Mme Keller nous avait présenté en avril dernier un très intéressant rapport sur les relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, avant la victoire des conservateurs aux élections législatives : un sujet plus que jamais d'actualité dans la perspective du référendum, même si la date en est incertaine.
Le Premier ministre, M. David Cameron, a envoyé ses demandes le 10 novembre au président du Conseil européen, M. Donald Tusk ; le Conseil européen les examinera les 17 et 18 décembre prochains. Il me semble important de débattre de ces propositions qui ne me heurtent pas. Il y a 48 heures, j'étais avec MM. Simon Sutour et Yves Pozzo di Borgo à Luxembourg à l'occasion de la réunion de la COSAC, où Lord Boswell of Aynho et Sir Cash faisaient montre d'un certain prosélytisme - avec talent, ce sont des gens bien élevés - qui pourrait faire évoluer l'Union européenne, même si sur un point, le sujet est crispant.
Nous disposons des grandes lignes des propositions britanniques de réforme de l'Union. Comment en sommes-nous arrivés là ? Le Premier ministre David Cameron part d'un double constat : l'Union européenne a besoin d'une réforme drastique afin de relever le défi de la mondialisation et retrouver la compétitivité indispensable pour maintenir l'État providence dont les excès aujourd'hui placent l'Europe en position de désavantage par rapport au reste du monde ; elle doit aussi retrouver une légitimité, car elle a perdu le contact avec ses administrés : l'adhésion au projet européen est faible et l'action de Bruxelles échappe à un vrai contrôle démocratique. Quarante ans après le référendum de 1975, il lui semble légitime de procéder à une nouvelle consultation référendaire pour refonder le lien avec Bruxelles sur des bases plus saines.
L'évolution du projet européen ne satisfait pas les Britanniques, compte tenu de la situation critique de l'Union aujourd'hui et de l'évolution fédérale de la construction européenne. S'ils ne souhaitent pas accompagner cette évolution, ils ne veulent pourtant pas s'y opposer, mais leur analyse est sévère : pour eux, l'Union européenne intervient dans trop de domaines et le principe de subsidiarité est mis à mal, alors que l'organisation d'un grand marché unique leur suffirait. Elle a cessé d'être légitime pour une large partie de l'opinion qui souhaite que les États membres retrouvent leur souveraineté et que l'action de Bruxelles soit plus efficacement contrôlée ; la monnaie unique serait l'illustration de cette volonté d'aller à marche forcée vers le fédéralisme sans véritable union économique préalable. Or la crise de la monnaie unique, avec pour corollaire le nécessaire renforcement de la zone euro qu'elle suppose, crée, de facto, deux groupes distincts au sein de l'Union ; aux yeux des Britanniques, depuis 2008, l'Union européenne ne s'occupe que du sauvetage de l'euro. Enfin, l'impuissance de l'Europe face à la crise migratoire et la porosité de ses frontières inquiètent alors que les flux migratoires sont déjà importants en Grande-Bretagne, favorisés par une application trop laxiste du principe européen de libre circulation des personnes.
Le contexte politique britannique est difficile. Le jeu trouble du Parti national écossais (SNP), qui gouverne l'Écosse à contrecourant de la politique de Londres, gêne l'action de David Cameron ; l'élection d'un extrémiste hostile à l'Europe - Jeremy Corbyn - à la tête du Parti travailliste et la mise en ordre de bataille des eurosceptiques du Parti conservateur ont modifié la donne pour le Premier ministre, désormais embarrassé sur sa gauche et sur sa droite. Si Jeremy Corbyn prenait position contre le résultat obtenu par David Cameron à Bruxelles ou laissait à chaque membre du parti sa liberté de conscience, les chances d'une issue positive au référendum s'en trouveraient réduites, peut-être même annihilées. La chef des indépendantistes écossais, Mme Sturgeon, sait qu'une sortie de l'Union européenne favoriserait son projet indépendantiste. Au même moment, les eurosceptiques conservateurs ont contracté une alliance contre nature étonnante avec les indépendantistes écossais et l'opposition travailliste pour s'opposer au gouvernement lors du référendum et exiger du gouvernement qu'il ne s'exprime pas pendant les mois précédant le vote. La Chambre des Lords essaie d'abaisser à 16 ans l'âge légal pour prendre part au vote, ce qui allongerait la procédure puisque les Communes s'y opposent - le référendum pourrait alors ne pas se tenir au printemps 2016.
Face à ses adversaires, le Premier ministre est resté ferme jusqu'à présent et critique ceux qui soutiennent le Brexit avant même l'issue des négociations. Mais si la tension devient trop vive, se posera une question essentielle : faut-il gagner le référendum ou sauver l'unité du parti, si les deux sont incompatibles ? David Cameron s'est placé sur une dangereuse ligne de crête ; sa légendaire habilité ne suffira pas si ses partenaires conservateurs et européens le poussent vers cet ultimatum. Perdre le référendum serait un désaveu de l'opinion et la fin de son mandat de Premier ministre : il serait aussitôt remplacé par un conservateur eurosceptique.
Les propositions britanniques favorisent « la flexibilité d'un réseau contre la rigidité d'un bloc » et appellent quatre grandes réformes, présentées comme bénéfiques pour tous les États membres et propres à rendre l'Union plus efficace.
La zone euro doit disposer des instruments de son intégration. Le Royaume-Uni le comprend, mais exige que les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté l'euro ne soient pas menacés par le renforcement inéluctable de la zone euro - c'est très schizophrène. Il voudrait faire préciser que l'euro n'est pas la seule devise de l'Union européenne, que la participation des États membres hors zone euro à toute action monétaire ou bancaire reste facultative, et que le budget de l'Union ne serve jamais à la politique monétaire sans une compensation pour les pays hors de l'euro. Il demande l'adaptation du mécanisme du « Compromis de Ioannina » aux questions touchant la zone euro : le président du Conseil pourrait ainsi reporter le vote et accorder un délai supplémentaire pour entendre un État membre défavorable à la mesure et rechercher un compromis. La mise en oeuvre et la durée de ce délai sont laissées à la discrétion du Président.
Pour plus de compétitivité, le Royaume-Uni souhaite un marché unique des capitaux, un marché unique du numérique et un allègement des charges pesant sur les entreprises.
Pour réduire la désaffection pour le projet communautaire, les Britanniques proposent de rétablir la souveraineté des États membres en renonçant à une Union toujours plus étroite - « an ever closer union ». Ils veulent renforcer le rôle des parlements nationaux, pour qu'ils puissent, avec une majorité qualifiée, repousser les projets législatifs émanant du Conseil ou de la Commission - leur donner un véritable « carton rouge ». Le principe de subsidiarité serait appliqué strictement : ne serait transféré au niveau européen que le strict nécessaire, soit un renversement copernicien par rapport à la situation actuelle. Selon Londres, on ne transmettrait à Bruxelles que ce que les États accepteraient de transmettre faute de ne pouvoir mieux faire eux-mêmes.
