Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 12 janvier 2021 à 16h40

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le président, c'est un grand honneur pour nous de vous recevoir aujourd'hui au Sénat, pour votre premier déplacement en Europe occidentale à la tête d'une importante délégation de nos collègues libyens, et notamment de mon homologue le président El Agouri avec qui nous avons eu une longue séance de travail ce matin.

Vous l'avez compris, notre commission suit très attentivement la situation en Libye. En ce début d'année civile, nous formons des voeux pour l'amélioration du sort du peuple libyen, qui subit la guerre civile depuis des années, la fin de la crise politique, de la crise humanitaire et de la crise migratoire qui résultent du conflit. À plus long terme, la stabilisation de la Libye, la mise en place et le bon fonctionnement d'institutions durables, ainsi qu'un développement économique pérenne pour ce pays aux nombreuses ressources, sont des perspectives qui nous rassemblent tous.

Nous partageons bien entendu la position de notre Gouvernement, qui soutient le processus de sortie de crise dans le cadre des Nations unies. L'accord de cessez-le-feu intervenu le 23 octobre dernier, puis la tenue du forum du dialogue politique qui a permis de trouver un accord sur la tenue d'élections nationales le 24 décembre 2021, ont apporté la lueur d'espoir dont nous avions bien besoin après neuf années de conflit. Je sais, Monsieur le président, que vous avez joué un rôle important dans la reprise du dialogue.

Toutefois, la volonté de mettre en place un exécutif de transition n'a, pour le moment, pas abouti. En outre, des déclarations récentes, de part et d'autre, ont montré que le fil du dialogue devait être encore consolidé. Malgré ces premiers signes encourageants, nous redoutons la poursuite des ingérences militaires extérieures et les violations de l'embargo sur les armes, qui minent l'avancée vers la seule solution possible, qui est, de l'avis de tous, politique et non militaire. Je voudrais, à ce titre, saluer à nouveau votre action en faveur d'une solution politique. Nous sommes également préoccupés par la renonciation surprise de Nickolay Mladenov au poste d'envoyé spécial des Nations unies pour la Libye, alors que sa candidature avait recueilli un large accord.

Monsieur le président, cette audition va nous permettre de comprendre précisément votre position et celle de la Chambre des représentants de Tobrouk, installée à Benghazi depuis 2019. Quelle est votre analyse des derniers développements des négociations ? Quelle est votre vision de l'avenir de la Libye et quelles sont selon vous les étapes intermédiaires nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre du processus qui se déroule sous l'égide de l'ONU ? Qu'attendez-vous de la France, du Parlement français et du Sénat pour vous aider dans cette démarche ?

Après votre exposé liminaire, nous pourrons également aborder les points de discussion que vous avez souhaité nous soumettre, notamment en ce qui concerne l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) ou encore la coopération entre nos deux pays en matière de lutte contre la corruption, et nous engagerons une phase de questions-réponses avec l'ensemble des membres de la commission.

Je vous précise qu'en raison de la Covid, une partie de nos collègues suivent votre audition en visioconférence.

Monsieur le président, en vous remerciant à nouveau d'être venu jusqu'à nous avec vos éminents collègues, je vous laisse la parole.

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation et de votre intérêt pour notre pays.

Tout observateur sait que le peuple libyen, comme tous les autres peuples du monde, loin des conflits politiques, se sacrifie depuis longtemps pour la paix et la stabilité. Pendant plus de cinquante ans, la Libye était la visée des colonialistes. Le peuple libyen est un peuple nord-africain et méditerranéen qui se tient loin des conflits ethniques ou politiques. Si nous parvenons à rétablir la stabilité et la sécurité, dans le respect mutuel et l'intérêt des peuples, notre pays sera riche et plein de promesses pour la Méditerranée, l'Afrique et le monde entier. La Libye n'est pas une exception dans un monde où nous voyons les efforts internationaux pour rétablir la paix. Elle a traversé des épisodes très difficiles. Le peuple libyen est descendu dans la rue en février 2011 pour réécrire la Constitution, créer un Etat de droit libre et démocratique où les Libyens pourront jouir de leurs droits garantis par la Constitution, les institutions de l'Etat et les droits de l'Homme.

