Nos territoires et nos structures administratives ont connu, ces dernières années, de profondes mutations. Le débat que nous avons eu en séance mardi soir, autour du rapport de nos collègues Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont et en présence du ministre M. Le Roux, a mis en lumière les différents enjeux et défis que représentaient ces restructurations pour nos collectivités territoriales.
Dans la continuité de nos récents débats, nous recevons aujourd'hui Jean-Michel Thornary, commissaire général, commissaire général à l'égalité des territoires.
Le commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) joue un rôle d'accompagnement non négligeable des réformes administratives, à travers son rôle de conception et d'évaluation des politiques publiques en matière d'égalité des territoires. D'une certaine façon, nous pourrions même dire que le CGET résume à lui-seul les enjeux de la simplification administrative puisque, créé en 2014, il résulte de la fusion de trois entités : la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) ; le Secrétariat général du comité interministériel des villes (CIV) et l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé). Cette restructuration n'empêche pas le commissariat de s'investir dans de nouvelles missions et dans de nouvelles programmations, comme le démontrent les premiers contrats de ruralité signés à la fin de l'année dernière. Toutefois, le grand public ne connaît évidemment pas encore votre action : le sigle « CGET » reste moins connu que celui de l'ancienne « DATAR » que certains élus regrettent parfois !
Vous connaissez la réalité du terrain et les difficultés des collectivités auxquelles vous avez vous-même été confronté en tant que directeur général des services du conseil régional d'Ile-de-France de 2010 à 2015. Fort de cette expérience et après un an dans vos nouvelles fonctions, nous avons souhaité vous entendre.
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Merci beaucoup, Monsieur le Président. Le CGET est, comme vous le disiez, peu connu. Il résulte de la fusion en 2014 de l'ancienne structure en charge de l'aménagement du territoire, la DATAR, et des structures en charge de la politique de la ville : le Secrétariat général du CIV et l'Acsé, qui était son opérateur. Cette fusion a été organisée depuis deux ans et s'est terminée en 2016 par l'intégration des agents de l'Acsé et la fusion administrative et financière des opérations placées sous la responsabilité de l'Acsé au système comptable de l'État.
Le CGET est une direction d'administration centrale qui relève du Premier ministre et de trois ministres : le ministre de l'Aménagement du territoire, des Ruralités et des Collectivités territoriales ; le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports ; et, dans une moindre mesure, la ministre du Logement.
Le CGET comprend aujourd'hui 300 agents (280 ETP et quelques mises à disposition et stagiaires) présents à son siège, à Saint-Denis, ou dans quatre commissariats de massif où le CGET est représenté pour s'occuper des questions relatives à la montagne. Ces 300 agents mettront en oeuvre 1 milliard d'euros de crédits en 2017, à raison de 500 millions d'euros sur la politique de la ville comme de l'aménagement du territoire.
Pour simplifier, la fonction du CGET consiste à préparer et mettre en oeuvre les mesures décidées dans les comités interministériels aux ruralités ou comités interministériels à l'égalité et à la citoyenneté, pour embrasser les questions tenant à l'aménagement du territoire (et notamment à la ruralité) et à la politique de la ville. Plus précisément, nous sommes responsables de l'animation de la relation entre l'État et les territoires, particulièrement les plus fragiles, qu'il s'agisse de villes ou de territoires ruraux.
Cette fonction se décline en trois missions.
Notre première mission consiste à observer et informer :
Le CGET dispose de deux Observatoires : l'Observatoire des territoires et l'Observatoire des politiques de la ville.
Ces deux Observatoires commencent à bénéficier d'une solide réputation.
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires -L'Observatoire des territoires est ancien. Les deux doivent rendre un rapport annuel sur leurs thématiques respectives. Je vous ai transmis le rapport de l'Observatoire des territoires, qui est public depuis le 2 janvier. Le rapport de l'Observatoire des politiques de la ville est en cours de finalisation et devrait être diffusé dans les semaines à venir.
