Nous avons le plaisir de recevoir Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, qui est déjà venu s'exprimer devant notre commission au sujet des grandes évolutions de la fiscalité internationale, comme l'échange automatique d'informations et la lutte contre les paradis fiscaux.
Le 7 juin 2017, à Paris, 67 pays ont signé la nouvelle convention multilatérale de l'OCDE pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Il s'agit d'une nouvelle étape de la mise en oeuvre du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices), et donc d'une avancée importante dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales. Il était important que Pascal Saint-Amans vienne la présenter aussi vite que possible.
En effet, cet instrument multilatéral est un outil novateur, qui vise à corriger, en une seule fois, les failles des quelque 1 105 conventions fiscales bilatérales existantes entre les pays signataires, sans que chacune d'entre elles doive être renégociée, ce qui constituerait un chantier fastidieux et incertain, susceptible de durer des décennies.
Plus précisément, l'instrument multilatéral vise à traduire dans le droit positif les préconisations du plan BEPS dans quatre domaines : la lutte contre le « chalandage fiscal », ou « treaty shopping » ; l'encadrement des produits hybrides ; la définition de l'établissement stable ; l'amélioration des procédures de règlement des différends.
S'il faut d'emblée saluer l'ambition manifestée par l'OCDE et les pays signataires à travers cet accord, il faut aussi constater que de nombreuses questions se posent encore à ce stade, à commencer par la portée effective de cet instrument, qui laisse en réalité une marge de manoeuvre importante aux États - du moins pour ceux d'entre eux qui l'ont signé. Je cède donc la parole à Pascal Saint-Amans, qui nous présentera la genèse et le contexte de ce texte, son contenu précis et les grands enjeux des prochains mois.
Avant d'entrer dans le détail de la convention multilatérale, qui sera soumise à la ratification du Parlement et dont vous aurez donc à connaître assez rapidement, je vous propose de la resituer dans son contexte, qui est celui du plan d'actions BEPS, dont j'ai eu l'occasion de vous présenter le contenu à plusieurs reprises au cours des trois dernières années.
Les choses ont commencé en 2012, lorsque le G20 a demandé à l'OCDE de modifier les règles de la fiscalité internationale pour réaligner la localisation des profits des entreprises avec celle de leurs activités - autrement dit, de mettre fin à ce que d'aucuns appellent les « paradis fiscaux ».
Sur les quinze « actions » adoptées dans le cadre du projet BEPS, trois étaient liées à la modification des conventions fiscales. Je rappelle que celles-ci sont des conventions bilatérales, inspirées d'un modèle de convention initialement développé par la Société des Nations en 1928. Ce modèle a été actualisé, de manière régulière, mais somme toute marginale, par l'OCDE et par l'ONU. Il n'a qu'une valeur de législation « molle », mais les États peuvent s'en inspirer lorsqu'ils négocient des instruments de droit contraignant.
Modifier le modèle de convention à la suite des travaux réalisés dans le cadre du projet BEPS posait une difficulté : les pays auraient dû renégocier une à une toutes leurs conventions fiscales bilatérales. Or la France est par exemple liée à ses partenaires par environ 120 conventions fiscales, et on dénombre au total plus de 3 500 conventions fiscales bilatérales dans le monde.
Aujourd'hui, les travaux BEPS ont été reconnus et endossés par 100 pays. Nous avons constitué un « cadre inclusif », au sein de l'OCDE, le « comité des affaires fiscales », qui regroupe 100 pays, sur un pied d'égalité, qu'ils soient ou non membres de l'Organisation. La dimension de l'OCDE en matière fiscale en sort totalement changée : 100 pays qui se mettent d'accord, c'est quelque 2 000 conventions bilatérales concernées... Un pays ne pouvant guère modifier plus de six à sept conventions par an, même en y consacrant de nombreux moyens, la France mettrait de vingt à trente ans à modifier l'ensemble de ses conventions ! Il est clair que, durant cet intervalle, toutes les lacunes que nous avons identifiées dans les conventions fiscales seraient utilisées à des fins de planification fiscale agressive.
Au travers de l'action 15 du plan BEPS, nous avions donc proposé d'explorer la possibilité de modifier les conventions fiscales bilatérales au moyen d'un instrument multilatéral devant être ratifié par les Parlements. Une étude de faisabilité a été réalisée à ce sujet et, en novembre 2015, lors de la présentation des conclusions du projet BEPS aux chefs d'État et de gouvernement du G20 à Antalya, nous avons conclu que cela était possible. Au cours de l'année 2016, nous avons donc réuni une conférence internationale, appelée « Groupe ad hoc », qui comprenait 102 pays et juridictions, afin de négocier cet instrument multilatéral.
En premier lieu, l'instrument multilatéral vise à modifier les conventions bilatérales de manière à mettre un terme à leurs lacunes qui facilitent l'évasion fiscale internationale. Tous les pays se sont engagés à appliquer un « standard minimum », fondé sur le principe que les conventions fiscales doivent être réparées pour mettre fin à leur utilisation abusive, le treaty shopping.
Par exemple, les investisseurs français qui veulent investir en Inde passent tous par l'île Maurice aujourd'hui, ce qui est contraire à l'esprit à des conventions, mais non à leur lettre. Ce phénomène est massif, puisque 27 % des investissements directs réalisés en Inde depuis l'ensemble du monde transitent aujourd'hui par l'île Maurice. De fait, la convention fiscale entre l'Inde et l'île Maurice, conçue à l'époque où le pays n'était pas encore devenu un centre financier et dont l'économie se limitait à la canne à sucre et au textile, prévoit qu'il n'y a pas de retenue à la source ni d'imposition en Inde sur les revenus passifs qui y sont réalisés par des étrangers. Ainsi, une entreprise constituée à l'île Maurice pour investir en Inde, une global business company (GBC), ne sera pas taxée sur ses revenus réalisés en Inde et « remontés » vers l'île Maurice. La convention fiscale entre l'île Maurice et la France, quant à elle, prévoit que ces mêmes revenus ne sont taxables qu'à l'île Maurice - où, comme par hasard, ceux-ci ne sont pas taxés. Il en résulte qu'une entreprise française désirant investir en Inde, au lieu d'investir directement, ce qui donnerait lieu à la fois à une retenue à la source en Inde et à une imposition en France (avec élimination de la double imposition par l'application d'un crédit d'impôt égal à l'impôt déjà payé en Inde), est incitée à passer par l'île Maurice, ce qui lui permet d'échapper à la fois à la retenue à la source indienne et à l'imposition en France. Ce montage aboutit donc à une situation de double non-imposition. Il faut dire que les principes conventions fiscales ont été conçus voilà à peu près un siècle, alors que l'inventivité des juristes n'était pas aussi puissante qu'aujourd'hui.
Il est assez facile de résoudre ce problème. Pour ce faire, deux options figurent dans l'instrument multilatéral. Premièrement, l'introduction d'une clause de « limitation des avantages » (LOB, limitation of benefits) dans toutes les conventions fiscales, qui permet de n'accorder les avantages de celles-ci qu'à hauteur des intérêts détenus par les personnes qui contrôlent la chaîne de société en bout de chaîne - ainsi, l'Inde n'accorderait les bénéfices de sa convention fiscale qu'aux investisseurs effectivement établis à l'île Maurice, et non à ceux qui sont in fine établis en France. La seconde option et l'introduction d'une clause permettant d'écarter les montages à but principalement fiscal (COP, critère des objets principaux) - ainsi, le bénéfice de la convention fiscale entre l'Inde et l'île Maurice pourrait être refusé dès lors qu'il est démontré que le recours à une société mauricienne obéit à un but principalement fiscal, ce qui est relativement aisé.
Il ne s'agit que d'un exemple - je ne veux pas accabler l'île Maurice, qui d'ailleurs devrait signer l'instrument multilatéral vendredi prochain. Le phénomène est industriel. Ainsi, aux Pays-Bas, selon les chiffres officiels du gouvernement néerlandais, entre 8 000 et 12 000 avocats fiscalistes vivent exclusivement du treaty shopping ! Conséquence directe, les flux d'investissements directs étrangers (IDE), entrants comme sortants, atteignent trois fois le volume du PIB du pays : il s'agit bien d'un pays de « passage », caractéristique du treaty shopping.
Nous savions donc comment « réparer » les conventions fiscales. Encore fallait-il que tout le monde se mette d'accord, et que la convention soit signée par tous les pays massivement utilisés à des fins de treaty shopping. Or si le phénomène est important, le nombre de pays massivement utilités à cette fin est limité - l'île Maurice, les Seychelles, le Luxembourg, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, la Barbade, Singapour, et Hong Kong, des juridictions dont certaines comptent parmi les places financières d'envergure.
Cette stipulation relative à l'utilisation abusive des conventions fiscales est la plus fondamentale des stipulations de « substance fiscale » de la convention. Les autres dispositions de substance sont, par comparaison, de bien moindre importance.
La deuxième concerne la définition de l'« établissement stable » : à partir de quand une entreprise qui exerce des activités sur un autre territoire devient-elle taxable sur celui-ci, sans pour autant y être incorporée ? La définition de l'établissement stable, telle qu'elle existe dans le modèle de convention fiscale actuel, est dépassée, car elle permet des schémas agressifs, comme la transformation d'un « distributeur » (dont la marge est en général de 15 % à 20 %) en un simple « commissionnaire » (dont la marge peut être réduite à 2 % à 3 %), qui peut faire s'évaporer des milliards d'euros en une nuit, par un simple changement contractuel avec l'entreprise mère, souvent établie aux Pays-Bas. Toutes les administrations fiscales qui ont engagé des redressements sur ce fondement ont perdu devant les tribunaux, les conventions fiscales n'interdisant nullement la transformation d'un distributeur en commissionnaire. Nous avons proposé, dans le cadre du plan BEPS, de réparer les conventions pour mettre un terme à ce phénomène, ce qui sur le plan juridique n'était pas très compliqué.
S'agissant toujours de l'établissement stable, nous avons également prévu l'introduction dans les conventions fiscales d'une clause permettant de lutter contre le fractionnement abusif. De fait, dans un modèle économique comme celui d'Amazon, le stockage est séparé de la livraison, elle-même séparée du comptage... Or la réunion des trois activités ne permet pas pour autant d'aboutir à la qualification d'établissement stable sur le plan juridique. En réalité, pourtant, ce n'est pas parce que les activités sont fractionnées dans différents endroits ou de différentes manières qu'elles ne forment pas, ensemble, un établissement stable.
Troisièmement, nous avons introduit dans la convention multilatérale une stipulation relative à la neutralisation des produits dits « hybrides ». Tous les pays ne sont pas obligés d'utiliser cette stipulation, certains d'entre eux disposant d'un équivalent interne en vertu de leur ordre constitutionnel ou législatif. D'autres en avaient besoin. De manière schématique, un produit hybride est une obligation convertible en actions. Par exemple, si une entreprise française qui investit en Italie prête à sa filiale italienne un tel produit hybride, celui-ci sera regardé comme une obligation en Italie et une action en France : il pourra donc être déduit de l'impôt en Italie au titre des charges déductibles, alors même que son dividende sera exonéré en France, en application de la directive mère-fille. Dans le cadre de l'action 2 du projet BEPS, nous avons proposé une modification législative, qui a déjà été adoptée par la France, où le problème ne se pose plus. Dans certains pays, cette modification doit être validée par les conventions fiscales.
Enfin, et c'est une stipulation favorable aux entreprises, l'instrument multilatéral améliore les processus d'élimination des doubles impositions en cas de conflit entre deux États. Les États sont, de fait, particulièrement médiocres dans l'élimination des doubles impositions, les conventions fiscales n'ayant pas instauré de procédure très efficace en la matière, et ces procédures étant fort mal mises en oeuvre. Nous avons là encore réparé les conventions fiscales pour les rendre plus efficaces sur cet aspect, et nous organisons actuellement un « examen par les pairs » pour nous assurer que les pratiques des administrations fiscales évoluent. De fait, l'évolution est assez massive.
Voici en quelques mots ce que contiennent ces clauses qui visent à « réparer » les conventions fiscales. Mais comment faire, sur le plan juridique, pour qu'un instrument multilatéral puisse modifier les conventions fiscales bilatérales existantes ? Nous ne pouvions nous appuyer sur aucun précédent.
En 2016, le Groupe ad hoc a conçu le mécanisme multilatéral à même de modifier les conventions fiscales bilatérales. Si la lecture en est assez rébarbative, ce mécanisme n'est pas si complexe. Comme nous l'avions prévu, il a été adopté après un an de négociations, et la convention multilatérale, qui prévoit des clauses d'opt in et d'opt out, a été mise à la signature des parties en décembre 2016. Le 7 juin dernier, 67 États, couvrant 68 territoires, ont signé la convention - la différence tient à ce que la signature est ouverte aux seuls États, mais la Chine en a étendu le bénéfice à Hong Kong, avec l'accord de toutes les autres parties. Cette extension était très importante, puisque Hong Kong peut être utilisé à des fins de treaty shopping.
