La commission entend, en commun avec la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean Jouzel et Mme Laurence Hézard, rapporteurs d'un avis du CESE.
La réunion est ouverte à 9h30.
Nous auditionnons, et j'en suis très heureux, M. Jean-Paul Delevoye, président du CESE, accompagné de M. Jean Jouzel et de Mme Laurence Hézard, rapporteurs de l'avis sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Vous avez débattu de la part du nucléaire dans le mix énergétique sans parvenir à un consensus au sein du CESE : quelle est votre position sur le double objectif de réduire de moitié notre consommation d'énergie fossile d'ici 2050 et de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici à 2025 ?
Quelles ont été les positions, ensuite, dans votre débat sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE), laquelle grève déjà lourdement les revenus des ménages les plus modestes mais qui paraît encore à certains, cependant, une source de prélèvements supplémentaires sur les ménages ?
Que pensez-vous des « réseaux intelligents » et autres technologies qui informeraient les consommateurs et les aideraient à maîtriser leur consommation ?
Quid, également, des hydrocarbures non conventionnels : avez-vous examiné leur rôle possible ?
Que pensez-vous, encore, du mécanisme adopté par les députés pour les certificats d'économie d'énergie ?
Merci d'avance pour vos réponses et sachez que l'avis du CESE comptera dans nos travaux; vous avez la primeur puisque nous ouvrons nos auditions avec vous : c'est un signe de l'importance que nous accordons à vos travaux, parce que nous en savons la grande qualité !
Dans son avis adopté le 9 juillet dernier, le CESE estime que ce projet de loi sur la transition énergétique ouvre « une nouvelle étape de l'histoire de l'énergie de la France », une étape qui engage la France « vers un nouveau modèle énergétique ». De son côté, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) - dont le vice-président n'est autre que Jean Jouzel -, dans le rapport qu'il vient tout juste de publier, montre que pour éviter un réchauffement climatique de plus de 2 °C, c'est-à-dire pour tenir notre engagement collectif, il faut faire bien davantage qu'améliorer notre mix énergétique : il faut en réalité changer notre façon de produire, de nous déplacer, de nous loger, de travailler... en un mot, nous devons changer nos comportements pour sauver la planète.
À cette aune, la transition énergétique n'est que le premier volet de la transition écologique, où l'enjeu global consiste à passer d'une économie ne considérant que deux facteurs de production qui sont créés par la main de l'homme, le travail et le capital, à une économie qui prenne également en compte le capital naturel, celui que nous n'avons pas créé mais sur lequel repose notre système climatique et la diversité du vivant.
Cette approche intégrée est au coeur de la transition énergétique, c'est elle qui nous fera répondre aux défis immenses que représentent le réchauffement climatique, l'indépendance énergétique de notre pays, la limitation des risques environnementaux et la prospérité de nos territoires.
Comme nous l'avons fait au Sénat, vous avez souhaité porter sur ce texte un regard économique et de développement durable, en confiant la rédaction l'avis du CESE à deux sections, celle des activités économiques et celle de l'environnement. C'est certainement la bonne manière d'aborder le sujet.
Je vous interrogerai, pour commencer, sur certaines des observations critiques que vous faites sur le projet de loi.
Vous êtes réservés sur les moyens financiers mis au service de ce texte : pensez-vous que les mesures proposées depuis, en loi de finances ou dans les déclarations de la ministre, sont à la hauteur des enjeux de la transition énergétique ?
Considérez-vous, ensuite, que les objectifs chiffrés de ce texte sont réalistes, accessibles ?
Vous savez combien, au Sénat, nous sommes attachés aux territoires : que pensez-vous de ce nouveau concept de « territoire à énergie positive », qu'on trouve dans le projet de loi ? Quelles sont les conditions pour que cette expression ne soit pas qu'un concept flou ?
Pouvez-vous nous dire un mot de la piste du livret de transition énergétique que vous préconisez dans votre rapport ?
Vous paraissez ensuite reprocher au texte de s'en tenir au « tout électrique » en matière de transports : comment en sortir ?
Le rapport du GIEC indique qu'il y a urgence mais qu'il est encore temps d'agir. Comment ce projet de loi peut-il, finalement, y contribuer ?
Merci pour votre accueil, je tâcherai d'être bref pour laisser la parole aux deux rapporteurs du CESE et au débat.
Le CESE s'est mobilisé très tôt sur la transition énergétique, en amont de ce projet de loi, nous avons travaillé en particulier sur l'efficacité énergétique, sur les transports, sur les perspectives énergétiques.
La campagne pour les élections européennes nous a laissés orphelins d'un grand débat sur l'énergie à l'échelle du continent ; c'est d'autant plus regrettable que l'énergie est au coeur de la compétitivité et de l'emploi industriel : si elle ne maîtrise pas le coût de son énergie, l'Europe perdra toute industrie énergivore. Nous sommes en phase de croissance faible et je crois que nous y sommes durablement - je n'ai jamais cru aux sirènes présidentielles, d'où qu'elles viennent, annonçant le retour d'une croissance forte... -, l'énergie est au coeur des crises internationales, voyez le Proche-Orient, la Russie, le réchauffement climatique dresse une perspective dramatique pour l'humanité tout entière : comment, dans ces conditions, imaginer pouvoir se passer d'un grand débat, comment penser que nous n'aurons pas à faire des choix ? Il est d'autant plus important de le comprendre aujourd'hui qu'il est encore possible de faire ces choix, nous devons y procéder non pas en restant campés sur des positions idéologiques et antagonistes, mais en recherchant les solutions avec réalisme. C'est ce que nous avons fait dans cet avis, par exemple sur le nucléaire où nous avons bien dit qu'en France, l'atteinte de nos objectifs ne pourrait se faire sans l'énergie nucléaire.
Quand la société française est traversée par des violences, quand les positions risquent de se radicaliser, quand toute réforme est désormais vécue comme punitive, de grâce, retrouvons un certain enthousiasme à réformer : la transition énergétique n'est pas une liste de contraintes, de punitions du consommateur, c'est un nouveau mode de vie à inventer, où chacun se mobilisera parce qu'il a quelque chose à y gagner ! Il faut dépasser les clivages, jouer l'apaisement, débattre des objectifs et pas seulement des conséquences. Considérons aussi que la France peut prendre une place de tout premier rang dans la compétition pour la digitalisation industrielle, qui est un atout décisif face à la précarité énergétique, tout autant que pour la maîtrise des réseaux. Il est choquant de constater qu'au moment où la Commission européenne lance un programme de 300 milliards d'euros d'investissements sur les infrastructures, nous n'avons pas de réflexion sur les connexions, sur les surproductions d'énergie, sur l'efficacité énergétique des différentes sources d'énergie... L'Europe doit être un modèle énergétique, cela suppose de modéliser l'ensemble des facteurs, de la production à la consommation d'énergie, en passant par le stockage et le transport : il y a beaucoup à faire en la matière et c'est d'autant plus motivant que la maîtrise énergétique est un facteur majeur de stabilité globale.
Dans notre pays, on regarde toujours ce que coûteraient l'action, la réforme, sans considérer ce qu'il en coûtera de ne rien faire. Le CESE s'est prononcé, officiellement et avant la réunion des chefs d'État à Bruxelles, pour que les engagements continentaux en matière d'environnement se traduisent par des obligations étatiques, ou bien nous savons déjà que les objectifs manqueront d'effectivité car, on ne peut pas laisser les pouvoirs locaux assumer une telle charge.
Nous avons également dit qu'il y avait un besoin de cohérence : les Français sont fatigués des lois d'affichage. Être ambitieux dans les objectifs, c'est bien, mais les outils fiscaux et financiers sont indispensables. Il faut également penser les outils de la mobilisation politique - c'est l'un des enjeux de la vaste réforme territoriale sur laquelle vous travaillez, que d'articuler cette mobilisation pour la transition énergétique avec la notion de responsabilité. Ne perdons pas de vue qu'avec une faible croissance, il va falloir apprendre à être heureux avec moins, nous avons besoin de maîtriser l'énergie bien plus que nous ne le faisons aujourd'hui.
Enfin, je vous confirme que deux dissensus ont été maintenus malgré le débat approfondi : nombre de conseillers ne croient pas à une baisse de la consommation d'énergie de moitié d'ici 2050, non plus qu'à l'objectif d'une électricité nucléaire à 50 % en 2025, contre 75 % aujourd'hui. Sur ces points, le débat reste bien entendu ouvert.