Après plusieurs années de souffrance, le peuple libyen doit désormais faire face à des courants qui essayent de prendre le pouvoir par des moyens illégaux. Il s'agit de groupes se revendiquant de l'Islam politique. Ces derniers ne croient pas du tout à la démocratie et à l'alternance pacifique. Au contraire, ils profitent de la démocratie pour se hisser au pouvoir, y demeurer et instaurer un système judiciaire reposant sur des critères religieux. Ces groupes pratiquent la manipulation pour s'assurer le soutien de l'Occident. Ils prétendent défendre la démocratie, mais ne sont en aucune façon des démocrates.

Notre Constitution est considérée comme une référence dans de nombreux pays. Nous avons pu construire une nouvelle Libye avec la participation de tous les Libyens.

Le conflit sanglant exige une prise de position pour y mettre fin et aboutir à une paix durable qui permettra aux Libyens de jouir de leurs droits civiques et politiques.

Les résultats de la conférence de Berlin et de la déclaration du Caire s'inscrivent dans cette vision qui satisferait toutes les parties. Nous avons travaillé avec la communauté internationale à travers la mission des Nations unies et les Etats membres permanents du Conseil, dont la France. A ce titre, j'adresse ici mes remerciements au Président Macron pour son soutien au peuple libyen et ses efforts pour mettre fin à la lutte et aboutir à une solution politique pour former un gouvernement d'unité nationale et organiser des élections parlementaires et présidentielles.

Nous avons fait quelques pas en ce sens. Le cessez-le-feu doit faire l'objet d'une supervision internationale. Des échanges de détenus ont eu lieu et des vols ont été rouverts entre l'est et l'ouest du pays. Il faudrait également mentionner les réformes économiques visant à alléger la souffrance du peuple. Nous avons constitué une communauté de juristes pour élaborer les règles des élections parlementaires et présidentielles après la formation d'un gouvernement d'unité nationale en adoptant une nouvelle Constitution. La France joue un rôle très actif pour réaliser les ambitions des Libyens et leur garantir une vie digne. La stabilité de la Libye garantit celle de l'Afrique du Nord et de la Méditerranée. Les Libyens aspirent à construire un état moderne, capable d'oeuvrer dans la communauté internationale pour la protection des droits de l'Homme, l'expansion de la démocratie et le renforcement du dialogue entre les religions dans le respect de la diversité des cultures.

En conclusion, j'invite le Sénat français à soutenir le Président Macron dans son soutien à une solution politique et de dialogue et son refus d'une intervention étrangère. Nous espérons bénéficier de l'expertise de la France afin d'améliorer la performance de notre Parlement. Nous espérons le retour de l'enseignement de la langue française dans les institutions éducatives libyennes. Nous saisissons cette occasion pour inviter les entreprises françaises et les hommes d'affaires à entrer en contact avec leurs homologues libyens afin de créer des partenariats pour la reconstruction de la Libye. Nous espérons enfin que le ministère de la santé français nous aidera à faire face au virus de la Covid.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Il y a deux ans, nous avions accueilli au Sénat le président de la commission des affaires étrangères, M. Youssef El Agouri, avec lequel nous avons pu échanger ce midi. Si la situation de la Libye semble évoluer de manière plus positive, il demeure des difficultés. C'est précisément sur ces difficultés que je voudrais vous interroger. Le cessez-le-feu décrété le 23 octobre n'est pas accepté par la Turquie. Or, ce pays semble avoir une influence importante sur les décisions de M. El Sarraj. Ce dernier maîtrise-t-il son Gouvernement ? Trois conditions sont assorties au cessez-le-feu : le départ des milices et combattants étrangers d'ici au 23 janvier 2021 ; l'accélération de la production pétrolière ; l'organisation des élections législatives en décembre 2021.

