Nos deux commissions sont réunies ce matin afin d'entendre une communication de nos collègues M. Bernard Delcros, Mme Frédérique Espagnac et M. Rémy Pointereau sur les zones de revitalisation rurale (ZRR). Lors de sa réunion du 22 janvier dernier, la commission des finances a confié la réalisation d'un contrôle budgétaire sur ce sujet à deux de ses commissaires : M. Bernard Delcros, rapporteur spécial des programmes 112 et 162 relatifs à l'aménagement du territoire au sein de la mission « Cohésion des territoires », et Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale de la mission « Économie ». Dans le même temps, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait chargé M. Rémy Pointereau de réaliser un contrôle sur le sujet. Aussi, nos deux commissions ont décidé d'unir leurs forces. Nous nous en félicitons, car cette méthode de travail inter-commissions et transpartisane reflète parfaitement l'esprit qui anime les travaux du Sénat. En l'espace de cinq mois, nos trois rapporteurs ont mené une douzaine d'auditions et effectué deux déplacements, entendant ainsi, au Sénat et sur le terrain, dans les ZRR elles-mêmes, plus d'une centaine de personnes.
Les ZRR intéressent tout particulièrement la commission des finances, puisqu'elles recouvrent à ce jour plusieurs mesures d'incitation fiscale, deux mesures d'exonération de charges sociales, une majoration partielle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et une série de dispositifs destinés à favoriser le développement des territoires concernés. Le coût global annuel de ce dispositif peut être estimé en 2018 à plus de 300 millions d'euros, répartis en 145 millions d'euros d'exonérations d'impôt sur les bénéfices, 118 millions d'euros d'exonérations de cotisations sociales et une cinquantaine de millions d'euros pour les autres mesures.
La restitution de ce travail de contrôle intervient à point nommé. Le principal dispositif d'exonération fiscale prévu en ZRR prendra automatiquement fin au 31 décembre 2020, s'il n'est pas renouvelé par le législateur. En outre, l'examen en commission du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 vient de démarrer à l'Assemblée nationale et le sujet des ZRR y fera probablement débat. Nous entendrons donc beaucoup parler de ce sujet dans les prochaines semaines.
Je me réjouis que nous ayons pu unir nos efforts afin d'apporter nos éclairages respectifs sur les ZRR. Notre commission, et tout particulièrement notre collègue Rémy Pointereau, souhaitait mener une étude sur ce sujet. Compte tenu des initiatives de la commission des finances, il nous a semblé logique, cohérent et pertinent de réaliser un travail commun. Celui-ci s'inscrit dans le droit fil des travaux de notre commission, je pense par exemple au rapport de notre commission Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité, que j'avais publié avec Louis-Jean de Nicolaÿ en octobre 2017, dans lequel nous regrettions que les ZRR n'aient pas fait l'objet d'une réforme plus ambitieuse en 2015, réforme qui semblait alors essentiellement guidée par des préoccupations budgétaires, ciblées sur les critères d'éligibilité, privilégiant une approche intercommunale - qui n'était pas la meilleure selon nous...
Depuis la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (LOADT) de 1995, les ZRR sont un élément d'attractivité pour les territoires ruraux et un moyen de résorption de leurs fragilités structurelles. Nous sommes passées de 11 688 communes classées en 1995 à près de 18 000 communes en 2019 mais 4 000 communes sortiront du classement au 1er juillet 2020 tandis que le principal dispositif d'exonération fiscale prévu en ZRR prendra fin au 31 décembre 2020 s'il n'est pas expressément renouvelé par le législateur. Par ailleurs, des doutes persistent sur les intentions du Gouvernement et de la majorité présidentielle. Nous espérons que l'examen du PLF pour 2020 permettra d'y voir plus clair. Je salue la qualité et l'importance du travail des rapporteurs, en parfaite coordination.
Au cours des quinze dernières années, les outils financiers en faveur du secteur rural se sont peu à peu étiolés : le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), qui a fusionné six fonds précédents a fondu comme neige au soleil, alors qu'il aurait dû être le principal outil d'aménagement du territoire. Les pôles d'excellence rurale et le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac) ont disparu, et les contrats de ruralité, mis en place en 2017 n'ont déjà plus de crédits dédiés. Et désormais, ce sont les ZRR qui sont menacées ! Pendant ce temps, faute d'une réelle politique d'aménagement du territoire, les fractures territoriales continuent à se creuser sous l'effet du processus de métropolisation. Il aura fallu une crise sociale majeure déclenchée en octobre 2018 et le Grand débat qui a suivi pour que la ruralité trouve enfin sa place au coeur du débat national. Pour qu'une prise de conscience émerge, les territoires ruraux ne sont pas un handicap pour le pays, mais ils détiennent des atouts pour répondre aux défis que notre société doit relever. Il faut miser sur ces territoires.
Dans ce contexte, il serait incohérent, incompréhensible et à contre-courant de laisser disparaître les ZRR sans trouver une solution globale, efficace et durable de soutien au développement rural.
Je remercie Mme Frédérique Espagnac et M. Rémy Pointereau d'avoir mené avec moi une vingtaine d'auditions et fait deux déplacements.
Les ZRR, auxquelles les élus locaux sont très attachés, présentent plusieurs intérêts pour la ruralité : exonérations fiscales et de cotisations patronales, majoration de la DGF, exonérations pour les aides à domicile, aides pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), bonification des subventions d'investissement ou de la dotation aux agences postales communales... Au total, 17 mesures fiscales et une série d'autres dispositifs apportent un réel soutien aux territoires ruraux.
Pourquoi les ZRR sont-elles menacées, et pourquoi y-a-t-il urgence à agir dès le PLF pour 2020 ? Première menace, dès le 1er juillet 2020, 4 074 communes, soit un quart des collectivités classées en ZRR, vont sortir du dispositif, souvent victimes de l'élargissement des périmètres des intercommunalités depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Loi NOTRe) en 2017. Nous avons tous des exemples de ces communes n'ayant pas réussi leur reconquête démographique et qui seront exclues du dispositif.
Deuxième menace, les dispositifs d'exonération d'impôt sur les bénéfices et de fiscalité locale arrivent à échéance au 31 décembre 2020. Sans un acte législatif, c'est un levier essentiel pour l'attractivité des territoires ruraux qui disparaîtra.
Troisième menace, le rapport de la mission flash de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, rédigé par les députées Anne Blanc et Véronique Louwagie, remet en cause des ZRR. Elles préconisent la fin des exonérations fiscales et patronales, au profit d'une hausse compensatoire de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Cette proposition n'est pas recevable : la DETR soutient l'investissement des collectivités locales, alors que les ZRR soutiennent l'activité économique et les services en milieu rural.
De plus, il serait prématuré et hasardeux d'exclure tout ou partie des communes classées en ZRR avant que le Gouvernement ne remette les deux rapports - prévus pour juillet et septembre prochains - et qu'ils soient débattus. Lors de la présentation de son agenda rural, le Premier ministre a fait des annonces qui vont dans le bon sens, mais le maintien des ZRR n'est pas inscrit dans le PLF 2020.
Nous proposons un plan d'action en deux temps : dès le PLF 2020, il faudra proroger les ZRR jusqu'au 31 décembre 2021 pour les communes sortantes à l'été 2020 et proroger d'un an les dispositifs d'exonération fiscale arrivant à échéance au 31 décembre 2020. Ensuite, nous proposons une réforme des ZRR fondée sur de nouveaux critères d'éligibilité et un panel de mesures différenciées, mieux adaptées à la diversité des territoires et proportionnées au niveau de fragilité des communes.
Les ZRR sont à la croisée des chemins, avec deux échéances majeures. Nous devons les réformer en profondeur pour disposer d'une politique globale plus efficace en faveur du développement rural. Mais dans cette attente, le report au 31 décembre 2021 des ZRR actuelles est un préalable, notamment pour garantir la réussite de la nouvelle cartographie des zones prioritaires demandée par le Premier ministre. Cela nécessitera de disposer de simulations précises sur le chiffrage et la déclinaison concrète de ces mesures sur le terrain.
Je remercie mes collègues rapporteurs pour le travail conduit ensemble. Ce fut un grand plaisir et un honneur de travailler avec deux membres éminents de la commission des finances !
Oui, les ZRR sont à la croisée des chemins. En complément de la prorogation des ZRR, nous devons aussi traiter le problème à la racine. J'évoquerai donc les critères de classement des EPCI en ZRR et nos propositions de refonte. Sur ce sujet comme sur d'autres, nous devons encore nous adapter à des changements issus de la loi NOTRe, comme nous l'avons vu hier dans l'hémicycle. Je suis convaincu que nous pouvons trouver un équilibre et rénover les ZRR pour soutenir le développement local.
Avant la réforme de 2015, le classement des communes en ZRR se faisait sur la base de trois critères, appréciés soit à échelle de l'EPCI, soit du canton, soit de l'arrondissement : en premier lieu, un critère de faible densité, selon des seuils fixés par décret ; en second lieu, un critère sociodémographique, apprécié par rapport au déclin de la population, au déclin de la population active ou de la forte proportion d'emplois agricoles ; enfin, un critère institutionnel, imposant à la commune souhaitant être classée d'être membre d'un EPCI à fiscalité propre.
Dans ce cadre, en 2014, environ 15 000 communes étaient concernées, dont 55 % étaient des communes de moins de 250 habitants.
En 2014, nos collègues députés MM. Alain Calmette et Jean-Pierre Vigier avaient publié un rapport d'information pour lancer une réforme des critères de classement. Ce rapport proposait de ne retenir que deux critères : un critère démographique et un critère de revenu des habitants, dans le cadre d'une unique référence aux EPCI à fiscalité propre.
Sur la base de ce rapport, la loi de finances rectificative (LFR) pour 2015 a mis en place une réforme visant à maintenir un nombre stable de communes bénéficiant du classement, tout en améliorant la lisibilité des critères applicables. Au 1er juillet 2017, 13 890 communes, dont 3 679 nouvelles, étaient classées tandis que 4 074 perdaient le bénéfice du classement, car elles ne répondaient pas aux nouveaux critères. Depuis cette réforme, c'est tout ou rien : soit toutes les communes d'un EPCI sont classées en ZRR, soit aucune d'entre elles ne l'est.
Si l'ambition simplificatrice de la réforme était louable, je déplore le manque d'anticipation du Gouvernement par rapport aux variations intervenues au sein des périmètres intercommunaux, qui ont profondément redessiné la carte du zonage ZRR, et un manque d'attention aux dynamiques locales propres à certains espaces.
En Lozère, département peuplé par moins de 80 000 habitants, la sortie du zonage des communautés de communes Coeur de Lozère et Gévaudan est un non-sens, alors qu'elles concentrent un tiers des créations d'entreprises. Il en est de même dans les communes de La Chabane dans l'Allier, Banca et Aincille dans les Pyrénées Atlantiques ou Mandailles-Saint-Julien dans le Cantal.
Par ailleurs, l'article 33 de la loi NOTRe, en portant le seuil de constitution des EPCI à fiscalité propre de 5 000 à 15 000 habitants, a conduit, au 1er janvier 2017, à une diminution d'environ 40 % du nombre d'intercommunalités, passé de 2 062 à 1 266, alors que le nombre moyen de communes par EPCI augmentait de 17 à 28, sans compter les 143 EPCI qui rassemblent plus de 50 communes en 2019, alors qu'ils n'étaient que 53 en 2016.
