La commission désigne Mme Dominique Gillot comme membre du conseil d'administration de Campus France.
La commission auditionne M. Rémi Frentz, directeur général de l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé).
La réforme des examens d'entrée à l'Institut d'études politiques de Paris, avec notamment la suppression de l'épreuve de culture générale, et les réactions qu'elle a suscitées, a conduit notre commission à organiser une série d'auditions sur l'accès à l'enseignement supérieur sélectif.
L'accès des jeunes à l'enseignement supérieur constitue une de nos quatre priorités thématiques, avec l'éducation, la prévention de la délinquance et la santé. Nos actions sont conduites dans les quartiers sensibles et prioritaires de la politique de la ville (au nombre de 2 200, ayant fait l'objet de 500 contrats urbains de cohésion sociale (Cucs)).
Sur le plan budgétaire, l'éducation est notre première priorité ; nous la préservons en dépit d'un budget qui s'est considérablement réduit depuis deux ans. 80 millions d'euros sont ainsi consacrés au programme de réussite éducative. Il s'agit de promouvoir l'accès à un parcours d'excellence, condition de la réussite de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. C'est une question de justice, d'égalité des chances et même un symbole, afin qu'à potentiels comparables, certains jeunes ne se sentent pas exclus.
Notre programme phare, « cordées de la réussite », a été lancé en 2008 par le ministère en charge de la politique de la ville (au titre du programme budgétaire n° 147) et le ministère de l'enseignement supérieur. Il s'agit de labelliser des projets dans des lycées, voire des collèges, dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec un double objectif :
- informer et expliquer aux jeunes concernés les cursus et filières de l'enseignement supérieur ;
- accompagner des jeunes jusqu'au baccalauréat, pour remédier à leur défaut d'ambition car ils sont souvent inhibés par leur milieu social, familial ou culturel.
Comment fonctionne le programme ? Un établissement d'enseignement supérieur est considéré comme « tête de cordée », et « encorde » un certain nombre d'établissements secondaires. Ainsi, des étudiants issus de l'établissement « tête de cordée » accompagnent des élèves des établissements secondaires concernés, tout d'abord à travers l'organisation de journées portes ouvertes, mais surtout par la mise un place d'un tutorat.
Un étudiant de classe préparatoire aux grandes écoles ou d'une grande école offrira donc une aide à des élèves identifiés comme prometteurs. Au-delà d'une offre d'accompagnement scolaire, il peut aussi s'agir d'un soutien culturel, à travers des sorties au théâtre, au cinéma, de concerts, etc.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres.
En 2011, on comptait 312 cordées de la réussite, contre 250 l'année précédente. L'objectif fixé par le ministère était d'atteindre le chiffre de 300 « cordées de la réussite », on peut considérer qu'il est atteint.
Ces quelques 312 cordées de la réussite concernent 2 000 lycées et collèges, pour un total de 47 400 élèves dont 14 000 élèves ayant bénéficié du tutorat par 4 500 tuteurs ; 50 % des actions de tutorat ont été menées deux fois par mois au moins.
Le programme des « cordées de la réussite » est piloté par le ministère de l'enseignement supérieur ainsi que le ministère de la ville. L'objectif de ce dispositif étant d'accompagner des jeunes jusqu'au niveau requis pour les concours des grandes écoles ou des filières d'excellence, il ne s'agit évidemment pas de voie spécifique d'entrée, mais d'un idéal de méritocratie républicaine.
L'école de commerce ESSEC avait lancé, en 2003, le dispositif : « Une grande école, pourquoi pas moi ? » (PQPM), premier dispositif s'inscrivant dans ce que nous souhaitons réaliser.
Les « cordées de la réussite » représentent un dispositif massif qui ne couvre pas encore l'ensemble du territoire.
En parallèle, se sont créées de nombreuses classes préparatoires intégrées, comme à l'école de gendarmerie, les Instituts régionaux d'administration ou encore l'École nationale d'administration parmi d'autres. Nous avons soutenu et financé ces classes préparatoires intégrées aux écoles. A l'Institut national du patrimoine, cette classe préparatoire intégrée a concerné quinze jeunes, dont deux ont réussi le concours.
De plus, nous finançons aussi quelques grandes associations travaillant au même objectif. Ces associations sont souvent animées bénévolement par des hommes venus de l'entreprise ou des hauts fonctionnaires.
Parmi elles, nous travaillons avec « Réussir aujourd'hui » qui a organisé récemment un colloque sur l'accès des jeunes aux filières sélectives et mis en place des tutorats d'élèves, des séjours linguistiques et d'autres actions du même ordre. Nous soutenons aussi l'association Fratelli, avec une subvention de 32 000 euros cette année afin de contribuer à leur recherche de partenariats pour leurs « filleuls » de milieux modestes. L'association « Passeport avenir » a reçu 45 000 euros et travaille sur les difficultés d'accès au marché de l'emploi pour les étudiants ayant réussi leur concours et donc la réduction d'inégalités et de difficultés d'intégration.
La question se pose aujourd'hui de l'évaluation de ces dispositifs, avec une réflexion sur une auto-évaluation. Il semblerait opportun de mesurer l'impact du programme sur l'ambition du jeune à l'entrée du programme et en sortie.
De fait, je demande aux établissements « tête de cordée » d'assurer un suivi au moins pendant les six premiers mois - et dans l'idéal toute l'année - qui suivent le baccalauréat. Les étudiants concernés ressentent-ils un isolement social ou culturel ou non à ce moment-là ? Quels sont leurs résultats ?