Le CGET dispose également d'une équipe en charge d'études et d'évaluation. Ses travaux sont mis à la disposition des ministres de tutelle, du parlement, des collectivités territoriales et du public, ces documents étant disponibles sur les sites internet du CGET ou des ministères de l'Aménagement du territoire et de la Ville.
Notre deuxième mission consiste à proposer et construire des politiques publiques :
Tout d'abord proposer. Nous assurons le secrétariat du comité interministériel aux ruralités (CIRE) et du comité à l'égalité et à la citoyenneté (CIEC). Depuis 2015, six comités se sont réunis : trois CIRE et trois CIEC. Nous sommes en charge de la préparation, de la coordination interministérielle et du suivi des 104 mesures décidées en CIRE et des 85 mesures décidées en CIEC.
Ensuite, construire. Durant les années 2015 et 2016, nous avons été en charge de la préparation des contrats de ville, de l'outil centres-bourgs, des contrats de ruralité et des contrats État-métropole (permettant à certaines collectivités de contracter avec l'État sur des projets innovants).
Notre troisième mission consiste à mettre en oeuvre ou coordonner des politiques publiques.
Mettre en oeuvre : nous sommes responsables du programme des Maisons de services au public (MSAP) ; de la coordination de la mise en oeuvre par le ministère de la Santé des Maisons de santé pluriprofessionnelles ; de l'animation des schémas d'amélioration de l'accessibilité aux services publics ; du programme des adultes relais (en politique de la ville) ; du programme entreprises et quartiers (en développement économique).
Suite au constat d'une insuffisance ou d'une inorganisation des dispositifs d'ingénierie territoriale à disposition des collectivités ou des services déconcentrés de l'État, nous servons également d'appui à cet égard. Le rapport rendu par Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont, qui pointait ces insuffisances, faisait référence au dispositif des centres-bourgs, mais aussi aux dispositifs « Aider », que le CGET met en oeuvre également. Le CGET développe aussi les Ateliers des territoires, qui concerneront à titre expérimental un nombre limité de collectivités, mais pourront être amenés à se multiplier.
Parallèlement aux contrats de ville, le CGET est également en charge du suivi de la mise en place et de la formation des conseils des citoyens.
Enfin, le CGET met directement en oeuvre la prime à l'aménagement du territoire, en assurant son instruction et en préparant la décision du ministre de l'Aménagement du territoire.
Nous sommes aussi chargés de coordonner. Le CGET dispose des responsabilités suivantes : exprimer la position des territoires dans les débats interministériels et la préparation des textes proposés par les ministères ; coordonner la mise en oeuvre des fonds européens liés aux programmes FEDER, FSE, FEAMP et FEADER ; en matière d'aménagement du territoire , animer et coordonner le réseau des Secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR), des référents ruralité installés dans les cent préfectures, et des référents accessibilité en charge de l'élaboration des schémas d'amélioration de l'accessibilité aux services publics ; en matière de politique de la ville : animer le réseau des Préfets à l'égalité des territoires ; des sous-préfets ville ; des délégués du Gouvernement et des délégués des Préfets.
Combien compte-t-on aujourd'hui de Préfets égalité des chances (PEDEC) ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - On compte 6 PEDEC ; 25 sous-préfets ville ; 10 délégués du Gouvernement et 300 délégués des Préfets dans les quartiers.
Nous avons enfin pour charge de coordonner les relations interministérielles des CPER : ainsi nous finalisons actuellement les avenants aux contrats de plan qui ont été renégociés par le Gouvernement et les nouveaux exécutifs régionaux.
Ce dossier est particulièrement lourd financièrement.
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Il l'est d'autant plus qu'initialement, l'idée n'était pas d'augmenter les sommes mises en oeuvre dans le cadre des contrats de plan, mais de les réorienter, pour autant que les exécutifs régionaux issus des élections de 2015 souhaitent faire évoluer ces contrats qui venaient d'être négociés par leurs prédécesseurs. Finalement, le Gouvernement aura orienté sur ces avenants 245 millions d'euros supplémentaires.