Par conséquent, des communes antérieurement classées en ZRR ont perdu le bénéfice du classement, car l'EPCI auquel elles appartiennent ne répond pas aux critères de la réforme de 2015, alors même que la situation de ces communes ne s'est pas ou peu améliorée. Au sein de la communauté urbaine du Grand Reims, 39 communes sur les 143 membres de l'EPCI ont perdu leur classement en ZRR en raison de la fusion d'EPCI ; 72 % des communes de la communauté d'agglomération du Pays basque sortent du classement, soit 114 communes sur 158 ; dans le Cher, 106 communes sur 236, représentant 58 000 habitants, sont sorties du classement. La fusion entre la communauté de communes des Terres d'Yèvre avec la communauté de communes des Vals-de Cher et d'Arnon au sein de la communauté de communes Coeur-de-Berry a entraîné une perte de classement pour l'ensemble des communes du nouvel EPCI. Parfois, des cantons en grande difficulté sont exclus en raison de la place de la ville-centre, c'est le cas avec la communauté de communes Pays Fort-Sancerrois, qui comprend la ville de Sancerre.
Il y a eu trop de gagnants et de perdants : les mouvements d'entrée et de sortie du classement ont concerné près de 30 % des communes classées, ce qui constitue un facteur de déstabilisation et d'incompréhension. La part de la population sortant du classement ZRR atteint ainsi 83 % pour le Loir-et-Cher !
Enfin, l'attachement des élus locaux à ce « label ZRR » a été sous-estimé. C'est la raison pour laquelle le législateur a prorogé à deux reprises le bénéfice du classement ZRR pour les communes sortantes, à la suite d'amendements parlementaires lors de l'examen de la loi « Montagne 2 » en 2016 puis lors de l'examen du PLF pour 2018.
Je rappelle qu'à l'origine aucun dispositif transitoire n'avait été prévu pour les communes sortantes par le Gouvernement, alors même que le rapport Calmette-Vigier l'avait proposé en 2014. En 2013, dans une situation similaire, il avait été décidé de continuer à faire bénéficier du classement en ZRR les 2 039 communes ne satisfaisant plus aux nouveaux seuils.
Depuis le 23 février 2018, 17 976 communes sont concernées par les ZRR, soit environ 50 % des communes françaises, dont 4 074 communes qui ne sont plus classées mais qui bénéficient des effets du classement jusqu'au 30 juin 2020, avec 1 011 communes de montagne et 3 063 communes prises en compte par la loi de finances pour 2018.
Cette situation illustre les limites d'une réforme dont le principal et critiquable objectif était de faire baisser ou de maintenir un nombre stable de communes en ZRR, au détriment d'une priorité accordée à leur situation réelle.
Aussi, nous proposons de préparer une réforme des ZRR d'ici au 31 décembre 2021. Des simulations vont être réalisées par une étude qui sera lancée rapidement, pour chiffrer précisément les effets positifs attendus de nos propositions et définir les seuils les plus adaptés aux besoins des territoires ruraux. En modifiant juste une décimale, les effets sont parfois importants.
D'abord, nous souhaitons mieux prendre en compte les fragilités et la diversité des territoires dans les grands ensembles intercommunaux, en affinant les critères de classement par secteurs géographiques au sein des EPCI. Les EPCI « XXL » sont des espaces politiques importants, mais ils sont parfois en décalage avec la logique des projets des communes et ne permettent pas toujours une approche fine des enjeux territoriaux. Sans revenir à l'échelle du canton ou de l'arrondissement, il est nécessaire de porter une attention plus approfondie aux dynamiques locales.
Ensuite, nous souhaitons que soient revus et affinés les critères de classement en ZRR pour définir trois niveaux de zonage ZRR 1 / 2 / 3, sur le modèle par exemple des groupes iso-ressources (GIR).
Je m'interroge sur le maintien de cette précision. Il compare les ZRR au GIR qui est un indice de calcul de la perte d'autonomie pour les personnes âgées.. bof non ?
Ces ZRR1, ZRR2 et ZRR3 permettront une différenciation devant correspondre à la diversité des situations des territoires ruraux : la fragilité d'un territoire sera mesurée par rapport au nombre de critères optionnels remplis parmi les six critères identifiés. Les simulations permettront d'affiner ce système.
Les critères que nous retenons à ce stade sont la densité démographique, constante du dispositif ZRR depuis l'origine, auquel s'ajouteraient le déclin démographique observé sur plusieurs années, le revenu par habitant, un critère de dévitalisation mesuré par l'évolution du nombre d'artisans, d'agriculteurs et de commerçants, l'âge moyen de la population, et le nombre de logements et de bâtiments d'exploitation vacants ou abandonnés. En fonction du nombre de critères remplis, un indice de fragilité permettra de classer le territoire concerné en ZRR 1, 2 ou 3 et il bénéficiera des mesures associées à chaque niveau de zonage. En complément, il sera essentiel de renforcer le pilotage et la gouvernance de ce dispositif, notamment en clarifiantle rôle de la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).
Nous avons souhaité faire des ZRR un zonage pivot pour maintenir un soutien actif aux territoires ruraux et pour adapter les moyens des politiques publiques de la ruralité à la situation de chaque espace, d'ici au 31 décembre 2021.
Pour construire la réforme que nous envisageons, nous souhaitons nous appuyer sur les dispositifs financiers actuels, dont nous avons pu mesurer les effets positifs directement sur le terrain, et les adapter aux différents zonages ZRR 1, 2 et 3 présentés par mon collègue rapporteur.
J'évoquerai d'abord le principal dispositif : les exonérations d'impôt sur les bénéfices. Pour les entreprises et les professions libérales qui s'installent en ZRR, les bénéfices sont intégralement exonérés pendant les cinq années qui suivent la création ou la reprise de l'activité, puis l'exonération est dégressive les trois années suivantes, avec un abattement qui passe de 75 % à 50 % puis à 25 % des bénéfices la dernière année. Le dispositif d'exonération d'impôt sur les bénéfices a représenté, au niveau national, plus de 145 millions d'euros d'économies pour près de 24 000 bénéficiaires en 2018.
Concrètement, cela signifie qu'un artisan, un commerçant ou un restaurateur peut recevoir un avantage situé entre 3 000 et 7 000 euros par an. Cette économie d'impôt est souvent réinvestie pour pérenniser des projets qui sont souvent plus fragiles que s'ils étaient implantés dans des territoires plus densément peuplés et plus dynamiques. Le dispositif permet également de rendre ces territoires beaucoup plus attractifs pour les professionnels de santé. Les exonérations d'impôt sur les bénéfices doivent être maintenues pour continuer à compenser le différentiel d'attractivité dont sont victimes les territoires ruraux, et ce à tous les niveaux de zonage - ZRR 1, 2 ou 3.
Toutefois, les exonérations ne concernent aujourd'hui que l'installation et la reprise d'activités. Dans les territoires qui seraient classés en ZRR 3, à savoir les plus fragiles, nous considérons que le dispositif devrait pouvoir être étendu au maintien de certaines activités.
Un deuxième type de mesure concerne les allègements de cotisations patronales. Les exonérations ZRR actuelles recouvrent deux dispositifs distincts. D'une part, le dispositif d'exonération de cotisations patronales spécifique aux organismes d'intérêt général (OIG), qui représente l'essentiel du montant total des exonérations. D'autre part, le dispositif d'aide à l'embauche pour les augmentations d'effectif des entreprises de moins de 50 salariés situées en ZRR. Le coût global de ces deux mesures s'élevait à 101 millions d'euros en 2017, composé de 91 millions d'euros pour les contrats OIG et de 10 millions d'euros pour le dispositif de soutien à l'embauche.
Or, les contrats OIG sont en extinction : seuls sont concernés par l'exonération OIG les contrats signés avant le 1er novembre 2007. Les OIG sont menacés par la disparition progressive des contrats bénéficiant de l'exonération. Le nombre de contrats est passé de 61 000 en 2007 à 17 000 aujourd'hui, et décroit à présent à un rythme de 5 % en moyenne par an. Cette disparition constitue un manque à gagner pour les OIG qui ne bénéficient plus du dispositif sur les nouveaux contrats. Aussi, nous sommes particulièrement inquiets de voir cette mesure disparaître sans être compensée par aucun dispositif permettant d'accompagner les OIG concernés. En 2014, pour les 134 principaux établissements concernés, le montant global moyen de cette exonération représentait 200 000 euros. La disparition des contrats exonérés conduirait donc à une augmentation importante des coûts pour ces structures. Ces conséquences doivent impérativement être mieux chiffrées afin de mieux accompagner les établissements.
L'autre dispositif d'exonération concerne les allègements de charge pour les nouvelles embauches. Ils sont applicables un an et sont strictement conditionnés à une augmentation nette d'effectif. L'intérêt de ce dispositif a été progressivement réduit par l'augmentation des allègements généraux. Les entreprises devant opter pour l'un ou l'autre des dispositifs, les allègements généraux sont désormais plus intéressants que les allègements ZRR entre une fois et 1,15 fois le SMIC. Ils sont en revanche plus attractifs pour les salaires compris entre 1,15 et 2,4 fois le SMIC. L'intérêt des exonérations ZRR peut parfois atteindre des niveaux substantiels : à 1,5 fois le SMIC, l'avantage représente 5 712 euros de plus pour l'année de l'embauche que les allègements généraux.
Toutefois, compte tenu de la répartition des revenus dans les territoires ruraux, ce ciblage n'est plus adapté : 80 % des embauches se faisant à des niveaux de rémunérations inférieurs à 1,4 SMIC, les dispositifs d'exonérations devraient être recentrés à ce niveau de rémunération. Surtout, la condition d'augmentation nette d'effectif, qui constitue un critère d'éligibilité, n'est pas satisfaisante. D'abord, elle crée une complexité administrative qui limite le recours au dispositif. Ensuite, elle n'est pas en phase avec les problématiques de la ruralité, qui sont parfois celles du déclin. La priorité ne doit pas être seulement de faire croître le niveau d'activité mais également de préserver l'existant en soutenant les entreprises qui embauchent.
Pour répondre à ces difficultés, il convient de repenser le système actuel d'allègements en l'appliquant à toutes les nouvelles embauches et en définissant, en fonction du niveau de zonage et du secteur d'activité, des durées d'allègement différenciées.
Enfin, le dispositif de ZRR actuel comprend un volet de majoration de dotations. Depuis 2005, la fraction bourg-centre de la dotation de solidarité rurale est majorée de 30 % pour l'ensemble des communes situées en ZRR. Cette majoration a été appliquée sur les dotations des communes concernées lors de la création du dispositif et représente un total de 35 millions d'euros de dotation pour 2 434 communes.
La question des majorations de dotation doit être posée dans le nouveau dispositif. Le niveau de classement en ZRR 1, 2 ou 3 devrait mieux se ressentir dans l'attribution des dotations d'investissement. Elles devront être progressives en fonction de ce zonage et un coefficient multiplicateur devra être appliqué pour aider les communes les plus en difficulté à réaliser les investissements indispensables à leur attractivité.