Le mécanisme juridique implique que chaque pays nomme les conventions fiscales qu'il entend voir modifiées par l'instrument multilatéral et qu'il décide, convention par convention, pays par pays, les stipulations qui doivent être activées. Par exemple, la France a désigné un nombre important de pays, soit 88 pays sur les 128 avec lesquels elle est liée par une convention bilatérale, sachant que 62 partenaires de la France sont également signataires de la convention multilatérale.
La France a une conception très large de la convention. Elle a émis assez peu de réserves, si ce n'est, pour une faible part, sur les dispositions relatives à l'établissement stable, et, en partie également, sur celles qui concernent les produits hybrides, dont notre pays n'a pas besoin puisqu'elles existent en droit interne.
Nous avons organisé, avant la signature de la convention, des rencontres rapides, de type speed dating, entre les différents pays, de manière que les États puissent étudier les stipulations qu'ils actionneront bilatéralement.
Une fois signé, l'instrument multilatéral doit être soumis à la ratification des parlements nationaux. Les pays devront alors arrêter la liste de leurs réserves. La liste établie lors de la signature n'est donc qu'indicative : elle peut être modifiée jusqu'à la ratification de l'accord. Cette précision est importante, car un certain nombre de pays partenaires de la France qui ont exposé des réserves, notamment sur la définition de l'établissement stable, sont susceptibles de les lever avant la ratification. Il est également possible, et même plus que vraisemblable, que la convention multilatérale soit signée par un certain nombre d'autres pays.
Nous sommes donc en présence d'un instrument vivant, dynamique, qui devrait modifier les conventions fiscales et, demain, protéger la France de l'utilisation abusive de leurs stipulations. En effet, plus le réseau de conventions d'un pays est large, plus celui-ci est exposé au risque que ses conventions fassent l'objet de treaty shopping.
La convention multilatérale est un instrument innovant, qui nous épargne vingt ans de négociations, beaucoup de ressources et d'énergie et de nombreuses ratifications. Elle intéresse en cela de nombreuses organisations internationales, qui souhaiteraient pouvoir modifier des conventions bilatérales en une fois. De fait, pourquoi renvoyer à des négociations bilatérales quand tout le monde se met d'accord sur un point ?
Tel est l'état des lieux. Nous nous tiendrons à votre disposition pour répondre à toutes vos questions et vous indiquer, pour chaque pays, les réserves qui ont été émises. D'ici à dix jours, nous aurons achevé le développement d'un système d'information qui permettra de vérifier très facilement quel est le droit applicable - c'est-à-dire quelles stipulations ont été activées de façon bilatérale via cet instrument multilatéral - entre la France et n'importe lequel de ses partenaires. Ce système permettra d'accroître considérablement la lisibilité de l'instrument.
Cet instrument multilatéral constitue une avancée considérable pour lutter contre les politiques d'optimisation fiscale. Le bureau de la commission des finances s'est rendu aux États-Unis en 2013 pour discuter de la loi FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act. Nous mesurons aujourd'hui combien les choses ont évolué. Le travail de l'OCDE y est assurément pour beaucoup.
Il n'en demeure pas moins que l'intervention des États-Unis a sans nul doute eu un impact considérable pour les progrès de l'échange automatique d'informations. Avec la loi FATCA, ils ont su faire évoluer la position de la Suisse et de ses banques, et aujourd'hui, les établissements financiers du monde entier transmettent à l'Internal Revenue Service (IRS) les informations dont ils disposent - mais sur les seuls contribuables américains et non sur ceux des autres États, la loi FATCA ne reposant pas sur la réciprocité complète.
De même, les États-Unis n'ont pas signé l'accord de 2016 sur le reporting pays par pays. Aujourd'hui, à nouveau, les États-Unis ne semblent pas vouloir adopter cet instrument multilatéral. Dès lors, comment donner sa pleine portée à l'instrument multilatéral dès lors que la première puissance économique mondiale décide de rester à l'écart ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les principales réserves émises par les différents États ? Avez-vous pu dégager des tendances, sinon une typologie ? Sont-elles purement techniques ou portent-elles sur le fond ? La France a également exprimé plusieurs réserves, sur lesquelles nous aimerions vous entendre.
Notre commission s'intéresse beaucoup à la question de l'optimisation fiscale des multinationales, notamment des géants de l'Internet. Cet instrument permettra d'éviter un certain nombre d'abus relatifs à la notion d'établissement stable, mais n'apporte pas une réponse parfaite au problème car il ne modifie pas la notion même d'établissement stable pour prendre en compte l'économie numérique. En France, un certain nombre de contrôles et de perquisitions fiscales ont été menés au sein de quelques grandes entreprises, notamment les GAFA - Google, Apple, Facebook, Amazon. Les contentieux témoignent de la difficulté rencontrée pour démontrer la présence d'un établissement stable, alors même que ces entreprises réalisent un chiffre d'affaires considérable dans notre pays. Certaines de ces entreprises refusent de répondre aux courriers de l'administration fiscale, estimant que leur siège ne se situe pas en France. Quelles avancées sur ces questions peut-on attendre de ce nouvel instrument ?
La Suisse a annoncé son intention de remettre en cause l'échange automatique de renseignements avec la France, et de ne pas appliquer non plus l'instrument multilatéral à la France. Comment expliquer ce choix, par ailleurs opéré par d'autres pays, tels que les Seychelles ?
Encore une fois, je tiens à saluer le travail de l'OCDE. Voilà seulement quelques années, nous n'aurions pas osé envisager l'échange automatique de renseignements en matière fiscale. Nous avons assisté à une vraie révolution, mais il faut prendre garde : l'imagination est toujours au pouvoir quand il s'agit d'échapper à l'imposition.
De nombreuses juridictions longtemps considérées comme opaques ou peu coopératives - Jersey, Guernesey, Malte, Maurice, les Seychelles... - ont signé ou annoncé leur intention de signer l'instrument multilatéral. Cela ne peut-il s'interpréter comme le signe de sa faiblesse ? Les réserves posées par certains États ne risquent-elles pas également d'affaiblir cet instrument ?
Les États-Unis ne sont pas signataires de la convention multilatérale. Je souligne que cette décision a été prise par l'administration Obama, et n'a pas été remise en cause par l'administration Trump. Cela remet-il en cause la portée de cet accord ? Non, car les États-Unis, à la différence de la France, ont un réseau conventionnel robuste et par construction protégé du treaty shopping.
En effet, toutes leurs conventions fiscales bilatérales incluent des stipulations de limitation of benefits, ou limitation des avantages, permettant d'éviter les abus. Le fait que les États-Unis signent ou non cet instrument ne change rien à cet égard : ils n'ont pas besoin de le signer pour satisfaire aux standards minimum. Et en ne le signant pas, ils ne fragilisent pas les conventions fiscales des autres pays.
Par ailleurs, à la différence de la France, les États-Unis n'ont pas conclu de convention avec des juridictions très attractives n'ayant pas de fiscalité. La France a, quant à elle, conclu des conventions fiscales avec les pays du Golfe. Ces conventions fiscales ont été conclues pour de nombreuses raisons, mais certainement pas à des fins d'élimination des doubles impositions, puisqu'il ne peut y avoir de double imposition dans ce cas précis. Or le fait qu'un État dispose d'une convention fiscale avec un autre État qui ne taxe pas constitue en soi une incitation à l'évasion fiscale. Il fallait donc « réparer » ce type de conventions, que les États-Unis ne connaissent pas.
Il est vrai, toutefois, que les États-Unis auraient pu jouer un rôle utile dans la modification de la définition de l'établissement stable, notamment pour lutter contre les montages caractéristiques des entreprises de l'économie numérique, qui peuvent être très présentes dans un État au plan commercial, sans réelle présence physique. Néanmoins, dans les schémas les plus connus, la question de la définition de l'établissement stable ne se pose pas entre la France et les États-Unis, mais plutôt entre la France et un autre État européen qui vient s'interposer. Or ces autres États européens sont signataires de la convention - même si, s'agissant spécifiquement de la définition d'établissement stable, les réserves exprimées sont variables.
Sur ce point, la France a retenu les trois modifications proposées, c'est-à-dire à peu près l'ensemble de la nouvelle définition de l'établissement stable. Il s'agit d'une attitude très positive dont on ne peut que se féliciter. Tel n'est pas le cas de tout le monde : la convention fiscale entre la France et l'Irlande, par exemple, ne sera pas modifiée en ce qui concerne la définition de l'établissement stable, ce qui constitue une faiblesse pour lutter contre les comportements fiscaux agressifs, notamment ceux de certaines entreprises numériques. La faiblesse ne porte donc pas tant sur l'absence des États-Unis que sur le refus de certains pays européens de modifier leur définition de l'établissement stable.
S'agissant des réserves, la France applique la définition de l'établissement stable telle qu'elle résulte de l'action 7 du plan d'action. Elle applique également le standard minimum en matière d'abus des conventions fiscales et va même au-delà sur certains aspects.
Sa législation interne étant suffisamment protectrice, la France n'applique aucune des clauses relatives aux produits hybrides.
La France applique le standard minimum pour améliorer les procédures amiables, et permet notamment au contribuable d'engager une telle procédure dans n'importe lequel des deux États en cause. Auparavant, il ne pouvait s'agir que de l'État où le redressement avait eu lieu.
La France, enfin, a opté pour une clause d'arbitrage lorsqu'une procédure amiable ne se conclut pas dans un délai raisonnable de deux ans. Elle a émis quatre réserves sur ce dernier point, notamment en cas d'absence de double imposition, ou lorsque des procédures criminelles sont en cours.
La France a donc une approche très positive et très constructive de la convention, ce qui est d'autant plus nécessaire qu'elle dispose d'un très large réseau conventionnel.
La Suisse présente des spécificités liées à son système de démocratie directe. Il n'est pas seulement question de réticence à lutter contre la fraude ou l'évasion fiscales internationales. Son interprétation de cette convention multilatérale l'oblige à ne signer qu'avec les partenaires ayant donné leur accord, avant ratification, à l'élaboration d'un texte consolidé.
Nous pensons que les outils pratiques que nous avons développés, et qui seront bientôt disponibles, rendent inutile l'élaboration de textes consolidés pour assurer la lisibilité - qui est une exigence constitutionnelle - de ces conventions. Il faudra lire les conventions fiscales bilatérales à la lumière de l'instrument multilatéral. La Suisse a préféré exiger, pour assurer cette lisibilité, une convention consolidée avec chacun des partenaires. Certains ont répondu négativement. Les Suisses ont pris l'engagement de modifier toutes leurs conventions pour se mettre en accord avec le standard minimum. Ils en sont environ à une vingtaine de conventions modifiées, ce qui n'est pas si mal.
La signature de cet instrument par des paradis fiscaux est une excellente nouvelle. Il ne s'agit aucunement d'une faiblesse. Cet instrument vise à lutter contre l'évasion fiscale. Il est donc impératif de réunit tous les territoires, notamment ceux pouvant favoriser l'évasion fiscale, dès lors qu'ils ont signé des conventions fiscales.
En général, les pays sans fiscalité n'ont pas de convention fiscale, sauf avec la France ou avec un nombre très restreint de pays. Il suffit de la présence d'un seul pour courir des risques de treaty shopping. Il est impératif que Maurice nous rejoigne très vite, de même que la Barbade, Jersey ou les Émirats arabes unis. Une vingtaine de pays se sont ainsi engagés à signer cette convention, notamment tous les treaty shopping hubs.
Sachez enfin que les ministres des finances du G20, réunis à Baden-Baden en mars 2017, ont mandaté l'OCDE pour produire un nouveau rapport sur manière de taxer l'économie numérique, ce que les chefs d'État et de gouvernement devraient confirmer à Hambourg en juillet 2017. D'ailleurs, ce n'est sans doute pas à travers la définition de l'établissement stable que nous parviendrons à la solution la plus efficace. Le rapport sera remis en avril 2018.
Quand on voit les difficultés rencontrées pour faire avancer le moindre dossier au niveau international - cela fait quarante ans que l'on travaille sur la mise en place du brevet unitaire européen, par exemple -, on ne peut qu'être admiratif devant les progrès réalisés par l'OCDE en matière de fiscalité.
À la manière des cosaques de Napoléon, vous avez traversé les grandes plaines pour aboutir d'abord à la première convention multilatérale, sur l'assistance administrative mutuelle, puis à ce nouvel instrument particulièrement intelligent et simple, du moins au premier abord.
Toutefois, un certain nombre de mécanismes d'évasion fiscale vont perdurer, au-delà de la seule question des GAFA. L'Union européenne n'arrive pas à sortir du marasme sur ces dossiers. Vous avez cité l'Irlande, mais il est d'autres pays qui refusent d'appliquer les règles qui permettraient d'avancer.
Vous n'avez pas évoqué la question des prix de transfert. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Préparez-vous d'autres projets de convention ? Vous avez mentionné le numérique. Quid, par exemple, de la fiscalité de l'économie collaborative ?