Pensez-vous que ceci soit possible et envisageable compte tenu de la position de la Turquie ? El Sarraj acceptera-t-il de démissionner compte tenu du contexte que nous traversons et du soutien important dont il bénéficie de la part de la Turquie ?

Le Président de notre commission l'a rappelé, vous avez joué un rôle constructif, éminent et important ces dernières semaines en soutien au processus politique engagé. Les forces libyennes évoluent de manière permanente. Pensez-vous avoir, dans le cadre de l'exercice de vos fonctions présentes ou à venir, le soutien de l'est libyen ? Quelles sont les relations que vous pouvez avoir avec le maréchal Haftar ? Je vous remercie.

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Concernant le cessez-le-feu, nous sommes aux côtés de l'armée nationale qui s'est engagée à le respecter. Les milices étrangères ne quitteront pas notre territoire sans pression internationale. En effet, elles bénéficient de mannes financières aux dépens de la Libye et sachant que la Turquie a mis la main sur les revenus du pétrole.

M. El-Sarraj ne tient pas son Gouvernement, comme il ne tient rien en Libye. Il a échoué depuis 6 ans et ne peut même pas sortir de la capitale, Tripoli. C'est une personne qui n'a jamais été reconnue ni n'a jamais reçu aucun soutien de son peuple. Il ne réussira pas.

Le départ des milices est un souhait de la Libye comme des instances internationales. Cela suppose néanmoins des institutions fortes qui pourront exiger leur départ. Pourquoi celles-ci se sont-elles implantées sur le territoire libyen ? De notre point de vue, c'est parce que la communauté internationale a reconnu M. El Sarraj alors qu'il ne bénéficiait en aucune façon du soutien de son peuple. Il faut par conséquent que M. El Sarraj ne bénéficie plus de cette reconnaissance internationale. Nous appelons de nos voeux l'organisation d'élections, ce qui suppose un pouvoir fort, capable de les organiser. Nous appelons également de nos voeux la constitution d'un gouvernement d'entente nationale.

Vous m'avez demandé si nous avions le soutien de l'est libyen. J'ai été élu par le Parlement libyen, qui lui-même a été élu par le peuple libyen. Nous bénéficions par conséquent d'un soutien international, mais également local et national. Nous sommes de toutes nos forces auprès du peuple et de l'armée libyenne. Cette dernière doit s'atteler à ce que les milices étrangères, qui actuellement ont la haute main, quittent notre sol.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Monsieur le président, nous sommes évidemment très heureux de vous recevoir ce soir pour échanger sur les questions libyennes. Cela fait maintenant 9 ans que votre pays connaît une situation très délicate. Il lui est très difficile de restaurer une démocratie à part entière dans des conditions de calme et de sérénité.

J'ai eu la chance en 2012 de me rendre en Libye avec une délégation présidée par Jean-Louis Carrère. Nous avions pu constater à quel point il allait être difficile de stabiliser la situation.

La Libye possède des frontières étendues avec beaucoup d'Etats. Je sais que vous avez de bonnes relations avec l'Egypte avec laquelle vous partagez 1 100 kilomètres de frontières. Quels sont vos liens avec les autres pays frontaliers, Soudan, Algérie, Tchad, Niger et Tunisie ? Comment s'opère le contrôle des frontières ? Sur quels partenaires pouvez-vous vous appuyer ? J'aimerais en outre aborder la question de l'esclavage et les moyens de lutte dont vous disposez contre ce phénomène. C'est un sujet extrêmement délicat et je n'ignore pas, Monsieur le président, combien votre tâche est difficile.

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

L'instabilité en Libye est le fruit de l'ingérence extérieure, laquelle s'opère au vu et au su de la communauté internationale. La Libye est devenue un territoire où peuvent transiter des mercenaires et des trafics d'armes. Une fois que les institutions seront formées et constituées, nous pourrons tenir les frontières. L'armée égyptienne et l'armée tchadienne font bien leur travail de contrôle, mais il faut reconnaître que les frontières sont très étendues. Dès que l'armée libyenne aura les moyens de le faire, elle participera activement à la sécurisation des frontières afin d'empêcher les groupes terroristes armés d'entrer sur notre territoire, dans l'intérêt des pays africains et méditerranéens.