Le rapport que nous avons signé avec Laurence Hézard résulte d'un travail collectif important, où nos deux sections ont examiné tous les articles plutôt que de se les répartir, c'est un point de méthode auquel nous tenons parce qu'il s'avère très fructueux.
Le tout dernier rapport du GIEC, effectivement, présente la synthèse des analyses sur le réchauffement climatique et sur les solutions entre nos mains. Où en sommes-nous ? Les choses sont très claires sur le diagnostic : tous les voyants sont au rouge, nous allons vers un réchauffement supérieur à 4 °C, nos générations en sont responsables - nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. Du côté des solutions, tous les pays savent qu'il faut faire quelque chose, puisque tous ont adhéré à l'objectif de prendre les mesures propres à limiter le réchauffement à 2 °C à long terme.
Nous savons aussi que l'augmentation de l'effet de serre est due pour les trois-quarts aux combustions d'énergies fossiles, de même que nous savons que sur les 790 milliards de tonnes de gaz carbonique correspondant à un réchauffement de 2 °C - soit la température de stabilisation à long terme pour laquelle les États se sont engagés, celle dont nous allons débattre l'an prochain à Paris -, nous en avons déjà émis plus de 500 milliards de tonnes : au rythme actuel, nous aurons atteint le total dans vingt-cinq ans. Il faut savoir aussi que les quelque 250 milliards de tonnes de gaz carbonique à émettre pour atteindre ce réchauffement de 2° C, correspondent à seulement 20 % des réserves facilement accessibles d'énergies fossiles ; ces réserves ont doublé depuis dix ans avec le pétrole et le gaz non conventionnels - cela explique mon opposition de climatologue à l'exploitation des gaz de schistes. Pour avoir dialogué encore hier avec les représentants des énergies fossiles, je sais que les pétroliers ne sont pas encore prêts à jouer le jeu de la transition énergétique; cependant, il faut la faire sans attendre, ou bien nous ne serons pas sur la trajectoire que nous nous sommes fixée pour 2050 - et nous savons déjà qu'il faudra poursuivre sinon accentuer l'effort après cette date.
Les solutions passent par un grand nombre d'actions, incluant l'efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables, l'inclusion de l'énergie nucléaire, le stockage du gaz carbonique... Nous avons explicité l'objectif d'un facteur quatre pour la France d'ici 2050, car il est dans la trajectoire conséquente avec l'analyse du GIEC - et nous considérons normal que les pays développés soient exemplaires en matière énergétique.
Parmi les autres points à signaler, nous aurions souhaité que les objectifs européens se traduisent par des contraintes sur l'efficacité énergétique et sur les énergies renouvelables, à l'horizon 2020 mais aussi au-delà. Nous manquons cruellement d'une politique européenne de l'énergie : notre continent ne peut se contenter d'un simple échange d'électricité entre pays, nous avons besoin d'une stratégie, d'investissements communs, de normes communes. Les objectifs européens sont importants, mais il faut les traduire en actes.
Un mot sur la recherche, qui est indispensable, à court comme à long terme : c'est grâce à la recherche que nous avons trouvé des solutions par le passé et que nous trouverons celles dont nous avons besoin pour l'avenir.
Enfin, nous avons regretté que le projet de loi réduise la question essentielle de l'économie circulaire au seul domaine des déchets : la question est bien plus large et il y a beaucoup mieux à faire, nous espérons qu'il sera possible d'aller plus loin.
C'est vrai, l'Europe n'a pas de politique de l'énergie - mais la France doit être le leader en Europe pour la mise en place des politiques dites « intelligentes » en matière énergétique. Vous avez également raison de souligner le rôle incontournable de la recherche : si nous savions comment stocker l'énergie, nous aurions résolu bien des problèmes qui se posent à nous...
Dans la préparation de cet avis, nous avons voulu hiérarchiser les objectifs énoncés par le projet de loi. Certains objectifs de court terme peuvent être rapidement mis en oeuvre et ils concernent les secteurs les plus énergivores, le bâtiment et les transports ; d'autres, de plus long terme, exigent de se prononcer collectivement sur un scénario de mix énergétique, ce qui nécessite de l'information et de la pédagogie. Cette hiérarchisation des objectifs demande de la cohérence entre les décisions, entre les réglementations, de la transparence sur les décisions, du suivi et de l'évaluation dans la durée. Nous savons combien la prise en compte du long terme est nécessaire à la réussite, la France en a fait l'expérience puisque notre situation énergétique actuelle résulte de décisions prises dès avant la dernière guerre mondiale.
Nous avons apprécié que le bâtiment figure au premier rang pour les mesures concrètes de ce texte. La notion de performance énergétique du bâtiment est de nature à mobiliser l'ensemble des acteurs concernés, de la maîtrise d'ouvrage aux artisans, avec des enjeux très importants sur les matériaux, aussi bien que sur la formation. Si ces mesures sont d'application relativement simple pour le logement neuf, les choses se compliquent pour la rénovation ; comment inciter les propriétaires à rénover par des travaux coûteux, quand les loyers sont de plus en plus contraints ?
Nous avons également pointé les difficultés pour les ménages précaires, qui sont souvent logés dans des logements énergivores. Il nous a paru utile de bien distinguer deux sujets : l'aide sociale pour aider ces ménages à payer leurs factures d'énergie, par exemple le chèque énergie, d'une part, et les moyens à mobiliser pour rénover le logement, le rendre plus sobre. Ces deux sujets ne se confondent pas, il est important de le préciser.
Dans les transports, autre poste très consommateur d'énergie, nous ne sommes pas favorables au « tout électrique » ; d'autres solutions ont un faible impact sur l'environnement, par exemple les moteurs hybrides, le gaz naturel méthane, ou encore le bio-méthane carburant ; surtout, l'impact global du transport électrique n'est pas présenté, de l'extraction du lithium au retraitement des batteries, en passant par les réseaux électriques : la recherche doit progresser, pour s'assurer que la bonne idée d'aujourd'hui soit aussi une bonne idée pour demain. Nous devons nous adapter à la géographie et à l'usage : le transport sur de longues distances et le transport urbain, par exemple, n'appellent pas les mêmes solutions. Sur les biocarburants, nous avons considéré aussi qu'il est devenu nécessaire d'arrêter ceux de première génération, qui ne répondent pas à nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Nous avons indiqué encore que les pratiques évoluent : les jeunes n'ont pas le même rapport à la voiture que leurs parents, le covoiturage se développe, la location entre particuliers, tout ceci a des incidences sur les modalités d'action, par exemple sur les aménagements urbains à réaliser.
Pour la gouvernance proposée dans le cadre des plans pluriannuels de l'énergie, nous avons eu ce leitmotiv : la simplification. Il nous a semblé que de nouvelles instances allaient s'ajouter, se superposer à celles qui existent, alors qu'il vaudrait mieux commencer par remettre à plat le système actuel. Nous avons encore souhaité que la programmation pluriannuelle porte sur l'ensemble des énergies, y compris le pétrole : c'est nécessaire pour atteindre nos objectifs.
Nous avons apprécié que des mesures soient prises pour le nucléaire en exploitation : améliorer l'information, la transparence, le rôle de l'Autorité de sûreté nucléaire, voilà autant de sujets importants qui ont fait consensus au CESE. En revanche, les avis ont divergé sur le nucléaire de demain : certains conseillers pensent que le scénario proposé est irréaliste, d'autres pensent qu'il faut aller plus loin. Nous avons réussi à sortir du dogmatisme, en disant que les objectifs généraux sont suffisamment crédibles pour avancer et travailler sur les scénarios de mix énergétiques, en les évaluant plus complètement - ce qui n'est pas fait aujourd'hui.
Nous avons voulu que le vocable de la transition énergétique paraisse explicitement dans le projet de loi, ce qui avait paru un temps incertain. Car c'est bien de transition énergétique qu'il s'agit, d'une mobilisation collective à construire ensemble, pour aller vers un modèle énergétique que nous ne connaissons pas et qui a de très nombreuses implications dans notre société. Il nous faut de la pédagogie pour que chacun puisse choisir, afin que chacun, individu ou collectivité, s'inscrive dans le projet d'ensemble - c'est aussi l'enjeu de la cohérence
Quelle sera la demande d'énergie d'ici 2030 ou 2050 ? C'est un élément essentiel à prendre en compte, mais le sujet divise.
