des instructions à nos représentations. Cette fonction, qui présente une forte dimension interministérielle, compte tenu de la très grande variété des sujets, s'apparente à celle du Secrétariat général pour les affaires européennes (SGAE) concernant l'Union européenne.

La principale force des Nations unies, ce qui fonde sa légitimité, mais ce qui constitue aussi sa principale faiblesse, c'est son caractère universel. Les Nations unies regroupent, en effet, aujourd'hui 192 Etats membres. Le budget est assuré principalement par une quinzaine de pays. C'est le seul endroit où quasiment tous les pays sont représentés et peuvent dialoguer entre eux.

La réforme des Nations unies est un thème récurrent. On en parlait déjà lors de mon arrivée au Quai d'Orsay il y a vingt ans.

Ces dernières années, il y a eu des progrès et des améliorations dans le fonctionnement des différents organes ou institutions des Nations unies, comme par exemple à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou au bureau international du travail (BIT). Même l'UNESCO, qui était à la dérive à la fin des années 1980, a vu son fonctionnement s'améliorer.

L'Assemblée générale des Nations unies reste une assemblée, avec toutes les qualités mais aussi les défauts de ce type d'organe. Il n'en demeure pas moins qu'elle est le seul endroit où tous les pays du monde peuvent se rencontrer et rechercher l'intérêt commun de l'humanité.

L'organe phare des Nations unies demeure le Conseil de sécurité. Sa composition et la différence de statut entre les cinq membres permanents et les dix autres membres non permanents suscitent beaucoup de frustrations parmi les Etats. Force est de constater toutefois que, depuis la fin de la guerre froide, le Conseil de sécurité fonctionne et qu'il remplit même assez bien son rôle.

Concernant les opérations de maintien de la paix (OMP), environ 110 000 casques bleus sont aujourd'hui déployés dans le monde, dans le cadre d'opérations sous mandat des Nations unies, principalement en Afrique. Ces opérations se sont multipliées ces dernières années. Les opérations de maintien de la paix représentent un coût d'environ 8 milliards de dollars par an, soit un coût quatre fois plus important que le budget des Nations unies. La France participe au financement des OMP à hauteur de 450 millions d'euros par an.

En sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France dispose d'un statut privilégié au sein de l'Organisation des Nations unies. Cela lui assure une influence et un rayonnement très important. Parmi les membres permanents, la France est, avec le Royaume-Uni, le pays le plus actif au sein du Conseil de sécurité. On estime que la France et le Royaume-Uni sont à l'origine des deux tiers ou des trois quarts des textes adoptés.

Les droits de l'homme constituent un domaine essentiel des Nations unies et la France prend une part active sur ce sujet. Depuis la réforme de 2005, le conseil des droits de l'homme s'est substitué à la commission des droits de l'homme.

Certes, il est aisé de dénoncer les carences et les progrès limités rencontrés dans ce domaine. Ainsi, le conseil des droits de l'homme reste un organe aux pouvoirs limités. On peut toutefois noter des progrès, particulièrement depuis 18 mois, avec par exemple le retour des Etats-Unis au sein du Conseil des droits de l'homme sous l'administration Obama, en matière de dialogue entre les religions ou de reconnaissance des différentes orientations sexuelles. Ainsi, la dernière session qui vient de s'achever a été marquée par la désignation d'un rapporteur sur la situation des droits de l'homme en Iran et le lancement d'une enquête internationale sur les violations des droits de l'homme en Côte d'Ivoire. L'avancée la plus notable tient toutefois au fait que, pour la première fois, le conseil des droits de l'homme a suspendu l'un de ses membres, la Libye -qui dans le passé avait même exercé la présidence de la commission des droits de l'homme- en raison des violations des droits de l'homme commises dans ce pays, et que cette décision a été entérinée par l'assemblée générale.