L'émigration illégale telle qu'elle s'opère en Libye se fait avec l'assentiment du Gouvernement d'El Sarraj et des milices qui le soutiennent et en bénéficient largement. Encore une fois, le règlement de ces questions et des problèmes majeurs de sécurité ne peut résider que dans une solution politique. C'est elle qui contribuera à la stabilisation de la Libye et à la sécurisation de nos frontières. Le peuple libyen n'aspire qu'à la paix et à se débarrasser de toutes ces milices.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

En 2018, j'avais réalisé avec mes collègues les sénateurs Rachel Mazuir, Jean-Pierre Vial et Christine Prunaud un rapport sur la Libye pour cette commission. Nous nous étions rendus en Tunisie et avions rencontré beaucoup d'interlocuteurs libyens avec l'objectif d'identifier des voies de sortie de la crise. Le Président de la République avait initié un certain nombre d'actions de médiation parmi lesquelles la réunion de La Celle-Saint-Cloud. Nous avions pu mesurer combien la situation de la Libye était difficile. Les analyses que nous avions faites à l'issue de ce rapport se sont malheureusement révélées exactes et les élections n'ont pas pu se dérouler comme le Président de la République française l'avait espéré, en décembre 2018.

La situation actuelle de la Libye est compliquée, du fait - vous l'avez souligné - de l'ingérence d'un certain nombre de milices et pays étrangers. Le fait que des Touaregs se réfugient en Libye nous fait craindre une migration de la mouvance islamiste en Libye puis vers d'autres pays. Ce sujet a déjà été abordé par Joël Guerriau.

Ma question s'inscrit dans la droite ligne du rapport que nous avions produit en 2018. Le processus démocratique est évidemment le seul processus possible pour une sortie de crise vers le haut. Pouvez-vous faire un point sur l'inscription sur les listes électorales ? En 2018, 2 millions de Libyens s'étaient, de mémoire, inscrits sur les listes. Le processus se poursuit-il ? Les Libyens aspirent-ils à ce que les élections puissent être organisées de la manière la plus démocratique possible ? Qu'attendez-vous concrètement de la France dans ce processus ?

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Les élections nécessitent la refonte des listes électorales établies jusqu'à présent. Nous disposons néanmoins d'une base de données assez complète qui existait avant la révolte libyenne. Elle pourrait servir de base de départ à l'établissement de nouvelles listes électorales.

La France, grâce à sa longue expérience démocratique, pourra nous aider sur le plan de l'organisation et du fonctionnement de notre Parlement. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que les contacts noués entre les commissions des deux Parlements se poursuivent. J'ajoute que les élections ne sauraient être organisées sans un Gouvernement d'union nationale et sans qu'un pouvoir démocratique soit en place. Nous sommes très confiants.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Je souhaitais aborder deux sujets. Le premier a déjà en partie été évoqué, à savoir la question des migrants. Je voulais néanmoins aborder la question des migrants fixés en Libye qui ne cherchent pas à se rendre dans un pays de l'Union européenne, mais attendent la fin des conflits dans leur pays d'origine pour y revenir. Attendez-vous une aide de l'ONU ou de l'Union européenne pour bâtir des projets sociaux les concernant ?

Par ailleurs, je souhaitais aborder la question du port en eau profonde de Misrata sur lequel la Turquie semble vouloir faire main basse. Que pensez-vous de cette volonté d'acquisition ?

Debut de section - Permalien
Youssef El Agouri, président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants

Merci, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et mesdames et messieurs les membres de la commission, de nous recevoir. Chaque fois que nous le pouvons, nous devons mettre en avant le rôle qu'a joué la France pendant la révolte libyenne et la façon dont elle a tendu la main au peuple libyen afin de le sortir de la dictature qu'il a subie pendant plus de quarante ans.