Enfin, quatrièmement, l'immigration... Bien que favorable au principe de libre circulation des personnes, l'État britannique juge les pressions migratoires depuis 2004 intolérables et souhaiterait limiter l'entrée de nouveaux candidats. Le solde migratoire annuel net au Royaume-Uni s'élevait à 336 000 personnes au 25 novembre 2015, avec une moyenne annuelle depuis 2004 de 240 000 personnes. En France, le solde net est de 33 000 personnes - avec 332 000 entrées et 299 000 sorties, mais il ne s'agit pas des mêmes catégories de personnes. Le Premier ministre souhaiterait instaurer un délai de quatre ans avant que les travailleurs étrangers puissent bénéficier des allocations liées à l'emploi, à savoir le complément de salaire - un impôt négatif -, l'aide personnalisée au logement et les allocations familiales.
Que peut-on répondre à ces propositions de réforme ? Le courrier du 10 novembre a été reçu avec l'agacement qui accompagne toute initiative britannique, même si Bruxelles a pris ces propositions avec plus de sérieux qu'en 2013 : le risque d'une sortie de l'Union s'est accru et la majorité des États membres ne conçoivent pas l'Union sans les Britanniques. Certaines demandes sont largement partagées par un nombre déjà important d'États membres. Bruxelles a senti la nécessité de circonscrire cette volonté de réforme. Le premier round de contacts bilatéraux a eu lieu et aux dires du président Tusk, la négociation sera difficile : un compromis serait envisageable sur les trois premières demandes, mais pas sur la quatrième qui heurte de front le principe de la libre circulation des personnes. Par crainte d'une contagion, Bruxelles considère comme un moindre mal l'officialisation d'un statut particulier pour le Royaume-Uni et espère qu'il restera l'apanage des Britanniques. Rien n'est moins sûr. Le mot d'ordre pourrait être d'aider David Cameron à gagner ce référendum.
Le Royaume-Uni souhaite protéger les intérêts de la minorité des États membres hors zone euro et que soit acté que l'Union européenne est un territoire où plusieurs monnaies coexistent, une « Union multi-devises ». Selon certains, la crise de l'euro aurait mis un terme à l'expansion de la monnaie unique et que c'est un état de fait ; le dire n'ajouterait ni ne retrancherait rien à la situation. Selon d'autres, on s'attaquerait à l'essence même du projet européen : selon le Traité, tous les États membres ont vocation à rejoindre l'euro sauf s'ils ont négocié un opt-out. En attendant, les deux groupes doivent coexister.
Le Royaume-Uni s'inquiète des menaces pesant sur les intérêts de la City, État dans l'État globalisé avec plus de quarante nationalités - dont de nombreux Français : la City doit rester la place financière de l'Europe.
Le risque est que les membres de la zone euro se rencontrent en formation zone euro avant les sommets et tranchent en fonction de leur intérêt majoritaire. Sans demander un droit de veto sur les décisions que la zone euro prendrait pour elle-même, le Royaume-Uni souhaite un mécanisme de sauvegarde pour amorcer une négociation chaque fois qu'une décision prise en faveur de la zone euro risque de porter atteinte aux intérêts de la minorité hors zone euro. Un compromis semble possible sur le modèle de Ioannina.
La demande britannique de plus de compétitivité sera aisément acceptée en combinant le programme d'approfondissement du marché unique pour les capitaux, le numérique, l'énergie et les services et le projet d'intégration renforcée de la zone euro. Ce compromis prendrait acte de l'existant en l'améliorant : un vaste marché unique approfondi avec en son sein une union économique et monétaire.
La demande de protection de la souveraineté des États membres et le retour à une définition orthodoxe de la subsidiarité ferait l'unanimité si elle ne portait pas atteinte, dans sa forme, au projet européen. Lorsque le Royaume-Uni refuse d'avancer vers une « union toujours plus étroite », il heurte les partisans d'un approfondissement de l'intégration européenne. Pour d'autres, le symbole n'est pas contraignant : l'union serait celle des peuples et non des États, et le texte n'aurait aucun pouvoir juridique contraignant ; il pourrait être abandonné. Dans la perspective d'une Union plus souple, plus flexible, le rôle des parlements nationaux doit être renforcé, avec un respect plus strict du principe de subsidiarité. L'idée d'un droit de veto des parlements nationaux, selon une majorité qualifiée à préciser, pourrait faire son chemin. Que la demande émane du Royaume-Uni, alors que plusieurs parlements nationaux la formulent officieusement, ne surprend pas lorsqu'on connaît l'attachement des Britanniques à la souveraineté parlementaire.
Nous sommes nombreux à être perplexes sur l'aménagement du principe de libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne - c'est un point dur. Même si la crise migratoire bat son plein en Grande-Bretagne, l'angle d'attaque est incompréhensible. La proposition d'un délai de carence de quatre ans avant d'accorder des allocations aux travailleurs immigrés s'oppose au droit européen et au principe d'égalité de traitement. Cette menace serait d'ailleurs peu efficace car l'attractivité du Royaume-Uni reste très importante. Comment comprendre cette demande peu habile qui n'a aucune chance d'aboutir, et qui gêne au moins la Pologne et la République tchèque, deux États membres plutôt favorables aux autres réformes demandées et dont sont originaires de nombreux migrants, sans compter les pays baltes ? Sans doute est-ce une façon un peu brutale de demander l'ouverture rapide de négociations... Nous ne pourrons que nous y opposer, mais de nouvelles propositions plus compatibles avec le droit seront probablement mises sur la table.
Une négociation a commencé, elle ne s'achèvera probablement pas avant le Conseil du 18 décembre prochain comme le souhaitait Londres, mais plutôt en février 2016. Comme les deux parties sont convaincues de la nécessité du maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union, cette négociation aboutira à un compromis, dont il reste à définir le contenu et la forme juridique. Si la réforme aboutit, le Royaume Uni aura vérifié pour l'Europe l'adage qui vaut pour l'Église : semper reformata semper reformanda.
Je vous remercie. Chacun voit un peu plus clair dans cette situation complexe. L'accroissement du rôle des parlements nationaux est en marche. Il y a une semaine, lors de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), l'idée du « carton vert » progressait beaucoup, le « carton rouge » un peu. Je suis surpris de voir une différence de solde migratoire de dix pour un entre le Royaume-Uni et la France. La Grande-Bretagne n'a jamais saisi l'opportunité de restreindre l'accès à son marché du travail, par conviction libérale ; c'est son choix.