En ce qui concerne la justice internationale, malgré le relatif pessimisme qui présidait à la mise en place des tribunaux pénaux internationaux, il y a une quinzaine d'années, on peut constater que les différentes juridictions internationales fonctionnent plutôt bien. Ainsi, le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est parvenu à se saisir de l'ensemble des personnes inculpées, à l'exception de deux fugitifs. Il en va de même pour le tribunal pénal international pour le génocide au Rwanda. La Cour pénale internationale représente aujourd'hui une épée de Damoclès au dessus de la tête de tous les dictateurs de la planète, comme l'illustre le cas de Charles Taylor. Le paramètre CPI est devenu essentiel dans la gestion des crises.

S'agissant des aspects économiques et du développement, l'image des Nations unies a souffert de la crise financière de 2008, qui a laissé le sentiment que les Nations unies avaient délaissé ce terrain au profit du G 20. En réalité, la crise financière ne relève pas véritablement des attributions des Nations unies, qui sont davantage tournées vers l'aide au développement. Grâce notamment à sa directrice, Mme Helen Clark, l'agence des Nations unies chargée du développement, le PNUD, se transforme en une agence de plus en plus performante et efficace.

Ainsi, les Nations unies ont lancé un programme, baptisé « one UN », visant à rationaliser l'action des différents organes et institutions des Nations unies dans les pays, afin de renforcer la cohérence et la coordination et d'éviter les doublons.

L'environnement représente un défi important pour les Nations unies. Depuis la Conférence de Rio, en 1992, les Nations unies se sont beaucoup impliquées sur ce dossier, en déployant une vaste panoplie d'outils, par exemple en matière de biodiversité, de lutte contre la déforestation, etc. Après la conférence de Cancun, la prochaine échéance sera 2012, avec la conférence qui se tiendra à Rio, vingt ans après la première.

Une idée souvent évoquée consisterait à créer une organisation mondiale de l'environnement afin de renforcer la cohérence et rationaliser l'action des différentes institutions ou organes.

Enfin, concernant les aspects budgétaires, sur lesquels les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer, on constate, depuis déjà plusieurs années, une tendance régulière à une augmentation du budget des Nations unies, qui pèse lourdement sur les principaux pays contributeurs comme la France. Je rappelle que, sur 192 pays, seuls quinze Etats contribuent réellement au budget des Nations unies, alors que 170 n'apportent quasiment aucune contribution ou contribuent très peu. L'Union européenne représente le premier contributeur, avec une participation à hauteur de 40 %, suivie par les Etats-Unis à hauteur de 22 %, puis par le Japon. Cette situation entraîne une pression à l'augmentation des dépenses de la part du secrétariat général et des 170 pays qui participent peu ou pas au financement.

Le budget des Nations unies se compose de trois types de dépenses :

- le budget de fonctionnement des institutions et organes des Nations unies représente un coût assez limité, auquel la France participe à hauteur de 6,1 %, ce qui représente environ 150 millions d'euros par an ;

- les opérations de maintien de la paix représentent un coût de 8 milliards de dollars par an. La France, en raison de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, participe à hauteur de 7,5 %, ce qui représente une contribution d'environ 450 millions d'euros par an ;

- enfin, la troisième catégorie de dépenses est constituée par ce que l'on désigne sous le terme de « contributions volontaires », qui servent à financer les institutions spécialisées comme le Haut comité des réfugiés (HCR), le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou l'UNICEF. C'est surtout dans ce domaine que l'on peut avoir une inquiétude au regard de la baisse importante de la contribution française, qui a diminué de 40 % ces dernières années. Ainsi, alors que les contributions volontaires représentaient 85 millions d'euros il y a quelques années, elles ne représentent aujourd'hui que 46 millions d'euros. Le choix a été fait de concentrer les moyens disponibles sur quelques organisations, comme le HCR, le PNUD et l'UNWRA. Cela explique que dans certaines institutions ou organes spécialisés des Nations unies, la France ne figure qu'au dixième, voire au vingtième rang des contributeurs et que notre influence tend à se réduire au sein de ces organisations.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je vous remercie pour votre intervention. Vous nous avez montré comment les Nations unies ont su s'adapter à la mondialisation.