Je partage votre perspective optimiste, Monsieur le président Delevoye, la réforme est perçue comme négative, anxiogène, alors qu'elle peut symboliser l'espoir, une nouvelle voie. On regarde toujours ce que coûte l'action sans considérer ce qu'il en coûtera de ne rien faire, alors qu'il faut, comme vous le dites, raisonner de manière plus dynamique, comme lorsqu'on investit dans une entreprise ; c'est certes plus difficile quand l'argent est rare, mais cela reste vrai.
Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir bien replacé ce projet de loi dans son contexte international, géostratégique, et je crois comme vous que la croissance sera faible pendant un certain temps.
Des membres du CESE ont émis des réserves sur la part du nucléaire dans le mix énergétique : quelles étaient ces réserves ? J'ai vu qu'il y avait eu des doutes sur la constitutionnalité du plafonnement du nucléaire à sa capacité actuelle : avez-vous examiné ce point ?
Le CESE a déjà préconisé une réforme de la CSPE, pour la rendre plus lisible et transparente, avez-vous des éléments plus précis à nous communiquer, en particulier sur cette idée d'en élargir l'assiette ?
Le CESE, ensuite, s'est-il prononcé sur l'opportunité d'explorer - je parle bien d'exploration, pas d'exploitation - ce qu'il y a dans notre sous-sol, en matière d'hydrocarbures non conventionnels ? Jusqu'où êtes-vous allés dans l'analyse ?
Que pensez-vous des certificats d'économie d'énergie tels qu'adoptés par nos collègues députés ?
Enfin, l'article 7 bis du projet de loi prévoit la possibilité d'afficher en temps réel la consommation d'électricité : cette information est-elle utile ou consommateur, considérant son coût élevé de mise en oeuvre ? Je suis sceptique...
Le CESE fait un travail de qualité, nous vous en remercions d'autant plus chaleureusement que vous nous aidez à préparer le nôtre. Vous appelez à de la pédagogie, c'est d'autant plus nécessaire qu'en réalité nous sommes devant une véritable révolution culturelle ! Peut-on se contenter d'une loi d'affichage ? Pour avoir rapporté la loi Grenelle II, je sais que l'énoncé d'objectifs est vain si ceux-ci ne sont jamais atteints... faute de moyens. Vous sonnez le tocsin, tous les voyants sont au rouge : nous entendons le message. Cependant, quels moyens cette loi va-t-elle mobiliser concrètement ? Nous manquons cruellement de précisions.
Une première question générale en découle : ce texte est-il, selon vous, à la hauteur des enjeux ? Comporte-t-il des angles morts, des omissions qu'il faudrait réparer ?
Vous nous dites, ensuite, que se concentrer sur le véhicule électrique est insuffisant. Peut-être, mais cibler sept millions de bornes de recharge alors que notre pays n'en compte que 8 000, ce n'est pas rien, c'est même une avancée considérable, surtout lorsque l'on sait que le véhicule électrique atténue le bruit en ville - première nuisance -, les risques sur la santé, la pollution...
Sur l'économie circulaire, pensez-vous que nous sommes suffisamment réalistes - et ambitieux ?
Enfin, l'option retenue par la France en matière de qualité de l'air est-elle compatible avec les objectifs européens ?
Une remarque, pour finir : le président d'un grand groupe automobile français m'a dit qu'en 2020, les normes environnementales chinoises seraient tellement drastiques que les véhicules européens risquent fort d'être recalés sur ce marché, qui sera devenu le premier au monde - qu'en est-il ?
Deux opinions se sont opposées sur le nucléaire : certains conseillers pensent qu'il faut baisser davantage la part du nucléaire dans le mix énergétique, d'autres considèrent que c'est irréaliste et que le nucléaire au niveau défini par ce texte est nécessaire. Cependant, nous avons su dépasser cette opposition frontale et prendre en compte les perspectives d'évolution de la demande d'électricité, nous avons suivi une démarche pragmatique en considérant l'ensemble des informations à notre disposition pour évaluer l'impact global sur l'environnement, ce qui nous fait dire qu'il faut continuer ce travail, pour choisir le mix à plus long terme.
Nous n'avons pas travaillé sur la constitutionnalité du plafond de capacité nucléaire, le Conseil d'État examine ce point.
Sur la CSPE, le comité de gestion proposé nous paraît tout à fait nécessaire, pour assurer de la transparence, du suivi et du contrôle. Il est prématuré d'élargir l'assiette de la CSPE : chaque énergie doit supporter ses externalités et nous devons connaître le coût de chacune, n'utilisons pas la CSPE comme un fourre-tout qui règlerait tous les problèmes et ne mutualisons pas les coûts des énergies, ce serait brouiller les choix que nous devrons faire pour demain.
Nous n'avons pas examiné la question des hydrocarbures non conventionnels.
Sur le certificat d'économie d'énergie, nous avons souhaité de la simplification, de l'évaluation et une meilleure gouvernance intégrant l'ensemble des acteurs représentatifs : ce sera un gage d'efficacité.
Je partage votre scepticisme sur l'utilité d'afficher la consommation en temps réel : les retours d'expérience que j'ai eus sur le sujet - pour la consommation de gaz - montrent qu'une telle information n'apporte pas grand-chose au consommateur ; en revanche, la comparaison de la consommation sur plusieurs saisons et sur plusieurs années est un plus.
La pédagogie est nécessaire, c'est certain. Nous avons commencé par nous-mêmes, puisque les 80 conseillers du CESE engagés dans ce travail recouvraient toutes les sensibilités, des plus « écolos » aux plus « nucléocrates » : nous avons eu la volonté d'avancer et nous y sommes parvenus parce que nous nous sommes écoutés. Il y a beaucoup d'idées reçues sur ces thèmes, les informations ne sont pas toujours disponibles, il faut un débat approfondi : c'est dans l'intérêt de tous.
De la pédagogie, certes, mais nous en faisons depuis 30 ans au moins, il est temps aussi d'agir.
Quels moyens ce texte met-il en regard de ses objectifs ambitieux ? C'est probablement là le principal angle mort de ce projet de loi. On sait pourtant que la balance n'est déjà pas favorable à la transition énergétique : quand la lutte contre la pollution reçoit 400 milliards de dollars de soutien, les industriels des énergies fossiles reçoivent, eux, 600 milliards de dollars de subsides publics, ces chiffres méconnus sont dans le deuxième rapport Stern... Ce déséquilibre des forces, ce manque constant de moyens pour servir nos objectifs pourtant si clairs, me font regretter l'écotaxe carbone, et je suis tout autant breton que ceux qui s'y sont opposés... Il faut évidemment des leviers financiers, ou bien les dispositifs restent lettre morte.
Beaucoup de travaux ont démontré qu'il faut diminuer notre consommation d'énergie en France à l'horizon 2030, c'est nécessaire et tous les scénarios sont sur cette hypothèse : une baisse comprise entre 20 et 50 % d'ici 2050. Ce sera du reste une bonne nouvelle pour notre balance extérieure, puisque l'énergie représente un déficit de 70 milliards d'euros. Nos objectifs impliquent à la fois une baisse du nucléaire et une baisse de la consommation électrique, c'est une donnée.
Enfin, oui la Chine a de grandes ambitions pour la qualité de l'air, alors qu'elle connaît des problèmes de pollution très importants liés, entre autres, à la combustion de charbon.
La transition énergétique est inéluctable, les choses avancent vite, nous devons nous y adapter maintenant, ou bien il sera trop tard. Ce projet de loi a de grandes ambitions, mais il sera jugé à sa mise en oeuvre.
Vous dites que les mesures de ce texte ne doivent pas être punitives, qu'il faut de l'enthousiasme, de la pédagogie, des moyens : je crois que l'on trouve tout cela en considérant que la transition énergétique, c'est aussi un formidable levier de sortie de crise, le moteur d'un renouveau industriel. Pour mobiliser, il nous faudra aussi mettre de l'humain dans ce débat, en plaçant l'accent sur la solidarité, sur la lutte contre la précarité énergétique ; je me réjouis de la mise en oeuvre du chèque énergie, les tarifs sociaux sont ouverts à quatre millions de ménages qui se chauffent à l'électricité et au gaz - mais nous avions oublié au bord du chemin, ceux qui se chauffent au fuel, au bois, ils bénéficieront eux-aussi du nouveau chèque, c'est une bonne chose. Les biocarburants ? D'accord pour laisser ceux de première génération, mais il va falloir mettre des moyens sur la recherche, en particulier sur les biocarburants de troisième générations, comme les micro-algues. Une question ne vous a pas été posée : que pensez-vous de l'auto-consommation d'énergie renouvelable ?