Certaines demandes britanniques me vont très bien. Le déficit démocratique est évident. Depuis le débat en séance il y a un an, la perception qu'ont les citoyens du projet européen s'est encore dégradée. Je souscris également au renforcement du rôle des parlements nationaux, je ne veux pas d'une marche forcée vers le fédéralisme.
Certains commentaires me heurtent, comme de décréter que le SNP est un empêcheur de tourner en rond. Ses parlementaires sont élus et légitimes au même titre que nous ; l'Écosse n'est pas au bord du chaos... Jeremy Corbyn vient d'arriver, sa légitimité est incontestable. Ce n'est pas Ceausescu... Il a donné à ses députés la liberté de vote cette nuit sur l'intervention en Syrie. Il y en a assez de cette vision manichéenne, le monde ne se divise pas en eurosceptiques et en europhiles ! Je ne m'y retrouve pas. Nous avons déjà eu ce débat sur la politique européenne de voisinage avec la Russie.
Replaçons les choses dans un contexte plus ancien. David Cameron est arrivé au pouvoir dans le cadre d'une coalition, écartelé entre une base conservatrice eurosceptique et des libéraux-démocrates europhiles. Il a botté en touche en annonçant un référendum pour plus tard... Nous y sommes ! Il a gagné un peu de temps, mais il est maintenant au pied du mur, délesté entretemps du parti libéral-démocrate qui s'est effondré. Au sein de son parti coexistent eurosceptiques et europhiles, n'accusons pas les nationalistes écossais ou le leader travailliste ! Les nationalistes écossais, de gauche, choisis par le peuple, ont surtout dépouillé le Parti travailliste... On assiste un peu au même processus en Catalogne... Il faut respecter la décision des peuples. Jeremy Corbyn a été élu légitimement sur la base de débats internes à son parti. Le peuple a toujours raison, sinon on ne doit pas prendre la peine de le consulter !
Nous devons tout faire pour que le Royaume-Uni reste au sein de l'Union. Un accord peut être trouvé sur une partie de ses demandes, pas sur d'autres. Pour la première fois, lors de la réunion de la COSAC, j'ai senti des dissensions très fortes, comme si le consensus s'était un peu brisé. À vingt-huit, il est déjà difficile d'accepter des demandes simples... Une de leurs exigences met en cause l'essence même de l'Union. « Ils ne demandent pas de droit de veto sur la zone euro », disiez-vous ; heureusement ! La zone euro comprend 19 pays sur 28. Lors de l'élaboration du traité sur la stabilité, la coordination et gouvernance de l'Union (TSCG), j'assistais en tant que président de commission à une réunion à Chypre. Lord Boswell of Anhyo, se promenant partout, voulait décider ce qui se ferait dans la zone euro, au nom des conséquences possibles pour le Royaume-Uni.
Nous avons obtenu de haute lutte la conférence interparlementaire de l'article 13 du TSCG. Les Britanniques auraient souhaité que tous les sujets concernant la zone euro soient traités par le Parlement européen - en plus, à l'époque, la présidente de la commission des affaires économiques et monétaires était britannique... Franchement... J'aime beaucoup la Grande-Bretagne, pays où j'ai de nombreuses attaches personnelles, mais certaines choses ne sont pas possibles. La négociation sera difficile compte tenu des enjeux internes et des problèmes d'immigration et de terrorisme. Ce pays a conservé le chèque de Mme Thatcher : depuis des années, sa money is back !
Nous pourrions assister à un accord avec l'Union et à une victoire du non au référendum. Si on interrogeait aujourd'hui les Français sur l'Europe... Je connais le résultat ! J'ai milité en faveur du traité constitutionnel dans mon département, balayé par 65 % de non. Les maires me disaient : « je m'interroge », cela voulait tout dire ! Les citoyens réagissent à de multiples facteurs...
Le débat britannique est né d'un problème de politique intérieure. Nous n'allons pas tarder à avoir le même... Le constat du déficit démocratique de l'Union est partagé. Redéfinir le principe de subsidiarité serait pertinent, le renforcement des parlements nationaux aussi. Si nous n'allons pas dans ce sens, nous conforterons des tensions nationales voire nationalistes.
La position des travaillistes britanniques est plus subtile, ils ne sont pas fondamentalement hostiles au maintien dans l'Union européenne. Peut-être soufflent-ils le chaud et le froid... Mais la tendance est inquiétante : il y a des forces centrifuges, y compris en France et en Allemagne, particulièrement dans les milieux économiques et financiers. Dans la presse, le président d'Eurotunnel se réjouit des conséquences d'un éventuel Brexit pour son business, qui lui permettrait de reprendre des parts aux aéroports anglais alors que le flux de voyageurs augmente entre la Grande-Bretagne et le continent. On créerait un effet d'aubaine pour le business... Les partisans du Brexit ne sont pas uniquement de l'autre côté de la Manche... Nous aurions intérêt à y regarder de plus près.
Les discussions à venir nous offrent peut-être l'opportunité d'un rééquilibrage pour ramener un peu de démocratie et de proximité dans un système que plus personne ne comprend. Le danger de l'incompréhension en démocratie, c'est la déconnexion avec la base, qui pourrait succomber à des tentations simplistes - nous les verrons peut-être s'exprimer à la fin de la semaine...
Je n'approuve pas une approche ouverte aux demandes britanniques. Bien sûr, il y a un point de blocage sur l'immigration ; les pays de l'Est sont en première ligne. Les autres points ne sont pas plus réjouissants, à l'instar de la proposition de la Commission de maintenir un statut particulier à la Grande-Bretagne et à la City pour la séparation des activités bancaires. Nous ne pouvons l'accepter parce que nous voulons développer un marché des capitaux européens ; Paris, Francfort, Amsterdam sont des nains à côté de la City...
Je comprends les Britanniques : le Conseil de la zone euro se tient le lundi soir et le lendemain matin, au conseil Ecofin, ils apprennent ce qui a été décidé. Qu'ils assument leurs choix ! On les voit à l'oeuvre partout, même lorsqu'ils ne sont pas invités... Notre projet, c'est de renforcer la zone euro et le couplage avec l'union économique. Le reste est secondaire.
