Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Bosnie-Herzégovine relatif à la mobilité des jeunes.
Conclu sur une base de réciprocité, cet accord vise à encourager la mobilité professionnelle, à titre temporaire, des jeunes Français et Bosniens, dans le cadre d'un stage ou d'une première expérience professionnelle.
L'objectif principal de cette coopération est de permettre aux jeunes Bosniens d'augmenter leur employabilité en développant leurs compétences. À leur retour en Bosnie-Herzégovine, les entreprises du pays pourront alors tirer profit de ces nouvelles compétences acquises.
Ce pays des Balkans, qui compte près de quatre millions d'habitants, fait face à un taux de chômage important qui s'élevait en août 2017 à 20,7 % au sens du BIT. Les jeunes en sont les premières victimes puisque plus de la moitié d'entre eux sont sans emploi. Le présent accord ne réglera évidemment pas le problème mais contribuera, dans une modeste mesure, à offrir des perspectives à deux cent cinquante d'entre eux au maximum chaque année.
Cette possibilité sera tout d'abord offerte aux étudiants. Ainsi, un jeune Bosnien poursuivant ses études supérieures dans son pays pourra venir en France pour y accomplir un stage pratique au sein d'une entreprise, d'une association ou d'un organisme de service public. À cet effet, un titre de séjour temporaire d'une durée de trois à douze mois lui sera délivré.
En outre, une fois ses études supérieures achevées dans un établissement d'enseignement supérieur français ou dans un établissement d'enseignement supérieur de Bosnie-Herzégovine sous convention avec l'un de nos établissements, un étudiant bosnien pourra bénéficier d'une première expérience professionnelle en France dans la perspective de son retour au pays. Lors de son séjour dans l'Hexagone, il sera ainsi autorisé à chercher et à exercer un emploi en relation avec sa formation. Si, à l'issue de la période de validité de son titre de séjour, l'intéressé occupe un emploi ou obtient une promesse d'embauche, il sera alors autorisé à poursuivre son séjour en France pour l'exercice de son activité professionnelle.
Le présent accord concerne également l'échange de jeunes professionnels, français et bosniens, âgés de dix-huit à trente-cinq ans, déjà engagés ou non dans la vie active, et intéressés par une expérience professionnelle sur le territoire de l'autre partie pendant une durée d'un an renouvelable une fois. Ils bénéficieront d'une égalité de traitement avec les ressortissants de l'État d'accueil, conformément à sa législation et aux traités internationaux ; ils pourront ainsi prétendre à être rémunérés dans les mêmes conditions et jouir des mêmes avantages sociaux.
Par ailleurs, aux termes de l'accord, la France s'engage - je cite - « à faciliter la délivrance d'un titre de séjour [...] aux ressortissants de Bosnie-Herzégovine susceptibles de participer, du fait de leurs compétences et de leurs talents [...] au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, universitaire, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et directement ou indirectement, de la Bosnie-Herzégovine. L'expérience menée en France doit être profitable à leur retour, notamment dans la perspective de la création d'entreprises génératrices d'emplois nécessaires en Bosnie-Herzégovine. »
Enfin, les parties à l'accord favoriseront les liens entre les jeunes Français et les jeunes Bosniens et encourageront leur implication dans des projets socio-économiques sur leurs territoires respectifs. Les parties organiseront des actions de promotion afin de faciliter l'accès des jeunes Bosniens à l'emploi, tant en France qu'en Bosnie-Herzégovine.
Cet accord répond à la volonté politique de conclure des accords - dits « accords Balkans » - avec les États de cette région qui bénéficient de la levée de l'obligation de visa Schengen de court séjour pour leurs ressortissants. Notre gouvernement souhaite, par ce biais, les accompagner dans leur processus de rapprochement à l'Union européenne. Je souligne à cet égard que cette perspective d'intégration constitue un élément mobilisateur pour ce pays, même si la position française est très claire sur ce sujet. Notre pays défend l'idée selon laquelle l'approfondissement et un meilleur fonctionnement de l'Union européenne constituent un préalable au franchissement de nouvelles étapes dans le processus d'élargissement. La Bosnie-Herzégovine n'a d'ailleurs pas le statut de candidate officielle, contrairement à ses voisins serbe et monténégrin avec qui les négociations d'adhésion sont en cours.
Le présent accord bénéficiera également aux jeunes Français qui pourront, dans les mêmes proportions que les Bosniens, effectuer un stage ou occuper un premier emploi en Bosnie-Herzégovine, par exemple dans le cadre d'un VIE (volontariat international en entreprise) au sein d'une société française établie sur place, même si les perspectives sont, à ce stade, assez sombres. En effet, à la suite des élections générales qui se sont tenues le 7 octobre dernier, le pays est en proie à une crise politique. Son fonctionnement institutionnel depuis la fin du conflit, dans le cadre des accords de Dayton, demeure par ailleurs complexe.
En conclusion, je préconise l'adoption de ce projet de loi.
La partie bosnienne a déjà déposé les instruments de ratification de cet accord. S'agissant de la partie française, après son adoption par l'Assemblée nationale en juin dernier, l'adoption de ce projet de loi par le Sénat constitue l'ultime étape avant la ratification de l'accord, puis son entrée en vigueur.
L'examen en séance publique est prévu le jeudi 8 novembre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, M. Stéphane Ravier s'abstenant.
Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur adopté au Japon, en octobre 2010 et qui est déjà entré en vigueur, en mars 2018.
Cet instrument est un protocole additionnel au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biologiques, qui est lui-même un complément à la convention sur la diversité biologique adoptée à Rio en 1992. Il est l'aboutissement de longues années de négociations qui se sont intensifiées après 2004 en réponse au protocole de Carthagène qui invitait à engager « un processus visant à élaborer des règles et procédures internationales appropriées en matière de responsabilité et de réparation pour les dommages résultant de mouvements transfrontières d'organismes vivants modifiés, les OVM ».
Cet instrument couvre ainsi exclusivement les organismes vivants modifiés ou « OVM », c'est-à-dire une catégorie d'OGM destinés à être introduits directement dans l'environnement et qui sont susceptibles de s'y disséminer et de s'y reproduire comme les semences, les plantes ou boutures, les animaux et les micro-organismes.
À titre liminaire, quelques éléments de contexte. Dans le monde, les OVM les plus cultivés sont le soja (50 % des surfaces), le maïs (31%), le coton (13%) et le colza (5%). Ils présentent soit des caractères de tolérance aux herbicides, soit des caractères de résistance aux ravageurs, soit une combinaison des deux. En 2017, environ 200 millions d'hectares d'OVM ont été cultivés dans le monde par 24 pays. Les gros producteurs d'OVM sont les Etats-Unis, le Brésil, l'Argentine et le Canada. Dans l'Union européenne, l'Espagne, et, dans une moindre mesure, le Portugal, cultivent le seul OVM autorisé par l'Union européenne, le maïs.
Quels sont les risques liés à ces OVM ? Les lignes directrices du protocole de Carthagène en identifient deux grandes catégories : les premiers liés à la dissémination des gènes modifiés avec des impacts possibles notamment sur les organismes non ciblés et sur l'écosystème ; les seconds qui sont des risques associés à des pratiques agricoles impactant l'environnement. Par exemple, la tolérance de la plante à un herbicide peut favoriser l'utilisation répétée d'un même herbicide ainsi que la monoculture et donc une perte de la biodiversité cultivée.
La France ne compte pas parmi les pays producteurs d'OVM, aucune culture d'OVM n'y étant autorisée. Toutefois, elle importe environ quatre millions de tonnes de plantes transgéniques par an, notamment du soja, du maïs, destinés à l'alimentation animale et des grains de colza pour la transformation. La France est donc peu exposée aux dommages visés par le protocole. Sur notre territoire, les dommages ne pourraient être liés qu'à des transports de graines génétiquement modifiées destinées à nourrir le bétail après transformation ou qu'à la contamination fortuite ou frauduleuse de lots de semences importés.
Fruit d'un compromis difficile entre les pays producteurs d'OVM et les autres, ce protocole a finalement adopté, en matière de responsabilité et de réparation des dommages résultant des mouvements transfrontières d'OVM, une approche administrative contraignante assortie d'un mécanisme de responsabilité civile laissé à la subsidiarité des parties.
En cas de dommage avéré ou même de probabilité de survenance de dommage, les Etats parties doivent exiger des opérateurs, selon le principe du pollueur-payeur, qu'ils informent l'autorité compétente - en France, le préfet du département dans lequel le dommage s'est produit - puis qu'ils évaluent le dommage et enfin qu'ils prennent des mesures d'intervention appropriées pour restaurer la diversité biologique. L'autorité compétente a l'obligation d'établir le lien de causalité entre l'activité et le dommage. Elle peut également prendre les mesures d'intervention appropriées, en particulier si l'opérateur s'en abstient, et recouvrer les coûts auprès de ce dernier.
À titre subsidiaire, les Etats parties sont également autorisés à appliquer leur droit interne et les procédures existantes en matière de responsabilité civile ou à élaborer des règles spécifiques ou combiner les deux. En France, on appliquera les règles de responsabilité civile existantes, d'autant qu'un nouveau cas d'ouverture pour la réparation du préjudice écologique a été introduit par la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Le droit français est conforme aux stipulations du présent protocole, qui a par ailleurs été approuvé par l'Union européenne en mars 2013. Les exigences du protocole sont satisfaites par la directive de 2004 sur la responsabilité environnementale et par sa transposition en droit français dans le code de l'environnement. La ratification de cet instrument n'aura donc pas de conséquences économiques, financières, ni même environnementales.
En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Ce protocole additionnel représente une avancée au plan international dans la prévention des risques biotechnologiques, même si sa portée est affaiblie par le fait que de grands pays exportateurs d'OVM tels que les États-Unis, le Canada et l'Argentine n'en font pas partie. Cependant, sa ratification soutiendra la démarche proactive de la France en faveur de la biodiversité lors des prochaines échéances internationales.
L'examen en séance publique est prévu le jeudi 8 novembre 2018, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris, car cela accélèrera le processus.
Merci pour ce remarquable exposé. Pourriez-vous me rappeler la différence entre les OVM et les OGM ?
Les OVM sont une catégorie d'OGM qui sont destinés à être introduits directement dans l'environnement et qui sont susceptibles de s'y disséminer et de s'y reproduire.
