Seuls deux amendements du Gouvernement ont été déposés sur le texte.
Oui, dont un cette nuit ! L'absence d'autre amendement extérieur montre du reste que ce texte fait consensus. La semaine dernière, nous avions adopté à l'unanimité mon amendement obligeant les prestataires de services de paiement à souscrire une assurance pour les comptes et produits non couverts par la directive, afin de combler un vide. Ainsi, les utilisateurs seront protégés en cas de fraude ou de problème technique. En effet, plus de 80 % des comptes agrégés ne sont pas dans le champ de la directive.
Le Gouvernement propose de supprimer, avec l'amendement n° 2, l'article 1er ter A que nous avions ainsi introduit. Il conviendrait d'attendre une nouvelle directive. Mais notre responsabilité de législateur, me semble-t-il, est de protéger les consommateurs ! On voit bien que les milliards d'euros consacrés par les Gafa à la sécurité informatique n'empêchent pas la multiplication des usurpations d'identité, l'hameçonnage (« phishing ») et autres piratages informatiques (« hacking »). Or c'est l'épargne des Français qui est en jeu. Pas question de les laisser se faire ruiner.
Notre dispositif ne sur-transpose aucunement la directive, il se borne à la compléter. Le Gouvernement est conscient du risque mais souhaite attendre une nouvelle directive pour ne pas détériorer la compétitivité des start-ups françaises. Cela dit, l'obligation que nous imposons s'appliquerait à tous les prestataires exerçant en France. J'ajoute qu'elle est favorablement accueillie par les fintech.
La longueur de l'objet de l'amendement n° 2 montre assez l'embarras du Gouvernement. Il n'y a pas encore d'approche européenne et les fraudeurs n'attendent pas. Les enjeux financiers sont massifs, puisqu'il s'agit des comptes d'épargne. Le minimum est donc d'exiger des intermédiaires qu'ils soient assurés. C'est pourquoi je vous proposerai d'émettre un avis très défavorable à l'amendement n° 2.
L'amendement n° 1, à l'inverse, ne pose pas de problème, puisqu'il précise les termes d'éligibilité à la garantie des dépôts, dans un sens favorable aux épargnants.
Quel manque de bon sens ! On nous demande de voter en urgence sur un projet de loi. Le rapport de la commission des affaires européennes montre également qu'il ne comporte pas de sur-transposition, mais soulève ce problème de l'assurance des agrégateurs de comptes d'épargne. Nous traitons la question la semaine dernière. Et dans la nuit, on nous envoie un amendement pour tout remettre en cause ! C'est triste, et même dramatique. Nous aurions pu avoir une semaine entière pour réfléchir à cet amendement.
Sur la forme, vous avez raison. Sur le fond, j'espère que le Sénat repoussera cette idée étonnante. Sinon, il faudra, à tout le moins, imposer une information claire et nette des particuliers sur les risques.
Mais pourquoi supprimer l'article 1er ter A ? Il faut protéger les détenteurs de compte dans ce système compliqué. J'approuve la position du rapporteur sur l'amendement n° 2.
Nous avons débattu, avec le rapporteur général, du principe de précaution. Les développements du numérique précèdent toujours le droit. Nous avons donc un temps de retard. Le Gouvernement se retranche derrière l'Europe, mais s'il faut attendre vingt-sept avis... Le temps que nous y parvenions, le numérique aura encore évolué. Il faut dire au Gouvernement que l'excès de libéralisme met en danger les utilisateurs. Un banquier a toujours pris des assurances.
L'assurance est indispensable car l'information ne sera que théorique : on nous a récemment expliqué que, lorsque nous installons une application sur l'un de nos appareils, nous ne sommes conscients que de 20 % des autorisations que nous donnons et des risques qui s'y attachent.
Oui, il est dommage que nous n'ayons pas eu le temps d'examiner sereinement ces amendements. L'argument du Gouvernement pour supprimer cet article est qu'il préfère attendre une nouvelle directive européenne. C'est vrai que le numérique avance plus vite que la législation. Et les moyens consacrés de toute part à la sécurité n'empêchent pas la multiplication des scandales. En l'espèce, les volumes financiers ne manqueront pas d'attirer les malfaiteurs. Aussi notre responsabilité est-elle de protéger les consommateurs, sans sur-réglementer ni freiner l'entrée de nouveaux acteurs, mais en prévoyant une obligation de prendre une assurance. Les acteurs eux-mêmes souscrivent à cette option, car ils savent l'intérêt qu'ils ont à rassurer le client. UFC-Que choisir ? a détecté le risque qu'encourra celui-ci à donner ses codes : en cas de problème, la banque dira qu'il a donné son consentement. Il faut tenir, donc, et faire respecter le bon sens. Nous l'avions fait déjà en interdisant les acteurs qui promettaient des gains faramineux de 500 % sur des produits toxiques et auraient, sans nous, ruiné bien des clients.
Entièrement d'accord. Nous devons nous rassembler pour rester vigilants sur le rôle du droit communautaire. Doit-il être un plafond ou un plancher ? Quelle capacité de création législative nous est laissée au niveau national ? Je ne pose pas ces questions inspiré par je ne sais quel repli nationaliste. Mais la réforme constitutionnelle dont on parle tant ne doit pas porter que sur des aspects quantitatifs et sur le nombre d'élus : il importe de préserver aussi notre capacité à défendre les intérêts de la France dans l'espace juridique communautaire. Après tout, une initiative du Parlement peut aussi aider à faire progresser le droit communautaire.
La directive nous oblige à transposer mais ne nous interdit heureusement pas de prendre des initiatives ! Comme 80 % des comptes agrégés ne sont pas des comptes de paiement, la frontière tracée par la directive n'est pas bonne.
En décembre dernier, le Parlement a adopté, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2018, une nouvelle trajectoire de diminution du taux normal de l'impôt sur les sociétés, qui sera réduit à 25 % à partir de 2022.
Cette mesure de convergence du taux de l'impôt sur les sociétés avec la moyenne européenne intervenait quelques semaines après l'adoption par l'Assemblée nationale de deux contributions exceptionnelles d'impôt sur les sociétés visant à compenser le coût de la censure par le Conseil constitutionnel de la taxe à 3 % sur les dividendes distribués.
Ces deux décisions montrent bien que notre législation en termes d'impôt sur les sociétés est de plus en plus soumise à un cadre international et européen, avec des enjeux importants pour notre compétitivité mais aussi pour nos finances publiques.