Qu'en est-il de l'application de la convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ? Les États-Unis jouent-ils le jeu ?
L'OCDE m'a toujours semblé une organisation internationale mystérieuse, très à l'aise pour présenter des statistiques, des visions générales ou des perspectives. C'est la première fois, me semble-t-il, que l'OCDE nous propose quelque chose d'opérationnel, et vous nous en donnez une excellente synthèse. Il en résulte un instrument très intéressant sur un sujet majeur. J'en conclus que l'ensemble des pays membres connaît les mêmes difficultés.
Vous avez dit que plus d'une centaine de pays ont participé à la réflexion et que 67 d'entre eux ont déjà signé cette convention. Qu'en est-il des autres pays ? Comment les choses vont-elles se poursuivre ? Un calendrier a-t-il été mis en place ?
La ratification peut être très, très longue dans certains pays. Ce processus est-il également encadré ? Quels sont les délais envisagés pour aboutir à un instrument réellement utilisable ?
Dans un récent article, le secrétaire général de l'OCDE évaluait à près de 250 milliards de dollars les pertes liées à l'évasion fiscale internationale. Pouvez-vous nous confirmer ce chiffre ? Quelle part la France représente-t-elle ?
Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales a commencé à produire des résultats, notamment en France. Pouvez-nous dire quelques mots de ce Forum ? Est-il toujours question d'y rassembler 130 pays ? Cette question concerne davantage la fiscalité des individus que celle des entreprises, mais il s'agit, au fond, du second volet d'une même politique.
La lutte contre la montée des inégalités dans le monde réunit l'ensemble des sujets que nous avons évoqués : chaque fois qu'on triche, on rend les riches encore plus riches, et les pauvres encore plus pauvres. À cet égard, l'OCDE a posé une question pertinente, celle de la croissance inclusive. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet différent ?
Votre exposé nous permet de bénéficier d'une information extrêmement claire. Cet instrument dynamique va-t-il nous protéger des petits génies qui créent leurs produits fiscaux en fonction non pas de l'endroit où le produit sera créé, mais de la rentabilité fiscale liée à sa propre évasion ? S'agit-il d'un instrument préventif ? Si oui, cette convention multilatérale prévoit-elle des sanctions ?
Pourquoi les choses sont-elles allées aussi vite ? Claude Raynal a raison de dire que pendant très longtemps, l'OCDE n'était pas connue pour sa vitesse d'exécution. Il lui fallait en moyenne cinq ans pour changer trois virgules et deux points dans une convention fiscale, ce qui n'était guère satisfaisant. Ce n'est pas Roger Karoutchi, ancien ambassadeur de France auprès de cette institution, qui me contredira.
La crise financière de 2007-2008, qui s'est traduite en crise budgétaire et fiscale, puis sociale et enfin politique, a permis de mettre en oeuvre une nouvelle dynamique. Les États, forcés de lever des fonds pour sauver les banques, ne pouvaient plus tolérer qu'elles accueillent certains contribuables dans des paradis fiscaux et facilitent la fraude.
Quelle que soit la couleur politique des ministres des finances concernés, tous ont refusé de mettre sur la table des milliers de milliards d'euros pour sauver des banques qui continueraient d'aider des contribuables à ne pas payer les impôts sur lesquels seraient assis les emprunts en question.
Une fois cette dynamique à l'oeuvre, une seconde est venue s'y greffer : la fiscalité sur les personnes physiques - impôt sur le revenu et TVA - ayant globalement augmenté au sein des pays de l'OCDE, il n'était plus politiquement possible de laisser les multinationales payer peu, voire pas d'impôts, en raison d'obscures règles de fiscalité internationale remontant à près d'un siècle.
C'est donc une sorte d'alignement des astres qui a rendu les choses possibles : la crise, l'émergence du G20 en tant que nouvelle gouvernance mondiale - cette organisation, qui représente 85 % de l'économie mondiale, a un poids réel - et enfin la modeste contribution de l'OCDE en tant que telle, à travers son expertise technique et sa force de proposition.
La lutte contre l'évasion fiscale des multinationales va bien au-delà des modifications des conventions fiscales. C'est la raison d'être du plan BEPS - Base Erosion and Profit Shifting - demandé par les ministres des finances du G20, à l'automne 2012.
Nous avions réussi à l'inscrire dans le communiqué des chefs d'État et de gouvernement de Los Cabos, en juin 2012. Tout juste nommé directeur, j'ai introduit le plan BEPS, qui n'était encore qu'une idée que je souhaitais développer dans les années à venir, dans les paragraphes fiscaux du G20. À l'automne, le chancelier de l'Échiquier britannique, George Osborne, se trouvant confronté à des manifestations hostiles à l'entreprise Starbucks, a appelé ses homologues Wolfgang Schaüble et Pierre Moscovici pour leur proposer d'aller plus vite, et de mandater l'OCDE pour produire un rapport, que nous avons remis en février 2013.
Nous y avons souligné que l'évasion fiscale internationale des entreprises était devenue massive et qu'il s'agissait quasiment, pour certaines d'entre elles, d'un modèle d'affaires. Nous avions identifié 250 schémas fiscaux en une dizaine d'années. Mais si l'on ferme un schéma, un autre ouvre le lendemain. Il fallait s'attaquer aux racines du problème, à savoir l'absence de règles fiscales internationales dans de nombreux domaines.
Les États ont toujours été extrêmement réticents à se lier et à limiter leur souveraineté par des accords internationaux. La globalisation s'est faite de manière non régulée en matière fiscale. Il nous fallait donc développer des outils permettant d'éviter que les États ne mettent en place des pratiques fiscales dommageables. À cet égard, j'attire votre attention sur l'article 39 terdecies du code général des impôts - le régime favorable des plus-values de long terme -, qui constitue une pratique fiscale dommageable sur les brevets identifiée par l'OCDE. J'espère que vous serez invités très prochainement à le modifier.
L'opacité est un autre aspect de ces pratiques dommageables. Je pense, par exemple, au Luxembourg, connu pour ses rulings secrets.
Nous avons aussi décidé de mettre fin aux produits hybrides. J'ai déjà évoqué le schéma des obligations convertibles en actions : l'Italie considérait qu'il s'agissait d'un intérêt, et à ce titre déductible ; la France qu'il s'agissait d'un dividende, et à ce titre exonéré. Le problème, c'est qu'il n'y avait qu'un gagnant : celui qui se prêtait à lui-même pour profiter d'un crédit d'impôt.
Nous avons donc demandé aux États de regarder ce qui se passe de l'autre côté de la frontière, et d'arrêter de se retrancher derrière leur souveraineté en leur proposant un modèle de législation commune.
Nous avons ensuite voulu démontrer que les règles existantes, notamment les conventions fiscales et les prix de transfert, ne correspondaient plus à un monde devenu multilatéral et globalisé. Ces instruments, purement bilatéraux, ne fonctionnaient plus. Nous les avons « réparés ».
Nous avons à cette fin préconisé trois mesures sur les prix de transfert, en modifiant un autre instrument d'ores et déjà appliqué par les États : les Principes applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales.
Un autre volet du plan d'action était relatif à la transparence des entreprises, qu'il est impératif d'accroître. À cette fin, nous avons instauré un reporting pays par pays qui devra être remis aux administrations fiscales. Ces dernières auront ainsi la même vision d'ensemble que les directeurs fiscaux des entreprises multinationales.
Enfin, quatre actions du plan BEPS étaient relatives aux conventions bilatérales. La convention multilatérale, elle-même préconisée à l'action 15, doit permettre de les rendre immédiatement applicables.
Les processus de ratification peuvent effectivement être très longs. Parfois, ils atteignent quatre ou cinq ans - la France ne fait d'ailleurs pas partie des pays les plus diligents à cet égard.
À cet égard, nous avons mis en oeuvre un système d'examen par les pairs, du moins pour ce qui concerne le « standard minimum » dont le but est de lutter contre l'abus des conventions fiscales. Au total, 100 pays ont pris l'engagement d'appliquer ce standard minimum.
L'examen par les pairs sera mis en oeuvre à la fin de l'année 2017 : nous allons ainsi nous assurer que toutes les parties agiront bien, et ce dans les délais prévus. Il concernera notamment la Suisse, qui a été précédemment évoquée. Le cas échéant, une dénonciation sera formulée. En la matière, une véritable dynamique politique est à l'oeuvre. L'OCDE remettra des rapports publics au G20, dont l'influence politique nous permettra certainement d'avancer.
Le montant global en jeu est de 250 milliards de dollars, et encore cette estimation est-elle particulièrement prudente. Cela étant, pour l'heure, nous ne sommes pas en mesure de décliner les sommes pays par pays. Quoi qu'il en soit, les pays en voie de développement sont les grands perdants du treaty shopping : ils perdent totalement leurs droits de retenue à la source, qui sont généralement plus élevés que ceux des pays développés, ce qui leur coûte des milliards de dollars.
De nombreux professionnels du droit fiscal ne vivent que de ces secteurs, en particulier à l'île Maurice. En conséquence, ils sont extrêmement inquiets : ce pays n'a pas de modèle économique à substituer à l'existant, et elle voit donc se profiler de grandes difficultés économiques. L'OCDE travaille actuellement sur cette question en lien avec l'île Maurice.
Bien sûr, l'évasion fiscale persistera à l'avenir, mais elle deviendra de plus en plus marginale. Hier, elle était encore massive, tolérée et facilitée par l'inaction des États : elle constituait même le modèle d'affaires. Nous avons bel et bien changé de paradigme. Du fait de la publicité dont bénéficie le projet BEPS, la question de la fiscalité a atteint les conseils d'administration, où siègent désormais les directeurs fiscaux. Les dirigeants des sociétés en sont soucieux, car c'est la réputation de leur entreprise qui est en jeu. L'environnement et les instruments juridiques ont changé. La globalisation a été régulée.
Le projet BEPS présente des aspects de transparence, qu'il s'agisse du reporting pays par pays ou de la publicité des rulings. Néanmoins, le véritable enjeu en matière de transparence reste l'échange d'informations, c'est-à-dire le fait que les pays à secret bancaire échangent leurs informations avec les États tiers souhaitant taxer leurs contribuables.
Dans ce domaine, les changements sont considérables. En 2008, on dénombrait en tout et pour tout 42 conventions bilatérales d'échange de renseignements entre un pays à secret bancaire et un pays sans secret bancaire. Désormais, on en compte 7 000, grâce à une convention multilatérale étendue à l'initiative de l'OCDE. Cette convention est désormais signée par 111 pays ; 21 autres États sont en voie d'accession. On atteindra demain les 8 000 relations bilatérales. Le monde entier sera pour ainsi dire couvert, et l'échange de renseignements à la demande sera généralisé.
Il s'agit là d'un changement fondamental. Encore faut-il maintenant que les administrations fiscales nationales « requises » puissent avoir connaissance des informations demandées, ce qui souvent n'était pas possible, par exemple pour les comptes au porteur ou pour les sociétés offshore.
Le prochain défi est donc l'échange automatique d'informations. Le Forum mondial de l'OCDE, qui réunit aujourd'hui 142 pays, procède à un examen par les pairs également sur la mise en oeuvre de l'échange automatique. Il achève aujourd'hui même la première phase d'examen : sur les quinze pays évalués, tous ont été jugés « largement conformes », un seul étant jugé « partiellement conforme » et un seul étant jugé « non-conforme » - il s'agit de Trinidad et Tobago, qui n'est pas un centre mondial de l'évasion fiscale, mais un pays qui rencontre de grandes difficultés pratiques à se mettre en conformité, et auquel l'OCDE prête assistance. D'une manière générale, l'effort entrepris a porté ses fruits, et surtout, la dynamique est engagée.
Au cours des quinze derniers mois, et à la suite du scandale des Panama Papers, les États qui restaient quelque peu à la traîne ont été rappelés à la rigueur. Ils ont changé du tout au tout, par crainte de figurer sur la liste que l'OCDE a demandé au G20 et qui sera publiée en juillet 2017. Le Panama, les Bahamas et les Émirats Arabes Unis ont signé ou vont signer la convention multilatérale. Le Panama l'a même déjà ratifiée. Ce pays a été jusqu'à constituer une autorité compétente, dont il a demandé à l'OCDE de former le personnel. La dynamique est indéniable.
L'échange automatique de renseignements entera en vigueur dans 50 pays le 30 septembre 2017, et dans 50 autres pays le 30 septembre 2018. Cette seconde phase regroupera essentiellement des États qui, par le passé, pratiquaient le secret bancaire. Il s'agit ni plus ni moins que de la multilatéralisation de l'accord FATCA. En 2018, nous verrons si la législation a été adaptée dans tous les pays concernés pour assurer l'échange automatique d'informations.
Un seul pays refuse encore ces échanges automatiques : les États-Unis. Toutefois, ces derniers ne sont pas le paradis fiscal que certains se plaisent à décrire. Le problème de Delaware a notamment été réglé en 2016, ce que n'a pas remis en cause la nouvelle administration.