Au-delà de ces précisions, force est de constater que bien souvent nous ne mesurons pas toujours l'importance des textes que nous approuvons. Ce matin, nous voyons bien que ce texte a une importance particulière dans le contexte alimentaire que nous connaissons. Je me félicite donc que nous examinions, ce matin, un rapport dont nous pouvons mesurer directement l'incidence sur nos vies et l'avenir de notre planète.
Je pense qu'il reste encore beaucoup à faire mais l'essentiel est que la France soit présente lors des échéances internationales à venir.
Ce texte va-t-il nous permettre de poursuivre les Etats-Unis pour les dégâts éventuels que leurs OVM, introduits en France, pourraient faire sur notre territoire ?
Les Etats-Unis ne sont pas partie à ce protocole mais il est toujours possible d'introduire une action en responsabilité classique, sous réserve de pouvoir prouver le lien de causalité.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, Madame Sylvie Goy-Chavent s'abstenant.
Général, c'est avec grand plaisir que nous vous auditionnons sur le projet de loi de finances pour 2019, « l'an 1 de la LPM » (loi de programmation militaire), en quelque sorte.
Nous serons particulièrement vigilants sur l'exécution de la loi de finances pour 2018 car les OPEX - selon la ministre - vont coûter 1,3 milliard d'euros, alors que seuls 650 millions d'euros ont été budgétés : il ne faudrait pas qu'on nous rejoue le même scénario que l'année dernière, avec une remontée en puissance qui est au final annihilée par les surcoûts OPEX. Le dépôt du projet de loi de finances rectificative le 7 novembre devrait nous apporter des réponses.
La nouvelle LPM verra notamment pour l'armée de terre la mise en oeuvre du programme Scorpion. Je sais que vous êtes en ordre de bataille pour réussir la remontée en puissance. Est-ce le cas des industriels ? Les 89 Griffons seront-ils bien livrés dans les délais ? Du point de vue des petits équipements, essentiels pour le moral des troupes et une armée à hauteur d'hommes, où en sont vos nouvelles tenues de sport pour l'armée de terre ?
J'aimerais aborder 4 sujets de fond. Tout d'abord, malgré un premier redimensionnement, Sentinelle continue à consommer des ressources : 7000 hommes sont engagés du fait des dispositifs « socle » et « renforcement », auxquels s'ajoute une réserve de 3 000 hommes. Cela pèse sur l'activité de l'armée de terre et surtout sur l'entrainement, ce qui est préoccupant. D'autres évolutions seraient-elles possibles ? Je rappelle que « Vigipirate » mobilisait moins de 2 000 hommes, pourrait on revenir vers cet étiage, avec un Sentinelle III, allégé ?
Par ailleurs, la réflexion en cours sur la réforme des soutiens en amène une autre sur la distribution des responsabilités au sein des armées et la possibilité de redonner des marges de manoeuvre à différents niveaux. Je pense notamment à la gestion des problèmes du quotidien, comme la location d'un car, l'amélioration de la cantine, la gestion des problèmes informatiques... J'ai cru comprendre que vous souhaitiez donner plus de moyens d'actions et d'autonomie aux commandants des bases de défense. Quelles sont vos attentes en matière de subsidiarité ? Dans quels domaines serait-il particulièrement judicieux de faire bouger le curseur et dans quelle direction ?
Le Président de la République devrait s'exprimer avant la fin de l'année sur le service national universel pour une première expérimentation lors des vacances de Toussaint 2019. J'ai d'ailleurs noté avec intérêt que le secrétaire d'État chargé de cette question, nommé hier, est rattaché auprès du ministre de l'éducation nationale... Or il n'y a pas de crédits prévus à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2019. Les armées risquent de se voir mobilisées pour la « formation des formateurs », mais cela siphonnerait les maigres renforts d'effectifs. Le Sénat milite pour un financement étanche, avec une mission budgétaire ad hoc, afin que l'effort consenti par la Nation dans le cadre de la LPM ne soit pas absorbé par le service national universel. Toutefois, nous avons l'impression de crier dans le désert. Vos inquiétudes sont-elles égales aux nôtres ?
Enfin, j'aimerais vous interroger sur les coopérations européennes, notamment celle avec l'Allemagne, avec qui nous allons construire le prochain char de combat. Notre rencontre, il y a quelques jours, avec nos homologues allemands du Bundestag nous a alertés, à deux niveaux : l'équilibre du partage des retombées industrielles et la politique d'exportation. Nous avons senti une certaine résistance de leur part.
Général Jean-Pierre Bosser, Chef d'état-major de l'armée de terre. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission, dans le cadre prestigieux de cette ancienne chapelle de la chambre des pairs. Je crois que j'ai eu l'honneur d'être le premier chef d'état-major à y être auditionné, le 4 avril dernier.
Il s'agissait d'une audition sur ce qui n'était à l'époque que le projet de loi de programmation militaire 2019-2025. Au travers de mon propos liminaire et de nos échanges, j'avais pu vous donner mon appréciation sur ce texte soumis à votre examen. Depuis cette date, ce projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale en mars, puis par le Sénat en mai. Je me réjouis que la commission mixte paritaire soit ensuite parvenue à un très large accord entre les deux assemblées. Cette union des chambres et donc de la Nation est un signe très fort en direction de nos soldats, qui y sont attentifs. Enfin, comme vous le savez, le Président de la République a promulgué la loi le 13 juillet. Nous entrons donc dans le temps de la mise en oeuvre.
Aujourd'hui, vous me recevez en audition dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances 2019, c'est-à-dire la première année de la LPM, et qu'il est donc essentiel de réussir.
Mon objectif est de vous exposer la façon dont l'armée de terre a conçu sa manoeuvre pour entrer en LPM et comment cette manoeuvre va se concrétiser en 2019.
Dans ce propos liminaire, je vous propose tout d'abord de revenir brièvement sur la situation et notamment l'état d'esprit de l'armée de terre tels que je les perçois en cette rentrée. Puis, je vous exposerai la manoeuvre de l'armée de terre pour entrer en LPM, en détaillant les objectifs principaux ou emblématiques que l'armée de terre souhaite conquérir en 2019 sur chacun des axes de la LPM. Enfin, je partagerai avec vous mon appréciation sur certains risques ou enjeux particuliers.
Avant de commencer, je souhaite faire un éclairage bref sur quatre points qui expliquent la situation de l'armée de terre aujourd'hui.
L'armée de terre combine, à un degré peut-être inédit dans son histoire récente, une très grande jeunesse et une très grande maturité. La maturité de l'armée de terre est liée à son histoire et à son expérience. En 22 ans de professionnalisation, elle a été engagée sans discontinuité sur des théâtres très divers, et où elle a acquis une expérience opérationnelle considérable. La jeunesse est celle de ses soldats, dont une majorité a entre 18 et 25 ans. Ce trait distinctif, qui est un véritable atout et même un impératif en opérations, a été encore accentué par la remontée en puissance décidée en 2015.
Un deuxième élément d'appréciation est le moral de l'armée de terre. Je considère qu'il se maintient à un niveau élevé, mais avec certaines réserves. Le moral est bon, parce que les soldats ont le sentiment de servir utilement leur pays, parce que la remontée en puissance est un vecteur d'optimisme et d'enthousiasme, et parce que l'image de l'armée de terre est excellente dans l'opinion publique. Mais il y a des réserves, car les soldats de l'armée de terre, assez légitimement, attendent de voir les effets physiques des bonnes nouvelles qui leur sont annoncées.
Troisièmement, je note que l'armée de terre est regardée par les Français, et par vous-mêmes, avec un mélange inédit de confiance et d'exigence. Nos concitoyens et nos dirigeants politiques ont une excellente image de l'armée. Elle jouit d'une forme de confiance pour ce qu'elle est, pour les valeurs qu'elle incarne, et pour ce qu'elle fait, notamment en opérations extérieures ou intérieures. Parallèlement, nos dirigeants politiques, comme nos compatriotes, ont des attentes très fortes vis-à-vis des militaires de l'armée de terre en termes d'exemplarité, non seulement professionnelle, mais également comportementale.
Enfin, l'armée de terre me semble être aujourd'hui dans une configuration singulière, différente sans doute de celle des autres armées. Après des années de déconstruction, elle a connu en 2015 une inversion de tendance qui a non seulement produit des effets physiques, mais également psychologiques, en lui donnant à la fois une forme de temps d'avance et une expérience de la remontée en puissance.
C'est la raison pour laquelle l'armée de terre ne fait pas de grand plan stratégique. L'entrée en LPM m'apparait comme une opération « toute d'exécution » dans laquelle l'armée de terre arrive à pleine vitesse.
Afin que la manoeuvre de l'armée de terre pour entrer en LPM soit bien comprise de tous nos soldats, j'ai souhaité qu'elle puisse être synthétisée sur un schéma qui vous a été distribué aujourd'hui. Ce document a également une visée pédagogique. En effet, il couvre la période 2019-2025, de sept ans, qui est également la période moyenne d'un engagement d'un jeune militaire. Cela lui permet ainsi de se projeter dans son métier, voire de renouveler son engagement.
Au bas de ce schéma, se trouve l'armée de terre, en ordre de bataille et « prête à déboucher » pour entrer en LPM. Elle est organisée autour d'un modèle dit « Au Contact » qui lui donne beaucoup de cohérence, de souplesse et de lisibilité. Elle sera outillée et digitalisée grâce à la transformation numérique et capacitaire Scorpion, que nous avons largement anticipée, puisque Scorpion est le fruit de quinze années de travaux préparatoires. Elle a consolidé l'exercice du commandement, que ce soit à travers la renaissance de l'École de guerre Terre ou à travers la réédition de textes fondateurs sur l'exercice du métier des armes. L'an dernier, je vous avais présenté le livre bleu consacré à l'exercice du commandement dans l'armée de terre. Aujourd'hui, le livre vert, « L'Alliance du sens et de la force », qui vous est distribué, présente les fondements et principes de l'exercice du métier des armes. Il est à noter que notre précédent document de référence en la matière datait du passage à l'armée professionnelle. Enfin, l'armée de terre est orientée par une vision prospective, synthétisée dans le document « Action terrestre future » que vous connaissez, qui la place dans une dynamique vertueuse d'anticipation des ruptures à venir.
Le premier axe de la LPM est la « hauteur d'homme ». J'en ai une vision en colimaçon autour du soldat : tenue, équipements individuels, conditions de vie et de travail, infrastructures, rémunération, soutien, familles, pensions, etc. En 2019, le premier objectif concret pour l'armée de terre est d'accueillir dans les unités de petits équipements très attendus par les soldats, avec un effort marqué en direction des soldats déployés en opérations. Il s'agit de leur donner ce qui se fait de mieux et d'améliorer leur niveau de protection. Tous les soldats engagés en opérations seront ainsi équipés fin 2019 de treillis F3 retardant à la flamme, de structures modulaires balistiques, de nouvelles lunettes balistiques ou de nouveaux gants de combat.