Au-delà de la fixation du taux de l'impôt sur les sociétés, des questions centrales se posent s'agissant des règles d'assiette. Les recommandations issues du projet BEPS (base erosion and profit shifting) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vont probablement nous conduire à une adaptation de notre régime national d'imposition. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) influence fortement certaines dispositions nationales, en particulier s'agissant du régime d'intégration fiscale. Enfin, comme vous le savez, à moyen terme, une proposition d'assiette commune voire consolidée d'impôt sur les sociétés (Accis) est en cours de discussion.
Le Gouvernement a ouvert une consultation en janvier dernier en vue d'une réforme de l'impôt sur les sociétés qui pourrait être proposée dès le prochain projet de loi de finances.
C'est pourquoi nous avons souhaité anticiper sur ces propositions d'évolution de l'impôt sur les sociétés et enrichir nos réflexions en réunissant les différents acteurs. Nous avons le plaisir de recevoir Grégory Abate, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la direction de la législation fiscale, Bernard Bacci, directeur fiscal du groupe Vivendi, Béatrice Deshayes, directrice fiscale du groupe LVMH, Daniel Gutmann, avocat associé du cabinet CMS Francis Lefebvre et Stéphanie Robert, directeur de l'Association française des entreprises privées (AFEP). Cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
Pour commencer, je donne la parole au représentant de la direction de la législation fiscale, Grégory Abate, qui va préciser le champ de la consultation ouverte par le Gouvernement et les principales évolutions envisagées de l'impôt sur les sociétés.
La réforme de l'impôt sur les sociétés s'inscrit dans un mouvement amorcé par la baisse programmée du taux de droit commun à 25 % en 2022. Elle entrera en vigueur en 2019 ou après.
Pour sécuriser nos règles d'assiette, nous travaillons à réformer l'intégration fiscale, l'imposition des revenus afférents aux actifs de propriété industrielle et le régime de déductibilité des charges financières après la directive sur la lutte contre l'évasion fiscale du 12 juillet 2016, dite « ATAD ». Pour accroître la convergence fiscale européenne, nous travaillons activement avec l'Allemagne.
La réforme de l'intégration fiscale doit nous prémunir contre les menaces que la jurisprudence de la CJUE fait peser sur certains de ses mécanismes. Je ne pense pas tant à la consolidation des pertes et des profits qu'à la neutralisation des opérations intragroupes, remise en question par le conseil des prélèvements obligatoires (CPO).
Sur le régime des brevets, l'action 5 du projet BEPS définit un cadre selon lequel les avantages fiscaux doivent être corrélés avec les dépenses de recherche engagées sur le territoire de l'État. Cela nous impose de réformer notre système, qui n'est pas conforme à cette logique. Sur les charges financières, il s'agit essentiellement de transposer la directive ATAD, avant la fin de l'année ou en tous cas avant 2024, délai dérogatoire prévu par la directive pour cette disposition.
Daniel Gutmann, avocat fiscaliste, va nous présenter les modifications de règles d'assiette de l'impôt sur les sociétés que la France devra mettre en oeuvre pour procéder à la transposition de la directive ATAD, mettre en conformité le régime d'intégration fiscale avec le droit européen et intégrer les recommandations de l'OCDE.
Je suis avocat, mais aussi professeur de droit. C'est à ce titre que j'ai contribué au rapport du conseil des prélèvements obligatoires sur l'évolution de l'impôt sur les sociétés.
Nous sommes dans un univers de plus en plus contraint car le droit de l'Union européenne en matière fiscale se développe rapidement, ce qui est une rupture historique, et car l'OCDE émet des normes juridiquement non contraignantes mais qui, en pratique, nous lient, comme en témoigne notre réforme actuelle du droit des brevets - même si cette réforme répond aussi à la position de la Commission européenne.
Pour le Parlement français, la question est double. Il s'agit de savoir quelles sont les marges de manoeuvre dont il dispose encore, et quelles marges de manoeuvre il souhaite conserver. Pour lutter contre l'optimisation fiscale, s'est récemment imposée l'idée qu'il ne sert à rien d'agir seul et que les États doivent prendre des mesures concertées. C'est ce qu'ils font, comme en témoigne l'actualité immédiate avec la présentation par la Commission européenne d'une proposition de directive sur la fiscalité des activités numériques.
Peut-on défendre seul la compétitivité de ses entreprises ? La fiscalité sert aussi à cela. L'Union européenne doit devenir un espace commun de compétitivité fiscale, car la concurrence fiscale intracommunautaire est nuisible. Actuellement, la France possède certains avantages systémiques qui contrebalancent une certaine lourdeur globale du dispositif de l'impôt sur les sociétés. Voulons-nous les conserver ? L'Accis annonce une unification européenne des règles d'encouragement de la recherche. Tant mieux ! Mais voudrons-nous supprimer notre crédit d'impôt recherche (CIR) ?
Ce que nous devons déjà faire, c'est transposer les règles contre l'évasion fiscale, par exemple sur la déduction des intérêts ou le transfert de siège et d'actifs. Cela dit, sans en avoir l'air, ces règles changent profondément la structure du système fiscal.
Béatrice Deshayes, directrice fiscale du groupe LVMH et Bernard Bacci, directeur fiscal du groupe Vivendi, quel est votre point de vue de professionnels sur les caractéristiques françaises actuelles de l'impôt sur les sociétés et sur les évolutions qui pourraient, selon vous, être envisagées ?
LVMH est avant tout l'un des derniers grands exportateurs français. Le made in France est un actif majeur pour nous, et c'est une composante essentielle de la désirabilité de nos produits. LVMH se réjouit de la baisse tendancielle des taux d'impôt sur les sociétés, qui nous semble saine : au sein de l'Union européenne, ces taux sont passés d'une moyenne de 35 % en 1997 à 25 % aujourd'hui.
Le chiffre d'affaires de LVMH est de 42 milliards d'euros, dont 10 % sont réalisés en France. Notre premier marché est le marché américain, qui représente 25 % du total. L'Asie, elle, représente 28 %. En 2017, nous avons réalisé 40 % de nos profits en France et nous y avons payé 52 % de nos impôts - chiffre un peu accru par les contributions exceptionnelle et additionnelle. Les Chinois constituent 30 % de notre clientèle et nous réalisons 7 % de notre chiffre d'affaires en Chine, et 4 % de nos résultats ; nous y payons 4 % de nos impôts.