Tous ces changements imposent des révisions législatives majeures et de grandes évolutions dans les pratiques des banques et des administrations. Sur le plan matériel, il faut construire des milliers de « tuyaux » informatiques entre les États, en respectant tous les impératifs de sécurité des données. Or un seul « tuyau » informatique coûte plusieurs millions d'euros. Voilà pourquoi la centaine de pays concernés se sont tournés vers l'OCDE, afin que nous négociions, avec un prestataire de services, la construction d'un canal mutualisé utilisé par tous, sans pour autant qu'il y ait une centralisation de l'information, qui demeure par définition bilatérale. Nous sommes là face à un enjeu majeur de confidentialité et de sécurisation informatique. Il est impératif d'assurer un cryptage efficace.
Nous en sommes actuellement à la phase de test : nous avons recruté des hackers qui tentent de mettre en défaut le système avant son entrée en application en septembre prochain. Ce dispositif est ainsi développé à un coût extrêmement limité.
Enfin, je rappelle que l'OCDE exerce nombre d'autres compétences. Elle conçoit ainsi des instruments de lutte contre la corruption. Elle élabore également l'étude PISA, le programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui est bien connu.
Oui. Toutes les juridictions susceptibles de poser des problèmes de transparence sont incluses, notamment Grenade et la Dominique. Si vous constatez qu'un pays n'y figure pas, dites-le-nous, et il y entrera. Un mécanisme est prévu à cet effet. Même Niue, petite île de 1 600 habitants au milieu du Pacifique, a signé la convention multilatérale sur l'échange de renseignements.
Actuellement, la notion de résidence fiscale fait l'objet d'importants débats. À l'heure actuelle, il ne semble pas possible de traiter cette question à l'aide de l'instrument multilatéral. Néanmoins, elle relève du modèle de l'OCDE. Or, par deux décisions du 9 novembre 2015, le Conseil d'État a jugé que la qualité de résident ne pouvait pas être reconnue à une personne qui n'était pas effectivement imposée dans l'autre État. Cette disposition permet à l'État de la source de recouvrer son droit d'imposer.
Ces deux décisions portent sur l'Allemagne et sur l'Espagne, mais elles peuvent emporter des conséquences pour l'ensemble des conventions signées par la France. Pourraient-elles conduire à remettre en cause le statut de résident non habituel accordé par le Portugal ? Je rappelle que ce statut offre aux retraités français du secteur privé dix années d'exonération d'impôts, à condition de résider six mois par an au Portugal.
De même, pour ce qui concerne les personnes morales, une entreprise française investissant dans un autre pays pourrait-elle se voir refuser la qualité de résident si elle bénéficie, dans cet autre pays, d'une exonération, par exemple au titre d'un investissement dans un secteur particulier, ou dans une zone géographique à redynamiser ? L'OCDE a-t-elle pris position sur ce sujet ? Quelle est la position des autres pays ? Le modèle ou ses commentaires pourraient-ils évoluer afin de préciser ces différentes questions ?
Le statut de résident non habituel accordé par le Portugal à des personnes physiques relève de l'interprétation souveraine par la France, et plus spécifiquement de la compétence de la direction de la législation fiscale (DLF).
Néanmoins, à titre général, je rappelle que, traditionnellement, la France se distingue de l'interprétation commune quant à la résidence fiscale. Selon l'administration française, l'assujettissement effectif à l'impôt est une condition pour être résident. Sachez que cette position sera confirmée lors de l'actualisation du modèle de convention fiscale de l'OCDE. La réserve française sera exprimée encore plus clairement que par le passé.
En la matière, on évoque souvent le cas des fonds de pension ou des fonds d'investissement souverains, lesquels peuvent être exonérés dans leur État d'origine. La France peut-elle ou non conserver son droit de retenue à la source lorsque des intérêts, des dividendes ou des plus-values sont versés à un fonds non résident qui est exonéré dans son État de résidence ? La position de la France est la suivante, et ses partenaires la connaissent : cette exonération n'est admise que si elle fait l'objet d'une mention explicite dans la convention fiscale bilatérale - celle-ci devant le cas échéant faire l'objet d'une modification. À cet égard, les deux décisions du Conseil d'État ne font que confirmer la position de l'administration fiscale française, qui est connue de ses partenaires.
Je vois bien la difficulté que cette situation peut poser, dans le cas d'un pays étranger décidant d'exonérer les retraités français.
Il y a quelques années, c'est d'ailleurs un cas inverse qui s'est produit avec le Danemark. Les retraités danois qui venaient s'installer en France ne recevaient pas leur retraite sous la forme d'une pension, mais sous la forme d'un capital versé, résultant de l'apport constitué tout au long de leur vie active. La convention franco-danoise alors en vigueur prévoyait que les pensions n'étaient taxables que dans l'État de résidence, c'est-à-dire la France. Or elles n'y étaient pas taxées, le droit français ne permettant pas de qualifier de pension une retraite versée sous la forme d'un capital. Le Danemark a tenté de renégocier cette convention fiscale pendant plusieurs années ; la proposition faite par la France en 2008 ne lui ayant pas semblé satisfaisante, il l'a finalement dénoncée. À ce jour, il n'existe donc plus de convention franco-danoise. Cet exemple illustre combien les questions relatives aux pensionnés peuvent être sensibles.
Les nouvelles règles adoptées en la matière vont-elles simplifier ou compliquer la tâche des entreprises et de leurs conseils ? Comment l'instrument multilatéral va-t-il s'articuler avec la proposition, formulée le 21 juin dernier par la Commission européenne, d'obliger les intermédiaires à déclarer l'utilisation d'un montage fiscal potentiellement abusif et les États à s'échanger automatiquement ces informations ? Les « marqueurs » identifiés par la Commission européenne pour caractériser ces montages correspondent-ils à ceux du projet BEPS et de l'instrument multilatéral ?
Par ailleurs, avant d'approuver l'instrument multilatéral, les pays doivent analyser chacune de leurs conventions bilatérales pour déterminer dans quel sens elles seront modifiées. En France, cette tâche incombe à la direction de la législation fiscale. Mais tous les pays ne bénéficient pas des mêmes moyens administratifs. Certains États ont-ils recours à des prestataires privés, par exemple à des cabinets internationaux ? L'OCDE peut-elle apporter son aide à ces pays, qu'ils comptent ou non parmi ses membres ?
Les entreprises affirment que, pour ce qui concerne l'abus des conventions fiscales, cette convention est un casse-tête. La stipulation, à but principalement fiscal, laisserait une marge d'interprétation à l'administration, ce qui ouvrirait une situation d'insécurité juridique.
Nous avons bien conscience de cette difficulté. Notre réponse est la suivante. Premièrement, lors de l'examen par les pairs, un mécanisme de suivi sera mis en oeuvre, qui permettra notamment d'assurer que l'application de la clause à but principalement fiscal ne donne pas lieu à des abus de la part de l'administration. Deuxièmement, il faut rappeler que la sécurité juridique absolue conduit à la planification fiscale absolue. Le dispositif élaboré semble donc raisonnable. Il impose simplement de responsabiliser quelque peu les entreprises de conseil fiscal.
De plus, mieux vaut un environnement juridique où toutes les conventions fiscales suivent les mêmes règles : c'est au fond beaucoup plus sécurisant qu'une multitude de conventions bilatérales changeant sans cesse. La convention multilatérale permettra de sortir du chaos juridique.
La Commission européenne a proposé le 21 juin une directive relative aux déclarations de montages financiers. Cela correspond précisément à l'action 12 du plan BEPS, qui prévoit que les intermédiaires fiscaux doivent déclarer aux autorités fiscales les schémas qu'ils utilisent, lorsqu'ils sont susceptibles de faire perdre beaucoup d'argent aux États. Nous sommes donc bien sûr très favorables à la proposition de la Commission européenne. D'ailleurs, nous travaillons dès à présent avec la présidence bulgare, qui succèdera à la présidence estonienne qui va débuter, pour que ce dossier avance le plus vite possible.
Dans l'ensemble, l'Union européenne a plutôt bien traduit les dispositions élaborées dans le cadre du programme BEPS.
Par la déclaration adoptée à Bari en mai dernier, le G7 a annoncé qu'il allait travailler avec l'OCDE sur diverses déclarations de montage, y compris les montages destinés à détourner l'échange automatique de renseignements.
Enfin, vous avez raison de souligner que les moyens d'analyse exigent beaucoup de ressources, même si je précise qu'ils permettront, à terme, d'en économiser. Au cours des six derniers mois, notre équipe a travaillé de très près avec les pays en voie de développement et les petits États dont l'administration fiscale reste peu développée. Une vingtaine de pays sont en retard, principalement en Afrique. Nous les assistons, en lien avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Je saisis l'occasion de cette audition pour saluer l'action dynamique du secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurría. Pour avoir pu travailler à plusieurs reprises au sein de l'OCDE, je peux affirmer qu'il sait créer une dynamique propice aux ambitions et aux projets. Ce cadre de travail est très précieux.
Enfin, je tiens à vous dire combien la commission des finances a été satisfaite des nombreuses communications que vous êtes venu faire devant elle depuis plusieurs années. Au nom de tous mes collègues, je vous adresse tous nos remerciements.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Les premières années du cadre financier 2014-2020 de l'Union européenne ont été marquées par le besoin urgent de répondre à la crise des réfugiés et, plus généralement, par la volonté de renforcer le partenariat de l'Union européenne avec les pays tiers. Dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier, il a ainsi été proposé d'augmenter les crédits de divers instruments dédiés à l'action extérieure de l'Union européenne, dont ceux de l'assistance macrofinancière aux pays tiers.
L'assistance macrofinancière a vocation à répondre à des besoins exceptionnels de financement extérieur des pays qui sont « politiquement, économiquement et géographiquement proches de l'Union européenne », en leur accordant des prêts ou des dons.
Depuis la première opération d'assistance en faveur de la Hongrie en 1990, plus de 63 assistances ont été décidées en complément des programmes du Fonds monétaire international. Le périmètre géographique des interventions s'est étendu et le montant des prêts accordés a fortement augmenté.
Dans ce contexte, j'ai jugé opportun de consacrer ma mission annuelle de contrôle à l'assistance macrofinancière. Il se trouve que ce sujet a fait l'objet d'une actualité au cours des derniers mois puisque le Parlement européen et le Conseil ont examiné une proposition d'assistance de 100 millions d'euros à la Moldavie. C'est la raison pour laquelle j'ai complété les auditions réalisées à Paris et à Bruxelles par un déplacement à Chisinau, la capitale de la Moldavie, afin de mieux comprendre les enjeux de l'assistance de l'Union européenne.
Au terme de ces travaux, trois grands constats peuvent être tirés. Premièrement, l'assistance macrofinancière s'est fortement développée à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique, et ce en dehors d'un cadre juridiquement contraignant. Il s'agit donc d'un instrument particulièrement souple, qui fait figure d'hybride entre les programmes de prêt de l'Union à ses États membres et les aides aux pays du voisinage. Le budget de l'Union européenne dispose de ses propres instruments directs d'action extérieure - instrument européen de voisinage, instrument de préadhésion, ou encore instrument de coopération au développement. Par ailleurs, des garanties sont accordées par le budget communautaire à un certain nombre de dispositifs - plan Juncker, mécanisme européen de stabilisation financière, assistance à la balance des paiements des pays non membres de la zone euro. En dehors du budget de l'Union, il faut citer le mécanisme européen de stabilité, autonome, qui dispose d'une capacité de prêt à hauteur de 500 milliards d'euros. L'assistance macrofinancière vient compléter cette panoplie d'instruments et fait l'objet d'un provisionnement du fonds de garantie pour les actions extérieures.
Au début des années 1990, les premières opérations d'assistance macrofinancière se sont concentrées dans le voisinage proche, à l'est de l'Union : en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Bulgarie, en Roumanie et dans les États baltes. Ensuite, à partir de 1994, une deuxième série d'opérations d'assistance concerna les États nouvellement indépendants de l'ancienne Union soviétique, notamment l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, la Géorgie et l'Arménie et, à la suite des guerres en ex-Yougoslavie, les Balkans occidentaux.
Plus récemment, des prêts ont été accordés aux pays du bassin méditerranéen, en particulier à la Jordanie en 2013 et en 2016 et à la Tunisie, en 2014 et en 2016.
Cette extension fut possible grâce au faible degré d'encadrement juridique de l'assistance macrofinancière. Contrairement à la plupart des autres instruments financiers, aucun règlement ne définit les règles générales d'intervention de l'assistance macrofinancière. Une liste de critères a simplement été établie par le Conseil en 1995 : en principe, l'assistance macrofinancière est un instrument « de nature exceptionnelle, non lié et sans affectation particulière », destiné à rétablir la viabilité financière des pays candidats à l'adhésion, déclarés ou potentiels, des pays concernés par la politique de voisinage ou « d'autres pays tiers présentant une importance stratégique pour l'Union » ; par ailleurs, les pays demandeurs doivent remplir plusieurs conditions, dont la conclusion d'un accord préalable avec le FMI, le respect de « mécanismes démocratiques effectifs » ; enfin, ils doivent mettre en oeuvre de façon satisfaisante les mesures de politique économique négociées avec la Commission européenne.