Les soldats verront également arriver 7 600 HK-416 supplémentaires, 50 postes de tir missiles de moyenne portée ou encore 430 véhicules VT4 supplémentaires. Par ailleurs 2019 sera une année importante pour le renouvellement de la trame petit calibre, avec la commande du successeur du pistolet automatique et du successeur du fusil de précision FRF2.
En complément de ces commandes ou livraisons, je souhaite saisir en 2019, toutes les opportunités pour donner des signes visibles de la remontée en puissance. Je pense notamment à la nouvelle tenue de sport de nos soldats, sur laquelle je reviendrai.
Le deuxième axe de la LPM est celui de la « réparation », avec le comblement de lacunes capacitaires, mais également l'instauration de normes d'activités pour restaurer notre capital opérationnel.
Le comblement des lacunes capacitaires qui ont été concédées au cours des années passées n'interviendra pas majoritairement en 2019, à l'exception des véhicules blindés légers ULTIMA dont nous devons recevoir les 50 premiers exemplaires sur 800. Par contre, l'année 2019 constituera bien le premier jalon d'atteinte des normes quantitatives d'activité inscrites dans la loi de programmation militaire. Je vous donne trois exemples : passage de 62 heures en 2018 à 71 heures en 2019 sur les 115 heures que prévoit à terme la LPM pour un équipage Leclerc ; pour les équipages Caesar, passage de 43 coups en 2018 à 76 coups tirés en 2019 sur les 110 que prévoit à terme la LPM ; 160 heures sur les 200 heures que prévoit à terme la LPM pour un équipage d'hélicoptère, (220 heures dans les forces spéciales). Sur ce dernier point, l'armée de terre est pour l'instant en dessous des heures effectuées par l'armée de l'air.
Le troisième axe est celui de la « modernisation », avec en particulier l'accélération du remplacement du segment blindé médian - celui qui est le plus engagé en opérations, la poursuite de la modernisation de l'aérocombat ou encore la transformation du MCO (maintien en condition opérationnelle) terrestre. 2019 sera d'abord et avant tout l'année Scorpion. Concernant les véhicules, ce sera la production des 89 premiers Griffons qui équiperont d'abord les écoles de formation et de perception (Draguignan, Canjuers, Bourges), la Force d'expertise du combat Scorpion (FECS) puis le 3e RIMa (Vannes), le 13e BCA (Chambéry) et le 1er RI (Sarrebourg).
Sur le plan des systèmes d'information et de communication, 2019 sera l'année de l'accueil des premiers systèmes d'information et de commandement scorpion (SICS) qui concrétiseront la montée en puissance des capacités numériques opérationnelles de Scorpion, ainsi que l'année de production de la nouvelle radio tactique CONTACT et de son intégration dans les véhicules de la gamme actuelle, afin d'effectuer la transition vers l'outil de demain.
En matière d'infrastructures, 2019 verra la livraison de 5 zones techniques Scorpion aux 6e RG (Angers), 3e RIMa (Vannes), 11e RAMa (à côté de Rennes), à l'École du génie (Angers), aux Écoles militaires de Draguignan, au centre de perception Scorpion - 1er RCA (Canjuers) et à la Force d'expertise du combat Scorpion (Mailly).
Sur le plan de la doctrine enfin, l'armée de terre continuera un travail qui a été largement anticipé, en publiant en 2019 une doctrine d'emploi Scorpion et en définissant un concept de soutien logistique des engagements terrestres à l'ère Scorpion.
L'année 2019 sera celle de la poursuite de la modernisation de l'aérocombat. Cela se fera notamment à travers la livraison de 8 NH90 CAIMAN et 2 COUGAR rénovés supplémentaires. Un effort important en autorisations d'engagement porté par le projet de loi de finances pour 2019 permettra aussi la réorganisation du soutien des flottes Fennec, Cougar, et Tigre. La direction de la maintenance aéronautique va en effet confier le soutien en métropole à un industriel principal à travers des contrats dits verticaux, avec responsabilisation et obligations de performance, ceci afin d'atteindre les objectifs de la LPM en termes d'activité ou de disponibilité.
2019 sera également l'année de livraison de nos premiers drones tactiques de nouvelles génération : le Patroller de Safran pour succéder au SDTI, le système de mini-drone de renseignement (SMDR) de Thales pour succéder au DRAC, ainsi que le micro-drone et le nano-drone (Black Hornet).
Enfin, 2019 sera pour l'armée de terre une année cruciale pour la poursuite de la modernisation du MCO terrestre. L'augmentation substantielle des crédits consacrés à l'entretien programmé du matériel portés à 613 millions d'euros va permettre de faire passer la part de maintenance industrielle privée de 25% en 2018 à 35% en 2019 et de renforcer nos partenariats avec les industriels Arquus et Thales notamment. Par ailleurs, comme l'a souhaité la ministre, une équipe projet sous mon autorité aura mission de faciliter cette modernisation, qui consiste à responsabiliser les acteurs, à rapprocher le MCO des opérations et les maintenanciers des concepteurs d'équipements, et à anticiper l'avenir en prenant le tournant des nouvelles technologies.
Enfin le quatrième axe est celui de l'« innovation ». En matière d'innovation, il s'agit d'abord en 2019 de structurer notre dispositif, afin d'organiser et de fédérer la multitude des acteurs de l'innovation, des soldats novateurs en unité jusqu'aux grandes entreprises en passant par les start-ups. C'est la tâche que j'ai confié au sein de l'état-major de l'armée de terre à un colonel sortant du CHEM-IHEDN. J'ai un objectif emblématique en 2019 : la création à Satory du Battle Lab Terre, une structure dédiée à l'innovation technico-opérationnelle du temps court. Ce Battle Lab Terre sera au coeur d'un pôle innovation de l'armée de terre (PIAT) réunissant sur un même lieu -le plateau de Satory - des structures de l'armée de terre comme la STAT ; des acteurs industriels, comme Nexter et Arquus présents sur place ou d'autres situés à proximité ; des acteurs du cluster innovation de Paris-Saclay, que ce soient d'ailleurs des pépinières d'entreprises, des grandes écoles ou des laboratoires de recherche - je pense à l'école polytechnique notamment.
Au sommet du schéma qui vous a été distribué figure notre objectif, qui s'inscrit dans l'ambition du Président de la République de disposer d'une armée de premier plan et de référence. Nous l'avons traduit en six critères. C'est tout d'abord un modèle complet pour faire face à toutes les menaces, régulières, irrégulières ou hybrides, toujours évolutives. Deuxièmement, nous devons disposer d'une masse critique pour produire des effets stratégiques dans la durée. Sur le plan des effectifs, nous avons presque atteint cette masse, mais l'adaptation des besoins et des compétences doit pouvoir continuer à suivre rapidement les évolutions du modèle. Troisièmement, nos équipements doivent être de quatrième génération pour dominer l'adversaire. À cet égard, l'armée de terre a l'ambition de pouvoir projeter un groupement tactique interarmes Scorpion en 2021, puis une brigade Scorpion en 2023. Quatrièmement, nous devons disposer d'une capacité à agir dans le cadre d'une stratégie globale pour gagner la paix. Cette ambition nécessite que soit adapté le taux d'encadrement de l'armée de terre, qui est inférieur à 12% - là où d'autres armées occidentales ont un taux proche de 15 % -. Cinquièmement, la singularité militaire au service de notre efficacité opérationnelle doit être affirmée et assumée. Cette singularité est à la fois le fondement de la fonction militaire et la condition de son efficacité opérationnelle. Sixième et dernier critère, nous devons développer un esprit guerrier afin de décupler nos forces morales et notre combattivité. C'est le « fighting spirit » développé par l'armée britannique. Cet esprit guerrier doit, à mon sens, combiner l'aguerrissement, la technologie, et nos traditions militaires.
Je terminerai mon propos par la présentation de trois enjeux et des trois risques majeurs pour l'armée de terre. Le premier risque que j'identifie a trait à l'affaiblissement de l'administration militaire et des soutiens de vie courante. Il y a clairement une prise de conscience politique sur la nécessité d'un rapprochement des soutenants et des soutenus. Le Président de la République et la Ministre ont été très clairs : il faut soutenir les forces au plus près, et il faut renforcer la capacité des chefs locaux à obtenir les soutiens nécessaires. C'est au soutien de s'adapter au rythme et aux besoins des unités, et non l'inverse.
Le deuxième risque est celui d'une dégradation, réelle ou ressentie, de la condition militaire. Si cette condition militaire était mise en cause, cela aurait un impact fort sur le moral, la capacité de récupération de nos soldats qui sont intensément engagés, l'attractivité du métier des armes, la fidélisation, voire l'image de l'armée auprès de nos concitoyens. L'horizon 2019 pour nos soldats est un peu flou, notamment en raison des travaux actuellement en cours sur la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) ou de la réforme des retraites à venir. Je serai particulièrement vigilant en la matière.
Le troisième risque est celui des insuffisances en matière d'infrastructures. Si les ressources de la LPM permettent de financer les projets majeurs en matière d'infrastructure capacitaire et d'infrastructure de préparation opérationnelle, il ne faudrait pas que se créée un déséquilibre trop important et durable avec l'infrastructure de vie courante de nos soldats. De manière schématique, il ne faudrait pas que nos équipements Scorpion soient mieux logés que nos soldats. Là encore, je crois possible de saisir des opportunités si le ministère fait preuve d'agilité et de souplesse. Il faut également poursuivre le mouvement amorcé de décentralisation des arbitrages afin de redonner aux chefs locaux les leviers leur permettant d'agir au plus près des besoins du terrain.
Quant aux enjeux, le premier est celui de la performance. Comment allons-nous garantir que « chaque euro dépensé soit un euro utile » ? Je souligne que nous ne partons pas de zéro. Dans certains domaines, je pense même que l'armée de terre est en pointe. Je pense par exemple à la comptabilité analytique mise en oeuvre par la SIMMT, qui permet une analyse détaillée de la consommation réelle de ressources de toutes natures afin d'éclairer nos choix budgétaires et d'organisation. C'est un outil qui nous place en tête de la fonction publique en matière de pilotage de la performance. En matière de préparation opérationnelle, nos centres d'entraînement spécialisés disposent d'excellentes capacités pour évaluer dans le moindre détail, sur le plan quantitatif et qualitatif, les résultats des unités qui se préparent au combat. Mais en matière de performance, il faut toujours viser plus haut, et nous pouvons encore progresser dans la gestion de nos données, l'harmonisation de nos référentiels et la mesure précise de notre activité.