Chacun estime aujourd'hui qu'il faut taxer les profits là où la valeur est créée. Ce principe, affirmé par Emmanuel Macron à la Sorbonne, ou par Bruno Le Maire au G20, est séduisant. Encore faut-il savoir comment appréhender la création de valeur. Nous estimons que, chez LVMH, l'essentiel de la création de valeur est fait en France et en Italie, puisque c'est là que l'on trouve nos ateliers, nos créateurs et nos savoir-faire. Cela est reflété par la répartition de notre charge fiscale. Mais les Chinois nous expliquent que les clients contribuent aussi à cette création de valeur, et aimeraient que cela se reflète dans les impôts que nous leur versons. La Chine représente notre troisième plus grand nombre d'employés, car nous y avons de nombreuses boutiques - même si 70 % de nos clients Chinois n'achètent pas en Chine ! La question est donc entière : où est créée la valeur ? Et elle n'a rien à voir avec la fraude fiscale. La France et l'Union européenne ont exacerbé les tensions nées de ces appréciations divergentes de la création de valeur en tentant d'attaquer le numérique.
Les conventions fiscales sont là pour éviter la double taxation. Avec la Chine, la convention n'est pas assortie d'une clause d'arbitrage. Et il n'y a pas de Cour où porter nos contentieux... Avec les déclarations d'activité pays par pays, ou country by country reporting (CBCR), l'administration chinoise aura bientôt sous les yeux nos chiffres, pays par pays, et verra que nous payons l'essentiel de nos impôts en France alors que l'essentiel de nos clients sont chinois.
Vivendi est actif dans la télévision payante et gratuite ainsi que dans la musique et les jeux en ligne : à la frontière entre l'ancien et le nouveau monde !
Le numérique a conduit les États à s'interroger sur la taxation des GAFA, qui se sont structurés de manière à éviter l'impôt. Pour nous, ce sont parfois des concurrents, et leur exemple peut inciter à s'attaquer à toutes les grandes entreprises, ce qui serait une erreur. La question de la localisation de la création de valeur concerne moins les entreprises que les États. Le projet BEPS n'apporte aucune réponse pour taxer l'économie numérique, mais il impose des obligations à tous.
Le CBCR éclairera les administrations fiscales, mais les pays qui ne sont pas dans l'OCDE détournent massivement cette procédure. En effet, les travaux de l'OCDE sont effectués par des pays ayant un système fiscal stable et contrôlé par le juge. Et ils profitent directement à des pays aux administrations fiscales naissantes et au système judiciaire malveillant envers les entreprises étrangères, qui entrent en compétition pour récupérer autant d'impôts que leurs voisins. En principe, le CBCR n'a pas à être communiqué aux administrations locales mais uniquement à l'administration dont on dépend ; mais en cas de contrôle, il est difficile de refuser de le remettre sous peine de se voir accuser d'obstruction.
Les entreprises françaises sont légalistes, ce qui les rend parfois vulnérables. Les États sont en compétition au travers de leurs politiques de compétitivité ; à peine sortis du G20, chacun met en place ses propres mesures.
La liste des pays et des territoires non coopératifs est établie au niveau de l'Union européenne. La première version de cette liste recensait une centaine de pays, ce qui était pour le moins étrange, car cela signifiait que la moitié des juridictions était au ban de l'autre moitié. En décembre 2017, la liste a été réduite à 17 pays. En janvier 2018, n'y figurent plus que 9 pays, sans doute ceux qui n'ont pas d'amis parmi la communauté internationale. Qu'en conclure sinon que l'entreprise est prisonnière des conflits diplomatiques entre les États ? Lorsque le législateur ne prend pas la peine de s'interroger sur les enjeux profonds de telle ou telle disposition, il prend le risque d'alimenter un régime défavorable aux entreprises françaises et in fine à la France.
Merci d'avoir partagé votre point de vue nourri par votre expérience au sein d'une grande entreprise. Stéphanie Robert va désormais nous éclairer, de manière plus globale, sur les attentes des grandes entreprises françaises en matière d'évolution de l'impôt sur les sociétés.
L'AFEP regroupe 120 grands groupes privés français, ancrés sur le territoire national et très internationalisés. En 2017, les 115 entreprises de l'association représentaient 13 % du PIB français et payaient 19 % des prélèvements obligatoires sur les entreprises, dont 25 % d'impôt sur la production, 16 % d'impôt sur les sociétés et 19 % d'impôt sur les salaires. Il est très important que la France puisse s'appuyer sur ces grands groupes qui non seulement font sa fierté à l'international, mais qui sont aussi source de richesse fiscale.
Mes collègues ont dressé l'inventaire des évolutions contradictoires qui affectent le monde. La réforme fiscale américaine est une bombe dans le paysage fiscal actuel. Déjà en vigueur, elle s'inscrit à rebours des lignes défendues par l'OCDE et des règles sur lesquelles s'appuient un certain nombre de pays émergents, en tirant l'imposition du produit vers les États où il est consommé. La France compte plus de 60 millions d'habitants. Elle peut difficilement rivaliser avec des pays comme le Brésil, l'Inde ou la Chine en matière de consommation. Ne nous y trompons pas. La réforme américaine est très favorable aux entreprises françaises qui bénéficieront d'effets fiscaux attractifs dès lors qu'elles investiront localement. Les investissements risquent de se déplacer aux États-Unis sous l'effet d'un appel d'air immédiat puissant, à savoir la déductibilité totale des investissements réalisés en 2018. Il faut absolument prendre la mesure de cette réforme américaine, stable dans le temps, bipartisane et pensée depuis longtemps. Encore une fois, elle ne pénalise en rien les entreprises européennes, mais leur offre un appel d'air pour localiser leur activité outre-Atlantique.
Certains pays cherchent à tirer parti de la base taxable défavorable à la France en termes de brevets. Depuis le démarrage du projet BEPS, la possibilité de redistribuer le droit d'imposer entre les États fait débat, car certains ont beaucoup à y perdre. Le produit de nos entreprises risque de se répartir différemment. Ce qui ne sera plus taxé au titre de la redevance du brevet sera taxé localement par la Chine, l'Inde ou le Brésil. Pourquoi ces États se sont-ils ralliés à l'OCDE plutôt qu'à l'Organisation des Nations Unies, sinon parce que l'OCDE leur ouvre la possibilité d'une taxation de la consommation ?