Cette liste de critères n'a pas de caractère juridiquement contraignant. Dès lors, chaque opération fait l'objet d'une analyse au cas par cas par la Commission européenne et doit ensuite être adoptée par le Parlement européen et le Conseil.
Depuis 2014, plusieurs opérations d'assistance de grande ampleur ont été décidées : 2,8 milliards d'euros de prêts ont été accordés à l'Ukraine ; 500 millions d'euros en faveur de la Tunisie et 200 millions d'euros au profit de la Jordanie en 2016.
Ainsi, l'assistance macrofinancière a changé de dimension au cours des dernières années : le montant total d'assistance décaissée devrait atteindre le niveau record de 1,9 milliard d'euros en 2017 pour un encours total de prêts de 4,6 milliards d'euros à la fin de l'année, contre 565 millions d'euros fin 2013.
Deuxièmement, l'assistance macrofinancière a un impact macroéconomique positif, même si celui-ci est limité. Les évaluations ex post disponibles concluent que l'intervention de l'Union européenne a effectivement contribué à la stabilisation macroéconomique à court terme dans la plupart des pays bénéficiaires. Par exemple, l'assistance macrofinancière a permis d'atténuer les effets récessifs de la crise économique et financière de 2008 en Moldavie et en Arménie. En l'absence d'assistance, leurs PIB respectifs auraient été inférieurs de 1,1 % et de 0,6 % en 2011.
Dans quelques rares cas, aucun impact macroéconomique n'a été observé, par exemple en Bosnie-Herzégovine en raison du déblocage tardif de l'assistance dans un contexte où le pays aurait lui-même pu lancer une émission obligataire, ou encore au Liban en raison du faible montant accordé (40 millions d'euros).
En matière de réformes structurelles, les résultats sont mitigés. Le décaissement de chaque tranche de prêt ou de don est en effet soumis au respect d'un certain nombre de conditions, négociées en amont entre la Commission européenne et le pays bénéficiaire. En règle générale, on observe que des progrès ont été accomplis en matière de gestion des finances publiques et dans les secteurs bancaire et financier. Ainsi, le système bancaire a fait l'objet de réformes en Arménie, en Roumanie, en Macédoine, en Serbie et en Albanie au début des années 2000, sous l'impulsion des opérations d'assistance. Les conditionnalités négociées par l'Union européenne ont également permis d'accélérer l'adoption de certaines réformes en Géorgie.
Toutefois, ces conditionnalités présentent des insuffisances : tout d'abord, il est fréquent que certaines conditions de décaissement soient satisfaites avant même la signature du protocole d'accord, ce qui conduit à s'interroger sur le niveau d'exigence fixé par la Commission européenne. Ensuite, il existe bien souvent un écart entre la satisfaction formelle de certaines conditions - grâce à l'adoption d'une nouvelle loi ou la création d'une structure administrative - et leur mise en oeuvre sur le terrain, par manque de moyens ou de volonté politique. Enfin, certaines conditionnalités de l'assistance macrofinancière sont généralement très similaires aux prescriptions du FMI. Cela atteste de la très bonne coordination entre la Commission européenne et le FMI, mais soulève aussi la question de la valeur ajoutée de l'intervention européenne.
Du point de vue de l'Union européenne, l'assistance macrofinancière a un coût modéré, dans la mesure où elle est accordée principalement sous forme de prêts ; 261 millions d'euros de dons ont été versés entre 2007 et 2013 (soit 47 % du total des versements) et 58 millions d'euros (1 %) entre 2014 et 2017.
Les fonds prêtés sont levés sur les marchés internationaux par la Commission européenne et garantis par le budget communautaire ; la Commission rétrocède ensuite intégralement ses conditions de financement favorables au pays bénéficiaire.
De plus, le risque financier pour le budget de l'Union européenne est relativement faible : aucun défaut de paiement n'a été observé à ce jour et chaque prêt donne lieu à un provisionnement d'environ 9 %, versé du budget général vers un fonds de garantie spécifique.
Ainsi, l'assistance macro-financière a un impact non négligeable mais d'une ampleur relativement modeste.
Troisièmement, on observe que les considérations d'ordre politique jouent un rôle croissant. Ainsi, les critères de localisation géographique ou encore de gravité de la situation financière du pays une assistance ont pu être interprétés de façon extensive. Par exemple, un prêt de 30 millions d'euros fut accordé au Kirghizistan en 2013 pour soutenir « la force de l'élan prodémocratique et de réforme économique », tandis que la nouvelle proposition d'assistance de 100 millions d'euros à la Moldavie, dont 40 millions sous forme de don, ne semblait pas répondre au caractère d'urgence généralement requis.
Par ailleurs, certains États membres jouent un rôle de relai auprès de la Commission européenne pour soutenir des opérations d'assistance en faveur de pays tiers avec lesquels ils entretiennent des liens forts, par exemple la France avec la Tunisie ou la Roumanie avec la Moldavie.
Le cas de la Moldavie illustre également les dilemmes auxquels l'Union européenne est parfois confrontée dans sa volonté de soutenir le processus de réforme économique et politique.
L'Union européenne est le premier donateur de ce petit pays de 3,5 millions d'habitants - contre 5 millions au lendemain de l'indépendance - enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine. Pour autant, sa stratégie est critiquée, voire jugée contre-productive, par certains acteurs qui dénoncent l'absence d'indépendance du système judiciaire, le regain de corruption au sein de la classe politique et la récente tentative de réforme du système électoral dans un sens favorable au parti démocrate au pouvoir.
La Commission européenne considère qu'en l'absence d'aide, les autorités moldaves ne pourront pas poursuivre les réformes engagées, en particulier pour assainir le système bancaire à la suite du « scandale du milliard » de dollars disparus en 2014 dans le cadre d'une fraude bancaire massive. Or, du point de vue de certains acteurs, le versement de cette aide risque d'être interprété comme un cautionnement des pratiques du parti au pouvoir, dirigé par un oligarque, et ainsi de diminuer la confiance accordée par la population à l'Union.
L'octroi d'une nouvelle assistance de 100 millions d'euros a donc suscité un débat de fond au Parlement européen, certains députés appelant à un gel de l'aide en cas de poursuite du projet de transformation du mode de scrutin. En définitive, cette assistance a été approuvée en première lecture le 6 juin dernier et a été assortie d'une déclaration commune appelant la Moldavie à suivre les recommandations de la commission de Venise concernant la réforme du système électoral. Faute de quoi, l'Union ne devrait plus s'engager plus avant.
En conclusion, partant de ces constats, il me semble que la légitimité et la plus-value de l'assistance macro-financière pourraient être confortées de deux manières : d'une part, en dotant cet instrument d'un régime juridique propre afin de mieux encadrer ses critères et ses modalités d'intervention ; d'autre part, en renforçant la dimension politique des conditionnalités ainsi que le pouvoir de contrôle des États membres.
Une première série de recommandations concerne donc l'encadrement juridique de l'assistance macrofinancière.
Tout d'abord, l'adoption d'un règlement-cadre définissant les grands principes d'intervention et les rôles respectifs de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil est nécessaire pour renforcer la sécurité juridique de l'instrument et la cohérence de l'action extérieure de l'Union. En 2011, une tentative a été faite pour édicter un règlement-cadre, sans que celle-ci aboutisse, faute d'accord. Ce futur règlement-cadre devrait affirmer le caractère exceptionnel de l'assistance macrofinancière, l'idée étant de la réserver aux pays en proie à de graves difficultés financières et, dans les autres cas, d'avoir recours à d'autres programmes du budget européen comme l'instrument européen de voisinage, l'instrument de coopération au développement ou le futur « volet externe » du plan Juncker. L'adoption d'un règlement-cadre serait également l'occasion de clarifier les modalités de partage entre les prêts et les dons.
Enfin, les trois recommandations suivantes ont pour but d'affirmer la dimension politique de l'assistance macrofinancière.
Dès lors que l'assistance macro-financière a vocation à « soutenir la politique extérieure de l'Union » et à « aider les bénéficiaires à tenir leurs engagements à l'égard des valeurs de l'Union », les objectifs politiques des opérations d'assistance et les mesures attendues pour les atteindre gagneraient à être énoncés plus clairement. Je recommande donc de préciser la conditionnalité de nature politique afin de mieux prendre en considération la situation du pays et, ainsi, de compléter les conditionnalités économiques et financières. De telles conditions me semblent d'autant plus utiles dans la perspective de futures opérations, des discussions ayant notamment été entamées avec la Biélorussie.
Une clause explicite de suspension voire d'annulation de l'assistance pourrait également être introduite en cas de menace pour l'indépendance du système judiciaire ou de fait majeur de corruption. L'objet d'une telle clause ne serait pas tant de sanctionner que de dissuader les pays bénéficiaires de toute mesure ne respectant pas les valeurs de l'Union européenne.
Enfin, compte tenu des enjeux financiers et politiques croissants de l'assistance macrofinancière, il serait opportun de renforcer les pouvoirs de contrôle des États membres durant la mise en oeuvre des opérations. Aujourd'hui, les représentants des États membres ne sont pas saisis formellement des évaluations du respect des conditionnalités effectuées par la Commission européenne et ne peuvent s'opposer à une décision de décaissement d'une tranche d'assistance. Le groupe dit de « comitologie » compétent en matière d'assistance macrofinancière pourrait donc être consulté par la Commission européenne avant chaque décaissement. Conformément à la procédure d'examen, il ne pourrait s'opposer qu'à la majorité qualifiée.
Je note qu'en Moldavie, le revenu minimum mensuel est de 96 euros.
Les prêts se font-ils au profit des banques centrales ? À quel taux ? Indépendamment des mécanismes de la Banque centrale européenne ?
Il me semble que l'objet de cette assistance est assez proche du rôle traditionnel du FMI. La Commission européenne dispose-t-elle d'une capacité d'expertise et de suivi aussi forte que le FMI ? Il a été indiqué l'absence de défaut de paiement. Cependant, les prêts d'un montant élevé sont très récents, la plupart ayant été accordés à partir de 2014. Cela ne dit rien de la suite.
Enfin, j'apprécie tout particulièrement la première recommandation, qui me semble quelque peu contradictoire avec l'objet même du fonds : actuellement, l'assistance macro-financière est souple, laissée au libre arbitre politique.
La Moldavie est en effet le pays le plus pauvre d'Europe. Il faut donc aider ce pays à s'en sortir, à condition que celui-ci apporte des garanties quant à son évolution démocratique, au respect de l'état de droit et à la transparence de son système financier - c'est tout de même 1 milliard d'euros qui a disparu de la circulation ! Si ces exigences ne sont pas satisfaites, on pourra difficilement poursuivre l'assistance.
La banque centrale de chaque pays est destinataire des prêts ou des dons accordés par l'Union européenne. Les taux sont ceux auxquels la Commission européenne a emprunté sur les marchés, le coût étant supporté par le pays destinataire. Ainsi, en janvier 2015, la Géorgie a emprunté, par l'intermédiaire de l'Union, 10 millions d'euros sur 15 ans, au taux fixe de 0,519 %. En juillet 2015, l'Ukraine a bénéficié d'un prêt de 600 millions d'euros sur cinq ans, au taux de 0,25 %, dans le cadre de la troisième opération d'assistance. Ces taux sont bien inférieurs à ce qu'ils seraient si ces pays avaient dû se passer de l'intermédiation de l'Union.
En ce qui concerne le rôle du FMI, cette question revient régulièrement. L'intervention de ce dispositif n'est possible qu'en association avec le FMI. Le rôle de ce dernier s'inscrit dans un objectif de redressement à moyen et long termes de ces pays, alors que l'aide apportée par l'Europe est ponctuelle et vise à redresser à court terme une situation financière dégradée.
Certains récipiendaires de ces aides ont vocation à intégrer l'Union européenne et le fait que celle-ci soit associée à la remise à flot des finances de ces pays peut être bien perçu par leurs opinions publiques et ainsi faciliter l'adhésion populaire à l'idée de leur intégration.
Concernant les aides à la Jordanie ou à la Tunisie, elles s'inscrivent dans une problématique géopolitique plus large.
Ma première recommandation ne concerne pas uniquement les critères d'intervention. Elle répond également à une exigence de clarification des compétences entre les institutions. Les différents États membres de l'Union européenne sont confrontés aux mêmes problématiques. Le travail d'évaluation du dispositif européen soulève des questions sur la cohérence et la légitimité de certaines formes d'intervention.
Je vous renvoie aux interrogations du Parlement européen sur la Moldavie. Un règlement-cadre apporterait de la cohérence et permettrait de clarifier les critères de décision. Il me paraît donc souhaitable d'aller dans le sens que nous prônons.