Deux sujets occuperont les mois à venir. En matière d'aménagement du territoire, d'abord, les élus locaux, les instituts de recherche et les services de l'État sont aujourd'hui très préoccupés par le réseau de villes petites et moyennes, qui constituent l'armature urbaine de notre pays, entre la grande ruralité et les métropoles. Les ministres actuels et futurs nous demanderont donc probablement de travailler à ce sujet en 2017.
D'autre part, les fonds européens actuellement en place arrivent à mi-mandat. Bruxelles et les 26 pays membres auront donc dès maintenant à s'occuper de l'avenir des fonds de cohésion après 2020. Les premières positions de la Commission à cet égard seront publiées mi-2017.
Le système de délégation de gestion des fonds de la Commission, qui avait été expérimentalement opéré en Alsace, a-t-il été généralisé ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Il a été généralisé. Les autorités de gestion principales en matière de FEDER et de FEADER sont aujourd'hui les régions. Elles n'ont toutefois à gérer directement qu'entre 32 et 33 % des FSE, les départements, ayant préféré gérer ces fonds avec l'État dans le cadre de la DGEFP, plutôt qu'avec les régions. La gestion du FEAMP, quant à elle, est restée sous l'autorité de l'État.
Existe-t-il des risques de dégagements d'office ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Ils seront réels dès la fin 2017 et devront être traités en urgence, parallèlement à la préparation de la génération suivante. Il faudra notamment choisir entre conserver un dispositif de cohésion, avec les fonds structurels actuels, ou basculer sur le système expérimenté avec le fonds Juncker, qui a été jugé bénéfique, puisque les 300 milliards d'euros mis en oeuvre dans le cadre du premier plan Juncker ont aujourd'hui été doublés. La suppression pure et simple des fonds de cohésion présenterait toutefois un risque pour les régions, et l'année 2017 sera cruciale sur l'avenir à ce sujet.
Je vous remercie pour cette présentation concrète, qu'on sent ancrée dans votre expérience de terrain, au contact des partenaires concernés.
Certains avaient émis l'idée de fusionner l'Acsé et l'ANRU. Je n'y étais pas favorable, considérant que l'ANRU avait démontré son efficacité dans la mise en oeuvre d'un programme important. Je souhaiterais savoir si, selon vous, la décision finalement prise d'écarter cette fusion était la bonne décision.
D'autre part, les départements de la petite Couronne de Paris ont été découpés en quatre parties, et la politique de la ville doit maintenant être mise en oeuvre par les territoires, ce que les maires ont du mal à comprendre et accepter, même s'ils continueraient à en assumer partiellement la compétence à cet étage supérieur. Sur le territoire de Clichy-Montfermeil, qui me concerne particulièrement, cette politique commence seulement à se mettre en place, et ce qui peut être réalisé à Clichy, Noisy-le-Grand et Villemomble est par exemple très différent. Dans des territoires où cette politique existe depuis plus longtemps, les résultats sont-ils probants ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Par le décret du 31 mars 2014, l'Acsé a été intégré aux services de l'État. Cette intégration, notamment au système budgétaire et comptable de l'État, n'a pas été facile. Elle est achevée depuis 2016. Le risque était que les modes d'intervention de l'Acsé perdent en souplesse et en rapidité. La mobilisation forte des services, du CGET et des préfectures a permis de mettre en oeuvre l'intégralité des crédits à disposition. Nos interlocuteurs n'ont donc pas pâti de cette intégration. Le niveau de qualité des services de l'Acsé a ainsi été maintenu, mais il faudra maintenir cette mobilisation pour que cette situation perdure.
L'ANRU, dont le CGET assure la tutelle, est restée indépendante, avec les avantages et les inconvénients du statut d'opérateur de l'État. Par exemple, une gouvernance présidée par l'élu d'une collectivité francilienne entraîne nécessairement avec les territoires bénéficiaires des politiques de rénovation urbaine une relation différente de celle qu'ils entretiennent avec la gouvernance d'un service de l'État.
