La réunion

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Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission des finances, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, entend une communication de M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, et de M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis, sur les implantations communes du réseau diplomatique gérées avec d'autres pays de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Depuis la fin des années 1990, la France « partage » une partie de son réseau diplomatique, consulaire ou culturel avec certains partenaires, en particulier l'Allemagne. Ce « partage » prend des formes diverses, parfois modestes, quand il s'agit d'accueillir un diplomate du pays partenaire dans les locaux d'une ambassade, parfois plus ambitieuses quand deux pays ouvrent ensemble leur ambassade dans un même bâtiment.

Un peu plus de dix ans après les premiers essais, il nous a paru opportun, à Adrien Gouteyron et à moi-même, de faire le point sur cette politique, sous un angle intéressant chacune de nos deux commissions. Nous nous sommes posé les questions suivantes : Où en sommes-nous en termes de nombre d'implantations communes ? Y a-t-il une stratégie guidant les ouvertures de telles implantations ? Quel bilan peut-on en tirer d'un point de vue diplomatique ? Y a-t-il là un gisement d'économies potentielles à l'heure où le réseau est en cours de redéfinition dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?

Pour répondre à ces questions, nous avons mené des entretiens à divers niveaux de l'administration du ministère des affaires étrangères et européennes (MAEE), ainsi qu'avec des membres du cabinet du ministre. Nous avons également effectué une visite au Grand-duché de Luxembourg afin d'étudier sur place le fonctionnement d'un centre culturel commun à la France, à l'Allemagne et au Luxembourg.

La question des implantations communes d'une partie de notre réseau diplomatique au sens large, c'est-à-dire englobant les ambassades, consulats et centres culturels, avec certains de nos partenaires européens, en particulier l'Allemagne, revient régulièrement dans le débat public. Ainsi plusieurs rapports portant sur l'organisation du réseau français ont recommandé de développer de telles implantations. Je citerai, par exemple, les conclusions du rapport confié au préfet Raymond Le Bris par le Premier ministre de l'époque, M. Jean-Pierre Raffarin, sur « l'organisation et le fonctionnement des services de l'Etat à l'étranger », rendu public en juillet 2005. Celui-ci estimait que la fermeture de certaines de nos petites ambassades induirait des coûts en matière d'image largement supérieurs aux économies escomptées, et recommandait plutôt de réduire les financements affectés à ces implantations en favorisant le regroupement des services français à l'étranger, à la fois entre eux et avec des partenaires européens. Par la suite, le comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger (CIMEE), réuni en juillet 2006, a repris cette partie des recommandations du rapport Le Bris. Enfin le « livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France », remis en juillet 2008 au ministre par MM. Alain Juppé et Louis Schweitzer, préconisait de « Développer la co-localisation ou au moins la juxtaposition de nos implantations diplomatiques avec nos partenaires européens ». Ce rapport relevait certes, des obstacles de nature juridique à la mise en place d'ambassadeurs communs, mais soulignait que la proximité au quotidien contribuerait déjà à un rapprochement des perceptions et des réflexes. Le cadre franco-allemand constitue un terrain de mise en oeuvre naturel - mais non exclusif - de cette démarche. A côté des ambassades proprement dites, la fonction consulaire représente un domaine où la France doit inciter ses partenaires de l'Union européenne (UE) à une coopération beaucoup plus volontariste.

Où en sommes-nous ? A ce jour, les réalisations demeurent modestes dans les domaines diplomatique et culturel. Ainsi, s'agissant de la diplomatie (domaine le plus sensible car très lié à la souveraineté des Etats), seuls existent un bureau d'ambassade franco-allemand à Banja Luka, en république serbe de Bosnie-Herzégovine, et l'hébergement d'un chargé d'affaires français dans les locaux de l'ambassade d'Allemagne à Lilongwe au Malawi.

Des projets plus ambitieux existent cependant, à Dacca (Bangladesh) et Koweït-City. En revanche, le projet d'ambassade commune à Maputo (Mozambique) est pour l'instant suspendu. Dans le domaine culturel, les véritables co-localisations de centres culturels français et de locaux de l'Institut Goethe se trouvent à Palerme, Luxembourg et Ramallah. D'autres implantations communes, treize en tout, existent entre Alliances françaises et Instituts Goethe ou d'autres associations allemandes.

La politique est plus avancée dans le domaine consulaire puisque on relève vingt-six collaborations, neuf centres communs de réception de visas, trois centres administratifs communs et que trois projets sont en cours.

On constate que l'Allemagne est le partenaire quasi exclusif de la France en matière de co-localisations diplomatiques et culturelles. Elle est aussi souvent présente dans le domaine consulaire, même si d'autres partenaires peuvent coopérer car l'espace Schengen crée une solidarité de fait, en particulier pour ce qui concerne les visas.

La France et l'Allemagne ont formalisé leurs relations dans un accord cadre relatif aux implantations communes de missions diplomatiques et de postes consulaires, signé à Paris le 12 octobre 2006 et approuvé par le Parlement en 2007 (M. del Picchia étant rapporteur pour le Sénat). Cet accord, très concert, vise à régler aussi bien le partage des frais des locaux communs (comme dans une copropriété) que l'affichage symbolique (plaques, drapeaux, etc.). Il est bien clair que chaque pays conserve sa souveraineté et sa propre représentation.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Les constats principaux que vos rapporteurs tirent de leurs travaux sont les suivants : tout d'abord, les implantations communes peuvent présenter des avantages à la fois symboliques et pratiques : symboliques car les lieux uniques sur lesquels flottent les drapeaux français et allemands, et le drapeau de l'Union, incarnent l'étroitesse des liens entre nos deux pays. De ce point de vue, le bureau d'ambassade commun de Banja Luka est un signe politique fort. De plus, au-delà du symbole, la présence en un même immeuble des personnels diplomatiques leur permet de se rapprocher, de mieux se connaître et d'échanger sur leurs méthodes de travail. Enfin, dans une perspective de maintien, autant que faire se peut, d'une universalité de la présence française à moindre coût, la solution retenue à Lilongwe - hébergement du chargé d'affaires français dans les locaux de l'ambassade allemande - est optimale. En effet, il est difficile de maintenir une ambassade au sens strict du mot, à moins de sept ou huit équivalents temps pleins travaillés (ETPT) ; c'est d'ailleurs le format des plus petites ambassades dans le nouveau schéma diplomatique.

Toutefois, le rapporteur de la commission des finances ne peut que constater la grande faiblesse des enjeux budgétaires liés aux co-localisations, contrairement à une croyance répandue. Par exemple, les frais de fonctionnement des postes de Banja Luka et de Lilongwe ne s'élèvent qu'à 65 000 euros. Et l'ensemble des projets dans le domaine diplomatique ne représentent qu'un peu moins de 1,2 million d'euros de dépenses de fonctionnement, soit à peine plus de 1 % de ce type de dépenses. Il s'agit donc d'un mouvement à encourager, sans économie significative à attendre.

Hormis des cas comme celui du Malawi que je viens d'évoquer avec la présence d'un Français dans une ambassade allemande, la partie mutualisable est très faible, la souveraineté des États demeurant une réalité. Chacun travaille de son côté, avec simplement la possibilité de disposer de contrats communs pour des prestations comme le nettoyage ou la surveillance.

Même en consulaire, la seule fonction justifiant un rapprochement est le traitement des visas. Mais là encore, si nous avons des règles communes avec les pays de la « zone Schengen », chaque État reste responsable de la délivrance des titres. Le seul avantage de la mutualisation est, dans certains cas, l'atteinte de la « masse critique » de dossiers (environ 15 000) permettant de négocier des prix intéressants dans l'externalisation de la réception des demandes de visas. Les agents peuvent alors se concentrer sur leur coeur de métier (le traitement des dossiers), ce qui améliore le service aux demandeurs. Ainsi, à Moscou, le délai de réponse serait passé de trois semaines à trois jours depuis la mise en place d'un centre commun externalisé de réception des visas.

Cependant, d'une manière générale, non seulement la souveraineté ne se partage pas, mais, dans de nombreux pays, nos partenaires européens peuvent aussi être nos concurrents. Cela est particulièrement vrai sur les sujets économiques et culturels. C'est ce qui explique que les implantations communes existantes se situent souvent dans des pays à « faible enjeu ». Il sera intéressant d'analyser, le moment venu, le succès ou l'échec du projet de centre culturel commun avec l'Allemagne à Moscou, dont l'ouverture était prévue en 2011, mais semble prendre du retard.

Pour l'heure, le seul exemple de centre culturel véritablement commun, allant au-delà d'un simple partage de locaux, est assez éclairant. Il s'agit de l'Institut culturel franco-germano-luxembourgeois Pierre Werner (IPW), situé dans les locaux de l'ancienne abbaye de Neumünster, à Luxembourg.

L'institut a été inauguré en 2003 par Dominique de Villepin, alors au Quai d'Orsay, Joschka Fischer, son homologue allemand, et par Mme Erna Hennicot-Schoepges, ministre luxembourgeoise de la culture. Il devait alors promouvoir simultanément l'intégration européenne, la diversité culturelle et la culture des trois pays, ce qui constituait un noble et ambitieux objectif.

Mais, deux ans plus tard, devant un relatif échec, les trois parties ont revu l'organisation de l'institut doté d'un directeur unique et les statuts du centre. L'institut Pierre Werner doit désormais promouvoir la réflexion et la coopération culturelle européenne ; il peut d'ailleurs s'ouvrir à d'autres partenaires. A titre d'exemple, l'IPW a accueilli, en mars 2009, une exposition sur « l'évolution du paysage urbain et de l'espace public en Europe centrale et orientale » qui n'est directement relié à aucun des trois partenaires, ce qui montre bien que son objet dépasse la promotion culturelle des Etats fondateurs.

Cela explique d'ailleurs qu'à côté de sa participation à l'IPW, la France a conservé son centre culturel à Luxembourg, qui poursuit ses propres missions. S'il ne s'agit donc pas de remettre en cause l'intérêt d'un tel centre, il ne faut pas l'aborder sous l'angle des économies qui pourraient être envisagées.

En conclusion, le rapporteur de la commission des finances que je suis a pu conforter le pressentiment qu'il avait exprimé dans son rapport budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2008 : « Il convient de ne pas surestimer l'intérêt, sinon sur le plan politique, du moins sur le plan budgétaire, d'implantations communes, franco-allemandes, ou européennes, qui peuvent conduire à une complexification de la gestion des postes à l'étranger, les différents réseaux européens ayant souvent des cultures de fonctionnement très différentes, y compris dans les consulats. »

Le véritable enjeu se situe sur d'autres plans, intéressant davantage la commission des affaires étrangères : le symbole politique que constitue le rapprochement de deux drapeaux ; le rapprochement des personnels et des « cultures » des réseaux ; et, dans le domaine des visas, la qualité du service rendu aux usagers.

Dans tous les cas, pour que l'initiative soit un succès, elle doit venir du terrain et ne pas être imposée « d'en haut », même si cela limite le nombre de projets. En effet, les affinités entre chefs de missions diplomatiques comptent. De même, la perception de tels projets par les autorités du pays hôte est essentielle. Le regroupement de locaux ne doit pas être perçu comme un abandon larvé.