La Libye est un pays qui compte près de 2 000 kilomètres de frontière au sud. Comme l'a souligné Aguila Saleh, il faut absolument que nous puissions nouer des coopérations pour combattre l'immigration illégale. Nous devons pour ce faire nous appuyer sur la législation internationale, mais également sur nos coopérations avec l'Europe qui est concernée au premier chef par cette immigration illégale. Les migrations s'opèrent dans une moindre mesure par les frontières de l'est qui sont bien tenues par le Parlement et l'armée nationale libyenne même si nous devons reconnaître quelques échecs. L'accord signé devrait être mis en oeuvre de manière pleine et entière de sorte que nous puissions mettre fin à l'entrée illégale d'armes en Libye. Nous avons constitué une commission spécialisée en matière d'immigration illégale et d'esclavagisme et nous coopérons avec plusieurs organismes internationaux.

Enfin, en ce qui concerne votre question concernant le port en eau profonde de Misrata, nous considérons qu'en imposant le gouvernement El Sarraj à notre pays, la communauté internationale porte une lourde responsabilité. En effet, le Gouvernement El Sarraj n'a jamais été reconnu par le peuple et ses actes relèvent de la responsabilité de la communauté internationale. C'est le Gouvernement d'El Sarraj qui a signé les accords avec la Turquie afin de lui permettre d'intervenir en Libye et d'y positionner des mercenaires. Les Turcs cherchent désormais à faire reconnaître ces accords par les Nations unies. La situation est très dangereuse. La sécurité nationale de la Libye a une influence directe sur son environnement immédiat, mais également sur l'Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Le Gleut

Monsieur le président, la levée après la réunion à Sotchi du blocus pétrolier de plusieurs acteurs libyens de l'est et de l'ouest a été obtenue en septembre 2020. Bien que cet événement ait permis officiellement la reprise de la production, il n'a pas permis de trouver une solution pérenne à la répartition des revenus pétroliers entre les différentes régions. Prenant acte de la reprise de la production, le président de la compagnie pétrolière libyenne a décidé de protéger les revenus des exportations de pétrole sur un compte bancaire de l'institution dans la perspective de la mise en place d'un mécanisme de gestion transparent des revenus du pétrole. Cette décision est contestée par le gouverneur de la banque centrale libyenne. Quelle est votre position sur la mise en place de ce mécanisme de répartition de la recette pétrolière ?

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Jusqu'à récemment, tous les revenus du pétrole allaient à la Banque centrale libyenne qui en remettait une grande partie à la Turquie afin de financer son intervention et l'installation de mercenaires. Le peuple libyen était spolié de ces revenus pétroliers. Lors de la réunion de Sotchi, nous avons obtenu que les revenus soient déposés sur un compte spécifique à l'étranger afin de les éloigner du pouvoir actuel. Il est normal de souhaiter que le peuple libyen soit le premier bénéficiaire de ces revenus et qu'ils ne soient pas déroutés vers la Turquie afin de financer l'exportation d'armes en Libye ou l'installation de mercenaires. Nous oeuvrons par conséquent dans le but d'unifier la parole libyenne en la matière. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin d'un pouvoir fort qui puisse défendre une juste répartition des revenus du pétrole. Nous ne pouvons pas accepter que ces derniers soient dévoyés. C'est la raison pour laquelle nous avons sollicité l'aide internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Monsieur le président Saleh, vous l'avez évoqué dans votre propos introductif, le 23 octobre dernier, par la voix de son Secrétaire général Antonio Gutteres, l'ONU a appelé à la mise en place d'un mécanisme d'observation et de contrôle du cessez-le-feu. Or, un certain nombre d'acteurs de la crise, et notamment la Russie, contestent la mise en place de ce mécanisme. Pensez-vous qu'il soit possible de mettre en place un tel mécanisme et à quelles conditions ? Selon vous, quel mécanisme pourrait faire l'objet d'une acceptation plus large que celui présenté par le Secrétaire général des Nations unies ?