Enfin, on ne peut pas dire que ce texte, en matière de transport, se focalise sur l'électrique : toute une liste de mesures concerne bien d'autres sujets que l'électrique, le texte est plus complet que vous ne le dites.
L'urgence climatique est là, il faut aller vite, des problèmes de santé publique se posent. Vous évoquez les territoires à énergie positive : je suis convaincue que c'est à partir de telles expériences exemplaires que viendra la mobilisation. Je plaiderai pour les « insularités métropolitaines », des territoires petits, souvent isolés et dont l'isolement a longtemps été présenté comme un handicap. Ils peuvent être volontaires pour expérimenter cette notion de territoire à énergie positive, des moyens existent, il manque encore l'impulsion : je crois que le temps en est venu, ce sera un levier de mobilisation collective.
Je suggère que nous auditionnons de nouveau le président et les rapporteurs du CESE une fois que nous aurons bouclé notre programme d'auditions, avant de débattre en commission, car je suis sûr que nous aurons encore des questions à leur poser et que le débat en serait enrichi.
Le problème du décalage entre les objectifs et les moyens est crucial pour notre démocratie elle-même. La question d'une politique européenne de l'énergie relance l'idée d'une Europe en cercles concentriques, où les vingt-huit États membres n'avanceraient pas tous ensemble sur tous les sujets, mais où certains pourraient choisir d'agir de concert, même s'il n'y a pas d'unanimité et si les autres ne seraient pas obligés de suivre.
Je partage, ensuite, l'idée que nous allons connaître une période durable de croissance faible. C'est un risque pour la transition énergétique : il ne faut pas se tromper sur les moyens dont nous disposons, ou bien nous allons élargir le fossé avec les objectifs.
La précarité énergétique touche particulièrement les enfants, on ne le dit pas assez. En matière de lutte contre la précarité énergétique, la mise en place d'un chèque énergie et l'instauration d'une trêve hivernale sur les coupures d'électricité et de gaz sont incontestablement nécessaires mais pas suffisantes. Il s'agit de familles en situation de grande pauvreté qu'il est indispensable de mieux accompagner sous peine de décrédibiliser, à leurs yeux, la transition énergétique que nous appelons de nos voeux.
Je suis parfaitement d'accord avec les propos tenus sur l'effort à mener en matière de recherche : il faut, en ce domaine, adopter une démarche rationnelle refusant toute forme d'obscurantisme et ne pas considérer, par principe, qu'il y aurait certaines recherches qu'il ne faudrait pas mener. Aux responsables politiques, ensuite, de faire leurs choix.
En matière de transports, je regrette certaines contradictions et incohérences dans les décisions publiques, notamment avec l'abandon de l'écotaxe. Alors qu'il y a de plus en plus de camions sur nos routes, je note que vous n'avez pas évoqué, jusqu'à présent, la question du ferroutage ou du fret ferroviaire. En la matière, la SNCF aurait sans doute mieux à faire que de s'occuper de covoiturage ou de transport routier...
À vouloir être exemplaire en matière de transition énergétique, la France ne risque-t-elle pas de nuire à la compétitivité de ces entreprises dans un contexte où, vous l'avez rappelé, il n'existe pas de politique énergétique européenne ? Dans les entreprises ou dans le monde agricole, la transition énergétique est vécue, le plus souvent, comme une punition qui occasionnerait des charges sans retour d'investissement avéré. Il faudrait sans doute, sur ce point, faire oeuvre de pédagogie.
M. Jouzel, vous avez rappelé l'urgence à agir contre le réchauffement climatique. Que pensez-vous de la récente étude du professeur Robert Stavins, de l'université de Harvard, qui indique que la température dans la basse stratosphère serait stabilisée depuis deux décennies et que le trou dans la couche d'ozone se résorberait ?
Je tiens tout d'abord à remercier nos invités pour la qualité de leurs interventions. Monsieur le Président, vous faites, à juste titre me semble-t-il, le constat que nous sommes entrés dans une période durable de faible croissance. Afin d'éviter que ce contexte économique ne conduise à mettre de côté la transition énergétique, il faudrait agir sur au moins deux leviers : la fiscalité, d'une part, les appels d'offres, d'autre part.
En matière de fiscalité, certains pays d'Europe du nord sont parvenus à basculer leurs prélèvements du facteur travail vers les émissions de dioxyde de carbone, ce qui a deux vertus : baisser le coût du travail et intéresser fiscalement à la transition énergétique. Pour que celle-ci ne se réduise pas à un catalogue de bonnes intentions, il nous faut une action forte en la matière.
S'agissant des appels d'offres, la prise en compte de l'empreinte carbone doit devenir un élément déterminant de choix. Au-delà de la confrontation du seul critère prix, les décideurs publics doivent prendre en compte le mieux disant énergétique.
Dans le bâtiment, le risque est que seuls les ménages aisés aient les moyens de rénover leur logement, voire d'en faire des « maisons passives », tandis que les plus fragiles resteraient dans une situation de précarité énergétique. Ne faudrait-il pas mettre en place un plan extrêmement audacieux de rénovation thermique des logements lorsqu'on sait que, dans certains cas, le montant des charges dépasse déjà celui du loyer ?
Vous disiez, Monsieur le Président, que toute réforme peut paraître négative et que tout dépend de la manière dont la réforme est mise en place. Nous le voyons d'ailleurs localement en tant qu'élus, sur deux sujets en particulier : la politique d'implantation en matière d'éoliennes et la politique de développement du photovoltaïque. Avec le démarchage permanent de groupes industriels auprès des communes et des intercommunalités pour l'implantation de champs d'éoliennes, on ne tient pas compte des paysages mais uniquement des incitations financières associées. L'État, dans ce domaine, laisse faire les choses d'une manière trop souple. Une politique cohérente et sérieuse devrait être mise en place. Concernant le photovoltaïque, qui a fait à nouveau récemment débat au Sénat, les constructions ont repris : on construit des bâtiments, parfois vides, uniquement pour toucher des recettes. Il faudrait gérer à la fois l'utile et l'efficace. Est-ce que la transition ne pourrait pas être organisée de manière intelligente, et non totalement désordonnée comme c'est le cas aujourd'hui ?
Le président Delevoye a parlé « enthousiasme », ce qui ne m'étonne pas de lui, l'ayant connu à l'époque président de l'Association des maires de France. L'enthousiasme doit effectivement être présent, derrière un projet le plus lisible possible. Nos jeunes générations ont actuellement un énorme déficit de projets. Nous nous devons de transmettre l'enthousiasme. Je suis convaincu que le niveau de croissance du passé ne reviendra pas et que nous devons chercher une nouvelle forme de croissance, passant par une nouvelle transition avec des orientations clairement données. L'innovation est en place dans de nombreux domaines. De nouveaux emplois sont à développer dans la transition énergétique, l'économie circulaire, l'économie de proximité avec les services à la personne, l'économie sociale et solidaire. L'économie agricole et alimentaire sera également pourvoyeuse en nouveaux emplois. Il existe aujourd'hui des antagonismes avec certains lobbies. La transition vers une économie verte au sens large et noble du terme est un espoir. Je crois en la recherche, mais pas en la recherche par des apprentis sorciers, qui représente une fuite en avant.
Une nouvelle société émergente est en train de se construire, presque de manière souterraine. Je vous invite à ce sujet à regarder le dernier film de Marie-Monique Robin « Sacrée croissance », qui présente les alternatives qui se développent partout dans le monde. Je terminerai en citant une nouvelle fois Pierre Rabhi : « on y arrivera lorsqu'on sera capables d'admettre une sobriété heureuse ».
Je remercie nos intervenants pour leur capacité à mettre les points sur les i.
Il faudrait que nous ayons un débat sur l'adaptation, notamment à la suite du rapport que vous avez rendu au Conseil économique, social et environnemental, et du rapport que Jean Jouzel a remis à la ministre au mois de septembre.
Y a-t-il eu des débats au sein de votre institution sur les investissements nécessaires pour cette transition, y compris la question des subventions ou des dépenses fiscales en faveur des énergies renouvelables, par rapport au coût que représenterait l'inaction ?