Vous nous dites qu'on n'a pas perdu à l'intégration de l'Acsé, mais qu'y a-t-on gagné ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Nous y avons gagné une rationalisation des services de l'État, conformément aux recommandations ces dernières années du Conseil de l'État et de la Cour des comptes de limiter l'hétérogénéité des services de l'État et les surcoûts qu'elle génère.
Ce gain est-il chiffré ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Le gain devra être examiné sur trois à cinq ans, mais je ne doute pas que le nouveau CGET présentera des économies de gestion, générées en partie par l'intégration de l'Acsé.
Supprimer la dichotomie entre le SGCIV et l'Acsé a également fait gagner en articulation des différentes problématiques de politique de la ville. Les risques de perte d'énergie et de pertes financières sont ainsi moindres.
La loi Lamy a choisi de privilégier les intercommunalités, soit, en Ile-de-France, les Établissements publics territoriaux (EPT). Au sein d'un EPT, les contrats de ville portent sur les différents territoires. L'entité Clichy-Montfermeil continuera à disposer d'une gouvernance propre, qui restera portée par MM. Lemoine et Klein.
Monsieur le commissaire, nous avons eu l'occasion de nous rencontrer lors de l'inauguration d'une MSAP, dans une ville moyenne. Ces installations sont très appréciées des habitants, à condition qu'ils s'en approprient les outils. C'est tout l'intérêt de ces MSAP de mettre ces outils à disposition des personnes situées en territoires ruraux ou - comme on dit - « rurbains ». Prévoyez-vous, d'une part, d'évaluer la façon dont les usagers se les sont appropriées et, d'autre part, de modifier, d'intensifier ou de redistribuer le schéma d'installation de ces MSAP ?
L'ingénierie territoriale pose des problèmes financiers et techniques aux petites et moyennes communes, qui ne disposent pas des outils requis. Êtes-vous sollicités à ce sujet par les élus de ces collectivités ? Envisagez-vous une évaluation de la mise en place des schémas d'accessibilité ? Qu'envisagez-vous pour aider les élus à pallier les manques liés aux difficultés de cette mise en place ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - L'objectif était d'ouvrir 1 000 MSAP pour la fin 2016 : il a été atteint. 540 MSAP sont portées par des collectivités et 500 par La Poste. M. Wahl, président de La Poste, a confirmé hier soir, lors de la signature du contrat de présence postale à l'occasion des voeux de La Poste, que 500 MSAP La Poste seraient ouvertes en janvier. Actuellement, une vingtaine d'inaugurations par semaine ont lieu. Ce déploiement est monté en puissance durant toute l'année 2016.
Nous ne nous reposons toutefois pas sur cette victoire. Si l'objectif a été atteint aussi rapidement, c'est qu'il correspondait à une attente des territoires, ce qu'a confirmé M. Baroin, le président de l'AMF, qui était cosignataire du contrat de présence postale et qui demande à La Poste et au Gouvernement de poursuivre le programme de mise en place des MSAP. Une clause du contrat de présence postale qui limitait la capacité de La Poste à ouvrir des MSAP dans des villages de plus de 2 000 habitants a ainsi été supprimée.
Une première évaluation du dispositif a été menée à la fin de l'année 2016 avec la Caisse des Dépôts, à qui avait été confiée une mission d'animation et de formation des responsables du fonctionnement des MSAP. Cette évaluation arrive un peu tôt, puisque c'est en 2016 que l'essentiel des MSAP ont été ouvertes, mais sa première conclusion est qu'il faut augmenter le nombre d'opérateurs intervenant dans les MSAP de La Poste. N'y sont en effet généralement présents que deux opérateurs nationaux et très peu d'opérateurs locaux, car La Poste, contrairement aux collectivités, leur demande une contribution pour intervenir dans ses MSAP. Dans les MSAP des collectivités, les habitants peuvent au contraire trouver jusqu'à une trentaine d'interlocuteurs qui ne sont plus présents dans leur environnement proche, avec cinq opérateurs nationaux associés à cette démarche dès l'origine et les opérateurs locaux.