La France doit faire entendre sa voix dans cette cacophonie. Les perspectives d'évolution du régime de groupe, du régime des charges financières et des redevances de brevet sont intéressantes. Il faudrait en mesurer les conséquences. L'audition que vous avez organisée est particulièrement bienvenue, car vous avez parfaitement saisi les enjeux de demain en définissant son sujet. La baisse du taux de l'impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 arrivera trop tard, dès lors que les États-Unis viennent de passer de 35 % à 21 % entre 2017 et 2018. Il nous faut développer une vision commune des évolutions en cours et savoir ce que nous souhaitons taxer : voulons-nous continuer à attirer de la valeur et taxer les incorporels parce qu'ils sont rémunérés et détenus en France ?
Il faut continuer à renforcer la concertation avec les entreprises. La directive anti-évasion ATAD est difficile à mettre en oeuvre : règle de base, clause de sauvegarde, etc. Ces dispositions sont extrêmement compliquées. L'Union européenne fixe la règle. Le législateur national doit la clarifier, la rendre intelligible et intelligente.
Enfin, il convient de définir rapidement l'agenda et le contenu des réformes à mener. La propriété intellectuelle est un sujet majeur, car les États-Unis sont en train de mettre en place un système aspirant. Nous devons clarifier notre dispositif et nous donner la latitude de choisir parmi les grandes lignes tracées par l'OCDE, celles qui sont bonnes pour la France.
Merci pour ce propos qui ne se limite pas à défendre les intérêts des contributeurs économiques privés. Vous nous avez rappelé les deux termes de la problématique fiscale que doit tenir le législateur : être raisonnable dans la contribution prélevée et couvrir les charges de l'action publique.
La réforme fiscale américaine aura probablement des conséquences sur les recettes fiscales en Europe...
Nous avons récemment vécu l'épisode douloureux de la compensation de la taxe à 3 % sur les montants distribués par une surtaxe mal calibrée. Considérez-vous que d'autres régimes d'imposition spécifiques à la France risquent d'être remis en question pour leur non-conformité au droit de l'Union européenne et notamment au principe de la liberté d'établissement ?
La commission des finances s'est beaucoup interrogée sur la taxation de l'économie numérique, notamment au sujet de la taxe sur le chiffre d'affaire. Cette taxe constitue-t-elle une solution pertinente ? Le projet de directive Accis n'a-t-il pas pour grande faiblesse de ne pas prendre en compte le numérique ? BEPS ne prévoit pas de modifier les conventions bilatérales sur ce point. Quelle serait la bonne solution pour taxer les profits des GAFA qui font des parts de chiffre d'affaires considérables en France et en Europe tout en échappant à l'imposition ?
Quant à la directive ATAD, la nouvelle règle de plafonnement de la déductibilité des intérêts d'emprunt ne risque-t-elle pas de nuire à la compétitivité de notre régime fiscal ? Quelles sont les attentes des entreprises sur ce point ?
Le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, a indiqué à l'automne dernier devant l'Assemblée nationale qu'il souhaitait procéder à une convergence des règles d'assiette de l'impôt sur les sociétés avec l'Allemagne d'ici la fin de l'année. Est-ce toujours d'actualité ? Quelles sont les divergences qui devront être corrigées ? Par ailleurs, alors que la diminution du taux de droit commun sur l'impôt sur les sociétés sera pleinement effective en 2022, quel calendrier retenir pour l'évolution des règles d'assiette ?
Pour éviter la répétition du scénario de la taxe à 3 % sur les montants distribués, nous nous sommes engagés dans une revue des différents régimes de taxation existants en France à l'aune de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et en tenant compte également de la jurisprudence constitutionnelle. Le régime de l'intégration fiscale focalise nos inquiétudes. Le coeur du dispositif, à savoir la consolidation des pertes et des profits des entreprises membres d'un même groupe à l'échelle du territoire national, n'est pas remis en cause par la jurisprudence européenne. Au contraire, ce principe a été validé par la CJUE. En revanche, les mécanismes qui neutralisent et atténuent la taxation sur les opérations à l'intérieur du groupe (versement de dividendes donnant lieu à une exonération de 1 % au lieu de 5 % dans le droit commun, ou cession d'actifs neutralisée entre sociétés du même groupe) constituent des avantages qui s'exercent dans le périmètre restreint des entreprises établies en France. À ce titre, ils ne sont pas forcément compatibles avec la liberté d'établissement définie par le droit européen.
Il est difficile d'évaluer si ces règles sont conformes à la jurisprudence de la CJUE qui ne se prononce que sur des cas particuliers sans dégager de grands principes. Il n'en reste pas moins que certains sujets sont plus sensibles que d'autres, comme le traitement des dividendes qui ne bénéficient pas de l'exonération du groupe mère-fille et sont neutralisés à l'intérieur du groupe fiscal lorsqu'ils sont versés entre sociétés françaises du groupe. La revue que nous menons vise à sécuriser le plus possible notre environnement sur le plan juridique.
En France, nous disposons d'un arsenal législatif conséquent pour limiter la déduction des intérêts d'emprunts. L'articulation des régimes de limitation des charges financières avec le régime de l'intégration fiscale fait débat. Le dispositif du rabot sur les charges financières nettes consiste à ne pas admettre en déduction 25 % des charges financières nettes d'une entreprise. Le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation consiste à réintégrer les intérêts d'emprunts au-delà du seuil qui caractérise aux yeux de la loi la sous-capitalisation d'une entreprise. D'un côté, on part du principe qu'un groupe d'intégration fiscale constitue un redevable unique ; de l'autre, on privilégie une approche individualisée, puis on calcule un surcroît d'intérêts déductibles à l'échelle du groupe. Est-il possible de raisonner à partir du groupe fiscal pour calculer un plafond de charges financières d'intérêts d'emprunts déductibles ? Il semble que raisonner à cette échelle procure des avantages que la CJUE pourrait considérer comme non compatibles avec la liberté d'établissement.
Cependant, la directive ATAD prévoit un mécanisme de plafonnement des charges financières que les entreprises membres peuvent appliquer en fonction de leur bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA), au niveau du groupe fiscal national. Par conséquent, si l'on doit transposer cette nouvelle règle, il nous semble à tout le moins que l'on pourrait continuer à raisonner à l'échelle d'un groupe considéré comme une entité unique en matière fiscale. Et si la directive ATAD reconnaît le groupe comme une entité fiscale unique au niveau européen, pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement au niveau national ?