Le deuxième enjeu me semble être celui des ressources humaines. Sur le plan des effectifs, l'armée de terre a connu une remontée en puissance ces trois dernières années. Les postes accordés ont été exclusivement consacrés à la force opérationnelle terrestre. Nous devons maintenant consolider notre situation, ce qui exige de renforcer la fidélisation de nos soldats, que ce soit par l'individualisation des parcours professionnels ou par des leviers financiers. Sur le plan des compétences, nous devons être capables à la fois d'encaisser la « Scorpionisation » qui débute, et d'inscrire nos actions dans le cadre d'une stratégie globale plus exigeante en cadres, officiers et sous-officiers. Cela milite pour un effort de formation et un meilleur taux d'encadrement, après des années de dépyramidage indifférencié.
Enfin, le troisième enjeu me semble être celui de la gouvernance. L'armée de terre a initié sa remontée en puissance en 2015. J'ai une forme d'expérience de la reconstruction, et j'ai la conviction qu'elle nécessite une gouvernance différente de celle qui a été mise en place dans une période de déconstruction. Les maîtres mots de cette gouvernance nouvelle doivent être l'agilité, la souplesse et la fongibilité. Nous devons par exemple être capables de mettre en oeuvre rapidement des projets « clés en main » si une opportunité se présentait. Cela concerne d'abord les périmètres de responsabilité de chacun, dans une logique de subsidiarité. Il faut notamment redonner des marges de manoeuvre et des leviers d'action aux chefs d'état-major d'armée, car ce sont eux qui sont le plus à même de faire des choix pour l'armée qu'ils commandent, de prioriser, d'expliquer et de donner du sens.
Cela concerne également l'architecture budgétaire, qui doit refléter cette subsidiarité à travers les responsabilités financières confiées aux chefs d'état-major d'armée. J'y travaille avec le chef d'état-major des armées (CEMA) et les autres chefs d'état-major.
En conclusion, nous avons, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, une responsabilité historique. Les travaux menés l'année dernière nous ont permis d'atteindre l'objectif que nous visions ensemble : élaborer le cadre de la reconstruction d'une armée de terre puissante, capable de faire face aux menaces présentes et à venir. Il nous revient donc cette année de transformer cette position avantageuse en avancées concrètes et en perception durable, en externe comme en interne. En la matière, je fais preuve comme toujours d'un optimisme raisonnable, empreint de volonté et de responsabilité. Je sais également pouvoir compter sur votre soutien sans faille. Je vous remercie de votre attention et suis prêt maintenant à répondre à vos questions.
L'armée de terre a été bien servie par la loi de programmation militaire, et je pense qu'elle vous le doit en grande partie. En effet, vous nous présentez une vision et des objectifs clairs de ce que doit être l'armée dans les années qui viennent.
Vous avez parlé d'innovation. Nous avons eu, il y a quelques jours, une réunion avec nos collègues allemands. Pouvez-vous nous en dire plus sur la coopération européenne en matière d'armement ? Il y a une obligation absolue de travailler avec nos partenaires, si on veut continuer à développer des matériels qui nécessiteront beaucoup de moyens en termes de recherche, de développement et de fabrication. Des déclarations fortes ont été faites, notamment dans ce cadre franco-allemand. Mais les informations dont nous disposons n'appellent pas toujours forcément à l'optimisme en la matière. Vous rentrez d'Allemagne. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur le projet de MGCS (Main Ground Combat System) (blindé du futur), ainsi que sur l'artillerie du futur ?
Pouvez-vous nous faire un point sur le Griffon ? Vous avez indiqué que ces équipements seront livrés dans les délais prévus. Je souhaite avoir un calendrier du déploiement, et la manière dont cela va se mettre en oeuvre.
Enfin, notre collègue Hélène Conway-Mouret, ne pouvant être là aujourd'hui, m'a demandé de vous poser la question suivante : lors des débats sur la LPM, elle a soulevé la question de l'évolution de nos stocks de munition. Ceux-ci sont-ils au niveau, entre un engagement opérationnel fort et la nécessité d'assurer également l'entraînement et la préparation opérationnelle ? La réponse qui nous avait été donnée consistant à dire que nous comptions sur nos alliés pour le stock de munition est-elle bien raisonnable ?
Mon Général, je vous remercie de l'attention que vous portez à notre commission et au travail des rapporteurs tout au long de la préparation du budget. Je souhaite connaître votre diagnostic sur la disponibilité technique opérationnelle - DTO - des équipements de l'armée de terre. Le niveau d'usure et de moindre disponibilité des matériels non encore renouvelés est alarmant. Vous avez évoqué les pistes pour l'avenir. Comment passera-t-on d'ici 2025 de 15 à 40% des activités industrielles de maintenance réalisées par les industriels ? Est-ce la bonne solution ? Comment faire que cela le devienne ?
En outre, on annonce la création de « groupes de maintenance à proximité des théâtres d'opération ». C'est un projet intéressant. Quand ceux-ci seront-ils mis en place et avec quels moyens ? Leur installation se fera-t-elle à enveloppe constante ?
Cela fait de nombreuses réformes pour un MCO terrestre auquel beaucoup a déjà été demandé. Considérez-vous, en intégrant les efforts déjà faits, avoir les moyens pour toutes ces transformations ? Pouvez-vous également revenir sur le pilotage et le calendrier ?
Je souhaite vous interroger sur l'organisation de la préparation opérationnelle. Les équipements neufs sont les bénéficiaires de cette première année de programmation de la LPM. Le CEMA a annoncé la remontée de la préparation opérationnelle qui s'annonçait comme le parent pauvre de la LPM avec un retour aux normes OTAN repoussé en 2023. Quels sont les objectifs d'entraînement pour 2019 ? Selon-vous, quel est le facteur pesant le plus sur l'entraînement : l'opération Sentinelle ou la mauvaise disponibilité technique opérationnelle des équipements ?
Vous nous aviez dit lors de votre audition sur la LPM que la question des infrastructures était loin d'être résolue. On sait que l'infrastructure d'accompagnement des grands programmes est généralement au rendez-vous. Toutefois, cela est plus compliqué pour l'infrastructure opérationnelle de la vie courante et des crédits d'entretien, souvent insuffisants car parfois considérés comme des variables d'ajustement. L'axe que vous nous avez présenté d'une armée « à hauteur d'hommes » montre des efforts d'équipement, en vêtements de sport, d'uniforme, en armes. Que prévoit le projet de loi de finances pour 2019 pour la vie courante du soldat ? Vous avez évoqué la décentralisation des décisions. Qu'en sera-t-il ? Comment allez-vous la mettre en oeuvre ? Pouvez-vous nous préciser si les montants d'investissement seront suffisants pour parvenir à une situation satisfaisante pour l'armée de terre ? Combien manque-t-il en termes de crédits pour la politique immobilière sur la durée de la LPM ?
Après la marine, c'est l'armée de terre qui devra basculer sur le nouveau logiciel de paie « Source Solde ». L'échéance a été reportée et la durée des tests allongée. Le logiciel doit être adapté au prélèvement à la source. Cela entraîne une hausse substantielle des crédits qui lui sont affectés. Êtes-vous serein quant au passage de l'armée de terre à Source Solde. Comment êtes-vous associés aux tests préalables qui donneront lieu à la décision de basculement ?
L'armée de terre va-t-elle bénéficier d'augmentations d'effectifs pour 2019 ? Si oui, à quelle hauteur ? A quelles priorités va-t-elle affecter ces renforts? L'armée de terre connaît-elle, à l'instar des autres armées, des problèmes de fidélisation et comment y répond-elle?
La révolution Scorpion va-t-elle induire des changements dans les besoins des ressources humaines de l'armée de terre?
Enfin, vu de l'armée de terre, où en est l'application du « Plan famille » ? Les effets de ce plan, dont on nous dit qu'il sera appliqué à 70% d'ici la fin de l'année 2018, sont-ils d'ores et déjà perceptibles par nos soldats et appréciés?
Quelles sont vos priorités en matière d'études amont ? De manière prospective, comment évaluez-vous la menace russe, notamment après l'exercice Vostok 2018 ? Vos moyens vous paraissent-ils en rapport avec cette pression croissante qui remonte à l'est ?
Je partage la question de notre collègue Cédric Perrin sur le futur char commun avec l'Allemagne. Avons-nous les mêmes besoins et les mêmes attentes ?
Enfin, vous nous avez parlé de Battle Lab Terre. La ministre des armées rappelle à juste titre l'importance de l'innovation, préoccupation traduite par la création de l'agence de l'innovation de défense. Toutefois, on assiste à une multiplication des organes dédiés. Comment toutes ces structures vont-elles cohabiter ?
On a pu constater, par le passé, que les équipements destinés à l'armée de terre étaient en quelque sorte les parents pauvres des crédits d'études amont. Pensez-vous que les matériels terrestres vont profiter de ces crédits en 2019 ?
Notre président a évoqué dans son propos liminaire notre entrevue avec nos collègues du Bundestag allemand. Le Président de la République a rappelé dans son discours du 26 septembre à la Sorbonne sa volonté de voir naître une force commune d'intervention. Comment voyez-vous la montée en puissance de cette force commune d'intervention et sa mise en oeuvre ?
Lors des dernières auditions, il nous a été précisé qu'il était important de durcir les armées, face aux durcissements des conflits, afin de pouvoir faire face à des situations de chaos. Est-ce l'esprit guerrier dont vous nous avez parlé ? L'armée doit rester légitime en cas de conflit. Mais cette dureté exige une énergie envers soi-même, sans défaillance. Cependant, votre préoccupation est à la fois de rester attractif pour pouvoir fidéliser les hommes, et soutenir les forces au plus près. Estimez-vous avoir, à travers les mesures envisagées, à la fois les moyens et les leviers suffisants, pour que nos militaires aient un encadrement humain et matériel dont ils ont besoin ?
Vous avez évoqué les relations particulières que nous avions avec l'Allemagne. Avec le Brexit, qu'en est-il des inquiétudes sur la pérennité de nos contacts étroits avec l'armée britannique ?