En ce qui concerne la baisse des contributions volontaires de la France, j'avais moi-même été interpellé à ce sujet par le secrétaire général des Nations unies, qui s'inquiétait du fait que la France avait réduit à zéro sa contribution au fonds humanitaire d'urgence des Nations unies.

Concernant les opérations de maintien de la paix, je trouve assez curieux que les 10 000 casques bleu présents en Côte d'Ivoire ne puissent pas intervenir sans l'appui du millier de soldats français de la force Licorne pour remplir le mandat des Nations unies.

Malgré les efforts du secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix, notre compatriote Alain Leroy, l'efficacité des casques bleus au regard de leur coût me semble encore avoir des marges de progrès.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

Le cas du fonds humanitaire d'urgence est effectivement très délicat. En raison de la diminution des crédits, qui ont baissé de moitié depuis 2008, nous essayons de jouer les équilibristes, en essayant de multiplier les financements croisés bilatéraux et multilatéraux, par exemple avec l'UNICEF. Toutefois, on ne peut cacher que la contribution française est parfois quatre ou cinq fois inférieure à ce qu'elle était auparavant. Pour ma part, je ne crois pas à l'opposition entre le bilatéral et le multilatéral. Je considère, en effet, que les deux sont complémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Dans le même temps la France a considérablement augmenté sa contribution au Fonds mondial SIDA, alors que tous les fonds disponibles ne seraient pas utilisés.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

Depuis 2003, la France a fait de la lutte contre le SIDA au niveau mondial l'une de ses priorités. C'est un choix politique. La contribution française au Fonds mondial de lutte contre le SIDA a triplé puis a continué d'augmenter. Compte tenu des ressources limitées, cette progression très importante s'est faite au détriment des contributions aux autres organisations, comme le PNUD, qui ont baissé. Il est vrai que si cette progression avait été moindre, notre pays disposerait de davantage de marges de manoeuvres s'agissant des contributions volontaires. Si certains dysfonctionnements ont été révélés récemment, l'efficacité de cet instrument me semble être comparable à celle d'autres instruments ou institutions internationales.

Concernant les opérations de maintien de la paix des Nations unies, il s'agit souvent d'opérations qui sont confiées aux Nations unies parce qu'aucune autre organisation, comme l'OTAN ou l'Union européenne, ne peut ou ne souhaite s'en charger. Le plus souvent, ces opérations se déroulent en Afrique, avec des soldats originaires d'Afrique ou d'Asie du Sud Est, dans des conditions difficiles. A cet égard, l'opération de la FINUL au Liban constitue plutôt une exception. Par ailleurs, la culture des casques bleus reste marquée par le maintien de la paix, comme l'illustre l'attribution du prix Nobel de la paix, et s'apparente davantage à un « super gendarme » qu'à un véritable soldat combattant. A cet égard, l'intervention assez musclée des casques bleus au Congo (MONUC) contre les rebelles fait plutôt figure d'exception.

Ainsi, la mission des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), pourtant sous chapitre VII de la charte, malgré le nombre de casques bleus et l'équipement dont ils disposent, était dans l'incapacité d'intervenir sans l'appui de la force Licorne pour faire respecter le mandat des Nations unies. Cette opération, qui s'inscrit pleinement dans la légalité internationale, est sans précédent pour les casques bleus, car ils sont confrontés, à Abidjan, à une situation de véritable guérilla urbaine avec des armes lourdes qui menacent directement les populations civiles.

Une autre difficulté des opérations de maintien de la paix tient au fait que l'ONU ne dispose pas d'un état-major aussi étoffé que celui de l'OTAN, puisque seulement 120 militaires supervisent ces opérations au siège des Nations unies et qu'elles sont très largement gérées au niveau local.