De plus, nous avons pu constater que plusieurs dispositifs sectoriels dépendaient du zonage ZRR. Les communes sortantes risquent de perdre un soutien important et les menaces qui pèsent sur le zonage, pourraient mettre en péril ces dispositifs. Il existe en particulier des bonifications d'indemnité des agences postales communales mais également pour les agences de l'eau, qui offrent des aides renforcées en direction des communes situées en ZRR. L'agence de l'eau Loire-Bretagne prend en compte le zonage ZRR, de même que l'agence Rhône-Méditerranée-Corse qui s'est d'ailleurs fixée pour objectif de contractualiser avec 75 % des EPCI situés en ZRR d'ici à 2024. Le nouveau zonage ZRR doit demeurer une référence pour les acteurs publics et privés qui assument des politiques publiques et des services structurants. Il est indispensable de disposer d'une géographie prioritaire pour coordonner l'ensemble des actions en faveur des territoires.
Enfin, notre dernière proposition concerne uniquement les territoires les plus fragiles, classés en ZRR 3. Il est nécessaire de mettre en place un fonds de soutien à l'activité orienté vers ces territoires. Ce fonds servira de levier pour soutenir les entreprises, les commerces et les artisans et pourrait éventuellement servir de co-financement à des fonds européens.
Toutes nos propositions visent à construire une politique de la ruralité qui soit cohérente, avec des objectifs clairs et des moyens adaptés aux enjeux. Il est impossible de faire l'économie de ce chantier.
Un dernier mot sur le projet du Gouvernement, intégré au PLF pour 2020, de créer un nouveau zonage ad hoc pour soutenir les commerces et curieusement appelé « zones de revitalisation commerciale » : alors que le Gouvernement dit être engagé dans une démarche de rationalisation des zonages et devra remettre au Parlement un rapport sur ce sujet d'ici fin 2020, la sortie de ce dispositif est bien la preuve d'une absence de vision globale de la ruralité et de la proximité des élections municipales.
Voilà les grandes lignes du rapport que vous nous avez confié et que nous souhaitons approfondir grâce à des simulations précises, pour préserver un dispositif essentiel mais qu'il faudra aménager.
Merci à tous les rapporteurs pour cette communication. Je donne la parole à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, auteur du rapport Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité, rapporteur pour avis des crédits de l'aménagement du territoire au sein de notre commission et qui était par ailleurs le rapporteur du texte portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.
Merci pour ces propositions que nous appelions de nos voeux depuis longtemps. Cette politique date de 1995 ; elle est peu connue du grand public mais très importante pour les territoires ruraux. Les ZRR ne doivent pas être un outil complémentaire mais une véritable politique de soutien aux zones les plus fragiles des territoires ruraux. On a tendance à ajouter à chaque fois de nouveaux zonages, avec de nouvelles mesures pour combler les difficultés des territoires ruraux...
Les ZRR, définies selon vos critères, pourront être une véritable politique de soutien aux territoires, dont certains font face à d'importants décrochages.
Je m'interroge sur le lien entre les ZRR et l'attribution des compétences. Les bénéfices des ZRR sont attribués aux communes, alors que la compétence de développement économique appartient aux EPCI. Il faut trouver une bonne articulation entre les deux.
- Présidence de M. Vincent Éblé, président de la commission des finances, et de M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -
Félicitations pour cette analyse et les solutions préconisées. Après avoir lu le rapport des députés Jean-Pierre Vigier et Alain Calmette de 2014 et le rapport récent des députées Anne Blanc et Véronique Louwagie, nous ne pouvons que nous féliciter de la spécificité du Sénat et de la qualité de ses travaux.
Les ZRR ne sont pas le seul dispositif s'arrêtant en 2020, les autres zonages étant également concernés : les zones franches urbaines - les territoires entrepreneurs (ZFU), les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les zones de restructuration défense (ZRD), les bassins d'emplois à redynamiser (BER) et les bassins urbains à dynamiser (BUD). Les territoires relèvent d'ailleurs souvent de plusieurs zonages et il faut étudier en détail ce qu'il en est.
Les propositions de critères que vous formulez pour les ZRR permettent de mieux appréhender la réalité des territoires ruraux. Le système actuel, tel que le montre bien la cartographie des ZRR, exclut l'est et le centre de la France, alors même que ces territoires manquent de dynamisme.
Comme vous l'avez justement relevé, il serait difficile de revenir à l'échelle communale. Il y a effectivement des difficultés posées par les intercommunalités dites XXL et je conçois tout à fait qu'il faille regarder en deçà du niveau intercommunal.
Cependant, il faut porter une attention particulière à la formule utilisée pour coupler les critères choisis. Le diable se loge dans les détails. La formule actuelle, qui accorde une même importance à la démographie et au revenu médian par habitant, est une hérésie. Par exemple, on rencontre des intercommunalités qui comptent 10 habitants par kilomètre carré mais dont le revenu par habitant est légèrement supérieur à la médiane nationale et qui sont par conséquent exclues. Méfions-nous également du revenu médian, critère intéressant à certains égards mais qui n'offre pas une bonne vision de la richesse d'un territoire, le revenu moyen me semble à cet égard plus pertinent. J'espère que vos bonnes préconisations seront suivies d'effet !
Merci pour cette présentation intéressante. Je regrette que la simple entrée d'une commune dans un EPCI avec certains moyens conduisent à une sortie de collectivités des ZRR. Ce constat a une résonnance particulière alors que nous examinons le projet de loi « Engagement et proximité ». Dressons un inventaire, collectivité par collectivité, pour savoir où elles en sont. Sinon nous remettrons en cause, chaque année, les exonérations, et cela pénalisera ceux qui s'installent.
Par ailleurs, il ne suffira pas de donner en compensation une DETR... Il faut soutenir le développement des territoires en leur donnant des outils propres et les aider par le biais de la DETR.
Chers collègues, l'aura de votre rapport a déjà dépassé le Sénat, puisque la Ministre de la Cohésion des territoires, Mme Jacqueline Gourault l'a cité lors des questions au Gouvernement... Je ne doute pas qu'elle en prendra pleinement connaissance.
Depuis quelque temps, on adore les maires et la ruralité. C'est formidable, profitons-en, mais de graves difficultés surviendront à la suite de l'arrêt des ZRR. Le dispositif s'est étiolé car il n'a pas été accompagné de moyens suffisants. Le phénomène de métropolisation s'est accru dans notre pays, et les intercommunalités XXL ont accentué ce phénomène.
Maintenons dans le PLF 2020 - la commission des finances y sera vigilante - ces dispositifs pertinents, avant même d'envisager une réforme fiscale : ne mettons pas tout à plat avant d'avoir défini des dispositifs ultérieurs.
La ruralité recouvre des réalités très diverses. Certains territoires vont bien, d'autres doivent être aidés de façon spécifique.
Merci pour vos constats et vos propositions. De nombreux maires de communes membres d'EPCI ont souhaité fusionner avec une autre intercommunalité, en connaissant les avantages et les inconvénients. Vous proposez certains critères, mais ne faudrait-il pas également prendre en compte un critère lié aux politiques de revitalisation en milieu rural menées par certaines intercommunalités, qui apportent d'importants avantages à certaines communes ?
J'approuve totalement vos constats et vos propositions, ainsi que les revendications des maires en milieu rural qui ont perdu certains avantages.
Dans la synthèse qui nous a été remise, j'ai été un peu surpris de ne pas voir apparaître le bilan de ces ZRR, mises en place depuis 1995. Un rapport a-t-il été réalisé sur ce sujet? Avant de proroger les dispositifs, connaissons d'abord le coût annuel de ces mesures et le résultat obtenu sur les territoires.
De plus, vous prenez la densité démographique comme critère principal, ce qui interroge : c'est un critère, certes, mais elle ne va pas forcément de pair avec la fragilité ou la pauvreté. Par ailleurs, je suis surpris de ne pas voir apparaître un critère de ressources publiques par habitant ou par hectare, car des péréquations existent déjà dans les territoires. Cela pourrait être un critère pour apporter ou non des financements complémentaires.
Je connais bien le sujet des ZRR car mon intercommunalité était concernée.
Votre proposition est intéressante, mais si un territoire bénéficie d'une ressource particulière - centrale électrique ou ressource touristique -, selon vos critères, celle-ci n'apparaîtrait pas comme un élément de richesse du territoire, malgré son importance. Prenons en compte ces critères financiers : le potentiel fiscal, des revenus divers ou l'effort fiscal.
Certaines intercommunalités sont très grandes, ce qui pose problème si les ZRR doivent respecter ce périmètre, mais il faut prendre aussi en compte les politiques spécifiques de certaines intercommunalités et la compétence économique.
Je félicite les rapporteurs pour ce rapport très intéressant, et qui illustre le fameux « en même temps » qui fit florès à une certaine époque... C'est un processus lent. Aux yeux des élus, le dispositif est satisfaisant, mais ses dispositions se sont étiolées. En même temps, le Grand débat a bousculé les choses. Le Président de la République dit lui-même avoir « beaucoup appris ».
En juillet dernier, le législateur a décidé la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) qui a pour but, je cite, de « transformer en profondeur la manière dont l'État organise son action et le soutien qu'il apporte aux territoires et à leurs projets ». Lors de la présentation de l'Agenda rural du Gouvernement par le Premier ministre, lors du congrès national des maires ruraux de France, ce dernier indiquait avoir pris en compte 173 propositions sur les 200 faites par les maires... Il y a donc bien une différence entre le discours et la réalité !
Merci pour rapport très éclairant. Ne faudrait-il pas prendre comme critère des symptômes de déprise comme la fermeture des services publics, des gares, des perceptions, des écoles ?
Je félicite les rapporteurs, bons connaisseurs du sujet, d'avoir rappelé les politiques à destination des territoires ruraux et d'avoir souligné les risques pour l'avenir des financements européens : les crédits de la politique de cohésion et du développement local sont menacés.
Merci d'avoir rappelé l'éventail des déclinaisons des ZRR - dotations et exonérations - dont nous n'avons pas toujours une vision très claire. L'enjeu de la fracture territoriale et sociale a été rappelé par la crise des Gilets jaunes. Il y a un enjeu symbolique de cohésion des territoires, alors que la métropolisation des politiques publiques a été première depuis quelques années.
L'enjeu financier est important pour les collectivités, mais le coût pour l'État est modeste, un peu plus de 300 millions d'euros. En comparaison, pour le Grand Paris, on passe allègrement d'un coût de 24 à 36 milliards d'euros. Dans nos collectivités, on raisonne au maximum en dizaines de millions d'euros, et on nous rétorque que c'est tout de suite très coûteux...
J'ai participé à la mission sur la ruralité. Sur les 200 mesures proposées, 173 auraient été retenues par le Premier ministre - en réalité, 143 seulement, dont 45 ont un lien très ténu avec nos propositions initiales. Seules une centaine de propositions auront une déclinaison opérationnelle.
L'agenda envisageait la mise en place d'une géographie prioritaire, ce qui supposerait un report des dispositifs à fin 2021. Le Premier ministre s'y est engagé. La mission avait suggéré une redéfinition du dispositif sur les travaux de rénovation le plus pertinents possibles. Vos orientations convergent avec les nôtres. Avoir différents niveaux d'aide selon les territoires me semble pertinent. Il me semble que la question de l'échelle est importante et que vous avez raison de vouloir une approche plus fine que simplement les intercommunalités. De la même manière que les ZFU sont réservées aux territoires urbains denses, il pourrait y avoir zones franches rurales.