Vous avez évoqué l'allégement de l'opération Sentinelle. A chaque fois que nous entrons au Sénat, nous voyons de jeunes gens ou jeunes femmes postés, y compris parfois tardivement lorsqu'il y a des séances de nuit. Je mesure l'aspect psychologique de l'opération Sentinelle. Toutefois, ne serait-il pas préférable de les utiliser autrement, en patrouille aux alentours par exemple ?
Compte-tenu de la multiplication des engagements et de leur ampleur croissante - comme l'opération Barkhane -, le coût des opérations extérieures s'est envolé. La dotation inscrite en loi de finances décidée dans le cadre de la LPM 2019-2025 a été réévaluée. Pour 2019, conformément à ce qui a été prévu à l'article 4 de la LPM, les crédits sont en augmentation. Quelles sont les perspectives d'évolution des opérations en cours ? Je pense à l'opération Chammal. Est-elle appelée à perdurer dans son format actuel ? Avons-nous des marges de manoeuvre si de nouvelles zones d'instabilité apparaissaient -au Burkina Faso par exemple ? Plus nos engagements sont forts, plus l'armement est sollicité, et l'usure du matériel accélérée. Pouvons-nous l'estimer ? Cela est-il inclus dans la liste des risques et enjeux que vous nous avez présentée ?
Ma question porte sur la diversification de vos engagements. Avec le développement de la menace terroriste, un des faits nouveaux est le déploiement d'effectifs militaires sur le territoire national. Quelle est la proportion que mobilise l'engagement de nos forces sur le territoire par rapport aux autres opérations ? Quelles sont les évolutions possibles ?
Le numérique prend une place de plus en plus importante. J'ai participé à un atelier organisé par l'université de la défense. La question a été posée de l'impact que pouvait avoir le numérique sur la chaîne de commandement. J'avoue que les réponses apportées m'ont laissé sur ma faim.
Général Jean-Pierre Bosser, Chef d'état-major de l'armée de terre. - Nos soldats méritent qu'on s'occupe d'eux. Le chef d'état-major de l'armée de terre est là pour cela. Je le fais sans complexe. Je l'ai dit à la réunion de commandement qui a eu lieu il y a quelques semaines avec le CEMA et l'ensemble des chefs militaires : si j'avais été le chef d'état-major de la marine, je me serais battu pour les SNA BARRACUDA, si j'avais été le chef d'état-major de l'armée de l'air, je me serais battu pour les ravitailleurs en vol. En tant que chef d'état-major de l'armée de terre, je me bats sans complexe pour les chaussures de mes soldats et pour leurs tenues de sport.
A hauteur d'hommes, deux points me paraissent importants : il s'agit tout d'abord de la tenue de combat. Aujourd'hui, on sait exactement où on va. On a des paires de chaussures adaptées aux environnements dans lesquels nos soldats combattent, des treillis avec des coupes qui sont maintenant en cohérence avec le gilet de protection. Nous avions quand même imaginé et équipé nos soldats de treillis avec des grandes poches qui devenaient inaccessibles lorsque l'on mettait le gilet de protection par-dessus ! Aujourd'hui, la coupe est adaptée. Le treillis F3 protège nos soldats du feu, ce qui est important. Les derniers soldats blessés au Mali ont été touchés par le feu lié à l'explosion d'engins explosifs. La nouvelle tenue de combat me parait adaptée et protège nos soldats. Elle apporte les deux tiers de la protection du soldat, dans les circonstances les plus exigeantes.
La tenue de sport est, dans les faits, « une deuxième tenue de combat ». En réalité, c'est la tenue de détente à Gao, lorsque les soldats rentrent du terrain. Ils ont besoin d'une tenue alternative à la tenue de combat. C'est également une tenue de préparation opérationnelle, d'entraînement tous les matins à acquérir l'endurance nécessaire pour mener les actions. Enfin, elle permet de faire du sport, notamment le sport collectif essentiel à la cohésion du groupe.
Cette tenue coûte, rapportée à l'ensemble de la loi de programmation militaire, peu : 15 millions d'euros comparés aux 1,7 milliard d'euros supplémentaires du PLF 2019. Or, elle a un effet psychologique extrêmement important. Cela fait trente ans que l'on n'a pas changé ces tenues, et elles sont aujourd'hui décalées, tant du point de vue de la matière, puisqu'elles sont entièrement en acrylique, que de la coupe, conçue uniquement pour des hommes, et qui ne correspond plus du tout aux tenues de sport modernes que portent les jeunes français. Pour imaginer la nouvelle tenue de sport, nous avons fait appel à des équipementiers sportifs. Les tenues seront en cohérence avec ce que le jeune portait avant d'entrer dans l'armée. Ces nouvelles tenues auront un effet psychologique et contribueront à l'amélioration des conditions dans lesquelles nos soldats s'entrainent.
Vous m'avez interrogé sur nos relations internationales militaires avec l'Allemagne. Il faut rappeler tout d'abord que le contexte des relations entre les chefs militaires et les élus est très différent dans les deux pays. Par ailleurs, dans les relations internationales, le poids historique est majeur. Nous sommes dans une année de commémoration de la première guerre mondiale, mais cet anniversaire n'a pas exactement la même signification en France et en Allemagne. Ainsi, il vaut mieux aborder la relation franco-allemande sous l'angle des alliés réconciliés que de reparler en permanence des deux guerres mondiales. Leur sensibilité est très forte sur ce sujet.
Le poids de l'histoire se retrouve dans la reconstruction de l'armée de terre allemande, qui reste marquée par deux facteurs : d'une part le poids de l'OTAN, y compris en matière d'organisation et d'interopérabilité de l'armée allemande ; d'autre part la volonté d'être prioritairement tournée vers l'Est. Nous n'avons pas la même approche, car de 1966 à 2009, la France s'est retirée du commandement intégré de l'OTAN. En outre, traditionnellement, nous avons mené des actions militaires plutôt sur la façade Sud. Au travers des différents travaux, que ce soit l'IEI, la volonté du président de la République d'aller vers plus d'autonomie stratégique européenne, ou la construction d'un char en commun, ces différences se croisent. Il faut alors trouver la bonne intersection dans l'espace et dans le temps. Cela ne va pas être forcément simple.
Il y a eu trois tentatives de construction d'un char en commun depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Aucune n'a abouti. Toutefois, il ne faut pas être pessimiste pour l'avenir, car plus on s'éloigne de cette période et plus les choses s'arrangent. Mais il ne faut pas minimiser les difficultés que nous allons rencontrer sur ce projet.
Le leadership a été donné à l'Allemagne sur la partie « construction du char », la France ayant celui relatif à la construction aéronautique. Le char de bataille est un élément structurant de l'armée de terre allemande, et les Allemands sont sensibles aux questions de l'armement principal de cet engin, de sa motorisation et de sa protection. Mon objectif initial est que nous nous mettions d'accord sur le besoin militaire dans un premier temps.
Avec mon homologue, j'ai donc l'intention de produire une lettre commune pour afficher ce besoin. L'échéance est fixée à décembre. Globalement, il y a une vision commune sur le besoin militaire. Puis viendra la partie industrielle, pour laquelle les échanges seront sans doute plus compliqués. En effet, l'architecture industrielle allemande est très puissante face à des industriels français historiquement moins unis.
Enfin, le seul acheteur de notre char Leclerc ont été les Émirats arabes unis. Les Allemands ont exporté leur char Léopard dans 17 pays, dont une majorité de pays européens (le Luxembourg, la Norvège, le Portugal...). Il y aura, en arrière-pensée, la gestion de l'export de ce nouveau char.
Concernant les stocks de munition, c'est un sujet récurrent depuis la chute du mur de Berlin. Nous avions des stocks de munition très importants, que l'on n'a pas toujours adaptés au nouveau contexte. Aujourd'hui, nous avons les stocks de guerre nécessaires pour les OPEX. C'est globalement satisfaisant pour le contrat opérationnel. Il y a en revanche quelques points d'attention pour les roquettes Hellfire, les LRU, les munitions des Tigre. Pour le stock d'instruction, le niveau est satisfaisant pour la préparation opérationnelle. Quelques points d'attention existent pour les cartouches de 5-56, ainsi que pour les cartouches de 12-7.
Vous m'avez interrogé sur la disponibilité technique de nos équipements. Je dois vous dire ma satisfaction que la ministre m'ait renouvelé sa confiance sur la mise en oeuvre de la transformation du MCO des matériels terrestres. En effet, lorsque j'ai conçu le modèle « Au contact », j'ai également imaginé et mis en oeuvre une évolution du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, qui reposait sur deux principes. Le premier principe était la séparation entre d'une part la maintenance opérationnelle, confiée à un pilier consacré à la maintenance des forces avec des maintenanciers en capacité de suivre nos forces au nord du Mali, ou sur les terrains d'entraînement, et d'autre part la maintenance industrielle, qui peut être réalisée soit par des structures étatiques, soit par des industriels privés. Le second principe était précisément de confier davantage de maintenance industrielle à des acteurs privés. La question qui se pose est de savoir où mettre le curseur entre la maintenance industrielle réalisée par des structures étatiques et celle réalisée par des acteurs privés. Certains y voient un risque de perte de souveraineté ou plus simplement d'une capacité à réparer nos matériels en cas de faillite de l'un des industriels. Ce projet est en cours de réglage. Il donne de très bons résultats. A Canjuers, les garages Nexter ont été associés au plus proche de notre parc de chars. Nexter travaille directement sur le terrain avec nos chars. Certes, un dispositif identique n'est sans doute pas envisageable pour les opérations extérieures, proches de la ligne de contact. Mais il pourrait être mis en place sur des grandes bases opérationnelles, comme la Côte d'Ivoire ou le Gabon. L'idée est d'imaginer un nouveau modèle économique. Aujourd'hui, on projette des matériels en opération. Au bout de cinq ans, on les ramène et souvent leur état nécessite une reconstruction complète, ce qui coûte très cher. On pourrait ainsi envisager des bases opérationnelles avancées où le matériel serait mieux entretenu de façon courante. Cela pourrait coûter moins cher. J'y vois également une forme de devanture pour nos industriels. Ces derniers ne sont pas visibles à l'étranger. Cela pourrait être une manière de les mettre en avant, et de faire la promotion de nos matériels.