Le budget total pour l'ensemble du programme des « cordées de la réussite » en 2010-2011 était de 8,7 millions d'euros et la part de l'Acsé était de 48 % de ce budget.
Ce programme consacre en moyenne 22 000 euros par an pour une cordée, soit une dépense moyenne de 250 euros par élève. Le financement médian d'une « cordée de la réussite » par l'Acsé est de 15 000 euros. La moitié des « cordées de la réussite » reçoivent plus de 15 000 euros de l'Acsé. Une cordée typique est financée environ à 66 % par l'Acsé.
Pour 2011-2012, notre apport budgétaire a été de 4,6 millions d'euros.
Une convention a été signée en 2011 entre l'Acsé et la Conférence des grandes écoles (CGE). Elle s'attache à trois axes principaux :
- élargir le réseau par l'accompagnement au montage de projets contribuant à l'ouverture sociale des grandes écoles. Tous les établissements membres de la CGE peuvent bénéficier d'une aide concernant des projets élargissant leur ouverture sociale. Il y en a eu deux cents en 2011, dont trente nouveaux. Nous avons co-financé ces projets ;
- travailler à l'« ouverture sociale » : la CGE a organisé cinq séminaires d'une journée, avec la participation active de l'Acsé, visant entre 50 et 80 personnes des grandes écoles, universités et classes préparatoires aux grandes écoles. C'est un lieu d'échange entre les acteurs du programme, où l'on diffuse des bonnes pratiques. 25 projets ont été présentés, exploités, exposés, diffusés. Nous avons aussi mis en place un séminaire de trois jours porté par l'école Centrale (Paris) et organisé par la CGE à l'égard de près de trois cents destinataires ;
- mettre à disposition de nouveaux outils, nouvelles ressources telles qu'un livre blanc de l'ouverture sociale des grandes écoles qui doit être actualisé.
Merci monsieur le directeur de cet exposé qui devrait susciter quelques questions. Je souhaiterais simplement deux compléments de votre part :
- dans quelle proportion le budget de l'Acsé a-t-il été réduit ?
- vous avez évoqué aussi l'existence de nombreuses classes préparatoires intégrées. Je n'ai pas eu connaissance d'un tel dispositif en ce qui concerne la formation au métier d'enseignant. Existe-t-il une classe préparatoire intégrée au sein des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) ?
Les classes préparatoires intégrées n'existent pas pour les IUFM.
En revanche, concernant les crédits de l'Acsé, je souhaiterais rappeler que 96 % de notre budget sont des crédits d'intervention et les 4 % restants des crédits de fonctionnement. Ces crédits sont déconcentrés, c'est-à-dire envoyés aux préfets. La baisse de ces crédits a été de 20 % pour l'année 2010-2011 et de 5 % pour l'année 2011-2012. Nous avons maintenu les financements en puisant seize millions d'euros dans l'important fonds de roulement dont nous disposions.
Vous avez évoqué la question des codes ainsi que l'absence d'information des jeunes et des familles. En ce qui concerne les codes, le sujet est assez complexe car il est structurel, familial. Il est plus aisé de remédier aux problèmes de l'information envers les familles. Avez-vous tiré les enseignements de l'absence d'information envers les jeunes et leurs parents ? Comment se situe l'action des cordées de la réussite par rapport aux Centre d'information et d'orientation ?
Ma deuxième question serait de savoir si les étudiants bénévoles participant au programme des cordées de la réussite en tirent un bénéfice dans leur propre cursus universitaire tels que des points supplémentaires ?
Pouvez-vous nous dire quel accueil est réservé par les familles au dispositif, et, par ailleurs, quelle est la répartition géographique des « cordées de la réussite » ?
Pouvez-vous évaluer le taux de satisfaction par rapport aux besoins ? On observe une diminution des financements de l'Acsé depuis quatre ans dans les quartiers difficiles ainsi qu'une baisse encore plus surprenante des crédits en faveur de la réussite éducative, qui mériterait pourtant d'être soutenue !
A compter de 2012, nous allons évaluer la répartition de toutes nos actions entre filles et garçons ;
- les étudiants s'engagent à titre bénévole dans le tutorat et ne bénéficient pas de points supplémentaires à ce titre dans leur cursus ;
- il est difficile de répondre à la question sur le pourcentage des besoins couverts car nous sommes incapables de mesurer ces besoins. Nos actions sont fonction de nos moyens budgétaires. Ceci étant, nous couvrons une part croissante du territoire, un effort majeur ayant été réalisé en trois ans, avec désormais 312 « cordées de la réussite » labellisées ;
- s'agissant des internats d'excellence, depuis le 18 février 2011, l'objectif est de réserver 50 % des places aux collégiens et lycéens issus des quartiers prioritaires. Pour l'année scolaire 2011-2012, le financement de l'Acsé pour ces places labellisées est fixé à un forfait de 1 100 euros ;
- l'Acsé n'est pas compétente dans les zones rurales puisqu'elle relève de la politique de la ville.