Pour avoir fait partie des personnes qui ont alerté l'État dans les années 2003-2005 et avoir créé l'un des premiers Relais de services aux personnes (RSP), il me semble que les MSAP améliorent davantage le ressenti que la réalité sur le terrain, car les personnes ont du mal à s'en servir. Il faut en effet un nombre important d'acteurs dans les RSP et MSAP pour qu'ils puissent apporter un réel service. Tous les acteurs doivent y participer, qu'ils viennent du terrain, des services de l'État, des départements (qui n'y ont pas toujours participé autant que souhaité), des associations de maires, etc. Mon département s'est engagé très tardivement dans cette démarche, mais il vient de lancer une étude auprès du public, car les élus qui s'impliquent dans ces maisons ne travaillent pas toujours en symbiose avec les territoires et ne répondent pas toujours à leurs besoins réels, qui sont difficiles à connaître objectivement.
J'ai travaillé durant quinze ans sur le parc naturel régional de la Chartreuse : la question de l'ingénierie territoriale est fondamentale. Les MSAP sont destinées au public, mais leur service est indissociable de la dynamique du territoire : il prendra une autre dimension avec l'augmentation de la desserte et de l'accès à internet.
L'accompagnement en ingénierie doit se faire au bon endroit et au bon moment. Dans le cadre d'un travail que j'ai mené sur les PLU, par exemple, il suffisait de travailler sur les cahiers des charges, donc très en amont de la commande passée au Bureau d'études, afin que cette commande anticipe un certain nombre de questions. Une seule personne a ainsi permis de suivre tous les PLU des communes en une dizaine d'années. Un savoir-faire existe et a fonctionné. Ces expérimentations doivent être examinées. Il faut non seulement accueillir du public mais aussi travailler avec les élus (des communautés de communes, etc.) sur cette dynamique d'ingénierie pour connaître la dynamique territoriale.
La question économique est aujourd'hui fondamentale. En montagne, il n'y a plus de neige, mais des entreprises de nouvelles technologies, et non plus seulement d'agriculture (même s'il est possible d'innover aussi dans l'agriculture), peuvent s'implanter, notamment grâce à un travail pour faciliter la mobilité. La configuration de la campagne et de la montagne n'est pas intangible. Nos politiques doivent précisément les reconfigurer.
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Les MSAP sont en effet l'affaire des acteurs locaux. Notre rôle est de mettre en place un modèle et de diffuser les bonnes pratiques. L'outil devra ensuite correspondre à des réalités et à des gouvernances locales qui ne seront pas identiques ailleurs.
Les schémas et la question de l'ingénierie : la loi NOTRe prévoyait la mise en place des schémas pour la fin 2017. Le comité interministériel de ruralité la demandait pour la fin 2016, mais il faudra prendre le temps nécessaire. Faire d'eux un outil de programmation de l'évolution de la présence des services publics sur les territoires est un objectif ambitieux, qui ne peut pas être atteint trop rapidement. La réflexion conduite par les départements est extrêmement riche mais prend plus de temps que prévu. Début 2017, un schéma a été signé : celui de l'Aude. En ex-Languedoc-Roussillon, plusieurs schémas sont prêts à être signés. Dans 60 départements, la réflexion est bien avancée. Dans 40 départements, le terme du processus est encore loin.
Cette réflexion fondamentale des conseils départementaux et de l'État aura des répercussions sur la présence des services publics sur les territoires, avec son rôle symbolique, qui est moins important qu'on le dit souvent, mais qui n'est pas négligeable. Presque plus personne ne travaille aujourd'hui dans les petites trésoreries, par exemple. Toutefois, elles sont un sujet très sensible : c'est pourquoi leur service doit continuer à être assuré, sinon dans les trésoreries elles-mêmes, du moins par les MSAP. Nous travaillons sur ce sujet avec le ministère des Finances.