Merci pour ce rapport d'information. Vous proposez d'adapter le dispositif des ZRR, cher aux élus des communes concernées mais il nous faudrait un réel bilan sur l'efficience de ces dispositifs d'exonération fiscale, sur l'effet levier entre le coût pour la collectivité et les investissements générés dans les territoires.
Il existe aussi d'autres dispositifs, comme les pactes pour la ruralité mis en place par les régions... Ayons une dépense publique efficiente. Avec le recul, la création de l'ANCT peut-elle suppléer ce dispositif, et peut-on avoir une bonne articulation entre ces deux outils ?
Merci pour la qualité et la quantité des informations précieuses que nous fournissent les rapporteurs. Je partage les remarques de Charles Guené : attention à la superposition des critères qui pourrait être fatale à certaines zones.
Serait-il opportun, au-delà des exonérations fiscales et sociales pour les entreprises et autres avantages directs, d'assouplir l'application stricte des règles d'urbanisme ? Vous le voyez au sein des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Quand on révise le plan local d'urbanisme (PLU) ou qu'on met en place les PLU intercommunaux (PLUi), les marges de manoeuvres pour créer des parcelles à urbaniser sont très limitées, en témoigne le décret du 29 juillet 2019 sur le zéro artificialisation en zone rurale... Certes, il faut mettre en place et maintenir des aides fiscales et sociales mais compte tenu de la difficulté d'installer des entreprises, je pense que l'adaptation des règles d'urbanisme pour favoriser l'implantation d'entreprises serait une bonne chose.
Félicitations pour votre rapport sur un sujet extrêmement important pour notre pays, en témoignent les événements de l'automne dernier. J'espère que le dispositif perdurera. Je souscris aux propositions d'évolution.
Parmi les critères, il est nécessaire de prendre en compte la présence des services médicaux, qui permettent le maintien en zone rurale des populations, et l'accès aux commerces alimentaires, qui doivent être pris en compte dans la politique d'aménagement du territoire. La population ne peut résider dans des zones rurales que si elle y trouve les services nécessaires à ses besoins.
Faut-il que l'ensemble du périmètre communautaire soit intégré dans les ZRR, ou peut-on avoir un maillage un peu plus fin pour s'approcher davantage de la réalité des situations et permettre un meilleur ciblage des aides ?
Je félicite les rapporteurs pour ce rapport très attendu dans le milieu rural. Pour votre proposition n° 4, le revenu par habitant ne me parait pas approprié : nous avons vu les dégâts faits par le potentiel fiscal dans les calculs de DGF dans la ruralité et dans la haute ruralité. Nous connaissons tous des communes qui ne sont pas classées en ZRR, comme des communes viticoles qui restent pauvres quand bien même les habitants paieraient un impôt sur le revenu important, ou des communes qui n'ont pas d'autres ressources économiques.
Les élus du Grand Paris ont une connaissance fine de leur territoire, dont je ne dispose pas et c'est pour cela que je les écoute. Ils ont une analyse du terrain, un vécu, ils ont géré de près une collectivité... N'opposons pas ruralité et métropolisation. Ce serait une erreur fondamentale qui reviendrait à tout mélanger. Vos propositions me conviennent.
Ma question porte sur la coresponsabilité des différents acteurs, collectivités et entreprises. C'est une chose que de demander à l'État d'intervenir, mais quel lien faire avec les régions et les EPCI au sein du dispositif ? Lorsqu'on est acteur local et fervent défenseur de décentralisation, on doit décider, après un débat, au plus près des zones pouvant être aidées.
J'habite dans la zone de Cognac, nous avons des communes pauvres, avec une zone viticole qui est une zone riche. Si la commune-centre de l'EPCI est suffisamment attrayante, tout le monde va s'installer là et bénéficier des aides des collectivités. Dans vos propositions, a-t-on une coresponsabilité des collectivités, départementales ou régionales ?
Aujourd'hui, des usines explosent dans les centres villes, mais lorsqu'on veut installer une unité Seveso en zone rurale, on nous répond que c'est impossible. Il faudrait élargir le bénéfice économique à des zones beaucoup plus larges.
Ce débat montre combien le Parlement prend des décisions sans mesurer toutes les conséquences induites. En l'occurrence, les conséquences indirectes de la réforme de la carte intercommunale issue de la loi NOTRe n'ont pas été suffisamment mesurées. Il faudrait qu'un jour nous ayons enfin les simulations qui nous permettent d'apprécier les conséquences des réformes votées par le Parlement.
Cela étant dit, n'opposons pas la ruralité et les autres territoires. C'est inefficace, et ce l'est d'autant plus quand les arguments sont faux. Pour le Grand Paris Express, pas un euro des 28, 35 ou 40 milliards d'euros ne viennent du budget de l'État ou des régions. Ils sont payés par la taxe spéciale d'équipement, par les habitants et par les entreprises d'Ile-de-France.
Mais il faut que nous réfléchissions à la sortie des dispositifs ZFU et ZRR. Pour les ZFU, il a fallu négocier avec Bruxelles en 1995-1997 une sortie en sifflet. Maintenant, anticipons et voyons comment remplacer le dispositif des ZRR, et si nous avons besoin d'un accord de Bruxelles pour les maintenir sous une autre forme.
La reconfiguration de la carte des intercommunalités a des conséquences importantes. Dans le département des Côtes d'Armor, nous avons fait le choix de réduire drastiquement le nombre d'intercommunalités, qui sont passées de 33 à 8, sans que personne ne mette d'épée dans les reins de la commission départementale. Avec la même loi, la carte des intercommunalités du Finistère n'a pas bougé pour autant... Les conséquences de ce bouleversement n'ont pas été envisagées dans tous leurs aspects.
Nous avons eu une première alerte lors du recalcul du montant de la DGF versée aux communes. En mixant communes riches et communes pauvres, le potentiel fiscal moyen a varié : s'il était inférieur au niveau précédent, les dotations ont augmenté pour les territoires riches et, dans l'autre sens, des territoires pauvres ont pu voir leur dotation baisser... Les choses se sont un peu améliorées depuis mais le mouvement a d'abord été celui-là.
On voit, sur la carte, que le déclassement des ZRR tient du même processus. Au sein des grandes intercommunalités, certains territoires appartiennent au rural profond et se trouvent exclus du dispositif ZRR.
Je suis donc d'accord pour affiner les critères de classement par secteur géographique au sein des grandes EPCI, pour éventuellement reconfigurer la carte. Traiter un territoire disparate de façon identique aboutit à un sentiment d'injustice, avec des bouleversements pour les porteurs de projets. Le chef d'entreprise ne se fonde pas uniquement sur la ZRR pour décider de son implantation.
Revenons à nos rapporteurs pour répondre à l'ensemble de ces questions...
Merci pour les très nombreuses questions et propositions.
Une question importante est celle de l'articulation entre les différentes échelles, communale et intercommunale. Cela interroge sur les solidarités locales. Dans le rapport des de Jean-Pierre Vigier et d'Alain Calmette en 2014, les députés considèrent que les intercommunalités détiennent la compétence économique et qu'en conséquence les critères des dispositifs de soutien ZRR doivent être appréciés à l'échelle de l'intercommunalité. C'est cohérent, mais cette approche ne tient pas toujours compte de la réalité du terrain et a été remise en cause par la modification de certains périmètres. Certaines communes pauvres et isolées ont perdu le classement en ZRR à cause d'une ville-centre riche, alors qu'elles sont situées parfois à 40 kilomètres...
Nous proposons donc de rentrer dans le dispositif par l'échelle de l'intercommunalité, mais qu'à l'intérieur du périmètre intercommunal, nous affinions les secteurs dont la fragilité justifie un classement en ZRR.
Pour la question des solidarités locales, elles sont évidemment nécessaires mais elles doivent être complémentaires de l'action de péréquation de l'État. Certes, il y a des politiques locales utiles mais elles ne peuvent pas suffire. Solidarité nationale et solidarité rurale doivent se compléter.
Mieux vaudrait conserver l'intercommunalité pour porter le classement en ZRR, par cohérence avec sa compétence dans le domaine du développement économique et ses capacités d'intervention. Mais dans le nord du Cher, nous avons trois cantons qui ont fusionné il y a deux ans dans un EPCI : Belleville, avec une centrale nucléaire et des communes qui ont beaucoup de moyens ; Sancerre, sans moyens importants mais avec un revenu par habitant élevé ; et Vailly-sur-Sauldre, canton le plus pauvre du département. Ce dernier ne bénéficie plus d'aucun zonage : ni les zones défavorisées simples (ZDS) pour les agriculteurs, ni les ZRR... Comment fait-on pour que Vailly puisse conserver le classement ZRR sans que ni Belleville ni Sancerre n'en profitent ?
Monsieur Guéné, c'est la diagonale du vide, zone intermédiaire entre le centre et l'est de la France, qui a vu le plus grand nombre de communes perdre leur classement en ZRR. Nous devons y remédier.
Monsieur Houpert, nous devons affiner le sujet du revenu moyen ou du revenu médian. Le Président du Sénat a souhaité qu'un cadre et des ressources spécifiques soient mis en place pour permettre la commande d'études et d'évaluations à des organismes extérieurs ; nous devons nous saisir de cette opportunité sur ce projet de nouvelles ZRR afin d'affiner nos travaux, en effectuant des simulations et en déterminant les seuils adaptés à chaque critère.
Monsieur Longeot, les ZRR sont un outil intéressant pour maintenir et faire venir des médecins dans nos territoires, avec des facilités fiscales. Il semble qu'elles soient plus efficaces que d'autres types d'incitation.
Monsieur Joly, les ZRR ne sont pas assez connues et il faut faire la démarche auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour bénéficier des exonérations fiscales et de charges sociales. Dans mon département, deux cabinets d'infirmières ont ouvert récemment. Le comptable du premier connaissait le dispositif et a fait les démarches pour en bénéficier, tandis que le comptable du second, par méconnaissance, n'a pas pu en faire bénéficier le cabinet. Ce n'est pas très équitable...
Autre exemple, pour pouvoir financer le maintien d'une pharmacie dans une zone rurale, les banques demandent si elle se trouve ou non en ZRR... Si le dispositif devait s'arrêter immédiatement, cela provoquera des conséquences néfastes pour les territoires. De plus, si l'entreprise ne formule pas de demande d'exonération la première année, elle n'a pas droit au dispositif.
De nombreux acteurs du tourisme et en particulier les hôteliers nous ont alertés sur le fait que le dispositif ZRR aidait pour la reprise d'une génération à l'autre et pouvait contribuer aux mises aux normes des établissements. La remise en cause du dispositif provoquerait de vraies difficultés. De même, certaines CCI considérées comme rurales ont des avantages par rapport à d'autres, tout comme La Poste, ou des agences de l'eau qui financent des travaux d'assainissement des communes en ZRR.
Bien sûr, il y a une complémentarité avec d'autres dispositifs existant au sein des régions, mais ce sont d'autres avantages, fiscaux, qui visent le maintien de l'emploi, le recrutement, l'installation, et pour aller plus loin et c'est ce que nous souhaitons, la préservation de l'activité...