La commission donne acte de sa communication à M. François Marc et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Le système d'alerte et d'information des populations, ou SAIP, initié en 2009, constitue un projet de modernisation piloté par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, la DGSCGC, visant à mettre en place un système moderne d'alerte et d'information des populations et mettant en réseau les différents vecteurs d'alerte disponibles.
L'alerte a vocation à être donnée en cas de risques exigeant un comportement-réflexe de la part des populations en cas de danger. Le SAIP doit permettre, dans son principe, aux acteurs de la gestion de crise, c'est-à-dire principalement les préfets, les maires et les SDIS, de lancer l'alerte sur un territoire donné en une unique opération, en utilisant un logiciel permettant d'activer différents vecteurs de diffusion. Il s'appuie aujourd'hui sur un réseau de 2 830 sirènes qui devrait en compter plus de 5 000 d'ici à 2020 et constituer, selon la doctrine de la DGSCGC, le « principal vecteur de l'alerte ». D'ici à 2020, il doit être connecté à d'autres vecteurs, tels que la téléphonie mobile, mais aussi aux panneaux à messages variables des différentes collectivités ou encore aux radios, la redondance des moyens d'alerte étant, à juste titre, considérée par la DGSCGC comme un facteur d'efficacité.
Ce projet découle du constat dressé par plusieurs rapports qui ont relevé la nécessité de remanier l'ancien réseau de sirènes, le réseau national d'alerte, ou RNA, construit après-guerre, qui visait à prévenir le risque d'attaque aérienne.
Ce projet, d'un montant total de 81,5 millions d'euros, est donc financé par le programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ». Il comporte deux phases. La première, qui a été lancée en 2010 et court jusqu'en 2019, porte principalement sur la réalisation du logiciel central et sur l'installation des sirènes dans des « bassins à risques », pour un montant d'un peu moins de 45 millions d'euros. Elle comprend également un volet téléphonie mobile, qui s'appuie aujourd'hui sur une application smartphone, portant le nom SAIP, en libre téléchargement. La seconde phase, qui commencera en 2020, devrait, selon la DGSCGC, porter sur la poursuite de l'installation des sirènes et sur la connexion d'autres moyens d'alerte au logiciel central.
Même si le projet SAIP était rendu nécessaire par l'obsolescence du RNA, il est marqué par des choix stratégiques contestables.
Le choix de conserver les sirènes comme principal vecteur de l'alerte apparaît en effet comme une importante erreur stratégique. Le volet « sirènes » concentre 78 % des 81,5 millions d'euros consacrés au SAIP, alors même que leur impact apparaît beaucoup plus faible que celui de la téléphonie mobile, lequel bénéficie pourtant seulement de 11 % des crédits consommés ou prévus pour ce projet.
Les sirènes ne sont quasiment jamais utilisées dans d'autres contextes que ceux des essais hebdomadaires. Les sondages montrent que seule une infime minorité de Français sait comment réagir lorsque les sirènes se déclenchent. Par ailleurs, de nouveaux vecteurs plus efficaces, comme la téléphonie mobile, ont émergé ; ils permettent non seulement d'assurer la fonction d'alerte, mais peuvent également informer les populations concernées en délivrant un message clair. La nature des risques a également changé, et aurait justifié une réflexion plus globale sur la stratégie d'alerte et d'information, qui n'a pas été suffisamment menée.
De même, le volet téléphonie mobile est également marqué par des revirements qui ont conduit à revoir fortement à la baisse ses ambitions initiales. Alors que le ministère de l'intérieur privilégiait initialement le recours à la technologie dite du Cell Broadcast, qui devait permettre de diffuser un message sur l'ensemble des téléphones mobiles présents sur une zone d'alerte, cette dernière a été a été remplacée en 2015 par le développement d'une application smartphone, dénommée SAIP, en libre téléchargement sur Apple Store et sur Google Play, pour des raisons principalement budgétaires. L'application smartphone apparaît pourtant beaucoup moins efficace, notamment car elle ne fonctionne que si l'utilisateur a effectivement téléchargé l'application, qui n'est elle-même disponible que sur des types précis d'appareils, contrairement au Cell Broadcast, qui est fiable et utilisé aujourd'hui dans divers pays - c'est le cas aux États-Unis, aux Pays-Bas, au Japon, en Corée... - et peut être reçu sur tous les appareils correctement paramétrés.
Au-delà des choix stratégiques, la mise en oeuvre des deux principaux volets, ceux concernant la téléphonie mobile et celui concernant les sirènes, a connu d'importantes défaillances. La conception de l'application smartphone, tant dans la dimension technique que dans la gestion du projet, a été menée un délai trop contraint eu égard à sa complexité, alors même qu'une plus grande anticipation aurait été possible, la téléphonie mobile étant envisagée comme vecteur de l'alerte depuis 2010. L'abandon tardif du Cell Broadcast et la volonté du Premier ministre de disposer d'un moyen d'alerte par téléphone avant l'Euro 2016 a en effet fortement contraint les délais de conception de l'application, qui continue à pâtir de certaines lacunes, comme la nécessité qu'elle soit ouverte en tâche de fond, ou la forte consommation de batterie. Par ailleurs, l'application, dont le coût s'élève à 300 000 euros, n'a pas pu être déclenchée dans un délai raisonnable lors de l'attentat du 14 juillet 2016 survenu à Nice, en raison de défaillances techniques ; je le rappelle, elle ne s'est déclenchée que deux heures après l'attentat.
Il me paraît nécessaire, en plus d'une correction rapide de ces défaillances, qu'une évaluation indépendante de l'application SAIP soit menée d'ici à la fin 2019, afin d'envisager un éventuel retour à la technologie Cell Broadcast initialement envisagée.
Toutefois, si l'application smartphone devait être maintenue à terme, il me semble également nécessaire qu'elle soit disponible sur tous les types de smartphones et que soit faite une publicité plus grande visant à augmenter le nombre d'utilisateurs, aujourd'hui limités à environ 500 000, pour qu'elle constitue un vecteur efficace de l'alerte.
L'atteinte de cet objectif pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un indicateur de performance du programme « Sécurité civile ».
La mise en oeuvre du volet « sirènes », qui comprend l'installation des sirènes et la conception du logiciel de commande est également marquée par un retard important, de trente-six mois, lié aux difficultés de conception de ce logiciel. Ce retard provient notamment du manque de préparation du projet et de l'absence d'un cahier des charges précis élaboré suffisamment en amont de la notification du marché. Ce raté n'est pas sans rappeler celui d'autres projets informatiques de l'État de plus grande ampleur, comme celui de Louvois au ministère de la défense, celui de Sirhen au ministère de l'éducation nationale, ou encore l'opérateur national de paye.
Il me semblerait donc souhaitable qu'une procédure applicable aux projets informatiques du ministère soit élaborée, exigeant la formulation d'un cahier des charges précis conçu en amont de la notification du marché. Cette procédure pourrait en outre comprendre un éventuel appui de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État, la DINSIC, dont la capacité à appuyer les projets informatiques complexes a été rappelée dans le rapport de notre collègue Michel Canevet au mois d'octobre 2016.
Tous ces constats me conduisent à recommander, plus globalement, de procéder à un changement doctrinal en renonçant aux sirènes comme vecteur principal de diffusion de l'alerte et de favoriser le développement de vecteurs alternatifs.
Je propose en conséquence que les crédits de la seconde phase de déploiement du SAIP - ils s'élèvent à 36,8 millions d'euros -, qui commencera en 2020 portent bien davantage qu'aujourd'hui sur le financement du volet « mobile », et non plus quasi intégralement sur le déploiement des plus de 2 000 sirènes restantes, dont le nombre pourrait être revu à la baisse.
Je partage l'analyse de notre collègue sur l'inefficacité du dispositif ; elle a été prouvée de manière dramatique par l'attentat de Nice.
Je souhaite simplement adresser une mise en garde. Le redéploiement des moyens sur le mobile que Jean Pierre Vogel propose a pour préalable indispensable une bonne couverture en réseaux, notamment en milieu rural. Dans mon département, quatre petites communes sont encore en zone blanche ! Il est donc nécessaire de travailler en interministériel, en mobilisant le ministère chargé du numérique pour compléter le maillage.
Le sujet est malheureusement d'une actualité brûlante. Il faut trouver un système qui permette l'alerte des populations dans les meilleurs délais. Cela pose des problèmes techniques.
Qu'en est-il à l'étranger ? Nous voyons les limites des sirènes ou de la téléphonie mobile en France. Des pays confrontés à des événements climatiques ou à des tremblements de terre ont-ils conçu ou mis en oeuvre des dispositifs d'alerte efficaces dont nous pourrions nous inspirer ? Le Japon a-t-il tiré les conséquences des défaillances après l'accident nucléaire ?
Y a-t-il des réflexions à l'échelon européen sur un système d'alerte commun ? Certes, il existe déjà un numéro européen pour l'accès aux services de secours, le 112. Mais, compte tenu de la mobilité au sein de l'Union européenne, il serait utile d'avoir un système standardisé et compréhensible par l'ensemble des populations.
Les sommes dépensées en matière de téléphonie mobile pour mettre en place un système qui n'a jamais fonctionné, ou alors avec beaucoup de retard - je vous renvoie à l'attentat du 14 juillet -, sont un véritable scandale !
Pour ma part, j'avais proposé d'appliquer la solution retenue par le Japon. Il n'y avait pas besoin d'une application spécifique. Certes, la Direction de la protection civile voulait son propre logiciel ; nous avons vu à quoi cela menait... C'est du gaspillage !
Il suffisait - malheureusement, l'article 40 de la Constitution a été opposé à mon amendement - d'autoriser la géolocalisation en cas d'alerte. C'est tout simple. Les opérateurs sont capables d'envoyer un signal d'alerte à tout le monde.
Dans le système SAIP téléphonie mobile, il faut d'abord télécharger l'application, qui par ailleurs consomme beaucoup de batterie et ne fonctionne qu'avec un délai.
La technique existe. Il suffit que le ministère donne l'ordre, évidemment avec compensation financière, aux opérateurs de géolocaliser les clients dans une zone donnée. C'est ce qui est utilisé au Japon. Je ne comprends pas pourquoi le ministère s'obstine dans son erreur. C'est absurde !
La révolution numérique nous appelle à nous approprier l'ensemble des ressources pour pouvoir développer les dispositifs d'urgence et d'alerte.
Peut-être pourrait-on profiter des possibilités offertes par le déploiement de Galileo - le dispositif est maintenant opérationnel - pour initier un certain nombre d'applications, y compris de géolocalisation, afin d'être plus efficaces en matière de secours.
Je souscris à la proposition du rapporteur spécial sur le recours aux installations téléphoniques. D'ailleurs, cela permettrait peut-être de résorber le problème des zones blanches dans nos départements.
Je recommande non pas de supprimer les sirènes, mais de les concentrer sur les zones à risques. Au SDIS de Rennes, il nous a été indiqué qu'une dizaine ou une quinzaine de sirènes étaient déployées sur la ville de Saint-Malo face aux risques de submersion. Cela peut se comprendre. Mais il faut alors une information suffisante des populations sur les réactions à avoir en cas de déclenchement des sirènes, ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui.
Au Japon, c'est le Cell Broadcast qui est développé. Cela fonctionne très bien. De même, aux Pays-Bas, 25 millions d'euros ont été dépensés sur ce système depuis 2012, pour un parc de 17 millions d'abonnés répartis entre trois opérateurs. Ceci est à mettre en perspective avec les 81,5 millions d'euros qui sont dépensés pour la mise en oeuvre du SAIP en France ; ils pourraient aussi permettre de résoudre les problèmes de zone blanche dans notre pays.
Dans mon rapport, j'indique qu'il aurait fallu introduire une disposition législative prévoyant l'obligation pour les opérateurs d'acheminer les communications des pouvoirs publics destinées à l'alerte et l'information des populations.
Les préconisations vont dans le même sens, surtout eu égard aux nouveaux risques, notamment chimiques, bactériologiques, nucléaires, sans parler des attentats et des actes de tuerie de masse.
L'obligation pour les opérateurs existe déjà ; il suffit que le ministère passe commande, moyennant évidemment compensation.
Il faut permettre la géolocalisation sans l'avis abonné. Pour une intervention de ce type, elle devrait être de droit. Inscrivons-le dans la loi.
Non ! En cas de sinistre, on peut géolocaliser les abonnés dans une zone donnée.
Je souhaite obtenir une précision. Permettre à un opérateur de détecter tous les téléphones accrochés à une borne donnée dans un secteur, ce n'est pas la même chose qu'autoriser à géolocaliser l'utilisateur ; on sait ce que Google ou d'autres en font.
La technologie du Cell Broadcast, qui a été retenue dans un certain nombre de pays, repose sur de la diffusion ; l'expéditeur du message ne connaît donc pas les destinataires du message.