Vous m'interrogez sur le poids de l'opération Sentinelle sur nos entraînements et la possibilité d'un préjudice à la capacité opérationnelle de nos soldats. En 2015, lorsque l'armée de terre a été engagée de façon lourde et brutale sur le territoire national, nous n'avons compté ni nos efforts, ni nos effectifs. Nous aurions engagé toute l'armée de terre s'il avait fallu. Mais Sentinelle I a laissé beaucoup de traces, car l'opération a fonctionné avec des modes d'action très statiques particulièrement pénibles pour nos soldats : on était beaucoup plus proche des modes d'action de sécurité intérieure que de ceux que peuvent mener des forces militaires. Heureusement, l'évolution vers Sentinelle II a permis des modes d'action plus dynamiques et de réduire la facture en effectifs immédiatement déployés tout en maintenant un volume en alerte sur court préavis. Nous avons d'ailleurs vécu trois « surges » à 10 000 hommes. Je m'interroge, un an après la mise en oeuvre de ce Sentinelle rénové, sur le visage que pourrait prendre Sentinelle III, pour deux raisons : d'abord parce que la menace diminue - et si les services de renseignement confirment cette situation, je pense que le moment est venu de ne pas inscrire Sentinelle dans une sorte de plan « Vigipirate » permanent - et ensuite parce qu'il est encore possible de faire évoluer nos modes d'action. Deux choses me paraissent importantes sur Sentinelle : d'une part la manière dont on se présente sur le territoire national, en termes d'action, d'autre part, la visibilité que l'on veut donner de nos soldats, vis-à-vis des Français ou de nos adversaires potentiels. Paris a retrouvé, en termes de visiteurs étrangers, le niveau qu'elle avait avant 2015. Je pense que le rôle et la place des soldats français déployés dans la capitale n'y sont pas étrangers. D'ici quelques semaines, je proposerai à la ministre un projet de Sentinelle III, pour accroitre la visibilité de la force armée sur le territoire, tout en baissant sa présence. Peut-être faudra-il revenir à des exercices en terrain libre, pour entretenir cette relation avec les Français ?
J'en viens maintenant à l'infrastructure. Il existe trois familles d'infrastructures. Il y a tout d'abord l'infrastructure de préparation opérationnelle, dans laquelle se trouvent par exemple les champs de tirs, dont certains nous offrent des possibilités exceptionnelles. Nous avons ainsi des champs de tirs en montagne - et très peu de pays en disposent encore. J'ai une attention particulière pour ces champs de tirs - pas forcément au plan financier - mais sur la capacité de pouvoir les entretenir et de les faire durer. Le deuxième type d'infrastructures est l'infrastructure capacitaire, qui représente une part importante. Il s'agit des bâtiments permettant d'abriter nos matériels, qui doivent désormais inclure la simulation, ce qui n'était pas le cas sur les matériels anciens. Ainsi, tous les matériels du programme Scorpion permettront de s'entrainer en utilisant la simulation. Lorsque l'on construit un bâtiment Scorpion, il faut donc inclure cette dimension liée à la simulation, de même qu'il faut inclure dans nos zones techniques une dimension liée à la digitalisation de la maintenance , qui fait que demain, on pourra en rentrant un Griffon à la base, le brancher à des outils de diagnostic et améliorer le MCO terrestre. Enfin, on a les infrastructures de vie courante.
C'est là que la question sur l'infrastructure rejoint l'enjeu de la gouvernance des crédits. Mon appréciation est tout à fait personnelle. Nous avons tous compris pourquoi en période de déconstruction et de pression budgétaire, nous avons été amenés à revoir notre architecture, en termes de positionnement des acteurs et au plan financier. Mais, nous avons construit un système avec des tuyaux d'orgue. Il nous manque des niveaux intermédiaires de cohérence. Si ce dispositif avait du sens en période de déconstruction, je ne vois pas comment il va pouvoir satisfaire à la reconstruction, et comment pouvoir intelligemment utiliser des crédits alloués de façon importante et nouvelle, avec le système antérieur. C'est la raison pour laquelle j'attire l'attention de la ministre et du CEMA sur ce point. J'ai été à l'état-major comme général dans la phase de déconstruction de l'armée. Depuis 2015, j'ai présidé à la reconstruction de l'armée de terre. J'ai vu les seuils critiques. Je suis intimement convaincu que si on applique la même gouvernance et les mêmes raisonnements en période de reconstruction qu'en période de déconstruction, nous n'aurons pas les effets physiques attendus. Pour moi, il n'est pas possible d'avoir une forte centralisation de la prise de décision dans la gestion des infrastructures du quotidien, alors que nous sommes en phase de reconstruction.
L'armée de terre a été très marquée par le logiciel Louvois. Nous avons encore des perturbations importantes qui nécessitent entre 3 000 et 5000 retraitements manuels par mois. Ces perturbations, traitées à la racine, ont des effets limités sur le personnel concerné et sur le plan financier (montant des trop versés divisé par 10 depuis 3 ans). Elles nécessitent néanmoins une importante structure de suivi et des effectifs dédiés. La ministre l'a indiqué, nous n'avons pas le droit d'échouer avec Source Solde. D'ailleurs, je ne sais pas s'il y a beaucoup d'institutions en France qui auraient supporté les problèmes rencontrés avec Louvois comme les armées les ont supportés. Si on avait un deuxième échec avec Source Solde, cela serait problématique. Le risque est aujourd'hui intégré. Les chefs d'état-major et les directeurs des ressources humaines sont directement impliqués. Très concrètement, je donnerai les feux verts au fur et à mesure des étapes d'évolution de Source Solde. Si j'estime que le calcul de la solde à blanc, qui va durer six mois, n'est pas au niveau, je donnerai un visa défavorable pour basculer sur le système final. C'est ce qui a manqué au système précédent. Toutes ces procédures de précaution génèrent du temps. L'armée de terre ne passera pas à Source Solde avant début 2020. C'est le prix à payer pour avoir un calculateur de solde extrêmement précis et fiable.
L'armée de terre n'a pas été demandeuse de beaucoup d'effectifs sur la loi de programmation militaire, qui n'en prévoit d'ailleurs pas. En effet, elle bénéficie d'une remontée en puissance depuis 2015. Ces effectifs sont aujourd'hui digérés. J'attire toutefois l'attention sur le taux d'encadrement. Le passage à Scorpion va nécessiter une élévation du taux d'encadrement. Ce dernier est légèrement inférieur à 12%. Celui d'un certain nombre d'armées européennes et de l'OTAN est d'environ 15%. En outre, si on doit être de plus en plus présent dans des missions concourant à la stratégie globale, que le Président de la République appelle de ses voeux - je pense en particulier à la capacité de reconstruire une armée partenaire, d'appuyer des actions de développement, de maintien de la paix, de sécurisation - ; si on veut être capable d'innerver l'OTAN ou des nouvelles structures liées à la défense européenne, il est nécessaire de pouvoir intégrer des officiers et des sous-officiers qui parlent des langues étrangères, d'avoir des cadres de contact capables d'encadrer des armées étrangères. Cela nécessite une hausse du taux d'encadrement. J'ai aujourd'hui deux soucis : la fidélisation et le taux d'encadrement. Il n'y a pas de génération spontanée dans les armées. Les capitaines ou les commandants qui constitueront les officiers d'état-major du corps de réaction rapide européen demain, doivent être recrutés aujourd'hui.
Pour le plan familles, l'armée de terre souligne régulièrement que ce plan concerne également l'amélioration des conditions de vie de nos soldats. Ainsi, l'arrivée du wifi gratuit dans les unités est un enjeu majeur en termes de perception. Je veille à ce que ce plan produise des effets adaptés à la fois sur les familles et sur les militaires.
En ce qui concerne l'innovation, j'ai décidé de mettre l'état-major de l'innovation de l'armée de terre sur le plateau de Satory. C'est là que sera implanté le Battle-Lab Terre, à proximité de la section technique de l'armée de terre. J'ai désigné un colonel et ai créé un nouveau métier à l'état-major, pour organiser, architecturer et donner de la cohérence aux différents projets qui peuvent naître partout dans l'armée de terre. En effet, nos soldats ont de très nombreuses idées en matière d'innovation, mais bien souvent elles ne sont pas organisées, ni suivies. Je compte également sur l'accent mis sur l'innovation dans la LPM pour obtenir des ressources financières. J'ai compris qu'Emmanuel Chiva, à la tête de l'agence d'innovation de défense, avait un budget de 1,2 milliard d'euros à disposition. L'armée de terre est dans une situation offensive pour capter une part de cette ressource. Mes objectifs majeurs portent notamment sur ce que peuvent apporter les énergies nouvelles - je pense à l'énergie solaire - pour réduire le poids d'emport des batteries, ainsi que la partie robotique : transport de munitions et tout ce qui peut alléger le combattant.
Je finirai par le Brexit. Les deux dernières missions opérationnelles menées conjointement avec les Allemands et les Britanniques se sont faites dans le cadre de l'eFP - la présence avancée renforcée. En Estonie, et en Lettonie, nous avons contribué à ce dispositif. La souplesse britannique, la capacité à organiser des dispositifs simples et permettant d'étudier ce qu'il y a face à nous sont très utiles. L'armée britannique contribue également à notre engagement au Sahel à travers la mise à disposition d'hélicoptères lourds à Gao pour pouvoir appuyer nos opérations. Il y a une coopération opérationnelle forte entre nos deux armées, et nous avons la volonté, quel que soit le devenir politique et économique, de l'entretenir. Elle est complémentaire de l'action que l'on mène avec l'armée allemande.
Je vous remercie pour cette audition. C'est également pour nous l'occasion de dire l'attachement de notre commission à l'armée de terre, à sa capacité de sa modernisation, à l'engagement personnel des troupes sur tous les fronts, souvent en première ligne. Je serais heureux que vous puissiez leur transmettre cet attachement et cette confiance que nous vous renouvelons.
Nous nous réjouissons de recevoir M. Joël Barre, délégué général pour l'armement (DGA), à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2019. Nous avons débuté nos auditions sur ce PLF la semaine dernière, en entendant notamment le chef d'état-major des armées. Nous avons pu constater avec satisfaction que les crédits inscrits sont conformes à la trajectoire définie par la loi de programmation militaire (LPM), ce qui était indispensable au vu des engagements pris. Le Sénat avait regretté que les deux tiers des investissements soient reportés sur le dernier tiers de la programmation - je n'y reviens pas. En tous cas, la première année doit être exemplaire, et nous y veillerons, pour montrer à nos soldats que nous entrons bel et bien dans une phase de remontée en puissance de nos armées. Or, en 2018, seuls 650 millions d'euros ont été prévus pour les OPEX, alors que leur coût atteindra 1,3 milliard d'euros. Il ne faudrait pas que ce différentiel obère la première année d'application de la LPM.