Depuis quelques années, tous les crédits sont soit totalement en extinction - y compris en zone urbaine - soit en baisse. Je suis rapporteure spéciale de la mission Économie à la commission des finances et les crédits du Fisac, qui n'ont cessé de baisser, sont à zéro depuis 2019. Si en plus il n'y a plus d'avantages fiscaux pour les entreprises qui s'installent, que fait-on pour maintenir le dernier commerce dans une commune ? Quand on maintient ou qu'on rouvre un café dans un village, cela permet d'avoir un point poste, des livraisons de pain, et d'autres services adossés à ce dernier commerce. Les crédits des contrats de ruralité ont également fondu, ainsi que les financements européens, et la réserve parlementaire a disparu. Si les ZRR disparaissent, les conséquences seront terribles. Si l'on supprimait le bénéfice des dispositifs existants cela représenterait jusqu'à 800 000 euros annuels pour certaines maisons de retraites, et aboutirait à une fermeture immédiate de ces établissements, à des licenciements et à la disparition de services connexes.
Il est urgent de compléter les ZRR par deux à trois critères supplémentaires. Vous demandiez un bilan chiffré, nous pouvons vous transmettre ces éléments.
Ce n'est pas opposer urbain et rural que de constater un fait : il existe un fait métropolitain et une désertification de certains territoires ruraux.
Monsieur Bérit-Débat, si rejoindre un EPCI est parfois le choix du maire, il est de nombreux cas où les périmètres des intercommunalités ont été imposés aux communes.
Monsieur Delahaye, évidemment, nous avons réalisé le bilan du dispositif dans notre rapport. Nous sommes capables de montrer les effets bénéfiques du dispositif pour les territoires. C'est pour cela que nous faisons des propositions pour renforcer le dispositif.
Sur le critère démographique, nous considérons qu'un territoire qui perd des habitants ne se développe pas. C'est un indice de fragilité qui suffit à considérer qu'il s'agit d'un territoire menacé auquel il faut accorder un soutien particulier....
En revanche, nous ne retenons pas comme critère la ressource publique par habitant, qui ne veut rien dire parce qu'elle donne une prépondérance injustifiée au nombre d'habitants. Dans une commune qui compte quelques centaines, voire seulement quelques dizaines d'habitants et 40 ou 50 km de voirie communale et des longueurs de réseaux très importantes, que signifierait de comparer le montant des aides publiques par habitant ? Ce serait injuste, il faut sortir de cette logique du seul critère du nombre d'habitants.
Il faut des actes et non des discours, je suis d'accord avec Monsieur Bocquet. L'ANCT peut avoir un rôle à jouer mais elle ne va pas remplacer les dispositifs de soutien financier qui sont nécessaires. Madame Préville, sur le critère de l'évolution des services, cela est très important et cela fait partie de nos propositions pour mesurer l'indice de fragilité.
Dans le cas des OIG, lorsqu'on parcourt 30 km pour porter un repas à domicile à une personne, isolée en zone de montagne, ce n'est pas le même coût que de le faire pour plusieurs dizaines de personnes en zone dense. L'exonération de cotisation patronale vient compenser en partie les surcoûts liés à la faible densité et à l'éloignement des populations...
Nous devons prendre en compte des critères de dévitalisation : diminution du nombre d'artisans, d'agriculteurs, de services médicaux, de services publics...
Monsieur Chevrollier, vous évoquiez les contrats de ruralité. Mettons de la cohérence, alors qu'on observe une multitude de dispositifs pour la ruralité, les zones de montagne, les zones de restructuration de la défense, les bassins d'emplois à redynamiser etc. Soyons plus efficaces.
Les députés Louwagie et Blanc déplorent que les ZRR ne soient pas efficaces, mais c'est aussi parce que le dispositif n'est pas suffisamment connu. De nombreuses entreprises passent à côté des ZRR et ne consomment pas les crédits. On parle de dizaines de millions d'euros alors que d'autres dispositifs se comptent en milliards d'euros - sans comparer avec les zones rurales... Le Fisac était un dispositif vraiment utile, qui s'élevait à plus de 10 millions d'euros.
En matière d'urbanisme, madame Vermeillet, je suis d'accord avec vous. Évidemment, il ne faut pas faire n'importe quoi en matière de construction mais les mêmes règles sont appliquées à l'échelle nationale alors qu'il y a des différences selon les territoires. Mon département, le Cantal, perd des habitants. Et pourtant quand une entreprise veut s'installer, ou une famille construire son habitation, on lui applique les règles de non-consommation des terres agricoles, alors que les surfaces concernées par les constructions dans ces territoires sont très faibles. Ces règles ont du sens dans certaines régions, mais dans d'autres, elles pénalisent les quelques projets indispensables que nous avons. Il faut donc assouplir certaines règles comme la non consommation des terres agricoles si le territoire compte de grandes superficies exploitées et peu de constructions...
Je vous remercie, j'espère que vos propositions seront retenues. Le ciblage actuel du dispositif ne donne pas une bonne image de la réalité du territoire. Appartenir à une grande intercommunalité soumet parfois les communes à une double peine : elles ont perdu le classement en ZRR et leur DETR. L'aménagement du territoire est le parent pauvre des politiques publiques, comme nous le répétons souvent dans notre commission. Le Sénat, dernier défenseur de la ruralité, doit toujours rester vigilant.
Nous en débattrons lors du prochain PLF.
Les commissions autorisent la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
Après les zones de revitalisation rurale, nous abordons maintenant un tout autre sujet : l'évaluation de la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la mise en place du prélèvement forfaire unique (PFU). Je rappelle que nous n'avons pas souhaité être associés au comité d'évaluation piloté par France Stratégie et que nous avons préféré effectuer notre propre évaluation, dans le cadre de notre mission de contrôle des lois adoptées.
En effet, cette réforme est importante, compte tenu de son coût pour les finances publiques - il était estimé initialement à 5,1 milliards d'euros - et de sa forte portée symbolique, comme on l'a vu lors du mouvement des Gilets jaunes.
Pour faire notre évaluation, nous avons auditionné une quarantaine de personnalités, envoyé des questionnaires à Bercy et confié un projet de recherche à l'Institut des politiques publiques, l'IPP.
Je commencerai par revenir brièvement sur la situation antérieure à la réforme, en commençant par évoquer l'ISF.
Si cet impôt est si controversé, c'est sans doute parce que ses effets restent difficiles à appréhender. Les économistes s'accordent pour considérer que la concentration croissante du patrimoine constitue une bonne raison de taxer la fortune. Il est toutefois possible d'arriver au même résultat en taxant les successions et les revenus du capital. Un équilibre doit être trouvé entre ces trois formes d'imposition.
La France taxe davantage les successions que ses voisins, mais les plus riches échappent en partie à l'impôt sur le revenu en raison de l'effacement des plus-values latentes au décès et en cas de donation. Cette niche fiscale est importante, car les plus-values latentes représentent près de 50 % des revenus et du patrimoine des plus fortunés. Le patrimoine détenu prend de la valeur. Or cet enrichissement n'est pas toujours taxé.
Le rapporteur général va maintenant évoquer les effets économiques de l'ISF et les expériences étrangères.
Le président et moi-même n'appartenons pas au même groupe politique. Nous partageons cependant un certain nombre de constats sur l'ISF, sur l'IFI et sur le PFU, même si nous n'en tirons évidemment pas les mêmes conclusions.
Nous nous sommes efforcés de mesurer les effets de l'ISF, quand il existait, sur l'activité économique. Un impôt sur le stock, comme l'impôt sur la fortune immobilière, a des effets plus défavorables que d'autres formes d'imposition sur le capital, notamment sur l'investissement, en raison du renchérissement du coût du capital. Pour payer l'ISF, les actionnaires minoritaires devaient demander la distribution de dividendes, ce qui pouvait avoir un effet négatif sur l'investissement. Cet impôt a également un effet défavorable sur l'entrepreneuriat, l'optimisation et les expatriations fiscales.
Différentes études montrent des résultats contrastés, mais sans doute un effet plus défavorable sur le capital que d'autres formes d'imposition.
On constate une disparition progressive des impôts sur la fortune au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En 1990, une douzaine de pays taxaient la fortune, contre trois seulement aujourd'hui : la Norvège, l'Espagne et la Suisse, avec des possibilités de modulations et d'exonérations de fait. La suppression de cet impôt répond d'abord à une volonté de se prémunir contre une fuite des capitaux et des départs vers l'étranger. En Suède et au Danemark, l'impôt sur la fortune n'est même plus un sujet de débat politique. Ces pays comptent des entreprises de taille mondiale et souhaitent rester compétitifs dans un contexte de concurrence fiscale. La suppression de cet impôt tient également à des difficultés pratiques, liées à des seuils d'assujettissement très bas.
Pour les finances publiques, l'ISF présentait deux avantages majeurs. Tout d'abord, son rendement était dynamique : il progressait deux fois plus vite que le PIB. Il a rapporté 4,2 milliards d'euros en 2017. En outre, il s'agit d'un impôt populaire : entre 60 % et 80 % des Français se sont toujours opposés à sa suppression. C'est une différence majeure avec les droits de succession.
L'ISF présentait toutefois des défauts croissants en termes d'équité. D'une part, l'inflation immobilière avait conduit à assujettir progressivement des ménages aux revenus trop faibles pour pouvoir être qualifiés de fortunés. C'est ainsi que 30 % des redevables de l'ISF avaient ainsi un revenu inférieur à 60 000 euros. D'autre part, les plus fortunés parvenaient à échapper en grande partie à l'impôt en détournant le mécanisme de plafonnement de l'ISF en fonction des revenus. Ce dernier avait été créé pour la « veuve de l'Île de Ré », mais notre rapport montre qu'il bénéficiait en réalité à 89 % aux redevables de la dernière tranche. Une technique bien connue consiste d'ailleurs à emprunter pour financer son train de vie, ce qui permet d'afficher un revenu nul et de ramener l'ISF à zéro.
J'ajoute que l'assiette de l'ISF a été progressivement mitée par les exonérations, notamment sur l'outil de travail, et les abattements, si bien que seule la moitié du patrimoine taxable était effectivement taxée. Le plafonnement explique aussi le faible rendement de l'impôt. La « veuve de l'Île de Ré » était sans doute taxée, mais les plus hauts patrimoines échappaient à cet impôt. C'est évidemment le contraire de ce qui est en général prôné, à savoir un impôt avec une assiette large et des taux bas. L'ISF était un impôt avec une base de plus en plus étroite et des taux élevés.
Quand l'impôt sur les grandes fortunes (IGF) a été créé en 1982, le taux marginal d'imposition était de 1,5 %, mais l'État empruntait à des taux de 15 % ou 16 % ! Le taux marginal d'imposition correspondait alors à 10 % du rendement d'un emprunt d'État. Un détenteur de patrimoine pouvait à l'époque payer l'IGF sans amputer son capital. Aujourd'hui, le taux marginal est très largement au-dessus des taux d'intérêt sans risque. L'inconvénient est que les taux des placements sont très élevés et qu'ils n'ont pas été revalorisés, tout comme les barèmes. De plus en plus de propriétaires de leur résidence principale à Paris sont assujettis à l'IFI, compte tenu de l'évolution des prix de l'immobilier, alors même que le barème n'a pas été revalorisé. La non-revalorisation du barème et la non-prise en compte du taux réel des placements conduisent à des situations problématiques.
Les trois pays qui ont conservé un ISF ont une imposition sur les successions et les donations beaucoup plus faible que la France. La France combinait en 2017 à la fois un impôt sur la fortune et des droits de mutation à titre gratuit élevés. Ces droits s'élevaient à 0,6 % en 2017, contre 0,2 % en Espagne. La France est championne de l'imposition sur le stock de patrimoine.