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Nous saluons bien évidemment la proposition du Secrétaire général des Nations unies et nous nous sommes engagés à respecter le cessez-le-feu. Il est important que le monde entier sache qui ne le respecte pas. Ils sont nombreux, que cela soit d'anciens militaires ou d'anciens hommes politiques. Nous sommes d'accord pour que l'ONU soit l'arbitre dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le Président, je souhaite vous remercier. C'est un honneur de vous accueillir au sein de notre commission. Il s'agit à mon sens d'une initiative très importante pour la diplomatie parlementaire, d'une part, et pour pouvoir reconstruire des liens solides et efficaces entre nos Parlements et surtout nos peuples, d'autre part.

En 2010, je m'étais rendue à Tripoli où j'avais rencontré des membres du Gouvernement, notre communauté française et notamment notre communauté d'affaires. J'avais pu visiter notre école et l'Alliance française. Il y avait déjà des liens très forts entre nos deux pays, qui se sont malheureusement délités. Vous souhaitez reconstruire ces liens et accueillir des entreprises françaises. Comment pouvons-nous vous y aider au mieux ? En tant que juriste, vous n'êtes pas sans savoir que nous avons d'excellents juristes en droit constitutionnel qui ont déjà aidé beaucoup de pays dans des phases de transition. Nous avions également des entrepreneurs très impliqués qui avaient envie d'aider la Libye. Quels sont les secteurs qui vous intéressent le plus ? Avez-vous déjà pris des contacts avec les organisations représentatives, chambres de commerce internationales, conseillers du commerce extérieur, etc ?

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Nous espérons qu'à l'avenir les visites couvriront la totalité de la Libye et pas seulement la capitale libyenne. L'est du pays constitue 51 % de la superficie totale de notre pays contre 33 % pour le sud. En visitant un cinquième de notre territoire, vous n'avez pas réellement pu observer la réalité libyenne. Concernant les entreprises, c'est surtout dans l'est que nous avons besoin de reconstruction sous le contrôle de l'armée nationale libyenne. Nous pourrions organiser une visite préliminaire en Libye qui permettrait à nos hommes d'affaires de se rencontrer. Dès lors que nous disposerons d'un exécutif fort, des opportunités de business se feront jour. Nous aurons bien évidemment besoin de l'expertise française à la fois sur le plan juridique, constitutionnel, mais également dans le domaine des affaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Je suis très heureux d'échanger avec vous. Ma question est très courte. Comment analysez-vous les relations de la Libye et plus largement du continent africain avec la Chine ?

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Nous espérons vous voir en Libye bientôt. Les relations des pays africains tels que le Niger, le Tchad et la Guinée sont très intimes avec la France. Quant aux Chinois, ils s'emploient à étendre leurs relations commerciales avec l'Afrique et nous ont contactés pour nouer des partenariats, ce qui n'a pas été possible au vu des circonstances sécuritaires actuelles.

Nous sommes intéressés à coopérer avec tout le monde. Nous respectons les intérêts de tous les pays sachant que la priorité sera donnée aux pays qui nous ont soutenus lorsque nous rencontrions des difficultés.

Debut de section - Permalien
Youssef El Agouri, président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants

En tant que président de la commission des affaires étrangères en Libye, je souhaitais faire un point sur la réunion de travail très fructueuse que j'ai eue avec mon homologue le président Cambon. Nous avons abordé la question de la crise libyenne et de la situation générale en Libye. Nous avons parlé de la sécurité nationale libyenne et de la sécurité nationale française. Nous avons également évoqué la proposition du Président de la Chambre des représentants ainsi que la déclaration du Caire. Nous nous sommes également entretenus des problèmes de migration clandestine et de leurs conséquences dans les pays de l'Union européenne. Depuis que le cessez-le-feu a été proclamé, nous voyons affluer des mercenaires syriens de la Libye vers l'Union européenne. Ils portent des projets auxquels il faut mettre fin.