Avez-vous discuté des objectifs en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou d'empreinte carbone, dans la mesure où la situation de la France n'est pas nécessairement brillante sur ce point ?
Quels ont été les débats autour du principe d'expérimentation ? Je pense notamment à l'économie circulaire, puisqu'on voit que les projets d'écologie industrielle territoriaux patinent faute de liberté d'expérimentation locale.
J'ai entendu des propos assez positifs sur les questions de fabrication additive. Envisagez-vous un rapport sur ce sujet, ou sur celui de la société et l'économie collaboratives ?
Ce rapport doit se placer dans un contexte de transition énergétique. Il serait judicieux, comme d'autres collègues l'ont dit, que le Conseil économique, social et environnemental nous apporte aussi des éclairages sur d'autres défis : celui de l'emploi, celui de la reconquête industrielle. Nous devrions faire des croisements entre nos travaux et les rapports de la commission économique du CESE sur ces points. Deux éléments composent la compétitivité : le coût de la main-d'oeuvre et le prix de l'énergie. Nous assistons dans le monde industriel de notre pays à un renouvellement assez profond des systèmes énergétiques. Le nucléaire a apporté une stabilité à la compétitivité, une ligne directrice pour l'industrie. L'enjeu consiste à imaginer la transition énergétique avec le mariage entre l'obligation de reconquête industrielle et les besoins énergétiques. Nous parlons beaucoup de recherche. L'essentiel est la recherche appliquée, qui se développe dans les entreprises. Je suis dans un département où il y a beaucoup de bois. De nouvelles connaissances sur la biomasse ont permis au monde industriel de se reconvertir dans cette voie, à tel point que nous nous interrogeons aujourd'hui sur la capacité à produire la matière nécessaire à l'alimentation énergétique des entreprises.
J'ai écouté avec passion les exposés présentés, mais également avec angoisse en pensant à l'avenir. Vous avez insisté sur l'importance nationale, européenne et mondiale de la transition énergétique. Or, la Réunion est un département intégré à la France, intégré à l'Europe, mais nous sommes dans l'Océan indien, à 10 000 kilomètres. Nous sommes face à une situation totalement différente. Nous avons tous les éléments pour la transition énergétique : l'éolien avec les vents alizés, le soleil, l'hydraulique avec nos montagnes, la géothermie avec un volcan en activité, et l'océan. Comment cependant réussir cette transition énergétique alors que la Réunion est un laboratoire de tout ce qu'il ne fallait pas faire ? Je prendrai un exemple : la facture du pétrole et du charbon augmente chaque année.
Sur le plan global, nous nous situons dans une zone de l'ancien empire colonial français, avec Maurice, les Seychelles, les Comores et Madagascar. Or nous sommes dans une situation d'évolution considérable qui pose le problème de l'énergie sous l'angle de la pression démographique. Nous étions 230 000 habitants en 1946 lorsque nous sommes devenus un département ; nous sommes actuellement 850 000 et nous serons un million dans quinze ans. La Réunion est une île modeste. Mais nous avons à proximité toutes les îles minuscules des Seychelles, des Maldives, l'île Maurice, et une île immense qu'est Madagascar. Madagascar avait 4 millions d'habitants en 1946, 24 millions d'habitants aujourd'hui, et en aura 55 millions en 2050. Nous ne pouvons pas poser le problème de la transition énergétique simplement sous l'angle de la Réunion. Comment allons-nous faire avec le voisinage d'une île comme Madagascar située à 700 kilomètres, dans un contexte de politique de regroupement, encouragée par l'Union européenne, avec les pays d'Afrique orientale ? En décembre sera signé l'accord d'intégration de ces pays, dans une zone couvrant au total 600 millions d'habitants. Qu'allons-nous faire, nous, département intégré à la France et à l'Europe, dans ce nouvel espace dans les années qui viennent ? Toutes les îles de la Commission de l'Océan indien couvrent un espace maritime commun égal à la Méditerranée. Toutes ces populations demandent un co-développement, chacune à des étapes différentes de leur développement. Voilà le problème angoissant qui se pose à nous.
Cette zone connaît une révolution dans tous les domaines, énergétique, climatique, démographique. C'est pourquoi je disais vous avoir suivi avec passion, mais également avec angoisse.
La réalité du changement climatique est sans équivoque. C'est certes anecdotique mais l'année 2014 sera certainement la plus chaude que l'on ait jamais connue. S'agissant de l'étude du professeur Robert Stavins, il existe effectivement un lien entre les températures observées dans la stratosphère et dans la basse atmosphère - la première baissant lorsque la seconde augmente ; en revanche, il n'y a pas de lien direct entre le trou dans la couche d'ozone et le réchauffement climatique.
Concernant les départements et territoires d'outre-mer, la transition énergétique est un véritable enjeu, en particulier à La Réunion.
S'agissant du ferroutage, la contribution climat énergie avait notamment pour but de favoriser son développement.
Dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, toutes les estimations ont démontré qu'à moyen terme, la transition énergétique aura un effet bénéfique sur l'économie. À court terme, elle conduira certainement à des mutations profondes, avec des pertes d'emplois dans certains secteurs et des créations dans d'autres, mais il est essentiel que les hommes politiques aient cette vision de long terme. Si nous ne bougeons pas, le monde bougera sans nous.
La notion de « territoire à énergie positive » est un concept intéressant qu'il faut cependant manier avec prudence et qu'il importe de mettre en perspective avec l'équilibre global du système énergétique français, fondé sur la solidarité et la péréquation tarifaire entre les territoires. Il existe en effet de nombreux territoires qui ne disposent pas de capacités de production et pour lesquels la solidarité nationale doit continuer de jouer.
Les propositions évoquées en matière de fiscalité sont intéressantes. Des choix devront être faits entre remboursement de la dette, d'un côté, et mesures incitatives en faveur de tel ou tel secteur, de l'autre, dont le soutien à la transition énergétique. Il importe de hiérarchiser les priorités et de donner de la cohérence à un système fiscal qui manque aujourd'hui de lisibilité.
Des expérimentations en matière d'économie circulaire existent et sont nécessaires. Leur succès dépend beaucoup de la qualité du chef de file, comme l'a montré par exemple le projet de développement de la méthanisation dans l'est de la France, pour lequel il a fallu à la fois modifier la réglementation et faire oeuvre de pédagogie.
En matière d'emploi, les membres du conseil ont unanimement recommandé la mise en place d'un plan de programmation de l'emploi et des compétences (PPEC) en parallèle de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévue dans le projet de loi.
Merci à l'ensemble des parlementaires. Je vous rappelle, messieurs les présidents, que vous avez la faculté depuis la dernière révision constitutionnelle de demander à votre Président de saisir le CESE afin de vous aider à la décision politique.
Pardonnez mon impertinence, mais permettez-moi de vous dire à quel point, dans l'état actuel de la société, il faut être extrêmement attentif à ne pas avoir un discours plein d'illusions et de rêves. L'objectif, c'est bien ; l'atteindre, c'est mieux. Aujourd'hui, tout sur la table est politique. La noblesse du politique a été restaurée, mais tout est détruit par les attitudes politiciennes. Il est tout à fait fondamental que vous arriviez à faire en sorte que la cause de l'énergie transcende les intérêts énergétiques.
Vous pourriez entendre le secrétaire général des affaires européennes afin qu'il vous expose les clivages compliqués dans les négociations européennes. Un accord a pu être obtenu sur le changement climatique parce que l'Espagne et le Portugal avaient demandé la connexion avec la France. Le problème polonais est un peu plus compliqué.
Il faudrait essayer de cerner quels sont les freins à la transition. À l'évidence, comme le disait Laurence Hézard, les capitaux s'investissent beaucoup sur les outils de production parce qu'il y a une rotation rapide, beaucoup moins dans les infrastructures de transport car il y a une rotation lente. Or, le problème de demain sera non seulement la production, mais aussi la capacité, par l'intelligence numérique, de réguler les zones de production, qui peuvent varier selon les climats. L'expérience allemande montre à quel point il peut y avoir des interrogations, et à quel point la vision européenne et la solidarité interétatique européenne sont des éléments essentiels.