Je sais que vous n'intervenez pas en milieu rural mais je m'interroge sur une agence qui exclut a priori celui-ci, alors que les jeunes y connaissent parfois davantage de difficultés que ceux vivant en banlieue parisienne. En outre, si l'on compte globalement un nombre suffisant de places dans les classes préparatoires aux grandes écoles, toutes n'étant d'ailleurs pas occupées, il existe cependant une surreprésentation de l'Île-de-France et des autres métropoles. Et comme on refuse de fermer certaines classes Prépa dans ces zones, on ne crée pas non plus de nouvelles implantations, ce qui maintient une inégalité. Cette mauvaise répartition géographique constitue un « angle mort » qui pénalise des publics tout aussi méritants et dotés de potentiel que les autres.
A titre personnel, je partage ce point de vue, à condition cependant de disposer des moyens. Il serait, en effet, plus logique de s'occuper de l'ensemble du territoire ; ceci simplifierait aussi la gestion administrative, car nous devons aujourd'hui vérifier l'adresse des bénéficiaires potentiels afin de vérifier si elle correspond au zonage. Mais ce zonage de la géographie prioritaire propre à la politique de la ville résulte jusqu'à présent des choix opérés par le Gouvernement et le Parlement, même si un rapport parlementaire avait prôné, en 2009, une évolution. On a plutôt procédé à un recentrage et à un resserrage des moyens sur les quartiers prioritaires. En 2011, le coût moyen de nos actions est de 37,5 euros par habitant, mais ceci recouvre une forte dispersion (23 euros par habitant dans les Bouches-du-Rhône, contre 88 euros dans les Vosges et 140 euros dans le Lot...). Le contrat d'objectifs et de performances signé en 2010 entre l'État et l'Acsé fixe l'objectif de tendre vers une répartition plus équitable des crédits.
Ceci pose un problème d'exclusion des pauvres, habitant hors de ces quartiers. Je regrette la réduction budgétaire alors que la politique de la ville est au coeur de problèmes tels que celui de la délinquance.
Nous conduisons des actions fortes contre le décrochage scolaire au collège, 250 plateformes ayant ainsi été créées en 2011. En outre, les « cordées de la réussite » visent aussi des collégiens de 3e.
Comment faire en sorte que l'orientation des élèves ne contribue pas à la discrimination ? En 2011, j'ai eu des contacts avec le délégué à l'information et à l'orientation, M. Jean-Robert Pitte, afin de proposer des actions de sensibilisation à la lutte contre les discriminations pour les conseillers d'orientation.
Pourquoi n'avons-nous pas de partenariat avec la conférence des présidents d'universités ? Je n'ai pas de réponse. Peut-être par manque de temps ou de demande. L'Acsé essaie de répondre aux sollicitations qui lui sont adressées.
S'agissant de la réforme des examens d'entrée à Sciences Po, j'estime que l'on a besoin de culture générale dans la vie. Elle permet de stimuler l'intelligence, de jeter des ponts entre les questions...
Pour moi, il n'y a pas survalorisation du poids des oraux aux concours. L'oral est peut-être moins neutre que l'écrit mais il est important, sachant que l'on travaille à 80 % à l'oral, de s'adapter à cette réalité.
Il me semble important de ne pas abandonner une pondération adéquate entre les épreuves orales et écrites, au risque sinon de tirer les jeunes vers le bas.
Puis la commission procède à l'audition de M. Richard Descoings, directeur de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris.
Je n'ai plus besoin de présenter M. Richard Descoings, président de l'Institut d'études politiques de Paris, qui s'est à plusieurs reprises illustré comme précurseur de nouvelles méthodes au sein de cet établissement prestigieux et instigateur de propositions qui n'ont pas manqué d'interpeler l'attention des médias. La dernière réforme en date de votre institution comprend la suppression de l'épreuve emblématique de culture générale au concours d'entrée à Sciences Po. Nous nous interrogeons bien naturellement sur les motifs de cette décision.
Je vous remercie madame la présidente, j'ai toujours grand plaisir à venir débattre devant votre commission.
Quelle est la logique d'enseignement à l'oeuvre, à l'heure actuelle, au sein de Sciences Po ? Après deux ans d'expérimentation, des ateliers artistiques ont été rendus obligatoires sur trois semestres successifs au cours des deux premières années d'études, et couvrent des domaines qui rejoignent le champ de compétences de votre commission : musique, théâtre, écriture, cinéma, etc. Nous constatons que tous les élèves participent avec enthousiasme à ces ateliers artistiques.
Quel établissement d'enseignement supérieur accorde, aujourd'hui, une place aussi significative aux humanités aussi bien « classiques » que scientifiques, pendant les premières années d'études supérieures ? Les enseignements obligatoires dispensés à Sciences Po à tous les élèves de première et deuxième années comprennent des disciplines dites « classiques » qui participent toutes de l'enrichissement de leur culture générale telles que l'histoire et la sociologie, indispensables pour mieux comprendre le monde contemporain, l'économie (à l'heure où on s'émeut qu'une proportion significative de notre jeunesse ne dispose pas du minimum de culture économique qui lui permette de comprendre le débat public voire de voter), mais aussi le droit, dans des sociétés développées au sein desquelles les relations juridiques se sont considérablement complexifiées et la connaissance du contrat et de la responsabilité est devenue incontournable.
Vient ensuite le master qui doit conduire nos étudiants à se spécialiser. A la différence des autres établissements d'enseignement supérieur, les enseignements de spécialisation ne remplissent que 80 % de l'obligation de formation au sein de Sciences Po. J'ai toujours eu, en effet, la ferme conviction que les enseignements fondamentaux et généraux constituent le meilleur terreau pour faciliter et consolider l'acquisition de connaissances spécialisées en master.