Je comprends la proposition sur les parlements nationaux, mais ce serait ajouter une couche supplémentaire dans un système institutionnel déjà compliqué. On ne légifère que parce que les États membres l'acceptent. S'ils ont un droit de veto, comment les parlements nationaux se coordonneront-ils avec le Parlement européen, qui s'agace déjà qu'on aille sur ses brisées ? Je dirais au Premier ministre de Sa Gracieuse Majesté que nous ne sommes pas tellement intéressés... Après tout, le Brexit n'est-il pas déjà chose faite, hormis sur deux ou trois points ? C'est le combat de deux projets différents.
Ils veulent une zone de libre-échange, faire du business, s'ouvrir sur le monde, le reste ne les intéresse pas. Ils ont déjà demandé un opt-out sur les trois quarts des sujets... Pourquoi ne pas rechercher une autre architecture avec un nombre plus restreint de pays - peut-être ceux de la zone euro et d'autres volontaires ? Nous avons par exemple de très bonnes relations avec la Suisse, qui n'est pourtant pas membre de l'Union européenne...
Attention à ne pas appliquer nos tropismes nationaux ou européens au Royaume-Uni, dont la culture est complexe. Il y a vingt ans, j'ai négocié avec des Britanniques, au nom du groupe pour lequel je travaillais, le rachat d'une filiale de Maxwell. Lorsque la proposition financière a été formulée, la présidente a dit : « You are insulting us ! » ; et elle a quitté la salle. Après quatre mois de discussion, le prix d'achat final était de 2 % supérieur à celui initialement proposé...
Hier, le ministre ne voulait pas qu'on vote la taxe Google en raison des négociations en cours à l'OCDE ; mais Roger Karoutchi, qui fut notre représentant à l'OCDE, disait que l'organisation commençait par s'intéresser aux droits nationaux... C'est un bon argument pour négocier. Nous négocions comme des Bisounours ! Cessons de paniquer !
Il y a des choses à dire sur l'immigration, le succès économique des Britanniques, leur taux de chômage. Au Royaume-Uni, au moins quatre statuts d'appartenance à la citoyenneté coexistent : on peut être de nationalité britannique sans être citoyen, comme les anciens habitants de Hong-Kong, citoyen du Commonwealth, citoyen européen et britannique... Les pays d'origine des migrants ont souvent un lien avec le Royaume-Uni, comme les anciens pays du Commonwealth.
Le taux de chômage officiel britannique est proche du taux américain, 5,5 %. Formidable ! Mais en compilant les données d'Eurostat, on s'aperçoit qu'il y a au Royaume-Uni 4 millions de personnes en invalidité de travail... Elles résident généralement dans des zones économiquement dévastées, dont elles sont le Lumpenproletariat ; elles ne trouvent pas de travail, n'acceptent pas celui hors contrat proposé aux migrants, et se promènent en voiturette électrique tout en marchant correctement. Si on les additionne aux chômeurs, on trouve un taux de chômage comparable au taux français et supérieur à la moyenne européenne. Avec Eurostat, les comparaisons pays par pays sont délicates et les apparences trompeuses...
Il existe des accords réels, visibles et officieux avec les États-Unis, notamment sur le statut des sociétés britanniques en Amérique. Les Britanniques ont un pied d'un côté, un pied de l'autre. Cela explique aussi pourquoi depuis trente ans, la croissance britannique est la plus corrélée avec la croissance américaine. La situation britannique mérite analyse. Même si nous aimons beaucoup la Grande-Bretagne, son mode de fonctionnement est très particulier, ce qui n'autorise que des comparaisons extrêmement prudentes.
Merci, chère Fabienne Keller, de cette contribution très intéressante et nécessaire sur un sujet sensible. Et merci aux autres intervenants. Nous sommes confrontés à une situation paradoxale - les Britanniques en sont friands. Situation qui risque de nous conduire à un compromis... Les Britanniques voudraient rester dans l'Union mais sans ses contraintes. Je ne connais pas la question à laquelle les Britanniques seront appelés à répondre au référendum, mais nous pourrions aboutir à une situation étonnante : un non au référendum sans sortie de l'Union et un compromis - mais quel compromis ? Nous aimons tous les Britanniques ; nous connaissons aussi leurs travers et leur propension à vouloir tout diriger...
Merci pour la richesse de vos contributions, qui montrent combien ce débat est central pour la construction européenne, les relations franco-britanniques et les relations entre la France et l'Union européenne.
La question posée au référendum sera : « souhaitez-vous que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne ou qu'il quitte l'Union européenne ? » Une réponse négative serait sans ambiguïté, sans recours ni amendement possible.
M. Bocquet a jugé mes prises de position un peu manichéennes. Ce n'est pas exact. Qu'on me comprenne bien : l'exercice obligé est d'analyser le pour et le contre afin de comprendre les forces en présence et d'exercer un vrai discernement. Lors de son discours fondateur de Bloomberg en 2013, David Cameron a proposé un référendum postérieur aux élections ; les circonstances politiques ont changé depuis... M. Corbyn est chef d'un parti traditionnellement plutôt favorable à la construction européenne mais lui-même n'est pas particulièrement pro-européen, ce qui renforce la fraction réservée des travaillistes.
La consultation à venir ressemble au référendum français, on voit se dessiner des postures qui peuvent peser lourd, parfois à fronts renversés. Nous le vivons avec beaucoup de stress. Mme Sturgeon est très pro-européenne, mais sa priorité est l'indépendance de l'Écosse, c'est sur ce programme qu'elle a été élue. Son parti a remporté 39 des 41 sièges écossais des travaillistes aux dernières élections générales britanniques - du jamais vu.
On peut craindre que l'indépendance de l'Écosse passe par une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, l'Écosse y rentrant ensuite. La stratégie à court terme peut être alors de s'opposer au maintien du Royaume-Uni dans l'Union...
Les acteurs de la City, dont je rappelle qu'elle est une collectivité territoriale, sont implacables, extrêmement organisés. La première nationalité qui y est représentée est l'Allemagne, avec la Deutsche Bank.
La City est un îlot de prospérité, de croissance et de rayonnement pour la Grande-Bretagne, qui y est très attachée. Paradoxalement, c'est là qu'ont lieu le plus de transactions en euro... La livre sterling dépend autant de l'euro que du dollar. Les Britanniques ne demandent pas un droit de veto, mais ils ont du mal à accepter que leur avis ne puisse s'imposer dans les matières financières. Et ils contestent le rôle de la BCE.
Les partisans de la sortie ne se recrutent pas qu'en zone euro. Je vous invite à regarder les dessins saisissants de la campagne Leave EU... Il est vrai qu'il est toujours plus difficile de faire campagne avec des arguments raisonnables...
Le Parlement européen, très clairement hostile à la parole des parlements nationaux, estime que seule son expression existe dans le processus décisionnaire européen, ce qui est exact selon les traités. A priori, il n'est pas partie à la négociation, qui est intergouvernementale.