Enfin, le système de financement actuel, qui repose sur une rétribution au pays contributeur d'un casque bleu, à hauteur de 1.000 dollars par homme et par an, est très incitatif pour des pays en voie de développement, mais peu pour les pays développés comme la France, puisque cette somme ne couvre que le tiers du coût de déploiement d'un militaire français.

Malgré tout, la France figure parmi les premiers pays contributeurs en casques bleus au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et parmi les pays développés, avec 1.500 soldats français déployés sous le drapeau des Nations unies partout dans le monde, principalement au Liban dans le cadre de la FINUL. A titre de comparaison, les Etats-Unis et la Russie n'ont aucun casque bleu et la Chine très peu.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

J'ai le sentiment que les mandats sur lesquels reposent les différentes opérations de maintien de la paix ne sont pas toujours d'une grande clarté et que beaucoup de difficultés rencontrées sur le terrain auraient pu être évitées si ces mandats étaient rédigés de manière plus claire.

Je m'interroge aussi, à la lumière de la situation en Côte d'Ivoire, sur l'influence que pourrait avoir la Cour pénale internationale sur les conflits internationaux. Comment concilier l'exigence de justice avec le souci légitime d'éviter une montée de la violence ?

Enfin, je souhaiterais avoir des précisions sur votre action en matière de francophonie et comment votre action s'articule avec celle de l'Organisation internationale de la francophonie.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

Les mandats des Nations unies sont des documents de nature politique. Ils sont souvent rédigés très vite par un groupe restreint d'une quinzaine de pays et peuvent avoir des conséquences assez lourdes, avec des sanctions internationales, voire autoriser le recours à la force.

Parmi les membres permanents, la Chine et la Russie ont une conception assez traditionnelle du maintien de la paix, centrée autour de la guerre entre deux Etats, tandis que les pays occidentaux ont une conception plus large, autour du concept de paix et de sécurité internationale.

L'adoption des dernières résolutions sur la Libye et la Côte d'Ivoire montre que le système est assez efficace.

Les opérations de maintien de la paix des Nations unies présentent aujourd'hui une dimension plurielle, avec des aspects qui concernent la protection des droits de l'homme, l'état de droit, etc. Cela soulève souvent des difficultés de mise en oeuvre.

On se réfère souvent aux échecs, comme en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, mais on oublie de mentionner les succès des Nations unies, par exemple au Mozambique, en Angola, en Sierra-Leone, au Libéria, au Guatemala, au Salvador ou au Cambodge.

S'agissant de la situation en Côte d'Ivoire, la Cour pénale internationale n'a pas encore été saisie du cas de Laurent Gbagbo, mais on peut penser qu'elle le sera prochainement. Une enquête a été décidée par le Conseil des droits de l'homme et, en tout état de cause, je vous rappelle que la Côte d'Ivoire a signé le traité sur la CPI. La Cour peut également s'autosaisir. Il est vrai que cela peut avoir pour effet de ne pas inciter l'ex-président à quitter le pouvoir, comme d'ailleurs pour Kadhafi, et on peut imaginer qu'ils étudient attentivement les pays qui n'ont pas reconnu la compétence de la CPI, mais c'est la rançon du succès de la justice pénale internationale. La justice et la lutte contre l'impunité doivent l'emporter sur toute autre considération.

Au sein de ma direction, le service des affaires francophones s'occupe plus spécifiquement de la francophonie et des relations avec l'organisation internationale de la francophonie. La francophonie présente à nos yeux une double dimension. La première, traditionnelle, repose sur la défense et la promotion de la langue française. La seconde approche, plus ambitieuse, consiste à promouvoir la défense de valeurs communes. L'enjeu du prochain Sommet de la francophonie, qui se tiendra à Kinshasa au Congo en 2012 est de savoir s'il sera axé sur les questions de développement, et notamment les thèmes de l'eau, de l'énergie ou des forêts, comme le souhaitent les congolais, ou bien s'il sera principalement consacré aux droits de l'homme.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

En tant que co-rapporteur des crédits consacrés à l'aide publique au développement, nous avons étudié, avec mon collègue Christian Cambon, l'efficacité des fonds consacrés à la lutte contre le SIDA, en particulier le Fonds mondial SIDA, et nous avons constaté des difficultés en matière de décaissement de ces fonds.