Nous revendiquons donc fermement l'apprentissage de la culture à Sciences Po. Au travers de notre carte des formations et de nos cursus, nous mettons tout en oeuvre afin d'offrir à nos étudiants la possibilité de développer, diversifier et consolider leur bagage culturel tout au long de leur formation universitaire.
Nous ne nous limitons pas, du reste, à la seule culture française : tous nos étudiants ont l'obligation d'effectuer leur troisième année hors de France. La confrontation à d'autres cultures est de plus encouragée par l'enseignement, en particulier sur nos sites délocalisés, de 17 langues étrangères (dont l'hindi, le mandarin, l'indonésien, l'arabe, etc.).
Comme vous avez pu le constater, j'ai pris soin de souligner dans mon propos liminaire la place centrale qu'occupe la culture au sein des enseignements de Sciences Po, avant d'en venir précisément au sujet de la suppression de l'épreuve de culture générale au concours d'entrée à l'IEP. Conformément au programme des épreuves d'admission à Sciences Po tel qu'il sera mis en oeuvre à partir de la rentrée 2013, tous les candidats devront rédiger une dissertation d'histoire. L'histoire est, à mon sens, un pilier fondamental de la culture, car sans épaisseur historique on en est réduit à voir le monde à plat, et c'est à ce titre que cette discipline constituera la clé de la réussite au concours. Il a semblé au conseil d'administration de l'IEP qu'il était d'autant plus nécessaire de mettre l'accent sur l'histoire que les jeunes générations vivent aujourd'hui dans un monde d'immédiateté qui engage rarement à répondre aux questionnements avec un minimum de recul historique.
J'en veux pour illustration le traitement de l'intervention militaire en Libye par les médias : il aura fallu attendre quatre mois après le début de l'intervention pour rappeler que la Libye était un État à la construction relativement artificielle, et qu'elle devait, à ce titre, être distinguée des logiques à l'oeuvre en Tunisie ou encore en Syrie.
La deuxième épreuve obligatoire pour les candidats à l'entrée à Sciences Po consistera soit en une dissertation ou un commentaire de texte en littérature ou en philosophie, soit en une dissertation ou une analyse de dossier en économie ou en sociologie. La possibilité sera également offerte de se consacrer à une épreuve de mathématiques, car il est indispensable de vérifier que les grandes percées scientifiques et technologiques ont bien été intégrées. Il faut tenir compte du caractère fortement transversal des grands sujets de notre temps. La problématique des cellules souches est ainsi, par exemple, à la fois un sujet de philosophie morale, de recherche scientifique et de science politique.
L'organisation des études au sein du lycée français a alimenté une distinction entre des élèves, principalement en série L, qui craignent de plus en plus les sciences dures et des élèves qui ont opté pour la série S avec l'ambition de poursuivre des études de philosophie ou de sciences sociales. C'est pourquoi nous n'imposons aucune obligation liée au parcours de l'élève au lycée dans choix de la deuxième épreuve.
La troisième épreuve écrite porte sur la maîtrise d'une langue étrangère. Plusieurs observateurs avaient fait remarquer que certains candidats n'avaient appris de langue vivante que dans le strict cadre scolaire, c'est pourquoi nous avons fait le choix, avec la nouvelle réforme, de lui appliquer un coefficient deux fois moins élevé que celui des deux premières épreuves écrites, sans l'assortir de note éliminatoire.
Les membres du jury sont également appelés à examiner le dossier du candidat, afin de tenir compte d'expériences s'écartant du cursus scolaire, tels que des événements culturels ou des engagements associatifs divers. L'entretien oral d'admission devant le jury est consacré à l'examen de la curiosité intellectuelle du candidat, de ses centres d'intérêt, de son sens du discernement et de sa capacité à argumenter une position, étant entendu qu'on n'attend pas d'un élève de 17-18 ans qu'il ait une idée précise de son projet professionnel.
Les épreuves orales comprennent une épreuve de langue sans caractère éliminatoire, car force est de constater que les générations actuelles sont souvent plus à l'aise à l'oral qu'à l'écrit, ne serait-ce qu'en raison de leur goût pour la musique internationale. Il s'agit, en outre, d'envoyer un signal supplémentaire en direction des lycées qui privilégient encore trop l'évaluation des bacheliers dans le cadre d'épreuves linguistiques écrites.
Nous avons eu une épreuve de culture générale qui a formidablement bien rempli ses objectifs pendant très longtemps. Pour autant, il faut être suffisamment honnête pour reconnaître que, dans la France du début des années 2010, les lycéens forment un groupe moins homogène que dans les années 1980 et 1990. Le lycée, qu'il soit privé ou public, n'enseigne pas la culture générale, en partant du postulat qu'au travers des différentes disciplines enseignées, les jeunes commencent à se bâtir une culture qui s'approfondira avec le temps. Il n'existe pas plus de professeurs de culture générale à l'université.
Où se trouve donc cette culture générale à l'heure actuelle ? Dans des manuels qui multiplient les fiches techniques sur des grands thèmes. Il existe, en effet, une industrie de la culture générale qui s'est développée en dehors du cadre scolaire. Pourquoi les décisions du conseil d'administration de l'IEP devraient-elles être dictées par les intérêts économiques de la Documentation française ? Quelle que soit mon indifférence à l'égard des entreprises de préparation du concours à côté du lycée, je n'entends pas laisser cette industrie nous dicter la nature de nos épreuves de sélection.