D'autres sujets qui touchent aux charges financières ne sont pas moins surprenants. Ainsi, en 2012, on a introduit dans la législation française une mesure pour lutter contre certains dispositifs hybrides, notamment ces instruments financiers grâce auxquels on peut considérer dans un État qu'on a affaire à de la dette donnant lieu à des intérêts déductibles, et dans un autre État qu'il s'agit d'instruments de capital de sorte que les intérêts sont exonérés au titre d'un régime mère-fille. La loi française prévoit que les charges financières ne peuvent être déductibles qu'à condition que celui qui les reçoit soit imposé au moins à 25 % sur ces flux de revenus. Ce mécanisme est-il compatible avec la liberté d'établissement ? La CJUE peut considérer que ce dispositif est dirigé contre des entreprises non françaises et porte atteinte à la liberté d'établissement. En réalité, il s'applique aussi quand le flux d'intérêts est versé en France à une société exonérée d'impôts, ce qui arrive par exemple dans le secteur immobilier. Même si ce régime s'exerce dans le champ transfrontalier, il n'exclut pas les autres.
Les entreprises sont informées d'un certain nombre de contentieux de place, qu'il s'agisse de la taxation sur les dividendes ou sur les plus-values. Je ne suis pas persuadé que ces zones de risque soient comparables à la taxe à 3 %.
On n'a jamais autant légiféré sur la déduction des intérêts que lors de ces dernières années, alors même que les taux d'intérêt ont atteint leur niveau le plus faible et que les entreprises dégagent des produits d'intérêts nets. Ce déchaînement a quelque chose d'étrange. S'agit-il d'un effet retard ? On empile des dispositions législatives les unes sur les autres : l'amendement Charasse, l'amendement Carrez, la limitation aux fonctions des capitaux propres, le rabot... Le projet de directive ATAD est intéressant. Cependant, ne vaudrait-il pas mieux procéder à un toilettage qui simplifierait la vie des entreprises plutôt qu'ajouter une couche de plus à l'empilement ?
Une taxe sur la consommation réglera-t-elle le problème de la taxation sur le numérique ? Si les GAFA ne payaient pas d'impôts avant la réforme Trump, le débat a changé, car ils sont désormais taxés aux États-Unis, de sorte qu'on ne pourra pas les soumettre à l'impôt sans une confrontation directe avec les Américains. La non taxation des GAFA relevait d'une décision des parlementaires américains qui souhaitaient aider ces entreprises à se développer. Est-il juste de taxer la consommation d'un point de vue technique ? Je n'en sais rien. Cela nécessitera de déterminer l'assiette de la taxe, mais aussi la manière dont on la contrôle. Les arbitrages dépendront de pays qui n'ont pas les mêmes intérêts à défendre.
La réponse américaine constitue un frein fort en matière de taxation numérique. Où se trouve la création de valeur ? Telle est la question fondamentale. La valeur est-elle là où se trouvent les incorporels, le savoir-faire et les marques ou bien là où se trouve le marché ? La France doit définir ce qu'elle veut être : un pays de savoir-faire ou bien un pays de marché.
Il est compliqué de s'attaquer aux GAFA alors que le numérique est désormais omniprésent. Que deviendront les boutiques ? Darty vend très peu en magasin, car les clients préfèrent acheter sur le site internet de l'enseigne. L'empreinte physique est condamnée à disparaître. On ne peut pas segmenter le numérique et le reste du monde.
Dans ce contexte international nouveau, l'impôt sur les sociétés est-il encore le bon moyen de taxer les entreprises ? Les frontières sont perméables, l'assise de nos bases fiscales se dilate considérablement, de sorte que l'impôt sur les sociétés ne semble pas destiné à durer à jamais. L'avènement du numérique pose la question de la finitude de cet impôt.
Il a été mentionné la nécessité d'agir à plusieurs plutôt que tout seul. Cependant, quand il s'agit de lutter contre la fraude fiscale, ne risque-t-on pas d'être tirés vers le bas à attendre l'Europe ?
Il a été dit que les paradis fiscaux sont le résultat d'un club d'amis. Les contentieux sont nombreux. Je vous invite à lire la proposition de résolution pour une conférence des Parties de la finance mondiale, l'harmonisation et la justice fiscale, qui a été débattue en séance publique au Sénat le 7 mars dernier. Je crois que les paradis fiscaux profitent surtout d'un défaut de volonté politique, qui s'explique par le fait que certaines entreprises ont besoin de ces paradis.
Enfin, est-il légitime de taxer les GAFA ? Les États-Unis avaient décidé d'exempter d'impôts ces grandes entreprises. Faut-il considérer qu'ils avaient raison ?
Nous n'avons pas d'autre choix que de continuer à créer de la richesse en France. Les grands groupes sont notre atout. En revanche, la France est le pays avec la taxation la plus élevée d'Europe. La convergence fiscale risque de se réaliser à nos dépens. Le contexte européen est à l'exacerbation de la concurrence fiscale, avec en particulier des États membres spécialistes de l'optimisation fiscale sur les holdings. Nous tenons depuis bien trop longtemps le rôle des idiots utiles. Cessons de nous voiler la face, en attendant que l'Europe prenne des décisions qui nous seront forcément défavorables. D'autant que les pays de l'Est risquent eux aussi d'entrer dans la concurrence pour attirer la richesse fiscale.
Les États-Unis nous imposent des chocs violents. Les Chinois ont choisi de créer leurs propres GAFA et de ne pas les fiscaliser. Les Européens restent impuissants. Quels sont nos atouts pour faciliter la constitution de GAFA européens qui créeront de la richesse et que l'on pourra ensuite taxer ?
Voilà quinze ans que l'on parle de la baisse de l'impôt sur les sociétés en France : on en parlait déjà sous le président Jacques Chirac ! En 2022, on parviendra enfin à réaliser l'objectif à 25 % fixé il y a quinze ans, ce qui est un gros progrès. On nous dit que la tendance pourrait s'accélérer. Je n'en suis pas certain. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont besoin de gros investissements pour faire face à la concurrence des industries allemandes. Or, le taux qu'on leur applique est toujours à 33,1/3 %, alors qu'il est moindre en Allemagne, et nous restons avec un taux de droit commun parmi les plus élevés en Europe. Quant aux États-Unis, ils ont décidé il y a quelques mois de passer de 35 % à 21 %, et ils ont déjà atteint leur objectif. Bien sûr, tout va toujours plus vite aux États-Unis qu'en France. Cependant, ce serait une erreur grossière d'attendre 2022.