Le rapport de M. Doligé et Mme Perol-Dumont parlait de même de l'évolution des sous-préfectures et des préfectures. La dématérialisation des procédures d'obtention de la carte grise, du permis de conduire, etc. entraîne des conséquences pour les MSAP. Nous discutons actuellement avec le ministère de l'Intérieur afin qu'il continue à assurer au moins un accompagnement informatique dans ces procédures. En effet, il s'agit non seulement d'équipement mais aussi d'usage des procédures proposées par les différents services publics. Disposer d'internet chez soi n'implique pas qu'on sache s'en servir. Les MSAP doivent donc jouer un rôle d'accompagnement de la relation avec les services publics. À Caudebec-en-Caux, j'ai pu voir qu'une personne accompagnée une seule fois dans sa relation avec la Caisse d'allocations familiales (CAF) était devenue ensuite capable de traiter son dossier avec la CAF sur la borne internet mise à disposition dans la MSAP. Elle aurait eu du mal à le faire directement.
Nous avons mis en place des moyens financiers permettant aux départements et préfectures de bénéficier d'une assistance à maîtrise d'ouvrage dans l'élaboration des schémas d'accessibilité. D'une manière plus générale, le CGET est très impliqué dans l'appui aux collectivités territoriales face à la désorganisation de l'ingénierie territoriale existante. Les PNR disposent d'équipes extrêmement nombreuses. J'étais en charge de ces dossiers au conseil régional d'Ile-de-France : le PNR du Gâtinais dispose de près de 80 personnes. Il s'agit d'un outil d'ingénierie extrêmement puissant, avec des ingénieurs et des techniciens divers, qui doivent être coordonnés avec l'ingénierie territoriale disponible au sein des communes, des intercommunalités et des services de l'État, pour accroître leur efficacité collective.
L'expérimentation sur les centres-bourgs arrive à son terme, avec 54 territoires qui ont été accompagnés pendant trois ans. Il appartiendra au prochain Gouvernement de décider s'il souhaite reconduire ou généraliser cette expérimentation. Nous considérons qu'elle a été profitable. La question de l'ingénierie territoriale y était centrale puisqu'un chef de projet était chaque fois pris en charge financièrement par le CGET pour permettre à ces territoires de développer leurs projets de centres-bourgs et les mettre en oeuvre.
Le dispositif « Aider » a été expérimenté sur six territoires, et dix territoires sont actuellement choisis pour reconduire cette action en 2017. Il consiste à mettre à la disposition des territoires, sur une thématique et une période données, deux ou trois inspecteurs généraux du développement durable, de l'agriculture, de l'IGA, de l'IGASS, du CGEFI, etc., qui bénéficient d'une expérience, d'un réseau, et d'avoir déjà traité de problématiques équivalentes. Les problèmes identifiés sur les six territoires d'expérimentation avaient été évalués comme impossibles à résoudre au plan local. Des solutions ont néanmoins pu être trouvées grâce à cette nouvelle gamme d'appuis. Nous rendrons cette évaluation publique, au moins à destination du Parlement, et nous espérons pouvoir renouveler l'expérimentation dès le début de l'année 2017.
Les ateliers de territoires ont également été développés avec l'appui des services du ministère de l'Écologie (DGALN et DHUP) sur dix territoires.
Le projet de conseil aux collectivités, conçu par Mme Pinel, se poursuit sous l'autorité de M. Baylet et de Mme Royal. Il consiste à former le personnel des DDT pour venir en appui aux collectivités. Bien que le personnel des DDT ne soit pas en augmentation, leur reconversion au conseil des territoires reste l'un des projets majeurs du ministère de l'Écologie.
J'approuve cette reconversion des compétences des ministères vers les territoires et j'espère qu'elle sera efficace. Un certain nombre de territoires renforcés en milieu urbain et périurbain se dotent de compétences en moyens de suivi sur ces questions. Je l'ai fait sur mon territoire. Il faudra veiller à maintenir à ce conseil sa pertinence, en évitant les redondances, etc.