Où en est la réforme de la DGA ? Ses procédures d'achat sont-elles plus agiles ?
En 2018, pour le programme 146 « Équipement des forces », le niveau d'engagement prévu est de 12,7 milliards d'euros. Ce niveau élevé est dû notamment au lancement des travaux sur le successeur du missile d'interception, de combat et d'auto-défense, et à celui, imminent, du standard F4 du Rafale. Nous avons commandé trois avions multi-rôles de transport et de ravitaillement, et le cinquième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda. Les besoins de paiements actualisés pour 2018 pour le programme 146 sont estimés à 12 milliards d'euros, alors que les crédits de paiements s'établissent à 9,9 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent 357 millions d'euros actuellement gelés au titre de la réserve de précaution. Le report de charge à fin 2018 est donc estimé à 2,1 milliards d'euros, ce qui est conforme à la trajectoire définie dans la LPM. Le mode de gestion de la réserve de précaution a changé : des engagements et des paiements ont été gagés et ne seront effectués que si la réserve est levée. Les perspectives de levée de la réserve seront donc sans incidence sur le report de charges fin 2018, mais les besoins correspondants devront le cas échéant être reportés sur les annuités ultérieures.
Pour le programme 144 « Études amont », le niveau d'engagement prévu fin 2018 est de 777 millions d'euros. Les besoins de paiements actualisés sont de 723 millions d'euros. La réserve de précaution est de 17 millions d'euros. Nous avons maintenu nos actions d'appui aux PME et ETI pour l'innovation duale, et lancé les premiers investissements au titre du fonds Definvest, mis en place avec la BPI, avec les sociétés Karlay, Unseenlabs et Fichou. Nous avions prévu le lancement du premier satellite optique de nouvelle génération le 18 décembre prochain, mais la défaillance récente du lanceur Soyouz pourrait avoir des conséquences sur sa disponibilité. Le lancement pourrait être décalé au début de l'année prochaine.
À l'exportation, le bilan de l'année 2017 s'établit à une prise de commande de 6,9 milliards d'euros, dans la moyenne des années antérieures - si l'on met de côté les grandes commandes de Rafale. En 2018, nous attendons un chiffre à peu près similaire.
La période 2014-2018 a été marquée par une déflation des effectifs de la DGA, qui aura perdu 400 équivalents-temps plein (ETP). Nous remontons désormais en puissance, notamment en cyberdéfense et dans le renseignement. Notre cible d'effectifs, fin 2018, est de 9 625 ETP, pour une masse salariale de 760 millions d'euros.
Dans le PLF pour 2019, le programme 146 prévoit 14,3 milliards d'euros d'autorisations d'engagement. Les principaux engagements prévus sont : le programme Medium Altitude Long Endurance Remotely Piloted Aircraft System (MALE-RPAS), qui sort de la phase de définition ; la commande de deux avions pour la capacité universelle de guerre électronique ; la commande des pétroliers-ravitailleurs du programme flotte logistique (Flotlog) ; la commande du sixième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda. Les besoins de paiements s'établissent à 11,5 milliards d'euros, pour une ressource allouée en crédits de paiement de 10,95 milliards d'euros. Ces chiffres sont strictement conformes à la trajectoire retenue pour l'année 2019, qui est la première couverte par la LPM.
Nous avons prévu de commander des adaptations CONTACT pour les véhicules de l'armée de Terre, ainsi que des fusils d'assaut, et la rénovation de 10 avions Mirage 2000-D. Nous avons aussi commandé 125 postes de tir du système de missile moyenne portée, récemment expérimenté à Djibouti et en cours de mise en service dans l'opération Barkhane. Parmi les principales livraisons prévues pour 2019, il y a les premiers véhicules Griffon, au nombre de 89, ainsi que des hélicoptères NH90. Pour la marine nationale, sont attendus deux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers et une frégate multi-missions à Brest, ainsi qu'un patrouilleur léger et un bâtiment multi-mission dans les Antilles ; pour l'armée de l'air, un deuxième avion ravitailleur multi-rôle, un A 400-M supplémentaire et deux C-130J adaptés en particulier aux opérations des forces spéciales ainsi que six drones MALE-Reaper supplémentaires et un avion léger de surveillance et de reconnaissance.
Le programme 144 prévoit la hausse des ressources consacrées aux études amont : 920 millions d'euros d'engagements et 758 millions d'euros de paiements, soit une augmentation de 5 %, qui est la première marche vers le milliard d'euros prévu en 2022 par la LPM. Et les effectifs continueront à croître, pour atteindre 9 712 ETP fin 2019.
La transformation de la DGA, annoncée par la ministre en juillet, repose sur quatre grands volets. D'abord, la création de l'Agence de l'innovation de défense (AID), effective depuis le 1er septembre 2018 et dirigée par M. Emmanuel Chiva, a pour but de mieux, coordonner et harmoniser les actions d'innovation du ministère. Ses équipes se sont installées la semaine dernière à Balard. Deuxième volet : le renforcement de la démarche capacitaire. Il s'agit de définir les programmes non plus par silos mais par capacités. Concrètement, nous allons rapprocher les équipes du service de préparation des systèmes futurs et d'architecture (SPSA) et le bureau Cohérence Capacitaire de l'état-major des armées. Ce sera fait fin novembre. Nous installerons des réseaux avec les industriels pour favoriser la collaboration dès le stade amont des programmes.
Troisième volet : la refonte des méthodes de conduite des opérations d'armement. Nous simplifierons notre processus en le limitant à trois phases : préparation, réalisation, exploitation. L'idée est de gagner en efficacité pour chaque phase. En phase de réalisation nous généraliserons les démarches incrémentales, pour rester à la pointe de l'innovation, y compris civile. Nous simplifierons aussi notre processus d'essais. Nous agirons aussi sur le soutien : il s'agit en particulier de définir en amont, avec les armées et les services de soutien, une stratégie du soutien pour les programmes et d'engager l'industriel dans un contrat englobant la définition, la production et les premières années de soutien en service. Nous reverrons les règles de contractualisation avec l'industrie, afin de rééquilibrer les relations DGA-industrie. En particulier, les capacités de contrôle des coûts seront renforcées. Quatrième volet : la transformation de notre maison elle-même. Cela passe par le renforcement des moyens d'ingénierie système ; la création d'un service dédié à nos moyens informatiques ; la simplification des processus internes, grâce à une démarche de type lean ; et la construction d'un modèle de gestion des emplois et compétences.
Nous sommes très attentifs à la réforme de la DGA, tant réclamée par les armées et les industriels. Vous avez lancé de grands chantiers sur le processus de captation et d'acquisition de l'innovation pour les besoins de la défense. Pouvez-vous nous en dire plus ? Par ailleurs, les 89 Griffons seront-ils bien fournis par Nexter ? Les forces n'en ont reçu que trois jusqu'à présent...
Mme Conway-Mouret, co-rapporteure pour avis du programme 146, m'a demandé de vos poser les deux questions suivantes. Les industriels français continuent à avoir le sentiment d'être écartés des marchés par l'application trop stricte du cadre juridique communautaire, alors que nos voisins européens n'ont pas tant de scrupules à réserver certains marchés à leur base industrielle et technologique de défense (BITD). Comptez-vous faire évoluer les choses ? Et, vu l'importance de nos exportations pour le business-plan de nos industriels, notre BITD n'en est-elle pas devenue trop dépendante ? Par exemple, comment ferait-elle si la France revoyait sa politique d'exportations à l'Arabie Saoudite, notamment dans le contexte de la guerre au Yémen ou à la suite de la disparition de Jamal Khashoggi ?
Depuis quelques années, notre commission examine la question du soutien à l'exportation (Soutex), sujet que l'on disait anodin avant que nous n'obtenions enfin en LPM la création de 400 postes dédiés d'ici 2025. Le PLF pour 2019 permet-il de mieux faire face aux missions de Soutex ? Comment la DGA, en bonne entente avec l'état-major, s'assure-t-elle que le Soutex ne fera pas supporter une charge trop lourde aux armées ? Retarder la livraison de matériels neufs augmente le coût du maintien en condition opérationnelle (MCO) de matériels vieillissants. Et les formateurs en mission de Soutex ne peuvent dispenser au sein des armées les formations nécessaires pour garantir le bon niveau de préparation opérationnelle
La tendance est à l'augmentation des activités industrielles de maintenance des équipements aéronautiques et terrestres, réalisées par les industriels dans le cadre de contrats globaux. Est-ce la bonne solution ? Avez-vous participé à l'évaluation des bénéfices attendus de cette évolution ? Aiderez-vous à la mise en place de ces nouveaux contrats de maintenance ?
Au titre des études amont du programme 144, 151 millions d'euros seront engagés et 100 millions d'euros dépensés au titre de différents programmes concernant d'une part le renseignement militaire et la surveillance, et, d'autre part, dans le domaine des systèmes d'information et de la cybersécurité - notamment la deuxième phase du programme Artemis relatif à la valorisation et aux traitements des données de masse. Pourriez-vous nous dire quelques mots de ce programme Artemis, nous indiquer les moyens qui ont été consacrés à sa première phase, les résultats de ces études, les moyens qui seront consacrés à la seconde phase, les objectifs recherchés et sa durée ? Ces études sont-elles menées entièrement au sein de la DGA ? Il est indiqué également dans le projet annuel de performance (PAP) que de nouvelles études seront lancées sur les communications, les données d'environnement géophysique et les technologies de sécurité des systèmes d'information de cyberdéfense. Pourriez-vous nous préciser les moyens consacrés à ces études et leurs objets ? Cela permettra-t-il de se dégager de Palantir ?
Enfin, la ministre des armées a rappelé à plusieurs reprises l'importance de l'innovation, illustrée par la création de l'AID. Dans le même temps, on constate une multiplication des organes dédiés : DGA Lab, Innovation Defense Lab, Battle Lab Terre... Comment toutes ces structures vont-elles coexister ?
Le PAP annonce la poursuite et le lancement de nouvelles études dans les domaines du renseignement militaire et de la surveillance - notamment dans le domaine du renseignement image - et le développement d'outils de recueil et de gestion des données de renseignement électromagnétique. Il est indiqué également qu'en 2019 les travaux portant sur la préparation des moyens spatiaux futurs de renseignement d'origine image seront poursuivis, et que seront lancés ceux sur les briques technologiques pour un futur satellite de communication militaire. Pouvez-vous préciser l'objet de ces études et les moyens que la DGA y consacrera en 2019 et au-delà ?