Sans méconnaître toute l'importance politique et sanitaire que représente la lutte contre cette maladie, on peut donc s'interroger sur l'efficacité de cet instrument au regard de l'augmentation très importante de notre contribution. Compte tenu des marges de manoeuvre limitées dont dispose notre diplomatie, il serait sans doute préférable de trouver un meilleur équilibre entre notre contribution au Fonds mondial SIDA et nos contributions volontaires aux organes et institutions spécialisées des Nations unies. La difficulté vient du fait que, depuis quelques années, la France multiplie les déclarations au plus haut niveau lors des rencontres internationales annonçant qu'elle va accroître ses efforts et augmenter sa contribution.

Par ailleurs, je souhaiterais vous interroger sur l'état d'avancement de l'enquête sur l'assassinat du Premier ministre libanais Rafiq Hariri.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

Après l'assassinat de Rafiq Hariri à Beyrouth en 2005, le Conseil de sécurité des Nations unies a lancé une enquête internationale. Les premiers éléments de l'enquête internationale menée par le procureur allemand M. Detlev Mehlis paraissaient devoir mettre en cause plusieurs hauts responsables syriens. En mai 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé la création d'un tribunal spécial des Nations unies pour le Liban chargé de juger les responsables de cet assassinat. Il s'agit d'un tribunal international ad hoc, financé à hauteur de 49 % par le Liban et à 51 % par la communauté internationale. Ce tribunal a commencé à fonctionner en 2009.

L'enquête du procureur du tribunal, désormais le canadien Daniel Bellemare, semble s'orienter désormais vers une mise en cause du Hezbollah, ce qui risque de provoquer, si cela se confirme et se traduit par des inculpations des responsables, une crise politique au Liban qui pourrait même relancer le processus de guerre civile.

Après la chute du Gouvernement Hariri, le Liban est dirigé par un premier ministre d'origine Hezbollah modéré. Des inculpations pourraient entraîner la fin du financement libanais du tribunal.

La France a apporté son soutien à la justice internationale et à l'action du tribunal international spécial pour le Liban.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Ne sommes nous pas arrivés aujourd'hui à une limite concernant les opérations de maintien de la paix sous mandat des Nations unies, comme le montre l'exemple des casques bleus en Côte d'Ivoire, qui ne sont pas en mesure de remplir leur mandat sans l'intervention des soldats français de la force Licorne ? Est-ce que les Nations unies ne seront pas contraintes de s'en remettre de plus en plus à l'avenir aux organisations régionales, comme l'OTAN, l'Union européenne ou l'Union africaine ? Par ailleurs, je souhaiterais avoir des précisions sur l'attitude des Etats-Unis à l'égard des Nations unies depuis l'élection de Barak Obama.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

Il est vrai qu'avec près de 110 000 casques bleus déployés dans le monde, les opérations de maintien de la paix sous mandat des Nations unies arrivent aujourd'hui à une certaine limite. Par ailleurs, les Nations unies interviennent souvent là où aucune autre organisation ne souhaite s'impliquer, notamment en Afrique.

Afin d'éviter une saturation, notre objectif est d'éviter l'enlisement des opérations de maintien de la paix, dont certaines sont très anciennes, à l'image de l'opération à Jérusalem depuis 1948 ou au Golan depuis 1973, et d'encourager la fermeture de certaines opérations lorsque la situation le permet, comme par exemple au Tchad.