Le risque est de provoquer des expatriations fiscales, en particulier à l'occasion de la perte d'un régime d'exonération, par exemple le pacte Dutreil ou l'exonération au titre des biens professionnels. L'expatriation était sans doute au coeur de la réforme ayant conduit à la suppression de l'ISF. À titre personnel, je considère que, davantage que le départ de redevables âgés et retraités, c'est la perte d'entrepreneurs jeunes qui est grave, car elle constitue la perte de potentiels créateurs d'entreprises et de base taxable au titre de multiples impositions.
Notre évaluation a porté, après la réforme de l'ISF, sur l'imposition des revenus du capital, laquelle implique un choix difficile entre une imposition selon un barème progressif, comme cela a été le cas entre 2013 et 2018, et une imposition forfaitaire, à l'instar de la « flat tax » ou PFU.
Deux arguments forts plaident en faveur d'une imposition plus élevée des revenus du capital que des salaires. D'une part, il s'agit de corriger les inégalités de revenus, puisque les revenus du capital sont plus concentrés que les revenus du travail. D'autre part, il s'agit de ne pas décourager l'accumulation de capital humain. Néanmoins, une taxation semblable des revenus du capital et des revenus du travail permet de limiter les possibilités d'optimisation fiscale consistant à se verser des dividendes plutôt qu'un salaire.
À l'inverse, une imposition forfaitaire a été adoptée dans certains pays pour orienter le comportement des épargnants et stimuler l'investissement. Sur ce point, notre rapport montre que les études empiriques sont très contrastées.
En outre, la forte mobilité du capital peut inciter à une taxation réduite des revenus du capital, pour éviter tout risque de délocalisation. C'est pour cette raison que l'imposition forfaitaire des revenus du capital est devenue le modèle d'imposition le plus courant en Europe.
Nous avons analysé les effets de la réforme de 2013, qui soumet les revenus du capital au barème progressif de l'impôt sur le revenu, sur les recettes fiscales. À cette fin, l'Institut des politiques publiques (IPP) a analysé les réactions des ménages et des entreprises pour en déduire le rendement budgétaire de la réforme et ses effets économiques, qui n'avaient jamais été évalués.
En 2013, la « barémisation » des revenus a été critiquée pour le degré de complexité qu'elle instaurait, notamment dans le cadre de l'imposition des plus-values, variant selon la durée de détention des titres. Elle a surtout été fortement décriée pour les taux d'imposition marginaux jugés excessifs qu'elle instaurait dans certaines situations.
À la suite de l'imposition au barème des revenus du capital, on a observé une forte chute des dividendes reçus par les ménages, qui sont passés de 38,6 milliards d'euros en 2012 à 26 milliards d'euros en 2013. Corrélativement, le rendement fiscal au titre de l'impôt sur le revenu, des dividendes et des intérêts a baissé. La « barémisation » a sans doute été une erreur. Chacun en tirera les conclusions politiques.
Alors qu'on nous avait expliqué que cette réforme allait conduire à une hausse du rendement de l'impôt, ce n'est pas ce qu'il s'est passé dans la pratique, car les contribuables ont adapté leur comportement. Bercy raisonne toujours comme si les acteurs économiques ne s'adaptaient pas à la fiscalité. De ce fait, une réforme ne produit pas toujours les effets escomptés.
L'étude de l'IPP démontre pour la première fois que l'impact budgétaire de la mise au barème des dividendes et des produits de placement est négatif. Elle a permis de déterminer la part de la chute des dividendes directement liée au durcissement de la fiscalité. La réforme a entraîné une perte de recettes fiscales de l'ordre de 400 millions d'euros au titre de l'impôt sur le revenu et de 500 millions d'euros au titre des prélèvements sociaux.
Alors que l'on pouvait s'attendre à ce que le durcissement de la fiscalité entraîne une baisse de l'investissement, l'étude de l'IPP montre que tel n'est pas le cas. Elle conforte ainsi l'idée qu'il n'existe pas de lien direct entre la fiscalité au niveau de l'épargnant-actionnaire et les décisions d'investissement des entreprises. En revanche, on observe une augmentation significative des fonds propres des entreprises concernées par la réforme, ce qui est positif.
Si la réforme n'a pas eu les effets escomptés du point de vue des finances publiques, force est de reconnaître que son impact économique est plutôt favorable pour les entreprises.
J'en viens maintenant au premier bilan que l'on peut tirer de la mise en place de l'IFI.
Pour les finances publiques, le coût budgétaire de la réforme est assez proche de celui escompté initialement. Si l'on raisonne par différence par rapport à 2017, il s'élève à 2,9 milliards d'euros, et non à 3,2 milliards d'euros comme attendu. En tenant compte de la dynamique de l'ISF qui aurait été observée en 2018 si cet impôt avait été maintenu, le coût s'élèverait alors, d'après l'Insee, jusqu'à 3,45 milliards d'euros. Il est donc inexact de dire que la réforme a moins coûté que prévu. Notons au passage que les mesures de nos collègues députés sur les yachts et autres biens de consommation de luxe ont rapporté à peine 14 millions d'euros. Ce n'est pas à la hauteur des enjeux.
En termes d'équité, taxer uniquement la richesse immobilière conduit à exonérer totalement de très hauts patrimoines financiers : 18 % des plus hauts redevables de l'ancien ISF ne payent pas l'IFI. En parallèle, de nombreux redevables de l'ISF restent assujettis à l'IFI sans pour autant disposer de revenus très élevés. Ainsi, 20 % des redevables de l'IFI ont un revenu fiscal de référence inférieur à 62 000 euros. En dépit de son coût, la réforme n'a donc pas permis de remédier à l'un des principaux défauts de l'ISF.
Au total, le gain fiscal moyen s'élève à 8 338 euros par foyer, mais il atteint 1,2 million d'euros pour les 100 premiers contribuables à l'ISF. C'est un véritable jackpot !
Sans surprise, les premiers indices suggèrent que ce gain fiscal n'a été que très partiellement réinvesti dans les entreprises françaises. On peine à voir le « ruissellement ». D'une part, les sondages réalisés auprès de redevables indiquent qu'ils ont avant tout choisi d'utiliser leur gain fiscal pour consommer davantage. D'autre part, pour la fraction du gain fiscal réinvestie, l'internationalisation des portefeuilles des ménages est telle qu'une grande partie a bénéficié au reste du monde, et non aux entreprises françaises.
Les effets de fuite paraissent donc importants, d'autant plus que l'assiette économique de ce nouvel impôt n'est pas cohérente avec l'objectif de soutien à l'investissement productif : on taxe l'investissement immobilier, mais pas l'argent qui dort sur les comptes courants ou les biens de luxe !
S'il est encore un peu tôt pour déterminer l'impact de la réforme sur l'investissement, on s'accorde à dire que la mise en place de l'IFI a déjà permis d'enrayer le flux des expatriations fiscales, qui a diminué de 41 % en 2017. La suppression de l'ISF et son remplacement par l'IFI n'ont pas fait revenir des contribuables ; en revanche, ils ont freiné les départs, qui ont diminué de 41 % entre 2016 et 2017.
J'en viens maintenant aux « effets de bord » de la réforme, qui ont été insuffisamment anticipés par le Gouvernement, en particulier sur le capital-risque et la générosité publique.
S'agissant du capital-risque, la disparition de l'ISF-PME paraît avoir été compensée par des réinvestissements, mais ceux-ci se sont dirigés vers des fonds spécialisés dans le rachat d'entreprises, et non dans l'apport de capitaux nouveaux aux jeunes entreprises.
S'agissant de la générosité publique, la disparition de l'ISF a provoqué une baisse des dons de 134 millions d'euros du fait d'un faible recours à la réduction « IFI-dons », qui n'a été que partiellement compensée par un recours accru à la défiscalisation au titre de l'impôt sur le revenu.
Venons-en maintenant au PFU.
Le Gouvernement a estimé que la mise en place du PFU, en lieu et place de l'imposition au barème des revenus du capital, se traduirait par une perte de recettes fiscales à hauteur de 1,3 milliard d'euros en 2018, puis de 1,9 milliard d'euros en régime de croisière, à compter de 2019.
Ce chiffrage présente toutefois deux limites majeures. D'une part, il a, une fois de plus, été réalisé sans tenir compte des réactions comportementales des ménages et des entreprises. D'autre part, en parallèle de l'instauration du PFU, les prélèvements sociaux sur l'ensemble des revenus du capital sont passés de 15,5 % à 17,2 % dans le cadre de la bascule des cotisations sociales vers la CSG. Cette augmentation devait se traduire, d'après le Gouvernement, par une hausse des recettes fiscales de l'ordre de 2 milliards d'euros. Comme je l'avais déjà indiqué à l'époque, il est curieux et discutable d'évaluer le coût du PFU uniquement sous le prisme de la perte fiscale au titre de l'impôt sur le revenu, sans tenir compte de la hausse simultanée des prélèvements sociaux.
Comment les ménages et les entreprises ont-ils réagi à l'instauration du PFU après 2018 ? De la réponse à cette question dépend le coût de la réforme pour les finances publiques.
L'étude de l'IPP montre que, à l'inverse de la « barémisation » en 2013, la distribution de dividendes a nettement augmenté à partir de 2018. Les dividendes reçus par les ménages sont passés de 28,9 milliards d'euros en 2017 à 37,1 milliards d'euros en 2018. En raison du rebond de la distribution de dividendes, le rendement du PFU a augmenté. Estimé à 2,9 milliards d'euros en 2018, il s'élève finalement à 3,5 milliards d'euros, soit 600 millions d'euros de plus ! L'étude de l'IPP a permis d'isoler l'effet propre du PFU sur la distribution de dividendes, qui dépend également de beaucoup d'autres facteurs.
L'IPP a ainsi réalisé un chiffrage dynamique, c'est-à-dire intégrant les réactions des acteurs. Le PFU, en provoquant un rebond des dividendes, a généré des recettes supplémentaires au titre de l'impôt sur le revenu de l'ordre de 200 millions d'euros, mais aussi au titre des prélèvements sociaux, à hauteur d'environ 300 millions d'euros. Le coût du PFU pour les finances publiques a donc été surestimé de 500 millions d'euros.
Pour ma part, je trouve ces conclusions plutôt encourageantes. Comme la majorité sénatoriale, j'ai voté la mise en place du PFU, qui n'était jamais que le retour à la situation antérieure à 2013.
Je laisse à Vincent Éblé le soin d'évoquer les risques d'optimisation fiscale.
L'instauration du PFU a soulevé la question de l'arbitrage entre la rémunération par le versement de salaires ou de dividendes, en particulier pour les actionnaires-dirigeants qui peuvent piloter leur rémunération. Ce point avait été souligné par l'économiste Gabriel Zucman dans une tribune du journal Le Monde à l'automne 2017. Il estimait que les possibilités d'optimisation fiscale offerte par le PFU risquaient de coûter une dizaine de milliards d'euros par an aux finances publiques. Nous l'avons d'ailleurs auditionné.
L'étude de l'IPP n'a pas permis d'observer un tel phénomène de déplacement des salaires vers les dividendes, faute de données disponibles à ce jour, mais les exemples étrangers montrent que les pays qui ont taxé très différemment les salaires et les dividendes ont tous connu des phénomènes d'optimisation très importants. Or le différentiel de taxation entre les dividendes et les salaires s'accroît fortement en France, du fait de la mise en place du PFU et de la baisse progressive de l'impôt sur les sociétés. Il serait donc quelque peu naïf de penser que la France serait le seul pays à pouvoir échapper à ce risque.