L'élaboration d'une autre architecture est compliquée en ce qu'elle ouvrirait la boîte de Pandore d'un traité. Les Britanniques, par pragmatisme, veulent l'éviter. Ils sont conscients de la difficulté d'obtenir une ratification sur leur seul cas.
Le lien du Royaume-Uni avec les États-Unis est très spécifique. Les entreprises britanniques peuvent s'installer aux États-Unis en 48 heures.
La Grande-Bretagne entretient des liens privilégiés avec les États-Unis, comme avec tout le monde anglo-saxon. Chaque pays a sa spécificité - la France est proche du Maghreb.
Le débat sur la sortie de l'Union européenne a beaucoup évolué défavorablement depuis deux ans. Nous n'étions pas très inquiets et pensions que la négociation de certains éléments suffirait, mais des forces puissantes sont aujourd'hui à l'oeuvre. La question de l'égalité des droits des ressortissants européens, à laquelle il est difficile d'apporter une réponse simple, sera pénalisante, tout comme celle de l'immigration, dans un contexte où les peuples européens sont tentés par les mouvements populistes.
Les Britanniques, conscients que la situation se dégrade, veulent organiser le référendum rapidement, avant l'été 2016, mais la procédure d'abaissement de l'âge légal des électeurs à 16 ans pourrait le reporter à la même période que les élections françaises et allemandes.
Les Anglais disent tout haut ce que beaucoup d'entre nous pensons tout bas. Il faut être pragmatique, l'affaire est plutôt positive et devrait pousser l'Union européenne à évoluer. Vu de notre fenêtre, l'intérêt de la Grande-Bretagne - et de l'Europe - est qu'elle reste dans l'Union européenne. Cela dit, c'est leur problème... L'habileté de M. Cameron dans cet environnement complexe a des limites. Il a annoncé qu'il ne se représenterait pas.
M. Cameron pourrait être le premier Premier ministre de Grande-Bretagne à créer une petite Bretagne si l'Écosse acquiert son indépendance. Il entrerait dans l'histoire autrement que ce qu'il avait imaginé.
La Commission européenne a présenté, le 17 novembre dernier, ses observations sur les plans budgétaires nationaux.
L'an passé, nos deux collègues nous avaient expliqué les règles du two pack qui régissent les modalités de la surveillance européenne des budgets nationaux.
Cette procédure est importante. La Commission européenne est en effet appelée à évaluer si les documents budgétaires nationaux respectent les objectifs budgétaires à moyen terme définis dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance.
Il est donc intéressant de prendre connaissance des analyses de la Commission européenne, qui plus est dans un contexte où à la fois la crise migratoire et le défi en matière de sécurité ont à nouveau soulevé la question des modalités d'application des règles du Pacte.
Je donne la parole à nos rapporteurs.
Comme chaque année depuis 2013 et l'entrée en vigueur du two-pack, la Commission européenne a présenté, le 17 novembre dernier, ses observations sur les plans budgétaires nationaux. Il s'agissait pour elle d'évaluer si ces documents respectaient les objectifs budgétaires à moyen terme définis dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Ces plans budgétaires nationaux ne sont pas des projets de loi de finances mais des documents plus synthétiques présentant les objectifs budgétaires et les moyens retenus pour les atteindre.
Trois pays de la zone euro n'ont pas été abordés dans cette communication : la Grèce et Chypre, qui sont sous assistance financière et le Portugal qui, dans un contexte politique particulier, n'a pas transmis de document à la Commission.
Quelles sont les conclusions de la Commission sur ces plans ?
La Commission européenne estime de façon générale que la zone euro dans son ensemble est sur la voie de l'assainissement des finances publiques. Le déficit public moyen devrait atteindre 1,7 % du PIB au sein de la zone euro en 2016, hors Chypre, Grèce et Portugal, contre 1,9 % en 2015. La dette publique devrait en moyenne représenter 90 % du PIB en 2016, contre 91 % en 2015. Cette diminution de l'endettement constitue une première depuis le début de la crise des dettes souveraines.
Lorsqu'elle examine plus en détail la situation des États, la Commission européenne distingue les pays visés par le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance, c'est-à-dire ceux dont le déficit public est inférieur à 3 % de leur PIB, des pays concernés par le volet correctif, c'est-à-dire ceux qui sont visés par une recommandation du Conseil pour les inciter à ramener leur déficit public en deçà du seuil des 3 %.
Pour les premiers, l'objet de l'analyse de la Commission est de vérifier que le budget répond aux objectifs budgétaires à moyen terme, élaborés, pour chacun d'entre eux, dans le cadre du semestre européen. 12 États membres sont dans ce cas. La Commission européenne estime que pour cinq d'entre eux - Allemagne, Estonie, Luxembourg, Pays-Bas et Slovaquie -, le plan budgétaire est conforme aux attentes. Pour quatre autres - Belgique, Finlande, Lettonie et Malte -, l'appréciation est plus nuancée : le plan est globalement en conformité, mais des mesures d'ajustement apparaissent nécessaires. Enfin, pour les trois restants - Autriche, Italie et Lituanie -, il existe un risque de non-conformité, les plans ne permettant pas aux États concernés de répondre à leurs obligations. Il convient donc de réviser ces plans.
Pour les quatre pays s'inscrivant dans le cadre du volet correctif du Pacte, il s'agit pour la Commission d'évaluer si le projet de budget respecte les contours des recommandations adressées par le Conseil. La France, l'Irlande et la Slovénie sont « globalement en conformité » avec les recommandations. Ces deux derniers pays devraient même sortir du volet correctif du Pacte en 2016. L'Espagne présente, quant à elle, un risque de non-conformité.
Venons-en maintenant aux clauses de flexibilité contenues dans le Pacte de stabilité et de croissance.
Je vous ai présenté ici même, en mars dernier, les contours de la communication de la Commission européenne du 13 janvier 2015 sur ce sujet. Elle prévoit des clauses permettant de déroger, en partie et de façon encadrée, aux objectifs fixés dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Celles-ci visaient le changement de cycle économique, la mise en place de réformes structurelles ou la réalisation d'investissements. Deux États ont, depuis, souhaité bénéficier de ces dispositions, la Finlande et l'Italie. Seule cette dernière a été autorisée à en faire état. Dans le cas italien, c'est la clause de réforme structurelle qui a été actionnée.