Nous avons également évoqué la société Total qui a pris des participations en Libye dans les concessions de Waha en faisant l'acquisition de Marathon Oil Libya Limited, une filiale à 100 % de la société américaine Marathon Oil Corporation. Cette acquisition a en effet provoqué du mécontentement car les autorités libyennes n'en ont pas été informées. Nous espérons néanmoins que Total va renforcer ses activités et ses investissements en Libye.

Enfin, nous avons fait un point sur le travail de la commission militaire qui travaille à mettre fin à toute présence militaire étrangère en Libye. La Libye doit être débarrassée de toute présence militaire étrangère. Nous devons retrouver notre souveraineté. Nous avons également évoqué les accords frontaliers et militaires entre le Gouvernement de Tripoli et la Turquie en insistant bien sur le fait qu'ils n'ont pas été ratifiés par notre Parlement et sont pour nous nuls et non avenus.

Les problèmes que vous soulevez sont moins de la responsabilité de la Turquie que d'Erdogan en particulier. Ce dernier veut s'assurer de la pérennité des bases militaires turques créées en Libye. Il s'attache en outre à conserver les accords signés avec le gouvernement El Sarraj. De notre point de vue, la communauté internationale doit agir avec fermeté auprès de la Turquie afin que nous puissions rétablir la paix et la stabilité en Libye. Nous savons qu'Erdogan utilise le bâton de la migration clandestine contre l'Europe. La Turquie a favorisé le passage de Syriens et de migrants d'autres nationalités, ce qui a déstabilisé l'Europe. Il essaie de reproduire ce scénario en Libye. Il ne s'agit pas uniquement de migrants, mais également de groupes combattants idéologisés. Nous avons besoin du soutien de l'Europe pour mettre fin à ces phénomènes pernicieux.

Debut de section - Permalien
Aguila Saleh, président du Parlement de Tobrouk

Permettez-moi de vous saluer et de vous remercier de votre invitation en France, ce pays ami. Je confirme ce que mon collègue vient de dire. Il a fourni une peinture réaliste de la situation en Libye ainsi que des solutions pour la faire évoluer et mettre fin à la souffrance des Libyens.

Nous savons quelles sont les capacités du Sénat en tant qu'institution législative à convaincre votre Gouvernement de promouvoir une solution politique qui garantirait l'unité de notre pays et sauvegarderait ses richesses, sa souveraineté et l'intégrité de son territoire. J'espère de vous un soutien de sorte que nous puissions faire face à certaines visées expansionnistes, notamment de la part de la Turquie qui cherche à prendre le contrôle des puits de pétrole et des ports pétroliers.

Nous espérons que le Sénat incitera le Gouvernement français à se tenir aux côtés du peuple libyen, lequel vouera une gratitude éternelle à ceux qui l'auront soutenu pendant les épreuves qu'il affronte.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci à vous d'avoir accepté le principe de cette visite. Au terme de cette réunion, nous comprenons mieux pourquoi le président Larcher a souhaité que la première visite de 2021 au Sénat soit la vôtre. Dans un dossier d'une rare complexité où des forces multiples se sont affrontées, la commission avait besoin de comprendre quelle était la situation au lendemain du cessez-le-feu et quels étaient ceux qui portaient des engagements et des valeurs qui nous sont communes.

Nous observons, au terme de vos réponses, une grande identité de vue sur de très nombreux sujets. Monsieur le président, vous symbolisez la volonté de la réconciliation et du dialogue national. Vous êtes une des voix qui en Libye acceptez de parler à tout le monde, ce qui n'est pas le cas de toutes les forces en présence. Rien que cela constitue le début d'une grande espérance. En effet, seules des solutions politiques peuvent régler ce genre de confrontations. En acceptant de dialoguer avec tous, vous avez grandement contribué à l'élaboration de ce cessez-le-feu et à cette nouvelle phase de la vie de la Libye que nous souhaitons soutenir.