En Côte d'Ivoire, les casques bleus des Nations unies (ONUCI) ne pouvaient intervenir sans l'appui des soldats français de la force Licorne.

Parmi les principaux pays contributeurs en hommes, on trouve les pays africains mais aussi l'Inde et le Pakistan, qui disposent de militaires aux compétences reconnues. Avec 1 500 soldats français, la France est au premier rang des contributeurs parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. Les OMP sont donc un outil imparfait mais précaire et irremplaçable.

Les Etats-Unis sont présents et exercent une forte influence au sein de toutes les enceintes internationales, y compris les Nations unies.

Après une période assez tendue sous le premier mandat du président George Bush, les relations entre les Etats-Unis et les Nations unies se sont beaucoup améliorées, notamment depuis l'élection de Barak Obama. Les Etats-Unis ont réglé leurs arriérés financiers et sont revenus au Conseil des droits de l'homme. Les démocrates sont traditionnellement plus favorables que les républicains à l'égard des Nations unies, mais le retour des Etats-Unis à l'UNESCO s'était réalisé sous une administration républicaine.

Concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, l'attitude des Etats-Unis n'est pas dénuée d'ambiguïté. Si l'administration Obama se déclare favorable à une telle réforme, elle ne fait pas grand-chose en pratique et il ne s'agit pas d'une priorité. Il est vrai que cette réforme nécessiterait une ratification par le Sénat américain et un vote des deux tiers, ce qui semble très difficile à atteindre. Par ailleurs, pour les responsables américains, il ne fait pas de doutes que toute réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, quelle qu'elle soit, affaiblirait le camp occidental. Aujourd'hui, au Conseil de sécurité des Nations unies, la majorité est de neuf voix et la minorité de blocage est de sept voix. Les pays occidentaux peuvent actuellement compter sur l'appui de plusieurs pays d'Amérique latine ou d'Afrique, ce qui leur permet d'exercer une forte influence au sein du Conseil de sécurité. Avec une réforme du Conseil de sécurité, l'influence des pays occidentaux risque de se réduire.

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Quelle est le rôle des Nations unies en matière de protection de l'environnement ? Comment expliquer que plusieurs grandes puissances, comme les Etats-Unis et la Chine, n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto, risquant ainsi de provoquer des distorsions de concurrence au détriment de l'Europe et d'encourager les délocalisations ?

Debut de section - Permalien
Marc Giacomini, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

directeur adjoint de la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes - L'Organisation des Nations unies n'est que la somme des Etats qui la composent et ne peut intervenir que s'il existe une réelle volonté des Etats. On ne peut donc pas faire porter toute la responsabilité sur les Nations unies.

En matière de protection de l'environnement, les Nations unies jouent un rôle de premier plan, mais pâtissent notamment de la multiplicité des institutions compétentes : d'où le projet porté par la France d'une organisation mondiale de l'environnement, qui sera un des thèmes à l'ordre du jour de Rio+20.

Le protocole de Kyoto est entré en vigueur et a été ratifié par un grand nombre d'Etats, y compris par la Russie. Mais comme vous le savez, les restrictions quantitatives introduites par ce protocole, qui limite les émissions de gaz à effet de serre, ne s'appliquent qu'aux pays développés. Par ailleurs, les Etats-Unis, qui représentent avec la Chine la moitié des émissions mondiales, ne l'ont pas ratifié : l'accord de ces deux pays est essentiel pour donner, au-delà de 2012, un prolongement au protocole de Kyoto.