On espérait plus de ce rapport que ce qu'il nous a donné. La réalité conduit à une approche modeste et progressive. L'impulsion ne peut jamais venir d'en haut pour que de tels projets aboutissent, mais uniquement des partenaires sur le terrain.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Votre présentation souligne combien les États sont soucieux de leur souveraineté et ne veulent donc pas la partager. J'ai par ailleurs été surpris du rôle prééminent que vous accordez aux initiatives de terrain en matière de co-localisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

On constate en effet que seules des circonstances exceptionnelles, alliant des affinités entre chefs de mission, consuls ou conseillers culturels, et une disponibilité en matière de locaux, peuvent conduire à la réussite de tels projets, dont l'exemple le plus éloquent se situe à Lilongwe.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

L'émergence du service européen d'action extérieur (SEAE) sera-t-il de nature à faciliter ces rapprochements ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Ce sera sans doute plutôt la contrainte budgétaire qui conduira les pays européens à regrouper leurs services présents à l'étranger. Le SEAE représentera l'Union européenne, mais n'aura pas vocation à se substituer aux États membres.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Il serait souhaitable de connaître les aspirations des publics des pays d'accueil, pour savoir si un centre culturel européen dans lequel les spécificités nationales apparaîtraient diluées serait de nature à répondre à leurs attentes. Je n'en suis pas certain.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

L'expérience de l'Institut Pierre Werner doit nous conduire à réfléchir aux rôles respectifs que nous souhaitons attribuer, d'une part à l'Europe et, d'autre part, à ses États membres. La mission de l'IPW est de diffuser une culture européenne et non la culture de chacun des pays à l'origine de l'initiative.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

J'ai l'occasion de me rendre fréquemment au Luxembourg, pays marqué par une forte immigration, ce qui conduit ses habitants à promouvoir l'enseignement du luxembourgeois comme élément de cohésion, au détriment de l'allemand ou du français. Il faut relever la réussite du Lycée français de Luxembourg dans ce contexte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Besson

J'ai effectué, il y a une dizaine d'années, sous la conduite de notre collègue François Trucy, un déplacement dans plusieurs pays d'Asie centrale, qui nous a permis de constater plusieurs succès en matière de co-localisation, notamment entre la France et l'Allemagne. J'ai d'ailleurs cité cet exemple lors de la discussion du budget pour 2010 du ministère des affaires étrangères et européennes, et M. Bernard Kouchner a semblé intéressé. Je suis donc surpris de la réserve manifestée par les rapporteurs devant cette perspective.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Une telle solution peut être positive seulement dans des situations très particulières, comme en témoigne l'exemple déjà cité, de Lilongwe. Nous sommes parvenus à deux conclusions très claires. Il n'y a pas d'économies substantielles à attendre de ces co-localisations, et ces projets sont souvent entravés par la concurrence existante dans les domaines diplomatique, économique et culturel entre les pays européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Déjà, le Livre Blanc rédigé par MM. Juppé et Schweitzer soulignait que l'Allemagne était le seul partenaire désireux de rapprocher son réseau extérieur du réseau français. Nos travaux ont montré que des pistes, si elles existent, se situeraient plutôt au niveau européen que bilatéral. Je pense que ce rapprochement se fera sous la contrainte budgétaire, car je crains que notre pays ne puisse continuer à financer les cent soixante ambassades qu'il possède aujourd'hui dans le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Les réalisations constatées en matière d'externalisation des visas « Schengen » constituent un élément solide de mutualisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

C'est, en effet, un rapprochement profitable entre États qui ne met pas en jeu, pour autant, leur souveraineté respective.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Ces implantations communes sont concevables pour résoudre des problèmes pratiques, mais elles ne doivent pas conduire à ignorer l'importance de la souveraineté nationale, qui s'enracine dans l'histoire longue. Je vous rappelle que la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a estimé, le 30 juin 2009, qu'en l'absence d'existence d'un peuple européen, le Parlement européen ne peut se prévaloir de la même légitimité que celle des parlements nationaux. J'estime, plus largement, qu'il existe en France une ignorance de la réalité allemande, marquée par le désir de se rapprocher des pays d'Europe orientale, et surtout de la Pologne, et, dans le domaine économique, par une culture de la stabilité dont nous mesurons mal l'importance. J'observe, cependant, que cette culture conduira l'Allemagne à un affaiblissement économique durable si elle lui fait oublier que 60 % de son commerce extérieur se réalise avec la zone euro, et qu'elle a donc intérêt à ce que cette zone soit la plus dynamique possible. Seul un dialogue fondé sur la reconnaissance des différences entre les conceptions françaises et allemandes pourra produire des effets concrets. J'ignore en quoi consiste cette « culture européenne » que l'institut Pierre Werner est chargé de promouvoir. Je sais, en revanche, que pour aller de l'avant, vers une « Europe européenne » suivant les termes du Général de Gaulle, il faut une meilleure connaissance mutuelle entre des États partenaires comme la France et l'Allemagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Adrien Gouteyron et moi-même sommes très soucieux de ne pas laisser croire qu'un rapprochement à marche forcée des réseaux extérieurs des États européens serait aisément réalisable et conduirait à des économies stables.

La commission des finances et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées donnent acte à MM. Adrien Gouteyron et Jean-Louis Carrère de leur communication et en autorisent la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Présidence de MM. Jean Arthuis, président, et Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La commission des finances et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées entendent ensuite une communication de MM. François Trucy, rapporteur spécial, et Didier Boulaud, rapporteur pour avis, sur la politique immobilière du ministère de la défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Il a paru utile que nos deux commissions se penchent sur la politique immobilière du ministère de la défense. Celui-ci est le premier détenteur du patrimoine immobilier de l'Etat. La gestion de ce patrimoine représente donc un enjeu très important. D'autre part, la politique immobilière était appelée à jouer un rôle inédit dans le financement de notre politique de défense, grâce à une amplification et une accélération des ventes immobilières.

Quelques chiffres donnent l'importance du patrimoine immobilier de la défense. Il occupe 330 000 hectares et sa valeur est estimée à 16 milliards d'euros pour la défense au sens strict, et à 21 milliards si l'on ajoute la gendarmerie. Cela représente 33 % de la valeur du patrimoine immobilier de l'Etat et 43 % si l'on inclut la gendarmerie.

Ce patrimoine est très hétérogène. Il comprend des logements individuels ou collectifs, des bases aériennes et navales et des camps d'exercice, des casernes, des immeubles de bureaux.

La politique immobilière représente en moyenne 1,2 milliard d'euros par an, soit plus de 4 % du budget de la défense hors pensions. Il y a, dans cet ensemble, des programmes d'infrastructure très liés à la capacité opérationnelle, par exemple pour l'accueil de nouveaux matériels (Rafale, Tigre, missile M51), des dépenses de construction et d'entretien plus classiques, 140 millions d'euros de loyers budgétaires et 80 millions d'euros pour le logement familial, avec 12 000 logements domaniaux et 43 000 logements réservés auprès d'opérateurs.

Enfin, ce patrimoine est appelé à évoluer du fait des restructurations dans lesquelles le ministère de la défense est engagé depuis vingt ans, avec le plan « Armée 2000 » dès 1989, puis la professionnalisation et enfin le nouveau plan de stationnement arrêté en 2008. Plus de 1 000 mesures de fermeture, transfert, réorganisation sont intervenues depuis 1997. Plus d'une centaine sont prévues dans les années à venir. Des emprises et des immeubles sont devenus inutiles. D'autres ont du faire l'objet d'adaptations ou de remaniements.

La restructuration des armées a permis de vendre des terrains et immeubles libérés, mais pas dans une proportion équivalente à celle de la libération de nouveaux biens devenus ainsi disponibles. Le montant des ventes est assez modeste : de l'ordre de 50 millions d'euros par an au début des années 2000 et entre 60 et 80 millions d'euros annuels pour la période 2007-2009.

Pourquoi ce montant relativement faible ? Beaucoup de biens immobiliers de la défense présentent une forte spécificité. Le marché est relativement étroit et ils sont difficiles à négocier. L'obligation de dépollution préalable - notamment la dépollution pyrotechnique - constitue un frein important à la cession.

Depuis 2003, plusieurs mesures ont été prises pour assouplir cette obligation de dépollution. Les exigences ont été adaptées en fonction de la destination future du bien. L'Etat a été autorisé à confier les opérations à des entreprises privées. Récemment, la possibilité a été prévue que l'acquéreur prenne en charge les opérations de dépollution, moyennant une imputation sur le prix de vente. Il est également envisagé de modifier la réglementation pour la limiter aux cas dans lesquels une présomption de pollution est sérieusement établie, à la suite de recherches historiques.

Aujourd'hui, plus de 600 emprises sont immédiatement disponibles à la vente. Près de 500 autres pourraient l'être soit après relogement, soit après dépollution. Leur valeur globale est estimée par France Domaine à 1,3 milliard d'euros. Si l'on y ajoute les emprises actuellement occupées par le ministère à Paris et qui seront libérées lors du déménagement à Balard, le montant potentiel des cessions dépasse 2 milliards d'euros.

Toutefois, dans le même temps, le remaniement de la carte militaire génère des coûts d'infrastructure. Ils avaient été estimés à 1,2 milliard d'euros lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire 2009-2014 et sont maintenant réévalués à 1,5 milliard d'euros. En effet, certains coûts n'ont pu être réellement étudiés qu'une fois le nouveau plan de stationnement connu avec certitude, c'est-à-dire après les arbitrages sur la loi de programmation. Par ailleurs, les dépenses sont concentrées sur les trois années 2009-2011, l'armée de terre ayant notamment plaidé pour ne pas étaler excessivement sa reconfiguration.

Au cours des dernières années, la conduite de la politique immobilière du ministère a été rationalisée. Elle relève du secrétaire général pour l'administration et de la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA). Une avancée importante a été réalisée avec la création en 2005 du service d'infrastructure de la défense (SID) qui s'est substitué aux trois services d'armée.

On doit porter une appréciation positive sur la création du SID. Chargé de mettre en oeuvre la politique immobilière, il a permis d'optimiser les ressources humaines et les financements et de mieux coordonner l'avancement des opérations.

S'agissant des cessions immobilières, trois entités peuvent intervenir. Le ministère dispose d'une structure spécialisée : la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI). La MRAI est l'interlocuteur privilégié des collectivités locales. Elle effectue un travail d'étude préalable sur des projets de reconversion de sites. Pour les sites particulièrement difficiles à reconvertir, il est prévu que le ministère fasse appel à la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM), société d'Etat qui avait été créée pour écouler le patrimoine immobilier de Réseau ferré de France (RFF). La SOVAFIM vient de racheter une partie des terrains du 2ème régiment de hussards à Sourdun (Seine-et-Marne) pour y développer un projet de ferme photovoltaïque. Enfin, les immeubles courants sont remis par le ministère à France Domaine qui procède à la vente par appel d'offres.

La LOLF a également profondément transformé le pilotage financier de la fonction « immobilier », jusqu'alors éclatée entre chaque « gouverneur de crédits », c'est-à-dire les trois armées, la direction générale de l'armement (DGA) et l'administration centrale.

La quasi-totalité des crédits sont désormais regroupés au sein du programme 212, piloté par le secrétariat général pour l'administration (SGA). Les armées ne gèrent plus que quelques crédits pour les travaux courants au sein des unités. Les crédits d'infrastructure de la gendarmerie sont cependant rattachés à la mission « sécurité ».

Sur 2009 et 2010, le suivi budgétaire de la politique immobilière a toutefois perdu en lisibilité. Certaines dépenses ont été basculées sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » qui, finalement, n'a pas été alimenté au niveau voulu.

Le ministère de la défense s'est également efforcé de mettre en place une stratégie pour l'évolution de son patrimoine immobilier avec deux instruments : des schémas pluriannuels de stratégie immobilière, dont le premier, concernant l'Île de France, a été adopté en 2006 ; des schémas directeurs immobiliers dans les principales agglomérations.

Ce travail a toutefois été bouleversé par la révision de la carte militaire décidée en 2008, ainsi que par le projet de regroupement de l'administration centrale à Balard. Le schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) d'Île-de-France a été révisé en 2008. Pour la province, le ministère élabore désormais un schéma directeur par base de défense.

La mise en place d'une stratégie de réorganisation immobilière trouve donc ses limites dans les décisions exogènes telles que celles qui viennent d'être prises en matière de réorganisation des forces armées.

Avec la nouvelle loi de programmation militaire, la politique immobilière du ministère de la défense s'est vu assigner une mission nouvelle.

Il ne s'agit plus seulement de rationaliser les implantations, pour réduire les coûts de fonctionnement. A travers les cessions, la politique immobilière doit également apporter rapidement à la défense un complément de financement très significatif pour faire face aux besoins de paiement à court terme.

L'élément central de cette stratégie réside dans une vente anticipée des immeubles occupés par le ministère à Paris, plusieurs années avant le déménagement à Balard. Il s'agit également de réaliser un volume important de ventes sur les emprises libérées en province.

Un an et demi après le démarrage de la loi de programmation, ce schéma initial doit être complètement révisé. Les montages envisagés n'ont pu se concrétiser.

Comme vous le savez, la loi de programmation militaire 2009-2014 a intégré 3,6 milliards d'euros de recettes exceptionnelles, dont près de 3,4 milliards d'euros sur les trois années 2009, 2010 et 2011, pour faire face à la « bosse » des dépenses d'équipement. La vente de fréquences hertziennes était attendue pour environ 1,5 milliard d'euros. L'immobilier représente quant à lui 2 milliards d'euros concentrés sur ces trois premières années. Cet objectif peut être considéré comme extrêmement ambitieux. Il s'agissait de multiplier par cinq le rendement des cessions immobilières, par rapport à la loi de programmation militaire 2003-2008.