Par ailleurs, je rappelle que l'instauration du PFU profite surtout aux plus hauts revenus. Si nous n'avons pas obtenu les données d'exécution pour 2018 de la part de l'administration fiscale, ce que je regrette, celle-ci nous a fourni une évaluation du gain fiscal par décile de revenu en 2017. On peut y voir que les trois quarts du gain fiscal bénéficient aux 10 % les plus riches !
J'en viens pour terminer à l'efficacité économique de la réforme. Sans surprise, l'étude commandée par le Sénat met déjà en évidence une baisse des fonds propres des entreprises affectées par l'instauration du PFU, soit l'effet inverse de la réforme de 2013. Cette baisse s'explique par le rebond de la distribution de dividendes. Si l'effet sur l'investissement n'a pas encore pu être mesuré, l'évaluation de la réforme de 2013 suggère qu'il pourrait être nul. Toutefois, la Banque de France estime que les ménages devraient réallouer une partie de leur épargne vers les produits de fonds propres. En outre, il est certain que la « flat tax » française permet de s'aligner sur les standards européens en matière de fiscalité des revenus du capital.
J'en viens à nos conclusions et à nos préconisations.
Le rapporteur général et moi-même partageons un vif regret : l'absence de préparation de cette réforme par le Gouvernement. Aucun bilan de la réforme de 2013 n'avait été mené, alors qu'il aurait été riche d'enseignements pour anticiper le coût du PFU. Aucune étude sur les données microéconomiques françaises n'a jamais été réalisée en France pour appréhender les effets économiques de l'ISF.
Ce manque de culture de l'évaluation reporte sur nous, parlementaires, la responsabilité d'exercer avec rigueur et détermination nos pouvoirs de contrôle de l'action du Gouvernement. Or, comme je l'ai déjà relevé, l'administrative fiscale a fait preuve d'un manque de coopération pour nous transmettre les données nécessaires.
Le rapporteur général va maintenant vous présenter les mesures paramétriques que nous proposons d'un commun accord.
Si nous divergeons sur les mesures à prendre à moyen et à long terme, Vincent Éblé et moi convergeons sur un certain nombre de mesures de court terme.
Nous n'aimons pas beaucoup l'un et l'autre l'impôt sur la fortune immobilière, qui présente un certain nombre d'inconvénients. Il faudrait sans doute limiter l'entrée de nouveaux contribuables dans l'IFI, en raison de la flambée des prix immobiliers. C'est pourquoi nous proposons d'indexer le seuil d'assujettissement sur l'inflation.
De plus, les effets de bords de la réforme sur les dons doivent être atténués. En conséquence, nous souhaitons renforcer la réduction d'impôt « IFI-dons » pour réduire l'effet nuisible de la réforme sur la générosité publique.
Concernant le PFU, il nous a semblé que la réforme manquait certains de ses objectifs, en particulier celui de flécher l'épargne vers l'économie réelle et de stimuler l'investissement. Nous proposons ainsi de refondre l'articulation entre le PFU et l'assurance-vie, en permettant de moduler l'imposition au PFU selon le degré d'investissement du contrat dans des unités de compte.
Par ailleurs, nous proposons de maintenir les abattements pour durée de détention pour les titres acquis depuis la réforme, ce qui évitera que celle-ci n'aboutisse paradoxalement à pénaliser les créateurs d'entreprises.
Enfin, nous souhaitons proposer une mesure anti-abus analogue à celle adoptée par le Sénat en 2017 pour prévenir tout risque de déplacement des salaires vers les dividendes.
Si ni le rapporteur général ni moi-même n'aimons l'IFI, nous divergeons toutefois sur les conclusions à en tirer.
Pour ma part, je pense qu'il conviendrait de rétablir un impôt sur la fortune, mais sous une forme modernisée, afin de corriger ses principaux défauts. Alors qu'il s'agissait d'un impôt dynamique et bien accepté, sa suppression répond avant tout à des motifs idéologiques et apparaît très paradoxale, dans un contexte de concentration croissante des richesses en France. Rappelons qu'aucune étude scientifique n'a jamais été réalisée en France pour mesurer ses prétendus effets antiéconomiques.
L'évaluation conduite par l'Institut des politiques publiques montre en outre qu'il faut se méfier des discours sur la relance de l'investissement par la fiscalité, en particulier au niveau de l'épargnant. De ce point de vue, les premiers indices sur la façon dont les plus riches ont utilisé leur gain fiscal sont très défavorables.
S'agissant de l'exil fiscal, ce ne sont pas les 250 départs en moins constatés en 2017 qui permettront de compenser le coût de la réforme ! Cela représente moins de 0,1 % des redevables de l'ISF et il s'agit de personnes de 58 ans en moyenne, dont on peine à imaginer qu'ils étaient sur le point de créer une entreprise.
Le rétablissement de l'ISF doit toutefois s'accompagner de deux principaux aménagements : un seuil d'assujettissement plus élevé, afin d'exonérer les redevables dont les revenus sont insuffisants pour qu'ils puissent être qualifiés de fortunés ; un retour du « plafonnement du plafonnement », afin d'empêcher les plus riches d'échapper à l'ISF en minorant artificiellement leurs revenus.
Aujourd'hui, 500 millions d'euros seraient suffisants pour relever le seuil d'assujettissement à 1,8 million d'euros et exonérer 40 % des redevables de l'ancien ISF. La perte de recettes éventuelle pourrait être compensée par une augmentation du PFU de deux points, dès lors que l'évaluation suggère qu'une telle hausse n'aurait aucun effet défavorable sur l'investissement.
Je laisse la parole au rapporteur général, qui privilégie une autre option.
Ma conclusion diffère évidemment de celle de mon collègue : rétablir un ISF qui n'existe plus que dans trois autres pays serait tout à fait anachronique, d'autant plus que la France cumulerait impôt sur la fortune et taux d'imposition élevé sur les mutations à titre gratuit. Dans les trois pays de l'OCDE où existe encore un ISF, l'impôt sur les successions est soit faible soit inexistant. Dans une économie ouverte, s'isoler serait de la folie. Les départs que causait l'ISF représentaient une perte de recettes fiscales ; à défaut de faire revenir les gens, la disparition de l'ISF a au moins permis d'enrayer les exils.
On peut certes soutenir qu'un tel impôt est avant tout destiné à réduire les inégalités. Mais, en la matière, l'effet de la réforme devra être mesuré après prise en compte de l'effet-retour par la macroéconomie. Et, de ce point de vue, la mise en place de l'IFI pourrait se révéler décevante, au risque de miner l'acceptabilité sociale de cet impôt. Vous vous souvenez que le Président de la République, Emmanuel Macron, avait motivé la création de l'IFI en disant vouloir taxer la rente immobilière et exonérer tout ce qui est productif pour l'économie. Or l'assiette retenue pour l'impôt sur la fortune immobilière apparaît incohérente économiquement, dès lors qu'elle revient à taxer l'immobilier productif, qui contribue à loger des familles, des entreprises, des commerces, et à exonérer, à l'inverse, des actifs qui ne contribuent manifestement pas à la croissance.
À défaut de supprimer totalement l'ISF - le temps politique n'y est pas favorable -, je propose donc de transformer l'IFI en un impôt sur la fortune improductive, dont l'assiette offrirait une vraie cohérence, encourageant les investissements productifs. Concrètement, il s'agirait d'exonérer tout ce qui contribue au financement de l'économie.
Le seuil d'assujettissement serait significativement relevé, afin de tenir compte de l'inflation immobilière. En revanche, on taxerait les liquidités, les biens meubles, les bitcoins, les obligations chinoises, les investissements dans les produits exotiques, etc. Lorsqu'on investit pour loger des personnes ou un commerce, on est taxé ; lorsqu'on investit en bitcoins ou en obligations chinoises, on ne l'est pas. Il faut m'expliquer ! J'aurais donc préféré un impôt dont l'assiette se serait peut-être, certes, réduite d'elle-même, mais qui aurait incité les contribuables à prendre des risques, à ne pas laisser dormir leur argent et à investir dans ce qui contribue à la croissance de la France.
Les enjeux économiques d'une telle réforme sont loin d'être négligeables : les liquidités représentaient par exemple, en 2017, 12 % du patrimoine taxable des redevables de l'ISF déposant une déclaration, soit 75 milliards d'euros susceptibles de « ruisseler » vers l'économie.
En faisant cette proposition, je ne fais que poursuivre, en les prenant au pied de la lettre, les objectifs qui avaient été affichés par le Président de la République lorsqu'il a lancé cette réforme de l'ISF.
Je me contenterai de parler du PFU. Les recettes fiscales le concernant sont largement supérieures à ce qui était prévu : 2,9 milliards d'euros étaient attendus pour 2019 ; or le chiffre vers lequel on se dirige serait plutôt de 3,5 milliards d'euros.
Monsieur le président, vous avez évoqué un taux « idéal » de 32 %. Mais nous y sommes déjà, et nous sommes même au-delà ! On parle toujours d'un taux de prélèvement de 30 % ; mais il faut y ajouter la contribution « exceptionnelle » sur les hauts revenus (CEHR), qui n'a d'exceptionnelle que le nom, et qui est pour l'essentiel alimentée par les dividendes. Son taux est de 4 %, qui viennent s'ajouter au PFU. Nous avons donc d'ores et déjà atteint le taux, que vous jugez idéal, de 32 %. Veillons à ne pas le dépasser.
À propos de la prétendue substitution des dividendes aux salaires, vous évoquez des abus, mais ils sont marginaux. En pratique, les chefs d'entreprise que je connais n'ont pas profité de la création du PFU pour diminuer leur salaire ; les salaires présentent en effet le double avantage sur les dividendes d'être déductibles des impôts et de s'assortir de cotisations retraite.
On pourrait mettre en place un système anti-abus, en limitant par exemple le montant de cette « flat tax » à 10 % des capitaux propres. Un tel dispositif n'apporterait pas grand-chose ; mais, si certains y voient un progrès sur le plan idéologique, pourquoi pas.
Dernier point : nous vivons dans une Europe ouverte ; à moins de construire des grillages autour de la France, comme certains le voudraient, nous devons tenir compte de ce qui se passe ailleurs. La Suède, qui fut longtemps considérée par certains comme un parangon de justice fiscale, n'est qu'à 30 %, contre 34 %, donc, chez nous ; l'Italie et l'Allemagne sont à 26 %, l'Espagne à 23 %. C'est en France qu'on trouve le plus haut taux de prélèvement forfaitaire. Gardons-nous de toujours vouloir, en matière d'impôts, être champions du monde ! Pour une fois que nous sommes dans la norme, restons-y. Voyez ce qui se passe avec l'impôt sur les sociétés : plus on baisse le taux, plus les recettes augmentent.
Je prends acte de ce copieux travail, qui est très important. J'ai lu aussi, ce matin, le rapport de France Stratégie. Avez-vous comparé votre travail avec ce rapport ?
L'un des reproches qui étaient faits à l'ISF était qu'il n'était pas neutre économiquement, qu'il ne permettait pas de faire jouer les incitations de marché et qu'il échouait à promouvoir un usage rationnel du patrimoine. Quid, à cet égard, de l'IFI ?