La Commission européenne a présenté cette communication comme une lecture politique du Pacte. Cette position de la Commission européenne ne fait pas l'unanimité. Le Conseil a prévu de donner son avis en décembre sur l'application de cette communication. Il est pour l'heure divisé, l'Allemagne étant réservée sur l'absence de concertation préalable entre la Commission européenne et les États au moment de la parution de la communication, la France ou l'Italie étant, quant à elles, très favorables à ce nouveau dispositif. Des interrogations subsistent également quant à la façon d'évaluer les réformes structurelles ou sur les limites à apporter à l'application répétée des clauses de flexibilité. Le service juridique du Conseil a également jugé en avril dernier, que la clause « réforme structurelle » n'était pas assez précise. La Banque centrale européenne estime, de son côté, que seul un petit nombre de réformes structurelles ont des conséquences budgétaires à court terme. Elles s'avèrent, de surcroît, délicates à évaluer. L'utilisation de cette clause peut donc apparaître contreproductive. Son application doit, en tout cas, être claire, transparente, prudente et destinée à éviter tout abus.
Reste que cette question d'une lecture plus politique du Pacte de stabilité et de croissance prend une dimension particulière à l'aune de la crise migratoire et de la lutte contre le terrorisme.
Le règlement de 1997 qui met en place le Pacte de stabilité et de croissance estime que le dépassement du seuil des 3 % est considéré comme exceptionnel et temporaire, s'il résulte d'une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'État membre concerné. Celle-ci doit avoir des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques. Les traités prévoient également que la Commission européenne tienne compte de tous les autres facteurs pertinents pour l'appréciation du déficit public. Le Conseil européen a interprété en mars 2005 ces « facteurs pertinents ». Une attention particulière doit ainsi être portée aux efforts budgétaires visant à accroître ou à maintenir à un niveau élevé les contributions financières destinées à encourager la solidarité internationale et à réaliser des objectifs de la politique européenne. Ces deux objectifs peuvent recouper ceux visant la relocalisation des migrants ou la lutte contre le terrorisme.
Aux termes de l'examen des plans des budgets nationaux, la Commission européenne a jugé que les dépenses publiques liées à l'accueil des réfugiés répondent aux circonstances exceptionnelles définies par le Pacte de stabilité et de croissance. Leur montant ne devrait donc pas être intégré à l'évaluation des soldes budgétaires pour les années 2015 et 2016. Si l'écart constaté entre le déficit public et l'objectif budgétaire initialement prévu est inférieur ou égal à ce montant, l'État membre concerné ne sera pas visé par une éventuelle procédure. Cinq pays - l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Finlande et l'Italie - ont, d'ores et déjà, intégré cette donnée dans la présentation de leurs budgets.
Je laisse la parole à Fabienne Keller pour aborder la question de la lutte contre le terrorisme.
La lutte contre le terrorisme pourrait en effet devenir, comme l'aide aux migrants, une nouvelle clause de flexibilité du Pacte de stabilité et de croissance.
Comme vous le savez, à la suite des attentats de Paris du 13 novembre, le Président de la République a annoncé au Congrès la création de 8 500 nouveaux postes au sein de la gendarmerie, de la justice et des douanes. 6 500 suppressions de postes dans l'armée d'ici 2019 ont, par ailleurs, été gelées. Ces mesures font suite à celles déjà adoptées en avril 2015, où 18 500 suppressions de postes avaient été annulées. Dans ces conditions, le Président de la République a estimé que les engagements souscrits en matière de déficit public sont caducs et que la France ne pourrait pas réduire son déficit public en deçà de 3 % en 2017. Le « Pacte de sécurité » l'emporterait donc sur le Pacte de stabilité, selon la formule du Chef de l'État. Formule sur laquelle je voudrais émettre des réserves. Comme l'a souligné le directeur de l'Institut Jacques Delors il y a quelques jours, elle peut en effet laisser penser que l'Union européenne, pourrait vouloir empêcher la France d'assurer sa sécurité.
Quelle est justement la réponse de la Commission européenne à cette formule ?
Par le passé, les dépenses militaires n'ont jamais été intégrées par la Commission européenne dans la catégorie des dépenses relevant des « circonstances inhabituelles ». Le discours semble avoir changé cette année. Le président de la Commission européenne a estimé le 18 novembre dernier que « les dépenses de sécurité de la France devraient être exclues des calculs entrant dans le champ des règles de l'Union européenne sur les déficits ». Lors de la présentation des plans budgétaires nationaux, le 17 novembre, la Commission a jugé que l'impact financier de ces nouvelles mesures serait appréhendé de manière constructive et en temps voulu. Elle estimait cependant que ces nouvelles dépenses, dont elle n'avait pas encore connaissance, ne devraient pas infléchir considérablement la trajectoire des finances publiques françaises.
On ne saurait lui donner tort. Les mesures d'avril 2015 représentaient environ 3,8 milliards d'euros sur la période 2015-2019. Elles ont été intégrées dans le plan budgétaire transmis par la France à la Commission. Après les votes intervenus au Sénat au début de cette semaine, les dernières annonces de novembre sont, quant à elles, évaluées à 815 millions d'euros pour l'année 2016. Elles représentent environ 0,04 point de PIB au titre de l'exercice 2016, soit une hausse des dépenses budgétaires de l'État de seulement 0,13 %. On est loin d'une dérive des comptes publics, en tout cas, pas pour cette raison-là. Le ministre des finances en a d'ailleurs convenu devant nous, en estimant que le Pacte de stabilité serait respecté.
Il est indispensable que l'effort de guerre de la France soit soutenu au niveau européen, tant il participe de la sécurité de l'Union européenne. Reste que son financement par la dette, le pays étant en déficit, affaiblit indirectement la souveraineté de la France et pose question. Un soutien financier direct de l'Union européenne et des États membres serait sans doute plus adapté qu'une autorisation à dépenser plus. La lettre des ministres de l'économie allemand et français, Sigmar Gabriel et Emmanuel Macron, du 24 novembre dernier qui envisage la création d'un fonds franco-allemand dédié au financement de la lutte contre le terrorisme et du contrôle des migrations est incontestablement une piste à suivre. La lettre esquisse une dotation initiale de 10 milliards d'euros et prévoit que le fonds soit ouvert à tous les États membres volontaires.
La Commission européenne a présenté, de son côté, le 19 octobre un projet de budget rectificatif pour 2015 prévoyant une diminution du montant global des contributions nationales au budget de l'Union européenne de 9,4 milliards d'euros. Pour la France, il s'agit d'une économie de 1,453 milliard d'euros. Lors du vote sur ce texte le 25 novembre dernier, le Parlement européen a souhaité que le montant de cette réduction soit affecté au financement de l'aide humanitaire à destination des réfugiés.
Je vous propose qu'on approfondisse ces points dans les prochaines semaines.
J'en viens maintenant à l'examen du plan budgétaire français.