Le montant des cessions doit être crédité au compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat ». Au sein de celui-ci, un budget opérationnel de programme (BOP) spécifique est géré par la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) qui pilote ainsi l'ensemble des crédits de politique immobilière, qu'ils soient en zone budgétaire ou sur le compte d'affectation spéciale.

Sur la gestion de ce compte d'affectation spéciale, deux particularités sont à signaler. D'une part, le ministère de la défense bénéficie de 100 % des produits de cessions, au lieu de 85 % pour les autres ministères, 15 % allant au désendettement de l'Etat ; d'autre part, les règles habituelles ont été assouplies. Ont ainsi été transférés sur ce compte 224 millions d'euros constituant la soulte versée par la Société nationale immobilière (SNI). Il ne s'agit pas de produit de cessions, mais d'un paiement d'avance de dix années de loyers que la SNI perçoit, pour le compte du ministère de la défense, sur les logements domaniaux dont il lui confie la gestion.

L'objectif fixé en matière de cessions repose à 60 % sur la vente de l'immobilier parisien. Le restant représente les ventes en province, ainsi que l'avance sur loyers versée par la SNI.

Le principe retenu pour Paris est qu'à l'échéance 2014, le ministère de la défense aura quitté toutes ses implantations actuelles à l'exception de l'hôtel de Brienne, des Invalides et de l'Ecole militaire, qu'il n'occupe que très partiellement, du Val-de-Grâce et du boulevard Mortier. Les entités correspondantes ont vocation à rejoindre Balard, la proche banlieue ou la province.

La particularité du dispositif imaginé était de tabler sur des recettes immédiates, grâce à la vente des immeubles occupés à une société de portage censée les revendre ultérieurement, mais également sur des dépenses différées, la réalisation des nouvelles installations de Balard étant confiée à un opérateur privé, avec paiement d'un loyer de l'ordre de 100 millions d'euros par an à compter de 2014 et durant trente ans.

Pour être précis, sur les treize emprises parisiennes que le ministère de la défense doit quitter d'ici 2014, trois cas de figure étaient envisagés :

- quatre « petits » immeubles devaient être vendus selon la procédure de droit commun, c'est-à-dire un appel d'offres lancé par France Domaine ;

- l'hôtel de la Marine devait faire l'objet d'une opération particulière ; l'Etat conserverait la nue-propriété mais cèderait l'usufruit, sous réserve du respect par le preneur du caractère des lieux ;

- enfin, huit immeubles devaient être achetés « en bloc », en site occupé, par une société de portage qui devait être créée pour la circonstance entre la Caisse des dépôts et consignations et la SOVAFIM ; cette société se serait chargée de la valorisation ultérieure de ces immeubles ; l'îlot Saint-Germain, siège principal de l'administration centrale, représentait à peu près la moitié de ce portefeuille immobilier.

Depuis l'automne 2008, la constitution de la société de portage et la conclusion de la vente en bloc des huit emprises principales nous ont régulièrement été présentées comme « imminentes » ; ce fut le cas lors du vote du budget 2009, qui prévoyait cette recette, puis en novembre dernier, lors de l'examen du budget 2010, sur laquelle ladite recette avait été reportée.

Après plusieurs mois de discussions, le projet a finalement été abandonné en mars dernier. Cela nous a été officiellement confirmé le 7 avril, lors de la réunion sur le contrôle trimestriel du budget de la défense à laquelle les rapporteurs de nos deux commissions participent.

Se fondant sur la dernière évaluation de France Domaine, le ministère de la défense réclamait 744 millions d'euros pour les huit immeubles. La SOVAFIM et la Caisse des dépôts ont proposé 520 millions d'euros seulement, soit 30 % de moins qu'espéré par l'Etat.

On doit donc revenir à un processus de cession classique, par appel d'offres, avec un calendrier lié à celui de libération des emprises : deux doivent être libérées en 2012 et les quatre autres en 2014, lors de l'installation à Balard.

En fin de compte, il faut renoncer à des recettes immédiates sur l'immobilier parisien et l'on voit qu'en tout état de cause, il existe un risque de sous-réalisation par rapport au produit escompté.

A cette première difficulté s'en ajoutent deux autres.

L'hôtel de la Marine va lui aussi être libéré en 2014, mais sa valorisation anticipée était escomptée sur la période de programmation. Officiellement, le projet de location de longue durée reste d'actualité. Un cahier des charges précisant les obligations du preneur en matière de protection du patrimoine doit être rédigé ; le ministère de la Culture est associé à ce processus. La commission nationale des monuments historiques a rendu un avis assez contraignant.

Pour l'instant, seul un projet combinant hôtellerie de luxe et dimension culturelle a été évoqué dans la presse. Mais on constate une contradiction fondamentale entre les exigences indispensables en matière de protection du patrimoine et la valorisation économique du bien auprès d'un opérateur privé. L'intérêt même de cette opération pour l'Etat peut être mis en doute.

Seconde difficulté : le volume des recettes liées aux ventes en province avait été établi avant l'adoption du dispositif des cessions à l'euro symbolique. A supposer que la totalité des emprises libérées à l'occasion des restructurations soient cédées, près de la moitié ne donneront lieu à aucune recette pour l'Etat.

Au bilan, on peut dire que les recettes immobilières n'arriveront ni au moment voulu, ni au niveau attendu. J'ajoute - même si ce n'est pas le sujet du rapport - que la concrétisation des ventes de fréquences est, elle aussi, repoussée à 2011, voire 2012.

A court terme, le déficit en ressources a été compensé par des mesures de trésorerie : l'autorisation de consommer des crédits de report disponibles. La moindre inflation aurait également diminué les besoins de paiements de la défense. Au chapitre immobilier, il semble néanmoins qu'une centaine de millions d'euros ait fait défaut en 2009, imposant le report d'opérations d'entretien courant des immeubles.

On constate que les valeurs sur lesquelles ont été établies les prévisions de la loi de programmation sont assez éloignées des perspectives concrètes de valorisation pour ces biens très particuliers et atypiques sur le marché immobilier.

Globalement, le ministère de la défense espère qu'en repoussant de quelques années la vente de l'immobilier parisien, il limitera la moins-value, par rapport à ses estimations initiales, à une centaine de millions d'euros. Cela suppose toutefois de négocier dans de bonnes conditions un immeuble aussi particulier que celui de l'îlot Saint-Germain.

Pour les ventes en province, le déficit sur la loi de programmation militaire pourrait être de 250 millions d'euros.

Nous sommes donc face à un déficit minimal de 350 millions d'euros, que l'on peut ramener à 200 millions d'euros si l'on intègre le solde positif du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » début 2009, soit 140 millions d'euros.

Enfin, la plus grande incertitude règne sur l'hôtel de la Marine. S'il fallait renoncer à ce projet, les recettes s'en trouveraient un peu plus diminuées.

Au-delà de la nécessité de compenser le manque à gagner, la question du devenir de l'îlot Saint-Germain et de la rue Royale se pose avec beaucoup d'acuité. En effet, le projet Balard est lancé. Le ministère de la défense quittera ces deux grands immeubles en 2014. Il faudra alors trouver une solution qui préserve les intérêts financiers de l'Etat et elle n'est pas acquise aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

La nécessité du regroupement de 10 000 personnes sur le site de Balard ne va pas de soi. Ce projet est apparu brutalement, en contradiction avec les orientations antérieures du ministère. Jusqu'en 2007, le ministère de la défense considérait qu'il n'avait pas besoin de regrouper ses services parisiens sur un site unique. Il poursuivait le projet dit de « pôle stratégique de Paris », qui consistait à réorganiser le dispositif autour de l'îlot Saint-Germain, qui aurait comme aujourd'hui réuni environ 3 200 personnes. Ce projet impliquait de réaliser deux transferts : celui de la direction générale pour l'armement (DGA) de Balard vers Bagneux, et celui de l'état-major de l'armée de terre (EMAT) de l'îlot Saint-Germain vers l'Ecole militaire. Ce dernier projet n'a pas eu le temps d'être réalisé. En revanche, le déménagement de la DGA - par ailleurs indispensable, ne serait-ce qu'à titre temporaire, puisqu'il fallait rénover la « tour A » dans laquelle elle était installée - a eu lieu en 2007. Ainsi, la DGA occupe actuellement à Bagneux d'anciens locaux de la société Thalès, dont elle est locataire par bail arrivant à échéance en 2016. La DGA reviendrait donc sur le site de Balard sept ans après l'avoir quitté.

Le site de Balard regroupe trois entités distinctes. La « parcelle est », actuellement la plus utilisée par le ministère de la défense, réunit 4 500 personnes. Elle comprend notamment la « tour A » anciennement occupée par la DGA, et actuellement en cours de rénovation. Cette parcelle resterait à peu près en son état actuel. C'est sur la « parcelle ouest » que doit être construit le nouveau siège du ministère de la défense. Les effectifs regroupés sur cette parcelle passeraient de 1 500 à 5 000 personnes. Elle comprend les bassins d'essais de la Marine, construits par Auguste Perret, qui ne sont pas inscrits à l'inventaire des monuments historiques et doivent être détruits. Cette parcelle comporte également un bâtiment, dit bâtiment « en L » ou « bâtiment Perret » (lui aussi construit par Auguste Perret), inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, et qui sera conservé. Enfin, la « corne ouest » devrait être utilisée par le futur prestataire pour construire des bureaux (pour lesquels il paierait un loyer au ministère de la défense).

Il convient de distinguer trois points :

- Premièrement, est-il justifié de réunir 5 000 personnes - les 5 000 de la future parcelle ouest, les seules devant véritablement travailler avec le ministre - sur un site unique ?

- Deuxièmement, parmi tous les sites possibles, celui de Balard est-il le meilleur ?

- Troisièmement, faut-il recourir à un partenariat public-privé ?

- Quatrièmement, que se passera-t-il si l'on n'arrive pas à vendre les biens parisiens, et en particulier l'îlot Saint Germain ?

En ce qui concerne la première question, mon collègue Didier Boulaud et moi-même nous sommes efforcés de faire un peu de « parangonnage », pour voir ce qui se fait à l'étranger. On a souvent recours à l'expression de « Pentagone à la Française », mais le Pentagone n'est pas le seul exemple possible. Si l'on voulait faire comme les Américains, ce n'est pas deux fois 5 000 personnes qu'il faudrait réunir, mais 23 000. On est loin du compte. Cependant, il n'y a pas que les Américains. Il y a aussi, par exemple, les Britanniques. Ceux-ci ont considéré en 2000 que la meilleure solution pour eux était non d'essayer de faire comme les Américains, mais de moderniser leur « Main Building », équivalent de notre îlot Saint Germain, qui a une capacité analogue. Les travaux se sont achevés en 2004, et apparemment ils sont très satisfaits du résultat. Leur « Main Building » réunit pourtant seulement 3 300 personnes.

Dans ces conditions, l'exemple américain et la nécessité de réunir tous les états-majors autour du ministre ne suffisent pas à justifier le regroupement de 5 000 personnes. Le projet Balard est certes compatible avec la réduction des effectifs centraux actuellement prévue par la RGPP, mais la RGPP va-t-elle assez loin ? Et ne pourrait-on pas délocaliser davantage d'emplois en banlieue ?

En revanche, dès lors que l'on admet la nécessité de regrouper 5 000 agents sur un site unique, le choix du site de Balard paraît raisonnable. La parcelle est de Balard est déjà occupée par la Cité de l'Air, qu'il n'est évidemment pas question de raser, et qui ne présente peut-être pas le « standing » requis pour abriter le siège du ministère de la défense. Arcueil et Vincennes sont intéressants, mais il n'y existe pas de droit à construire. Il aurait donc fallu, en tout état de cause, modifier le plan local d'urbanisme, ce qui aurait pris du temps, sans compter les éventuels recours. Les autres sites sont inappropriés ou trop éloignés du centre de Paris.

J'en viens à la troisième question : faut-il recourir à un partenariat public-privé ?

Le ministère de la défense prévoit de recourir à un contrat de partenariat intégrant la conception, la construction, la rénovation, le financement, l'entretien, la maintenance et les services pendant 30 ans pour la construction (27,5 ans à partir de la livraison en 2014). Il n'est pas certain que le recours à un partenariat public-privé coûte moins cher que l'acquisition « classique » du nouveau bâtiment. Selon les estimations du Gouvernement, le projet devrait coûter sur 30 ans environ 3,5 milliards d'euros, dont 600 milliards d'euros pour le bâtiment et 100 milliards d'euros par an pour le loyer payé au prestataire. Ces ordres de grandeur sont vraisemblables, en particulier si l'on se réfère au précédent du « Main Building » britannique. Cependant, la marge d'incertitude est telle qu'il n'est pas possible d'affirmer que le recours à un partenariat public-privé permettra de faire des économies. Il faut en outre rappeler qu'aucun contrat n'est encore conclu.