En France, on est unanime à célébrer le crédit d'impôt recherche (CIR). Il est efficace, il coûte cher à l'État, mais il nous permet d'avoir des brevets. Cependant, beaucoup de ces brevets finissent par être exploités à l'étranger, de sorte que leurs bénéfices nous échappent. Ne faudrait-il pas associer le CIR à l'accompagnement de l'exploitation du brevet en France ?
Faut-il s'accrocher à un impôt sur les sociétés qui va inexorablement disparaître ? Le processus est déjà engagé. En 2009, l'impôt sur le revenu produisait 50 milliards d'euros de recettes et l'impôt sur les sociétés 37 milliards d'euros ; dans les prévisions de la loi de finances pour 2018, les recettes d'impôt sur le revenu sont évaluées à 72 milliards d'euros et celles d'impôt sur les sociétés à 25 milliards d'euros. C'est un vrai débat de fond. Le monde économique a aussi besoin d'impôts pour former les salariés, ouvrir des crèches, etc. Le monde économique doit aussi contribuer au fonctionnement de la société sans pour autant rendre gorge, mais grâce à un impôt progressif, juste et applicable à tous.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport annuel du groupe Vivendi datant de 2017. On y parle de « conseils extérieurs auxquels il est fait appel dont la qualification adéquate a une réputation justifiée » : cela signifie-t-il que vous auriez éliminé des groupes comme Mossack Fonseca et Appleby qui ont été impliqués dans des scandales récents ?
On peut également lire que « le groupe témoigne d'un seuil de tolérance très bas à l'égard du risque fiscal et notamment refuse de localiser des bénéfices dans les paradis fiscaux ». Ne vaudrait-il pas mieux préciser qu'il s'agit d'un seuil de tolérance zéro plutôt que d'un seuil très bas ?
Enfin, LVMH compte plus de 900 entités dans le monde, avec 25 % de son marché implanté aux États-Unis, surtout dans l'état du Delaware qui accueille 50 % des groupes côtés à Wall Street. Cet état offrirait des conditions particulièrement attractives ?
Dans son rapport publié en janvier 2017, le Conseil des prélèvements obligatoires tend à considérer que la convergence européenne fera disparaître le taux réduit accordé aux petites et moyennes entreprises (PME). Je crois au contraire que dans le contexte du plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), il est essentiel que nous préservions nos PME. Quels arguments justifieraient que l'on supprime ce taux réduit ? La convergence européenne nous forcera-t-elle à le supprimer ?
La Grande-Bretagne a un taux d'impôt sur les sociétés de 19 % et elle laisse entendre qu'elle pourrait le baisser à 10 % dans le cadre d'une sortie brutale de l'Union européenne. Aurons-nous un paradis fiscal à nos portes ?
Le président de la République et Bruno Le Maire ont relancé le groupe de travail franco-allemand sur les questions fiscales. Comment cette initiative s'articule-t-elle avec les travaux en cours sur l'assiette commune ? Pouvons-nous aller encore plus loin en matière de convergence avec l'Allemagne ? Notre tissu industriel, plus faible qu'outre-Rhin le supportera-t-il ?
La France et l'Allemagne travaillent sur un chantier de convergence fiscale qui rejoint la proposition de directive Accis discutée à Bruxelles. Les deux pays ont formé un groupe de travail pour définir une position commune sur cette directive. Nous avons déjà passé en revue les dispositions du texte et identifié des points de convergence. Il nous reste à traiter les points de divergence qui subsistent en raison du caractère particulier du système fiscal et social tel qu'il s'exerce dans chacun des deux pays : les provisions pour retraite, par exemple, ne sont pas déductibles en France, mais le sont en Allemagne. Si la France devait s'aligner, les conséquences budgétaires seraient considérables.
Les règles sur les amortissements constituent une autre difficulté. La proposition de directive prévoit trois catégories de biens avec un dispositif de panier d'amortissement assez étranger à notre système français d'amortissement individuel des actifs. Nous sommes d'accord avec nos homologues allemands pour défendre le rejet de ce dispositif global. Cependant, des questions restent non résolues, notamment en ce qui concerne les amortissements dérogatoires et les provisions réglementées déductibles en France. Une convergence bilatérale entre nos deux pays préfigurerait la transposition de la directive Accis. Elle pourrait se fonder sur les principes arrêtés dans la position commune que nous aurons définie. La stratégie consisterait à défendre une position commune, puis à créer un effet d'entraînement, au vu de l'avancée des négociations européennes, grâce à des mesures dont on envisagerait l'entrée en vigueur dès la fin de cette année.
Nous n'avons pas attendu l'Europe pour lutter contre l'évasion fiscale. Dès le début des années 1980, nous avons adopté des instruments anti-abus sans équivalent en Europe, notamment en matière d'impôt sur les sociétés ou de taxation des profits. Mais nous avons besoin de l'Europe pour lutter contre l'évasion fiscale, et surtout contre la fraude fiscale, qui nécessite une coopération internationale des administrations fiscales. Les directives communautaires vont dans ce sens.
Même pour lutter contre la sous-imposition des GAFA, qui fait consensus, il faut de la coopération internationale. En France, un dispositif adopté il y a quelques années pour imposer des établissements stables fictifs avait été censuré par le Conseil constitutionnel ; s'il avait été promulgué, les avocats l'auraient immédiatement contesté comme contraire aux conventions fiscales conclues par la France : mieux vaut s'accorder avec nos voisins que d'adopter, seuls, des dispositifs généreux mais sans portée réelle.
L'idée de lier le CIR au fait que les produits de la recherche soient exploités en France peut sembler séduisante, mais j'y apporte deux bémols. D'abord, il est par nature difficile de prévoir le résultat de la recherche - et a fortiori, l'exploitation qui pourra en être faite ! Ensuite, le cadre européen nous incite plutôt à faire bénéficier du taux réduit les produits retirés de la recherche. Évidemment, cela altèrera notre compétitivité : l'arbitrage est complexe.