Nous nous étions inquiétés, ici même, en mars dernier de la position de notre pays à l'égard de ses partenaires. Il nous semblait fragilisé par son incapacité à répondre à l'objectif de réduction de son déficit public auquel il avait pourtant préalablement souscrit.
La recommandation adressée à la France, le 10 mars 2015, par le Conseil a permis un nouveau report du délai de correction du déficit excessif de 2015 à 2017. Afin d'atteindre cet objectif, le texte prévoit un déficit public de 4 % du PIB en 2015, 3,4 % en 2016 et 2,8 % du PIB en 2017. Une telle trajectoire pouvait être respectée si le déficit structurel - c'est-à-dire hors effets de la conjoncture - était réduit de 0,5 % du PIB en 2015, 0,8 % du PIB en 2016 puis 0,9 % l'année suivante, nécessitant un effort d'ajustement de 75 milliards d'euros.
Le plan budgétaire transmis par le Gouvernement français tablait, le 15 octobre, sur un déficit public ramené à 3,8 % du PIB en et 3,3 % en 2016. Ces chiffres répondent pour partie aux prévisions de la Commission européenne. Les projections de croissance convergent également : autour de 1 % en 2015 puis 1,5 % en 2016. L'écart sur l'endettement public est plus sensible : 96,5 % du PIB en 2016 pour le gouvernement et 97,1 % du PIB pour la Commission européenne. Le pays est, dans ces conditions, « globalement en conformité » avec les objectifs de la recommandation.
L'avis du Haut conseil des finances publiques, obligatoire dans le cadre de l'application du « two pack », confirme la plausibilité des projections du Gouvernement tout en restant nuancé : l'estimation de la croissance en 2016 ne lui paraît pas prudente et le ralentissement prévu des dépenses publiques lui apparaît ambitieux.
Au-delà des chiffres convergents sur le déficit public en 2015 et 2016, la Commission, se montre, de son côté, sceptique sur le respect par la France des objectifs en 2017. Elle émet plusieurs réserves, considérant que la conjoncture favorable - baisse des taux d'intérêts et ralentissement de l'inflation - n'a pas été mise au service de l'amélioration du solde structurel. Elle relève à cet effet que la trajectoire assignée en la matière en mars 2015 ne sera pas respectée. Le déficit structurel devrait être réduit de 0,1 % en 2015 et 0,3 % en 2016. L'effort structurel attendu de 0,5 % du PIB en 2015 a quant à lui été revu à la baisse par la Commission européenne. Le Gouvernement intégrait en effet dans son calcul la mise aux enchères de licences 4G, considérées à juste titre comme des mesures ponctuelles par la Commission européenne. L'effort budgétaire est donc considéré comme largement inférieur à celui recommandé. La stratégie budgétaire du Gouvernement lui semble tributaire de la conjoncture économique et non des efforts structurels accomplis. La Commission européenne salue néanmoins la réforme territoriale, porteuse d'économies substantielles, le pacte de responsabilité et de solidarité ou la réforme des régimes de retraite complémentaire. Elle regrette cependant la faiblesse des efforts déployés pour simplifier le régime fiscal et améliorer son efficacité.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le déficit budgétaire attendu par la Commission européenne en 2017 atteigne 3,3 % du PIB et non les 2,8 % estimés par le Gouvernement. Ce qui peut laisser songeur quant à la formule « globalement en conformité ». Ce chiffre n'intègre pas le nouvel « effort de guerre » français. Il y a fort à craindre qu'en 2017 la France soit, avec l'Espagne, le seul pays de la zone euro dont le déficit public sera supérieur à 3 %.
Je vous rappelle pour conclure que le Gouvernement devra présenter un rapport sur l'état d'avancement des réformes le 10 décembre prochain devant le Comité économique et financier. Celui-ci est composé des représentants des États membres de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne. La France reste donc sous la surveillance étroite de ses pairs et des institutions européennes.
Merci. Ce sujet est éminemment important. Je retiens la nécessité d'un ajustement de 75 milliards d'euros pour sortir du volet correctif. Attendons désormais d'analyser le rapport présenté au Comité économique et financier sur l'effet des réformes structurelles annoncées. Les conditions macroéconomiques sont pour l'heure assez exceptionnelles, avec des taux et des prix des matières premières très bas. Si les taux remontaient, ce qui arrivera tôt ou tard, et que les marchés se crispaient, notre situation financière pourrait être encore plus délicate.
Merci pour ces rapports. Je note que la France respecte les procédures de l'Union européenne. Je n'entrerai pas ici dans un débat de politique nationale...
Et c'est la tradition de notre commission, qu'il faut préserver... N'ayons pas la religion des 3 %. Ce qui est important, c'est la croissance, la lutte contre le chômage des jeunes. Depuis trois ans, l'Union européenne s'est réorientée vers la croissance et l'emploi, délaissant l'autel de la rigueur budgétaire - non de la discipline, qui est nécessaire. La France a joué un rôle moteur avec l'Italie dans ce débat, en prônant - au-delà des sensibilités politiques, puisque l'Espagne a été dans le même sens - une lecture plus politique et plus prospective du Pacte de stabilité et de croissance. Il s'agit d'éviter que le fossé se creuse entre les citoyens et l'Union européenne. Ce à quoi nous assistons.
Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance continue à se mettre en place. Je souhaite qu'on approfondisse encore la coopération dans la zone euro en y associant davantage les parlements nationaux. François Marc a participé avec Michèle André à la réunion à Luxembourg de la conférence interparlementaire sur l'article 13 qui donne une voix aux parlements nationaux sur les questions budgétaires. On peut être critique sur la mise en oeuvre de cet article, mais il a fallu se battre pour l'obtenir. Le Parlement européen considère qu'il n'y a de politique européenne que de lui. Or les traités, dont celui de Lisbonne, donnent une place importante aux parlements nationaux. Le sujet a été décliné dans notre Constitution, aux articles 88-4 et 88-6 - et l'existence de notre commission a été consacrée.
Il faut coordonner les politiques budgétaires de l'Union européenne et encourager une intégration plus importante. Le rôle des parlements nationaux dans le domaine budgétaire est indéniable. Tout approfondissement de la gouvernance économique de la zone euro implique qu'ils y aient un rôle à jouer.
Fabienne Keller a évoqué l'éventuelle création d'un fonds franco-allemand de lutte contre le terrorisme. Pourquoi franco-allemand ? Le terrorisme concerne tout le monde...
La réduction des déficits budgétaires n'est pas une religion mais une nécessité. Si le déficit rend service à court terme, c'est mauvais à moyen terme. Nous finirions comme la Grèce. On ne peut pas vivre éternellement à crédit.