Dans ces conditions, quel jugement porter sur le projet Balard ? Celui-ci présente probablement plus d'avantages que d'inconvénients, même si ces avantages sont moindres que ce qu'indique le ministère de la défense.

Ce dont dépendra a posteriori le bien-fondé de la décision, c'est probablement les modalités de cession des autres biens parisiens, et en particulier de l'îlot Saint Germain. Celui-ci n'est pas facile à vendre parce qu'il représente une superficie énorme, égale à la moitié de celle de tous les biens parisiens. Avant la crise financière, sa cession ne semblait pas poser de problème particulier, mais la situation a changé. Il ne faudrait pas que le « projet Balard » conduise à conserver pendant des années un immeuble inoccupé, de très grande superficie, que l'on ne parviendrait pas à céder. Faute de quoi, nécessairement, on se demandera à quoi aura servi ce projet.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Le fait que le site de Balard soit situé en zone inondable pose-t-il un problème ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Certes, le site de Balard, comme l'îlot Saint-Germain, se trouve en zone inondable. Cependant, on parle d'une crue analogue à celle de 1910, par définition exceptionnelle. Ensuite, comme dans le cas de l'îlot Saint-Germain, également situé en zone inondable, une certaine protection du site est possible. Enfin, le ministère de la défense dispose d'autres centres de commandement, comme celui du Mont Valérien.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

En tant que rapporteure spéciale de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » et du compte d'affectation spéciale du même nom, il me semble que ce contrôle relevait au moins en partie de mes compétences. La règle dérogatoire selon laquelle la totalité des ressources immobilières du ministère de la défense revient à celui-ci, alors que selon le droit commun les ventes d'actifs immobiliers contribuent, à hauteur de 15 % de leur montant, au désendettement de l'Etat, ne me semble pas justifiée. Les prévisions de produit de cessions immobilières ont été de toute évidence surestimées par le ministère de la défense, qui doit fournir des estimations réalistes. La cession de l'îlot Saint-Germain ne va pas de soi, mais tel est également le cas de celle d'autres biens, comme la caserne de Reuilly, au sujet de laquelle le ministère de la défense mène de difficiles négociations avec la ville de Paris. Le produit de cession des immeubles parisiens ne permettra probablement pas de financer le projet Balard. Le ministre de la défense doit faire preuve de davantage de réalisme.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Le produit des ressources immobilières bénéficiera en tout état de cause à l'Etat. S'il se révélait impossible de céder l'îlot Saint-Germain dans de bonnes conditions et dans un délai raisonnable, il serait toujours possible de « geler » le projet. A ce stade, aucune décision irréversible n'a été prise.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Le projet Balard semble être apparu soudainement. La nécessité de réunir 10 000 personnes sur un site unique ne me paraît pas démontrée. Rénover l'îlot Saint-Germain pourrait coûter moins cher, et permettrait de disposer d'un site plus prestigieux. Qui a décidé de lancer ce projet ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Le ministère de la défense a obtenu l'accord du Président de la République en décembre 2007 ; celui-ci l'a annoncé le 17 juin 2008 et le ministre de la défense l'a confirmé le 26 mars 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le projet peut se justifier par la nécessité de réaliser des économies de fonctionnement, et donc de regrouper les états-majors.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Si l'on réduisait suffisamment les états-majors, il ne serait pas utile de construire un nouveau bâtiment pour les regrouper.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Ces questions devront être débattues lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Les contraintes sur les crédits de la mission « Défense » vont être très fortes ces prochaines années.

La commission des finances et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées donnent acte à MM. François Trucy et Didier Boulaud de leur communication et en autorisent la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Présidence conjointe de MM. Jean Arthuis, président, et Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

Puis la commission des finances et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées auditionnent, conjointement, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les orientations de la politique française de coopération et de développement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Cette audition devant nos deux commissions prolonge le débat qu'elles ont organisé, le 12 mai dernier, sur les orientations de la politique française de coopération et de développement, auquel avaient participé quatre spécialistes du sujet. Comment atteindre l'objectif d'une aide publique au développement à hauteur de 0,7 % du PIB, dans un contexte budgétaire aussi tendu ? Pouvons-nous emprunter un peu plus pour financer la politique de développement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le Ministre, vos services ont entamé depuis plusieurs mois la rédaction d'un document cadre définissant la stratégie de la France en matière d'aide au développement. Les repères traditionnels ont été remis en cause ; la catégorie même de pays en développement est de plus en plus hétérogène. Autrefois centrées sur la lutte contre les inégalités, ces politiques prennent désormais en compte de nouveaux défis, comme la lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, l'environnement institutionnel se complexifie, avec la montée en puissance des acteurs multinationaux et européens, des fonds verticaux et des fondations privés. Dans cet environnement changeant, il est heureux que votre ministère définisse et hiérarchise ses objectifs.

Ce document cadre doit fédérer l'action des administrations concernées. Notre dispositif institutionnel est complexe. Les différents acteurs doivent coordonner leurs actions autours d'objectifs clairs, suffisamment précis pour faire l'objet d'une évaluation.

La politique d'aide au développement est une contribution essentielle de la France à un monde plus sûr : il était important d'associer le Parlement à la définition de ses priorités.

Après la table ronde que nous avons organisée le 12 mai dernier, il s'agit aujourd'hui de vous entendre sur le document cadre. Dans deux semaines, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dont les rapporteurs sont MM. Cambon et Vantomme, vous remettra sa contribution, avant, je l'espère, un débat en séance publique à l'automne.

Je voudrais vous poser deux séries de questions.

Avant de définir une stratégie, il faut évaluer ce qui a été fait. Quel diagnostic faites-vous de notre politique d'aide au développement en Afrique ?

La France consacre 34 % de son effort d'aide au développement à la politique européenne d'aide au développement, soit 1,8 milliard d'euros. Selon plusieurs experts, notre pays a du mal à peser sur la programmation du FED, et la politique européenne n'est pas toujours aussi efficace qu'on pourrait l'espérer. Partagez-vous ce diagnostic ? Quelle conséquence en tirez-vous ? Comptez-vous nous associer à la rédaction du document de stratégie à l'égard de politique européenne de développement ? Comment comptez-vous faire partager nos priorités et mieux évaluer la politique européenne ?

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Notre politique de coopération et de développement mérite d'être évaluée ; ce n'est pas facile. Comme vous, nous sommes convaincus qu'est venu le temps de refonder cette politique ; c'est pourquoi j'ai souhaité associer la représentation nationale en amont de la rédaction de ce document cadre. Merci de vous être autant impliqués. Le document final, d'une quarantaine de pages, sera soumis au Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), qui se prononcera début juillet.

Nous en sommes aujourd'hui à un premier point d'étape.

L'engagement de la France en faveur du développement est ancien, mais avec le temps vient l'habitude, et le sens finit par s'éroder... Il faut lui redonner du sens. En valeur absolue, la France est le deuxième bailleur mondial, mais au service de quels objectifs ? La coopération n'est pas seulement un acte de solidarité généreuse ; elle touche à nos intérêts premiers. Sécurité, approvisionnement énergétique, croissance, emploi, lutte contre les pandémies, gestion des équilibres écologiques et climatiques dépendent de ce qui se passe dans les pays en développement. Dans le long terme, nos intérêts coïncident. Les aider, c'est nous aider, c'est parier sur l'avenir !

Les enjeux sont multiples : restaurer la stabilité et la sécurité dans des pays où l'état de droit est faible, voire absent ; lutter contre la pauvreté et les inégalités, source d'instabilité ; changer un modèle de croissance qui n'est plus soutenable, avant qu'il ne soit trop tard ; gérer au mieux les biens publics mondiaux, environnement, climat et santé. Si les défis sont globaux, les réponses sont locales. Le monde en développement est varié : nous devons diversifier notre aide, différencier nos méthodes et nos partenariats.

Quelles sont nos priorités géographiques ? L'Afrique a changé : la croissance économique y dépasse aujourd'hui la croissance démographique. C'est une formidable vitalité pour un continent dont la partie subsaharienne comptera 1,8 milliard d'hommes en 2050. Le Président de la République a fixé les grandes lignes de notre politique dans son discours du Cap. L'Agence française de développement (AFD) s'efforce de mettre en oeuvre cette vision, en étendant la géographie traditionnelle de la coopération française - voyez le sommet France-Afrique qui se tiendra lundi à Nice.

Il ne faut pas oublier pour autant la lutte contre la pauvreté, facteur d'instabilité politique et sociale. La croissance africaine est largement assise sur l'exportation des produits de rente, ce qui fragilise l'économie. Les prêts ne suffiront pas : il faut une marge de manoeuvre en termes de subventions, qu'il s'agisse de coopération en matière de gouvernance ou des interventions de l'AFD dans les pays prioritaires.

L'Afrique subsaharienne n'est pas la seule priorité. Le bassin méditerranéen est une région traversée par toutes les fractures du monde contemporain : il nous faut tirer le meilleur profit de notre proximité géographique et culturelle pour en faire un espace économique attractif. La perspective a été tracée avec l'Union pour la Méditerranée ; nous travaillons avec les pays riverains pour gérer cet espace écologique unique.

En Asie et en Amérique Latine, la coopération doit répondre aux défis posés par les pays en crise et les pays émergents. C'est un outil pour prévenir ou reconstruire. Nous manquons de moyens pour répondre à certaines crises, et les redéploiements déstabilisent notre action... D'où l'idée d'un fonds post-crise dédié.

Les pays émergents ont joué un rôle moteur dans la croissance mondiale et la sortie de crise. Peut-on les laisser de côté ? Ils contribuent aux déséquilibres mondiaux, notamment des balances commerciales et des paiements, et influent sur l'accès aux matières premières, les conditions d'emploi, la sécurité internationale, l'environnement... Notre coopération vise à les inciter à changer de modèle de croissance et à s'impliquer dans l'aide aux pays les plus pauvres. Aujourd'hui, notre aide prend essentiellement la forme de prêts faiblement bonifiés, point d'entrée pour l'expertise et le transfert de technologies.

Quels sont les moyens et les outils de la politique de coopération ? Il faut prendre en compte l'ensemble des leviers : les ressources fiscales des pays destinataires de l'aide, les investissements directs étrangers, dont le rôle moteur peut être démultiplié, les flux privés, qui s'élèvent chaque année à 40 milliards de dollars, les transferts de fonds des migrants, qui représentent annuellement 300 milliards de dollars. L'aide publique au développement est irremplaçable pour financer des investissements de long terme et soulager les populations les plus vulnérables, mais ne peut reposer uniquement sur les contribuables de l'OCDE.

Il faut élargir l'assiette. La France a été pionnière avec la taxe sur le transport aérien. La nouvelle piste est celle d'une taxe sur les transactions financières internationales, au taux de 0,005 %, soit 5 centimes sur 1 000 euros ! Les financements innovants ne sont plus une niche, mais un véritable objectif.

Il nous faut coordonner les politiques économiques, monétaires et budgétaires et mesurer l'impact de nos stratégies de sortie de crise sur les pays en développement. Le développement est indissociable de la gouvernance économique. La prochaine présidence française des G8 et G20 sera l'occasion d'en finir avec le clivage entre pays bailleurs et pays en développement, source de blocages. Nous invitons à une coalition autour d'intérêts coopératifs. Avant de chercher des fonds, il faut un pilotage plus lisible.

Le maintien de l'effort budgétaire pour 2009-2010 a été une victoire relative ; les arbitrages pour 2011-2013 seront déterminants. La trajectoire de l'APD est fragile. Nous étions à 0,46 % du PIB en 2009, au deuxième rang mondial en valeur absolue, avec 8,92 milliards de dollars. L'objectif européen est de 0,51 % en 2010, ce qui porterait notre contribution à 10 milliards de dollars. À l'heure actuelle, il n'est pas garanti que nous y arrivions...

L'aide publique au développement est rigidifiée : un tiers n'est pas programmable. La part programmable transite à 51 % par le canal multilatéral mais atteint 65 % pour les subventions. Le canal bilatéral est fragilisé, car négocié sur une base annuelle et non pluriannuelle. La répartition actuelle n'est pas efficace face aux situations de crise. Il faut renforcer la coopération bilatérale : c'est l'un des traits de la politique française dont il faut renouveler le sens et l'image sociale.