Nous avons clairement indiqué qu'il y a une réflexion à mener en matière de recherche et développement à propos de l'augmentation du prix du carbone sur le marché carbone. Une partie de ces flux financiers pourraient être captée pour alimenter la recherche et le développement. La moitié des chercheurs dans le monde sont américains et chinois. La France est très bonne en recherche fondamentale, très peu en recherche appliquée. Nous sommes en train, dans une économie de l'innovation, de perdre la bataille de la recherche si nous n'y prenons pas garde. Or, l'énergie est un facteur de mobilisation industrielle et de mobilisation citoyenne. Au lieu de voir comme une punition la hausse de 2° C de température, essayons au contraire de transformer cette contrainte en objectif mobilisateur pour renforcer notre recherche. Les Chinois s'engagent dans une politique environnementale parce qu'il y a derrière cela un business avec un retour d'investissement.
L'ensemble des acteurs du CESE a estimé que la problématique de la rénovation thermique n'était pas uniquement un problème budgétaire. C'est aussi un problème de faiblesse des moyens d'ingénierie auprès des artisans, qui ne sont pas suffisamment formés. Il ne s'agit pas d'ouvrir un marché, le marché existe. Un certain nombre d'enquêtes ont montré le besoin d'une mobilisation forte du monde artisanal sur ce marché-là, par une formation des artisans aux nouvelles techniques, et sur les conseils à apporter sur les meilleurs choix en matière de rénovation thermique.
Le CESE a demandé que les collectivités territoriales puissent être des tiers payants, balayant l'argument qui nous était opposé par les banques sur le sujet de la concurrence. Nous avons démontré que cet argument n'était pas fondé juridiquement. Les élus locaux vont être obligés de construire des espérances territoriales, pour offrir une place à chacun, un droit d'accès à l'énergie et pour mettre en place des mécanismes de retour d'investissement sur les travaux énergétiques qui échapperont à la capacité contributive de certains propriétaires.
L'un d'autre vous a parlé de croissance faible et de problème de moyens. Il faut inverser les choses : la croissance est faible. On ne pourra plus financer la retraite et la santé sur le travail : formidable opportunité pour réfléchir à un nouveau contrat social. Quand il n'y a pas de moyens, il faut trouver d'autres ressources. L'État a 2 000 milliards d'euros de dette pour 12 000 milliards de patrimoine. Le patrimoine naturel est désormais pris en compte dans la biodiversité. Demain, on ne gèrera plus les ressources de nos sols et de nos sous-sols, on gèrera les flux qui traversent les territoires. La question se pose de leur captation. J'ai été extrêmement malheureux de voir retirer l'écotaxe. Je ne dis pas que cette mesure était bonne ou mauvaise. Vous allez toutefois devoir réfléchir à une fiscalité sur les flux, qui posent un problème de territorialisation et de rendement, pour compenser la problématique de faible croissance. Comment financer demain des politiques de solidarité qui peuvent être remises en cause par des conflits générationnels si l'on n'y prend pas garde ?
L'opportunité politique est majeure. Le débat politique a porté dans les trente dernières années sur les potentiels apportés par la technologie et par la science. Le débat politique actuel porte sur les limites : quelles sont les limites à ne pas franchir ? C'est le sujet, entre autres, du réchauffement climatique, ou encore du droit à mourir. Ces débats sont extrêmement intéressants. Quelles limites ne pas franchir pour ne pas perdre de compétitivité agricole ?
La transformation - je n'aime pas le mot réforme qui est anxiogène - représente un coût. On ne peut pas demander aux chauffeurs de taxi d'adopter une offre à bas coût si on ne rachète pas les plaques. Si un objectif apparaît prioritaire, il faut se demander comment l'atteindre, et faire en sorte d'aider les perdants.
Sur l'éolien, soyez attentifs à toujours précéder le juge. Il est préoccupant pour moi de voir que c'est le juge qui détermine aujourd'hui le permis ou l'absence de permis. Ce n'est pas le politique. En outre, ce sont des intérêts privés qui guident l'implantation des éoliennes alors que c'est une politique d'intérêt public. Vous avez, dans le cadre de la simplification, supprimé les zones de développement de l'éolien. Cela a permis la chienlit, parce que c'est celui qui paye le plus cher, ou qui achète les infrastructures des communes qui n'en ont pas, qui obtient le permis. Si vous pouviez déterminer des objectifs de production à atteindre par région ou par département, avec un schéma territorial qui permette de concilier paysage et production, en mobilisant des sociétés d'économie mixte dans lesquelles les collectivités territoriales et les citoyens pourront trouver le juste profit. Je ne crois pas au capitalisme d'État, c'est de l'utopie communiste ; je crois à l'État capitaliste. Vous ne valorisez pas les patrimoines. Pourquoi ne pas avoir, demain, des partenariats nouveaux entre le privé et le public où les collectivités locales ne toucheront plus beaucoup d'argent sur la fiscalité foncière mais pourront avoir une rentabilité forte sur la production d'énergies renouvelables ? Il est très enthousiasmant de chercher des réponses à travers des schémas nouveaux. La plus-value politique, c'est de rendre possible ce qui paraît impossible.
Je pense qu'Hervé Maurey sera d'accord avec moi pour reprendre une suggestion qui a été évoquée à plusieurs reprises : nous aurons un nouveau rendez-vous une fois que notre travail sur la transition énergétique aura prospéré.
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -
La commission auditionne M. Nicolas Grivel, candidat proposé aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
La séance est ouverte à 11h40.
Nous auditionnons M. Nicolas Grivel, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Conformément à l'article 13 de la Constitution, cette nomination ne peut prendre effet si trois cinquièmes des membres des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat s'y opposent. Les députés ont auditionné M. Grivel ce matin. Leurs bulletins seront toutefois dépouillés en même temps que les nôtres, à l'issue de cette réunion. Aucune procuration n'est admise. Cette audition est publique et ouverte à la presse.
Monsieur Grivel, vous êtes diplômé de Sciences Po et ancien élève de l'école nationale d'administration, dont vous êtes sorti à l'inspection générale des affaires sociales. Vous avez été nommé directeur de la formation professionnelle au conseil régional d'Ile-de-France en 2007, avant de rejoindre le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales, où vous avez dirigé la mission relative aux agences régionales de santé. Directeur adjoint du cabinet de Michel Sapin de mai 2012 à août 2014, vous êtes nommé à cette date directeur de cabinet de François Rebsamen.
Nous souhaitons savoir quel projet stratégique vous envisagez de mettre en oeuvre pour l'Anru, dont les missions, depuis la loi du 1er août 2003 qui l'a créée, ont été diversifiées. La loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine est la dernière étape de cette évolution.
La Cour des comptes a jugé satisfaisante la gestion de l'Anru, mais formule tout de même quelques recommandations. En avez-vous tiré des leçons ? Quelles mesures comptez-vous prendre ?
Quel avenir comptez-vous réserver au programme national de rénovation urbaine ? Quelle part prendrez-vous dans le nouveau programme national de renouvellement urbain ? Quelles différences y a-t-il entre les deux ? Quelles en sont les caractéristiques financières ?
Merci de me recevoir. Je suis ravi et honoré d'avoir été proposé par le Président de la République au poste de directeur général de l'Anru. Cette procédure de nomination est vertueuse, qui permet un utile échange de vue avec la représentation nationale sur le rôle de l'agence.
L'Anru est à un moment charnière : le premier programme national de rénovation urbaine est en voie d'achèvement ; un deuxième a été lancé par la loi de février 2014. Deux mots clés résument ma vision stratégique de l'agence : modestie d'une part, car l'Anru ne règlera pas à elle seule tous les problèmes des territoires, dont les causes sont multifactorielles ; ambition d'autre part, car l'Anru porte un projet fédérateur, facteur de cohésion sociale et produisant des changements concrets et tangibles dans la vie de nos concitoyens.
L'Anru est désormais un acteur reconnu, bien identifié, dont les résultats sont salués par tous. Ils ont été permis par la concomitance d'un consensus et d'une volonté politique. La création de l'agence en 2004 par Jean-Louis Borloo a concrétisé un changement de méthode, d'échelle et d'ambition pour la politique de la ville. Deuxième élément de confiance : les engagements de l'Anru ont toujours été tenus, grâce à des financements conséquents, surtout ceux du réseau Action logement, anciennement appelé 1 % logement. Les dépenses de l'agence sont désormais considérables : 1 milliard d'euros sont décaissés chaque année dans le cadre du PNRU. L'Anru bénéficie en outre d'une ferme impulsion nationale conjuguée à une forte implication locale, notamment de la part des maires, dans la conduite des projets territoriaux. Enfin, elle s'appuie sur des équipes de grande qualité. Je veux rendre hommage au travail de ses deux premiers directeurs généraux, Philippe Van de Maele et Pierre Sallenave, et à l'ensemble de leurs collaborateurs.