L'Europe des 27, de par les efforts qu'elle a déjà fournis, ne représente aujourd'hui qu'environ 12 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Même si cela est relativement peu, nous avons de bonnes raisons de vouloir continuer à limiter les émissions, non seulement pour des motifs liés à la protection de l'environnement, mais aussi pour réduire notre dépendance énergétique. Nous avons déjà, pour des raisons historiques liées à la relative pénurie d'énergie un mode de vie, avec notamment l'usage de transports en commun, qui facilite l'acceptation de la réduction des émissions, alors qu'aux Etats-Unis, l'habitude de l'abondance fait qu'il n'est pas facile de convaincre les Américains de changer leur mode de vie. Reste le paradoxe que, plus l'Europe est exemplaire et réduit ses émissions de gaz à effet de serre, moins celles-ci représentent un enjeu au niveau mondial et plus il lui est difficile de peser dans les négociations internationales sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Quel est le rôle des Nations unies en matière économique et quelles sont les relations des Nations unies avec l'Organisation mondiale du commerce ?

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

Au moment de la création des Nations unies, il avait été envisagé d'y inclure le commerce international, mais, en définitive, l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) a été négocié en dehors du système des Nations unies. Aujourd'hui, l'Organisation mondiale du commerce reste une organisation autonome distincte du système des Nations unies. Si son activité législative paraît aujourd'hui en panne, en revanche, son activité juridictionnelle est en progression. L'OMC regroupe aujourd'hui un grand nombre de pays et l'adhésion de la Russie à l'OMC est en cours de négociation. Le statut autonome de l'OMC ne semble pas soulever de difficultés. D'ailleurs, en pratique, les institutions spécialisées des Nations unies, comme l'OMS ou l'UNESCO, jouissent d'une très grande autonomie. Il existe d'ailleurs une coopération entre l'ONU, l'OMC et le G 20.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Qu'en est-il de la place de l'Union européenne aux Nations unies, après le rejet de la résolution qui aurait permis à l'Union européenne de s'exprimer en tant que telle au sein de l'assemblée générale ?

Debut de section - Permalien
Nicolas de Rivière, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et européennes

L'Union européenne est aujourd'hui le premier contributeur au budget des Nations unies, avec 48 % du budget alors que l'Europe ne représente que 30 % du PNB mondial. Son influence reste forte au sein des Nations unies, même si la différence de statut entre la France et le Royaume-Uni, qui disposent d'un statut de membre permanent au Conseil de sécurité, et les autres suscite parfois des frustrations, notamment chez nos partenaires allemand ou espagnol.

Le traité de Lisbonne ne remet nullement en cause le statut des membres permanents au Conseil de sécurité. En revanche, il permet un changement de statut de l'Union européenne au sein de l'Assemblée générale des Nations unies.

Auparavant, la situation était en effet très complexe, avec une représentation de la Commission européenne, une représentation du Conseil, le rôle du pays exerçant la présidence tournante du Conseil, etc. La plupart de nos partenaires n'y comprenaient rien.

Nous avons donc présenté une résolution qui aurait permis à l'Union européenne, en pratique au président du Conseil européen Herman Van Rompuy ou à la Haute représentante des affaires étrangères et de la politique de sécurité Mme Catherine Ashton, de s'exprimer en tant que tels au sein de l'Assemblée générale des Nations unies. Cette résolution a été repoussée par l'assemblée générale par crainte de créer un précédent pour d'autres organisations régionales. Je crois qu'il ne faut pas exagérer la portée de cet échec et je reste assez optimiste pour trouver un accord sur le renforcement du statut de l'Union européenne au sein de l'assemblée générale. Je pense aussi qu'il faut relativiser cette question qui ne me paraît pas essentielle, car les Nations unies restent une organisation d'Etats et, en tout état de cause, l'Union européenne aura toujours un statut moindre que celui de Monaco.

Par ailleurs, dans plus de 90 % des cas, les positions des pays de l'Union européenne aux Nations unies sont identiques. S'agissant des 10 % restants, il est rare que ces situations soient d'opposition frontale. Elles sont pour la plupart des positions d'obstruction de certains Etats membres. De manière générale, l'Union européenne est unie aux Nations unies, même s'il existe des différences de sensibilités, par exemple concernant le conflit israélo-palestinien, et les véritables divergences sont très rares.

- Présidence de M. Robert del Picchia, vice-président -