Nous prônons une gouvernance démocratique qui aille au-delà de la « bonne gouvernance », centrée sur la gestion des affaires publiques et la lutte contre la corruption. Le travail ne s'arrêtera pas avec ce document cadre. Notre ambition est celle d'une politique plus transparente, débattue, refondée dans ses principes et sa légitimité démocratique. La route est longue...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Merci d'avoir tracé les grandes lignes de ce document, qui reste provisoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Depuis le départ de Michel Charasse, la commission des finances est veuve de celui qui fut son rapporteur spécial pour l'aide publique au développement pendant de très nombreuses années !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

M. Yvon Collin, qui a relevé le défi de lui succéder, est retenu dans son département. Veuillez l'excuser.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Michel Charasse soulignait fréquemment que le montant de l'aide européenne dépassait celui de l'aide bilatérale, et dénonçait l'absence de coordination entre pays, notamment en Afrique. Cette situation évolue-t-elle ? Comment envisagez-vous l'avenir à moyen terme ?

M. Charasse s'interrogeait également sur l'engagement de l'AFD dans les pays émergents. L'élargissement de la zone d'action de l'AFD n'entraîne-t-il pas une dilution de l'aide publique ? La logique de syndication de financements divers l'emporte parfois sur la celle d'une politique nationale. Nous l'avions observé lors d'une mission au Brésil...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Alors que le Brésil a les moyens de constituer un fonds souverain, l'AFD lui consent des prêts pour d'obscures opérations au fond de l'Amazonie... On est à la limite de la gesticulation !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Le Premier Ministre a annoncé que les crédits d'intervention seraient réduits de 10 % dans le budget 2011. Cette règle s'applique-t-elle à l'aide publique au développement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Dans le projet de loi relatif à l'action culturelle extérieure de la France, actuellement en discussion devant l'Assemblée nationale, le Sénat avait souhaité que les actions de l'AFD soient conduites « sous l'autorité de l'ambassadeur ». Cette proposition, apparemment, aurait fait trembler la République ! Reste qu'il est impensable que l'ambassadeur soit tenu à l'écart de l'action de l'AFD sur son territoire.

Par ailleurs, comment se fait-il que l'aide française au développement en Afghanistan soit dix fois inférieure à celle des Pays-Bas ?

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Notre participation au FED est passée de 24 % à 19 % ; en 2008, nous apportions 1,8 milliard d'euros à l'Europe sur 7,6 d'APD totale. L'objectif est que l'Europe joue un rôle central en matière d'aide au développement, mais cela prend du temps, et l'impact à long terme est difficile à évaluer, d'autant que les effets ne sont guère visibles sur le terrain... Le nouveau commissaire au développement donne la priorité aux objectifs du millénaire, qui feront l'objet d'une réunion en septembre. Si les résultats sont tangibles en matière de santé publique, par exemple, il est plus difficile d'évaluer l'action du FED. C'est pourquoi il faut encore réduire notre part.

J'espère que l'aide publique au développement ne sera pas amputée de 10 % en 2011 ; les arbitrages budgétaires ne sont pas encore rendus...

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Surtout pour l'aide publique au développement !

Monsieur de Rohan, l'AFD fonctionnant comme une banque, elle ne peut être mise sous l'autorité de l'ambassadeur. Toutefois, je reconnais qu'il y a eu un quiproquo : nous souhaitons redonner toute sa place à l'ambassadeur.

L'aide civile au développement pour l'Afghanistan représente 50 millions d'euros - à comparer aux 450 millions qu'apporte l'Allemagne ! Elle est administrée de la meilleure façon, avec des ONG afghanes, notamment pour un projet d'électrification, mais, manifestement, cette somme est insuffisante...

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Veuillez excuser M. Cambon, qui est auprès du Président de la République pour l'hommage rendu à la policière tuée à Villiers-sur-Marne dans l'exercice de ses fonctions.

Nous avons demandé que le document cadre pour la politique de coopération au développement fasse l'objet d'un débat. Longtemps, l'aide au développement et la politique africaine ont été le monopole de l'exécutif. Il est temps que le Parlement s'en saisisse. Ce type de document pourrait à terme être adopté par les assemblées au même titre que d'autres lois d'orientation.

Avec M. Cambon, nous avons procédé depuis le début de l'année à une vingtaine d'auditions sur l'évaluation de notre politique de développement. Le contexte impose une refondation de notre stratégie et de nos objectifs. Ce document cadre arrive à point.

La politique de coopération française ne s'interdit aucune zone géographique, aucun instrument, aucun objectif. Vu l'état des finances publiques, ne gagnerait-on pas à fixer des priorités plus adaptées, et à accompagner ce document d'une programmation budgétaire ou d'éléments de cadrage budgétaire ? Une stratégie d'aide au développement peut-elle être crédible sans stratégie budgétaire ?

Une part croissante du budget de l'aide au développement passe par des institutions multilatérales. À l'inverse, les marges de manoeuvre de l'aide bilatérale sont trop restreintes, réduisant nos interventions dans les pays les plus en difficulté, notamment en Afrique subsaharienne. Le rééquilibrage entre multilatéral et bilatéral fera-t-il partie des objectifs du document cadre ? L'aide multilatérale représente 60 % de l'APD française sans que les actions soient évaluées...

Notre influence sur la programmation des organismes multilatéraux et européens n'est pas à la hauteur de nos financements. L'un des intervenants de la table ronde du 12 mai dernier a suggéré que le document cadre définisse une stratégie plus volontariste. Que préconisez-vous ? Votre administration rédige un document sur la stratégie française à l'égard de la politique européenne de développement. Comment comptez-vous nous associer à sa rédaction ? Comment s'articulent ces deux documents ?

La cohérence entre la politique de coopération et les autres politiques, par exemple la politique commerciale, est une clef du développement des pays du Sud. Le document cadre annonce un dispositif institutionnel pour la cohérence des politiques nationales et européennes avec les objectifs de développement. Ce dispositif existe-t-il aujourd'hui ? Allez-vous déclarer qu'il faut mettre la PAC en cohérence avec nos objectifs d'aide au développement ?

Si nous nous félicitons du document-cadre, nous en mesurons les limites.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Souligner nos capacités pourrait être dommageable. Certes, l'on doit fixer un cadre, car on ne peut pas tout promettre et ne rien tenir. Il sera difficile de maintenir nos efforts dans les prochaines années.

Je suis partisan d'un débat au Parlement. Il ne me revient pas de dire s'il faut un vote.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Oui, la contrainte existe, et nous concentrons la moitié de l'effort sur quatorze pays. Bien sûr, aider le Mali ne nous empêche pas d'aider la Tanzanie. Nous avons déjà des engagements précis. Une stratégie budgétaire est souhaitable, mais avec quel encadrement ?

L'évaluation est difficile, qu'elle émane de l'AFD, de la Coopération ou de Bercy. L'étalonnage est extrêmement délicat. Il y a des évaluations pour la santé publique : trois millions de patients aujourd'hui traités contre le vih/sida. Nous enregistrons des progrès, qui ne sont toutefois pas constants.

Les contributions internationales vont d'abord à des organismes bancaires. Notre contribution au Haut commissariat aux réfugiés nous classe au dix-septième rang. Au dix-huitième rang pour l'Unicef. Evoluer entre le dix-septième et le vingt-cinquième rang pour les contributions aux agences des Nations Unies est source d'embarras pour un membre permanent. On ne peut accepter que notre contribution ne soit pas corrigée, et je m'y emploie. Quand 51 % de l'aide va à l'Afrique, cela représente 4 milliards, dont 42 % pour les infrastructures et les services sociaux.

S'agissant du suivi, il ne faut pas comparer le Brésil ou les pays d'Asie d'une part et les quatorze pays ou l'Afrique d'autre part. Le Sénégal, par exemple, n'est pas un bon exemple !

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Je me réjouis de cette audition, dont je remercie les présidents de nos deux commissions. Le ministre, qui a également souhaité un débat, en défendra sans doute le principe. Faut-il rappeler la frustration que nous éprouvons au moment du vote du budget ? Je souhaite donc un débat, ainsi qu'une loi de programmation qui ne fixe pas des objectifs mirifiques, rien n'étant pire que de présenter des projets qu'on ne peut assurer. Aurons-nous de façon certaine des crédits sur trois ou quatre ans ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Nous avons des lois pluriannuelles de finances publiques. On pourrait en outre alléger les débats budgétaires en mettant à profit les semaines de contrôle parlementaire pour organiser des débats tels que celui d'aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Notre deuxième rang pour l'aide publique au développement est assez fictif. C'est l'aide programmable qui importe. Le document cadre indique des objectifs et des moyens. Aura-t-on des indicateurs pour mener une évaluation ? On en manque aujourd'hui pour l'AFD. Or, et je reviens ici à la question de M. de Rohan, il est dommageable que cette agence joue un rôle pilote sans que votre ministère ait barre sur son action. Le pouvoir financier est là-bas et c'est là que la réflexion se mène. Le directeur pressenti de l'Agence, ce matin, n'avait pas de réponse sur la question des rapports avec les ambassadeurs. Ceux-ci auront-ils la primauté sur les directeurs de l'AFD ou resteront-ils ridiculisés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Le ministre a donné son point de vue sur l'évaluation. Il faut accentuer l'effort en la matière, même si ce n'est pas facile. L'évaluation doit être financière, fonctionnelle et porter sur les effets de l'investissement.

L'aide bilatérale reste indispensable. J'ai compris que c'était l'un de vos soucis. Qu'en est-il de la coordination des actions entre les collectivités locales, dont le rôle est important ?

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Les collectivités portent des projets intéressants quoique modestes. Comment se coordonnent-ils avec les interventions de l'Etat et comment les valorise-t-on ?

Je relève enfin que dans certains cas, nous sommes plutôt bons : nous sommes le deuxième contributeur au Fonds mondial de lutte contre le sida. Il n'est pas mauvais de le dire.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Hue

Je me réjouis de cette réunion car elle tombe bien, au moment des arbitrages. Les questions des commissaires des finances, quoique légitimes, me préoccupent. Au nom de la crise financière, va-t-on oublier le retard pris par rapport aux objectifs du millénaire ? Une dramatique crise humanitaire s'ajouterait alors à la crise financière qui nous écrase. L'orthodoxie financière, à laquelle les pays pauvres paieraient un lourd tribut, écraserait des centaines de millions d'hommes. Nous vous appuierons pour que la baisse dont on parle ne coûte pas plus cher demain qu'elle ne nous aura fait économiser. Il faudrait panser ses effets et j'entrevois le cortège des flux migratoires, les dommages sur la santé, qu'aurait un échec des objectifs du millénaire. Alors qu'on n'avait pas chargé la barque, on est à 0,51 % quand on devrait atteindre 0,7 %.

La taxe sur les transports a constitué une bonne initiative. Où en est-on de celle sur les transactions financières ? Les transferts des migrants, qui représentent 300 milliards de dollars par an, ne doivent pas rester le privilège financier des banquiers : la financiarisation de l'aide publique appelle une vraie réponse.

Qu'en est-il, enfin, de l'exploitation des ressources des pays en développement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Fourcade

Je comprends la contrainte qu'évoque le ministre car on emprunte pour financer le déficit et la dette. Les presque 9 milliards d'aide publique française comptabilisés pour 2009 comprennent-ils l'effort en ce domaine des collectivités territoriales ?

On n'a pas encore évoqué le facteur temps. Le délai entre la conception d'une opération et sa réalisation s'accroît, et je doute que le canal bilatéral soit plus rapide. Quelqu'un mesure-t-il ces délais au sein de votre ministère ?

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Je me réjouis de ce débat et rejoins le président Arthuis pour souhaiter des échanges en dehors du seul débat budgétaire ; ils seront indispensables pour sauver les crédits de l'aide au développement.

Comment avancera-t-on vers une taxe sur les transactions financières alors que les îles Caïmans pourraient concentrer toutes ces opérations si elles décidaient d'être les seules à ne pas les taxer ?

En 2050, il y aura 1,8 milliard d'habitants en Afrique subsaharienne. Faites un rêve : si on vous laissait le choix, quelle serait votre priorité pour venir en aide à cette région du monde ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

On a tort d'afficher un objectif de 0,7 % du PIB quand on n'est pas capable de les atteindre ; c'est se condamner à entendre des lamentations. On gagnerait à mener une politique correspondant à ce que nous pouvons faire et l'on ne donnerait plus l'image d'un pays velléitaire, schizophrène.