Je n'ai pas à défendre la position du CPO sur le taux réduit pour les PME. Selon les économistes, les arguments traditionnels en la faveur de ce taux réduit sont discutables. Le premier est le besoin de fonds propres des PME, mais il n'y a plus de lien avec le taux réduit, puisque de nouveaux instruments de financement sont apparus. On allègue aussi leur capacité contributive inférieure : cet argument est démenti par les faits. Elles auraient, aussi, de moindres marges d'optimisation fiscale : là aussi, l'expérience ne confirme pas cet argument. Un récent rapport du CPO montre que leur taux réel d'imposition ne diffère guère de celui des grands groupes. Enfin, comme tout avantage fiscal, le taux réduit peut être instrumentalisé ; de fait, on observe un décrochage assez curieux à l'approche du seuil correspondant à la fin du taux réduit.
Vivendi était au régime des bénéfices consolidés jusqu'en 2011. Ce régime consistait à taxer les entreprises sur l'ensemble de leurs profits mondiaux, ce qui répondait à toutes les problématiques de paradis fiscaux et de prix de transferts. Et il a été supprimé à l'unanimité par le Parlement !
Notre description de la politique fiscale de Vivendi répond à une démarche citoyenne. Nous parlons de tolérance très faible et non de tolérance zéro car cette expression est connotée. En réalité, nous ne pratiquons pas ce genre d'opérations. Non par vertu, mais tout simplement parce que la loi fiscale change chaque année, en France comme ailleurs.
Il aurait été stupide de travailler avec Mossack Fonseca alors que nous étions au régime des bénéfices consolidés. Nos conseils sont de premier plan : nous nous assurons de leur réputation auprès des autorités fiscales.
Enfin, le Delaware n'est pas un paradis fiscal ! Le régime d'imposition américain est fédéral. Partout, le taux d'impôt sur les sociétés était de 35 % jusqu'à l'an dernier, et il est désormais de 21 % sous certaines conditions. La spécificité du Delaware est son régime juridique, qui assouplit certaines formalités, notamment pour tenir un conseil d'administration. D'ailleurs, la France a aussi assoupli ses règles en la matière.
La liste des paradis fiscaux est la liste des pays qui n'ont pas d'amis : les îles anglo-normandes, qui dépendent de la couronne britannique, n'y figurent pas, non plus que le Panama... J'ai ma propre liste, bien plus large. Et je m'assure que mes fournisseurs ne sont pas engagés dans des schémas d'évasion fiscale, car je ne voudrais pas être complice de telles opérations.
LVMH compte 70 maisons dans 70 pays. Les maisons sont gérées en toute autonomie et disposent de leur propre structure juridique.
Le Delaware n'est pas un paradis fiscal, puisque l'impôt aux États-Unis est fédéral. En 2017, LVMH a payé 39 % d'impôt aux États-Unis, ce qui correspond au montant de l'impôt fédéral et de l'impôt étatique auxquels nous sommes soumis, pour un montant de plus de 500 millions de dollars. Le Delaware offre des facilités juridiques, mais pas fiscales. Pour ce qui est de l'impôt étatique, nos activités sont très matérielles, de sorte que nous sommes taxés sur nos magasins sur la côte ouest et la côte est. Je ne crois pas que nous ayons de boutiques dans le Delaware.
Vous avez mentionné le risque que le Royaume-Uni se transforme en paradis fiscal. À voir les faibles taux d'impôt sur les sociétés pratiqués en Irlande et au Royaume-Uni, on n'en est pas très loin. L'arbitrage prend en compte l'assiette et le taux, l'idéal étant que l'on ait une assiette pertinente relativement large avec un taux faible. Si on élargit l'assiette sous l'effet d'une convergence avec l'Allemagne, sans être capable de réagir sur le taux, l'assiette risque de fuir. Quant au taux de l'impôt sur les sociétés allemand, il est de 15 %, pas de 30 %. Il faut prendre en compte l'impôt local sur les bénéfices pour atteindre ce taux.
Merci pour ces témoignages qui rendent compte de vos expériences dans un domaine complexe. L'impôt sur les sociétés n'est pas la première recette du budget de l'État. Il n'est qu'un impôt parmi ceux auxquelles les entreprises sont soumises, sans compter les charges sociales qui pèsent sur elles. Comment pourrait-on simplifier cette fiscalité ? Stéphanie Robert a surtout parlé des grands groupes privés français. Les entreprises plus modestes appellent tout autant de leurs voeux une fiscalité simplifiée.
Vos groupes portent le made in France au niveau international. Développez-vous une stratégie particulière pour continuer à le défendre ?
La lutte contre l'évasion fiscale concerne autant la fraude que la contrefaçon. De quels outils disposez-vous dans ce domaine ? Et comment lutter contre les dangers du commerce en ligne ?
Béatrice Deshayes a insisté sur l'importance que le groupe LVMH accordait au made in France. Pourriez-vous nous éclairer sur la stratégie de développement des sites de production de votre groupe et sur la décision d'en créer deux nouveaux aux États-Unis, l'un en Caroline du Nord et l'autre au Texas ? Cela signifie-t-il que vous freinerez votre production en France ?
LVMH a doublé sa taxe carbone de 15 euros à 30 euros par tonne produite. Faut-il comprendre qu'il y aurait de bons impôts, en l'occurrence ceux que vous décidez, et de mauvais impôts, décidés par l'État ?
Nathalie Goulet a questionné la légitimité d'une taxe sur les GAFA. Un grand nombre d'entreprises françaises souhaitent qu'on taxe les géants du numérique. Dans mon département, les entreprises du jouet se plaignent de la concurrence déloyale d'Amazon et consorts. L'été dernier, le tribunal administratif de Paris a rendu plusieurs jugements au sujet de Google, entreprise domiciliée en Irlande et ne disposant d'aucun établissement stable en France, ce qui l'exonère de l'impôt sur les sociétés et de la TVA pour un enjeu dépassant le milliard d'euros. Quelle définition de l'établissement stable permettrait de mieux prendre en compte le cas des entreprises du numérique ?
Enfin, je profite de la présence de maître Daniel Gutmann pour lui poser la question du verrou de Bercy : s'agit-il d'un dispositif efficace ?
Faut-il taxer là où se produit la valeur ? Dans un contexte mondialisé, les entreprises créent de la marge à la conception et à la création, mais aussi à la fabrication et à la commercialisation. La somme de toutes ces marges crée la valeur globale. Il serait logique qu'à la fin du processus la marge bénéficiaire soit répartie entre les différents lieux qui ont contribué à la créer. Une telle conception est certainement codifiable au niveau européen. Qu'en est-il au niveau international ?
Je ne comprends pas que l'on s'acharne sur la déductibilité des charges financières. C'est une marotte d'autant moins justifiée que les taux d'intérêt sont particulièrement faibles.