Le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) est lancé dans un contexte en apparence plus heureux que le premier : l'agence est en place, elle dispose de savoir-faire, de compétences, à Paris comme au niveau local. Cependant, il lui faut maintenir le rythme de ses actions, éviter leur essoufflement, dans un contexte de raréfaction des moyens - ceux de l'Anru, mais aussi ceux des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux.
Les marges de progression sont connues, et font l'objet d'un certain consensus. La loi de février 2014 est fondée sur la conviction qu'on ne peut se limiter à la rénovation du bâti. D'abord, l'échelle territoriale la plus pertinente est celle des intercommunalités, en matière de mixité sociale comme de mixité fonctionnelle ; ensuite, les projets doivent être globaux, c'est-à-dire traiter de rénovation urbaine autant que de transport, d'aménagement, que de développement économique et social ; enfin, il faut renforcer l'association et la participation des citoyens aux opérations de rénovation.
Le nouveau programme est conçu sur de telles bases. Son financement est assuré, en partenariat avec les partenaires sociaux, à hauteur de 5 milliards d'euros. Deux types d'interventions sont prévues : des projets d'intérêt national d'une part, qui concernent 200 quartiers en métropole et dans les outre-mer, dont la liste définitive sera arrêtée par l'Anru dans les semaines à venir ; des projets d'intérêt régional d'autre part, de moindre ampleur financière, définis régionalement par les préfets et les élus et contractualisés dans le cadre des contrats de plan État-régions. Ce second programme démarrera en 2015, et sera déployé jusqu'en 2030. Les décaissements effectués au titre du premier programme étant échelonnés jusqu'en 2021, les deux programmes se croiseront.
Le positionnement de l'Anru devra obéir à un certain nombre de priorités. D'abord, il lui faudra confirmer son ancrage territorial et s'adapter à la diversité des territoires. Les territoires urbains ne sont pas les territoires ruraux ; les zones urbaines à habitat dense ne sont pas comparables aux territoires à habitat diffus. Ensuite, elle devra trouver une forme de complémentarité avec les autres acteurs de la politique de la ville. Cela suppose des partenariats renforcés avec le Commissariat général à l'égalité des territoires, avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - une convention Anah-Anru est d'ailleurs en cours de préparation, pour mieux lutter contre les copropriétés dégradées par exemple - ou encore, dans la sphère financière, avec la Caisse des dépôts et consignations.
L'Anru devra en outre promouvoir la transition énergétique, l'éco-construction, bref être exemplaire en matière de ville durable. C'est aussi une façon de redonner du pouvoir d'achat aux habitants. Enfin, il faudra renforcer l'évaluation régulière de nos dispositifs, par la Cour des comptes comme par le Parlement ; je serais attentif à poser les bases d'une évaluation complète des premier et deuxième programmes de rénovation urbaine.
Un mot de conclusion sur mon parcours, que le président Lenoir a eu la gentillesse de brosser. Je suis lorrain ; ma carrière témoigne de ma connaissance des enjeux sociaux et territoriaux de la politique de la ville et de ma capacité à tisser des liens entre tous les acteurs. J'ai l'habitude de travailler avec les collectivités territoriales, les élus nationaux et locaux. Je connais également bien les rouages de l'État, comme les partenaires sociaux. J'appréhende les fonctions de directeur général de l'Anru avec beaucoup d'enthousiasme, car elles sont enthousiasmantes, quoique complexes et exigeantes.
Merci pour cette présentation. Vous avez parlé de modestie : c'est une vertu cardinale dans cette enceinte... (Sourires et assentiment)
J'ai été sensible à vos propos, comme à votre parcours. Les enjeux de la politique de la ville ont été redéfinis par la loi Lamy : réforme de la géographie prioritaire, contrats de ville entre l'État et les collectivités, adaptation des modalités d'intervention de l'Anru en conséquence...
J'ai coprésidé la concertation nationale sur la réforme de la politique de la ville avec le préfet de Haute-Garonne. La question économique et le problème de la disparition de l'activité dans les quartiers y sont apparus essentiels. Le taux de chômage des moins de 25 ans est en zone urbaine sensible (ZUS) de 45 %, contre 22 % hors ZUS... Je préside également l'établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) : il y a une crise des commerces dans certains quartiers. Le travail mené par l'Anru avec l'Epareca et la Caisse des dépôts est une très bonne chose.
Votre parcours est remarquable, et vous avez piloté des missions sur des questions très spécifiques. Mais la rénovation urbaine exige une gestion continue de problèmes culturels, sociaux, urbains, économiques... Quelle méthode de gouvernance comptez-vous adopter pour relever des défis aussi complexes ?
Vous ne vous êtes pas souvent immergé dans la vie de ces quartiers... Les populations y sont fragilisées. Comment comptez-vous renforcer leur participation aux projets de rénovation ?
Les projets de renouvellement urbain sont censés décliner le contenu des contrats de ville : comment assurer concrètement la cohérence entre ces projets et les stratégies des acteurs de la cohésion sociale ?
Les élus locaux sont très investis dans le renouvellement urbain - qui, d'ailleurs, coûte cher. Ils s'inquiètent que les projets touchent à leur fin, ou que la pérennisation des investissements de l'Anru ne soit pas assurée. Quels moyens comptez-vous utiliser pour inscrire les projets de renouvellement dans la durée ? Il en existe un certain nombre, comme la gestion urbaine de proximité, ou la médiation sociale.
Le portage financier de certains projets ambitieux soulève des inquiétudes, dans un contexte de raréfaction de l'argent public. La complexité des dossiers de demande de subvention s'accroît. Les délais de paiement sont trop longs. Sur tous ces points, que faire ?
Personne ne remet en cause la légitimité et la pertinence de l'action de l'Anru. Mais elle a l'image d'une structure centralisée et technocratique, souvent déconnectée de la réalité locale. Que feriez-vous pour améliorer ses interventions, afin qu'elle soit clairement identifiée comme partenaire et acteur des projets de territoires ?
J'ai été maire d'une ville qui a bénéficié, avant la création de l'Anru, de l'aide de la région Bretagne, du département, de l'office HLM Bretagne sud habitat, et de la ville de Rennes. Nous avons beaucoup appris de la population grâce aux mécanismes participatifs, bénéficié de nouveaux modes de déplacement urbain et fait progresser la mixité en diversifiant l'offre : pavillon, collectif, semi-collectif... Mais les programmes commencés il y a huit ans ne sont pas tous achevés : les terminer devrait être une priorité, par rapport aux nouveaux projets, sûrement très coûteux.
L'Anru a obtenu des résultats remarquables en matière de diversification de l'habitat dans le pays de Montbéliard. Mais l'objectif de mixité n'est toujours pas atteint. La Cour des comptes a fait le même constat, et pointé l'inégalité entre les populations en habitat nouveau et celles en attente de rénovation urbaine.
J'ai participé à de nombreux jurys de l'Anru. La question du développement durable doit être posée avec plus de force. L'oeil des architectes est bien sûr nécessaire pour l'image et la valorisation des quartiers, mais le développement durable ne doit pas être relégué au second plan. Les locataires dépensent parfois davantage en charges qu'en loyer... L'isolation de certains immeubles des années soixante par exemple est à revoir ; c'est une exigence écologique autant qu'un gisement de pouvoir d'achat pour les familles.
Vous avez insisté sur le niveau intercommunal, soit. Mais celui qu'on appelle en premier, à toute heure, en cas de problème de logement, c'est le maire. Les communes restent les piliers de la vie sociale dans les territoires. En cas de dysfonctionnement, les gens continuent à se demander ce que fait la police, et ce que fait le maire.
On a beaucoup fait sur le bâti, peu sur le social. Un exemple : les compagnies d'HLM ont laissé tomber les politiques de gardiennage d'immeuble, dont l'entretien est confié à des sociétés spécialisées, faisant disparaître cette présence humaine continue nécessaire dans les quartiers d'habitat social - j'y ai vécu longtemps. La restaurer devrait être un objectif de court terme.
La Cour des comptes recommande de lier les projets de l'Anru et de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé). Qu'en pensez-vous ?