Vous avez voulu partager avec nous votre souci de maîtriser ces flux d'immigration qui ont déjà affaibli et posé beaucoup de problèmes à la Libye elle-même.

Ce qui m'apparaît également très important, ce sont vos déclarations sur l'importance de restaurer et de protéger la souveraineté de la Libye. Il s'agit d'un grand pays, dont l'histoire lointaine a illuminé le bassin méditerranéen. Ici, il y a des femmes et des hommes qui n'attendent qu'une seule chose : que l'on puisse venir en Libye et découvrir à la fois la Libye de l'avenir et son passé glorieux. Vous portez l'engagement de sauvegarder la souveraineté nationale, ce qui me semble essentiel. Vous partagez avec nous la volonté de lutter contre toutes les formes d'idéologie qui conduisent au terrorisme. Le président El Agouri a eu cette formule qui m'a beaucoup frappé ce matin : la sécurité de la Libye est la sécurité de l'Europe. Bien évidemment, autour de ce bassin méditerranéen, agité par de multiples crises, il est évident que, si un pays favorise d'une manière ou d'une autre l'expansion du terrorisme, c'est bien au-delà que nous nous sentirons menacés.

Nous nous retrouvons également sur des valeurs de développement économique. Une fois le concept de souveraineté et d'identité nationale préservé, il faut penser à l'avenir en préconisant le développement économique. La Libye est un pays très riche et vous avez raison de vous mobiliser pour que ces richesses ne soient pas confisquées. J'ai été stupéfait d'entendre que le gouvernement de Tripoli, qui profite des revenus du pétrole, reverse une forte contribution à la Turquie, qui en profite pour armer des miliciens et occuper votre territoire. Il s'agit là d'une politique de l'absurde. Nous devons militer et vous aider pour une juste répartition des ressources pétrolières qui bénéficie à la Libye et à sa population. Sur ce point, nous sommes en parfait accord avec vous.

De la même manière, nous souhaitons que la main que vous tendez à nos entreprises permette de contribuer au développement et à la richesse de votre pays. Nous avons d'autres instruments pour vous aider. Nous avons parlé d'aide à la gouvernance, à la lutte contre la corruption. Des organismes tels que l'Agence française de Développement, Expertise France et d'autres encore peuvent évidemment vous venir en aide.

Enfin, vous avez parlé - et ce n'est pas le moindre sujet - du développement de l'enseignement du français. La commission des affaires étrangères est tout à fait sensible à cette préoccupation et, à travers l'AEFE, nous allons militer pour faire éclore cette volonté. Il faut que des écoles, des lycées, voire des universités francophones, puissent s'ouvrir et vous soutenir. Nous ne faillirons pas davantage sur ce plan.

Monsieur le président, notre ambition est de vous soutenir et de vous épauler. D'autres points auraient mérité d'être évoqués sur le plan de la défense et de la sécurité des frontières. Vous connaissez déjà notre engagement au Sahel avec plus de 5 100 hommes déployés au Mali et dans l'ensemble de cette région. Peut-être pouvons-nous vous aider à mettre en place des systèmes de surveillance par voie satellitaire ou grâce à des drones.

Ce sont des sujets que nous prenons à coeur et nous allons nous efforcer de mettre en oeuvre un partenariat exemplaire entre le Parlement de Tobrouk et le Sénat de la République française avec l'ambition de démontrer l'utilité de la coopération interparlementaire. A côté de nos dirigeants de l'exécutif, il faut qu'il y ait des parlements qui se sentent concernés par ces problèmes et qui puissent s'entraider. Nous représentons les territoires de nos pays respectifs et c'est à nous d'organiser ces coopérations et ces rencontres régulières.

Nous vous remercions encore une fois d'avoir accepté cette audition avec les membres de la commission qui, dans leur diversité, vous ont fait part du grand intérêt qu'ils portent à l'histoire de la Libye, mais surtout à son avenir.

Monsieur le président, Monsieur le président de la commission et chers collègues, merci de votre présence.

La réunion est close à 18 heures.