Notre commission a souhaité entendre sur ce sujet du concours d'entrée à Sciences Po les différents protagonistes en présence. Au-delà des divergences de vues sur l'utilité d'une épreuve écrite de culture générale, quelques problèmes retiennent mon attention :
- l'enseignement des langues vivantes doit se poursuivre dans le cadre des études supérieures afin de garantir à tout élève un bagage linguistique solide ;
- le débat se concentre sur la remise en cause de l'importance de la culture générale dans les concours aux grandes écoles au nom de l'égalité des chances. Or, cette égalité des chances doit précisément permettre d'acquérir un niveau de culture générale sur lequel on ne saurait transiger. Je rappelle qu'une étude récente du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), datée de 2004, concluait que l'épreuve de culture générale au concours d'entrée de Sciences Po n'était pas socialement discriminante ;
- les élites françaises connaissent une mutation. Alors qu'elle comportait autrefois une forte dimension littéraire ou scientifique, la culture des élites est aujourd'hui principalement juridique ou scientifique, et sensiblement moins littéraire. La réflexion doit donc également porter sur le maintien de la diversité de la culture de nos élites, afin de prévenir tout rétrécissement de la pensée ;
- dans une tribune récente, M. Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques, regrettait le biais en faveur des bacheliers des séries scientifiques dans l'accès à Sciences Po, alors même que l'histoire n'est plus désormais obligatoire pour les terminales S. Il faut effectivement reconnaître que nous n'avons pas encore fait le rééquilibrage des baccalauréats dont nos lycées, mais aussi nos établissements d'enseignement supérieur ont besoin ;
- votre réforme ne doit pas aboutir à une minoration de la culture générale. L'équilibre doit en particulier être trouvé entre l'écrit et l'oral, ce dernier étant souvent l'occasion d'un dialogue entre examinateur et examiné au cours duquel un contact peut s'établir. L'épreuve écrite est, elle, destinée à évaluer la structuration de la pensée.
Derrière votre exposé très pédagogique, on perçoit bien l'utopie qui sous-tend votre réforme : mais comment entendez-vous faire en sorte que votre vision soit effectivement partagée par les membres du jury ?
Par ailleurs, je m'interroge sur les moyens des lycéens d'affronter l'épreuve d'histoire alors que cette discipline a disparu des programmes de terminale S.
Enfin, accueillez-vous des étudiants dans le cadre du programme des « cordées de la réussite » ?
L'introduction d'une épreuve obligatoire de dissertation en histoire ne conduira-t-elle pas au développement d'écoles de bachotage, non plus de culture générale mais d'histoire ?
De plus, à quel moment du processus de sélection l'examen des dossiers des candidats intervient-il ?
N'oublions pas que la problématique de la culture générale comme épreuve de sélection intervient à d'autres niveaux, notamment dans le cadre des concours administratifs. Cette barrière peut se retrouver plus tard au cours de la carrière.
Votre réforme fait écho à l'annonce par M. André Santini, en 2008, de la suppression de l'épreuve de culture générale aux concours de la fonction publique de catégorie B.
Géographiquement, comment le déroulé de vos épreuves écrites est-il organisé sur le territoire ?
Je m'interroge sur la sélection opérée au niveau des épreuves de langue. Au sortir du lycée, l'expression orale d'un bon nombre d'élèves en anglais est limitée, compte tenu de la charge des classes et du programme. L'évaluation orale reste discriminante, en particulier par rapport aux élèves qui ont eu les moyens d'une immersion à l'étranger dans le cadre d'un voyage linguistique. Par ailleurs, je rappelle que notre pays accuse encore un sérieux retard vis-à-vis de ses partenaires, notamment des pays scandinaves, dans la diffusion des films en langue étrangère en version originale sous-titrée.
Est-ce qu'il y a éducation sans culture générale ? On a de plus en plus de spécialistes de haut niveau sortis des grandes écoles mais qui, en réalité, ne connaissent pas grande chose en dehors de leur spécialité. On se retrouve, au final, avec de moins en moins de « citoyens du monde »... Je me souviens d'une époque où la troisième était encore une classe terminale à l'issue de laquelle les élèves disposaient d'une culture plus vaste.
Certains étudiants sont aujourd'hui incapables de classer leurs savoirs. Il me semble regrettable qu'on en vienne dans certains concours à imposer la culture générale car, au fond, aucune discipline ne saurait être étrangère à la culture générale. Aucun savoir isolé n'enrichit un individu. C'est pourquoi je rejoins tout à fait les conclusions de votre exposé.
Dans mon propos introductif, monsieur Legendre, je crois que je n'ai pas utilisé les mots « discrimination » et « élite ». C'était volontaire. J'ai voulu montrer que dans notre esprit, la réforme des conditions d'entrée à Sciences Po avait pour objectif de mieux se caler sur ce qui est effectivement enseigné en première et en terminale et de s'assurer que le concours d'entrée ne soit qu'un moment, qu'un passage vers une formation de trois années où la pratique artistique est obligatoire et où les cinq grandes disciplines traditionnelles sont enseignées à tous. Malheureusement, le débat s'est brutalement posé sur le thème : Sciences Po étend la discrimination positive en supprimant l'épreuve de culture générale au concours d'entrée. Or, je ne suis jamais parti du postulat que l'épreuve de culture générale était discriminante.