La décision prise par la DGA d'éliminer les PME françaises de ses appels d'offre m'inquiète et, même, je la désapprouve. Ainsi, pour les gilets pare-balles, un marché a été remporté par des Norvégiens. Pour l'autre, plus volumineux, alors qu'une entreprise française équipe déjà, outre notre police, plusieurs armées étrangères, c'est une entreprise irlandaise qui l'a emporté. Sauf qu'elle fait fabriquer ses gilets en Asie ! Autre exemple : le 5 octobre se terminait un appel d'offre pour 2 500 fusils de précision semi-automatiques (FPSA). L'entreprise Verney-Carron fait d'excellentes armes de chasse, comme le VCD 10. Mais vous avez fixé un chiffre d'affaires minimal de 50 millions d'euros. Pourquoi donc ? Cela oblige les PME à s'associer avec leurs concurrents... Absurde ! Quand reviendrez-vous sur ce seuil ? L'euphorie générée par l'explosion de vos crédits d'équipements ne doit pas vous conduire à réserver les marchés aux seuls grands fleurons français. Les PME y ont droit aussi, et je n'accepte pas ce plancher de 50 millions d'euros, que la ministre n'a jamais expliqué. À quoi bon débattre d'une loi Pacte et de son volet sur les PME si, dans le même temps, la DGA fixe de tels critères ? Pardon d'être un peu direct, mais nos PME sont performantes et pointues dans leur domaine.
A la problématique économique s'ajoute un risque de sécurité, lorsque des puces miniaturisées peuvent être insérées dans le tissu des treillis, rendant nos soldats détectables à tout moment...
Vous mettez en oeuvre le standard 3 de l'hélicoptère Tigre, dont les premiers exemplaires ont été mis à disposition au début des années 2000, apportant une réelle plus-value aux forces armées. Hélas, la disponibilité opérationnelle est toujours très inférieure aux projections initiales : 20 à 25 appareils, sur un total de 70 en service. Quels objectifs ont été fixés à Airbus pour améliorer cette disponibilité opérationnelle ? J'ai entendu parler de dix appareils supplémentaires d'ici à 2022.
La captation de l'innovation est essentielle car, depuis quelques temps, l'innovation civile dépasse celle du domaine militaire. D'où la création de l'AID, qui couvre l'ensemble du champ de l'innovation et m'est directement rattachée. L'objectif est d'identifier, d'expérimenter et de proposer des innovations issues d'autres secteurs. Composée de personnels civils et militaires, elle sera dotée de nombreux outils, et coordonnera les efforts de plusieurs structures. L'Innovation Défense Lab, qui prend la suite du DGA Lab, permettra à des start-ups de présenter leurs innovations. L'introduction de celles-ci dans nos programmes sera rendue possible par une démarche incrémentale, qui permet des adaptations en cours de développement. Par exemple, nous menons des études amont pour compléter Scorpion par de la robotique.
Pour les véhicules Griffons, je n'ai pas d'inquiétude. Les difficultés d'ailleurs, viennent moins de Nexter que de Thalès, lequel a rencontré quelques difficultés que nous avons découvertes cet été, et que nous traitons. Le plan de redressement que présente Thalès devrait permettre le maintien du calendrier prévu.
Il est vrai que, dans certains marchés, nous avons eu tendance à sur-transposer les règles européennes. Nous revoyons actuellement notre conduite des programmes et, début 2019, l'élaboration du nouveau code de la commande publique devra être l'occasion de remédier à cela.
Quant à la seconde question de Mme Conway-Mouret, l'exportation représente environ un tiers du chiffre d'affaires de notre industrie de défense. Pour le NH90, Airbus Helicopters a pris ces derniers mois des commandes au Qatar, et une commande supplémentaire est espérée en Espagne. Pour l'A 400-M, la révision du contrat avec Airbus Defence and Space a abouti à une déclaration d'intention en février. Reste le Rafale, dont il nous faut livrer 16 exemplaires export à l'horizon 2024-2025 pour être conformes au référentiel de programmation.
Le Soutex a vu ses effectifs renforcés : 30 personnes supplémentaires en 2019, et 267 au total d'ici à 2025. En 2018, de plus en plus d'exportations sont menées via des contrats entre Gouvernements. C'est notamment le cas des véhicules blindés que nous achèterons pour les Belges.
Contre rémunération, oui. En tous cas, les dépenses de Soutex doivent être financées par l'industrie ou par le client.
Le MCO des équipements aéronautiques fait l'objet d'un plan de redressement. Notre rôle est de définir la stratégie de soutien dès la phase de développement, en lien avec les armées. Faut-il verticaliser les contrats de MCO ? En tous cas, il faut responsabiliser les industriels. Le meilleur moyen pour cela est d'inclure dans les contrats les premières années d'exploitation.
Le programme Artemis se déroule comme prévu, en associant Thalès/Sopra steria, Atos/Bull et Capgemini - à charge pour ces trois maîtres d'oeuvre potentiels d'aller chercher dans l'écosystème civil les innovations et les équipes idoines. Une première livraison est prévue fin 2019. Ce sera l'amorce d'une alternative à Palantir.
Des études amont préparent le renouvellement des diverses composantes des satellites. Pour CSO, notre composante spatiale optique, le lancement du 18 décembre est toujours prévu, mais sous réserve. Deux autres suivront en 2020 et 2021. La prochaine génération sera donc pour la fin des années 2020. Nous travaillons beaucoup, notamment, sur les détecteurs et sur le traitement de l'information à bord.
Quant aux PME : d'abord, nous faisons beaucoup pour elles. Nous suivons particulièrement l'activité de 500 PME ou ETI jugées stratégiques, sur les quelque 4 000 PME qui constituent notre BITD. Plusieurs outils de soutien sont déjà en place. Le régime d'appui à l'innovation duale, par exemple, mobilise 50 millions d'euros par an, et nous le complétons, avec la BPI, par Definvest, qui représente 10 millions d'euros par an. De plus, la ministre a décidé de renouveler le plan ACTION PME, qui s'accompagne de conventions bilatérales avec les grands maîtres d'oeuvre industriels pour soutenir la croissance des PME.
Le critère de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires n'a pas pour but d'éliminer les PME.
Sa raison d'être est d'assurer que les candidats auront l'étoffe industrielle et financière nécessaire pour répondre à l'appel d'offre. Dans le cas que vous citez, il s'agit de produire un fusil, certes, mais muni d'équipements de visée, infrarouge et nocturne, et de fournir aussi ses munitions. Pour garantir la performance globale du système d'armement, nous avons voulu passer un contrat global, qui porte sur l'ensemble de la fourniture. Le fusil lui-même ne représente que 25 % du chiffre d'affaires total de l'opération, contre plus de 50 % pour l'optique de précision. Il est tout-à-fait possible, pour des PME, de s'associer pour faire une offre. C'est ce qu'a fait la société que vous évoquez, à en croire la presse...
Pour autant, l'idée d'un chiffre d'affaires minimal n'a aucun sens. Je ne lâcherai pas là-dessus.
Quel autre critère ? Il faut bien respecter les règles en vigueur et fixer des critères objectifs. Il se peut que la fixation d'un seuil à 50 millions d'euros ne soit pas le critère le plus intelligent. Mais nous devons nous assurer que les candidats aient la capacité de répondre à l'appel d'offre dans la durée - c'est d'ailleurs aussi dans l'intérêt des PME concernées.
Nous savons bien, pour avoir été maires, qu'il faut se méfier des grosses sociétés notamment dans le bâtiment, qui promettent monts et merveilles...
Pourquoi l'offre des entreprises françaises est-elle systématiquement évincée, au point de disparaître finalement ? Pour les élus que nous sommes, c'est un vrai problème. Je pense en particulier au remplacement des P4. Pourtant, il est possible d'anticiper et de préparer un appel d'offres pour que tel ne soit pas le cas. Il faut, pour cela, avoir une conscience nationale.
De la liberté, de grâce ! Laissez les PME candidater ! Verney-Carron vend depuis longtemps des armes équipées de lunettes Zeiss. Pourquoi ce plancher de 50 millions d'euros ? Ce n'est pas un critère intelligent.
Nous devons annoncer dans nos appels d'offre des critères de choix transparents et objectifs. Sinon, nous nous exposons à des contentieux. Le critère de 50 millions d'euros n'est peut-être pas le plus intelligent, mais il en faut un. Nous allons nous interroger sur son amélioration. Cela dit, la presse indique que la société que vous évoquez semble s'être portée candidate.
La question de savoir si la France doit conserver la capacité de fabriquer toutes ses armes est différente. Nous en avons déjà débattu lors de la revue stratégique en 2017. Nous avions fait un tableau distinguant les capacités que nous devions conserver intégralement - dissuasion, renseignement - de celles dans lesquelles nous pouvions coopérer avec mutuelle dépendance, de celles pour lesquelles nous pouvions coopérer tout en conservant la capacité au cas où la coopération ne progressait pas, et de celles pour lesquelles nous pouvions acheter sur étagère. C'est au pouvoir politique de trancher.
Oui, et je ne pense pas que nous devions tout conserver en propre. Mais nous avons abandonné plusieurs pans, déjà. Nous réclamons que la rédaction des appels d'offre soit adaptée. Les Allemands, par exemple, ne font pas rouler leurs policiers en Peugeot ou en Renault. Pourtant, si le prix était le critère, ce serait le cas. Les maires connaissent bien ces enjeux. Allons au bout des solutions juridiquement disponibles. Surtout, une meilleure prospective aiderait les industriels français à mieux se préparer aux futurs appels d'offre. Sans être d'extrême-gauche, je crois aux vertus du Plan.
La vision prospective relève du politique. Nous avons fait une revue stratégique, et nous la mettons en oeuvre dans la LPM. Le Fusil de Précision Semi-Automatique (FPSA) ne relève pas de la règlementation applicable à la souveraineté. Nous appliquons donc la réglementation européenne.
Ce débat est important, car il comporte une dimension d'animation économique des territoires - et les filières industrielles résultent généralement d'une décision politique. Retenons-en le fait que notre commission souhaite que nos PME - qui créent 90 % des emplois - participent autant que possible à vos appels d'offre. Certes, les règles des marchés publics sont très strictes, mais il est dommage que des entreprises françaises reconnues à l'étranger soient évincées de nos propres commandes, d'autant que nous savons que ce n'est pas le cas chez nos voisins. Aux politiques, aussi, d'insuffler avec assez d'avance des orientations prospectives !
Sur le MCO, enfin, le contrat Tigre de standard 3 intègre des exigences de disponibilité.