J'étais sorti rassuré de la conférence sur les déficits publics de la semaine dernière, à l'occasion de laquelle le président de la République a évoqué une baisse de 10 % des dépenses d'intervention de l'Etat. Nos échanges m'inquiètent plutôt.

Nous n'avons aucune chance de parvenir à une taxation sur les opérations financières si l'Europe ne pèse pas de tout son poids. De même, ne pourrait-on pas imaginer une fiscalisation des exportations, comme le Kazakhstan la pratique pour le pétrole ? Là encore, la France n'a aucune chance d'y parvenir seule.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Un plancher de financement ? Bien sûr, mais il y a loin de mes rêves à la réalité. Soyons réalistes, demandons l'impossible... Il n'est pas aisé, en cette période, de parler en Espagne ou au Portugal de ceux qui ont besoin d'être aidés. Cela va être dur et personne n'a la recette. Alors, un minimum pour les quatorze pays apparaît réaliste.

Voilà vingt ans que je demande en vain une contribution assise sur les transactions financières pour financer le développement, qu'on me refuse au nom de l'orthodoxie financière. J'appelle cela une contribution et non une taxation en raison de la gravité des conséquences. Et voilà que pour la première fois, nous avons été d'accord pour la proposer. Techniquement, il est plus simple de passer par les banques qui paieront. A qui ? Je serais tenté d'invoquer l'exemple du Fonds mondial de lutte contre le sida... Il s'agit d'autre chose que de la taxe Tobin, qui vise à réduire les mouvements spéculatifs de capitaux à court terme pour stabiliser le système financier. Nous avons réuni cinquante-neuf pays dans un groupe pilote mobilisé sur les financements innovants. Par ailleurs, onze pays nous accompagnent et ont lancé un groupe d'experts chargé de faire des propositions sur la mise en place d'une contribution sur les transactions financières. M. Gordon Brown soutenait cette initiative, mais je n'ai pas eu de réponse du nouveau gouvernement britannique à mes sollicitations. J'attends le premier rapport d'experts, qui ouvrira le choix entre taxe sur les monnaies et taxe sur les mouvements de capitaux. On ne peut faire cela sans les Nations Unies. Les Européens pèseront. J'en parlerai dimanche aux Africains, qui ne sont pas d'accord a priori. Je ne sais quand l'Assemblée générale pourra se prononcer sur ces financements innovants.

Il y a des endroits où il n'y pas de conflit entre ambassadeur et représentant de l'AFD. On a déjà vu cela dans le domaine de la culture. Un ambassadeur n'est pas un Pic de la Mirandole ; il doit en revanche se montrer dynamique. Si nous ne sommes pas porteurs de propositions, tout un pan de notre diplomatie tombera.

Il y a des indicateurs de performances, monsieur Gouteyron. L'AFD, c'est 1 600 techniciens. Nous nous étions inspirés du modèle suédois quand nous avons mis cela en oeuvre, imparfaitement. Un contrat d'objectifs et de moyens est en préparation ; vous avez auditionné M. Bourguignon qui sera le président du comité des évaluations de l'AFD ; nous préparons une grille de dix-neuf indicateurs dont un indicateur budgétaire. Personne ne fait mieux que nous : on a pour le secteur de la santé, qui fut notre grand succès, des indicateurs tels que le nombre de vaccinations.

Même si l'ambassadeur dispose de peu de moyens, l'aide bilatérale marche quand elle est bien faite car une petite somme fait parfois une grande différence. Cela ne coûte pas cher de creuser un puits. Cependant, l'impact de ce type d'opération n'est pas aisé à évaluer. Je me rappelle d'observations de la Cour des comptes sur l'aide au Mali... Comment pouvait-elle savoir ce qu'il en était, faute de s'être rendue sur le terrain ?

La coopération décentralisée est décomptée dans l'effort national d'aide publique au développement. Nous travaillons en cofinancement ou par appel à projets. Les représentants des collectivités territoriales rencontrent leurs homologues.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

La crise financière n'est pas un leurre. Le budget sera contraint, malgré tous mes efforts pour pérenniser notre action en faveur du développement. Je souhaite que les financements innovants marchent.

Je sais que les accords de Lomé, c'est M. Fourcade. L'ancien président de la commission du développement et de la coopération du Parlement européen que je suis doit pourtant avouer ne jamais les avoir compris : c'était très opaque. Il y avait de l'argent bien sûr, cependant la réalité du pouvoir appartenait au Conseil européen.

Madame Keller m'a invité à rêver : je donnerais le pouvoir à des ONG que je contrôlerais le plus possible et je confierais les projets aux Africains en jugeant sur la façon dont ils les mettraient en oeuvre, comme on veut le faire en Afghanistan. Je ne ferais pas confiance aux ministères mais à des groupes locaux. Il n'y a toujours pas de système médical à Haïti, où j'avais accompli ma première mission : la charité permanente devient perverse.

Je comprends ce que vous dites sur l'affichage des 0,7 %. Ne doit-on pas offrir un but, un rêve ?

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

S'approcher du but pour certains objectifs ne serait pas si mal que cela. Les Nations Unies donnent un objectif. Quant à la schizophrénie sur les objectifs du millénaire, il faut tenir compte de la crise, mais aussi du dialogue avec les Français : sans leur présenter des objectifs hors de portée, on doit recueillir leur soutien pour une aide déterminée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Etre en état de jouer un rôle permanent dans le domaine de la coopération et de l'aide au développement passe sans doute par une période de consolidation du niveau existant de cette aide. Chacun doit être prêt à considérer que la réduction des déficits est impérative : la crise marque la fin des illusions.

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Enfin, la commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur les rapports relatifs à la certification des comptes de l'Etat et à l'exécution budgétaire de 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Je souhaite la bienvenue au Premier président de la Cour des comptes qui connaît particulièrement bien la procédure parlementaire. Je formule le voeu que vos puissiez certifier le plus vite possible des comptes sincères et équilibrés !

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Ma venue devant vous est liée au dépôt par la Cour des comptes des documents qui accompagnent le projet de loi de règlement pour 2009 déposé par le Gouvernement : l'acte de certification et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat pour l'exercice 2003. Je veux au préalable me féliciter des relations de confiance particulières qui existent entre la Cour des comptes et la commission des finances du Sénat, auxquelles Philippe Séguin était particulièrement attaché.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La commission des finances fait toujours ce qu'elle peut pour donner les moyens d'action nécessaires à la Cour des comptes, même s'il est parfois difficile de convaincre en ce domaine. Êtes-vous en mesure de donner un calendrier pour l'examen de la réforme des juridictions financières ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

D'après les dernières informations, on envisagerait un examen à l'Assemblée nationale dès le début du mois d'octobre et, au Sénat, avant le débat budgétaire.

Aujourd'hui marque notre premier rendez-vous d'une longue série qui me permettra, avant l'été, de vous dresser au nom de la Cour un tableau d'ensemble de la situation des finances publiques françaises. Je vous présenterai ainsi le 23 juin le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Je rendrai aussi compte du rapport sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale à la commission des affaires sociales de votre assemblée.

L'assistance que la Cour vous apporte dans le contrôle de l'exécution de la loi de finances est je crois particulièrement utile cette année. Car 2009 a été à bien des égards un exercice exceptionnel, en raison bien sûr des effets de la crise économique et financière, et des diverses mesures qui ont été prises par l'Etat pour en réduire les effets.

Les trois résultats financiers de l'Etat, prévus à l'article 37 de la LOLF, en portent témoignage.

Le résultat budgétaire tout d'abord. L'exécution s'est achevée en 2009 par un déficit de 138 milliards d'euros, soit une fois et demi le déficit constaté en 2008. Celui-ci avait pourtant déjà atteint, avec 56 milliards d'euros, un niveau record dans notre histoire moderne. Le déficit 2009 représente près de la moitié des dépenses nettes du budget général ou plus des deux tiers de ses recettes fiscales nettes.

Il est vrai que l'année 2009 a connu une dégradation marquée de la situation économique : alors que le budget avait été préparé sur une hypothèse de croissance du produit intérieur brut de 1 %, la France a finalement connu en 2009 une récession, historique elle-aussi, de 2,5 %.

Cette dégradation majeure a conduit le Gouvernement à réviser à plusieurs reprises ses hypothèses, imposant une mobilisation exceptionnelle du Parlement mais aussi des administrations pour adapter le budget de l'Etat à la profonde dégradation de la conjoncture. Et votre commission a été bien sûr en première ligne tout au long d'une année qui a vu, fait exceptionnel, le vote de trois lois de finances rectificatives en février, en avril et en décembre 2009.

Signe que cette crise profonde est loin d'être terminée, ce rythme inhabituel se poursuit en 2010 puisque deux lois de finances rectificatives ont déjà été promulguées aux mois de mars et de mai, et qu'une troisième a été déposée devant l'Assemblée nationale le 19 mai dernier.

La première conséquence de la crise économique et financière a été l'effondrement des recettes fiscales nettes de l'Etat qui sont revenues, à périmètre courant mais en euros constants, à un niveau proche de celui de 1979. Or, dans le même temps, le PIB a augmenté de 68 %. Et par rapport à 2008, elles ont diminué de 60 milliards d'euros, dont plus de 24 milliards d'euros sont directement attribuables à la dégradation de la conjoncture.

La seconde conséquence de la crise, c'est que, pour soutenir l'activité et éviter une aggravation de la récession économique et de ses effets sociaux, le Gouvernement a pris des mesures qui ont réduit les recettes et accru les dépenses.

Au total, les rentrées fiscales ont diminué de 16,3 milliards d'euros du fait du plan de relance, essentiellement au titre des mesures visant à alléger les besoins de trésorerie des entreprises.

Quant aux dépenses comptabilisées sur la mission provisoire « Plan de relance de l'économie », elles sont estimées à 15,7 milliards d'euros.

Ces mesures ont bien sûr eu un effet sur le dynamisme des dépenses nettes de l'Etat. En prenant en compte la variation du solde des comptes spéciaux, les dépenses nettes ont progressé de 21,5 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 7,7 % par rapport à 2008.

Je précise que ce chiffrage est différent de celui du Gouvernement, qui calcule l'évolution des dépenses nettes de l'Etat pour le budget général uniquement et n'intègre pas la variation du solde des comptes spéciaux.

Or, le solde des comptes spéciaux, qui était proche de l'équilibre ou légèrement positif ces dernières années, a connu une dégradation de plus de 8 milliards en 2009, du fait principalement des 6,3 milliards d'euros de prêts consentis aux entreprises du secteur de l'automobile.

En sens inverse, on peut relever l'allègement des intérêts payés par l'Etat au titre de sa dette, qui sont inférieurs de plus de 5 milliards d'euros à ceux acquittés en 2008. Une telle baisse des intérêts peut paraître paradoxale alors que l'encours de la dette négociable a augmenté de 131 milliards d'euros en 2009. C'est que la crise a entraîné une baisse des taux d'intérêts et un ralentissement de l'inflation. Dans ce contexte, l'Etat a choisi de recourir massivement à des emprunts à court terme.

Au final, la Cour a pu établir que la crise économique et les mesures adoptées pour y faire face ont alourdi le déficit de l'Etat de près de 63 milliards d'euros par rapport à celui constaté en 2008, soit les trois quarts de son aggravation totale, chiffrée à 82 milliards d'euros.

Mais il faut bien reconnaître que ce solde budgétaire présenté dans le projet de loi de règlement a une signification limitée :

- parce qu'il ne rend pas compte de certaines opérations extra-budgétaires, comme cette année encore les avances rémunérées souscrites auprès du Crédit foncier de France ;

- parce qu'il dépend également du calendrier des opérations budgétaires, avec les pratiques de report de charges sur l'exercice suivant.

J'en viens au résultat de la comptabilité générale de l'Etat, autrement appelé résultat patrimonial, qui donne une vision plus complète de la situation économique et financière de l'Etat.

L'analyse des comptes permet de dépasser l'horizon annuel de l'autorisation budgétaire. Le résultat en comptabilité générale est en effet exprimé en droits constatés, donc dès que les dettes et les créances ont acquis un caractère certain, ce qui permet notamment de mieux appréhender les engagements que l'Etat devra honorer dans le futur.