Je n'accepte pas, et le conseil d'administration de l'IEP le refuserait tout aussi catégoriquement, qu'au nom de l'égalité des chances on nivelle par le bas la culture générale des étudiants de Sciences Po. Plus on enrichit culturellement, plus le débat d'idées et la capacité à prendre de la distance se renforcent. Ce serait précisément aller contre l'égalité que de rétrécir l'éventail culturel.
A M. Antiste, je répondrai que 40 % des étudiants de Sciences Po n'ont pas la nationalité française. A leur contact, nos élèves français disposent d'une ouverture exceptionnelle sur le monde. En outre, près de 1 500 étudiants partent chaque année pour une année hors de France. Sur le site délocalisé de Nancy, les cours sont dispensés à égalité en allemand et en français. A Dijon, les élèves apprennent le polonais, le tchèque, le magyar, etc., et au Havre, le hindi, le mandarin, l'indonésien ou encore le japonais.
En ce qui concerne la nature des élites françaises, il est vrai que celles-ci ont été pendant très longtemps des élites essentiellement « normaliennes » : l'école de la rue d'Ulm a introduit un esprit de culture très développé au sein de nos élites politiques. Cela dit, nous faisons en sorte, à Sciences Po, qu'il y ait du temps obligatoire aménagé pour que les jeunes demeurent confrontés à de grandes oeuvres de l'esprit, afin que précisément le façonnement de leur culture ne transite pas uniquement par le droit. A mon sens, la croissance significative du nombre de candidats à l'entrée à Sciences Po s'explique en partie par l'envie d'enrichir et d'élargir sa culture au cours des trois premières années d'études.
Les résultats des admis des quatre dernières promotions montrent que la série dans laquelle nous avons recruté le plus de bacheliers est la série ES, à hauteur de 45 %, la série S venant derrière et la série L ne dépassant pas 10 %. La question des déséquilibres entre baccalauréats s'est donc posée bien avant ce débat sur la culture générale.
Toute décision du conseil d'administration de l'IEP ne vaut qu'à travers son effectivité et son application intelligente par les membres du jury : c'est pourquoi la sélection d'un groupe de personnes qui partagent les mêmes ambitions intellectuelles et appliquent de façon cohérente les décisions de la direction est fondamentale.
Nous avons profondément modifié les épreuves du concours et son calendrier afin de nous inscrire dans le système national d'admissions post-bac. Autrefois, la communication des résultats à la fin du mois de juillet conduisait plusieurs milliers de bacheliers à s'inscrire en classes préparatoires s'ils n'étaient pas sûrs d'être reçus à Sciences Po. Or, une fois admis à l'IEP, ils n'informaient pas les institutions concernées de leur choix, ce qui privait un grand nombre d'étudiants de très bon niveau d'intégrer des classes préparatoires. C'est pourquoi nos épreuves écrites de sélection sont désormais ramassées dans le temps, au mois de mars. Les résultats des oraux d'admission sont, eux, communiqués au début du mois de juin. C'est aussi un progrès pour les familles d'étudiants venant de province, pour la recherche d'un logement à Paris.
Ce calendrier nous offre un avantage par rapport au programme d'histoire retenu pour la préparation de la première épreuve, qui porte donc sur le programme de première. Nous ne pénalisons ainsi pas les élèves de terminale S.
Jusqu'il y a dix ans, les épreuves ne se déroulaient qu'à Paris. L'année dernière, un centre a été ouvert à Nancy, et cette année, Poitiers accueillera un nouveau centre d'examens. Les étudiants issus de l'outre-mer ont, eux, le choix entre la procédure traditionnelle et la procédure internationale, qui se déroule sur dossier et par entretiens, pour lesquels une équipe de Sciences Po se déplace dans le territoire concerné.
Il y aura toujours du bachotage, on ne peut qu'en limiter les effets. A titre personnel, cela ne me gêne pas que les candidats bachotent en histoire.
Enfin, s'agissant des langues, je souhaiterais que les candidats aient le réflexe de regarder les séries télévisées en version originale. Visionner la série « West Wing » en version originale est encore le meilleur moyen de se frotter au droit constitutionnel américain dans la langue de Shakespeare. En tout état de cause, nous sommes très exigeants sur le niveau de maîtrise de la langue étrangère au moment du diplôme, à la sortie de l'école, d'autant plus que l'élève aura passé une année à l'étranger. Nous sommes naturellement moins exigeants à l'entrée.
Vous avez évoqué l'apprentissage des langues étrangères et de la culture sous-jacente. Je rappelle que notre commission demande régulièrement au service public de la télévision de mettre en oeuvre les obligations légales qui lui incombent à ce titre, notamment en diffusant les séries américaines en version originale sous-titrée.
La commission du contrôle de l'application des lois a précisément décidé de se pencher sur l'application de la loi de 2009 sur le nouveau service public de la télévision. C'est un point qui devra particulièrement être étudié.
Je tiens à vous remercier, monsieur Descoings, pour votre prestation, car votre ambition renouvelée aussi bien dans vos enseignements obligatoires que dans l'enseignement des langues étrangères illustre parfaitement les missions fondamentales qu'une école supérieure prestigieuse se doit d'assumer dans la construction de notre société.