Dans ce cadre-là, il n'y a pas besoin de légiférer. Cette technologie ne nécessite pas la mise en place d'un annuaire. Elle ne permet pas non plus à l'émetteur de savoir si le message a été bien reçu, car il n'y a pas d'accusé de réception. Il n'y a donc aucune atteinte à la vie privée. Ce n'est pas le cas des SMS géolocalisés, qui nécessitent un annuaire de diffusion.
La commission donne acte de sa communication à M. Jean Pierre Vogel et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Présidence de Mme Michèle André, présidente, puis de M. Vincent Delahaye, vice-président -
Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016 modifie la répartition entre collectivités territoriales du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui représente 16 milliards d'euros et plus de 8 % de leurs recettes réelles de fonctionnement. La réforme a pour objet de rendre plus juste cette répartition en tenant mieux compte de l'organisation du tissu économique, qui comprend de plus en plus de groupes. À la demande du Sénat, l'entrée en vigueur de cet article a été fixée au 1er janvier 2018, pour se donner le temps d'en analyser les effets.
À l'issue de ce rapport d'étape, nous pensons que la réforme n'est aujourd'hui pas applicable en l'état. A minima, un nouveau report s'impose.
II faut profiter de ce report pour approfondir l'étude des conséquences de l'entrée en vigueur des valeurs locatives révisées, sur la base desquelles seront réparties plus des deux tiers de la CVAE en 2018.
Enfin, une récente décision du Conseil constitutionnel concernant le dégrèvement barémique rend possible une optimisation fiscale, qu'il convient d'empêcher rapidement.
La consolidation de la CVAE des groupes est un débat récurrent, qui est né dès sa création.
La valeur ajoutée étant mesurée à l'échelle de l'entreprise et non du site, elle n'est pas spontanément territorialisée, sauf pour les entreprises mono-établissements, qui représentent 51 % des entreprises. Ainsi, le choix d'asseoir la CVAE sur la valeur ajoutée portait en lui-même le débat sur les modalités de répartition de son produit. À l'origine, en 2009, je vous rappelle que le Gouvernement avait proposé, pour cet impôt, des modalités de répartition proches de celles d'une dotation : en fonction de critères définis par la loi, avec une logique de péréquation entre collectivités territoriales. C'est le Parlement qui a souhaité et obtenu la territorialisation de l'assiette de la CVAE, et donc de son produit, dans le but de maintenir un lien entre l'activité économique sur le territoire et les recettes perçues par les collectivités.
La solution aujourd'hui retenue consiste à répartir la valeur ajoutée des entreprises multi-établissements en fonction des valeurs locatives et des effectifs. Mais ce dispositif ne permet pas de traiter la situation des groupes de sociétés, alors même que des transferts indus importants de valeur ajoutée peuvent avoir lieu entre les entités d'un même groupe, notamment au profit du siège. Est donc apparue la crainte qu'une partie de la CVAE soit injustement captée par les territoires abritant de nombreux sièges sociaux, à commencer par la région d'Île-de-France. Cette crainte a été alimentée par le fait que près d'un tiers du produit national de CVAE revient à cette région et que sa part est supérieure à son poids dans le PIB.
Dès 2010, des parlementaires ont proposé d'appliquer aux groupes les règles de répartition des entreprises multi-établissements : la valeur ajoutée serait consolidée au niveau du groupe - et non plus au niveau de l'entreprise - avant d'être territorialisée en fonction des valeurs locatives et des effectifs des différents établissements. Cette réforme a finalement été inscrite à l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016, après un débat difficile en raison de l'absence de transmission de simulations par le Gouvernement. Il aura fallu attendre 2014 pour obtenir les premiers éléments d'analyse solides et c'est cette année seulement que des simulations ont enfin été transmises au Parlement, grâce à l'inscription dans la loi de ces nouvelles modalités de répartition à compter de 2018.
Notre travail nous conduit à conclure que ce débat repose, en réalité, sur des craintes difficiles à étayer.
En effet, la pratique des transferts indus de valeur ajoutée vers les sièges n'est pas démontrée, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Tout d'abord, les groupes n'ont aucun intérêt, d'un point de vue fiscal, à faire remonter de la valeur ajoutée à leur siège social. Par ailleurs, des « garde-fous » ont été prévus dès l'instauration de la CVAE afin de réduire les risques de transfert de valeur ajoutée : ainsi, les opérations de location de plus de six mois ou de cession bail sont neutralisées.
En tout état de cause, les relations intra-groupes nationales n'entrent pas dans le champ des obligations déclaratives des entreprises en matière de prix de transfert, et il n'est donc pas possible de les mesurer.
S'agissant de la concentration du produit de la CVAE sur le territoire francilien, elle ne peut être vue comme un dysfonctionnement de la répartition de cette imposition. Elle est la conséquence mécanique du choix de territorialiser l'assiette d'un impôt assis sur la valeur ajoutée.
Cette concentration est d'ailleurs contrebalancée par les mécanismes de compensations de la réforme de la taxe professionnelle, ainsi que par les mécanismes de péréquation mis en place à la même époque, en particulier le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC).
Le fait que la part de CVAE de la région d'Île-de-France soit supérieure à son poids dans le PIB, c'est-à-dire dans la valeur ajoutée, ne permet pas non plus de conclure à une répartition injuste, dans la mesure où le calcul de la valeur ajoutée au sens de l'INSEE est différent du calcul de la valeur ajoutée au sens de la CVAE.
Enfin, le dynamisme de la CVAE en Île-de-France correspond exactement au niveau de la moyenne nationale et le département des Hauts-de-Seine est même un de ceux qui connaît la hausse la moins importante, ce qui relativise de nouveau l'idée de transferts vers les sièges sociaux. En revanche, le territoire francilien bénéficie quantitativement d'une part très importante du dynamisme de la CVAE, du simple fait qu'il perçoit près d'un tiers de son produit.
En définitive, la réforme n'est aujourd'hui pas applicable en l'état et, a minima, un report s'impose.
Les simulations transmises par le Gouvernement font apparaître des effets massifs pour certaines collectivités territoriales, sans que le débat ne puisse se résumer à constater des gagnants en régions et des perdants franciliens. À l'échelle régionale, l'Île-de-France serait effectivement le principal perdant en valeur absolue, mais d'autres territoires connaîtraient des baisses importantes en termes relatifs. Ces constats sont également vérifiés au niveau des départements et du bloc communal.
Le total des gains et des pertes enregistrés par les régions s'élèverait, en valeur absolue, à 355 millions d'euros, soit 4,2 % de la CVAE qu'elles perçoivent. La proportion est identique pour les départements. Quant au bloc communal, l'effet serait plus massif encore puisqu'il concernerait 6,5 % des recettes de CVAE, soit 275 millions d'euros.
En outre, cette nouvelle répartition de la CVAE impliquerait très probablement de remettre en cause l'équilibre trouvé en 2010, et donc de recalculer les versements et prélèvements au titre du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), pour tenir compte des effets de la nouvelle répartition.
Par ailleurs, si la consolidation de la CVAE des groupes corrige certains facteurs d'instabilité, elle contribue à en créer d'autres. Certes, la filialisation d'un établissement ne conduirait plus à modifier la répartition de la CVAE, toutes choses égales par ailleurs, mais, contrairement à aujourd'hui, les changements de périmètre des entités faisant partie d'un groupe et, à périmètre stable, les évolutions des effectifs et des bases foncières entre les différentes entités du groupe influeraient sur la répartition des recettes entre collectivités. À cet égard, ces derniers effets semblent plus importants que les premiers et accroîtraient donc la volatilité du produit de CVAE.
Enfin, le problème de la volatilité du produit de CVAE, particulièrement significative, ne serait pas résolu par cette réforme.
À ce stade, nous considérons que la réflexion doit être poursuivie. Des simulations fines au niveau du bloc communal doivent être réalisées, en prenant en compte les déclarations des effectifs des entreprises mono-établissements qui ne seront disponibles qu'à l'automne, pour apprécier précisément les conséquences de la réforme.
Parallèlement, il conviendrait d'étudier la réalité des transferts de valeur ajoutée et les risques sur la volatilité du produit de CVAE, à travers la réalisation de monographies sur quelques groupes de tailles différentes. En attendant, il convient de reporter l'application de l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016.
Indépendamment de l'application des nouvelles modalités de répartition de la CVAE, nos travaux nous ont permis d'identifier certaines questions auxquelles il faudra répondre dès le prochain projet de loi de finances.
II s'agit tout d'abord de prendre en compte les effets de l'application, pour la première fois, des valeurs locatives révisées des locaux professionnels. Modifier un des critères utilisés pour répartir la CVAE des entreprises multi-établissements, qui représente 11 milliards d'euros, soit près des trois quarts de la CVAE perçue par les collectivités territoriales, aura forcément des conséquences importantes sur la répartition du produit fiscal entre collectivités territoriales. Ces effets devraient être étudiés, en particulier pour les territoires accueillant des établissements industriels, dans la mesure où les valeurs locatives industrielles, non révisées, vont diminuer par rapport aux valeurs locatives professionnelles et commerciales.
Une telle étude permettra, le cas échéant, de justifier l'augmentation de la surpondération appliquée aux établissements industriels.
Le second point porte sur des risques d'optimisation fiscale qu'il faudrait écarter.
Le montant de CVAE effectivement acquitté par une entreprise dépend du dégrèvement barémique dont elle bénéficie, qui repose lui-même sur son chiffre d'affaires, comme le rappelle le graphique que vous avez sous les yeux. Une décision récente du Conseil constitutionnel a censuré la consolidation du chiffre d'affaires au niveau des groupes fiscalement intégrés pour le calcul du dégrèvement barémique. En d'autres termes, un groupe aurait désormais la possibilité de diviser son activité en plusieurs filiales et de réduire ainsi artificiellement son chiffre d'affaires, afin de bénéficier d'un dégrèvement plus important, voire total. Cette censure ne modifiera pas le montant réparti aux collectivités territoriales, mais pourrait représenter un coût de 300 millions d'euros pour l'État.
Nous souhaitons donc, dès la prochaine loi de finances, empêcher de tels comportements d'optimisation et ainsi éviter un dérapage du coût du dégrèvement barémique pour l'État. Il serait possible d'étendre la consolidation du chiffre d'affaires à l'ensemble des groupes, qu'ils aient ou non choisi l'intégration fiscale. Une telle disposition serait pleinement compatible avec la décision du Conseil constitutionnel, mais augmenterait la pression fiscale sur les groupes non intégrés, ce qui n'est pas notre objectif. Il conviendra donc de travailler sur ce sujet d'ici le prochain projet de loi de finances.
Toujours en matière d'optimisation fiscale, nous constatons que le coût du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée progresse deux fois plus vite que la somme du produit de CVAE et de cotisation foncière des entreprises (CFE), ce qui nous interroge.
Nous n'avons pas d'éléments permettant de conclure à des comportements d'optimisation, mais nous allons demander des informations précises sur les entreprises bénéficiant de ce dégrèvement et sur les raisons qui expliquent une telle progression.
J'en viens maintenant au dernier point de ce rapport, à travers lequel nous voudrions présenter une proposition qui permettrait de sortir du débat actuel sur les modalités de répartition de la CVAE.
Deux craintes alimentent ce débat : celle des transferts de valeur ajoutée vers les sièges sociaux et celle de l'instabilité résultant des changements de périmètre des groupes.
Ni les modalités de répartition actuelle, ni celles qui figurent dans la loi de finances rectificative de 2016, ne répondent de façon satisfaisante à l'ensemble de ces difficultés. La seule solution, d'un point de vue technique, consisterait à ne plus répartir la CVAE en fonction de la valeur ajoutée.
Nous proposons donc que soit étudiée l'hypothèse d'une répartition de l'intégralité du produit de CVAE en fonction des valeurs locatives et des effectifs situés sur chaque territoire, en cessant de territorialiser la valeur ajoutée.
Dans cette hypothèse, les deux risques précités seraient évités et la répartition reposerait sur des éléments physiques, moins mobiles, qui permettraient une moindre volatilité. De plus, de telles modalités de répartition auraient probablement un effet péréquateur au profit des territoires ruraux, dans la mesure où le rapport entre la valeur ajoutée et les critères de répartition - valeurs locatives et effectifs - est probablement supérieur dans les métropoles. Pour aller plus loin, cela pourrait corrélativement remettre en cause le FPIC ou autres. C'est une idée...
Idée que je reprends, chers collègues. Cela permettrait de se détacher de la façon dont le groupe est constitué ou de la situation des établissements, peu importe s'il s'agit d'une filiale ou non.
Certes, nous sommes conscients que cette solution impliquerait un changement de logique important.
Tout d'abord, le lien entre le territoire et l'entreprise serait modifié : la collectivité territoriale ne serait plus directement intéressée à la valeur ajoutée produite par les entreprises présentes sur son territoire. Néanmoins, un lien avec l'activité économique serait maintenu, dans la mesure où l'arrivée ou le départ d'une entreprise, ou le fait qu'elle embauche ou licencie, auraient une incidence sur le produit effectivement perçu.