Ce résultat patrimonial déficitaire atteste lui aussi nettement de l'impact de la crise, puisqu'il a diminué de 28,7 milliards d'euros par rapport à 2008, pour s'établir à -97,7 milliards d'euros. Il apparaît moins dégradé que le résultat budgétaire, qui lui est en déficit, je le rappelle de 138 milliards d'euros.

C'est qu'il faut bien comprendre que le solde d'exécution des lois de finances et le résultat patrimonial correspondent à des concepts différents qui induisent logiquement de nombreux écarts positifs et négatifs.

Par exemple, une part importante des dépenses budgétaires d'investissement ne correspond pas à des charges au sens de la comptabilité générale, mais est inscrite au bilan de l'Etat en tant qu'actifs. Ces dépenses accroissent donc le patrimoine de l'Etat. Ainsi, les prêts aux constructeurs automobiles dans le cadre du plan de relance (6,3 milliards d'euros) sont bien des dépenses budgétaires, mais elles figurent à l'actif du bilan de l'Etat en tant que créances immobilisées.

Il n'en reste pas moins que ce résultat patrimonial en forte dégradation s'explique par la réduction très sensible des produits fiscaux, que j'ai déjà mentionnée, et par la progression de certaines charges, en particulier de transferts aux collectivités et aux ménages.

La situation nette de l'Etat, qui résulte de la différence entre ses actifs et ses passifs, illustre de manière encore plus significative l'aggravation de la situation financière de l'Etat. Celle-ci se dégrade en effet de 105 milliards d'euros pour s'établir fin 2009 à -723 milliards d'euros.

Cette dégradation très marquée de la situation nette, déjà fortement négative, résulte d'une augmentation du passif de l'Etat de 118 milliards d'euros, due pour l'essentiel à la progression de la dette financière. Cette dernière s'élève pour l'Etat à fin 2009 à 1 175 milliards d'euros, en progression de plus de 131 milliards d'euros par rapport à 2008. Je précise qu'il ne s'agit pas de la dette de l'ensemble des administrations publiques, prise en compte au titre des critères dit de Maastricht et qui s'établit à 1 489 milliards d'euros à fin 2009, mais bien de la dette de l'Etat.

L'augmentation de 13 milliards d'euros de l'actif est quant à elle principalement liée à la valorisation des immobilisations financières, en hausse de 17,7 milliards d'euros par rapport à 2008. L'essentiel de cette valorisation provient de la quote-part détenue par l'Etat dans le fonds stratégique d'investissement.

J'en viens enfin au résultat du tableau de financement qui fait apparaître un besoin de financement de l'Etat sans précédent, de 246,2 milliards d'euros, soit deux fois plus que la moyenne des années 2002 à 2007.

Ce besoin de financement a été couvert par l'endettement, l'Etat faisant le choix d'emprunter de manière croissante à court terme et dans des proportions supérieures à la couverture des variations infra-annuelles du compte du Trésor.

Cette croissance de la dette à court terme, si elle a pu représenter un avantage certain sur 2009, présente un double inconvénient :

- d'une part, elle renforce la sensibilité de la charge de la dette de l'Etat à une remontée des taux d'intérêt ;

- d'autre part, elle réduit pour partie la portée de l'autorisation parlementaire prévue par la LOLF qui ne porte explicitement que sur la dette à moyen et long terme.

C'est pourquoi la Cour recommande instamment d'améliorer l'information du Parlement sur l'évolution de l'endettement à court terme.

Vous l'aurez compris, tous les clignotants budgétaires et financiers sont au rouge. Cela pourrait laisser penser que cette dégradation de la situation de nos finances publiques n'est attribuable qu'à la crise économique et aux effets du plan de relance. Je voudrais toutefois dissiper cette idée, puisque certaines mesures prises avant la crise ont eu des effets sur 2009.

Ainsi, les allègements fiscaux consentis en 2007 et 2008 ont engendré des surcoûts de 5,2 milliards d'euros en 2009 : le coût de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, est notamment supérieur de 2 milliards d'euros à celui enregistré en 2008 et atteint au total 9,7 milliards d'euros en 2009.

En outre, certaines pratiques anciennes ont perduré pendant la crise, comme par exemple l'insuffisante sécurisation des recettes de l'Etat. De nouvelles mesures fiscales ont été adoptées en cours d'année, et elles ont généré une baisse des recettes de 1,4 milliard d'euros. Il s'agit principalement, vous l'aurez sans doute deviné, de la baisse de la TVA dans le secteur de la restauration.

Il n'y a pas lieu, dans le cadre des deux documents que je vous présente aujourd'hui, d'épiloguer sur le caractère surtout conjoncturel ou essentiellement structurel de la dégradation de nos finances publiques, ou d'en apprécier la soutenabilité. La Cour en tirera les conclusions dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, que je vous présenterai le 23 juin prochain.

Je conviens que le panorama que je viens de dresser est sombre. Il ne doit pas masquer les progrès qui ont été accomplis par l'Etat, dans l'exécution de son budget d'une part, dans la fiabilisation des comptes d'autre part, qui apportent une information financière plus riche.

Des progrès ont été réalisés dans l'exécution budgétaire.

L'exercice 2009 a été marqué par l'apurement d'une partie importante des dettes de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale, pour un total de 3,8 milliards d'euros. Cette mesure a été principalement financée grâce à la diminution de la charge payée au titre des intérêts de la dette.

De même, le recours à des ressources extrabudgétaires pour financer des charges du budget de l'Etat a été réduit. Ainsi les avances souscrites auprès du Crédit foncier de France pour financer les primes d'épargne logement ont diminué de 300 millions d'euros par rapport à 2008.

Enfin, les reports de charges sur l'exercice suivant ont également été divisés par plus de deux par rapport à 2008.

La fiabilité et la qualité du compte général de l'Etat ont incontestablement progressé en 2009, même si la Cour certifie les comptes de l'Etat pour l'exercice 2009 avec neuf réserves, dont huit que nous considérons comme substantielles.

Ces progrès sont l'aboutissement des efforts importants consentis par l'administration pour résoudre des difficultés dont certaines étaient pendantes depuis plusieurs années.

La Cour a donc décidé de lever trois réserves qu'elle avait formulées sur les comptes de 2008. Ces réserves portaient sur la justification des comptes de trésorerie, sur les participations de l'Etat dans les principaux fonds multilatéraux, y compris le FMI, et sur la comptabilisation des actifs sous-jacents des contrats de concessions de service public. Cette dernière réserve représente à elle seule un enjeu financier massif de plus de 130 milliards d'euros, au titre des concessions autoroutières, ferroviaires et aéroportuaires. Leur comptabilisation montre qu'il est possible de faire prévaloir le principe d'image fidèle dès lors que l'on prend le temps de discuter et de s'expliquer.

D'autres progrès importants ont été accomplis. Mais leur portée ne permet pas encore de lever les réserves substantielles auxquelles ils se rattachent.

Les améliorations ont porté tout d'abord sur les dispositifs ministériels de contrôle interne, dont le déploiement se poursuit dans le cadre d'une méthodologie d'analyse et de maîtrise des risques comptables stabilisée et partagée.

La tenue par le ministère de la défense de la trajectoire triennale de fiabilisation de ses actifs dans laquelle il s'était engagé mérite d'être saluée. Le recensement des immobilisations et des stocks a été significativement étendu et une méthode fiable de valorisation des immobilisations est en cours de mise en place.

Ce ne sont là que deux exemples. Il y en a d'autres, que mentionne l'acte de certification qui vous a été transmis.

Je voudrais citer les améliorations apportées à l'annexe aux comptes, qui a été auditée par la Cour. Cette annexe fournit un ensemble d'informations utiles pour analyser la « soutenabilité » des finances de l'Etat et contribuer à leur pilotage et à leur contrôle. Elle gagnerait donc à être davantage utilisée par le Gouvernement ; permettez-moi de dire qu'elle pourrait l'être aussi par le Parlement.

Par exemple, l'annexe présente à la demande de la Cour des projections sur les dépenses et les recettes futures du régime de retraite de l'Etat. Son besoin de financement cumulé est ainsi évalué à 333 milliards d'euros à horizon 2050.

Autre exemple, l'administration a accepté d'intégrer dans l'annexe une valorisation du stock des déficits reportables : ce stock s'élève à 279 milliards d'euros, et se traduira à terme par une perte de 50 milliards d'impôt sur les sociétés.

Je voudrais à présent souligner que ces résultats encourageants valident le bien fondé de l'approche que la Cour a adoptée et l'utilité de la démarche de certification.

Avec la certification avec réserves des comptes de l'Etat, la Cour a voulu accompagner la réforme comptable plutôt que d'en sanctionner l'inachèvement. Cette stratégie, pour être constructive, supposait qu'au terme de chaque exercice, des progrès importants soient constatés, ce qui a été effectivement le cas.

En trois ans, huit réserves substantielles ont pu être levées, même si de nouveaux problèmes sont apparus entre temps.

Je souhaite que d'autres difficultés soient résolues dès le prochain exercice. Ce résultat est accessible pour peu que l'administration se donne les moyens d'aller au bout d'une démarche exigeante et qui a déjà très fortement mobilisé ses services.

Je voudrais enfin insister sur un point : cette démarche de certification n'est pas un exercice purement intellectuel, qui serait déconnecté des réalités économiques ou de la situation financière de l'Etat. Bien au contraire, la certification est un outil central pour faire progresser la sincérité et la transparence des comptes publics.

C'est une question essentielle à l'heure où la fiabilité des comptes de certains Etats membres de la zone euro est mise en cause. L'acte de certification permet en effet d'apporter une assurance raisonnable sur la conformité des états financiers de l'Etat à un ensemble de règles et de principes. Elle prévient ainsi les risques de manipulation des comptes.

Il faut savoir que la France est un des rares pays de la zone euro où les comptes de l'Etat sont certifiés. C'est pourquoi j'entends oeuvrer, dans les enceintes de coopération européenne pertinentes, pour une meilleure diffusion de cette démarche.

Je voudrais enfin souligner que des marges de progression importantes demeurent pour assurer le pilotage du budget de l'Etat et la régularité de son exécution, tout comme la fiabilité et la sincérité du compte général de l'Etat.

Dans ces deux domaines, un des enjeux principaux est la refonte et l'adaptation des systèmes d'information financière et comptable de l'Etat dans le cadre du progiciel Chorus. Il s'agit là d'un sujet d'inquiétude majeur pour la Cour, ce qui a motivé l'envoi au premier ministre d'un référé en début d'année, qui vous a été également communiqué.

Vous connaissez le coût important de cet ambitieux chantier et l'ampleur des réorganisations qu'il implique, en vue d'assurer une bascule au 1er janvier 2011.

La Cour est également inquiète de la fiabilité des données qui seront entrées et véhiculées dans Chorus. Le paramétrage de ce progiciel semble ainsi trop « permissif », avec par exemple des carences dans la tenue des engagements de l'Etat vis-à-vis des tiers. Les travaux de conception de son coeur comptable sont en outre insuffisamment avancés, ce qui a déjà conduit à reporter à 2012 la tenue de la comptabilité générale de l'Etat dans ce progiciel.

Des progrès sont également souhaitables pour assurer une meilleure maîtrise du budget de l'Etat

Ce dernier se fixe depuis plusieurs années un objectif exprimé sous la forme d'une norme de progression de ses dépenses, destinée à encadrer la préparation du budget et à mettre ensuite sous tension les gestionnaires ministériels lorsqu'ils consomment des crédits.

Mais l'Etat utilise cette norme pour rendre compte de l'exécution de ces dépenses dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes. Malgré l'élargissement de cette norme aux prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales, qui avait été demandé par la Cour, cet outil demeure insuffisant pour assurer un pilotage global des différentes modalités d'intervention de l'Etat. Une part importante des dépenses reste en effet exclue de la norme, notamment s'agissant d'une grande partie des comptes spéciaux.

C'est pourquoi la Cour propose que soit mis en place un outil complémentaire permettant une approche élargie de l'évolution des dépenses. Cela permettrait de mieux suivre l'évolution des remboursements et dégrèvements d'impôts, qui ont atteint 112 milliards d'euros en 2009, et le dynamisme des dépenses fiscales qui en est la principale source. Les dépenses fiscales ont en effet augmenté de 6,2 % par rapport à 2008, soit un rythme supérieur à l'objectif de 4,8 % affiché en loi de finances initiale. La Cour recommande de mettre sous norme non pas l'intégralité de ces dépenses et financements, mais la part qui se substituent à des crédits budgétaires.