Enfin, la commission auditionne M. Xavier Patier, directeur de l'information légale et administrative (DILA) des services du Premier Ministre.
Nous avons souhaité vous entendre dans le cadre d'une matinée d'auditions sur la suppression de l'épreuve de culture générale au concours d'entrée à Sciences Po, dans la mesure où vous avez exprimé un point de vue contraire dans une tribune parue dans la presse.
Je n'ai pas de légitimité pour parler des épreuves d'admission à Sciences Po. La Documentation française fait de la formation en ligne dans le cadre d'un partenariat avec Sciences Po pour la préparation à l'examen d'entrée. Il s'agit de permettre à tous d'accéder à l'excellence. Notre formation est peu coûteuse et concerne 75 % de non-franciliens ainsi que des boursiers qui bénéficient de la gratuité. La philosophie implicite était l'accès de tous aux outils de la culture générale.
J'ai réagi dans une tribune parue dans un quotidien, ayant appris par la presse que Sciences Po Paris renonçait à l'épreuve de culture générale pour des raisons dont celles mises en avant me paraissaient très critiquables. A travers la presse, il a été avancé que l'épreuve de culture générale était discriminante socialement, qu'elle ne permettait pas de juger la vraie valeur des candidats, qu'il fallait se déterminer sur leur personnalité... Il m'a semblé que cette critique était celle du modèle républicain de l'éducation tel que la Documentation française essaye de le défendre. Je me suis ainsi permis de dire : « s'il n'y a plus que dans les beaux quartiers que l'on est capable d'écrire, alors supprimons l'écriture ! ». S'il s'agit de faire de la discrimination positive, disons-le.
Il est ainsi proposé de remplacer cette épreuve par un dossier et un oral de langue vivante. Etrange ! Autant la culture générale ne demande pas un investissement financier - même si certains milieux la favorisent plus que d'autres - autant le séjour linguistique nécessite de l'argent.
Il y a l'idée aussi que la vraie valeur d'un candidat ne pouvait pas être jugée sur un écrit et qu'il fallait choisir une personnalité. Cela peut paraître séduisant. Un de mes anciens professeurs à Sciences Po me disait qu'il ne se permettrait pas de juger une personne mais qu'il avait un avis sur la copie. Ce professeur représentait ce que peut être un principe républicain d'égalité. L'enseignant n'a pas à avoir une opinion sur la personnalité de l'élève, à charge pour le système de permettre à tous de rédiger la bonne copie.
Selon moi, affirmer que la culture générale ne sert à rien relève d'un effet de mode. Derrière la condamnation de l'idée de culture générale, se dessine celle de quelque chose d'un peu trop français ou pas assez américain dans le système. La culture générale, c'est français, donc suspect. Ces propos m'ont été reprochés. Ce qui permet d'avoir un débat sur la culture générale, c'est précisément la culture générale elle-même. En privant les étudiants de ce type d'entraînement, on les prive d'une certaine autonomie de jugement.
Je me permets de citer la brochure du concours d'accès à Sciences Po selon l'ancienne formule. L'épreuve de culture générale devait permettre au candidat « d'affirmer sa liberté de jugement : une liberté informée et instruite, consciente de ses raisons, capable d'exprimer non pas une simple opinion, mais un véritable jugement ». Voilà ce à quoi Sciences Po renonce.
Ensuite, Sciences Po s'est expliqué et a précisé les difficultés rencontrées dans l'organisation du concours d'entrée. Ce qui m'a gêné c'est que la réforme n'a pas été présentée ainsi. Elle l'a été comme un acte militant et péremptoire : on renonce à la culture générale parce que c'est mauvais. Cela a été aggravé par le fait qu'en même temps la terminale S abandonnait le programme d'histoire et que les concours B et C de la fonction publique renonçaient à l'épreuve de culture générale. On menace périodiquement d'autres concours d'être débarrassés de cette épreuve au profit de QCM et bientôt de discrimination positive. Cela me paraissait une capitulation. Ayant en charge la Documentation française, création de la Libération, je me sentais un devoir en tant que citoyen et garant de cette institution de le dire. Suite à la parution de cette tribune, j'ai reçu au moins une quarantaine de courriers, tous favorables, notamment d'anciens élèves de Sciences Po. On ne trouvera plus rue Saint-Guillaume les candidats timides et mal fagotés, mais qui étaient bons à l'écrit et qui attendrissaient le jury à l'oral ! A Sciences Po, le temps n'est plus à l'attendrissement. Venant de ma campagne, je sais très bien que M. Descoings n'aurait pas voulu de moi. Ce n'est pas avec ma culture générale apprise dans des livres que j'aurais pu le convaincre, mes parents n'ayant pas pu m'offrir un séjour en Angleterre. Cette discrimination positive consistant à se dire « nous allons choisir nos pauvres » me paraissait interpeller ce que nous aimons dans le modèle républicain.
C'est un témoignage engagé. Des témoignages peuvent nous permettre de réagir. Nous sommes au coeur de ce que peut être une commission pour nous aider à nous construire notre opinion.
Je vous remercie de votre franchise. Vous parlez d'effet de mode. Il est à mettre en parallèle avec les codes qui sont enseignés par certains professeurs au lycée car il est important de les posséder.
Les propos de M. Descoings nous ont rassurés. En effet, c'est moins grave de supprimer la culture générale à l'entrée si on l'enseigne au cours des cinq années d'études et si on s'assure du niveau des exigences à la fin du cursus. Vous avez sans doute raison de dire qu'il ne faut pas supprimer l'épreuve de culture générale aux concours de la fonction publique pour ne pas perdre notre culture française.