Je ne suis pas d'accord sur la manière dont les grands groupes et les PME ont été comparés. Comme patron d'une PME, je sais combien il est difficile d'obtenir un crédit. C'est moins le cas pour les grands groupes.
Quel lien établir entre le taux d'impôt sur les sociétés qui est d'affichage et qui relève plus de l'attractivité d'un État que de sa compétitivité, et le taux de croissance d'un pays ? Entre la nécessité d'améliorer la compétitivité des entreprises en diminuant les charges et celle de diminuer la taxation d'une production qui s'est améliorée grâce à la diminution des charges, le boyau se rétrécit. Plutôt que de faire évoluer le taux, les entreprises gagneraient à ce que l'on travaille sur la constitution des bases, la simplification des mécanismes et la stabilité. Le taux d'impôt sur les sociétés est-il déterminant ou ne s'agit-il que d'un affichage ?
Vous avez raison, il faut être prudent en comparant des taux. Les nouvelles orientations fiscales prises par les États-Unis sont une bombe dans le paysage fiscal international. Elles provoqueront un fort appel d'air. Quelles mesures pouvons-nous prendre en réponse et, surtout, comment pouvons-nous les prendre assez rapidement pour qu'elles soient efficaces ?
Comment prendre en compte la marque France dans le débat sur la localisation de la valeur ?
Un établissement stable est le fait, pour une société étrangère, d'avoir en France soit du matériel fixe et durable, soit des personnes qui agissent en son nom. Google Irlande a une filiale en France, qui y est taxée. Y a-t-elle des représentants qui peuvent l'engager ? Le tribunal administratif de Paris a répondu que non. La solution passe, avec le projet BEPS, par une définition plus large de l'établissement stable. La convention multilatérale signée à Paris en juin dernier prévoit de transposer d'un seul coup dans les conventions fiscales bilatérales les innovations proposées par l'OCDE. Mais elle peut faire l'objet de réserves, et l'Irlande en a émis, notamment sur la notion d'établissement stable - ce qui explique pourquoi l'on réfléchit à une taxation du chiffre d'affaires.
Le verrou de Bercy fait qu'une personne ne peut être attaquée au pénal que si l'administration fiscale porte plainte, et impose que cette plainte soit d'abord examinée par la commission des infractions fiscales. Il me semble que c'est une protection bienvenue du contribuable, car le droit fiscal est complexe et la notion de fraude fiscale n'est pas toujours claire : la frontière entre habileté fiscale et fraude est souvent difficile à tracer. Le juge pénal n'est pas nécessairement spécialisé en matière fiscale, et il a souvent autre chose à faire !
Oui, le taux de l'impôt sur les sociétés est presque secondaire. Un impôt est le produit d'un taux et d'une assiette. L'Allemagne a fait passer son taux de 40 % à 15 % en huit ans, sans perdre beaucoup de recettes, car l'assiette a crû et la baisse du taux a relancé les recettes publiques.
Comment simplifier l'impôt sur les sociétés ? Vaste question. Par quoi pourrait-on le remplacer ? Je ne sais pas. Ce qu'il faut avant tout, c'est de la stabilité et de la prévisibilité. C'est pourquoi nous lançons toujours une réforme longtemps à l'avance, pour que le Gouvernement ait le temps de lancer une consultation. Et le Gouvernement inscrit chaque réforme dans la durée et s'efforce de sécuriser juridiquement les dispositifs fragiles. À l'échelle européenne, la convergence ne peut qu'apporter de la stabilité.
Oui, le produit final de l'impôt résulte de l'assiette et du taux. La France souhaite accompagner l'harmonisation européenne des règles d'assiette d'une réflexion sur la convergence des taux. Cela a été dit par Emmanuel Macron à la Sorbonne, et c'est à l'ordre du jour de nos discussions avec nos partenaires allemands.
Le made in France est l'essence même de notre métier. En 2017, notre chiffre d'affaires a crû de 12 %, nous avons plus de 100 sites en France, et nous continuons à en ouvrir. Notre stratégie n'est donc pas de remplacer du made in France par du made in China. Aux États-Unis, nous avons huit sites de production car nous avons des marques américaines. Nous y avons aussi - exceptionnellement, car les Américains aiment le made in America - un atelier Vuitton, mais cette décision a été prise il y a déjà bien longtemps et n'a rien à voir avec les récentes évolutions fiscales américaines.
Pour ce qui est de la taxe carbone, nous avons souhaité investir dans un projet vertueux avec le souci de développer une politique environnementale gérable. Loin de nous l'idée de distinguer de bons et de mauvais impôts : il s'agissait simplement d'instaurer en interne un usage vertueux de l'impôt.
Enfin, la chaîne de valeur d'une entreprise se définit par la manière dont le profit se distribue entre les acteurs. Comment la répartir ? C'est bien là la question que nous nous posons. Elle reste ouverte.
Il a été rappelé que le rendement de l'impôt sur les sociétés était faible en France. Mais on oublie trop souvent que notre pays dispose d'un régime d'impôt de production unique au monde. Les entreprises françaises sont soumises à l'obligation de recenser tous les impôts de production dont elles s'acquittent chaque année. Vivendi en paie la plus grosse partie en France et le reste au Maroc. Les taxes que nous payons en France représentent plus de 100 millions d'euros par an. Il s'agit peu ou prou d'une fiscalité affectée, car ces taxes alimentent des budgets particuliers sans passer par la case du budget général.
C'est particulièrement vrai dans votre domaine d'activité, pas forcément dans l'industrie traditionnelle.
Les entreprises traditionnelles doivent aussi s'acquitter de leur lot d'impôt de production, telle l'imposition forfaitaire pour les entreprises de réseaux (IFER).
La concentration est considérable, puisque les 115 entreprises membres de l'AFEP paient 25 % de l'impôt sur les productions. On méconnaît trop souvent le paysage fiscal de notre pays, avec pour conséquence des choix pas toujours pertinents.
La réforme fiscale américaine est le fruit d'une démarche personnelle, très éloignée des logiques de l'OCDE. La France gagnerait à appliquer avec mesure ses engagements à l'international, avec pour objectif de préserver les intérêts nationaux. Par exemple, nous devons pouvoir continuer à rémunérer nos brevets.
Je vous remercie pour les éclairages précieux que vous nous avez donnés.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La commission désigne M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 227 (2017-2018) autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.
La réunion est close à 12 h 35.