Cela ne dispense évidemment pas d'une réflexion sur la maîtrise des dépenses fiscales ainsi que d'une évaluation systématique de leur efficacité. C'est une des priorités de la Cour.

La gestion des autorisations d'engagement, qui devaient permettre une approche pluriannuelle et favoriser un rapprochement de la comptabilité générale et des opérations budgétaires, est également déficiente. Un certain nombre de programmes ne consomment pas ces autorisations alors que des engagements juridiques ont été pris. C'est donc qu'il n'existe pas encore de véritable comptabilité des engagements juridiques de l'Etat contrairement à l'objectif de la LOLF, et que le contrôle interne continue de faire défaut en la matière.

L'exécution budgétaire aura enfin été marquée par la persistance de plusieurs entorses aux principes budgétaires, mais dont l'ampleur reste limitée.

Vous les connaissez : sous-budgétisations, reports de charges ou au contraire anticipations des dépenses, usage inapproprié des comptes spéciaux, ordonnancement de crédits non disponibles, ou encore compensation des recettes et des dépenses.

2009 aura également connu un doublement des dépenses effectuées en période complémentaire, ce qui est pour le moins regrettable à la veille de la suppression de cette période. La Cour suggère donc d'avancer le calendrier de vote de la dernière loi de finances rectificative de l'année, afin de permettre l'exécution des dépenses avant le 31 décembre.

En matière de qualité de la comptabilité générale, des améliorations substantielles restent également à réaliser.

Le volume des ajustements passés dans les comptes à la demande de la Cour illustre à lui seul le chemin qui reste à parcourir pour que les états financiers soient conformes au référentiel comptable qui leur est applicable : plus de 10 milliards d'euros sur le solde des opérations de l'exercice et près de 64 milliards d'euros sur la situation nette de l'Etat.

Et même à l'issue de ces corrections, un certain nombre de désaccords et de limitations persistent, qui nourrissent les neuf réserves que la Cour a maintenues sur les comptes de l'exercice 2009. Entendons nous bien : si la fiabilité et la sincérité des comptes de l'Etat ont indéniablement progressé en 2009, il reste des marges encore importantes pour atteindre le haut niveau d'exigence attendu par la Cour.

Le détail figure dans l'acte de certification qui vous est remis et dans la synthèse qui l'accompagne. Je ne reviens donc pas sur l'énoncé des motivations qui les fondent. Celles-ci continuent de concerner, avec un degré de gravité variable, l'ensemble des postes du compte de résultat et du bilan, ainsi que la qualité de l'information fournie en annexe.

Si l'année 2009 a été marquée par une plus grande fiabilité des comptes de l'Etat et une plus grande régularité dans l'exécution de son budget, la situation financière de l'Etat s'est à tous égards très sensiblement dégradée par rapport à 2008.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Plus les comptes sont sincères, plus ils se dégradent !

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La sincérité n'est pas la seule raison de cette dégradation.

Au terme de ces constats, je voudrais vous dire que la Cour entend jouer un rôle majeur, aux côtés du Parlement et du Gouvernement, pour le redressement de la situation de nos finances publiques.

Je crois que la nécessité de ce redressement fait aujourd'hui consensus, même si l'on s'interroge à juste titre sur son rythme et sur ses modalités. Je reviendrai prochainement sur ces questions dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

L'année prochaine, nous donnerons plus de place à l'évaluation de la gestion, en intégrant certaines des notes d'exécution budgétaire (NEB) et des notes d'analyse par programmes (NAP) - que je vais vous transmettre - dans le rapport sur les résultats de l'exercice. En outre, à l'occasion des dix ans de la promulgation de la LOLF et des cinq ans de son entrée en vigueur, nous établirons un bilan des ses avancées et de ses limites.

Ce rapport examinera les avancées permises par la mise en oeuvre de cette réforme majeure ; mais également ses limites, puisque notamment lui échappent les interventions de l'Etat qui prennent de la forme de dépenses fiscales, celles qui sont effectuées via des opérateurs de l'Etat ou encore qui reposent sur la mobilisation d'outils extérieurs au budget. Cette contribution sera, je l'espère, utile tant les rapports que je vous présente aujourd'hui soulignent que toutes les conséquences des innovations induites par la LOLF n'ont pas encore été tirées. Cette approche sera la première marche d'un dispositif plus ambitieux d'évaluation des politiques publiques, qui donnera à la Cour les moyens d'une appréhension élargie de leurs enjeux, et d'une appréciation de leur efficacité.

Soyez assuré de la disponibilité de la Cour des comptes pour remplir ses missions, traditionnelles et nouvelles, d'assistance au Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La commission vous remercie, Monsieur le Premier président, pour l'éclairage que vous lui apportez sur la régularité et la sincérité des comptes, à la veille de l'examen du projet de loi de règlement. L'an dernier, à la même époque, votre prédécesseur Philippe Séguin avait déclaré qu'au cours du prochain exercice de certification, la Cour ferait preuve de compréhension à l'égard des chantiers qui ne pouvaient raisonnablement aboutir à brève échéance, mais qu'il « n'en serait pas de même des domaines où les progrès sont à portée de main, à l'instar des comptes de trésorerie, des produits régaliens ou des passifs d'intervention ». Il avait ajouté que « la Cour devrait tirer toutes les conséquences d'une éventuelle inertie, sous peine de priver la mission de certification de toute crédibilité ». Dans ces conditions, vous êtes-vous posé la question de ne pas certifier les comptes de 2009 ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Notre avertissement a été entendu et certaines réserves ont été levées, même s'il en reste un nombre non négligeable. Dans cet exercice, la Cour s'efforce d'être compréhensive mais ferme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La Cour recommande d'anticiper l'adoption des collectifs budgétaires de fin d'année, afin notamment que les ministres aient le temps de consommer les crédits qui y sont ouverts. Nous sommes perplexes sur le contenu des projets de loi de finances rectificative, qui reviennent fréquemment sur des dispositions à peine votées en loi de finances initiale. La Cour peut-elle se montrer persuasive en la matière et jugez-vous que le calendrier parlementaire permettrait de mettre en oeuvre aisément votre recommandation ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Anticiper l'examen du collectif de fin d'année est tout à fait faisable, à condition d'en manifester la volonté. En ce domaine, la Cour ne peut que formuler des recommandations et la persuasion est au moins autant de votre ressort que du nôtre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le Gouvernement a annoncé une réduction de 10 % des dépenses d'intervention de l'Etat dans le cadre du prochain budget triennal. La Cour chiffre ces dépenses à 74 milliards d'euros en 2009 et souligne que certaines d'entre elles sont difficilement maîtrisables, en tant qu'elles obéissent à une logique de « guichet ». Pensez-vous que cet objectif de baisse soit atteignable ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Il ne fait aucun doute qu'une maîtrise des dépenses est nécessaire, mais des efforts doivent également être accomplis dans la préservation de nos recettes, qui ont sensiblement diminué au cours des dernières années. Un équilibre doit donc être trouvé et la Cour formulera des recommandations dans son rapport à venir sur les perspectives d'évolution des finances publiques. A titre d'exemple, la révision générale des politiques publiques (RGPP) n'a pas concerné les dépenses d'intervention, ce qu'elle devra s'attacher à faire au cours de sa deuxième phase.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Faut-il, selon vous, réserver aux seules lois de finances les dispositions législatives susceptibles d'affecter le solde budgétaire ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Il appartient au Parlement d'en juger. La Cour constate une protection insuffisante des recettes de l'Etat et une propension à l'accroissement des niches fiscales, que nous chiffrons au nombre de 506. Il faut tout d'abord clarifier la définition des dépenses fiscales et fiabiliser leur évaluation quantitative, ce que nous nous sommes attachés à faire dans le domaine de l'outre-mer. Il existe ensuite une règle de gage des dépenses fiscales, établie par la dernière loi de programmation des finances publiques, dont il convient de veiller à la bonne application.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le Gouvernement en fait une interprétation très souple !

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

Pourriez-vous nous éclairer sur la portée de votre huitième réserve, relative à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) ? Signifie-t-elle que le contrôle de l'Etat sur cette entité est insuffisant ?

Debut de section - Permalien
Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes

Cette réserve tient au positionnement ambigu de la CADES. Cette entité constitue, selon la Cour, une participation contrôlée de l'Etat. Le Gouvernement a affirmé son intention de clarifier cette situation et le ministre chargé des comptes publics a indiqué sa volonté de rattacher sans ambiguïté le passif de la CADES au périmètre de combinaison ou d'agrégation des comptes de la sécurité sociale.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

L'an dernier, le Gouvernement contestait l'analyse de la Cour sur ce point, ce qu'il ne fait plus désormais. La situation n'est toutefois pas totalement réglée et des dispositions législatives pourraient être nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Fourcade

A la veille du dixième anniversaire de la LOLF, je constate que l'autorisation parlementaire a perdu de sa portée en matière d'engagements financiers de l'Etat. Alors que le Parlement vote un plafond de dette à moyen et long terme, l'accroissement considérable de l'endettement à court terme auquel nous avons assisté en 2008 et 2009 vide cette autorisation d'une partie de sa substance. Par ailleurs, je m'interroge sur le bien-fondé de la pratique qui veut que nos emprunts soient amortis à l'échéance, et non progressivement, et sur l'impact de cette pratique sur la soutenabilité de nos finances publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Dans le même ordre d'idées, le fait que les amortissements de dettes soient traités en opérations de trésorerie les rend budgétairement « indolores », ce qui ne favorise pas la prise de conscience du poids de notre endettement.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La Cour est consciente des enjeux qui s'attachent au développement de l'emprunt à court terme, mais n'a pas jugé opportun de modifier la loi organique sur ce point. En revanche, une amélioration de l'information du Parlement est indispensable sur la stratégie de gestion poursuivie par l'Agence France Trésor. Plus généralement, la maîtrise de notre endettement est aussi celle de notre dépendance à l'égard de nos créanciers et de l'exercice de notre souveraineté. Le Japon, dont la dette est pourtant beaucoup plus élevée, ne rencontre pas ce problème, car sa dette est détenue à 94 % par les Japonais eux-mêmes. La dette française est, au contraire, détenue à 68 % par des non-résidents.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je souhaitais, en qualité de rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat », attirer votre attention sur les conséquences du déploiement du progiciel Chorus. Les agents que j'ai rencontrés dans les services préfectoraux sont inquiets car cet outil, semble-t-il lourd et inadapté, a déjà causé la perte d'informations précieuses, concernant par exemple des factures.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La Cour vous a adressé récemment un référé sur cette question, et les magistrats se tiennent à votre disposition pour approfondir ce sujet. Il n'est pas trop tard pour procéder à des ajustements sur cet outil et, en la matière, une initiative parlementaire peut accélérer les choses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le préfet du Pas-de-Calais nous a récemment indiqué que cet outil commençait à fonctionner.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Le déploiement d'un tel progiciel exige un effort important de formation des personnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Il est parfois difficile de réformer, y compris la Cour des comptes !

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La loi est votée par le Parlement, et la Cour a déjà su s'adapter...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec des personnels du réseau des chambres régionales. Il semble que la réforme des juridictions financières rencontre encore quelques résistances.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Je constate que l'Etat est quasiment ruiné alors que les collectivités territoriales, qui réalisent pourtant 75 % de l'investissement public, sont relativement peu endettées.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

L'Etat est certes endetté, mais pas ruiné. Par ailleurs, il est difficile de le comparer aux collectivités territoriales. Ces dernières ne peuvent s'endetter que pour investir et bénéficient de dotations importantes et croissantes en provenance du budget de l'Etat. Il faut néanmoins poser la question de l'inadaptation de la fiscalité locale et des inégalités persistantes entre collectivités. Le Conseil des prélèvements obligatoires a, dans son dernier rapport, très bien analysé ces phénomènes. Il souligne, en particulier, que la règle de la compensation à l'euro près des transferts de compétences perpétue les inégalités entre collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Nul doute que la réforme des bases de la fiscalité locale et la péréquation à enveloppe constante donneront lieu à de stimulants débats. Rappelons qu'au sein d'une même strate de population, les écarts de richesse vont du simple au triple.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

et que ces écarts de richesse vont de 1 à 1.000 entre toutes les communes de France, et de 1 à 15 pour les régions et les départements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Grâce à la Cour des comptes, le Parlement bénéficie d'une vision lucide sur notre situation financière : dix ans après l'adoption de la LOLF, les comptes publics ne se portent pas mieux, mais nous y voyons plus clair. Il reste à faire preuve de courage politique dans la perspective du prochain débat budgétaire.