Vous avez pris un parti pour mettre un point d'arrêt à l'égard de ce que vous considérez comme une normalisation qui nous échappe, avec une individualisation des parcours et la liberté que se donne Sciences Po de choisir ses propres élites en fonction de certains critères. Vous êtes en opposition forte par rapport à un modèle qui paraissait plus égalitaire auparavant.
J'ai l'impression que l'exposé de M. Descoings était amendé au regard de cette affirmation militante à laquelle vous avez réagi. Il y avait une grande confiance dans l'enseignement donné par l'établissement pour harmoniser le niveau culturel. N'y figurait pas cette notion de discrimination positive de départ que vous dénoncez. La dénoncez-vous toujours après les précisions apportées ? Etes-vous convaincu qu'il s'agit d'une position politique personnelle de M. Descoings ou d'une démarche généreuse en direction des futurs étudiants ?
Vous avez eu une réaction à chaud qui a été aussi la nôtre et qui a conduit notre collègue Jacques Legendre à demander à notre présidente d'organiser ces auditions.
A la lecture de la formulation de l'épreuve de culture générale, on peut considérer qu'il y a là un renoncement à cette manière de former l'esprit pour se tourner vers plus de facilité sur un modèle à l'américaine.
Au cours de son exposé, M. Descoings nous a précisé le cursus suivi lors des cinq années d'études à Sciences Po. Nous avons également posé des questions sur les effets de mode, de codes et de milieux que vous avez évoqués, notamment concernant l'épreuve orale de langue, sachant le faible niveau des Français en la matière et l'impossibilité pour toutes les familles de payer un séjour à l'étranger à leurs enfants.
Au regard des réponses obtenues, il est possible d'évoluer, mais nous restons attachés à notre exception culturelle.
Les explications données me font penser à la mauvaise qualité de la formation des enseignants aujourd'hui. Le recrutement au niveau du master avec peu de formation pédagogique appauvrit le terreau sur lequel se recrutent les enseignants. En effet, ce ne sont plus les enfants du peuple comme à l'époque des écoles normales d'instituteurs ou des IUFM.
Aujourd'hui, tous ces codes dont vous parlez et qui s'enseignent sont en train de changer au détriment de la diversité de l'origine du recrutement tant pour les enseignants qu'à Sciences Po. Ce parallèle me paraît assez inquiétant pour notre société.
C'est en lisant l'article assez vif de M. Patier que je m'étais inquiété. L'article paru ensuite de M. Casanova explicitant le projet m'a quelque peu rassuré. Il ne s'agissait pas d'une remise en cause brutale de la culture générale.
On constate qu'il y a une prise en compte des discriminations rencontrées dans des quartiers fortement urbanisés tandis que d'autres zones sont plus oubliées.
Il y a une volonté de notre part de regarder comment la fabrique de l'élite qu'est Sciences Po se conduit. Sciences Po est sans doute un peu victime de notre incapacité de rééquilibrer le baccalauréat. Les baccalauréats généraux devraient tous être égaux en dignité. Dans la pratique, les candidats reçus à Sciences Po ne sortent pas de la filière L, alors que ce bac qui aurait vocation à porter une culture à dominante plus littéraire qui a été longtemps celle des élites en France ne remplit plus sa fonction. Nous devons rester vigilants pour que nos élites continuent à relever de cultures différentes.
J'ai le sentiment que la modification des épreuves était une adaptation à la réalité scolaire et sociétale.
Nous faisons le constat que la culture générale et artistique est de plus en plus abandonnée dans l'enseignement au lycée. Dans la réalité sociétale, c'est un appauvrissement de la culture qui est proposé aujourd'hui au citoyen. Est-ce que le concours s'adapte à cette double réalité ? Est-ce que le combat à mener n'est pas que cette école comme d'autres grandes écoles remette l'ambition culturelle au coeur de son projet ?
J'ai été assez convaincu par l'article de M. Casanova. Il aurait fallu commencer par là. Ce qui m'inquiétait était le signal envoyé. Sciences Po est très emblématique. Sa création, consécutive à la défaite de 1870, l'a été pour le redressement national après une humiliation nationale. Depuis un siècle et demi, Sciences Po c'est la France telle qu'elle se voit et se rêve. La façon dont cette réforme a été présentée a été calamiteuse. Les problèmes qui se posent à Sciences Po sont ceux qui existent en amont. Je pense qu'il y a un devoir de résistance. Si la justification de la réforme de Sciences Po se fait par les évolutions sociétales ou l'échec dans notre système scolaire, il faut plutôt s'interroger sur ces dernières que d'accepter la fatalité. Sciences Po, c'était le refus de la fatalité. J'ai ainsi réagi viscéralement à cause du signal envoyé.
Nous devrons garder à l'esprit ce débat. Le directeur de Sciences Po a été un peu ambigu lorsqu'il a défini Sciences Po comme formant des citoyens du monde et en le justifiant par le taux de 40 % d'étudiants étrangers. Personne ne conteste l'importance de recevoir des étudiants étrangers. Mais il faut se demander si Sciences Po ne doit pas d'abord former des élites françaises destinées à tenir leur rôle dans un monde très mondialisé. Il faut être très attentif aux mots utilisés.