Il y a à Mende, la ville dont je suis maire, un quartier qui périclite. J'ai convaincu un bailleur social de le rénover. Commission européenne, État, région, ville, tous ont participé au financement des 13 millions d'euros de travaux. Nous avons pour notre part investi 5 millions d'euros. Pelouses, voirie, jeux pour enfants, lampadaires, unité de biomasse... tout est désormais beau et rénové. Seulement voilà : nous ne sommes plus éligibles aux contrats de cohésion sociale ni au financement des emplois de médiation ! Voilà la politique de la ville en France : aux bons élèves des zones défavorisées, on dit « merci, au revoir ! », et on traite leurs habitants comme des sous-citoyens. En Lozère, nous nous sentons plus proches de la Réunion, sur laquelle Paul Vergès a attiré l'attention tout à l'heure, lors de l'audition du Conseil économique, social et environnemental. J'espère que vous apporterez de vraies réponses aux difficultés de nos territoires.
Les collectivités territoriales manqueraient d'information sur les moyens et les conseils dont elles peuvent bénéficier en matière de rénovation urbaine. Le pensez-vous, et comment y remédier ?
La transition énergétique mobilise l'Anru, comme l'Anah, et est un gain de pouvoir d'achat pour les ménages, c'est entendu. Mais concrètement : quelles actions avez-vous programmé ? Selon quels objectifs et quel calendrier ?
Je me réjouis de la nouvelle politique de la ville lancée par le président de la République, qui passe par la prise en compte des villes petites et moyennes en zone rurale. Dans la perspective des décisions relatives au deuxième programme de rénovation, je veux attirer votre attention sur la prévention des difficultés : plus on tarde à rénover, plus la rénovation coûte cher. Essayons d'anticiper les difficultés. C'est l'approche que nous avons pour le quartier du Garros à Auch. Quoi qu'il en soit, je sais l'Anru mobilisée, et je vous en remercie.
Quelles sont les relations entre l'Anru et les ministères de la ville et du logement, ce dernier étant l'interlocuteur d'Action logement, premier financeur de l'agence.
L'Anru n'est plus placée sous la tutelle du ministère du logement, mais sous celle du ministère de la ville. Le premier est toutefois associé à la tutelle du second, ce qui est un peu elliptique, et invite à inventer un nouveau mode de travail. Concrètement, notre relation avec le ministère du logement a deux facettes : il est l'interlocuteur direct des partenaires sociaux, avec qui il négocie sur le volet Anru de sa politique ; les agents de ses services déconcentrés mettent en oeuvre nos actions sur le terrain.
L'entrée en vigueur du deuxième programme de rénovation ne signifie nullement l'interruption du premier. Celui-ci sera achevé conformément aux engagements pris - sous réserve, bien sûr, que les projets aient été effectivement lancés. En 2020, les décaissements effectués au titre du nouveau programme seront plus élevés que ceux liés au premier. Ne pas aller au bout des engagements pris décrédibiliserait notre action.
Les investissements du nouveau programme porteront inévitablement sur des villes déjà concernées par le premier programme : soit que des opérations complémentaires sont nécessaires, soit que d'autres quartiers que ceux concernés par la première phase doivent être rénovés. Il y aura bien entendu de nouveaux bénéficiaires. La nouvelle géographie prioritaire est semblable à un jeu de poupées gigognes : les projets nationaux ou régionaux du deuxième programme sont choisis dans les zones éligibles aux opérations de l'Anru, elles-mêmes faisant partie des 1 300 quartiers prioritaires définis dans le cadre de la loi Lamy. Les zones qui sortent du dispositif font toujours l'objet d'une veille active.
La concordance des projets de rénovation et de cohésion sociale se traduit dans les contrats de ville. Une telle dichotomie existait en effet avant la création de l'Anru. Rénover un parc de logements sans prévoir de gestion urbaine de proximité ou médiation, c'était l'assurance de ne régler aucun problème. Le calendrier des contrats de ville, qui va jusqu'à la fin du 1er semestre 2015, offre l'occasion d'assurer cette complémentarité. Nous resterons pragmatiques cependant, pour ne pas retarder les projets de rénovation urbaine.
Mon parcours témoigne de mon engagement sur l'aspect social de la politique de la ville. Je veillerai à préserver cette dimension, tout en respectant le savoir-faire de l'Anru.
Sur la transition énergétique, il y a un cap à franchir, au-delà de la simple prise de conscience des enjeux. En écho à ce qui a été dit sur la clause du quartier le plus favorisé, le fait d'agir dans les quartiers défavorisés caractérisés par une concentration de pauvreté ne doit pas nous interdire d'y être exemplaires en matière de transition énergétique. Cela suppose d'étudier plus finement les aspects techniques et financiers des projets. Mais l'Anru se veut un incubateur des initiatives de ville durable et porte un programme d'investissement d'avenir, ce qui en fait un pôle d'expérimentation et d'innovation en la matière.
Le maire est bien sûr important dans le maillage territorial de la politique de la ville. La loi a trouvé un équilibre entre intercommunalité et niveau communal. En matière de mixité sociale, tout le monde souhaite aller plus loin. Il ne faut pas attendre de miracles, mais la loi a joint une stratégie de peuplement à la stratégie de rénovation urbaine, qui trouvera à s'appliquer plus efficacement au niveau intercommunal - ce qui n'empêche pas les maires d'être fortement impliqués.
Le rapport de la Cour des comptes, demandé par la commission des finances Sénat - procédure très utile - conclut à une gestion satisfaisante. La Cour a conseillé la prudence dans la tendance à diversifier les missions de l'agence - celle-ci vaut en même temps reconnaissance de ses compétences. Mon rôle consistera à faire en sorte que l'Anru assure ses différentes missions. La Cour critique en outre la générosité des avances consenties par l'agence, les financements n'étant pas toujours utilisés pour les projets auxquels ils étaient destinés. Il nous faudra trouver un système pour ne pas entraver le démarrage des projets.
L'Anru avait à ses débuts un rôle important d'information des collectivités territoriales, et continuera à le jouer. Mais les territoires qui ont déjà bénéficié du premier programme de rénovation n'ont pas les mêmes demandes que ceux qui rentrent tout juste dans le champ du deuxième programme. Dans les premiers, où les savoir-faire ont déjà été déployés, il faudra se recentrer sur la prescription et l'accompagnement. Nous veillerons à développer les retours d'expérience et à faire circuler les bonnes pratiques.
Puis la commission a procédé au dépouillement du vote intervenu sur la candidature de M. Nicolas Grivel, candidat proposé aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Le résultat du dépouillement est :
10 voix en faveur de cette candidature ;
7 voix contre ;
3 abstentions.
M. Ladislas Poniatowski m'a fait part de son souhait de renoncer pour les trois ans qui viennent au rapport pour avis que la commission lui avait confié pour examiner les crédits consacrés à l'énergie dans la mission « Ecologie, développement et aménagements durables ». Prenant acte de cette démission, je vous propose de désigner M. Bruno Sido, en tant que rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » dans le projet de loi de finances.
Il en est ainsi décidé.
Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République est conformément à la tradition déposé en première lecture au Sénat. Il renforce l'efficacité de l'action des collectivités territoriale en substituant à la clause de compétence générale, qui suscitait jusqu'à présent des doublons, une répartition des tâches plus précise par niveaux de collectivité. Ce projet comporte 37 articles. Je suggère de nous saisir pour avis de ce texte en centrant notre approche sur deux principaux volets : l'économie et le tourisme. Nous pourrions en particulier examiner les articles 2 et 3 qui donnent à la région le premier rôle dans le soutien au développement économique, l'article 4 consacré au tourisme, l'article 6 sur le schéma régional d'aménagement et développement durable du territoire, pour son impact économique, les articles 18 et 19 qui renforcent le bloc des compétences obligatoires des communautés de communes en matière de tourisme, l'article 20, qui complète le champ des compétences obligatoires des communautés d'agglomération par la promotion du tourisme et la création d'office de tourisme et l'article 28 qui prévoit la création de guichets uniques en matière de tourisme.
La demande de renvoi pour avis est décidée.
Je vous propose de désigner Mme Valérie Létard, comme rapporteur pour avis sur ce projet de loi. Ce texte devrait commencer à être examiné en séance publique la semaine du 15 décembre, nous examinerions alors le rapport pour avis de notre collègue début décembre.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 12h40.