Je suis convaincu qu'il n'est pas possible de mener une politique économique et budgétaire sans politique monétaire cohérente et inversement. La question d'une Europe à plusieurs vitesses est posée.
Je partage cette analyse, c'est tout le débat sur la coordination des politiques économiques, avec, pour objectif, de renforcer la convergence. On a placé beaucoup d'espoirs dans le plan Juncker, dont les 315 milliards d'euros se font attendre. Je trouve Fabienne Keller un peu décliniste... Pour 2016, l'avis du Haut conseil est assez positif en termes de croissance et de déficit.
Le critère du déficit structurel peut apparaître difficile à saisir. Seul François Marc au Sénat en comprend les subtilités ! L'une des difficultés actuelles tient à ce que la politique monétaire de la BCE n'a pas d'effet sur l'inflation, ce qui a des répercussions sur notre politique budgétaire en réduisant les recettes fiscales. L'inflation est quasi nulle alors que l'objectif de la BCE est de 2 %. Elle doit annoncer de nouvelles mesures pour dynamiser les prix.
En clin d'oeil à Richard Yung : le déficit structurel, c'est ce qu'il reste quand on retire le déficit conjoncturel...
Malheureusement avec quelques nuances... La définition que donnent la BCE ou la Commission européenne d'une réforme structurelle diffère de la nôtre. La discussion est ouverte, les choses s'ajusteront d'ici quelques semaines.
J'ai été frappé, lors de la conférence interparlementaire de Luxembourg à laquelle j'ai participé avec Michèle André, de la convergence de beaucoup de participants, représentants des parlements nationaux, sur certains sujets tels que la fraude fiscale, et sur la nécessité d'avancer vite, même si les Néerlandais, les Danois - et les Anglais, bien sûr - ont fait part de leurs réticences. J'ai été plutôt rassuré de voir qu'il n'y avait pas d'un côté les députés européens, favorables à une plus grande intégration, et de l'autre des parlementaires nationaux conservateurs, voire nationalistes. La volonté est partagée avec les Autrichiens, les Allemands, les Italiens d'avancer, de trouver les voies vertueuses pour redresser l'édifice européen et améliorer sa gouvernance.
La question de la gouvernance restera difficile tant que tous les pays ne seront pas dans la logique de l'euro. Il est assez inconvenant de la part de ceux qui ne la partagent pas de venir expliquer quelle politique budgétaire il faut mener...
Je ne suis pas décliniste mais réaliste. Les taux d'intérêt sont incroyablement bas, les contributions au budget européen en baisse, les hydrocarbures ne coûtent rien... Nombre de facteurs sont favorables et le résultat est moins bon que planifié. L'économie française a la capacité d'absorber les bonnes nouvelles sans le moindre effet. Les réformes supposées générer des économies ne sont pas très documentées. On ne voit pas les économies, sauf pour les collectivités territoriales.
Ce que dit Pascal Allizard est très juste. On doit gérer le double niveau - zone euro, Union européenne - et travailler à une meilleure coordination. La volonté de construire des politiques économiques communes à la zone euro est actuellement une réalité politique.
Michel Raison pointe à juste titre le fait que le fonds est franco-allemand. Le cas est singulier : deux ministres européens s'adressent au Président de la République et à la Chancelière, tout en invitant les autres États membres à les rejoindre. Cette initiative de l'axe franco-allemand est politiquement forte. Il s'agit de répondre financièrement aux questions du contrôle des frontières extérieures, de la sécurité, de l'accueil des réfugiés. C'est politiquement puissant, même si ce n'est pas très institutionnel. J'espère que beaucoup de pays européens rejoindront cette démarche, menée par deux pays qui ne sont pas des pays d'entrée des migrants, dans un geste de solidarité.
La religion des 3 % ? La maîtrise des dépenses publiques est stratégique pour éviter un niveau de prélèvements qui freine le développement de l'économie et de l'emploi. Le Royaume-Uni suit un autre modèle, très libéral. Il est vrai que leur déficit est élevé, mais ils s'y attaquent avec énergie. En France, il n'est pas possible de maintenir le fonctionnement coûteux d'une machine non productive qui ne crée pas d'emploi. Il ne faut pas se libérer trop rapidement de cet effort sur la dépense publique, qui favorise une économie davantage créatrice d'emplois.
Je rejoins Fabienne Keller sur l'initiative franco-allemande. Les deux ministres de l'économie ont considéré qu'un pilier majeur de l'Union européenne, la libre circulation, était en péril. Leur initiative d'écrire au Président de la République et à la Chancelière est bienvenue.
Notre travail montre que la situation de la France est plutôt positive. L'an dernier, nous nous demandions si un projet de loi de finances rectificative ne serait pas nécessaire pour répondre aux recommandations à venir de Bruxelles ; nous avons pu nous en passer. L'Union européenne s'est montrée conciliante. Les résultats du dialogue entre la France et ses partenaires sont donc encourageants. Reste à poursuivre les efforts.
Je me souviens de M. Schäuble disant qu'il ne fallait pas trop taper sur les doigts d'un grand pays comme la France. Nous pouvons nous réjouir de la tendance, mais des efforts restent à faire. Nous traînons le péché originel et permanent de la mauvaise construction de l'union économique et monétaire, d'une union monétaire sans union économique.
On ne sent pas, chez les Allemands, un empressement à converger ; peut-être sentent-ils que les Français sont encore moins empressés....
Je serai présent à la réception par le président Larcher de l'ambassadeur d'Allemagne ; si des éléments d'information apparaissent sur le fonds franco-allemand, je vous en informerai.
La nécessité d'une coopération renforcée dans la zone euro se fait sentir. Je suis moins expert que Richard Yung sur la BCE, mais j'ai toujours été sceptique et considéré que la politique du quantitative easing avait été un peu tardive.
Et nous n'en voyons guère les effets, sinon pour certaines entreprises internationales exportatrices, le cours de l'euro ayant baissé de près de 30 %. La BCE court derrière la Fed, avec des achats à hauteur de 60 milliards d'euros par mois, mais l'inflation ne reprend pas...
Nous attendons avec intérêt l'analyse du Comité économique et financier sur l'avancement des réformes. Fabienne Keller et François Marc nous en rendront compte.
Nous avons été saisis d'un texte sur les ressources halieutiques. Ce texte pose en particulier la question des conditions de la pêche au bar. Il y a là un enjeu important pour la préservation de la ressource mais aussi pour l'activité de pêche qu'il convient de préserver.
Si vous en êtes d'accord, je vous proposerai une proposition de résolution européenne lors de notre prochaine réunion.
La réunion est levée à 10 h 35.