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - C'est exactement ce que je souhaitais dire. Tous les territoires ne manquent pas de compétences en ingénierie territoriale : l'incohérence ou la désorganisation des compétences disponibles doit également être prise en compte. Les MSAP mises en place par les départements et les régions, par exemple, ne doivent pas entrer en compétition.
Je suis très favorable à la mutualisation de l'ingénierie territoriale dans des départements présentés par Christophe Guilluy et quelques autres comme la « France périphérique ». L'ingénierie est bien souvent disponible, mais mal gérée : il s'agit alors surtout d'examiner comment la redéployer, par une étude de cas très concrets, afin d'émettre des préconisations en direction de ces territoires. Je souhaiterais surtout éviter que la question ne soit abordée que théoriquement entre nous.
Le département dispose d'une compétence de solidarité territoriale et est légitime pour gérer l'ingénierie territoriale. Il en va de même des grandes intercommunalités et des métropoles. Une métropole qui serait incapable de mettre en place un pôle métropolitain pour partager son ingénierie avec son territoire ne remplirait pas sa fonction métropolitaine, selon les principes simples qui devraient la définir.
Le vrai problème consistera à faire travailler l'État avec l'ingénierie départementale. Il est extrêmement rare que l'État consente à communiquer avec le département, l'intercommunalité, etc., pour articuler sa DETR avec d'autres financements.
La notion de « France périphérique » signifie par ailleurs que certains territoires consomment des crédits européens et d'autres non : cette question devra donc également être posée, particulièrement pour le FEADER en milieu rural.
C'est en effet souvent la personnalité du préfet (ou d'un autre responsable de l'État) qui permet que les concertations soient bien menées ou non en amont. Les études de cas que vous proposez peuvent être ajoutées à la liste des nombreux sujets sur lesquels nous avons déjà à travailler.
Réaliser trois très grandes intercommunalités dans un département très rural met ce département en position délicate pour mutualiser l'ingénierie, surtout s'il a longtemps laissé ces intercommunalités gérer ces questions. De plus, elles disposent maintenant de la compétence eau, assainissement, GEMAPI.
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Je suis à votre disposition pour lancer une étude de cas sur un territoire de votre choix. Nous pouvons faire travailler un laboratoire universitaire sur cette question : c'est ainsi que nous avons l'habitude de travailler.
Les effets des lois MAPTAM et NOTRe sont encore à stabiliser sur le terrain. Les compétences des intercommunalités, des départements et des régions devront s'ajuster réciproquement, avant d'arriver à une situation homogène sur l'ensemble du territoire. Par exemple, au moins trois ou quatre ans seront nécessaires pour que les départements abandonnent leurs compétences en matière de développement économique aux régions et aux intercommunalités. Cette réflexion vaut également pour l'ingénierie territoriale. Certains départements disposaient d'agences déjà constituées, que les communes et les intercommunalités pouvaient mobiliser, ce qu'elles ne faisaient pourtant pas nécessairement, pour des raisons de politique locale, etc. Il en résulte une situation hétérogène sur l'ensemble du territoire.
Les métiers des fonctionnaires territoriaux évoluent. Le département de l'Isère a beaucoup territorialisé ses politiques et le changement de majorité politique n'a guère modifié la relation avec les élus. C'est très important, car le premier élément à intégrer en matière de politique territoriale est le temps. Les changements réguliers de politique sont néfastes dans ce domaine.
Une charte avait été prévue pour les parcs nationaux. Or, l'ingénierie prévue pour les parcs nationaux avait été d'État, descendante et protectrice. Je m'étais opposée à cette mesure, considérant qu'elle rendrait la gestion des parcs nationaux très difficile. C'est ce qui a souvent eu lieu. L'absence de dialogue entre les élus et l'ingénierie a été catastrophique, par exemple dans le parc de la Vanoise. Les élus locaux ont besoin d'ingénierie pour travailler et souhaitent réellement agir. Toutefois, leurs choix doivent être respectés de manière fine, pour ne pas heurter leur susceptibilité. L'ingénierie doit donc accepter de se tenir à disposition, ce qui peut représenter un bouleversement pour les professionnels concernés. Un changement des habitudes politiques est nécessaire à cet égard.