Par ailleurs, les recettes perçues par une collectivité territoriale donnée ne dépendraient plus uniquement des évolutions des entreprises implantées sur son territoire, mais également de celles de l'ensemble des entreprises. Actuellement, si une entreprise a au cours de deux années la même valeur ajoutée, les mêmes effectifs et les mêmes valeurs locatives, le produit perçu est identique. À l'inverse, dans le dispositif que nous imaginons et que nous souhaitons étudier, ce montant varierait, selon la situation de l'ensemble des entreprises au niveau national. Cette moindre prévisibilité de la recette serait la contrepartie de variations de moindre ampleur.
Enfin, l'hypothèse que nous proposons supprimerait le lien entre la base fiscale - la valeur ajoutée - et la répartition de l'impôt, ce qui pourrait donc être analysé comme le remplacement d'un impôt direct local par une dotation. Dès lors qu'il s'agirait d'une dotation, elle serait susceptible d'être rabotée en fonction de la situation budgétaire, tandis que les parlementaires et le Gouvernement pourraient être tentés d'en modifier régulièrement les modalités de répartition. Un tel comportement entraînerait naturellement un surcroît d'instabilité, à moins de parvenir à mettre en place une nouvelle gouvernance des finances locales.
Pour conclure, voici nos principales recommandations.
Premièrement, reporter d'un an l'application des nouvelles modalités de répartition entre collectivités territoriales du produit de CVAE, fixées par l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016, qui prévoit de répartir la CVAE acquittée par les groupes en fonction des critères utilisés pour répartir la CVAE des entreprises multi-établissements.
Deuxièmement, réaliser des simulations précises, au niveau de chaque établissement public de coopération intercommunale, des effets de cette réforme afin de tenir compte des effectifs des entreprises mono-établissements qui n'ont pas pu être pris en compte dans les simulations réalisées cette année. Nous aurons ces informations en octobre.
Troisièmement, étudier la réalité des transferts de valeur ajoutée au sein des groupes et les risques suscités par cette réforme sur la volatilité du produit de CVAE, à travers la réalisation de monographies sur plusieurs groupes de tailles variées.
Quatrièmement, étudier, d'ici le projet de loi de finances pour 2018, les effets sur les modalités actuelles de répartition de la CVAE de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, appliquée à compter de 2017, en présentant en particulier ses conséquences sur les territoires accueillant des établissements industriels, dont les valeurs locatives devraient proportionnellement diminuer.
Cinquièmement, réduire les risques d'optimisation fiscale. Tout d'abord, en étudiant des scénarios de réponse à la décision du Conseil constitutionnel. La piste d'une consolidation du chiffre d'affaires pour l'ensemble des groupes, qu'ils aient ou non choisi l'intégration fiscale, serait pleinement compatible avec la décision du Conseil constitutionnel mais présenterait l'inconvénient d'augmenter la pression fiscale pesant sur les groupes non intégrés.
Ensuite, en étudiant précisément les bénéficiaires du plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée, afin d'expliquer une progression plus rapide que celle du produit de la contribution économique territoriale (CET).
Sixièmement, étudier l'hypothèse d'une répartition de l'intégralité du produit de CVAE en fonction des valeurs locatives et des effectifs situés sur chaque territoire, en cessant de territorialiser la valeur ajoutée, dans la mesure où, d'un point de vue technique, seul un découplage entre répartition du produit et valeur ajoutée permettra de répondre aux craintes de transferts de valeur ajoutée et de volatilité due aux changements de périmètres des groupes.
Je partage le constat et je souscris à la proposition de reporter a minima d'un an l'application de la nouvelle répartition. Les montants en jeu sont considérables et peuvent donner lieu à d'importantes pertes de recettes. Il ne me paraît pas sérieux, sans simulations préalables, d'adopter de telles mesures. Force est de constater que nous votons de plus en plus des amendements de dernière minute dont nous mesurons mal les impacts, ce qui nous oblige après coup à reporter, voire à démonter, des dispositifs complexes. Certes, la CVAE doit être mieux repartie, mais le sujet est extrêmement compliqué. À l'heure où il est question de rénovation, il serait bon que le Parlement refuse les amendements de dernière minute !
Je félicite les rapporteurs spéciaux de nous avoir éclairés sur ce sujet. J'avais en mémoire que l'amendement dont nous discutons, d'origine parlementaire, avait été adopté en séance contre l'avis du Gouvernement. On comprend d'ailleurs son opposition : sans simulation ni évaluation des risques depuis démontrés, son adoption n'était pas raisonnable.
J'ai en revanche du mal à souscrire aux conclusions des rapporteurs spéciaux, hormis leur recommandation de report d'un an.
Un exemple pour appuyer mon propos. La métropole du Grand Paris a un budget de 3,5 milliards d'euros. Quand elle en a fini des redistributions, il lui reste 27 millions d'euros, pour 7 millions d'habitants. Autant dire : assez pour organiser le concours des apiculteurs et coller des vignettes sur les voitures non polluantes, mais pas pour aider les communes à construire des logements !
Avec ce qui a été adopté à l'Assemblée nationale, la métropole perdrait 138 millions d'euros : elle n'équilibrerait donc plus son budget.
Cela étant, je m'inquiète des propositions formulées dans ce rapport. Nous nous sommes battus, au Sénat, pour garder le lien entre CVAE et territoire. Vous proposez de le modifier pour faire de la CVAE un nouvel outil de péréquation à l'échelle nationale. Or le résultat serait le même que celui obtenu avec la tentative de réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF). J'avais alors soutenu que réformer la DGF sans prendre en compte toutes les autres dotations de péréquation - dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), FPIC, notamment - était condamné à l'échec, ce qui a été démontré par le groupe de travail monté par notre commission.
Même chose ici : vous nous proposez une réforme de la CVAE alors qu'on nous annonce une réforme de la taxe d'habitation ! Remettons tout sur la table - impôts, DGF, péréquation - au lieu de procéder à des réformes isolées, faites sans appréciation globale des effets sur les collectivités.
De grâce, n'allez pas chercher dans la répartition de la CVAE ce que vous ne trouvez pas dans le FPIC, ce n'est pas possible ! Si les élus veulent des impôts territorialisés, et je pense qu'il en faut, ils doivent aussi accepter le risque de leur variation. Le risque de voir disparaître une entreprise de son territoire existait du temps de la taxe professionnelle, il existe toujours.
Le Gouvernement vient de se rendre compte que la réforme de la taxe d'habitation va poser bien des difficultés ; c'est l'occasion de tout remettre à plat.
Je partage les conclusions des rapporteurs spéciaux.
Il me semble nécessaire de progresser vers une meilleure équité dans la répartition de la CVAE. Les méthodes pour ce faire sont très complexes.
Sans être un partisan absolu de l'amendement évoqué - déposé trop tard, au dispositif trop complexe et aux effets mal étudiés -, je dois dire que la répartition actuelle m'interpelle : elle profite à certains territoires, moins à ceux qui accueillent les établissements industriels des grands groupes.
Je suis pour le report préconisé. Nous sommes les premiers à regretter les modifications perpétuelles que l'on nous impose, mais nous nous y livrons nous aussi !
Cette question, très technique, traite en réalité de la difficulté des collectivités à boucler leur budget et à l'anticiper sur plusieurs années. Une chose est sûre : elles ne peuvent continuer comme cela. Le report d'un an permet de voir le couperet tomber plus tard, mais il ne nous exonère pas d'une analyse plus globale en matière de fiscalité et de recettes, comme le préconise Philippe Dallier.
Je tiens à remercier les deux rapporteurs spéciaux. Leur travail valide ce que nous savions déjà : la CVAE est concentrée sur certains territoires, ce qui implique une certaine péréquation.
Deux aspects me paraissent particulièrement intéressants dans leur rapport : le dégrèvement barémique et le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée. L'administration fiscale va-t-elle apporter des éclaircissements sur ces deux points ? Nous parlons tout de même de sommes colossales, notamment pour le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée. Il serait utile de disposer de ces informations au moment de l'élaboration du projet de loi de finances.
Pourquoi faisons-nous la dernière recommandation ? Philippe Dallier l'a dit, nous nous sommes battus pour qu'un lien soit établi entre territoire et CVAE et nous n'entendons pas le supprimer mais le modifier. Notre volonté est également de sortir des difficultés liées à l'existence même de groupes de sociétés.
Aujourd'hui, l'explication de certaines modifications du montant de la CVAE - à la baisse, surtout, les collectivités ne demandant généralement rien quand les montants augmentent - est très difficile à trouver. Cependant, on la trouve, en regardant entreprise par entreprise. Avec le système envisagé pour les groupes, cette boîte grise devient noire : on ne voit plus rien.
Nous proposons donc d'explorer la piste initialement proposée par le Gouvernement lors de la réforme de la taxe professionnelle, et d'étudier l'hypothèse d'une répartition globale, sans prendre en considération l'existence ou non d'un groupe. Il pourrait - ce n'est pas certain - y avoir un effet sur la péréquation.
Il est en revanche certain que les variations d'une année à l'autre seront moins importantes. Cela mérite d'être étudié : c'est ce que nous proposons.
J'en viens à la question de Thierry Carcenac. Nous n'avons pas, à ce jour, obtenu de réponses de la part de l'administration. Il faut dire que la décision du Conseil constitutionnel est récente. L'optimisation n'était pas possible, jusqu'ici, pour les groupes fiscalement intégrés. La décision du Conseil constitutionnel ouvre désormais cette possibilité. Le Gouvernement devrait nous proposer des solutions.
Par ailleurs, la révision des valeurs locatives va avoir un effet puissant, jusqu'alors non anticipé, qu'il faudra prendre en compte en vue d'une réforme éventuelle.
- Présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président -
Je voudrais d'abord répondre au rapporteur général. La modification introduite par le projet de loi de finances rectificative était un peu cavalière. On peut s'inquiéter de l'avoir vue apparaître de la sorte. Il faut néanmoins reconnaître que la question de la valeur ajoutée, le coeur de l'impôt économique pour les collectivités territoriales, alimentait nos débats depuis cinq ou six ans. Cet amendement a au moins eu le mérite d'obliger le Gouvernement à nous fournir un rapport et de nous forcer à entrer dans le détail du sujet. Il était temps de se pencher sur le problème, rendu plus pressant par la volatilité de la CVAE et la récente décision du Conseil constitutionnel.
Ensuite, faut-il tout réformer ou ne pas réformer du tout ? À titre personnel, je suis pour le grand soir - en la matière seulement ! Or il est toujours reporté : il faut donc se pencher sur ce qui ne fonctionne pas. C'est ce que nous avons voulu faire.
Il faut reconnaître qu'en matière de fiscalité locale, pour ce qui est de l'impôt économique, le lien avec le territoire peut conduire à concentrer excessivement le produit sur certains territoires. Il impose d'ailleurs des péréquations sans cesse accrues, qui sont refusées par ceux qui doivent les consentir. Une modification de la répartition de la CVAE nous obligerait à reconsidérer la péréquation telle que réalisée actuellement.
Si la réforme de la taxe d'habitation annoncée a vraiment lieu, il faudra nous pencher sur l'éventualité d'une réforme d'ensemble, qui concerne les recettes comme les charges des collectivités, car il faut bien reconnaître que ces dernières ne sont pas évaluées correctement, ce qui crée de l'inéquité.
Je souscris au constat de l'imperfection du système, comme au report d'un an préconisé dans la première recommandation.
En revanche, je ne peux pas souscrire à la dernière. D'abord parce qu'elle n'est étayée d'aucune simulation ; ensuite parce qu'il est indispensable de maintenir le lien entre le territoire et l'impôt ; enfin parce que le problème naît de la volonté de mêler la péréquation à la perception des ressources. Vouloir un mécanisme de ressources réparties en fonction du territoire en plus de la péréquation aboutit à un système illisible. À mon sens, les collectivités doivent percevoir leurs ressources, et profiter ensuite seulement des mécanismes de péréquation horizontaux et verticaux.
Avec la réforme de la taxe d'habitation, qui sera complexe à mettre en oeuvre, et la réforme des valeurs locatives, nous serons peut-être contraints d'arriver au grand soir voulu par Charles Guené !
Je ne souscris donc pas à toutes les recommandations. Restons prudents.
Nous aussi, monsieur le rapporteur général, nous demandons à voir ! Nous ne préconisons pas l'instauration du système présenté dans la dernière recommandation. Comme nous l'avons indiqué, nous demandons seulement de l'étudier, car c'est le seul que nous ayons trouvé pour résoudre la question des effets du périmètre des groupes sur la territorialisation de la valeur ajoutée.
La commission autorise-t-elle la publication de cette communication, avec les réserves formulées par le rapporteur général ?
Elles sont satisfaites, puisque nous parlons seulement d'« étudier l'hypothèse d'une répartition de l'intégralité du produit de CVAE ».
La commission donne acte de leur communication à Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 10.