S'agissant des indices macroéconomiques, notre taux de croissance est l'un des meilleurs en Europe, 1,4 %, le niveau d'investissement des entreprises est élevé, les chiffres de l'emploi s'améliorent - 500 000 emplois créés depuis un an et demi -, les dividendes sont en forte hausse, générant davantage de rentrées fiscales. Peut-on évaluer l'impact de la réforme de l'ISF sur l'évolution de ces indices ?
Quant à l'investissement dans les PME, à propos duquel vos analyses diffèrent de celles de France Stratégie, il n'a pas souffert de la suppression de la niche fiscale de l'ISF : les fonds de capital-investissement ont levé 18,7 milliards d'euros en 2018, contre 16,5 milliards d'euros en 2017.
Cette lecture à double voix est très éclairante sur la mise en place de ces politiques, dont on peut être sûr, en tout cas, qu'elles n'ont pas répondu à la demande très forte de justice fiscale exprimée par les Français. Faut-il être dans la norme ? La norme, aujourd'hui, dans notre monde, est au creusement des inégalités. Avec les politiques dont nous parlons, on est bel et bien dans la norme ! Il faut donc inventer les outils qui permettraient au contraire de résorber les inégalités, notamment par l'impôt.
Je n'ai pas les mêmes informations ni les mêmes expériences, et certainement pas les mêmes relations, que mon collègue. Une évaluation précise est-elle faite s'agissant des conséquences éventuelles du PFU sur les comptes de la sécurité sociale ? Est-on certain qu'aucun transfert n'a lieu des salaires vers les dividendes ? Au vu des réformes actuelles, dont on fait souvent peser le coût sur la sécurité sociale, au péril de l'équilibre de ses comptes, il serait intéressant de le savoir.
Je partage pleinement l'analyse du rapporteur général, ainsi que la proposition qui l'accompagne. L'impôt qui a été créé, l'IFI, n'est pas adéquat à l'objectif qui était visé, taxer l'improductif.
Investir pour acheter un vieil immeuble en centre-ville, rénover du patrimoine, loger des familles, revitaliser un centre-bourg, faire fonctionner l'activité du bâtiment, c'est productif ! Je ne comprends donc pas qu'on puisse dire que cet impôt taxe l'improductif. Il faut donc certes conserver un tel impôt, mais en le fléchant vraiment sur l'improductif, dont l'investissement dans l'immobilier ne fait pas partie.
Merci, vraiment, au président de notre commission et à notre rapporteur général pour ce travail, qui rappelle que le Parlement est indépendant de l'exécutif et doit afficher cette indépendance. La loi est faite par le législateur, et non par le Gouvernement !
Sur le plan philosophique, je suis très hostile à l'impôt sur la fortune. Ce n'est pas facile de gagner sa vie, encore moins d'accumuler une fortune. Réussir à constituer une fortune malgré tous les prélèvements existants, c'est une performance qui mérite la considération, et un facteur de stabilité pour la société. Si l'on veut que la société soit forte, il faut que nos compatriotes puissent se sentir préoccupés par les perspectives de long terme ; cela passe par la possibilité de transmettre le capital, qui stabilise l'investissement. L'idée de ratiboiser par principe est donc exactement opposée à mes convictions.
Sur le plan social, l'impôt sur les grandes fortunes (IGF) est né à une époque où les taux d'intérêt réel représentaient trois ou quatre fois le taux de prélèvement applicable. Par la suite, alors que les taux de rendement des obligations du Trésor à long terme avaient chuté, les taux de l'ISF sont devenus spoliateurs. Sur l'immobilier, s'agissant de l'IFI, ils le restent, compromettant largement le rendement des investissements dans ce domaine. On risque de se retrouver dans une situation que la France a connue avant la loi de 1948 : les loyers étaient bloqués et la construction entravée.
Sur le plan économique, toute création d'impôt a son lot d'effets pervers, et s'accompagne d'investissements d'opportunité. De tels investissements, bien que stupides, relèvent d'une réaction d'autodéfense. Prenez l'IFI : dans certaines régions à haute valeur touristique, la pression de l'investissement extérieur évince les investisseurs français ; ces derniers sont à la fois chassés par l'IFI et concurrencés par des acheteurs étrangers qui, eux, ont la faculté de créer des dettes artificielles. Ce système est moralement condamnable et économiquement absurde. Je soutiens donc notre rapporteur général ; à défaut d'obtenir la suppression pure et simple de l'impôt sur la fortune...
une première étape serait franchie. Les gens qui ont de l'argent l'ont gagné...
il serait utile qu'ils puissent le transmettre. Je suis tout à fait pour taxer les successions ; quant aux plus-values latentes, c'est un autre sujet : tant qu'elles sont latentes, elles n'existent pas. Pensez aux nombreux commerçants qui ont bâti leur refus de cotiser à des régimes de retraite sur la perspective de réaliser une plus-value sur la cession de leur fonds de commerce, pour se retrouver dépouillés parce que ce fonds ne valait plus rien ! La fortune est changeante ! Songez que, si les grandes surfaces ont peut-être ruiné le petit commerce, Amazon est sans doute en train de ruiner les grandes surfaces. On peut s'enrichir en dormant, mais on peut également se ruiner en travaillant.
Vous dites, à rebours de certains ultras, qu'on peut justifier la mise en place d'un ISF ; je suis content de l'entendre. Il n'y a pas consensus entre nous ; c'est très bien. Ce débat - faut-il taxer la richesse ? - n'est pas franco-français, mais planétaire : écoutez par exemple ce qui se dit aujourd'hui aux États-Unis.
Avez-vous obtenu une réponse de Bercy après votre relance véhémente de la semaine dernière ?
Quelle est la proportion d'entrepreneurs dans les départs constatés ? On parle de 41 % de départs en moins, mais sur 0,18 % de gens qui partent : il faut relativiser.
Je partage le point de vue défendu par Gérard Longuet ; je ne m'y étends pas.
Je félicite notre président et notre rapporteur général, qui forment un duo improbable, mais éclairant, dont j'apprécie la technicité.
Manque néanmoins un point de vue politique. C'est l'ancien ministre de l'économie d'un président socialiste qui a mis fin à l'ISF ; j'aurais aimé savoir ce qui a conduit cette famille politique, celle de l'ancienne majorité, à effectuer ce cheminement - la droite, elle, est difficilement audible sur l'ISF. Le Président de la République, une fois arrivé au pouvoir, qualifie soudain l'ISF de mauvais impôt, dangereux pour la compétitivité de l'économie nationale. Or il n'y a rien, dans le rapport, sur les motivations qui ont conduit le pouvoir à supprimer cet impôt injuste. Je souhaiterais d'ailleurs qu'on aille beaucoup plus loin dans cette direction, sachant combien la pression fiscale continue de léser notre économie.
Le rapport d'étape est intéressant, mais faire un bilan de mesures prises en 2017, dont les effets n'ont pu se faire ressentir qu'à partir de 2018, en étudiant des statistiques de 2017, me semble un peu prématuré. Si les départs ont probablement été moins nombreux, il faudra attendre les chiffres de 2018, voire ceux de 2019, pour pouvoir conduire une analyse sérieuse.
Le lien entre dividendes et investissement, dans les entreprises, est de manière générale de plus en plus ténu. Si les dividendes augmentent, l'autofinancement diminue, certes ; mais le financement de l'investissement productif, dans les entreprises, se fait aujourd'hui principalement par crédit-bail ou par location financière. Qu'il n'y ait pas de lien entre les deux ne me paraît donc pas du tout illogique.
Quant à l'arbitrage entre salaire et dividende, il est marginal dans les entreprises, sachant qu'il faut tenir compte, en outre, de tous les systèmes de participation et d'intéressement. La forfaitisation a favorisé les sommes dont peuvent bénéficier les salariés au titre de la participation et de l'intéressement. Il faut donc être prudent en la matière : je ne pense pas que des effets d'aubaine significatifs soient à déplorer.
S'agissant des propositions qui sont faites, je ne suivrai ni la ligne Bocquet, ni la ligne Longuet. Je préfère emprunter une troisième voie - cela ne vous étonnera pas. Faut-il faire un partage parfaitement juste sans se soucier de la taille du gâteau, ou privilégier un gâteau plus grand malgré quelques iniquités dans le partage ? Il faut essayer de faire les deux en même temps.
Je serais partisan d'élargir la base de l'IFI, qui ne peut pas être totalement déconnecté du régime des dons et des successions. Élargir la base de l'IFI aux biens non productifs, donc, mais conserver l'immobilier, qui n'est pas seulement un immobilier de petite rente : il existe un immobilier hyperspéculatif - voyez, pour vous en convaincre, l'évolution récente des prix au centre de Bordeaux. Des franchises pourraient être instaurées pour atténuer les effets de cet impôt pour les « petits » propriétaires.
Nous aussi avions tendance à considérer qu'un tel bilan était un peu prématuré. Mais nous avons été invités à participer à une évaluation ; si France Stratégie était capable d'évaluer, nous devions l'être aussi.
Notre tempo n'est pas différent de celui de France Stratégie. Nous avons souhaité rendre nos conclusions, qui sont complémentaires, en même temps que les experts du Gouvernement et indépendamment d'eux.
Jean-Marc Gabouty, le risque de déplacement des salaires vers les dividendes n'est pas de l'ordre de la croyance. Nous nous contentons d'observer ! Or cet arbitrage a été observé - c'est un fait - dans de nombreux pays, en Suède, en Finlande, aux États-Unis. Et, de toute façon, avec la mise en place du prélèvement à la source, 2018 n'est pas une année propice pour faire des comparaisons.
Claude Nougein, le chiffrage que je propose s'agissant du PFU prend en compte la contribution exceptionnelle et les réactions des acteurs. Les analyses dont nous avons passé commande à l'Institut des politiques publiques (IPP) tiennent compte de l'inflexion du comportement des acteurs provoquée par les décisions publiques. Je fais remarquer, en outre, que la Suède n'efface pas les plus-values latentes, contrairement à nous. Il y a là, dans cette non-taxation, un manque à gagner considérable.
En 2018, on a constaté des effets positifs pour les prélèvements sociaux, à hauteur de 300 millions d'euros. Mais il s'agit d'une année de transition ; en 2019, la mesure s'avérera peut-être différente.
Didier Rambaud, il y a bien de nombreuses différences entre notre rapport et celui de France Stratégie. Par exemple, nous montrons que l'IFI continue de toucher les « petits riches » - de ce point de vue, IFI, ISF, même combat. Nous montrons, avec l'IPP, que la fiscalité sur les revenus du capital n'a pas d'effet sur l'investissement. Nous calculons le coût réel du PFU pour les finances publiques. Nous avons obtenu le montant du gain pour les cent premiers redevables de l'ISF, qui n'était pas public.
La principale différence, c'est que les chiffrages de France Stratégie sont à comportement constant pour le PFU ; ils n'apportent donc rien de neuf sur l'impact budgétaire des réformes, contrairement à l'étude de l'IPP que nous avons commandée.
Ce débat n'est évidemment pas épuisé aujourd'hui ; nous le poursuivrons au moment de l'examen du projet de loi de finances.
Avec ce rapport, mes chers collègues, nous vous livrons un matériau factuel et des analyses qui, si vous vous en saisissez, vous permettront de forger vos propres analyses politiques.
La commission autorise la publication de la communication de MM. Vincent Éblé, président, et Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 25.