Les régions ont souvent demandé que des contreparties soient apportées aux inégalités de consommation des fonds européens, notamment agricoles. Disposez-vous déjà de données relatives aux conséquences des modifications importantes de la politique actuelle de ce point de vue ? Par ailleurs, pourquoi les fonds européens pour les agriculteurs mettent-ils autant de temps à arriver ? Tout le monde s'en plaint dans mon département.
Êtes-vous associés, dans le cadre de la réforme de la DGF, au traitement fiscal de la dotation des centres-bourgs ?
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Je commencerai par répondre à Madame Giraud. La relation entre les services de l'État (les Préfets, les sous-préfets, etc.) est importante, mais la situation évolue de manière positive. Le fait que le principe de contractualisation entre l'État et les collectivités s'impose maintenant dans presque tous les secteurs concernés en est un signe.
Au-delà de la relation entre élus et services de l'État, il faut également une prise en compte de la position des concitoyens. Au titre de la loi Lamy, 435 contrats de ville ont été signés et 1 054 conseils citoyens avaient été mis en place à fin 2016. Ces personnes font donc le choix de s'intéresser à la manière dont les contrats de ville seront conduits. Nous les y aiderons en leur proposant des formations. Cette évolution va dans le sens que vous souhaitez, et me semble extrêmement positive.
Fin 2016, le niveau d'engagement des fonds européens 2014-2020 en France correspond à celui des autres pays. C'est là aussi un bilan positif, compte tenu du fait qu'hormis l'Alsace, qui expérimentait la gestion de ces fonds depuis 2004, les autres régions ont dû, à partir de 2014, s'approprier cette compétence dont elles ne disposaient pas jusque-là. J'ai suivi ce travail jusqu'aux élections régionales : il a été extrêmement difficile, mais les régions ont maintenant pris le relais. Mettre en place ces crédits suppose également de mettre en place des fonds de contrepartie, en fonction des politiques conduites par les différentes autorités de gestion, et de leurs choix d'investissement dans certains secteurs plutôt que d'autres. La formation professionnelle, par exemple, consomme beaucoup de FSE et fait partie du coeur des compétences des régions : je ne vois donc pas pourquoi les régions ne mettraient pas en place les contreparties nécessaires pour obtenir la mise en place des fonds européens.
Restera à vérifier, à fin 2017, si les engagements pris correspondent bien aux programmes opérationnels qui avaient fait l'objet d'un accord avec Bruxelles, afin d'éviter les dégagements d'office qui commenceront à cette date. Sur la génération de fonds précédente, des dégagements d'office importants ont été subis. J'en ai connus en Ile-de-France. Ce n'est parfois la faute de personne, si ce n'est des changements de réglementation qui, durant la période d'une génération de fonds, peuvent rendre inéligible une opération initialement éligible.
Le niveau d'engagement des Belges et des Allemands reste toutefois supérieur. C'est un sujet de préoccupation majeur. La Commission a émis des propositions mi-septembre en matière de simplification de la mise en oeuvre des fonds européens. Ces dispositions sont en cours de finalisation à Bruxelles. Il faudra veiller à ce que la France ne mette pas en place des dispositifs additionnels qui viendraient complexifier au niveau national les dispositifs européens. Bruxelles estime depuis longtemps que les torts sont partagés à cet égard.
Je vous remercie, Monsieur le Commissaire, pour cette discussion très intéressante et très concrète, que nous aurons à coeur de renouveler, éventuellement sur des thématiques précises. Je vous souhaite bon courage.
Jean-Michel Thornary, commissaire général à l'égalité des territoires - Je me tiens à votre disposition. Merci beaucoup, Monsieur le Président.